Novum Organum (trad. Lasalle)/Livre II/Partie II/Section II/Chap II

Novum Organum
Livre II - Partie II - Section II - Chapitre II
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres6 (p. 232_Ch02-295_com_ch2).

CHAPITRE II.
Prérogatives des exemples économiques ou simplicatifs.


XLIX.

Nous mettrons au vingt-troisième rang, parmi les prérogatives des faits, les exemples indicatifs, c’est-à-dire, ceux qui indiquent et montrent, pour ainsi dire, du doigt, tout ce qui peut être utile aux hommes. Car la puissance et la science mêmes, lorsqu’elles sont seules, peuvent bien agrandir la nature humaine, mais sans pouvoir rendre l’homme plus heureux. C’est pourquoi il faut aller, pour ainsi dire, cueillant, dans le champ immense de la nature, tout ce qui s’applique le mieux aux usages de la vie humaine. Mais le vrai moment de parler de ces applications, sera celui où nous traiterons des déductions à la pratique (des conséquences pratiques). De plus, dans le temps même où nous serons proprement occupés de l’interprétation de la nature, en traitant chaque sujet particulier, nous réserverons toujours une feuille pour l’humanité ; sorte de feuille optative (la feuille des souhaits). Car il est un art de chercher, de souhaiter même, qui fait partie de la science.

L.

Mettons au vingt-quatrième rang les exemples polychrestes ; ce sont ceux qui, par leurs relations multipliées, ont une infinité d’applications, et qui se présentent le plus souvent. Aussi épargnent-ils beaucoup de travail et d’essais. Or, quant aux instrumens, machines et autres inventions de ce genre, il sera temps d’en parler, lorsque nous traiterons de l’application de la théorie à la pratique, et des méthodes expérimentales. Nous ferons plus alors : dans les histoires particulières des différens arts, nous donnerons des descriptions détaillées de tous les instrumens et autres moyens déjà connus et adoptés dans la pratique. Mais nous nous bornerons, pour le moment, à donner les indications les plus générales en ce genre, et seulement à titre d’exemples polychrestes.

Nous disons donc qu’outre ce moyen général et simple qui consiste à approcher les uns des autres les corps divers, on peut agir sur les corps naturels par sept principales espèces de moyens ; savoir les suivantes :

1°. En écartant les difficultés, et levant les obstacles.

2°. Par voie de compression, d’extension, d’agitation et autres semblables.

3°. Par le moyen du chaud et du froid,

4°. En les tenant dans un lieu convenable durant un certain temps.

5°. En réprimant et réglant le mouvement.

6°. Par les affinités ou corrélations spéciales.

7°. À l’aide d’une alternation convenable et employée à propos.

Ou enfin par l’ordre et la suite qu’on met dans l’emploi de ces sept méthodes, ou du moins de quelques-unes.

Quant à ce qui regarde le premier genre de moyens, l’air commun qui est toujours là, et qui se glisse par-tout, ainsi que les émanations des corps célestes, troublent fort la plupart des opérations. Ainsi, tous les moyens qui peuvent aider à s’en débarrasser, peuvent être réputés de vrais polychrestes. À cet objet se rapportent la matière et l’épaisseur des vaisseaux où l’on met les corps préparés pour quelque opération. Il en est de même de tous les expédiens imaginés pour boucher exactement ces vaisseaux ; soit qu’on les rende solides dans toutes leurs parties, ou qu’on emploie, pour boucher les ouvertures, ce que les chymistes appellent le lut de sagesse. Boucher ces vaisseaux à l’aide de certaines liqueurs qui occupent tout l’espace de leurs orifices, est encore une pratique fort utile. C’est dans cette vue qu’on verse un peu d’huile sur le vin ou sur les autres liqueurs extraites des végétaux. Cette huile se répand sur la surface de la liqueur, lui tient lieu de couvercle, et la garantit parfaitement du contact nuisible de l’air[1]. Il n’est pas jusqu’aux poudres de différentes substances, qui ne remplissent assez bien le même objet ; car, quoiqu’elles contiennent toujours un peu d’air disséminé entre leurs parties, elles ne laissent pas de garantir les corps de l’action violente de l’air extérieur et réuni en masse. C’est ainsi que l’on conserve des raisins ou d’antres fruits, en les mettant dans du sable ou de la farine[2]. La cire même, le miel, la poix où autres substances visqueuses et tenaces, fournissent un bon enduit pour boucher très exactement les vaisseaux, en fermant le passage soit à l’air, soit à tout ce qui peut venir de la région céleste. Nous avons fait nous-mêmes quelques expériences dans cette vue, et tenant un vaisseau et quelques autres corps dans le mercure, celle de toutes les substances susceptibles de se répandre autour d’un corps, et de l’envelopper exactement, qu’on doit certainement regarder comme la plus dense. Les cavernes et en général les souterreins sont aussi d’un grand usage pour empêcher l’insolation, et pour garantir les corps de la rapacité de l’air extérieur et libre ; souterreins qui servent de greniers dans les parties septentrionales de l’Allemagne[3]. Un autre moyen tendant au même but, c’est de tenir les corps au fond de l’eau. J’ai ouï parler de certaines bouteilles remplies de vin, qu’on avoit descendues au fond d’un puits, dans la seule vue de rafraîchir cette liqueur. Mais, soit oubli ou négligence, ces bouteilles étant restées là durant plusieurs années, et en ayant été tirées à la fin, non-seulement le vin n’étoit pas éventé et affoibli, mais il étoit devenu plus fin et plus généreux ; ce qui venoit sans doute d'une combinaison plus parfaite de ses principes. Si le but qu'on se propose exigeoit que les corps fussent tenus au fond de l'eau, par exemple, au fond d’une rivière ou de la mer, sans cependant être en contact avec ce liquide, ni être renfermés dans des vaisseaux exactement bouchés, mais seulement environnés d'air, il faudroit alors avoir recours à cette sorte de vaisseau qu’on a quelquefois employé pour travailler sur des bâtimens submergés[4] ; vaisseaux tellement construits, que le plongeur, en y venant respirer de temps en temps, pouvoit rester fort long-temps sous l’eau. Voici quelle étoit la construction de cette machine, et la manière d'en faire usage. C'étoit une sorte de tonneau de métal, qu'on faisoit descendre bien perpendiculairement jusqu’à la surface de l’eau, c'est-à-dire, de manière que son orifice (placé en bas) fût toujours parallèle à cette surface ; et en le plongeant dans cette situation, on entraînoit jusqu’au fond de la mer tout l’air qu’il contenait. Là, il étoit porté sur trois pieds, à peu près comme ce qu’on appelle un trépied. La longueur de ces pieds était de quelque peu moindre que la hauteur d’un homme. À la faveur de cet appareil, le plongeur, dès que la respiration venoit à lui manquer, pouvoit introduire sa tête dans la cavité du tonneau, y respirer pendant quelque temps, puis retourner à son ouvrage. Nous avons ouï dire aussi qu’on avoit inventé une autre machine, en forme de petit navire ou de bateau, à l’aide de laquelle des hommes pouvoient parcourir sous l’eau un assez grand espace[5]. Mais dans un vaisseau tel que celui dont nous parlions plus haut, l’on pourroit suspendre tel corps qu’on voudroit ; ce qui est dans cette expérience notre principal objet.

Tous ces moyens imaginés pour tenir les corps exactement renfermés, ont une autre utilité ; ils ne servent pas seulement à fermer tout accès à l’air extérieur, comme nous le disions, mais de plus à empêcher l’évaporation de l’esprit du corps sur l’intérieur duquel on veut opérer. Car il faut que tout homme qui travaille sur les corps naturels, soit assuré de ses quantités totales, et bien certain qu’elles n’ont souffert aucun déchet ; que rien n’a transpiré au dehors, ne s’est exhalé. Alors, comme la nature même s’oppose à tout anéantissement, pour peu que l’art parvienne à empêcher la déperdition ou l’évaporation de la moindre partie, il en résultera dans les corps des altérations intimes et profondes. Et il est à ce sujet une opinion très fausse qui s’est accréditée ; opinion qui, pour peu qu’elle fût vraie, détruiroit tonte espérance relativement à la conservation de la quantité totale sans déchet ; on s’imagine que les esprits des corps, et l’air, atténués par une forte chaleur, ne peuvent être renfermés, retenus dans aucun vaisseau clos ; qu’ils s’ouvrent toujours quelques passages par les pores les plus subtils de ces corps, et s’échappent par ces issues[6]. La véritable source de ce préjugé n’est autre que l’expérience triviale d’un pot renversé sur l’eau d’une cuvette, et où l’on a mis une chandelle ou un papier allumé ; car, à l’aide de cette disposition, l’eau est attirée dans le pot, et s’y élève jusqu’à une certaine hauteur : à quoi il faut joindre celle des ventouses, qui, ayant été mises sur la flamme pendant quelque temps, et échauffées par ce moyen, attirent ensuite les chairs. Car on s’imagine que, dans ces deux expériences, l’air étant dilaté et chassé au dehors par la chaleur, sa quantité est diminuée d’autant ; et que ce vuide qu’il laisse en s’échappant, est ensuite rempli par l’eau ou les chairs qui viennent occuper sa place, en vertu du mouvement de liaison (ou horreur du vuide), ce qui est absolument faux. Et il ne faut pas croire qu’ici ce soit la quantité d’air qui est diminuée ; ce qui l’est réellement, c’est seulement son volume ; il se contracte, et voilà tout. Ce mouvement, par lequel l’eau le remplace, n’a lieu, ne commence jamais avant que la flamme soit éteinte et l’air refroidi. Aussi les médecins, pour que les ventouses attirent avec plus de force, ont-ils soin de mettre dessus des éponges imbibées d’eau froide. Ainsi on ne doit point du tout craindre que l’air ni les esprits s’échappent si aisément. Il n’est pas douteux que tous les corps, même les plus solides et les plus compacts, n’aient leurs pores ; mais l’air ni les esprits ne se laissent pas si aisément réduire à ce degré extrême de subtilité qui seroit nécessaire pour qu’ils y trouvassent un passage, et l’eau elle-même ne s’écoule point par une fente fort étroite.

