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contracter mariage étoit celle où la femme passoit en la main de son mari ; elle étoit appellée mater familias, parce qu’elle étoit réputée de la famille de son mari, & y tenir la place d’héritier ; au lieu que celle qui étoit mariée autrement, étoit seulement qualifiée de matrone, matrona. On voit par ce qui vient d’être dit, que la puissance maritale ne différoit pas alors de la puissance paternelle.

Mais le dessein de faciliter le mariage, ou plutôt la liberté du divorce, ayant fait peu-à-peu tomber en non-usage les formalités par lesquelles la femme venoit en la main de son mari, la puissance maritale fut grandement diminuée.

Tout ce qui est resté de l’ancien droit, c’est que le mari est le maître de la dot, c’est-à-dire qu’il en a l’administration & qu’il fait les fruits siens ; car du reste il ne peut aliéner ni hypothéquer le fonds dotal, même du consentement de sa femme, si ce n’est dans le ressort du parlement de Paris, suivant l’édit du mois d’Avril 1664, qui permet au mari l’hypotheque & l’aliénation des biens dotaux, quand elle se fait conjointement avec son mari.

La femme est seulement maîtresse en pays de droit écrit de ses paraphernaux.

Les effets ordinaires de la puissance maritale en pays coutumier sont 1° que la femme ne peut passer aucune obligation, ni contrat, sans l’autorité expresse du mari ; elle ne peut même accepter sans lui une donation, quand même elle seroit séparée de biens. 2° Elle ne peut pas ester en jugement sans le consentement de son mari, à moins qu’elle ne soit autorisée ou par justice au refus de son mari, ou qu’elle ne soit séparée de biens, & la séparation exécutée. 3° Le mari est le maître de la communauté, de maniere qu’il peut vendre, aliéner ou hypothéquer tous les meubles & conquêts immeubles sans le consentement de sa femme, pourvu que ce soit au profit de personne capable & sans fraude. Cout. de Paris, art. 223, 224 & 225. Voyez Communauté, Conquêts, Dot, Mari, Femme, Paraphernal, Propres, Remplacer, Velleien. (A)

Puissance papale, (Gouvern. ecclésiast.) l’autorité que l’on voudroit attribuer aux papes, ne paroît pas raisonnable à tout le monde On ne sauroit considérer sans étonnement, que le chef de l’église, qui n’a que les armes spirituelles de la parole de Dieu, & qui ne peut fonder ses droits que sur l’Evangile, où tout prêche l’humilité & la pauvreté, ait pû aspirer à une domination absolue sur tous les rois de la terre : mais il est encore plus étonnant que ce dessein lui ait réussi. Tout le mon de la fait cette observation, mais Bayle l’a démontré contre l’auteur de l’Esprit des cours de l’Europe, qui prétendit, dans le dernier siecle, que la puissance papale n’est pas une chose bien merveilleuse, & que leurs conquêtes, dans certains tems, n’ont pas dû être difficiles. Rapportons ici ces raisons & les réponses de l’auteur du dictionnaire critique. On peut diviser en deux parties les réflexions de l’anonyme qui a mis au jour en 1699 le livre que j’ai cité. Il paroît que, dans la premiere partie, il se contente de railler finement la puissance papale ; mais dans la seconde, il établit sérieusement la facilité de s’aggrandir, qu’il suppose qu’ont eue les pontifes de Rome.

