Novum Organum (trad. Lasalle)/Livre II/Partie II/Section I/Chap II

Novum Organum
Livre II - Partie II
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres6 (p. 1_PARTIE_II_SECTION_I_Ch02-67).

CHAPITRE II.
Prérogatives des faits, relatifs aux sens ; ou destinés à provoquer, faciliter, étendre, diriger, rectifier, suppléer et rendre continue l’observation directe.
XXXVIII.

CE chapitre traite de cinq ordres, où classes d’exemples, que nous comprenons sous la dénomination générale d’exemples de la lampe, ou de première information, et dont la destination est de prêter secours aux sens. En effet, comme l’interprétation de la nature, partant des sens et de leurs perceptions, conduit, par un chemin droit, sûr et toujours le même, aux perceptions de l’entendement, qui constituent les notions justes et les vrais axiomes, il s’ensuit évidemment que plus les représentations mêmes des sens sont exactes et multipliées, plus ensuite les opérations de l’esprit sont faciles et sûres. Or, chacune de ces espèces d’exemples a sa destination propre et particulière. Ceux de la première espèce fortifient, étendent et rectifient les actions immédiates des sens. Ceux de la seconde espèce rendent sensible ce qui, sans leur secours, échapperoit aux sens. Ceux de la troisième espèce indiquent ces progrès continus, ou séries de corps et de mouvemens qu’on n’observe ordinairement que dans leurs résultats et leurs périodes[1]. Ceux de la quatrième espèce, lorsque les sujets d’observation directe manquent absolument, fournissent aux sens des espèces d’éguivalens[2]. Enfin, ceux de la cinquième espèce éveillent, pour ainsi dire, le sens, l’excitent à l’attention, et de plus ils limitent la subtilité des choses[3]. Nous allons traiter successivement et en détail de ces différentes espèces d’exemples.

XXXIX.

Nous mettrons au seizième rang, parmi les prérogatives des faits, les exemples de la porte. Sous cette dénomination, nous comprenons tous ceux qui aident et facilitent l’action immédiate des sens, Or, il n’est pas douteux que, parmi les sens, c’est celui de la vue qui joue le premier rôle ; aussi, c’est principalement à celui-là qu’il faut tâcher de procurer des secours de toute espèce. Ces secours peuvent être de trois genres ; ils peuvent mettre en état, ou de voir ce qu’auparavant on ne voyoit point du tout, ou de découvrir de plus loin les objets, ou enfin de les voir plus exactement et plus distinctement. Sous le premier genre (pour ne rien dire des bésicles[4] et autres semblables instrumens, qui, ne servant qu’à remédier à la foiblesse de la vue et à la mauvaise conformation de l’organe, ne nous apprennent d’ailleurs rien de nouveau[5],) nous comprenons ces instru mens de nouvelle invention (les microscopes), qui amplifient prodigiensement les images, et à l’aide desquels on découvre les parties imperceptibles des corps, leurs textures les plus délicates et leurs mouvemens les plus secrets. Ce n’est pas sans admiration, qu’armé d’un tel instrament, on voit nettement la figure exacte, les contours bien terminés, la couleur et les mouvemens d’une puce, d’une mouche, du plus petit insecte, en un mot, une infinité d’objets qui seroient tout-à-fait invisibles à l’œil nud, On dit même qu’une ligne droite, tracée avec la plume ou le pinceau, et considérée à l’aide de cet instrument, paroît toute tortueuse, toute composée de petites lignes courbes ou brisées ; les mouvemens de la main, quoique guidée par une règle, ni les traits de l’encre ou de la couleur n’étant rien moins qu’égaux et uniformes ; inégalités toutefois si petites, que, sans le secours d’un pareil instrument, il seroit impossible de les apercevoir. Il est même je ne sais quelle observation superstitieuse que les hommes ont ajoutée à tout ceci (comme ils ne manquent guère de le faire, en parlant de toutes les nouveautés qui ont quelque chose de merveilleux) ; ils prétendent que ces instrumens font ressortir les ouvrages de la nature, en rabaissant ceux de l’art ; ce qui ne signifie autre chose, sinon que les textures naturelles sont plus délicates et plus parfaites que les tissus artificiels, dont ces instrumens, qui rendent sensibles les plus petits objets, mettent à portée de découvrir les moindres défauts. Leur effet, à cet égard, est si étonnant, que si Démocrite en eût essayé un, il eût tressailli, et se fût imaginé qu’on venoit de découvrir un moyen pour apercevoir ces atomes qu’il avoit pourtant déclarés tout-à-fait invisibles. Mais, après tout, ces mêmes instrumens, ne pouvant servir que pour des objets extrêmement petits, et étant même insuffisans pour ceux de cette dernière espèce, dès qu’ils font partie de corps un peu grands, leur usage est très borné. Ah ! si l’on pouvoit étendre cet usage aux petites parties de ces corps, et de manière que le tissu du linge parût comme un filet, et qu’on pût distinguer les moindres parties, les inégalités insensibles, les différences imperceptibles (à la vue simple) des pierres précieuses, des liqueurs, des urines, du sang, des blessures, et d’une infinité d’autres objets, ce serait alors véritablement que ces instrumens deviendroient d’une grande utilité[6].

Du second genre, sont ces autres instrumens, dont l’invention est due à Galilée[7] ; instrumens qui, tenant lieu de vaisseau ou d’esquif, servent à entretenir un commerce plus étroit avec les corps célestes, et à les considérer de plus près. Grace à cette invention, l’on sait déjà que la voie lactée n’est qu’un amas de petites étoiles, toutes aisées à distinguer et à compter ; ce dont les anciens avoient eu que le simple soupçon.

C’est encore à l’aide de cet instrument qu’on s’est assuré que ces espaces qu’on nomme les orbites des planètes, ne sont pas entièrement dégarnis d’étoiles, mais qu’on en trouve çà et là quelques-unes, avant d’arriver au ciel étoilé, proprement dit[8] ; mais ces étoiles sont trop petites pour être aperçues sans lunettes astronomiques, Ce sont ces mêmes instrumens qui ont fait découvrir ces petites étoiles qui semblent servir de cortège à la planète de Jupiter[9] ; découverte qui porte à croire que les mouvemens des étoiles ont plusieurs centres différens[10]. Armés de ces lunettes, nous distinguons, dans les taches de la lune, les parties claires d’avec les parties obscures, et nous déterminons la position des unes et des autres, au point qu’on peut faire une sorte de sélénographie[11]. De là enfin, la découverte des taches du soleil[12], et quelques autres semblables ; toutes inventions mémorables, autant néanmoins qu’on peut ajouter foi à des observations de cette nature, qui nous paroissent un peu suspectes, par cette raison sur-tout qu’on s’en est tenu à ce petit nombre de découvertes, et qu’on n’a pas su découvrir, par le même moyen, une infinité d’autres choses qui ne méritoient pas moins d’être observées[13].

Du troisième genre, sont ces instrumens qui servent à mesurer la terre, les astrolabes et autres semblables, qui n’augmentent point la portée du sens de la vue, mais qui rectifient et dirigent les observations de ce genre[14]. Il existe sans doute d’autres exemples du même genre, ou d’autres moyens d’aider les sens, quant à leurs actions propres et immédiates ; mais si d’ailleurs ils ne peuvent nous procurer de nouvelles connoissances, comme alors ils ne se rapportent point à notre objet actuel, nous n’avons pas dû en faire mention.

XL.

Nous mettrons au dix-septième rang les exemples de citation ; terme emprunté du barreau, et auquel nous donnons une signification analogue, parce que les exemples de ce genre citent, en quelque manière, et assignent à comparoître ce qui n’a pas encore comparu[15]. Nous les désignons aussi quelquefois par la dénomination d’exemples d’évocation ; ce sont ceux qui ramènent à la portée des sens les objets qui, sans ce secours, leur échapperoient.

Or, ce qu’on veut observer échappe aux sens ;

Ou parce que l’objet se trouve placé à une trop grande distance ;

Ou parce que l’action de cet objet est interceptée par les corps intermédiaires, par des obstacles ;

Ou parce que l’objet n’est pas de nature à faire impression sur le sens dont il s’agit ;

Ou parce qu’il est en trop petite quantité pour ébranler suffisamment l’organe du sens ;

Ou parce que le temps de son action ne suffit pas pour éveiller le sentiment, et faire naître la sensation actuelle ;

Ou parce que le sens ne peut soutenir l’impression, le choc de l’objet ;

Ou enfin, parce que le sens est déjà rempli et frappé d’un autre objet, qui ne laisse plus de place à une nouvelle impression.