Quant au second des deux genres de moyens dénombrés la principale observation à faire sur ce sujet, c’est que les compressions et autres moyens violens de cette nature sont certainement les plus efficaces pour opérer un mouvement local et autres semblables : ce dont on voit assez d’exemples dans les machines, les armes de trait, les corps lancés, etc. Ce sont aussi les plus puissans pour détruire un corps organique et toutes ces vertus qui ne sont, à proprement parler, que des modes ou des effets du mouvement ; par exemple, les compressions détruisent toute espèce de vie, et même de flamme ou d’ignition. Ce genre d’action dérange, ruine tout méchanisme ; elle détruit même toutes ces vertus qui dépendent d’un certain arrangement de parties et de différences un peu grossières dans les parties intégrantes d’un composé ; par exemple, les couleurs. En effet, la couleur n’est pas la même dans une fleur entière, et dans la même fleur écrasée ; ni la même dans le succin entier et dans le succin pulvérisé.

Il en faut dire autant des saveurs : autre est la saveur d’une poire qui n’est pas mûre ; autre, celle de la même poire, comprimée et foulée : dans ce dernier cas, la saveur de ce fruit devient sensiblement plus douce. Mais s’agit-il d’opérer dans des corps similaires des altérations et des transformations plus profondes et plus intimes, alors ces moyens violens ne peuvent presque rien, attendu que les corps n’acquièrent pas, par les moyens de cette nature, un degré de densité qui soit susceptible de quelque durée, mais tout an plus une densité passagère, forcée ; et de telle manière qu’ensuite ils font de continuels efforts pour se tirer de cet état violent, et revenir à leur premier état. Cependant il ne seroit pas inutile de faire à ce sujet quelques observations on expériences plus précises, afin de savoir si la condensation ou la raréfaction d’un corps vraiment similaire, tel que l’eau, l’air, l’huile, ou autre substances semblables, ainsi opérée par des moyens violens, ne pourroit pas devenir fixe et constante, au point que ces corps changeassent, pour ainsi dire, de nature. Et c’est ce dont il faudroit s’assurer d’abord par le simple mouvement ; puis par des moyens auxiliaires, et à l’aide d’affinités ou d’autres corrélations. Or, c’est un point que nous aurions pu décider nous-mêmes, si de telles idées se fussent présentées à notre esprit, lorsque nous condensâmes l’eau à coups de marteau, on à l’aide d’une presse, expérience dont nous avons parlé ailleurs ; et si nous eussions pensé à examiner l’état de ce liquide, en deçà du degré de condensation où il commençoit à s’échapper par les pores du métal. Cette sphère que nous avions ainsi aplanie, nous aurions dû la laisser dans cet état pendant quelques jours, et alors seulenent en tirer l’eau, afin de voir si elle recouvreroit aussi-tôt le volume qu’elle avoit avant sa condensation. Si elle ne l’eût pas recouvré sur-le-champ, ou du moins peu de temps après, il semble qu’on auroit pu en inférer que cette condensation étoit devenue constante. Mais si le résultat eût été tout opposé, il eût été clair qu’elle s’étoit rétablie en recouvrant son premier volume, et que la condensation n’avoit été que passagère. C’est ce qu’il auroit fallu faire aussi par rapport à l’extension de l’air dans les œufs de verre. Nous aurions dû, après une forte succion, boucher les œufs sur-le-champ et solidement ; puis les laisser en cet état pendant quelques jours ; et alors enfin l’on auroit vu si, après qu’on les auroit eu débouchés, l’air eût été attiré avec un sifflement ; ou si, après qu’on auroit eu plongé ces œufs dans l’eau, ce liquide eût été attiré en aussi grande quantité qu’il l’eût été dans le cas où l’on n’auroit pas attendu si long-temps. Car il est probable que cet effet auroit eu lieu ; ou c’est du moins une chose dont il est bon de s’assurer, vu que, dans les corps un peu dissimilaires, la seule durée produit de tels effets. Par exemple, si, après avoir courbé avec effort un bâton, on le laisse quelque temps dans cette situation, il ne se redresse plus. Et qu’on n’aille pas attribuer cet effet à la diminution de la quantité de matière du bois, occasionnée par le laps de temps ; car, en attendant encore plus long-temps, le même effet a lieu dans une lame de fer, quoiqu’elle ne soit pas perspirable et ne souffre aucune évaporation. Que si la seule durée ne suffit pas pour faire réussir l’expérience, il ne faut pas pour cela se rebuter, mais recourir à d’autres moyens ; car ce ne seroit pas peu gagner, que de pouvoir, par ces moyens violens, introduire dans les corps des natures (qualités) fixes et constantes. Par cette voie, l’on pourroit peut-être, à force de condenser l’air, le convertir en eau, et opérer une infinité de semblables transformations ; l’homme étant beaucoup plus maître des moyens violens, que de tous les autres.

Le troisième des sept genres de moyens dénombrés se rapporte au grand et double instrument, tant de l’art que de la nature ; je veux dire au chaud et au froid. Mais la puissance humaine semble être, à cet égard, tout-à-fait boiteuse, et avoir un pied beaucoup plus foible que l’autre. Car nous avons bien sous notre main la chaleur du feu artificiel, qui a infiniment plus de force et d’intensité que celle du soleil (considérée du moins dans l’état où elle nous parvient), et que celle des animaux. Mais nous n’avons d’autre froid que celui qui nous vient naturellement durant l’hiver, ou celui que nous trouvons dans les cavernes et autres souterreins ; ou, enfin, celui que nous nous procurons en entourant de neige et de glace les corps que nous voulons refroidir ; degrés de froid comparables tout au plus à cette chaleur qui règne en plein midi dans une contrée située sous la zone torride ; en supposant même qu’elle soit augmentée par la réverbération des murs et des montagnes. Ces degrés de chaleur et de froid sont tels, que les animaux peuvent les endurer pendant un certain temps. Mais ils ne sont rien en comparaison de la chaleur d’une fournaise ardente, ou d’un froid répondant à un tel degré de chaleur, Aussi, dans cette région où vit l’homme, tout tend à la raréfaction, à la dessiccation et à la consomption, presque rien à la condensation et à l’amollissement, sinon par des voies et des méthodes, en quelque manière, bâtardes. Ainsi, il ne faut épargner aucun soin pour rassembler des faits relatifs au froid, et il nous paroît qu’on en trouvera de tels :

En exposant les corps sur des tours élevées, durant les gelées âpres ;

En les plaçant dans des caves et autres souterreins ;

En les entourant de neige et de glace ;

En les descendant au fond des excavations très profondes et faites dans cette vue[7] ;

En les tenant au fond des puits ;

En les tenant plongés dans le mercure ou dans d’autres métaux (liquéfiés) ;

En les plongeant dans les eaux qui ont la propriété de pétrifier le bois[8] ;

En les enfouissant dans la terre, à l’exemple des Chinois, qui, À ce qu’on rapporte, emploient ce moyen pour la fabrique de la porcelaine : on dit que les matières qu’ils destinent à cela, demeurent dans la terre pendant quarante ou cinquante ans, et qu’ils les lèguent à leurs héritiers comme des espèces de mines artificielles[9] ;

Ou, enfin, en employant d’autres moyens semblables.

De plus, il faut observer avec soin les condensations que la nature opère à l’aide du froid, afin de tirer, de la connoissance de leurs causes bien vérifiées, des moyens tendant au même but, et qu’on puisse transporter dans les arts. De ce genre est cette humidité qu’on trouve sur le marbre et sur les pierres qui suent. Telle est encore cette espèce de rosée qu’on trouve le matin sur les vitres, quand il a gelé durant la nuit précédente. On en trouve encore des exemples dans la formation de ces vapeurs qui, en se réunissant dans le sein de la terre, s’y convertissent en eau, et y forment des espèces de réservoirs d’où naissent une infinité de sources ; et dans beaucoup d’autres faits de ce genre.

