L’Encyclopédie/1re édition/SUEDE

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SUEDE, (Géog. mod.) un des royaumes des plus grands & des plus septentrionaux de l’Europe. Les terres qu’il renferme, sont comprises à-peu-près entre le 30. & le 45. degré de longitude, & entre les 55. & 70 degrés de latitude septentrionale. Il a ainsi dans sa plus grande longueur plus de 350 lieues du septentrion au midi, & plus de 140 d’orient en occident. Il est borné au nord par la Laponie norwégienne ou danoise, & par l’Océan septentrional ; au sud par la mer Baltique & par le golphe de Finlande ; à l’orient par la Moscovie, & au couchant par la Norwege, le détroit du Sund & le Categat.

Ce royaume jouit d’un air sain, qui est cependant si froid & si peu tempéré, qu’à l’hiver qui occupe les trois quarts de l’année, succedent durant deux mois des chaleurs excessives. Il n’y a presque point de milieu entre un froid très-violent & une chaleur étouffante ; & par conséquent il n’y a que peu ou point du tout de printems ni d’automne. Le soleil, dans sa plus grande élevation, est dix-huit heures & demie sur l’horison de Stockolm, & fait pendant quelques semaines un jour continuel ; mais les jours d’hiver sont bien courts à proportion, car le soleil n’y paroît que cinq heures & demie. La lumiere de la lune, la blancheur de la neige & la clarté du ciel dédommagent foiblement de l’absence du soleil. On se précautionne contre l’âpreté du froid par le moyen des poëles qui sont dans les maisons, & par de bonnes fourures quand on est obligé de sortir. Les pauvres même sont obligés de se servir de peaux de mouton, & autres peaux semblables pour pouvoir résister au froid du climat. La négligence en ce genre seroit fatale, car on ne sauroit être mal-vêtu en Suede, sans courir risque de perdre le nez, les doigts des mains & des piés, & quelquefois même la vie.

La Suede se divise en Suede propre, Gothlande, Nortlande & Finlande. La Suede propre est située entre les Nordelles au nord, l’Ostrogothland au sud, la mer à l’orient, & les gouvernemens de Bahus, d’Aggerhus & de Drontheim vers occident ; elle renferme cinq provinces, savoir l’Uplande, la Sudermanie, la Westmanie, la Néricie & la Dalécarlie.

La Suede est un pays arrosé de rivieres & entrecoupé de grands lacs, qui, avec les montagnes & les forêts, occupent plus de la moitié du royaume. La terre y est ingrate en plusieurs choses utiles à la vie. On y voit des campagnes à perte de vue, couvertes de chênes & de sapins d’une hauteur prodigieuse. La chasse & la pêche produisent de quoi nourrir cette vaste contrée. On chasse les bêtes-fauves pour les manger ; les loups, les renards, les chats sauvages pour en avoir les peaux, qui servent à des fourrures. Il y a quantité d’aigles, de faucons & d’autres oiseaux de proie qui nous sont inconnus. Les renards & les écureuils y deviennent grisâtres, & les lievres blancs comme de la neige. Outre la mer, les lacs y fourmillent de poissons qu’on ne connoît point ailleurs. On y prend quantité de stréamlings, sorte de poisson plus petit qu’un hareng ; on le sale, on l’encaque dans des barrils, & on le vend ensuite dans tout le pays. Le bétail de la Suede est en général petit, ainsi que dans les autres pays septentrionaux. La laine que donnent les moutons est extrêmement grossiere, & ne peut servir qu’aux habits des paysans. Les chevaux, quoique petits, sont légers, vigoureux, forts, & excellens pour le traîneau, qui est l’unique voiture des habitans pendant la longue durée de l’hiver.

Les forêts produisent du bois de charpente & à brûler tant qu’on veut ; on en fait un grand débit, tant pour les bâtimens que pour les mâtures des vaisseaux. Les mines de cuivre & de fer font un objet de commerce considérable. Il y a telle mine de cuivre dont on tire annuellement la valeur d’un million. Outre le fer qui se consume dans le pays, il s’en transporte tous les ans chez l’étranger pour d’assez grosses sommes ; mais voilà toutes les ressources de cette monarchie.

Son origine & son commencement nous sont inconnus. Les révolutions qu’elle a essuyées ont été exactement décrites par Puffendorf, & agréablement par l’abbé de Vertot. La Suede, probablement épuisée d’habitans par les anciennes émigrations dont l’Europe fut inondée, parut comme ensevelie dans la barbarie pendant les huit, neuf, dix & onzieme siecles. Le christianisme qui y fut préché dès le neuvieme, n’y fit aucun progrès. Elle renonça au christianisme dans le siecle suivant, & dans le onzieme siecle, toutes les côtes de la mer Baltique étoient encore payennes.