Or, ces différentes causes ou circonstances se rapportent principalement à la vue et au tact, les deux sens auxquels nous devons les plus amples informations, et sur des objets qui leur sont communs ; au lieu que chacun des trois autres sens ne nous procure que des informations immédiates, et sur des objets qui lui sont propres et particuliers.

Le premier genre de déduction n’est possible que lorsqu’à l’objet qu’on ne peut voir, à cause de sa trop grande distance, on ajoute ou substitue quelqu’autre objet qui peut exciter, agacer, pour ainsi dire, le sens, et de plus loin. Telle est la destination de ces signaux qu’on se fait à de grandes distances, à l’aide des feux, des cloches, et par d’autres moyens semblables.

La déduction du second genre a lieu quand ce qui se passe à l’intérieur d’un Corps, et que l’interposition des parties extérieures empêche de voir, est rendu sensible par les effets extérieurs et par les fluides déterminés an dehors. C’est ainsi que l’état de l’intérieur du corps humain se manifeste par le pouls, les urines et antres signes de cette espèce.

Mais les déductions du troisième et du quatrième genre ayant un objet fort étendu, et menant à une infinité de conséquences, il en faut chercher des exemples dans toute la nature, et dans des sujets de toute espèce ; car on n’en sauroit rassembler en trop grand nombre.

Par exemple, on sent aisément que l’air, les esprits, et autres semblables substances, qui, dans leur totalité, sont très ténues et très subtiles, sont, par cela même, invisibles et impalpables. Ainsi, dans les recherches qui ont pour objet les substances de cette espèce, on ne peut absolument se passer de substitutions.

Soit donc la nature en question, l’esprit renfermé dans les corps tangibles. Car tous les corps tangibles que nous connoissons, renferment un esprit invisible et impalpable, auquel ils servent d’enveloppe et comme de vêtement, d’où résultent trois genres ou modes d’action, qui sont la triple source des puissans effets de l’esprit sur le corps tangible. Lorsque cet esprit, renfermé dans le corps tangible, s’exhale, il contracte ce corps et le dessèche : s’il y est détenu, il l’amollit ou le liquéfie : enfin, n’est-il ni tout-à-fait émis, ni tout-à-fait détenu ; alors il figure, il forme des membres, il assimile, il évacue, il organise. Or, toutes ces différentes actions sont rendues sensibles par leurs effets extérieurs.

En effet, l’esprit qui se trouve renfermé dans tout corps inanimé, commence par se multiplier lui-même ; il ronge, pour ainsi dire, celles des parties tangibles qui, par leur disposition actuelle, lui donnent le plus de prise ; il les digère, il les transforme, il les convertit en sa propre substance, et s’exhale avec elles. Cette confection et cette multiplication de l’esprit devient sensible par la diminution du poids. Car, dans toute dessiccation, il y a une diminution de quantité, un déchet ; et ce déchet ne se prend pas sur l’esprit déjà formé et préexistant dans le composé, mais sur les parties mêmes qui étoient tangibles, et qui viennent d’être converties en esprit ; l’esprit, proprement dit, étant absolument sans pesanteur. Et alors la sortie ou l’émission de l’esprit est rendue sensible par la rouille dans les métaux, et par d’autres putréfactions de ce genre, qui ne sont que commencées, et qui ne vont pas jusqu’au point où s’ébauche la vivification ; celles de la dernière espèce se rapportant au troisième genre d’action. En effet, dans les corps très compacts, l’esprit ne trouvant point de pores, d’issues par où il puisse s’échapper, est forcé d’attaquer les parties tangibles, de les heurter, de les détacher les unes des autres, et de les chasser devant lui, de manière qu’enfin il s’échappe avec elles. C’est ainsi que se forment la rouille et autres substances de cette nature[16]. Mais la contraction des parties tangibles, après l’émission d’une partie de l’esprit (émission d’où s’ensuit cette dessiccation dont nous parlions ci-dessus) ; cette contraction, dis-je, est rendue sensible par la dureté même du corps, qui alors est augmentée ; mais plus encore par les fentes, les gerçures, le rétrécissement, les rides et les plis des corps ; tous effets résultant de cette contraction : Par exemple, certaines parties du bois se déjettent et se resserrent ; les peaux se rident ; et ce n’est pas tout que ces rides ; mais lorsque, par l’action d’une forte chaleur, l’émission de l’esprit est subite, ces peaux se contractent si promptement, qu’elles vont jusqu’à se plier et se rouler sur elles-mêmes.

Au contraire, lorsque l’esprit, quoique retenu, ne laisse pas d’être dilaté et excité par la chaleur ou toute autre cause analogue, effet qui a lieu dans les corps très solides et très tenaces, tels de ces corps, comme le fer chauffé jusqu’à l’incandescence, s’amollissent seulement ; d’autres, tels que certains métaux, deviennent coulans ; d’autres enfin, tels que les gommes, la cire ou autres substances semblables, deviennent tout-à-fait liquides. Ainsi, ces effets, en apparence si contraires, de la chaleur qui durcit certains corps, et en liquéfie d’autres, se concilient très bien par cette explication, surtout si l’on considère que, dans les corps qui se durcissent, il y a émission d’esprit ; au lieu que, dans ceux qui s’amollissent ou se liquéfient, cet esprit est retenu et seulement agité dans les limites du composé ; que le premier de ces deux phénomènes à concilier est l’effet propre de la chaleur et de l’esprit ; et le dernier, l’effet du simple rapprochement des parties tangibles ; rapprochement dont l’émission de l’esprit n’est que la cause occasionnelle.

Mais si l’esprit, n’étant ni tout-à-fait retenu, ni tout-à-fait émis, il s’agite seulement et s’essaie, pour ainsi dire, dans les limites du corps où il est comme emprisonné ; si de plus il trouve sous sa prise des parties tangibles, souples, obéissantes, promptes à courir par-tout où il agit, et à suivre tous ses mouvemens, alors il en résulte une configuration régulière, et la formation d’un corps organique avec tous ses membres et toutes les autres actions vitales, tant dans les végétaux, que dans les animaux. Tous ces effets sont ramenés à la portée des sens par des observations exactes et suivies sur les premiers essais, les ébauches et les rudimens de la vie, dans les animaux qui naissent de la putréfaction ; par exemple, sur les œufs des fourmis, sur les vers, les mouches et les grenouilles qui paroissent après la pluie[17]. Or, deux conditions sont nécessaires pour que la vivification ait lieu ; savoir : une chaleur douce et une matière visqueuse ; l’une, de peur qu’une dilatation trop subite ne force l’esprit à s’échapper ; l’autre, afin que la roideur des parties n’oppose pas trop de résistance à son action expansive, et qu’au contraire il puisse les fléchir, les figurer, les mouler comme une cire.

Une autre différence bien importante, et qui a une infinité d’applications, c’est celle-ci : on peut distinguer trois espèces ou modes d’esprit ; savoir : l’esprit entrecoupé[18], l’esprit simplement rameux (ramifié, branchu) ; enfin, l’esprit tout à la fois rameux et distribué en différentes cellules (ventricules, petites cavités, réservoirs) : le premier, est celui de tous les corps inanimés ; le second, celui des végétaux ; le troisième, celui des animaux (a). Or, ces différences, il est beaucoup d’exemples déductifs à l’aide desquels on peut les mettre comme sous les yeux.

On conçoit aussi que les configurations et les textures les plus délicates des corps (quoique ces corps, pris dans leur totalité, soient visibles et palpables), ne laissent pas d’être impalpables et invisibles. Ainsi, la recherche qui a pour objet ces textures, doit procéder aussi par voie de déduction. Mais, parmi ces différences de texture et d’intime constitution, la plus radicale, la différence vraiment primaire[19], c’est celle qui se tire de la plus grande ou de la moindre quantité de matière comprise dans le même espace ou sous les mêmes dimensions. Car, ces autres différences, qui se rapportent, soit à la dissimilarité des parties constitutives d’un même corps, soit à leurs différentes situations ou positions ; ces différences, dis-je, ne sont que secondaires, par rapport à celle dont nous parlons[20].

