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se rencontrer ; et cependant ne rend-il pas plus splendide que les autres la cène dernière, pour laquelle il semble avoir puisé dans le sanctuaire même du Seigneur, sur lequel il avait l’habitude de reposer. N’est-ce pas lui encore qui nous montre Jésus frappant Pilate de paroles plus profondes ; déclarant que son royaume n’est pas de ce monde, qu’il est né Roi, qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité[1] ; écartant Marie elle-même après la résurrection, et lui adressant ces mots mystérieux et profonds : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père[2] ; » donnant le Saint-Esprit à ses disciples en soufflant sur eux[3], prévenant ainsi l’erreur qui aurait pu faire croire, que le Saint-Esprit, qui est consubstantiel et coéternel à la Trinité, était seulement l’Esprit du Père et non celui du Fils.

20. Enfin après avoir confié la garde de ses brebis à Pierre, à qui il venait de demander une triple protestation d’amour, Jésus dit de saint Jean qu’il veut qu’il demeure ainsi jusqu’à ce qu’il vienne[4]. Je crois voir ici la révélation d’un profond mystère. Ce récit évangélique de saint Jean, lequel jette de si vives lumières sur la nature du Verbe, nous enseigne l’égalité et l’incommutabilité de la Trinité, nous révèle la distance infinie qui existe entre nous et le Verbe fait chair ; je dis que cet évangile de saint Jean, ne pourra être saisi et parfaitement compris que quand le Seigneur apparaîtra parmi nous. Voilà pourquoi il restera tel jusqu’à ce qu’il vienne ; maintenant il restera pour diriger et affermir la foi des croyants ; mais alors nous le contemplerons face à face[5], quand notre vie aura apparu et quand nous aurons apparu avec lui dans la gloire[6]. Si donc traînant encore après lui les chaînes de notre misérable mortalité, un homme se flatte d’écarter toutes les ténèbres qu’engendrent dans son esprit les représentations corporelles et charnelles ; de jouir de l’éclat serein de l’incommuable vérité ; et d’y attacher indissolublement son intelligence, rendue entièrement étrangère aux habitudes et aux nécessités de cette vie : je déclare qu’il ne comprend pas ce qu’il cherche et qu’il ne se connaît pas lui-même. Qu’il croie plutôt, d’après une autorité sublime et infaillible, que tant que nous sommes dans ce corps, nous sommes loin de Dieu, que nous marchons à la lueur de la foi et non à l’éclat éblouissant de la réalité[7]. De cette manière, gardant précieusement dans son âme la foi, l’espérance et la charité, qu’il aspire à la contemplation face à face, appuyé sur le gage de l’Esprit-Saint qu’il a reçu[8], et qui nous enseignera toute vérité, quand Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, vivifiera aussi nos corps mortels par son Esprit qui habite en nous[9]. Mais avant que ce corps, qui est mort par le péché, ne soit vivifié, sachons qu’il est de plus un fardeau bien lourd pour notre âme[10]. Et si quelquefois, aidé par la grâce d’en haut, on perce ce nuage qui couvre toute la terre[11], c’est-à-dire les ténèbres charnelles qui obscurcissent la vie terrestre, n’oublions pas que ce n’est qu’un éclair rapide qui fend la nue, mais que bientôt on retombe dans sa faiblesse, malgré le désir qui porte à s’élever de nouveau dans les hauteurs, et parce qu’on n’est pas pur pour y rester fixé. La grandeur d’un homme dépend de la grandeur de ses efforts pour s’élever ; et sa petitesse est proportionnée à la faiblesse de ses efforts. Si une âme n’a encore éprouvé aucune de ces aspirations, quoique Jésus-Christ habite en elle par la foi : qu’elle s’attache à vaincre et à détruire les passions de ce siècle, et cela par l’action de la vertu morale, qu’elle pratiquera en marchant avec Jésus-Christ, son médiateur, dans la compagnie des trois premiers Évangélistes ; qu’elle conserve fidèlement avec toute la joie d’une vive espérance, la foi en Celui qui est toujours le Fils de Dieu et qui, pour nous, s’est fait fils de l’homme, afin que sa force éternelle et sa divinité préparent à notre faiblesse et à notre mortalité, qu’il a partagées, une voie sûre pour marcher en lui et vers lui. Pour éviter le péché, qu’elle se laisse diriger par Jésus-Christ Roi ; si par malheur elle y tombe, qu’elle cherche l’expiation en ce même Jésus-Christ souverain prêtre. Quand enfin elle aura trouvé un aliment suffisant dans l’action d’une vie pure et sainte, s’élevant sur les deux préceptes de la charité comme sur deux ailes puissantes, au-dessus des choses de la terre, elle pourra se plonger dans la source même de la lumière, Jésus-Christ, le Verbe qui était au commencement, le Verbe qui était en Dieu et qui était Dieu[12]. Elle ne verra sans doute encore que comme dans un miroir et en énigme ; mais beaucoup mieux qu’à l’aide des images corporelles. Si donc les esprits qui en sont capables voient dans

  1. Jn. 18, 36-37
  2. Id. 20, 17
  3. Id. 20, 22
  4. Id. 21, 15,23
  5. 1Co. 13, 12
  6. Col. 3, 4
  7. 2Co. 5, 6-7
  8. Jn. 16, 13
  9. Rom. 8, 10-11
  10. Sag. 9, 15
  11. Sir. 24, 6
  12. Jn. 1, 1