Outre ces corps dont le froid est sensible au tact, il en est d’autres qui sont doués d’une sorte de froid potentiel (dispositif), et qui ont aussi la propriété de condenser. Mais il paroît qu’ils n’agissent que sur les corps animés, et rarement sur d’autres. De ce nombre sont plusieurs espèces de médicamens et de topiques. Les uns, tels que les astringens et les incrassans, condensent les chairs et les parties tangibles ; d’autres condensent les esprits mêmes ; et tel est sur-tout l’effet des narcotiques (ou soporifiques). Car les médicamens soporifiques (je veux dire, ceux qui provoquent le sommeil), peuvent condenser les esprits de deux manières : l’une, en calmant les mouvemens violens et irréguliers ; l’autre, en repoussant et mettant, pour ainsi dire, en fuite les esprits. Par exemple, la violette, la rose sèche, la laitue et autres substances de cette espèce, qui doivent leurs qualités bénignes à certaines vapeurs amies du corps, et modérément rafraîchissantes, invitent les esprits à se rapprocher, à se réunir, diminuent leur force pénétrante, et calment leurs mouvemens inquiets. L’eau de rose aussi mise sous les narines, dans les syncopes, fait que les esprits, d’abord trop dilatés et relâchés, se resserrentet prennent plus de corps ; elle semble les nourrir. Mais les opiates et les autres substances analogues repoussent les esprits par leurs qualités malignes et ennemies. Aussi, dès qu’on les applique à une partie, les esprits s’en échappent aussi-tôt et n’y coulent plus aisément. Lorsqu’on prend ces substances intérieurement, leurs vapeurs montent à la tête, chassent, selon toutes les directions, les esprits contenus dans les ventricules du cerveau ; et comme ces esprits, ainsi resserrés, ne trouvent plus d’issues pour s’échapper, ils sont en conséquence forcés de se réunir et de se condenser ; effet qui va quelquefois jusqu’à les éteindre et les suffoquer. Ces mêmes opiates, pris à dose médiocre, ont un effet contraire[10]. Par leur action médiate et secondaire (je veux dire, par cette condensation qui résulte de la réunion des esprits), ils les fortifient, leur donnent plus de consistance, répriment leurs mouvemens vagues et incendiaires. C’est par ce même effet qu’ils sont d’une grande utilité pour la cure des maladies et pour la prolongation de la vie.

Les préparations qui rendent les corps plus aisés à refroidir, ne sont pas non plus à négliger. Par exemple, l’on s’est assuré, par l’expérience, que l’eau un peu tiède se glace plus aisément que l’eau tout-à-fait froide[11], et ainsi des autres préparations.

De plus, comme la nature ne dispense le froid qu’avec épargne, pour y suppléer, il faut imiter les pharmaciens qui, au défaut du remède positif et spécifique qu’on leur demande, y substituent ce qui en approche le plus, et font ce qu’on appelle un quidproquo[12] ; substituant, par exemple, au beaume, le bois d’aloës, et la casse au cinnamome. Il faut donc, à l’aide d’observations multipliées et variées, voir s’il n’y auroit pas quelque chose qui pût remplacer le froid, je veux dire, voir si l’on ne pourroit pas opérer, par exemple, dans les corps, des condensations, par tout autre moyen que le froid, dont elles sont, pour ainsi dire, l’œuvre (l’effet) propre et spécial. Les différentes espèces de condensations (autant du moins qu’on a pu s’en assurer jusqu’ici), se réduisent à quatre. La première paroît s’opérer par voie de simple impulsion des parties les unes vers les autres (par leur rapprochement purement méchanique) ; ce qui ne peut guère produire une densité constante (car les corps ainsi comprimés se rétablissent ensuite) ; mais peut du moins tenir lieu d’un moyen auxiliaire. La seconde s’opère par la contraction des parties grossières après l’émission ou la sortie des parties les plus ténues ; effet qu’on observe dans les corps durcis par le feu ; dans la trempe réitérée des métaux, et autres semblables exemples. La troisième a pour cause la réunion des parties homogènes et les plus solides d’un corps, lesquelles auparavant étoient séparées les unes des autres, et mêlées avec des parties moins solides : cet effet a lieu lorsqu’on ramène le mercure sublimé à l’état de mercure coulant ; métal qui, sous la forme de poudre, a beaucoup plus de volume que sous cette dernière forme. Il en faut dire autant de toutes les opérations par lesquelles on purifie les métaux en les débarrassant de leurs scories. La quatrième espèce de condensation s’opère par le moyen des affinités et autres secrètes corrélations, c’est-à-dire, en approchant des corps qu’on veut condenser, des substances qui condensent en vertu d’une certaine force occulte[13] ; corrélations qui jusqu’ici n’ont été que très rarement observées ; ce qui n’est rien moins qu’étonnant : car, jusqu’à ce qu’on soit parvenu à la découverte des formes, on ne doit pas se flatter de parvenir à la découverte de ces corrélations. Quant aux corps animés, il n’est pas douteux qu’il n’y ait bien des médicamens qui, pris, soit intérieurement, soit extérieurement, condensent en vertu de ces affinités dont nous venons de parler. Mais ces effets sont fort rares dans les corps inanimés. Il est vrai qu’on parle beaucoup, soit dans les conversations, soit dans les livres, d’un arbre qui se trouve dans une des Açores ou des Canaries, (car je ne me rappelle pas bien où), et duquel distille continuellement une quantité d’eau suffisante pour fournir aux besoins des habitans (a). Si nous en croyons Paracelse, l’herbe appelée rosée du soleil, se couvre de rosée vers le midi et dans le temps de la plus grande chaleur du jour, tandis que toutes les autres herbes sont dans un état de dessèchements mais, pour nous, nous regardons ces deux relations comme fabuleuses. Quoi qu’il en soit, si les faits de cette espèce étoient vrais, ils seroient très précieux et mériteroient bien d’être observés de près. De plus, nous ne pensons point que ces rosées mielleuses et semblables à de la manne, que l’on trouve au mois de mai sur la feuille du chêne, soient produites et ainsi condensées par une certaine affinité, ou par quelque propriété particulière aux feuilles de cette espèce d’arbres, Mais, comme elles tombent également sur les feuilles des autres arbres, elles s’arrêtent et se fixent sur les feuilles du chêne seulement, parce que ces dernières sont plus compactes et non spongieuses, comme la plupart de celles des autres espèces.

Quant à ce qui regarde la chaleur, ce qui manque aux hommes, à cet égard, ce ne sont pas les moyens et les facultés, mais seulement l’attention nécessaire pour observer exactement et bien connoître tels de ses effets, sur-tout les plus nécessaires de tous, quelles que soient, à ce sujet, les vanteries des spagyristes[14]. En effet, l’on observe et l’on voit assez les effets produits par les chaleurs qui ont beaucoup d’intensité. Quant aux chaleurs plus douces dont l’action est plus dans les voies de la nature, on ne fait pas même de tentatives en ce genre, et par conséquent leur pouvoir demeure toujours inconnu. Aussi voyons-nous, grâces aux travaux de ces vulcains si vantés, les esprits des corps être exaltés au plus haut degré, comme dans les eaux fortes et autres huiles chymiques[15], les parties tangibles se durcir après l’émission des principes volatils, et se fixer quelquefois ; les parties homogènes se séparer, et même les substances hétérogènes se mêler et s’incorporer grossièrement, Mais nous voyons sur-tout la structure des corps composés, et leurs textures les plus délicates détruites et tout-à-fait confondues. Il auroit pourtant été nécessaire d’observer et d’éprouver aussi l’action et les effets d’une chaleur plus douce, afin d’opérer des combinaisons plus parfaites, et de composer des textures plus régulières, en imitant à cet égard les opérations de la nature et l’action du soleil ; comme nous l’avons déjà insinué dans l’aphorisme qui a pour objet les exemples d’alliance. Car les œuvres de la nature s’exécutent par des molécules beaucoup plus petites, des mouvemens plus déliés, des combinaisons plus exactes, des dispositions de parties plus régulières et plus variées, que toutes celles qui peuvent être le produit du feu, employé comme on l’a fait jusqu’ici. Mais si, par le moyen des chaleurs et des puissances artificielles, on pouvoit imiter la nature au point de produire des espèces semblables aux siennes, de perfectionner les espèces déjà existantes, et de multiplier leurs variétés, ce seroit alors véritablement qu’on reculeroit les limites de l’empire de l’homme ; à quoi il faudroit tâcher de joindre une plus prompte exécution. La rouille du fer, par exemple, ne se forme qu’à force de temps ; au lieu que la conversion de ce métal en safran de Mars est l’affaire d’un instant ; il en est de même du verd de gris et de la céruse. Le crystal est le produit de plusieurs siècles ; et le verre, celui de quelques heures. De la lente concrétion de certains sucs, se forment les pierres ; et il faut bien peu de temps pour cuire la brique. Quoi qu’il en soit, il ne faut épargner ni soins ni industrie pour rassembler des observations et des expériences sur les effets respectifs de toutes les différences dont la chaleur est susceptible, soit quant à l’espèce, soit quant au degré. Par exemple, les effets de la chaleur des corps célestes et produite par leurs rayons directs, réfléchis, réfractés, resserrés et réunis à l’aide des miroirs brûlans[16] ;

Ceux de la foudre, de la flamme, du feu de charbon ;

Ceux du feu fait avec des matières de différente espèce ;

Ceux du feu libre, renfermé, resserré, débordant comme un torrent ; enfin, modifié par les différentes formes et structures des fourneaux ;

Ceux du feu, suit excité par le souffle, ou tranquille et non excité ;

Ceux du feu placé à des distances plus ou moins grandes des corps sur lesquels il agit ;

Ceux du feu transmis par différentes espèces de milieux ;

Ceux des chaleurs humides, comme celle du bain-marie, du fumier ou des animaux, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, ou enfin du foin entassé ;

Ceux des chaleurs sèches, de la cendre, de la chaux, du sable mis au feu ;

En un mot, les chaleurs de toute espèce, et de leurs différens degrés.