Soit donc la nature en question, l’expansion ou la contraction de la matière dans les différens corps, ou leur densité respective c’est-à-dire, la quantité de matière qu’ils contiennent sous un volume déterminé. En effet, tout, dans la nature, démontre ces deux principes : rien ne se fait de rien, rien ne s’anéantit ; mais la quantité proprement dite, ou la somme totale des parties de la matière, demeure toujours la même, sans augmentation ni diminution. Une autre proposition non moins évidente, est que cette quantité de matière contenue dans un même espace et sous un même volume, est susceptible de plus ou de moins, et varie comme la nature des différens composés ; par exemple, l’eau en contient plus que l’air ; en sorte que, si quelqu’un se vantoit de pouvoir changer un certain volume d’eau en un égal volume d’air, ce seroit comme s’il disoit qu’on peut anéantir telle portion de la matière ; ou si, au contraire, il se faisoit fort de convertir un certain volume d’air en un égal volume d’eau, ce seroit comme s’il disoit qu’on peut de rien faire quelque chose[21]. Or, c’est proprement de la considération de cette plus grande, ou moindre quantité de matière, que tirent leur origine les notions abstraites exprimées par ces mots de densité et de rarité, auxquelles on a attaché des significations si différentes et des idées si confuses. Une troisième proposition, non moins certaine, et sur laquelle on peut faire fonds, c’est que cette différence même dont nous parlons, je veux dire, ce plus ou ce moins de matière propre dans tel ou tel corps, peut être déterminé par le calcul, et comparaison faite entre les différentes espèces de corps, être réduit à des proportions exactes ou approchant de l’exactitude. Par exemple, si l’on disoit que l’or contient, sous tel volume, telle quantité de matière, et que l’esprit de vin, pour égaler cette quantité de matière, doit avoir un volume vingt-une fois plus grand, on ne se tromperoit pas de beaucoup.

Or, la quantité de matière et sa proportion sont rendues sensibles par le poids ; car le poids d’un corps, du moins celui de ses parties tangibles, est proportionnel à sa quantité de matière[22]. Mais l’esprit on sa quantité de matière ne peut être déterminée par son poids, vu qu’il allège plutôt qu’il n’appesantit[23]. Or, après avoir déterminé par l’expérience ces différentes proportions, nous en avons fait une table, où sont marqués les poids et les volumes des différentes espèces de métaux, de pierres, de bois, de liqueurs, d’huiles, et d’un grand nombre d’autres substances, tant naturelles qu’artificielles[24]. C’est un vrai polychreste[25], tant par la lumière qu’elle répand sur la théorie, que par les règles qu’elle fournit pour la pratique, et qui présente bien des résultats inattendus ; car, ce n’est pas peu que de savoir, par le moyen de cette table, que toute la différence qu’on observe entre les corps tangibles (nous ne parlons que de ceux dont les parties laissent peu de vuide entr’elles, non des corps spongieux, et où se trouvent beaucoup de cavités, en partie remplies d’air) ; que cette différence, dis-je, n’excède pas le rapport de vingt-un à un, tant la nature est bornée à cet égard, du moins cette partie de la nature dont l’usage nous est accordé, et que nous connoissons par l’expérience.

Nous avons cru aussi que cette exactitude dont nous nous piquons, nous faisoit une loi d’essayer si nous ne pourrions pas déterminer la proportion des corps non tangibles ou pneumatiques[26] (aériformes), comparés aux corps tangibles ; et pour parvenir à ce but, nous tentâmes l’expérience suivante. Nous prîmes une fiole de verre qui pouvoit tenir une once[27], employant exprès un petit vaisseau, afin de n’avoir pas besoin d’une chaleur si forte pour produire l’évaporation dont nous parlerons plus bas, Nous remplîmes d’esprit de vin cette fiole, jusqu’à la naissance du cou, choisissant l’esprit de vin préférablement à toute autre liqueur, parce que la table ci-dessus montre que de tous les corps tangibles (nous ne parlons que de ceux dont la substance est continue, et non entrecoupée de cavités), c’est le moins dense et celui qui contient le moins de matière propre sous un volume déterminé. Ensuite, nous pesâmes la fiole et la liqueur qu’elle contenoit. Après quoi, nous primes une vessie qui pouvoit tenir deux pintes. Nous en exprimâmes l’air autant qu’il nous fut possible, en la comprimant au point que ses deux côtés se touchoient par-tout. Nous eûmes la précaution d’enduire cette vessie d’huile, en la frottant un peu, afin de bien boucher tous les pores, au cas qu’il y en eût de trop grands. Nous fîmes entrer la partie supérieure de la fiole dans cette vessie, que nous liâmes fortement autour de son cou, ayant un peu ciré le fil, afin qu’il fût plus adhérent et qu’il serrât davantage. Enfin, nous fîmes chauffer la fiole à un feu de charbon, sur un petit fourneau. Quelques minutes après, la vapeur de l’esprit de vin, dilaté par la chaleur et converti en une substance pneumatique (aériforme), enfla la vessie peu à peu, et finit par la tendre, dans tous les sens, à peu près comme une voile enflée par le vent. Cela fait, nous ôtâmes la fiole de dessus le feu, nous la posâmes sur un tapis, de peur qu’un refroidissement trop subit ne la rompît, et sur-le-champ nous fîmes un trou au haut de la vessie ; autrement, à mesure que la chaleur auroit diminué, la vapeur auroit pu revenir à l’état de liquide, et jeter ainsi de l’incertitude dans le résultat[28]. Alors, ayant détaché la vessie, nous pesâmes l’esprit de vin qui restoit dans la fiole ; puis, comparant son poids actuel avec son premier poids, nous connûmes ainsi la quantité d’esprit de vin qui s’étoit convertie en vapeur ou en substance pneumatique. Et ayant comparé le volume qu’avoit eu cette substance dans l’état d’esprit de vin, avec l’espace qu’elle occupoit sous la forme de vapeur, nous eûmes un dernier résultat qui nous apprit que cette substance, ainsi transformée, avoit acquis un volume cent fois plus grand qu’auparavant[29].

Soit encore la nature en question, le chaud ou le froid, en supposant l’un et l’autre à des degrés trop foibles pour être perçus par les sens, Les variations de cette espèce sont rendues sensibles par le thermomètre que nous avons décrit plus haut. Il est vrai que ces légères différences, du chaud et du froid, ne sont pas sensibles au tact, mais la chaleur dilate l’air, et le froid le contracte : cependant, cette expansion et cette contraction même ne sont pas non plus visibles ; mais cet air, en se dilatant, fait baisser l’eau ; en se contractant, il la fait monter ; et c’est alors, enfin, que ces effets deviennent sensibles à la vue, et non auparavant, ou dans tout autre cas[30].

De même, soit la nature en question, le mélange ou la combinaison des pare ties constitutives des corps, et supposons qu’il s’agisse de savoir ce qu’ils contiennent de substance ; aqueuse ou huileuse, d’esprit, de cendres, de sels ou d’autres semblables substances ; ou même de savoir plus spécialement ce que le lait, par exemple, contient de substance butireuse, caséeuse, séreuse, et ainsi des autres. Les parties constitutives de ces corps sont naturellement invisibles ; mais elles deviennent sensibles par d’ingénieuses et savantes analyses, du moins quant à leurs parties tangibles. Et quoique l’esprit qui s’y trouve renfermé ne soit pas sensible par lui-même, il ne laisse pas d’annoncer sa présence par les différens mouvemens et efforts des corps tangibles dans l’acte et le procédé même de la décomposition. Il se manifeste aussi par des signes d’acrimonie et de qualité corrosive, par les diverses couleurs, odeurs et saveurs de ces mêmes corps, après la décomposition[31]. On ne peut disconvenir que les hommes, en multipliant et variant les distillations et les procédés de décomposition, n’aient fait les plus grands efforts pour découvrir les parties constitutives des différentes espèces de corps ; mais avec aussi peu de succès que par les autres procédés aujourd’hui en usage. Toute cette marche n’est qu’un pur tâtonnement, qu’une méthode aveugle ; je vois-là beaucoup d’activité, mais bien peu d’intelligence et de vraie méthode. Ce qu’il y a de pis, dans toutes ces tentatives, c’est qu’au lieu de rivaliser avec la nature, en imitant ses opérations, on trouve moyen, par les chaleurs trop fortes, ou les agens trop puissans qu’on emploie, de détruire ces textures délicates d’où dépendent les propriétés les plus intimes et leurs secrètes corrélations[32]. Mais, ce qui ne se présente pas même à leur esprit, dans ces analyses, et ce dont nous avons averti ailleurs, c’est que, lorsqu’on tourmente ainsi ces corps par le moyen du feu, ou de ces substances si actives qu’on emploie pour les décomposer, c’est le feu même, où ce sont ces agens qui y introduisent la plupart de ces qualités qu’on y observe après la décomposition, et qui n’existoient pas auparavant dans le composé. Car il ne faut pas s’imaginer que toute cette vapeur qui s’élève d’une masse d’eau, étoit dans l’eau même, et faisoit corps avec elle, sous la forme de vapeur, ou de substance aériformes mais c’est le feu qui, en dilatant l’eau, a formé cette vapeur,

De même encore, toutes ces épreuves qu’on fait subir aux composés, soit naturels, soit artificiels, et à l’aide desquelles on distingue les vraies substances de celles qui sont sophistiquées (falsifiées), et l’on s’assure de leurs bonnes où mauvaises qualités ; ces épreuves, dis-je, se rapportent aussi à cette division, vu qu’elles rendent sensibles telles qualités qui, sans ces manipulations, seroient imperceptibles. Ainsi, l’on ne doit rien épargner pour multiplier les procédés et les essais qui tendent à ce but.