Les premiers rois de cet état étoient absolus. Les Suénones, dit Tacite, sont tombés sous la domination d’un seul ; ce n’est plus une monarchie tempérée, c’est le pur despotisme. Les Suénones sont les Suédois ; je n’ai pas besoin d’en avertir, ni de remarquer que les choses ont bien changé. Les Suédois, ce peuple de tous les Germains le seul esclave du tems de Tacite, & l’un des plus barbares dans les siecles d’ignorance, sont devenus de nos jours une nation du Nord des plus éclairées, & l’une des plus libres des peuples européens qui ont des rois. Outre que la monarchie y est mitigée, la nation suédoise est encore libre par sa belle constitution, qui admet les paysans mêmes dans les états généraux.

La couronne de Suede, anciennement élective, n’est devenue successive & héréditaire que sous le regne de Gustave I. Il fut résolu dans une assemblée de la noblesse, tenue à Stockholm en 1680, & confirmée à la diete en 1682, que les filles succéderoient à la couronne, si les mâles venoient à manquer dans la famille royale.

Les états du royaume avoient beaucoup plus d’autorité qu’ils n’en ont, depuis qu’on a changé la forme du gouvernement. Il consiste en quatre ordres, qui sont la noblesse, le clergé, les bourgeois, & les paysans. Ces quatre états composés d’un millier de gentilshommes, de cent ecclésiastiques, de cent cinquante bourgeois, & d’environ deux cens cinquante paysans, faisoient les lois du royaume.

On convoque ordinairement les états de quatre en quatre ans ; & quand ils s’assemblent à Stockholm, c’est dans la grande salle du château. La noblesse a pour chef le maréchal de la diete, qui est nommé par le roi : elle est partagée en trois classes ; la premiere est celle des comtes & des barons, la seconde, celle des maisons illustres par les charges de la couronne, ou par les emplois considérables, & la derniere est celle des simples nobles.

Cette distinction n’a été introduite que depuis que la couronne est héréditaire : car du tems de l’élection, il n’y avoit que la vertu & le mérite qui missent de la différence entre les gentilshommes. L’archevêque d’Upsal est à la tête du clergé, en qualité du primat du royaume. Les bourgeois ont ordinairement à leur tête le bourguemestre de Stockholm, & les paysans choisissent un président. Le roi congédie le plutôt qu’il peut l’assemblée des états, de peur qu’elle ne censure l’administration publique, & ne propose des réformations.

Le sénat est le corps le plus considérable du royaume après les états généraux. Le corps des sénateurs, aujourd’hui réduit à douze, étoit autrefois libre, juge des actions & de la vie du roi ; il n’est plus aujourd’hui que le témoin de sa conduite, & quoiqu’il entre en connoissance de toutes les affaires d’état, sa fonction est de lui donner conseil, sans pouvoir lui rien prescrire.

Le roi seul a le droit d’établir les impôts, de régler les étapes pour les soldats des provinces, de faire battre la monnoie, & de faire creuser les mines de salpêtre, à-moins qu’elles ne soient dans les terres ecclésiastiques. Il nomme à toutes les charges du royaume, & à toutes les magistratures ; il lui est permis, en cas de nécessité, de lever le dixieme homme pour aller à la guerre ; mais il prend en échange l’argent qui seroit employé à cette levée, & trouve, par ce moyen, le secret de ne pas dépeupler ses états ; ce qui fait que les armes de Suede sont presque toutes composées de soldats étrangers, & particulierement d’Allemands.

Outre les sénateurs, il y a dans ce royaume, cinq grands officiers de la couronne, qui sont régens nés du royaume pendant la minorité des rois. Ces cinq officiers sont le drossart, ou le grand justicier, le connétable, l’amiral, le chancelier, & le grand trésorier. Ils président chacun à une chambre, composée de quelques sénateurs ; quand leur charge vient à vacquer, le roi la donne à qui bon lui semble, & ordinairement au plus ancien sénateur de la chambre.

Le grand justicier préside au suprême conseil de justice, auquel on appelle de tous les autres ; c’est lui qui a le privilege de mettre la couronne sur la tête du roi dans la cérémonie de son couronnement.

Le connétable est le chef du conseil de guerre, & prend soin de tout ce qui regarde les armées. Aux entrées des rois, il marche le premier devant eux tenant l’épée nue ; & dans l’assemblée des états, il est assis devant le trône, à main droite.

Le pouvoir de l’amiral est fort considérable : il a le commandement des armées navales ; il a le choix de tous les officiers de guerre & des finances qui servent dans la marine, & auxquels il donne des provisions. La justice de l’amirauté lui appartient, & se rend en son nom ; il a les amendes, les confiscations, le droit de dixieme sur toutes les prises & conquêtes faites à la mer, le droit d’ancrage, l’inspection sur les arsenaux maritimes, & la distribution des congés à tous les vaisseaux qui partent des ports & havres du royaume. Il est président du conseil de marine, qui connoît de toutes les entreprises de guerre, des abus & des malversations commises par les officiers de marine ; enfin il juge définitivement & en dernier ressort toutes les affaires qui concernent l’amirauté.

