Novum Organum (trad. Lasalle)/Livre II/Partie II/Section II

Novum Organum
Livre II - Partie II
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres6 (p. 71_SECTION_II-74).

SECTION II.
Prérogatives des faits qui se rapportent directement à la pratique.

XLIV.

Dans les aphorismes précédens, nous avons traité des exemples qui sont destinés à prêter secours aux sens, et qui se rapportent principalement à la partie informative ou à la théorie ; car l’information commence aux sensations : or, toute l’opération intellectuelle se termine par les œuvres ; et comme la simple connoissance en est le commencement, l’exécution en est la fin. Ainsi, dans les aphorismes suivans, nous traiterons principalement des exemples qui se rapportent spécialement à la pratique ou partie opérative.

Ces exemples sont de deux genres, et forment, en tout, sept espèces, que nous comprenons ordinairement sous la dénomination commune d’exemples pratiques. Or, la pratique est susceptible de deux vices ou défauts, auxquels répondent deux genres de perfections dont elle est aussi susceptible ; car l’opération peut être ou trompeuse ou onéreuse. Si l’opération est quelquefois trompeuse, même après une recherche des propriétés qui a d’ailleurs toute l’exactitude nécessaire, c’est sur-tout parce qu’on a mal déterminé, mal mesuré les forces et les actions des corps. Or, les forces ou actions des corps sont circonscrites et mesurées, ou par les espaces qui sont les parties du lieu, ou par les instans qui sont les parties du temps, ou par la quantité de matière, ou par la prédominance de telle vertu[1]. Si ces quatre choses n’ont été bien examinées et bien posées, les sciences pourront être fort belles dans la théorie, mais elles seront inutiles dans la pratique. Or, ces quatre genres d’exemples qui se rapportent à notre objet actuel, pour les comprendre tous sous un seul nom, nous les appellerons exemples mathématiques, ou exemples de mesure.

La pratique devient onéreuse, ou parce qu’avec les choses nécessaires on en mêle d’inutiles, ou par l’excessive multiplication des instrumens ou à cause de la grande quantité de matière qui semble nécessaire pour produire tel effet ou exécuter tel ouvrage. Ainsi, l’on doit attacher le plus grand prix aux exemples qui ont la propriété de diriger la pratique vers les objets les plus intéressans pour le genre humain, ou d’épargner une partie des instrumens, ou d’économiser sur les matières, et (s’il est permis d’employer cette expression) sur le mobilier. Or, pour désigner aussi par un seul nom les trois espèces d’exemples qui se rapportent à ce triple but, nous les appellerons exemples propices ou favorables[2]. Nous allons traiter successivement et en détail, de ces sept différentes espèces d’exemples ; et ce sera par cet exposé que nous terminerons cette partie, qui a pour objet les prérogatives au dignités des différentes classes d’exemples.

  1. Qualité, propriété, manière d’être, mode actif ou passif, force, etc. Quoique le mot ait vieilli, nous serons quelquefois obligés de l’employer, faute d’équivalent, et parce qu’il n’y attache point de signification fixe. Il l’emploie le plus souvent pour désigner les forces ou modes actifs ; comme on le voit par ce qui précède.
  2. Comme cette vague dénomination n’est, à proprement parler, qu’une affectation, nous y substituerons celle-ci, exemples économiques ou simplificatifs ; car retrancher l’inutile et épargner une partie des instrumens ou des matières, c’est simplifier et économiser.