Quant à ce qui regarde le cinquième genre d’objets qui échappent aux sens, il est clair que toute action d’où naît quelque sensation, consiste dans un mouvement, et que tout mouvement s’exécute dans un certain temps. Si donc le mouvement d’un corps est de telle lenteur ou de telle vitesse, qu’il n’y ait aucune proportion entre le temps nécessaire pour qu’il s’exécute, et celui qui le seroit pour que la sensation eût lieu, alors l’objet n’est point perçu et il échappe tout-à-fait aux sens. On en voit un exemple dans le mouvement de l’aiguille d’une horloge, et en sens contraire (c’est-à-dire par rapport à l’extrême vitesse), dans celui d’une balle de mousquet, ou autre arme à feu. Or, ces mouvemens, qui, à cause de leur extrême lenteur, sont imperceptibles dans leurs parties, deviennent sensibles dans leur somme, et c’est ainsi qu’on les considère ordinairement[33]. Mais ces autres mouvemens, que leur extrême vitesse rend imperceptibles, donnant moins de prise, on n’a pu encore en déterminer la mesure avec exactitude[34]. Cependant, il est, dans l’étude de la nature, une infinité de cas où ces déterminations seroient absolument nécessaires.

Quant au sixième genre de circonstances, où l’objet à observer échappe aux sens ; savoir : celles où la force même avec laquelle il agit sur l’organe du sens, empêche que la sensation n’ait lieu, la déduction se fait,

Ou en éloignant l’objet de l’organe du sens ;

Ou en émoussant son impression par l’interposition d’un milieu qui soit de nature à affoiblir seulement cette impression, sans la détruire entièrement ;

Ou, enfin, en le faisant agir indirectement et par réflexion, toujours dans le cas où l’action directe seroit trop forte. C’est ainsi qu’on affoiblit l’action des rayons du soleil, en regardant cet astre dans un bassin rempli d’eau.

Le septième cas ; savoir : celui où le sens est tellement surchargé et rempli d’un objet, qu’il ne laisse plus de place à l’impression d’aucun autre, n’a lieu ordinairement que par rapport à l’odorat et aux odeurs. D’ailleurs, il n’a que très peu de rapport avec notre objet actuel. Ainsi, nous terminerons ici ce que nous avions à dire sur les différens moyens de rendre sensible ce qui échappe aux sens.

Quelquefois, cependant, la déduction se fait en ramenant l’objet imperceptible à la portée, non du sens de l’homme, mais de celui de tel animal qui, pour certaine espèce d’objets, a un sentiment plus fin que celui de notre espèce. C’est ainsi que, pour certaines odeurs, on s’en rapporte à l’odorat du chien ; et que, pour la preuve de l’existence de cette lumière que recèle un air qui n’est pas éclairé extérieurement, on s’en rapporte aux yeux du chat, du hibon et d’autres animaux de cette classe, qui ont la faculté de voir la nuit. En effet, suivant l’opinion de Telèse (opinion assez fondée), dans l’air même réside une certaine lumière originelle, quoique foible, ténue et presque toujours insuffisante pour les yeux de l’homme et de la plupart des autres animaux. C’est à l’aide de cette lumière, que ces autres animaux, aux organes desquels elle est proportionnée et suffisante, peuvent voir durant la nuit. Car on ne peut se persuader qu’ils aient la faculté de voir sans l’intermède de la lumière, ou à l’aide de la seule lumière interne[35].

Mais, ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que nous ne parlons ici que des cas où les sens sont en défaut, et du remède à cet inconvénient. Quant à leurs illusions et à leurs prestiges, c’est un sujet que nous renvoyons au traité qui a proprement pour objet le sentiment et les choses sensibles ; en exceptant, toutefois, cette illusion générale des sens, qui consiste à ne nous faire connoître les choses et leurs différences, que relativement à l’homme, et non relativement à l’univers ; erreur qu’on ne corrige que par le moyen de la raison et de la philosophie universelle[36].

XLI.

Nous mettrons au dix-huitième rang, parmi les prérogatives des faits, les exemples de route, que nous appelons aussi quelquefois exemples itinéraires, ou articulés. Ce sont ceux qui indiquent les mouvemens graduels et continus de la nature. Les exemples de ce genre échappent plutôt à l’observation qu’aux sens ; car les hommes étant d’une prodigieuse négligence sur ce point, ils n’étudient la nature que périodiquement et comme par sauts[37] ; ils n’observent les corps que lorsqu’ils sont achevés, tout formés. Cependant, si l’on vouloit se faire une juste idée de l’intelligence et de l’adresse d’un artisan où d’un artiste, en un mot, saisir le fin de son métier, on ne se contenteroit pas de jeter un coup d’œil sur les matières brutes qu’il emploie, et sur ses ouvrages tout faits ; on voudroit être-là quand il travaille, afin de suivre ses procédés et ses manipulations dans tous leurs détails. C’est à peu près ainsi qu’il faut se conduire dans l’étude de la nature. Par exemple, veut-on faire une recherche sur la végétation des plantes, il faut les suivre depuis le moment où la graine vient d’être semée ; les observer sans interruption (ce qu’on peut faire aisément en tirant de la terre les graines qui y auront demeuré deux, trois, quatre jours, et ainsi de suite), et les considérer attentivement, afin de voir quand et comment cette graine commence à se gonfler, à regorger, pour ainsi dire, d’esprit ; comment elle rompt sa corticule, jette des fibres, en se portant elle-même un peu de bas en haut, à moins que la terre ne lui oppose trop de résistance ; comment, de ces fibres qu’elle jette, les unes, qui doivent former la racine, se portent vers le bas ; et les autres, qui doivent former la tige, se portent vers le haut, ou quelque-fois serpentent latéralement, quand elles trouvent dans cette direction une terre plus molle et plus souple, où elles peuvent s’ouvrir plus aisément un passage, et une infinité de détails de cette espèce.

Il faut, en suivant la même méthode, observer les œufs, depuis le moment où commence l’incubation, jusqu’à celui où ils sont éclos. À l’aide de cette marche, on verra l’action progressive et continue par laquelle l’embryon se vivifie et s’organise[38] : on saura ce qui provient du jaune, et quelles parties en sont formées ; il en sera de même du blanc et il en faut dire autant de tous les autres détails de cette nature. Enfin, on observera avec la même continuité les animaux qui naissent de la putréfaction, Quant aux animaux parfaits et terrestres, on ne pourroit observer leur formation qu’en disséquant les mères et tirant les fétus de la matrice, ce qui répugneroit davantage à l’humanité ; et il ne reste d’autre parti, après avoir renoncé à cette odieuse ressource, que celui de profiter des avortemens, des hazards qu’offre la chasse, et d’autres semblables occasions. Quoi qu’il en soit, il faut faire autour de la nature une sorte de veillée, attendu qu’elle se laisse plutôt voir de nuit que de jour ; car, les recherches et les études de ce genre peuvent être qualifiées de nocturnes, la lumière qui les éclaire étant perpétuelle, il est vrai, mais bien foible.

Il faut suivre la même marche en observant les corps inanimés ; et c’est ce que nous avons fait nous-mêmes par rapport à la manière dont les différentes liqueurs s’ouvrent (se dilatent) par l’action du feu, Car autre est le mode de cette dilatation dans l’eau ; autre, dans le vin, dans le vinaigre, dans l’opium, etc. La différence est encore plus marquée dans le lait, dans l’huile et autres substances de cette nature ; différence que nous observâmes avec la plus grande facilité, en faisant bouillir successivement différentes liqueurs, à un feu doux et dans un vaisseau de verre, où toutes ces différences et toutes leurs nuances étoient plus sensibles. Mais ce sujet, nous ne devons ici que le toucher en passant, nous réservant à le traiter plus amplement et plus exactement quand nous en serons à la recherche des actions graduelles et cachées. Et il ne faut jamais oublier que notre dessein, dans cet ouvrage, n’est rien moins que de traiter les sujets mêmes, mais de donner de simples exemples destinés à éclaircir des méthodes qui sont le principal objet.

XLII.