Mais le sujet vers lequel nous devons principalement diriger nos observations et nos expériences, ce sont les effets et les produits de la chaleur qui s’approche et s’éloigne par degrés, avec un certain ordre, périodiquement, à des intervalles de temps convenables, où avec une extrême lenteur, Car cette régulière inégalité est vraiment fille du ciel et mère de toute génération[17]. Quant à une chaleur violente, soudaine et comme par sauts, n’en attendez rien de grand[18]. C’est ce dont on voit une preuve sensible dans les végétaux, ainsi que dans les matrices des animaux, où la chaleur est sujette à de grandes inégalités, produites par différentes causes, telles que les exercices, le sommeil, l’alimentation, les passions des femelles, durant la gestation, etc. Enfin, dans les matrices mêmes de la terre, où se forment les métaux et les fossiles[19], cette inégalité a lieu et y a ses effets : raison de plus pour relever le défaut de jugement de certains alchymistes ; de ceux, dis-je, qui se donnent pour réformés, et qui se flattent d’opérer des merveilles, à l’aide de la chaleur uniforme de leurs lampes, entretenue pendant un temps infini, précisément au même degré. Nous terminerons ici ce que nous avions à dire sur les effets et les produits de la chaleur. Il n’est pas encore temps de traiter à fond ce sujet, et avant qu’on n’ait mieux approfondi et considéré de plus près l’intime constitution et la texture cachée des différentes espèces de corps. Quand le modèle qu’on vent imiter est bien connu, c’est alors seulement qu’il est temps de chercher des instrumens, de les ajuster et de les mettre en œuvre.

Le quatrième moyen d’opérer, c’est le temps, qui est, en quelque manière, le factotum de la nature ; c’est-à-dire, tout à la fois son receveur et son dépensier. Quand nous disons le temps, nous parlons des expériences où un corps est abandonné à lui-même durant un temps notable, et, dans l’intervalle, garanti de l’action de toute force extérieure. Car, lorsque tous les mouvemens étrangers et accidentels cessent, les mouvemens intérieurs s’exécutent complètement, et se manifestent. Or, les opérations du temps sont beaucoup plus subtiles et plus délicates que celles du feu[20]. Par exemple, on ne parviendroit jamais, par le moyen du feu, à clarifier aussi parfaitement le vin, qu’à l’aide du temps seul : les parties des substances pulvérisées par le feu, ne sont jamais aussi fines et aussi déliées que celles des substances qui se sont résoutes et consumées à force de siècles. Et même ces combinaisons ou incorporations, qui sont l’effet soudain et précipité du feu, sont beaucoup moins parfaites que celles qui sont le produit du temps seul. Mais toutes ces textures diverses, toutes ces différentes constitutions que tâchent de prendre les corps long-temps abandonnés à eux-mêmes, et dont ils font, pour ainsi dire, successivement l’essai, telles que peuvent être les différentes espèces de putréfaction, sont détruites par le feu et par les chaleurs fortes. Une autre observation, qui n’est point du tout étrangère à notre sujet, c’est que les mouvemens des corps exactement clos ont quelque chose d’un peu violent ; car cette clôture si exacte empêche ou gêne les mouvemens spontanés d’un corps. Telle est la raison pourquoi les effets de la seule durée, dans un vaisseau tout-à-fait ouvert, contribuent spécialement aux séparations ; dans un vaisseau tout-à-fait clos, aux mixtions exactes, aux parfaites combinaisons ; enfin, dans un vaisseau, en partie clos, et où l’air entre quelque peu, aux putréfactions. Quoi qu’il en soit, il faut rassembler de tous côtés des exemples relatifs aux produits et aux effets de la seule durée.

Mais le régime du mouvement[21], qui est le cinquième genre de moyens, n’est pas le moins puissant. Lorsqu’un corps, qui n’a pas d’action par lui-même, se trouvant à la rencontre d’un autre corps, empêche, repousse, circonscrit, favorise ou dirige son mouvement, c’est-là ce que nous appelons le régime du mouvement, lequel dépend le plus souvent de la forme et de la structure des vaisseaux. Par exemple, un vaisseau de figure conique, et placé dans une situation droite, favorise la condensation des vapeurs, comme on le voit par l’effet de celle des alambics. Mais, lorsque le sommet du cône est en bas, il favorise les défécations ; par exemple, celle du sucre, dont les formes[22] ont cette figure et cette situation. Quelquefois il est besoin que les vaisseaux aient des sinuosités, et que leur figure aille en s’élargissant et se rétrécissant alternativement, ou aient d’autres figures semblables. Toutes les différentes espèces de filtrations se rapportent aussi à cette classe ; et dans cette opération, le corps qui se trouve à la rencontre de l’autre, livre passage à certaines parties de ce dernier corps, et le ferme aux autres. Or, la filtration ne s’opère pas toujours extérieurement ; quelquefois aussi un corps se filtre dans l’intérieur d’un autre corps, et c’est ce qui arrive lorsqu’on met de petites pierres dans l’eau pour y ramasser le limon, ou lorsqu’on clarifie des sirops à l’aide du blanc d’œuf ; substance visqueuse à la quelle s’attachent les parties grossières, qui deviennent ainsi plus faciles à séparer des autres, et à enlever. C’est encore à ce régime de mouvement que Télèse, qui avoit bien peu approfondi ce sujet, a attribué les figures des animaux, frappé apparemment de ces sinus, de ces espèces de poches qu’on trouve dans la matrice, Mais il aurait dû aussi nous montrer une semblable conformation dans les coques d’œuf, lesquelles pourtant n’ont ni rides ni inégalités. On peut regarder aussi comme un vrai régime de mouvement, toute opération qui consiste à modeler les corps et à les jeter en moule, pour leur donner telle figure déterminée.

Quant aux effets opérés par les affinités où les oppositions[23], ils sont ensevelis dans une profonde obscurité ; car ces propriétés occultes et spécifiques, ces sympathies et ces antipathies dont on parle tant, ne sont, en grande partie, que des productions d’une philosophie dépravée : et l’on ne doit point se flatter de pouvoir découvrir toutes ces secrètes corrélations, avant la découverte des formes et des textures simples ; une affinité n’étant autre chose que l’analogie réciproque et la convenance des formes et des textures.

Or, les plus grandes et les plus universelles de ces corrélations ne sont pas entièrement inconnues ; ainsi, c’est par celles-là que nous devons commencer. La première et la principale de ces différences consiste en ce que certains corps qui ont beaucoup de rapport entr’eux par leur texture, diffèrent prodigieusement par leur quantité de matière ; tandis que d’autres, au contraire, très analogues par leur quantité de matière, diffèrent beaucoup par leur texture. Et les chymistes ont observé avec raison, que, dans ce ternaire[24] de principes qu’ils supposent, le mercure et le soufre, qui en font partie, pénètrent dans toutes les régions de ce vaste univers, et sont répandus par-tout (car leur théorie sur le sel est tout-à-fait inepte, et ils ne l’ont imaginée qu’afin de pouvoir classer sous ce nom toutes les substances terreuses[25], fixes et sèches). Mais, dans les deux autres, se manifeste sensiblement une des affinités ou corrélations les plus universelles de la nature. Car il y a beaucoup d’affinité entre le soufre, l’huile, la vapeur grasse, et peut-être la substance, le corps même d’une étoile. D’un autre côté, le mercure, l’eau et les vapeurs aqueuses, l’air, peut-être encore l’éther pur[26] et répandu entre les étoiles, ont aussi entr’eux beaucoup d’affinité. Cependant, ces deux guaternaires, on ces deux grandes familles de corps (en les considérant chacune dans leurs classes et leurs limites respectives) diffèrent prodigieusement par la densité ou quantité de matière[27] ; mais, quant à leur texture, ils ont beaucoup d’analogie et d’affinité, comme on en voit la preuve dans un grand nombre de sujets. Au contraire, les divers métaux ont beaucoup de rapport entr’eux par la quantité de matière, sur-tout en comparaison des végétaux ; mais ils diffèrent, à une infinité d’égards, quant à leurs textures : il en faut dire autant des différentes espèces d’animaux et de végétaux, dont les textures sont prodigieusement diversifiées. Mais si on les envisage par rapport à leurs densités ou quantités de matière, toutes leurs différences, à cet égard, se trouvent renfermées dans les limites d’un petit nombre de degrés.

Vient ensuite la plus universelle de toutes Les corrélations, après celle dont nous venons de parler, je veux dire celle qui se trouve entre les corps principaux (les substances composantes ou les élémens des composés, leurs principes), et les substances qui les fomentent ou les nourrissent ; en un mot, entre les menstrues et leurs alimens[28]. Ainsi il faut chercher sous quel climat, dans quelle espèce de sol, et à quelle profondeur s’engendrent les différentes espèces de métaux. Il faut faire les mêmes recherches par rapport aux pierres précieuses, soit qu’on les tire des rochers, ou qu’on les trouve dans des mines ; chercher aussi dans quelle espèce de sol, chaque espèce d’arbre, d’arbrisseau ou de plante herbacée, vient le mieux et semble se plaire le plus ; comme aussi quelles sortes d’engrais, soit fumiers de toute espèce, soit craie, soit sable marin, cendres, etc. ils préfèrent, et lesquels de ces engrais conviennent le mieux à chaque espèce de sol. Il en faut dire autant de la greffe des arbres et des plantes, ainsi que des règles à suivre pour qu’elle réussisse ; c’est-à-dire, de celles qui montrent sur quelles espèces de plantes telles autres espèces se greffent avec le plus de succès : toutes choses qui dépendent aussi des affinités et des convenances réciproques. Il est, en ce genre, une expérience dont le résultat n’est pas sans agrément, et qu’on a, dit-on, tentée dans ces derniers temps. Je veux parler de la greffe de sauvageon sur sauvageon[29], (car jusques-là on n’avoit pratiqué la greffe que sur les arbres de jardin) ; et à l’aide de laquelle on obtient de plus grandes feuilles et de plus gros glands. Ainsi, l’on se procure, par ce moyen, des arbres qui donnent plus d’ombre. De même il faut déterminer comparativement les alimens qui conviennent aux différentes espèces d’animaux ; et aux préceptes positifs, en ce genre, joindre les négatifs. Par exemple, les animaux carnivores ne vivent pas volontiers de plantes herbacées[30]. Aussi, quoique l’homme ait, par sa seule volonté, beaucoup plus de pouvoir et d’empire sur son corps que tous les autres animaux ; néanmoins l’ordre des feuillans[31], dit-on, a été bientôt réduit à rien, la nature humaine étant incapable de soutenir long-temps un régime tel que celui qu’ils avoient choisi. Par la même raison, il faut observer avec soin les matières diverses des putréfactions d’où s’en- gendrent certains animaux.

