L’Encyclopédie/1re édition/ESPAGNE

◄  ESPADOT

ESPAGNE, (Géog. hist.) royaume considérable de l’Europe, borné par la mer, le Portugal & les Pyrénées : il a environ 240 lieues de long sur 200 de large. Long. 9. 21. lat. 36. 44.

Je laisse les autres détails aux Géographes, pour retracer ici le tableau qu’un grand peintre a fait des révolutions de ce royaume dans son Histoire du siecle de Louis XIV.

L’Espagne, soûmise tour-à-tour par les Carthaginois, par les Romains, par les Goths, par les Vandales, & par les Arabes qu’on nomme Maures, tomba sous la domination de Ferdinand, qui fut à juste titre surnommé roi d’Espagne, puisqu’il en réunit toutes les parties sous sa domination ; l’Arragon par lui-même, la Castille par Isabelle sa femme, le royaume de Grenade par sa conquête sur les Maures, & le royaume de Navarre par usurpation : il décéda en 1516.

Charles-Quint son successeur forma le projet de la monarchie universelle de notre continent chrétien, & n’abandonna son idée que par l’épuisement de ses forces & sa démission de l’empire en 1556.

Le vaste projet de monarchie universelle, commencé par cet empereur, fut soûtenu par Philippe II. son fils. Ce dernier voulut, du fond de l’escurial, subjuguer la Chrétienté par les négociations & par les armes ; il envahit le Portugal ; il desola la France ; il menaça l’Angleterre : mais plus propre à marchander de loin des esclaves qu’à combattre de près sec ennemis, il ne put ajoûter aucune conquête à la facile invasion du Portugal. Il sacrifia de son aveu quinze cents millions, qui font aujourd’hui plus de trois mille millions de notre monnoie, pour asservir la France & pour regagner les sept Provinces-Unies ; mais ses thrésors n’aboutirent qu’à enrichir les pays qu’il voulut dompter : il mourut en 1598.

Sous Philippe III. la grandeur espagnole ne fut qu’un vaste corps sans substance, qui avoit plus de réputation que de force. Ce Prince, moins guerrier encore & moins sage que Philippe II. eut peu de vertus de roi : il ternit son regne & affoiblit la monarchie par la superstition, ce vice des ames foibles, par les nombreuses colonies qu’il transplanta dans le Nouveau-Monde, & en chassant de ses états près de huit cents mille Maures, tandis qu’il auroit dû au contraire le peupler d’un pareil nombre de sujets : il finit ses jours en 1621.

Philippe IV. héritier de la foiblesse de son pere, perdit le Portugal par sa négligence, le Roussillon par la foiblesse de ses armes, & la Catalogne par l’abus du despotisme : il mourut en 1665.

Enfin l’inquisition, les moines, la fierté oisive des habitans, ont fait passer en d’autres mains les richesses du Nouveau-Monde. Ainsi ce beau royaume, qui imprima jadis tant de terreur à l’Europe, est par gradation tombé dans une décadence dont il aura de la peine à se relever.

Peu puissant au-dehors, pauvre & foible au-dedans, nulle industrie ne seconde encore dans ces climats heureux, les présens de la nature. Les soies de Valence, les belles laines de l’Andalousie & de la Castille, les piastres & les marchandises du Nouveau-Monde, sont moins pour l’Espagne que pour les nations commerçantes ; elles confient leur fortune aux Espagnols, & ne s’en sont jamais repenties : cette fidélité singuliere qu’ils avoient autrefois à garder les dépôts, & dont Justin fait l’éloge, ils l’ont encore aujourd’hui ; mais cette admirable qualité, jointe à leur paresse, forme un mêlange, dont il résulte des effets qui leur sont nuisibles. Les autres peuples font sous leurs yeux le commerce de leur monarchie ; & c’est vaissemblablement un bonheur pour l’Europe que le Mexique, le Pérou, & le Chily, soient possédés par une nation paresseuse.

Ce seroit sans doute un évenement bien singulier, si l’Amérique venoit à secoüer le joug de l’Espagne, & si pour lors un habile vice-roi des Indes, embrassant le parti des Amériquains, les soûtenoit de sa puissance & de son génie. Leurs terres produiroient bien-tôt nos fruits ; & leurs habitans n’ayant plus besoin de nos marchandises, ni de nos denrées, nous tomberions à-peu près dans le même état d’indigence, où nous étions il y a quatre siecles. L’Espagne, je l’avoue, paroît à l’abri de cette révolution, mais l’empire de la fortune est bien étendu ; & la prudence des hommes peut-elle se flater de prévoir & de vaincre tous ses caprices ? Voyez Ecole (philosophie de l’). Article de M. le Chevalier de Jaucourt.