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qu’un citoyen s’en fait est honnête, comme toutes celles qui sont utiles : mais à mesure que les citoyens rendent de plus grands services, ils doivent être plus distingués ; & le commerce ne sera point encouragé dans les pays qui ne savent point faire ces différences.

On peut s’occuper personnellement du Commerce de trois manieres.

Le premier objet est d’acheter les productions de la terre & de l’industrie, pour les revendre par petites parties aux autres citoyens. Ceux qui exercent cette profession sont appellés détailleurs. Voyez Détailleurs.

Cette occupation plus commode que nécessaire pour la société, concourt à la circulation intérieure.

Le second objet du Commerce est celui d’un citoyen dont l’industrie entreprend de guider le travail d’un nombre d’autres citoyens, pour donner des formes aux matieres premieres. Ceux qui s’y appliquent s’appellent manufacturiers. Voy. Manufacturiers.

Cette industrie est très-nécessaire, parce qu’elle augmente les richesses réelles & relatives.

La troisieme espece de commerce est l’occupation d’un citoyen qui fait passer chez l’étranger les productions de sa patrie, pour les échanger contre d’autres productions nécessaires, ou contre de l’argent. Soit que ce commerce se fasse par terre ou par mer, en Europe, ou dans d’autres parties du monde, on le distingue sous le nom de commerce en gros. Celui qui s’y applique est appellé négociant. V. Négociant.

Cette profession est très-nécessaire, parce qu’elle est l’ame de la navigation, & qu’elle augmente les richesses relatives de l’état.

Ces trois manieres d’exercer le Commerce ont un devoir commun qui en fait l’activité ; c’est une bonne foi scrupuleuse : leur objet est également commun, c’est le gain : leur effet est différent en ce qu’il contribue plus ou moins à l’effet général du Commerce dans un corps politique. C’est cet effet qui doit les distinguer aux yeux de la patrie, & qui rend plus recommandable chaque particulier, à mesure qu’il y coopere davantage.

Ce n’est pas que le plan immédiat du législateur soit d’avoir des négocians très-puissans : ils lui sont précieux, parce qu’ils ont beaucoup concouru à ses vûes ; mais il seroit encore plus utile, dans le cas où le Commerce seroit borné, d’en avoir beaucoup de riches, qu’un moindre nombre de très-riches. Vingt négocians qui ont chacun cent mille écus font plus d’affaires, & ont entre eux une plus grande somme de crédit, que six millionaires. D’ailleurs les fortunes partagées sont d’une ressource infiniment plus grande pour la circulation & pour les richesses réelles : cependant la grande disproportion des fortunes par le commerce n’est pas onéreuse à l’état, en ce qu’elle circule ordinairement toute entiere au profit des arts utiles ; il seroit même à souhaiter qu’elles restassent dans le Commerce, parce qu’elles établissent beaucoup de facteurs chez l’étranger : ces facteurs y augmentent les branches du commerce de leur nation, & en outre lui rapportent le bénéfice qu’ils ont fait dans le commerce dont le pays qu’ils habitent est susceptible. Ces fortunes ne sortiroient point du Commerce, si l’état de négociant étoit aussi honoré qu’il mérite de l’être.

A l’égard des grandes entreprises de commerce pour le gouvernement, il n’a besoin que de son propre crédit : dès qu’il offrira du profit & de la sûreté, des sociétés solides s’en chargeront au rabais.

Savoir faire le Commerce ou savoir le conduire, sont deux choses très-distinctes. Pour le bien conduire, il faut savoir comment il se fait ; pour le faire avec profit, il est inutile de savoir comment il doit se conduire. La science du négociant est celle des dé-

tails dont il s’occupe ; la science du politique est le parti que l’on peut tirer de ces détails : il faut donc les connoître, & ce n’est que par les négocians que l’on peut s’en instruire. On ne sauroit trop converser avec eux pour apprendre, pour délibérer : leurs conseils doivent être admis avec précaution. Nous avons déjà distingué le gain du marchand & le gain de l’état ; & il est clair qu’absorbés dans les détails, les négocians ont rarement le coup d’œil général, à moins que par leurs voyages ou par une pratique étendue & raisonnée, ils ne l’ayent acquis. Ceux qui sont dans le cas, peuvent décider sûrement.

Le négociant doit à la société dont il est membre, les sentimens qu’un honnête homme, c’est-à-dire un vrai citoyen, a toûjours pour elle ; la soûmission à ses lois, & un amour de préférence. C’est être coupable devant Dieu & devant les hommes, que d’y manquer, quelque profession que l’on exerce ; mais ce principe ne sauroit être trop profondément gravé dans le cœur de ceux qui sont toûjours dans une occasion prochaine d’y manquer.

Cependant ce n’est point manquer à cet amour de préférence, que de faire passer d’un pays étranger à un autre les marchandises nécessaires à ses assortimens ; quand même ces marchandises seroient proscrites par la société dont on est membre : il est évident que puisque les marchandises ont été nécessaires, c’est contribuer à la richesse relative de sa patrie, que de faire le profit qu’elles auroient donné à la nation qui les possede, si elle en eût fait elle-même la vente.

J’insiste sur cet article particulierement, par rapport aux négocians d’une nation répandus chez l’étranger : on leur reproche quelquefois ce genre de commerce, par lequel même assez souvent ils sont parvenus à acquérir à leur nation la supériorité dans le pays qu’ils habitent. C’est mal connoître la nature du Commerce, & confondre les principes du commerce extérieur avec ceux du commerce intérieur.

On en peut dire autant de la protection qu’un négociant particulier cherche à se procurer dans un pays étranger : c’est un mauvais citoyen, s’il en préfere une étrangere ; mais il a besoin d’en avoir une.

La matiere du Commerce est immense ; on n’a pu qu’ébaucher les premiers principes, dont un esprit droit & refléchissant tirera aisément les conséquences. Pour s’instruire davantage, on peut consulter l’excellent essai de M. Melon ; les réflexions politiques de M. Dutot, avec leur examen ; le parfait négociant ; le dictionnaire du Commerce ; l’esprit des lois ; les réglemens & les ordonnances de France ; les statuts d’Angleterre, & presque tous les livres Anglois sur le Commerce, sont les sources les plus sûres.

Pour le commerce particulier de chaque état, voyez les mots France, Grande-Bretagne, Hollande, Espagne, Venise, Naples, Genes, État ecclésiastique, Piémont, Allemagne, Danemark, Suede, Moscovie. Article de M. de V. D. F.

Commerce, (Conseil de) Hist. mod. est un conseil que le Roi établit en 1700 pour les affaires de Commerce. Il le composa de deux conseillers d’état, & du conseil royal des finances ; d’un secrétaire d’état, de deux maîtres des requêtes, & de douze anciens marchands députés des villes les plus commerçantes du royaume ; à savoir deux de Paris, un de Roüen, un de Lyon, un de Bordeaux, un de Marseille, un de Nantes, un de la Rochelle, un de Saint-Malo, un de Lille, un de Bayonne, & un de Dunkerque. Ce conseil ne décide pas par lui-même souverainement sur les affaires de commerce : mais les délibérations qu’on y prend sont presentées au Roi pour y pourvoir selon qu’il le juge à propos. (H)

Commerce, (jeu du) ce jeu prend son nom de