Nous mettrons au dix-neuvième rang, les exemples de supplément ou de substitution, que nous appelons ordinairement exemples de refuge. Leur destination est de suppléer l’observation directe, lorsque le sens est tout-à-fait en défaut, et c’est à cette sorte d’exemples que nous avons recours comme à une dernière ressource, lorsque les exemples propres nous manquent absolument. Or, cette substitution peut se faire de deux manières, ou par graduation, ou par analogie[39]. Par exemple, on ne connoît aucun milieu qui fasse entièrement obstacle à cette attraction que l’aimant exerce sur le fer, et qui l’intercepte tout-à-fait. Elle a son effet, soit qu’on interpose l’or, l’argent, le verre, la pierre ; bois, eau, huile, étoffes, corps composés de fibres, air, flamme, etc, ni ces substances, ni aucune autre, ne peuvent empêcher cette attraction. Il se pourroit cependant qu’à force de varier les sujets d’observation, l’on rencontrât enfin quelque milieu qui en diminuât l’effet plus que tout autre milieu, et qu’on trouvât là un plus et un moins, des degrés sensiblement différens. Par exemple, il se pourroit que l’aimant n’attirât pas également le fer à travers deux épaisseurs égales, l’une d’or, l’autre d’air ; ou l’une d’argent rougi au feu, l’autre d’argent froid[40] ; et ainsi des autres. Car nous n’avons pas encore fait d’expériences dans cette vue ; et celles-ci, nous ne les proposons qu’à titre d’exemples et d’indications, qui peuvent suffire pour le moment. De même, nous ne connoissons aucun corps qui, étant approché du feu, ne s’échauffe ; mais l’air s’échauffe plus vite que la pierre. Tel est donc le mode de ce genre de substitution qui se fait par la considération des degrés.

Quant à la substitution par voie d’analogie, elle est utile, sans doute, mais beaucoup moins certaine dans ses résultats, et elle exige plus de discernement. Elle a lieu, lorsqu’on met à la portée du sens l’objet imperceptible, non en observant les effets sensibles du corps qui, par lui-même, est insensible, mais en observant d’autres corps plus sensibles et analogues an sujet en question. Par exemple, s’agit-il de connoître le mode du mélange on de la combinaison des esprits (on substances aériformes) ? on conçoit d’abord qu’il doit y avoir une certaine analogie entre les corps et leurs alimens. Or, l’aliment propre de la flamme est l’huile, ou, en général, toute substance grasse ; et celui de l’air est l’eau, ou toute substance aqueuse. Car, les flammes se multiplient par l’addition des vapeurs huileuses ; et l’air, par l’addition des vapeurs aqueuses[41]. Ainsi, il faut tourner son attention vers le mélange de l’eau avec l’huile, lequel se manifeste aux sens ; au lieu que le mélange de l’air avec les flammes leur échappe. Or, l’huile et l’eau ne se mêlent que très imparfaitement, lorsqu’on se contente de les mettre et de les agiter ensemble ; mais ces deux mêmes substances se combinent plus délicatement et plus exactement, dans les plantes, dans le sang et les parties solides des animaux ; d’où l’on peut déduire une conséquence assez probable, relativement aux substances pneumatiques, ou aériformes ; savoir : que les substances pneumatiques de la nature de l’air, et celles qui tiennent de la nature de la flamme, lorsqu’elles sont simplement et méchaniquement confondues, ne se prêtent pas à une véritable combinaison, mais qu’elles paroissent se combiner plus exactement et plus parfaitement dans les esprits des animaux et des plantes ; conjecture d’autant plus probable, que tout esprit animé se nourrit de deux espèces d’humor ; savoir : de l’humor agueu et de l’humor huileu, lesquels sont ses alimens propres[42].

De même encore, supposons qu’il ne s’agisse plus du mélange exact, de la parfaite combinaison des substances pneumatiques et aériformes de différente espèce, mais seulement de leur composition ; c’est-à-dire, de savoir si elles s’incorporent[43] aisément ensemble ; ou si, au contraire, il y a des substances pneumatiques ; par exemple, des vapeurs ou exhalaisons, et autres semblables, qui ne se mêlent point avec l’air commun, mais qui y demeurent seulement suspendues et comme flottantes, sous la forme de globules, de gouttes ; en un mot, qui sont plutôt brisées et atténuées par l’air, qu’elles n’adhèrent à ses parties et ne s’incorporent avec ce fluide : or, une telle différence ne peut être aperçue par les sens, dans l’air commun ou autres substances aériformes, vu leur extrême ténuité. Mais on peut se faire une idée de ces imparfaites combinaisons, et entrevoir jusqu’à quel point elles sont possibles, en observant le mercure, l’huile et l’eau dans l’état de liquide. On en voit aussi un exemple dans l’air, si l’on considère comment il se divise et se morcelle, lorsqu’il se dissipe et monte à travers l’eau sons la forme de bulles. Enfin, un dernier exemple en ce genre, c’est la poussière excitée dans l’air, laquelle s’y élève et y demeure suspendue ; tous phénomènes où il n’y a point d’incorporation[44]. Or, cette représentation ou substitution, dont nous venons de parler, seroit assez exacte, pour peu que l’on commençât par s’assurer s’il peut y avoir entre ces substances pneumatiques, une hétérogénéité, des différences vraiment spécifiques et égales à celles qu’on observe entre les liquides[45]. Ce point une fois décidé, on pourra, sans inconvénient, substituer, par voie d’analogie, ces simulacres visibles à ces substances aériformes qu’on ne peut observer directement. Au reste, quoique nous ayons dit de ces exemples de supplément, qu’il faut en tirer des lumières, lorsque les exemples propres et directs manquent absolument, et y recourir comme à une dernière ressource ; cependant, on doit se persuader qu’ils sont encore d’un grand usage, dans les cas mêmes où l’on ne manque point d’exemples directs ; car alors ils concourent avec ces derniers à rendre l’information plus ample et plus certaine. Mais nous traiterons plus en détail de ce genre d’exemples, lorsque l’ordre de notre sujet nous aura conduits à parler des adminicules de l’induction.

XLIII.

Nous placerons au vingtième rang, les exemples de dissection (ou d’analyse), que nous désignons aussi ordinairement par la dénomination d’exemples (agaçans ou stimulans), mais dans des vues différentes. Nous leur donnons cette dernière qualification, parce qu’en effet ils agacent l’entendement ; et la première, parce qu’ils nous excitent à pousser l’analyse de la nature aussi loin qu’il est possible ; fonction qui nous engage quelquefois à leur donner aussi le nom d’exemples de Démocrite[46]. Les exemples de cette classe, en avertissant l’esprit de l’extrême subtilité de certains corps ou de certains mouvemens, l’éveillent, pour ainsi dire, l’excitent à l’attention, et l’invitent à considérer de plus près les objets fort déliés, et à les observer avec toute l’exactitude requise[47]. Par exemple, l’entendement s’éveille lorsqu’il arrête son attention sur les faits suivans.

Quelques gouttes d’encre peuvent, en s’étendant, former des milliers de lettres et de lignes.

Un cylindre d’argent, doré superficiellement, peut être allongé au point de former un fil de plusieurs lieues, et doré pourtant dans tous les points de sa surface.

Tel insecte imperceptible, qui se loge sous la peau, a pourtant un esprit et une infinité de parties toutes différentes et toutes distinctes.

Un peu de safran suffit pour teindre un muid d’eau.

Un grain de civette, ou de muse, répand son odeur jusques dans les plus petites parties d’une masse d’air beaucoup plus grande.

Une très petite quantité de certaines matières brûlées, forme un nuage d’un volume immense.

Les différences les plus légères, les nuances les plus délicates des sons ; par exemple, celles des sons articulés, sont déterminées par l’air, qui leur sert de véhicule, dans toutes sortes de directions ; différences qui, quoique très atténuées et très affoiblies, ne laissent pas de pénétrer par les pores et les interstices du bois et de l’eau, sans compter qu’elles s’y répercutent ; le tout, avec la plus grande vitesse et très distinctement.

La lumière, et la couleur même, franchissent, en un clin d’œil, des espaces immenses, pénètrent à travers des corps très compacts, tels que le verre, à travers l’eau, et y forment des milliers d’images qui se diversifient à l’infini, enfin, elles s’y réfractent, et s’y réfléchissent.

L’aimant agit à travers les corps de toute espèce, même les plus durs et les plus compacts.

Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est que, de toutes ces actions qui s’exercent dans l’air, milieu commun à toutes indifféremment, il n’en est pas une seule qui fasse obstacle à une autre : je veux dire que, dans le même temps et dans la même masse d’air, passent et repassent, dans toutes les directions possibles, tant d’images diverses d’objets visibles, tant de sons délicatement articulés, tant d’odeurs spécifiquement différentes, comme celles de la violette, de la rose, etc. ainsi que la chaleur, le froid, les vertus magnétiques, etc. et cela, dis-je, toutes à la fois, sans que l’une empêche l’autre, comme si chacune avoit ses routes particulières, ses passages propres et tellement distincts, que l’une ne pût jamais rencontrer et heurter l’autre.