Le chancelier est le chef de la police, en corrige les abus, & fait tous les réglemens nécessaires pour le bien public ; il est dépositaire des sceaux de la couronne ; il expédie toutes les affaires d’état, & expose les volontés du roi aux états-généraux ; il préside au conseil de police, & c’est en ses mains que le roi dépose la justice pour la faire rendre à ses sujets.

Le grand-trésorier a l’administration des finances & des revenus du roi. Il fait rendre tous les comptes des fermes aux trésoriers particuliers : c’est lui qui signe les ordonnances, & autres expéditions du trésor, qui ordonne des fonds, & qui paie tous les officiers du royaume ; il préside à la chambre des comptes, qui expédie tous les arrêts portant imposition sur les peuples, & où l’on rapporte toutes les affaires qui regardent les finances.

Le revenu des rois de Suede a été beaucoup augmenté depuis le changement de religion, par la possession des biens du clergé, & par la réunion au domaine de tous ceux qui en avoient été aliénés. Le roi tire encore son revenu de droits qu’il leve sur les mines du royaume, sur les amendes, & sur les marchandises.

La justice est administrée en Suede par quatre tribunaux souverains, qu’on nomme parlemens, qui connoissent des affaires civiles & criminelles en dernier ressort dans leur jurisdiction. Ces quatre parlemens sont, celui de Stockholm, celui de Jenkoping, celui d’Abo en Finlande, & celui de Wismar, qui a dans son département les états que le roi de Suede possede en Allemagne.

La religion luthérienne regne en Suede. L’Eglise de ce royaume est gouvernée par un archevêque & par dix évêques, qui ne sont embarrassés de l’administration d’aucune affaire particuliere, & qui ne sont jamais appellés au conseil que lorsque les états s’assemblent. Leurs revenus sont forts médiocres. Ils ont sous eux sept ou huit surintendans qui ont tous autorité d’évêques, mais qui n’en ont pas le nom ; & sur chaque dix églises, il y a un prevôt ou diacre de la campagne. Il a quelqu’autorité sur les ecclésiastiques inférieurs qu’on compte par le nombre des églises, qui montent, tout-au-plus, à deux mille, tant dans le duché de Finlande, que dans la Suede. Les chapelains & les curés grossissent le corps des ecclésiastiques de près de quatre mille personnes. Ils sont tous fils de paysans, ou de simples bourgeois, & par conséquent ils se contentent du petit revenu qu’ils tirent de leurs charges. Lorsqu’il meurt un évêque, le clergé de chaque diocèse, propose trois personnes au roi, qui choisit l’une des trois pour remplir la prélature vacante. Tous les chapitres du royaume donnent aussi leurs suffrages pour l’élection d’un archevêque, mais la décision appartient au roi seul, qui de plus, a le patronage de toutes les églises, à la réserve de quelques-unes, dont la noblesse dispose.

On ne connoissoit point en Suede, en Danemarck, & dans le reste du nord, avant la fin du seizieme siecle, aucun de ces titres de comte, de marquis, de baron, si fréquens dans le reste de l’Europe. Ce fut le roi Eric, fils de Gustave Vasa, qui les introduisit dans son royaume, vers l’an 1561 pour se faire des créatures ; mais ce fut une foible ressource, & ce prince laissa au monde un nouvel exemple des malheurs qui peuvent suivre le desir de se rendre despotique.

Le fils du restaurateur de la Suede fut accusé de plusieurs crimes pardevant les états assemblés, & déposé par une sentence unanime, comme Christiern II. l’avoit été en Danemarck ; on le condamna à une prison perpétuelle, & on donna la couronne à son frere Jean III.

Les forces militaires du royaume de Suede consistent sur terre à près de cinquante régimens, qui font 60 mille hommes. Chaque régiment est ordinairement de 1200 hommes, y compris 96 officiers dans chacun ; comme ces régimens sont toujours complets, on peut assembler en tous tems une armée de 20 mille hommes sur les frontieres de Danemarck & de Norwege. Outre les fonds ordinaires, on a affecté à chaque régiment vingt fermes surnuméraires, pour faire subsister les officiers qui ne sont plus en état de servir. On a aussi établi pour les soldats qui sont hors de service par leur âge, ou par leurs blessures, un hôpital général qui jouit d’un bon revenu, indépendamment duquel, chaque officier qui s’avance paie au profit de l’hôpital, une somme d’argent proportionnée au grade qu’il acquiert. Un colonel paie cent écus, & les autres officiers à-proportion. Il y a à Stockholm un grand magasin d’armes toutes prêtes, & un autre au château de Jencoping, situé vers les frontieres de Danemarck.

Les Suédois sont grands, bien faits, d’une constitution vigoureuse, & capables de supporter toutes sortes de fatigues. La nature du climat & la bonne éducation leur procurent ces avantages. Leur génie les portant aux choses sérieuses, les fait réussir dans les études de ce genre. Depuis la réformation, les Lettres ont percé en Suede. Gustave Adolphe les protégea, & la reine Christine imita son exemple. Stockholm est aujourd’hui décorée d’une illustre académie des Siences ; & le premier botaniste de l’europe est un suédois. (Le Chevalier de Jaucourt.)