Disons donc que les analogies ou affinités des corps élémentaires avec ceux qui leur sont subordonnés (car on peut regarder comme tels ceux que nous avons spécifiés) ; que ces corrélations, dis-je, sont assez sensibles ; et qu’il en est de même de celles des sens avec leurs objets respectifs ; genre de corrélations faciles à apercevoir, qui, étant observées avec soin et bien analysées, peuvent répandre un grand jour sur celles qui demeurent plus cachées.

Mais les affinités et les oppositions intimes, ou, si l’on veut, les amitiés et les inimitiés secrètes (car nous sommes las de ces mots de sympathie et d’antipathie, à cause des idées superstitieuses et puériles qu’on y a attachées), sont ou mal appliquées, ou entre-mêlées de fables, ou en fort petit nombre, pour avoir été trop peu observées. Par exemple, si quelqu’un, ayant observé que la vigne et le chou, plantés l’un prés de l’autre, ne viennent pas bien, supposoit, pour expliquer cette apparente opposition, une certaine antipathie entre ces deux espèces de végétaux, il feroit une supposition fort inutile, puisqu’il suffit, pour rendre raison de ce phénomène, de dire que ces deux plantes ayant beaucoup de suc, et en étant fort avides, elles se dérobent l’une à l’autre les sucs de la terre, et s’affament réciproquement ; de même en observant que les bluets et les coquelicots se multiplient dans presque tous les champs à bled, et rarement ailleurs, an lieu de dire qu’il y a une certaine affinité ou analogie entre le bled et ces deux autres plantes, il faudroit dire au contraire qu’il y a entr’elles une sorte d’opposition, le bluet et le coquelicot ne se formant et ne se nourrissant que de cette partie des sucs de la terre que le bled rejette et abandonne ; en sorte que toute la préparation nécessaire pour rendre une terre propre pour produire ces deux espèces de plantes, c’est d’y semer du bled. Il est un grand nombre de fausses applications de cette espèce qui ont besoin d’être ainsi rectifiées. Quant aux sympathies fabuleuses, notre sentiment est qu’il faut les rejeter tout-à-fait. Reste donc ce petit nombre d’affinités dont la réalité est prouvée par des faits bien constatés ; telles que celles de l’aimant et du fer, de l’or et du mercure, et autres semblables. Parmi ce grand nombre d’observations et d’expériences que les chymistes ont faites sur les métaux, on trouve aussi quelques autres corrélations qui méritent de fixer l’attention. Mais où l’on trouve le plus grand nombre de ces affinités ou corrélations, c’est dans certains remèdes qui, en vertu de ce qu’on appelle leurs qualités occultes ou leurs propriétés spécifiques, sont comme affectés à tels membres ou organes, à telle espèce d’humeurs, à tel genre de maladie ; quelquefois même à telle constitution individuelle. Il ne faut pas non plus négliger les corrélations existantes entre les mouvemens ou les affections de la lune[32], et les affections (ou modes passifs) des corps inférieurs ; ces corrélations, dis-je, telles que peuvent les indiquer les expériences et les observations tirées de l’agriculture, de la navigation, de la médecine, ou autres semblables, en ne les adoptant qu’après un sévère examen, et en mettant dans ce choix autant de sincérité que de jugement  (b). Mais cette rareté des faits relatifs aux secrètes corrélations, n’est qu’une raison de plus pour les recueillir avec soin, d’après des traditions et des relations dignes de foi, pourvu qu’on le fasse en se dépouillant de toute facilité et de toute crédulité ; en un mot, qu’on n’adopte de tels faits qu’avec la plus grande circonspection, et avec une sorte de foi chancelante. Reste un genre de corrélations, qui, considérées par rapport à la manière dont on place les corps pour les faire agir les uns sur les autres, semble tout-à-fait destitué d’art et de méthode ; mais qui, envisagées par rapport à l’utilité, est un vrai polychreste ; je veux dire, la combinaison et l’union, facile ou difficile, des corps, par voie de simple apposition, où juxta-position. Car il est des corps qui se mêlent et s’incorporent aisément ensemble, et d’autres qui ne se combinent qu’avec peine. Par exemple, les terres pulvérisées s’incorporent préférablement avec l’eau ; les chaux et les cendres, avec l’huiles et ainsi des autres. Il faut rassembler des exemples de la disposition et de l’éloignement des corps, non-seulement pour la combinaison et l’incorporation, mais de plus pour telle distribution, tel arrangement de parties, après qu’ils ont été mêlés ensemble ; enfin, des exemples des prédominances qui ont lieu dans les composés, lorsque la mixtion des substances composantes s’est opérée complètement.

Reste enfin le septième et dernier genre de moyens ; savoir : la méthode, qui consiste à employer successivement et alternativement les moyens des six premières classes ; genre de méthode dont, avant d’avoir approfondi chacun des six autres, il ne seroit pas encore temps d’offrir des exemples. Or, la suite et l’enchaînement d’une alternation de ce genre, ainsi que la manière de l’approprier aux différeus effets qu’on a en vue, est ce qu’il y a de plus difficile à déterminer. Mais cette méthode, une fois bien saisie, est d’un continuel usage dans la pratique. Le plus grand obstacle en ceci c’est l’impatience même des hommes, et le peu de goût qu’ils ont ordinairement pour toute spéculation ou exécution de ce genre. C’est néanmoins comme le fil du labyrinthe ; c’est le seul qui puisse nous bien guider et nous mettre en état d’exécuter de grandes choses. Mais en voilà assez pour de simples exemples polychrestes.

LI.

Nous mettrons au vingt-septième rang, parmi les prérogatives des faits, les exemples magiques. Nous désignons, sous ce nom, tous ceux où, soit la matière, soit la cause efficiente, est en très petite quantité, eu égard à la grandeur des produits ou des effets qui s’ensuivent ; proportion telle, que ces effets, quoiqu’assez communs, semblent quelquefois tenir du miracle ; les uns, à la première vue, d’autres même après l’examen le plus attentif. Les exemples de cette espèce sont assez rares, et la nature par elle-même ne les dispense qu’avec épargne. Mais nous ignorons ce qu’en ce genre elle pourroit faire, si elle étoit mieux approfondie, si l’on découvroit les formes essentielles, les gradations cachées, et les textures secrètes des différens corps ; et c’est une connoissance réservée aux siècles suivans. Or, ces effets magiques, autant du moins que nos connoissances actuelles nous permettent de le conjecturer, s’opèrent de trois manières : ou par la faculté qu’a telle ou telle substance de se multiplier elle-même, comme on en voit des exemples dans l’action du feu, dans celle des poisons réputés spécifiques, ainsi que dans les mouvemens communiqués et renforcés par des roues (c) : ou par la propriété qu’ont d’autres substances d’exciter, d’inviter, pour ainsi dire, un corps au mouvement. Tel est l’aimant, qui excite ainsi une infinité d’aiguilles, sans rien perdre de sa vertu, ni souffrir le moindre déchet à cet égard. Tel est aussi le levain ; et il en faut dire autant de toutes les substances de ce genre : ou, enfin, par l’antéversion (la précession) du mouvement, comme nous l’avons supposé pour expliquer les effets de la poudre à canon, de l’artillerie et des mines[33] ; trois espèces de moyens dont les deux premières exigent la recherche des affinités et autres corrélations ; et la troisième, la mesure des mouvemens. Mais est-il, en effet, quelque moyen de transformer les corps, en opérant sur leurs plus petites parties, et de changer les textures les plus déliées de la matière ; genre d’opération qui pourroit conduire à toutes les espèces de transformations possibles, et qui auroit de si puissans effets, que l’art pourroit exécuter en un moment ce que la nature ne fait que par de longs détours et à force de temps ? c’est sur quoi jusqu’ici nous n’avons aucun indice (d). Or, ce même amour de la vérité, qui, dans les choses réelles et solides, fait que nous allons toujours jusqu’au bout, et aspirons à ce qu’il y a de plus élevé, fait aussi qu’ayant une perpétuelle aversion pour tout ce qui respire la présomption et la vanité, nous l’attaquons toujours avec toutes nos forces réunies, et tâchons de le ruiner à jamais.




Commentaire du second chapitre.