Cependant, à ces exemples d’analyse, nous en joignons ordinairement d’autres, que nous appelons limites de la dissection (ou de l’analyse), Ces exemples étant ainsi accouplés, on voit, dans ceux dont nous avons parlé en premier lieu, que deux actions de différens genres ne se troublent ni ne s’empêchent réciproquement ; au lieu que, de deux actions du même genre, l’une amortit et éteint l’autre. C’est ainsi que la lumière du soleil éteint, pour ainsi dire, celle du ver luisant ; que le bruit du canon couvre la voix humaine ; qu’une odeur forte efface une odeur délicate ; qu’une chaleur d’une grande intensité étouffe une chaleur plus foible ; et qu’enfin, une lame de fer, placée entre un aimant et d’autre fer, intercepte l’action de cet aimant[48]. Mais nous renvoyons aussi ce que nous avons à dire sur ces exemples, au traité sur les adminicules de l’induction, où est leur véritable place.




Commentaire du second chapitre.

(a) Savoir : l’esprit entrecoupé, l’esprit branchu, etc. S’il ne s’agissoit, pour expliquer la formation de chaque espèce de composé, que d’y supposer un esprit de même forme, cette explication seroit bien facile ; mais un physicien qui ne se contente point de pléonasmes, demande quelque chose de plus. Au fond, toutes ses assertions, dans ce passage, sont autant de conjectures, tout au moins très hazardées, et de suppositions aussi inutiles que gratuites. Car ceux qui regardent le feu comme une substance à part, spécifiquement différente de toute autre, et très réelle, comme un fluide très subtil, très actif, très expansif et répandu dans tous les corps, ne sont point du tout embarrassés pour expliquer, à l’aide de cette seule supposition, tous ces effets dont Bacon rend raison, comme il peut, à l’aide de son esprit branchu, disséminé, etc. Par exemple, si on leur demande pourquoi cette substance, naturellement si active et si expansive, semble perdre cette activité et cette tendance à se dilater, lorsqu’elle est intimement combinée avec d’autres substances ? Ils se tirent d’affaire en lui donnant un autre nom ; la qualifiant de phlogistique, de calor, ou d’acide ignée ; et prenant ce mot pour une explication, ils réfutent les objections en ne les écoutant point. Cependant ils pourroient y faire une réponse satisfaisante ; savoir : que la substance ignée, comme toutes les autres, n’a d’action sensible que dans les cas où ses particules se trouvent réunies en certaine quantité, par une cause intérieure ou extérieure ; que, dans leur état de dissémination entre les parties de la matière inerte, étant trop isolées et trop foibles pour vaincre la résistance que leur opposent ces parties, et se réunir à celles de leur propre espèce, elles y sont dans une apparente inertie, et y dorment, pour ainsi dire, comme le génie ou la vertu de tout homme qui se trouve relégué parmi des hommes qui ne lui ressemblent point. Voilà ce qu’ils pourroient dire, s’ils ne se payoient plus aisément de mots que de raisons. Mais, comme nous l’avons vu dans la première vendange (ou conclusion provisoire), notre auteur ne regarde point le feu comme une substance particulière, mais comme un certain mode de mouvement. Il est donc obligé, pour expliquer ce développement, ce mouvement du centre à la circonférence, qu’on observe dans tant de composés, d’y supposer quelque chose de semblable à cet esprit, ou d’y loger (à l’exemple des physiciens mystiques) les moins illustres de ces substances de si haute extraction, qui font tout précisément avec rien, qui poussent un corps sans y toucher, et qui, toutes incorporelles qu’on les suppose, agissent pourtant comme des corps, supposition qui a bien d’autres inconvéniens ; car la génération étant sœur et peut-être fille de la putréfaction, si l’on attribue à ces substances de nature supérieure, même à la première de toutes, la vile fonction de figurer les corps organiques ; on est obligé de l’embourber dans des matières fétides, putrides, excrémentielles, etc. fi. Ainsi, abandonnant et les suppositions gratuites de Bacon, et celle des mystiques, avec ses sales conséquences, parlons raisonnablement et proprement. Si, durant l’hiver, je me promène dans une campagne, j’y vois tout mort et engourdi. Et si, quelques mois après, je repasse dans le même lieu, j’y vois tout germer, croître et se développer ; j’y vois le nature entière ressuscitée ou rajeunie.

Qu’est-il donc arrivé de nouveau entre ces deux époques ? Le soleil, qui étoit peu élevé sur l’horizon ; et qui n’y demeuroit que huit heures, est actuellement fort élevé et y demeure quatorze à quinze heures. Qu’est-il donc besoin de supposer dans notre tourbillon, d’autre esprit, d’autre âme que celle-là ? De plus, les parties de la matière solaire (comme nous le disions plus haut) qui, étant disséminées entre les parties de la matière inerte, s’y trouvent assez libres pour pouvoir combiner leur substance et leur action avec celles des autres particules de même espèce qui les avoisinent, agissent en petit, comme agit en grand l’astre dont elles sont détachées, et sont comme autant de petits soleils qui représentent le soleil proprement dit. Elles lui ressemblent et peuvent porter le même nom, puisqu’elles produisent les mêmes effets ; elles éclairent et elles échauffent : que fait-il de plus ? Quand il sera question de la pensée et de la volonté, que des particules solaires n’expliquent point du tout, nous ferons d’autres suppositions.

    l’époque où la substance qu’il renferme, subit un certain genre ou mode de putréfaction.

