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que peu ou point d’altération. J’observerai seulement que de même que l’homme de lettres raconte un fait en historien, ou en poëte, un peintre en fait le sujet d’un tableau historique ou poétique. Dans le premier cas, il semble que tous les êtres imaginaires, toutes les qualités métaphysiques personnifiées, en doivent être bannis ; l’histoire veut plus de vérité ; il n’y a pas un de ces écarts dans les batailles d’Alexandre ; & il semble dans le second cas, qu’il ne soit guere permis de personnifier que celles qui l’ont toûjours été, à moins qu’on ne veuille repandre une obscurité profonde dans un sujet fort clair. Aussi je n’admire pas autant l’allégorie de Rubens dans l’accouchement de la reine, que dans l’apothéose de Henri : il m’a toûjours paru que le premier de ces objets demandoit toute la vérité de l’histoire, & le second tout le merveilleux de la poésie.

On appelle compositions extravagantes, celles où les figures ont des formes & des mouvemens hors de la nature ; compositions forcées, celles où les mouvemens & les passions pechent par excès ; compositions confuses, celles où la multitude des objets & des incidens éclipsent le sujet principal ; compositions froides, celles où les figures manquent de passions & de mouvemens ; compositions maigres, celles où le peintre n’a pas sû tirer parti de son sujet, ou dont le sujet est ingrat ; compositions chargées, celles où le peintre a montré trop d’objets, &c.

Une composition peut aisément être riche en figures & pauvre d’idées ; une autre composition excitera beaucoup d’idées, ou en inculquera fortement une seule, & n’aura qu’une figure. Combien la représentation d’un anachorete ou d’un philosophe absorbé dans une méditation profonde n’ajoûtera-t-elle pas à la peinture d’une solitude ? il semble qu’une solitude ne demande personne ; cependant elle sera bien plus solitude si vous y mettez un être pensant. Si vous faites tomber un torrent des montagnes, & que vous vouliez que j’en sois effrayé, imitez Homere, placez à l’écart un berger dans la montagne, qui en écoute le bruit avec effroi.

Nous ne pouvons trop inviter les Peintres à la lecture des grands Poëtes, & reciproquement les Poëtes ne peuvent trop voir les ouvrages des grands Peintres ; les premiers y gagneront du goût, des idées, de l’élevation ; les seconds, de l’exactitude & de la vérité. Combien de tableaux poétiques qu’on admire, & dont on sentiroit bien-tôt l’absurdité si on les exécutoit en peinture ? Il n’y a presque pas un de ces poëmes appellés temples, qui n’ait un peu ce défaut. Nous lisons ces temples avec plaisir ; mais l’architecte qui réalise dans son imagination les objets à mesure que le poëte les lui offre, n’y voit selon toute apparence qu’un édifice bien confus & bien maussade.

Un peintre qui aime le simple, le vrai & le grand, s’attachera particulierement à Homere & à Platon. Je ne dirai rien d’Homere, personne n’ignore jusqu’où ce poëte a porté l’imitation de la nature. Platon est un peu moins connu de ce côté, j’ose pourtant assûrer qu’il ne le cede guere à Homere. Presque toutes les entrées de ses dialogues sont des chefs-d’œuvre de vérité pittoresque : on en rencontre même dans le cours du dialogue ; je n’en apporterai qu’un exemple tiré du banquet. Le banquet qu’on regarde communément comme une chaîne d’hymnes à l’Amour, chantés par une troupe de philosophes, est une des apologies les plus délicates de Socrate. On sait trop le reproche injuste auquel ses liaisons étroites avec Alcibiade l’avoient exposé. Le crime imputé à Socrate étoit de nature que l’apologie directe devenoit une injure ; aussi Platon n’a-t-il garde d’en faire le sujet principal de son dialogue. Il assemble des philosophes dans un banquet : il leur fait chanter l’Amour. Le repas & l’hymne étoient sur la