(a) ON parle beaucoup, soit dans les conversations, soit dans des livres, d’un certain arbre qui se trouve dans une des îles Tercères, etc. Je lisois, il y a quelque temps, la relation d’un navigateur anglois (Robert Lade), qui fit de vains efforts pour voir de près cet arbre merveilleux. Il se trouva sur le lieu des gardes fort repoussans qui l’empêchèrent toujours d’approcher, et qui paroissoient postés là, moins pour empêcher de dérober l’eau, que pour cacher la source d’où on la tiroit. Cependant il convient qu’il vit au-dessus de l’arbre en question le petit nuage dont il avoit entendu parler, et qui, disoit-on, fournissoit l’eau qu’on tiroit de cet arbre. D’après cette relation, le fait semble un peu moins douteux : mais voici uns observation que j’ai faite moi-même. Au commencement d’avril 1793 ; en faisant route un matin, à quelques lieues d’Aix en Provence, je fus tout-à-coup enveloppé d’un brouillard si épais, que je n’aurois pu distinguer un homme à vingt pas ; une demi-heure après, ce brouillard se leva. Sur ma gauche étoit un ravin très profond, au-delà du quel étoit un bois assez grand. J’observai que le brouillard, qui se dissipoit par-tout ailleurs, s’attachoit à certains arbres et y restoit fixé pendant quelques minutes ; à peu près comme j’ai vu les nuages s’attacher au sommet, ou plutôt à certaines parties de plusieurs montagnes très élevées (comme celles de l’île de Terre-Neuve, du royaume de Grenade en Espagne, du cap de Bonne-Espérance, de l’île de Java, des Alpes septentrionales et méridionales ; enfin, sur ce morne au pied duquel est située la ville du Cap-Francais à St. Domingue). Malheureusement le ravin ne me permit pas d’approcher assez de ces arbres, pour pouvoir en distinguer l’espèce ; mais ils me parurent plus élevés que ceux auxquels le brouillard ne s’attachoit point ; en sorte qu’il reste à savoir si la véritable cause de ce phénomène est la nature particulière de ces arbres, ou simplement leur élévation. On pourroit croire que ces nuages, après s’être abattus presque jusqu’à terre, venant à rencontrer des touffes d’arbres fort élevés, leur mouvement, qui est alors fort ralenti, paroît de loin tout-à-fait arrêté. Mais, comme je les ai vu s’attacher de même à certaines parties de plusieurs montagnes, ou totalement dépouillées de végétaux, ou couvertes de végétaux fort bas, il semble qu’il y ait ici un peu d’attraction dépendante de la nature du sol, plutôt que de celle des végétaux ou de leur élévation,

(b) Il ne faut pas non plus négliger ces corrélations qui existent entre les mouvemens ou affections de la lune, et celles des corps inférieurs *. Cette influence de la lune sur l’état de l’atmosphère, sur les animaux et sur les végétaux, est fort exagérée par ceux qui sont le plus à portée de l’observer, tels que les marins et les cultivateurs ; mais fort contestée par quelques savans médecins, qui se contentent de raisonner sur ce sujet, ou qui prennent leurs tranchantes négations pour des raisonnemens, quoique cette influence ait été reconnue par Hippocrate, Galien, Mead, Hoffmann, et quelques autres dont un seul vaut cent de ces négatifs. Il n’est au fond qu’un seul moyen pour bien décider cette question ; ce sont des observations directes, multipliées ; variées, suivies et comparées. Cependant, comme il faut, pour tourner les yeux de ce côté-là, avoir une raison suffisante, c’est-à-dire, une forte probabilité de ne pas perdre le fruit de son travail, peut-être la trouvera-t-on dans le raisonnement suivant que nous n’avons fait qu’ébaucher dans une note de l’ouvrage précédent.

L’action de la lune sur les eaux de l’océan est désormais assez bien prouvée, sur-tout pour ceux qui, comme nous, ont été à portée d’observer par eux-mêmes la correspondance perpétuelle et assez exacte du cours de cet astre avec les marées. Actuellement, je demande s’il est probable qu’une planète si voisine de la nôtre, et qui agit d’une manière si marquée sur un fluide au moins huit cents fois plus dense et plus pesant que l’air, n’ait aucune action sur ce dernier fluide, que sa légèreté et sa mobilité semblent devoir rendre, sinon à un plus haut degré, du moins plus promptement *2 susceptible de telles impressions ? non sans doute. Toaldo, le père Cotte et quelques autres météorologistes ont prouvé, par des observations directes et assez multipliées, la réalité de cette action. Cela posé, on n’exigera pas que nous prouvions qu’une cause capable de modifier un fluide qui nous enveloppe ; qui nous pénètre, que nous aspirons sans cesse, non-seulement par la poitrine, mais probablement aussi par tous les pores, ou du moins par certains pores (appelés inhalans) ; que cette cause, dis-je, doit avoir une action très sensible sur nos corps et sur une infinité d’autres, par la même raison.

Résumons, La lune agit sur l’océan, à plus forte raison sur l’atmosphère qui agit sur le corps huamuin. Donc la lune agit aussi sur le corps humain. Or, ce que nous disons des hommes, il faut le dire aussi des autres animaux et des végétaux, toujours pur la même raison, parce que tout cela vit d’air en partie *3. Non-seulement cette influence de la lune sur les planètes et les animaux n’a rien en soi de merveilleux ; mais il est honteux d’en être étonné, lorsque la probabilité de cette action n’est que la conséquence immédiate d’un raisonnement si simple. Reste donc à la mieux prouver par observation directe. Il faudroit, en observant, durant plusieurs années, les variations du baromètre, comparer ses hauteurs aux différentes époques du cours de la lune ; c’est-à-dire, voir si les plus grandes ou les moindres hauteurs répondent à la nouvelle ou à la pleine lune, à son premier ou dernier quartier, à son périgée où à son apogée, à l’un ou à l’autre de ses nœuds, à sa plus grande ou à sa moindre élévation sur l’horizon etc. ou enfin à des points intermédiaires et situés entre ces extrêmes ; mais sur-tout s’assurer si ces maximum ou minimum de hauteur du baromètre répondent aux combinaisons de deux, de trois ou d’un plus grand nombre de ces points lunaires, ou situations de la lune. Or, ce travail si important, Toaldo, météorologiste de Padoue, l’a commencé ; reste donc à le continuer, au lieu de disputer.

(c) Ainsi que dans les mouvemens communiqués et renforcés par des roues. Il n’est pas vrai que le mouvement se fortifie ou se renforce en passant d’une roue à une autre roue. Car cette expression, mouvement fort, ou ce mot force, comprend deux idées ; savoir : celle de la quantité de l’effet, et celle du temps employé à le produire ; puisque cet effet, demeurant le même, une puissance est jugée d’autant plus grande, que le temps pendant lequel elle le produit est plus court. Or, si, à l’aide d’une seule roue, ou d’une combinaison de plusieurs roues, grandes ou petites, vous pouvez élever un poids cent fois plus grand que vous ne le pourriez faire à l’aide de vos seules mains, ce ne sera qu’à condition que vous y emploierez cent fois plus de temps : c’est un principe qu’il ne faut jamais oublier ; il est l’âme de toute la méchanique. Nous pouvons dire plus : cette force, qui, selon notre auteur, est augmentée, se trouve réellement diminuée par deux espèces de résistances ; savoir : celle qui naît du frottement des parties de la machine les unes contre les autres, ou contre les corps qui la supportent, et celle que leur oppose le fluide où elles se meuvent. Nulle machine n’augmente la force qu’on y applique ; elle ne peut qu’aider à l’appliquer plus commodément, ou à y appliquer une plus grande force. Cette observation s’applique peut-être aussi aux effets de la poudre à canon, du feu en général, des poisons, des fermentations, etc. Il se peut que cette petite quantité d’action par laquelle le mouvement commence, et que nous regardons comme la cause efficiente de ce mouvement toujours croissant, n’en soit point une, mais seulement une cause occasionnelle qui débande un ressort, lequel faisant aussi l’office de cause occasionnelle, en débande un plus fort qui, jouant le même rôle que les deux premiers, en débande aussi un plus fort que lui, et ainsi de suite à l’infini ; ce qui n’exigeroit, pour commencer le mouvement, qu’une force beaucoup moindre que celle du plus foible de ces ressorts. L’homme, avec ses forces propres, ne peut presque rien ; mais en appliquant à propos les puissances mêmes de la nature, il peut presque tout.

(d) Et qui auroit de si grands effets, qu’on pourroit exécuter en un moment ce que la nature ne fait que par de longs détours et à force de temps. S’il est vrai que la texture actuelle, ou, pour parler plus généralement, l’état actuel de tous les corps spécifiques que nous connoissons, dépende, en grande partie, comme l’a pensé M. de Buffon, de l’état de fusion où cette planète a été durant plusieurs milliers de siècles dans le soleil, et plusieurs milliers d’années hors de cet astre, comme nous n’avons point d’agent comparable à celui-là, soit pour la force, soit pour la durée, il sembleroit, au premier coup-d’œil, qu’on devroit désespérer d’être jamais en état d’opérer quelque vrais transformation, Mais il se pourroit que cette grande chaleur à laquelle ces corps ont été exposés, et que ce temps si long où ils sont demeurés en fusion, ne leur eussent pas été nécessaires pour acquérir la texture, les qualités, et, pour tout dire en un seul mot, la constitution qu’ils ont aujourd’hui et que, l’ayant acquise après quelques jours, ou même après quelques heures, ils l’eussent conservée durant tout le reste de ce temps-là. Dès-lors, il resteroit quelque espérance à l’égard de ln possibilité des transmutations. Et d’ailleurs ne vois-je pas tous les jours, Le pain, la viande, l’eau, le vin, etc, dont je me nourris, se transformer en quelques heures et se convertir en ma propre substance, devenir chair, os, nerfs, membranes, cartilage, etc. sang, bile ; etc. Et quelle plus grande métamorphose que celle-là ? nouvelle raison pour espérer. Je sais qu’en ce genre je suis profondément ignorant ; mais je sais aussi que les matériaux et les instrumens de la science sont autour de moi, tout près de moi, en moi, moi-même ; et voilà pourquoi je ne désespère pas d’apprendre quelque chose.