  1. Qu’on n’observe ordinairement que dans leurs résultats complets, et dans la totalité de leurs périodes.
  2. À l’aide de ces exemples, ce qu’on ne peut observer directement dans les sujets imperceptibles qui sont l’objet d’une recherche, on tâche de l’entrevoir et de le deviner, en observant des sujets sensibles et analogues à ces premiers sujets.
  3. Ils montrent que la division et la subdivision des corps et des mouvemens, a un terme et des limites.
  4. Ce mot a vieilli ; mais je suis forcé de le rajeunir ; car, lorsque nous parlons au pluriel et de ces lunettes dont il parle ici, et de celles qui servent à voir les objets éloignés, nous n’avons plus, dans la langue vulgaire, de mots pour les distinguer.
  5. Ils nous apprennent ce que nous ne pouvons apprendre sans le voir, et ce que, sans le secours de ces instrumens, nous n’aurions pas vu. J’aimerois autant dire d’un médecin qui a guéri un paralytique, qu’il lui a rendu l’usage de ses bras ou de ses jambes, et rien de plus. Les bésicles sont, pour les vues foibles, ce que les télescopes sont pour les bonnes vues.
  6. Cet inconvénient dont il parle, n’a plus lieu pour les liqueurs qu’on a depuis observées avec tant d’exactitude ; qu’on sait aujourd’hui de combien de parties est composé un globule du sang, et de quelle figure sont ces parties. Quant aux solides, on a encore presque entièrement levé cet inconvénient, soit en les coupant par tranches extrêmement minces, et demi-transparentes, lorsque cela est possible, soit en les éclairant en dessus, à l’aide d’un miroir concave argenté ; ce qui permet de placer successivement au foyer de la lentille objective, et met en état de voir nettement les différentes parties d’un objet assez grand.
  7. Les télescopes de réfraction, où lunettes astronomiques, composées d’un objectif et d’un oculaire, tous deux convexes. Galilée est bien le premier qui ait construit une lunette astronomique proprement dite ; mais il n’est pas le premier qui ait découvert la propriété de la combinaison d’un objectif convexe avec un oculaire convexe ou concave. Il paroit que nous en devons le premier aperçu à un lunetier d’Alkmaër en Hollande, à qui le hazard en fit présent ; ses enfans, dit-on, s’étant aperçus qu’en regardant un clocher à travers deux verres de lunette, de foyers très différens et parallèles entr’eux, cette disposition en amplifioit et en rapprochoit l’image.
  8. Quelle astronomie !
  9. Il veut parler des satellites de Jupiter que Galilée avoit déjà découverts ; au mot étoile, il faut substituer presque par-tout le mot planète.
  10. Comme il nie la réalité du mouvement diurne de la terre ; ce passage doit être ainsi paraphrasé : Que la terre n’est pas l’unique centre, le centre commun autour duquel toutes les planètes font leur révolution ; mais qu’il en est qui tournent autour d’autres planètes (par exemple, des satellites de Jupiter autour de cette planète).
  11. Cette sélénographie a été faite ; et l’on a même adopté ce nom qu’il donne à la description de la surface de cette moitié de la lune qui est constamment tournée vers la terre : on trouve cette carte dans chaque volume de la connoissance des temps.
  12. Par le père Scheiner : c’est on observant ces taches, qu’on a découvert la révolution du soleil (en vingt-cinq jours et quelques heures) au tour du centre commun de gravitation de tout notre système.
  13. Mauvais raisonnement, Les observations qu’on n’a pas faites ne sont point une raison pour douter de celles qu’on a faites : l’on peut avoir vu très nettement tout ce qu’on a observé, et n’avoir pas observé tout ce qu’on auroit pu voir.
  14. Sous ce genre, il faut comprendre tous les instrumens d’arpentage et d’astronomie, etc. Voyez Dion, instrumens de mathématiques ; le recueil des machines présentées à l’Académie des sciences, les meilleurs traités d’hydrographie, d’astronomie ; de trigonométrie-pratique, etc.
  15. Le lecteur doit être d’autant moins étonné de voir si souvent notre chancelier appliquer avec assez de justesse les termes de jurisprudence, au sujet qu’il traite dans cet ouvrage, que ce sujet a en effet beaucoup d’analogie avec ceux dont il étoit journellement occupé par état. Car un délit est un fait dont l’intention du coupable est la cause ; un testament est aussi un fait dont les dernières volontés du testateur sont encore la cause. Une loi est une règle impérative et sanctionnée par une peine ou une récompense, ou l’une et l’autre ; laquelle est fondée sur un principe qui a pour base l’observation et l’expérience de tel besoin général ou local de l’humanité, et des moyens de le satisfaire, etc. Ainsi la science de l’homme de loi, et cette partie de la logique qui a pour objet la recherche des causes, ont beaucoup de règles communes, et peuvent s’éclairer mutuellement. C’est ce que j’ai souvent vérifié en détail avec Hérault de Séchelles (ci-devant avocat général au parlement de Paris), une des innombrables victimes de cette révolution.
  16. En mettant moins d’esprit et sur-tout moins de suppositions gratuites et mystérieuses dans l’explication de ce phénomène ; ne suffiroit-il pas, pour en rendre raison, de dire que les acides flottans dans l’air et dans l’eau, attaquent et dissolvent continuellement la surface de ces métaux, et y forment cette espèce de chaux métallique, qu’on appelle la rouille ? Ces acides, il est vrai, sont très foibles et en très petite quantité ; mais la continuité ou la réitération de leur action peut en compenser la foiblesse.
  17. Si l’insecte ou l’animal plus grand qui provient d’un œuf, ne laisse pas de naître de la putréfaction ; alors le fétus qui s’engendre dans la matrice, espèce d’œuf intérieur, adhérant à la femelle ; et perpétuel, naîtra aussi de la putréfaction, et elle sera la matrice commune de tous les animaux. Il veut dire apparemment que l’insecte ne commence à se former dans l’œuf qu’à
  18. Disséminé entre les parties tangibles, et dont les particules ne sont pas contiguës.
  19. Ce mot commence à vieillir ; mais heureusement il s’est sauvé de la politique dans la métaphysique.
  20. Tout homme qui fixera son attention sur le croisement et l’entrelacement perpétuel de tous les élémens primitifs, portant par-tout avec eux les qualités primordiales qui leur sont inhérentes, et sur la contiguïté immédiate ou médiate de toutes les parties de l’univers, ne sera point étonné de nous entendre affirmer sans cesse que tout tient à tout, et qu’il y a de tout dans tout ; deux principes dont là conséquence nécessaire et immédiate est que toute la diversité des composés dépend de la quantité et de la situation de ces élémens. Encore le premier point rentre-t-il dans le second ; car, si tel corps a telle quantité de matière, c’est parce que les élémens qui le composent se trouvent tous réunis, au lieu d’être tous dispersés ; ou les uns , et les autres ailleurs. Que d’autres élémens viennent se joindre à ceux-ci, la quantité de matière de ce composé sera augmentée ; si, au contraire, quelques-uns s’en détachent, cette quantité sera diminuée. Ainsi, la différence vraiment primaire n’est pas celle qui dépend de la plus grande ou de la moindre quantité de matière, mais celle qui dépend de la situation des élémens matériels. C’était sans doute le vif sentiment de cette vérité, qui faisoit dire à Leibnitz, que pour compléter la science des mathématiques, il faudroit joindre à l’analyse de quantité, l’analyse de situation.
  21. Nous n’avons jamais vu de création ni d’anéantissement, ni rien d’analogue ; et par conséquent nous n’en avons pas même l’idée. Or, ce dont nous n’avons point l’idée, nous paroit impossible ; et cependant il est une infinité de choses très possibles dont nous n’avons, point l’idée, attendu que nous ne connoissons pas tous les possibles. Ainsi ces deux prétendus principes, tout évidens qu’ils nous paroissent, portent sur un fondement extrêmement foible.
  22. Le poids de chaque corps est proportionnel à sa quantité de matière (inerte), si toutes les parties de la matière sont également pesantes, puisqu’alors il est égal à la somme de ces parties. Or, toutes les parties de la matière sont également pesantes, puisque, dans le vuide, les corps, quels que soient leur nature, leur masse et leur volume, tombent tous avec la même vitesse.
  23. La plupart de nos physiciens supposent que tous les corps, sans exception, sont pesans, c’est-à-dire, tendent vers le centre de la terre ; mais rien de plus hazardé que cette supposition, surtout lorsqu’on l’applique au feu, à la lumière, etc. et les faits dont on l’appuie ne sont rien moins que concluans, comme nous le ferons voir par la suite.
  24. C’est-à-dire, les pesanteurs spécifiques de ces différentes espèces de corps, lesquelles sont en raison composée de la directe des poids absolus, et de l’inverse des volumes.
  25. Chose qui a des usages multipliés.
  26. Les densités respectives des substances de ces deux espèces, c’est-à-dire, les quotiens des poids absolus, divisés par les volumes.
  27. Une once de quoi ? est-ce une once de mercure ou une once d’air inflammable ? Selon toute apparence, c’est une once de la liqueur même dont il va parler.
  28. Si la fiole et le fourneau étant fort petits, la vessie eût été fort grande, il auroit eu une Montgolfière.
  29. Le poids d’une pinte d’esprit de vin est au nombre de pouces cubes, qui exprime la capacité de cette pinte, comme la différence entre le poids de l’esprit de vin de la fiole, pesé la première fois ; et le poids de cette liqueur pesée la seconde fois ; ou, ce qui est la même chose, comme le poids de la quantité d’esprit de vin convertie en vapeurs, est au volume de cette dernière quantité d’esprit de vin ; supposée encore dans l’état de liqueur. Actuellement ce dernier volume est au nombre de pouces cubes, qui exprime la capacité de la vessie (égale à deux pintes) ; ou, ce qui est la même chose, au volume de cette même quantité d’esprit de vin réduite en vapeurs, comme l’unité est à x ; le quatrième terme comparé à l’unité, donnera le rapport du volume qu’a acquis cette petite quantité d’esprit de vin réduite en vapeurs, au volume qu’elle avoit dans l’état de liqueur. Mais il manque ici la détermination du degré de chaleur qui a produit l’évaporation.
  30. Comme la boule de ce thermomètre est en haut, et, en partie, remplie d’air ; lorsque cet air se dilate, il doit faire baisser l’eau qui se trouve en dessous ; et la faire monter lorsqu’il se contracte, Mais, comme nous l’avons dit, les variations de la pesanteur de l’air, se combinant dans ce thermomètre avec celles dont il est ici question, les indications du cet instrument sont toujours équivoques.