fin, lorsqu’on entend un grand bruit dans le vestibule ; les portes s’ouvrent, & l’on voit Alcibiade couronné de lierre & environné d’une troupe de joüeuses d’instrumens. Platon lui suppose cette pointe de vin qui ajoûte à la gaieté & qui dispose à l’indiscrétion. Alcibiade entre ; il divise sa couronne en deux autres ; il en remet une sur sa tête, & de l’autre il ceint le front de Socrate : il s’informe du sujet de la conversation ; les philosophes ont tous chanté le triomphe de l’Amour. Alcibiade chante sa défaite par la Sagesse, ou les efforts inutiles qu’il a faits pour corrompre Socrate. Ce récit est conduit avec tant d’art, qu’on n’y apperçoit par-tout qu’un jeune libertin que l’yvresse fait parler, & qui s’accuse sans ménagement des desseins les plus corrompus & de la débauche la plus honteuse : mais l’impression qui reste au fond de l’ame, sans qu’on le soupçonne pour le moment, c’est que Socrate est innocent, & qu’il est très-heureux de l’avoir été ; car Alcibiade entêté de ses propres charmes, n’eût pas manqué d’en relever encore la puissance, en dévoilant leur effet pernicieux sur le plus sage des Athéniens. Quel tableau, que l’entrée d’Alcibiade & de son cortege au milieu des philosophes ! n’en seroit-ce pas encore un bien intéressant & bien digne du pinceau de Raphael ou de Vanloo, que la représentation de cette assemblée d’hommes vénérables enchaînés par l’éloquence & les charmes d’un jeune libertin, pendentes ab ore loquentis ? Quant aux parties de la Peinture dont la composition suppose la connoissance ; voyez Coloris, Dessein, Draperies, Perspective, Groupes, Couleurs, Peinture, Clair-obscur, Ombre, Lumieres &c. Nous n’avons dû exposer dans cet article que ce qui en concernoit l’objet particulier.

Composition, dans le Commerce, se dit d’un contrat passé entre un débiteur insolvable & ses créanciers, par lequel ceux-ci consentent à recevoir une partie de la dette en compensation du tout, & en conséquence donnent une quittance générale.

Composition, se dit aussi, dans le Commerce, du bon marché qu’on donne d’une chose ; faire bonne composition de sa marchandise, c’est se relâcher sur le prix.

Composition. (Pharm.) Voyez Composé[1].

Composition, en termes d’Imprimerie, s’entend de l’arrangement des lettres, qui, levées les unes après les autres, forment un nombre de lignes, de pages, & de feuilles. Un ouvrier compositeur interrogé pour savoir où il en est de sa composition, répond : il me reste à faire 6 pages 20 lignes de composition pour parfaire ma feuille.

COMPOSTELLE, (Géogr. mod.) ville fameuse d’Espagne à cause du pélerinage de S. Jacques, dont on croit que les reliques y reposent, sur les rivieres de Tambra & d’Ulla. Long. 9. 28. lat. 42. 54.

Compostelle, (la nouvelle) Géog. mod. ville de l’Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, dans la province de Xalisco. Long. 270. 15. lat. 21.

COMPOSTEUR, s. m. instrument d’Imprimerie, & particulier à l’ouvrier compositeur. C’est un morceau de fer ou de cuivre, plat, poli, de neuf à dix pouces de long, sur cinq à six lignes de large, & portant un rebord de deux à trois lignes de haut dans toute sa longueur ; il est terminé à son extrémité antérieure en forme d’équerre ; l’autre extrémité en est arrondie : le corps est une espece de lame percée de plusieurs trous, de distance en distance, pour recevoir par-dessous une vis, & par-dessus l’écrou de cette vis ; cet écrou est échancré par les deux côtés, & destiné à serrer ou desserrer deux petites coulisses de trois ou quatre pouces de long posées l’une sur l’autre, & sur la lame, dont elles n’excedent pas la largeur, maintenues entre la vis & l’écrou, & ap-

  1. Voir errata, tome V, p. 1011 : Les art. Composé & Composition, (Chimie.) ont été omis ; on les expliquera à l’article Mixte & Mixtion.