Les ironies ingénieuses de la premiere partie sont telles qu’un docteur ultramontain y pourroit être attrapé, & les employer tout de bon comme des preuves. C’est pourquoi il ne sera pas hors de propos de les discuter. « N’est-il pas dit (c’est l’anonyme qui parle) que tout genouil terrestre fléchira au nom du chef invisible ? Comment le chef visible ne terrassera-t-il pas tous ses ennemis ? Comment n’auroit-il pas confondu tous ceux qui ont osé lui résister ? Le chef visible n’agit que par le pouvoir du

chef invisible : si le maître est toujours victorieux, il faut bien que le vicaire le soit aussi. Ce miracle est un article de foi : c’est trop peu dire, il est le grand mobile de la religion. La religion ne doit pas moins assujettir le corps que l’esprit à son empires personne ne le dispute : elle a droit sur l’homme tout entier : comme les récompenses sont proposées à la substance matérielle, aussi-bien qu’à la spirituelle, l’une & l’autre doivent subir également le joug des lois, & les menaces regardent indifféremment toutes les deux. Ce principe une fois renversé, que deviendroit la sainte inquisition ? Ce divin tribunal n’auroit plus d’autre fondement qu’une cruauté barbare ; & cet arsenal sacré ne renfermeroit pas une arme qui n’eût été forgée au feu de l’enfer. Le pape est donc le maître des corps aussi-bien que des ames ; & comme son autorité sur les consciences n’a point de bornes, son pouvoir sur les corps doit être invincible ; d’ailleurs n’étoit-il pas de la juste économie du salut que la puissance ne fût pas moins étendue que la lumiere ? De quoi serviroit à un chef divinement établi de connoître tout, s’il n’avoit pas le pouvoir de disposer de tout ? Il seroit fort inutile à cet Hercule d’écraser les monstres de l’erreur, s’il n’avoit pas droit de terrasser les monstres de l’impiété : ce droit embrasse les rois & les empereurs, qui, pour commander à des peuples, ne sont pas moins les sujets de l’Église. Les papes ont tenu tête à ces premiers sujets toutes les fois qu’ils se sont révoltés contre cette bonne mere : ils leur ont opposé une puissance infinie ; comment les papes auroient-ils eû le dessous ? Et voilà le véritable dénouement des glorieux & inimaginables succès de la nouvelle monarchie romaine ».

Ce discours étant pris sans ironie, formeroit ce raisonnement sérieux ; que des-là que les évêques de Rome ont été considérés comme les vicaires de Jesus-Christ, dont la puissance sur les corps & sur les ames n’a point de bornes, il a fallu que leur empire se soit établi facilement sur les peuples, & même sur le temporel des souverains. Une distinction suffira pour résoudre cette difficulté. Qu’on avance tant qu’on voudra que Jesus-Christ a établi un vicariat dans son Église, le bon sens, la droite raison ne laisseront pas de nous apprendre qu’il l’a établi, non pas en qualité de souverain maître, & de créateur de toutes choses, mais en qualité de médiateur entre Dieu & les hommes, ou en qualité de fondateur d’une religion qui montre aux hommes la voie du salut, qui promet le paradis aux fideles & qui menace de la colere de Dieu les impénitens. Voilà donc les bornes de la puissance du vicaire que Jesus-Christ auroit établi. Ce vicaire ne pourroit tout-au plus que décider de la doctrine qui sauve ou qui damne. Il faudroit qu’après avoir annoncé les promesses du paradis & les menaces de l’enfer, & après les instructions, les censures, & telles autres voies de persuasion & de direction spirituelle, il laissât à Dieu l’exécution des menaces non-seulement à l’égard des peines à l’autre vie, mais aussi à l’égard des châtimens corporels dans ce monde-ci. Jesus-Christ lui-même n’en usoit pas autrement. Il suivit dans la derniere exactitude le véritable esprit de la religion, qui est d’éclairer & de sanctifier l’ame, & de la conduire au salut par les voies de la persuasion sans empiéter sur la politique, l’autorité de punir corporellement les opiniâtres & les incrédules, dont il trouvoit un nombre infini ; car il n’est pas vrai qu’à cet égard le chef & le maître de l’Église soit toujours victorieux.

Ainsi ceux-mêmes qui ont été le plus fortement persuadés que le pape est le vicaire de Jesus-Christ, ont dû regarder comme un abus du vicariat tout ce qui sentoit la jurisdiction temporelle & l’autorité de