L’Encyclopédie/1re édition/CLAIR

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* CLAIR, (Physiq.) adjectif relatif à la quantité des rayons de lumiere qu’un corps réfléchit vers nos yeux, & quelquefois à la quantité de parties solides qu’il contient.

Ainsi on dit des couleurs claires, une eau claire, un verre clair, une étoffe claire. Une étoffe est d’autant plus claire qu’elle contient moins de parties solides, & qu’elle est percée d’un plus grand nombre de jours. Un verre, une eau sont d’autant plus clairs, qu’ils permettent un passage plus libre aux rayons de la lumiere, & que par conséquent ils en renvoyent moins à nos yeux. Une couleur est d’autant plus claire, que sa teinte est plus foible, plus voisine du blanc, & que par conséquent la quantité de rayons réfléchis est plus grande. V. Blancheur.

Clair, Bay-clair, (Maréchallerie & Manége.) nuance de poil bay. Voyez Bay.

Clair, en Peinture, se dit des parties les plus éclairées d’un tableau ; elles s’appellent le clair, ou pour parler plus pittoresquement, les parties lumineuses on éclairées. (R)

Clair obscur, s. m. (Peinture.) Rien ne peut donner une idée plus nette du clair obscur, que ce qu’en dit M. de Piles.

En Peinture, la connoissance de la lumiere, par rapport à la distribution qu’on en doit faire sur les objets, est une des plus importantes parties & des plus essentielles à cet art. Elle contient deux choses, l’incidence des lumieres & des ombres particulieres, & l’intelligence des lumieres en général, que l’on appelle ordinairement le clair obscur.

Par l’incidence de la lumiere, il faut entendre la connoissance de l’ombre que doit faire & porter un corps situé sur un tel plan, & exposé à une lumiere donnée ; connoissance qui s’acquiert par celle de la perspective, dont les démonstrations nécessitent le peintre à lui obéir. Par l’incidence des lumieres, l’on entend donc les lumieres & les ombres qui appartiennent aux objets particuliers ; & par le mot de clair obscur, l’art de distribuer avantageusement les lumieres & les ombres qui doivent se trouver dans un tableau, tant pour le repos & la satisfaction des yeux, que pour l’effet du tout ensemble.

L’incidence des lumieres, ainsi qu’on l’a dit, force le peintre à suivre les lois de la perspective, au lieu que le clair obscur dépend absolument de l’imagination du peintre ; car celui qui choisit les objets est maître de les disposer de maniere à recevoir les lumieres & les ombres telles qu’il les desire dans son tableau, & d’y introduire les accidens & les couleurs dont il pourra tirer de l’avantage. Enfin comme les lumieres & les ombres particulieres sont comprises dans les lumieres & les ombres générales, il faut regarder le clair obscur comme un tout, & l’incidence de la lumiere comme une partie que le clair obscur suppose.

On désigne par le mot clair, non-seulement ce qui est exposé sous une lumiere directe, mais aussi toutes les couleurs qui sont lumineuses de leur nature ; & par le mot obscur, non-seulement il faut entendre toutes les ombres causées directement par l’incidence & par la privation de la lumiere, mais encore toutes les couleurs qui sont naturellement brunes ; ensorte que sous l’exposition de la lumiere même elles conservent l’obscurité, & soient capables de grouper avec les ombres des autres objets. Tels sont, par exemple, un velours chargé, une étoffe brune, un cheval noir, des armures polies, & d’autres choses semblables, qui conservent leur obscurité naturelle ou apparente à quelque lumiere qu’on les expose.

Il faut encore observer que le clair obscur qui renferme & suppose l’incidence de la lumiere & de l’ombre, comme le tout renferme sa partie, regarde cette même partie d’une maniere qui lui est particuliere, en ce que le clair obscur ajoûte à la précision de cette partie, l’art de rendre les objets plus de relief, plus vrais, & plus sensibles. Mais quoique le clair obscur comprenne la science de distribuer toutes les lumieres & toutes les ombres, il s’entend plus particulierement des grandes lumieres & des grandes ombres, ramassées avec une industrie qui en cache l’artifice. Trois moyens conduisent à la pratique du clair obscur.

I. moyen. La distribution des objets.

II. moyen. Le corps des couleurs.

III. moyen. Les accidens.

Premierement la distribution des objets. La distribution des objets forme des masses de clair-obscur, lorsque par une industrieuse œconomie on les dispose de maniere que ce qu’ils ont de lumineux se trouve joint ensemble d’un côté, & que ce qu’ils ont d’obscur se trouve lié ensemble d’un autre côté, & que cet amas de lumieres & d’ombres empêche la dissipation de notre vûe ; c’est ce que le Titien appelloit la grappe de raisin, parce que les grains de raisin séparés les uns des autres auroient chacun sa lumiere & son ombre également, & partageant ainsi la vûe en plusieurs rayons, lui causeroient de la confusion : au lieu qu’étant tous rassemblés en une grappe, & ne faisant par ce moyen qu’une masse de clair & qu’une masse d’ombre, les yeux les embrassent comme un seul objet. Ce que je dis ici de la grappe de raisin ne doit pas être pris grossierement à la lettre, ni selon l’arrangement ni selon la forme ; c’est une comparaison sensible, qui ne signifie autre chose que la jonction des clairs & la jonction des ombres.

En second lieu, le corps des couleurs. La distribution des couleurs contribue aux masses des clairs & aux masses d’ombres, sans que la lumiere directe y fasse autre chose que de rendre les objets visibles : cela dépend de la supposition que fait le peintre, qui est libre d’introduire une figure habillée de brun, qui demeurera obscure malgré la lumiere dont elle peut être frappée, & qui fera d’autant plus son effet, qu’elle en cachera l’artifice. Ce que je dis d’une couleur peut s’entendre de toutes les autres couleurs, selon le degré de leur ton, & le besoin qu’en aura le peintre.

Le troisieme moyen de produire l’effet du clair-obscur naît des accidens. Leur distribution peut servir à l’effet du clair-obscur, ou dans la lumiere ou dans les ombres. Il y a des lumieres & des ombres accidentelles : la lumiere accidentelle est celle qui est accessoire au tableau, comme la lumiere de quelque fenêtre, ou d’un flambeau, ou de quelqu’autre cause lumineuse, laquelle est pourtant inférieure à la lumiere primitive : les ombres accidentelles sont, par exemple, celles des nuées dans un paysage, ou de quelqu’autre cause que l’on suppose hors du tableau, & qui peut produire des ombres avantageuses ; mais en supposant hors du tableau la cause de ces ombres volantes, pour ainsi parler, il faut prendre garde que cette cause supposée soit vraissemblable, & non pas impossible. Voy. le cours de Peint. de M. de Piles.

On appelle un dessein de clair-obscur, un dessein qui est lavé d’une seule couleur, ou dont les ombres sont d’une couleur brune, & les lumieres rehaussées de blanc. On nomme encore ainsi les tableaux qui ne sont que de deux couleurs, comme les fresques de Polydore qui sont à Rome.

Les planches gravées à la maniere noire portent encore le nom générique de clair-obscur. (R)