  1. Ce moyen est fort pratiqué en Italie, sur-tout en Toscane. Les bouteilles dont on y fait usage, sont ordinairement fort grandes, ayant un cou très long et très étroit. On verse dans ce gouleau un peu d’huile qui se répand sur la surface du vin et qui sert de bouchon. Veut-on boire le vin, on donne à la bouteille une petite secousse qui en fait sortir toute l’huile et toute la partie supérieure du vin avec lequel elle peut se trouver mêlée.
  2. Et même dans du son. Dans mon voyage à Saint-Domingue, j’ai conservé des pommes assez long-temps par ce dernier moyen, et sans autre précaution que de mettre dans une barrique un lit de son, et un lit de pommes alternativement ; mais de manière qu’entre deux lits de pommes, il y eût toujours assez de son pour empêcher qu’elles ne se touchassent et ne se foulassent réciproquement. Il s’en conserva au moins un tiers jusqu’à Saint-Domingue, quoique nous eussions passé près d’un mois à Cadix, et que la traversée d’Espagne en Amérique eût duré cinquante jours.
  3. Et dans une partie de l’Alsace, où l’on emploie aussi ce moyen pour conserver les légumes.
  4. La cloche du plongeur.
  5. L’essai a été fait près de Bordeaux et a réussi. Nous n’avons point vu cette machine ; mais, pour en avoir quelque idée, tâchons de l’inventer. Soit un bateau couvert d’une espèce de toit arrondi, de manière que le tout forme une cavité assez grande et exactement fermée ; à la réserve de deux ouvertures, l’une en avant, l’autre en arrière, auxquelles soient ajustés deux tuyaux de cuir, tenus ouverts à l’aide d’anneaux placés de distance en distance ; pour résister à la pression latérale de l’eau ; que ces tuyaux s’élèvent de deux ou trois pieds au-dessus de la surface de l’eau, après avoir traversé deux bouées (corps volumineux et flottans), l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Cela posé, les orifices des deux tuyaux étant suffisamment élevés, l’eau n’y entrera pas ; l’air atmosphérique entrant par l’un des tuyaux, se répandra dans la cavité du bateau ; il en chassera, par l’autre tuyau, l’air vicié par la respiration, et les navigateurs auront continuellement de l’air nouveau.
  6. Les vaisseaux les plus épais, les plus compacts et les mieux clos, sont des espèces de cribles dont le feu agrandit les trous.
  7. Bacon ignoroit un fait dont on s’est assuré depuis ; savoir : que, jusqu’à une certaine profondeur, par exemple, jusqu’à quatorze toises au-dessous du rez-de-chaussée (ce qui est à peu près le profondeur des caves de l’observatoire de Paris), et à quelques toises plus bas, le thermomètre se tient constamment au dixième degré (échelle de Réaumur) ; mais qu’au-dessous, la chaleur va toujours en augmentant à mesure qu’on descend, ce qu’on regarde avec raison comme une preuve de l’existence du feu central ; conclusion d’autant mieux fondée, que ces différences sont à peu près les mêmes dans toutes les contrées et sous tous les climats. (Voyez les notes de M. de Buffon, à le suite des époques de la nature.)
  8. Les relations qui parlent de ces eaux pétrifiantes, ne disent point qu’elles soient plus froides que d’autres ; il paroît qu’elles sont seulement chargées de particules pierreuses et fort atténuées, qui, en se déposant une à une et fort lentement dans les pores du bois, y forment une sorte d’incrustation.
  9. Sur la fin de 1774, et au commencement de 1775, j’étois à Canton en Chine, où je me liai avec plusieurs missionnaires ex-jésuites, entr’autres avec le père Lefebvre, qui étoit là depuis 1735, qui y avoit vu l’amiral Anson, et qui revint avec nous en Europe. J’ai su d’eux, et sur-tout du dernier, que le fait dont parle ici Bacon est fort exagéré. Et d’ailleurs, sans cette précaution d’enfouir, pendant un si grand nombre d’années, la terre qui doit servir de base à la porcelaine, on en fait de très belle à Sèvres près Paris, en Saxe et à Venise, où, moyennant une pièce d’argent, je me fis livrer par un ouvrier un morceau assez gros de cette terre, qui me parut n’être qu’une espèce d’argile assez commune, et qu’à mon retour je donnai à un fabricant de porcelaine, homme fort intelligent, qui en porta le même jugement. Il paroit que la qualité de la porcelaine dépend encore plus de la manipulation, que du choix de la matière.
  10. En médecine, ainsi qu’en morale et en politique, la dose fait presque tout. Il n’est point d’aliment salutaire qui, pris en grande quantité, ne devienne un poison ; et il n’est presque point de poison qui, appliqué à propos, soit extérieurement, soit intérieurement, et à dose infiniment petite, ne puisse faire quelque bien, soit comme stimulant, soit comme calmant. C’est ainsi que le sublimé corrosif, qui est un poison très actif, étant suffisamment délayé et gradué avec intelligence, extirpe les maladies vénériennes et beaucoup d’autres.
  11. Ainsi, pour hâter la congélation de l’eau, il faudroit la mettre d’abord sur le feu ; ce fait manque de vraisemblance, Car cette eau, d’abord tiède, ne peut se glacer ensuite que lorsqu’elle est au degré marqué zéro (échelle de Réaumur), et il faut un certain temps pour qu’elle se refroidisse au degré de l’eau d’abord froide à laquelle on la compare. Voici ce qu’il veut dire : de deux eaux qui sont au même degré, mais dont l’une avait été chauffée auparavant, et l’autre non, la première se glace plus vite que la dernière, ce qu’on peut expliquer ainsi : la première est, pour ainsi dire, en train de se refroidir ; ses molécules sont déjà en mouvement pour se rapprocher les unes des autres : au lieu que celles de l’autre sont tout-à-fait ou presque en repos ; et il faut que la cause du refroidissement surmonte d’abord leur force d’inertie à quoi l’on peut ajouter que l’action étant toutes choses égales, proportionnelle à la réaction la cause contractive et refroidissante agit avec plus de force sur des molécules qui lui résistent d’abord par leur force expansive, que sur celles qui ne lui opposent point une telle résistance ; et le mouvement initial étant plus grand dans les molécules de l’eau qui a été chauffée d’abord, tous les mouvemens ultérieurs doivent s’en ressentir.
  12. Dans la langue la plus commune, comme nous l’avons dit ailleurs, un quiproquo d’apothicaire n’est pas la substitution d’un équivalent, mais une méprise grossière d’où résulte quelquefois la mort, la ruine ou la diffamation du patient ; car on emploie aussi cette expression dans le sens figuré.
  13. Quand on est réduit à certaines conjectures sur certaines corrélations existantes entre certains corps, on demeure fort incertain ; et ce mot certain ainsi placé, c’est précisément lorsqu’on a le moins de certitude, qu’on l’emploie le plus souvent. Il attache tant de significations différentes à ce mot consensus, que je traduis par celui de corrélation, et dont il fait si souvent usage, qu’il est impossible d’en fixer l’acception. C’est tantôt l’état de deux corps qui agissent réciproquement l’un sur l’autre, tantôt celui de deux corps affectés par une cause commune, quelquefois celui de deux corps qui ont de l’analogie ou de l’affinité l’un avec l’autre. Le plus souvent, c’est une relation peu connue entre deux corps qui ne le sont pas mieux. Autant vaudroit substituer à cette dénomination si vague qu’il emploie, cette autre expression, je ne sais quelles relations. Car alors, à la vérité, on n’en sauroit pas mieux quelles sont ces relations ; mais du moins on sauroit que l’auteur ne le sait pas non plus ; et au lieu de le chercher dans ses livres, où l’on ne trouve sur ce sujet que des mots, on le chercheroit dans celui de la nature.
  14. Classe de charlatans, chymistes où médecins, qui se vantoient de pouvoir dégager le pur d’avec l’impur.
  15. Il donne ce nom d’huiles chymiques aux acides vitriolique, nitreux, marin, sulphureux, acéteux, etc.
  16. Des miroirs concaves et des verres lenticulaires.
  17. Ce désordre régulier. Quand nous publiâmes sous ce titre certain badinage philosophique qui fut assez bien accueilli, ce fut une pensée à peu près semblable qui nous y détermina. Au premier coup d’œil jeté sur l’inépuisable variété de la nature, il semble qu’elle marche au hazard, et que sa seule règle soit de n’en point avoir ; mais, en l’observant de plus près, on voit aisément qu’en variant à l’infini les parties qu’elle joue, elle ne change pas pour cela les règles du jeu, ni même la durée de ces parties. Mouvement diurne et annuel, soit du globe terrestre, soit des autres planètes, mouvement du soleil même, fonctions vitales dans l’homme et dans tous les animaux ; enfin phénomènes de la végétation, tout est périodique. Soit, nous dira-t-on : les grands mouvemens de la nature sont périodiques, quant à leur totalité ; mais, dans les limites de ces périodes, elle se donne carrière, et il semble qu’elle ne se gêne pas. Cette dernière supposition, répondrons-nous, seroit une manifeste absurdité. Si les parties d’un mouvement, d’une opération, n’étaient pas périodiques, le tout ne pourroit l’être. Par exemple, si, dans deux années consécutives, les jours n’étoient pas respectivement égaux, ou, ce qui revient au même, ne se compensoient point, ces deux années ne seroient point égales. De mème, si cette multitude de petites opérations partielles, dont l’ensemble compose une digestion complète, n’étoient pas périodiques, le tout ne le serait pas non plus. Or, les digestions d’un homme sain sont périodiques, donc toutes les parties de cette opération le sont aussi. Il en faut dire autant de toutes les autres. Ainsi, rien de plus philosophique que le précepte qui a donné lieu à cette note : le vrai moyen de rivaliser avec la nature est d’imiter ses variations périodiques ; et il paroit que la vraie méthode pour exécuter promptement ce qu’elle fait lentement, est de multiplier les périodes, en les rendant plus courtes. Par exemple, il est probable que si, par des moyens faciles à imaginer, on rendoit plus rapide pour les plantes la succession alternative de la chaleur et de la fraîcheur, de la lumière et des ténèbres, de la sécheresse et de l’humidité, de l’air tranquille et de l’air agité, on accéléreroit la végétation. Car cette alternation étant un des grands moyens que la nature emploie pour faire germer, croître et vivre les animaux et les végétaux, il est probable qu’en augmentant la cause, on augmenteroit et accéléreroit l’effet.
  18. Ceci ne contredit point ce que nous avons avancé dans la note précédente ; car les accroissemens et décroissemens pourraient être graduels, quoique les périodes fussent plus courtes.
  19. Cette assertion est démentie par l’expérience : dans l’intérieur de la terre, le degré de Chaleur, quoique différent en différentes contrées et à différentes profondeurs, est toujours à peu près le mème dans les mêmes contrées et aux mêmes profondeurs.
  20. Le temps, comme nous l’avons dit ailleurs, n’est point une cause proprement dite, mais une simple circonstance ; et les effets qu’il lui attribue sont produits par un grand nombre de petites causes, dont la multitude, le concours et l’action continue, compensent la foiblesse.
  21. La manière de le réprimer, de le diriger et de le régler.
  22. Forme est le nom du vaisseau dont il parle.
  23. Les chymistes des derniers temps désignoient par le mot d’affinité, la disposition de certaines substances (telles que l’or et le mercure, acide nitreux et le fer, etc.) à s’unir et à se combiner ; mais ils n’avoient point de terme propre pour désigner la disposition contraire, nous y suppléons par ce mot d’opposition. Quant à la nouvelle nomenclature, nous ne devons d’adopter qu’après l’avoir bien examinée et en avoir senti la nécessité, sachant trop combien certains esprits ont de disposition à s’unir avec de nouveaux termes, et à les prendre pour des inventions.
  24. Le ternaire, le quaternaire, etc. c’est-à-dire, la combinaison de trois, de quatre, etc. Ne pouvant employer Le mot trinité, qui a un sens mystique, ni le mot trio, qui est bas et burlesque, je ferai usage de celui de ternaire, à l’imitation de certains philosophes qui l’emploient ainsi.
  25. Nous disons terreuses et non terrestres, pour éviter une équivoque ; en physique, la justesse et la clarté sont préférables à l’élégance.
  26. Mais qu’est-ce que l’éther ? est-ce une substance particulière, ou n’est-ce que la lumière lancée par les soleils, dans toutes les directions possibles, et remplissant tout l’espace qu’ils laissent entr’eux ? Les philosophes ont inventé ce mot, pour remplir ce vuide dont ils ne savaient que faire ; mais on voit que, pour boucher ce grand trou, ils n’avoient pas besoin de cette cheville, et qu’ils avoient de la matière de reste.
  27. Les quatre classes dans lesquelles se subdivise chacune de ces deux familles, ont beaucoup d’analogie par la texture, mais différent beaucoup les unes des autres par leur densité ; par exemple, il y a une certaine analogie ou affinité de texture entre le mercure et l’eau ; mais la densité du mercure est beaucoup plus grande que celle de l’eau, la première étant à la dernière à peu près comme quatorze à un.
  28. Ce n’est qu’une conséquence du principe qui est la base de notre règle universelle ; voici ce principe :

    Ce qui produit on commence une chose (substance ou mode), est analogue à ce qui la conserve ou la continue, à ce qui l’augmente, et à ce qui détruit ou diminue sa contraire ; et contraire à ce qui produit, conserve ou augmente cette contraire, et à ce qui la diminue ou la détruit elle-même : d’où il suit que, si l’on connoît une seule de ces dix choses, on connoît, par cela seul, les neuf autres ; et que, pour connoître les causes productrices, conservatrices, augmentatrices, destructrices ou diminutrices de chaque chose, on a dix prises pour une, Ce principe est si fécond, qu’il nous a donné en peu d’années plus de trente volumes, dont l’expérience nous démontre de jour en jour la solidité, à mesure que nous vieillissons ; et il compose à lui seul toute la logique métaphysique, avec laquelle il faut combiner la logique pittoresque, dont nous parlerons bientôt. Car, en parlant à la raison, il ne faut pas oublier entièrement l’imagination ; faculté qui à aussi besoin d’être exercée.

  29. Ce n’est pas précisément de sauvageon sur sauvageon ; mais d’arbre stérile sur arbre stérile ; en qualifiant de stériles les arbres dont les fruits ou les graines ne peuvent servir aujourd’hui pour la nourriture de l’homme.
  30. Un des miracles de notre révolution, est d’avoir rendu assez aisément frugivores, bien des animaux carnivores, tels que les chats et les chiens, qui firent avec nous le carême civique, et n’en furent pas plus libres ; ces animaux pensant, comme ceux d’entre nous qui ont les inclinations assez serviles et assez basses pour voir les choses préciément telles qu’elles sont, qu’être libre, c’est se croire tel ; c’est-à-dire, se croire en état de satisfaire aisément ses besoins et ses goûts naturels, quelle que soit d’ailleurs la nomenclature et la couleur du poil de La bête ainsi affranchie. Quoiqu’il en soit, cette différence de nourriture pourroit peut-être à la longue changer le naturel de ces animaux. Car c’est parce qu’ils ont telle constitution physique, qu’ils sont carnivores, et c’est aussi parce qu’ils sont carnivores qu’ils ont cette constitution ; l’influence de la constitution et de la nourriture étant réciproque. Ce que nous appelons le naturel, n’est qu’une certaine habitude, ou dans l’individu même dont il s’agit, ou dans les deux qui l’ont engendré ; ou dans ceux dont ils sont issus eux-mêmes, ou enfin dans la matière dont les uns et les autres sont composés. Je soupçonne que si l’on nourrissoit uniquement de végétaux, dix ou douze générations de chats ; vingt même ou trente si l’on veut, ceux de la dernière ne prendroient plus de souris, et n’auroient pas même de griffes ; c’est une expérience à tenter ; par la même raison des chevaux nourris de chair seroient plus vigoureux et plus féroces. Ceux d’entre nos lecteurs qui auroient su observer en eux-mêmes la différence prodigieuse que mettent dans le caractère, et le tour d’esprit, dans toute la constitution, soit physique, soit morale, le régime végétal et le régime carnassier, seront peu étonnés de ce double paradoxe.
  31. Il paroît que les premiers feuillans avoient eu le projet de vivre de feuilles proprement dites ; mais leurs successeurs, personnages graves et judicieux, ont pensé, avec quelque raison, qu’on peut se sanctifier plus commodément en mangeant de fort bon poisson ; qu’il n’étoit pas absolument nécessaire, pour parvenir à la béatitude un peu mélancolique qui leur étoit promise, de se procurer précisément trois ou quatre indigestions par jour ; et que la véritable voie du salut est de travailler beaucoup, et de bien digérer ce qu’on mange, ce qu’on pense, ce qu’on dit et ce qu’on fait.
  32. Ce que Toaldo appelle les points lunaires, comme sizygies, quadratures, apogée, périgée, nœuds ; ascendant et descendant, etc.
  33. Si les puissans effets de la poudre à canon venoient, comme il le prétend, de ce que, par la prodigieuse célérité de son expansion, elle préviens l’action, soit de la pesanteur, soit de la force d’inertie ; ou enfin de l’une et de l’autre, ces effets seroient illimités ; et il n’y auroit pas une proportion connue entre la quantité de poudre et la masse qu’elle peut faire sauter. Or, on s’est assuré par l’expérience, que telle quantité de poudre, de telle qualité, enlève un cône tronqué de telle espèce de terre (ou d’autres substances) et de telles dimensions. Ainsi, les effets de la poudre sont limités, et son action ne prévient point celle des deux forces dont nous venons de parler.

 *.  Cette note est une de celles qui ne sont que les développemens d’autant de notes du premier ouvrage, où nous étions tout à la fois obligés de semer quelques raisonnemens pour empêcher qu’on ne se prévint contre l’auteur, et d’être fort précis.

 *2.  Je dis plus promptement, et non plus, parce que la quantité de ce mouvement communiqué n’est rien moins que proportionnelle à la promptitude de cette communication ; car, si, d’un côté, un fluide plus ténu, en cédant plus aisément, est plus facile à mouvoir ; de l’autre, comme il a moins de masse, de force d’inertie, de faculté de résister, il donne moins de prise à l’agent ; celui-ci emploie une moindre portion de sa force pour le déplacer ; et, par conséquent, il lui donne une moindre quantité de mouvement. Cette distinction doit être appliquée à cette partie de la phvsico-morale qui traite des degrés respectifs de sensibilité des deux sexes : on dit ordinairement que le sexe féminin est plus sensible que le nôtre ; mais, au lieu de dire plus, il faudroit dire plutôt, ou plus promptement. La sensibilité est, toutes choses égales, proportionnelle à l’éréthisme. Or, dans le sexe masculin, l’éréthisme est plus grand. Cette distinction du plus au plutôt est très importante ; et faute de l’avoir faite, le grand Newton lui-même s’est mépris dans un point de dioptrique, comme nous l’avons fait voir dans une des notes précédentes : que sera-ce de nous ?

 *3.  Tous les animaux et tous les végétaux mangent de l’air ; mais ils n’en vivent pas uniquement, par la raison que, pour faire du feu, un soufflet ne suffit pas, et qu’il faut aussi du bois.