  31. Les fonctions qu’il attribue à cette substance qu’il qualifie d’esprit, sont fort analogues à celles que certains chymistes attribuent à leur phlogistique, et que M. Sage attribue à son acide ignée, c’est-à-dire, à un certain mot qu’il lui a plu de substituer à un autre, et qu’il prend pour une cause. Nous avons démontré, dans une des notes précédentes, non-seulement qu’il existe dans l’intérieur de tous les composés, sans exception, un fluide très subtil et très actif.
  32. Il en est de ces chymistes comme de certains politiques ; ils ne savent que démolir, et ne savent pas rebâtir ou réparer.
  33. On ne voit pas distinctement l’espace que parcourt l’aiguille des heures durant une minute ; mais au bout d’une heure, par exemple, on voit qu’elle a parcouru la douzième partie du cadran.
  34. Depuis ce temps-là on est parvenu à déterminer quelques-unes de ces grandes vitesses ; par exemple, celle du son qui a été trouvée d’environ onze cents pieds par seconde, à quelques variations près, dont la plus grande a pour cause tous les vents un peu forts, et dont la direction n’est pas latérale, On a aussi déterminé à peu près celle de la lumière, qui est de quatre à cinq millions de lieues par minute. En général, les petites parties des espaces parcourus par les corps qui se meuvent avec une extrême lenteur ou une extrême rapidité, étant imperceptibles, on détermine la vitesse de ces corps, en déterminant la somme des espaces qu’ils parcourent dans un temps un peu long.
  35. C’est-à-dire, à l’aide de celle qui serait contenue dans l’organe même de la vues mais l’une et l’autre de ces deux suppositions sont purement gratuites, et, de plus, assez inutiles ; car, de même que ; dans notre espèce, il est des individus dont l’œil est assez sensible pour voir les objets clairement et distinctement, à l’aide d’un degré de lumière insuffisant pour les autres individus, il peut y avoir et il y a en effet des animaux dont l’œil, beaucoup plus sensible que le nôtre, n’a besoin, pour voir, que d’une quantité de lumière beaucoup moindre que celle qui nous est nécessaire, et qui ont, à cet égard, encore plus d’avantage sur notre espèce, prise en entier, que certains hommes n’en ont sur d’autres hommes ; animaux pour qui ce que nous appelons obscurité, est encore lumière. À proprement parler, il n’est point de nuit parfaitement close ; et ce que nous appelons la nuit, n’est qu’un jour extrêmement foible.
  36. C’est-à-dire, de cette philosophie par laquelle l’homme cessant de se regarder comme la mesure et le centre de tout, et ayant une fois bien compris que sa chétive espèce n’occupe qu’une place infiniment petite dans le système de l’univers, ne considère plus les relations des choses à son espèce, comme le premier objet de ses études, mais seulement comme un moyen de connoitre les relations générales ; connoissance qu’ensuite il appliquera à son espèces car, pour se bien servir soi-même, il faut savoir s’oublier quelquefois.
  37. Les relations sociales qui nous forcent à travailler, à parler, à sentir, à penser, à vivre, pour ainsi dire, la montre à la main, nous circonscrivent, nous clouent dans un cercle étroit d’occupations, de jouissances, de sensations, de pensées ; toujours les mêmes, et toujours commandées par notre situation. Pour faire de véritables découvertes, il faut rompre une partie de ces liens, et se livrer un peu plus à l’instinct qui tend à varier sans cesse notre état physique, moral, ou intellectuel. S’il est prouvé que toutes les vraies connoissances soient originaires des sensations, il est clair que, pour apprendre ce qu’ignorent les autres hommes ; il faut se faire un genre de vie tout différent du leur, afin de sentir et de penser autrement qu’eux, en rompant un peu les liens que le devoir n’a pas formés : mais, pour les rompre, il faudroit avoir un cœur d’acier, et la première partie de la philosophie est d’être bon, le reste est par dessus le marché.
  38. Les observations de la première espèce n’ont pas encore été faites avec toute l’attention qu’il exige ; celles de la seconde espèce l’ont été avec toute exactitude possible ; mais, en dépit de ces faits qui semblent démontrer que la formation des différentes parties de l’animal est successive, comme Harvée l’avoit avancé, quelques physiologistes de notre temps pensent que le poulet provient d’un germe préexistant, où créé long-temps auparavant ; que la fécondation et l’incubation ne font que le mettre en mouvement, et provoquer son développement. D’autres, moins mystiques, raisonnent ainsi : Si le premier coq et la première poule ont bien pu se former sans fécondation et sans incubation, à plus forte raison aujourd’hui, la même cause, aidée de ces deux opérations ; peut-elle en former d’autres entièrement. Une des loix les plus générales de la nature, et les mieux constatées, c’est celle-ci : Tous Les opposés de chaque genre se supposent réciproquement et se succèdent alternativement, sans quoi, point d’action continue, ni même d’action. Cela posé, tout animal meurt, et se décompose peu de jours ou d’années après sa formation ; il s’étoit donc composé peu auparavant. Il finit ; donc il a commencé. Pour les êtres finis, il n’y a pas plus d’éternité à parte ante (antérieure), que d’éternité à parte post (postérieure). Tout commence, finit et recommence ; voilà, en deux mots, l’histoire de l’univers. La nature, semblable à un typographe, compose une feuille, la casse, distribue ses caractères, compose une seconde feuille, la casse encore ; et ainsi de suite, à l’infini ; toutes les feuilles sont alternativement composées et détruites, et il n’y a rien d’éternel dans cette vaste imprimerie, sinon les caractères et l’imprimeur.
  39. On tâche d’observer le plus et le moins, les différens degrés d’une propriété dont on ne peut observer directement, dans aucun sujet, soit la privation totale, soit la génération ou la destruction actuelles ; ou d’observer, dans des sujets sensibles et analogues au sujet en question, ce qu’on ne peut observer directement dans ce dernier.
  40. On s’est assuré par l’expérience, qu’une chaleur forte diminue sensiblement la vertu magnétique, du moins dans l’aimant et le fer aimanté ; ce qui feroit soupçonner que la vertu magnétique n’est qu’un cas particulier de cette attraction que le globe terrestre exerce sur tous les corps placés à sa surface, ou, si l’on veut, de l’attraction universelle démontrée par Newton ; que cette vertu dans l’aimant, naturel ou artificiel, est seulement renforcée et plus développée par des causes et des circonstances qui nous sont encore inconnues. Car la cause ou force, dont l’effet propre est de produire la chaleur, de dilater les corps, et par conséquent de diminuer la cohésion de leurs parties, étant celle qui combat et qui balance la force attractive tendant à les unir ou à les rapprocher, il est clair que l’effet de la première ne peut croître sans que celui de la dernière décroisse proportionnellement. Si toutes les parties de la matière, ou du moins des corps terrestres, s’attirent réciproquement, toutes ces parties sont, les unes par rapport aux autres, autant de petits aimans, dont la chaleur produite par les rayons du soleil, et celle du feu artificiel, qui dilatent ces corps ; diminuent la force attractive, ou l’attraction actuelle.
  41. Cette dernière proposition avoit alors grand besoin de preuves ; mais elle est aujourd’hui assez solidement établie : l’air de l’atmosphère semble n’être qu’un composé des débris de tous les corps (pulvérisés ou rendus fluides par leurs dissolutions, écornés par les chocs, ou limés par les frottemens réciproques) ; composé dont une eau extrêmement dilatée et convertie, par cette extrême dilatation, en substance aériforme on pneumatique, formeroit la plus grande partie.
  42. Ce qui peut dépendre de leur extrême atténuation ou subdivision, et de l’isolement de leurs parties ; circonstance dont l’effet est qu’elles ont moins de force pour se dégager des particules de nature opposée, par la même raison que cent hommes ont plus de peine que cent mille hommes à se tirer d’un pays ennemi ; par la raison que l’union des petites forces est le principe des grandes. J’ai été forcé, pour-rendre ce passage intelligible, d’intercaler plusieurs mots dans le texte ; car, autant l’auteur est prodigue de mots dans ses préambules et sa nomenclature, autant il en est avare dans l’exposé du sujet même, et lorsqu’il serait bon de s’expliquer un peu plus. Mais, pour bien entendre ce qui précède et ce qui suit, il faut distinguer trois espèces, ou plutôt trois différens degrés de mélange et cinq circonstances dont ils dépendent. Ces circonstances sont la grandeur ou la petitesse des parties du composé ; leur égalité ou inégalité, leur ordre ou leur désordre, leur plus ou moins de simplicité ou de composition ; enfin, leur plus où moins d’adhérence soit aux particules de leur espèce, soit à celles du fluide avec lequel elles se trouvent mêlées. Cela posé, si deux substances hétérogènes sont mêlées par portions un peu grandes, sans décomposition de ces parties ; et sans que les parties de même espèce puissent adhérer les unes aux autres, on peut donner à ce premier genre ou degré de mélange le nom de juxta-position ou de confusion. Si elles se mêlent par portions plus petites, déjà un peu décomposées, un peu adhérentes et arrangées avec un certain ordre, ce mélange peut prendre le nom de composition. Enfin, supposons-les mêlées par parties extrêmement petites, dont chacune soit un de leurs élémens constitutifs, qui soient à peu près égales et disposées dans le même ordre, et qui adhèrent avec une certaine force aux parties de même espèce, soit en vertu de leur affinité réciproque, soit par l’effet de la pression ou de la répulsion des parties environnantes, ce mélange pourra s’appeler mixtion, en prenant ce mot dans le sens que les scholastiques y avoient attaché, si toutefois ils y attachoient en effet quelque notion déterminée ; ce qui nous paroit assez douteux. Enfin, lecteur, après avoir fuit avec nous toutes ces fines distinctions et cette profonde analyse, il se pourroit que vous n’entendissiez pas mieux ce passage, que l’interprète de Bacon et que l’auteur interprété. Dans tout écrivain qui possède sa langue, l’obscurité est fille de l’erreur ; et la clarté, fille de la vérité. Quand on a réellement saisi une vérité utile, on a tout à la fois le besoin, le désir et le faculté d’être parfaitement clair, Mais, quand ou se trompe, on s’enveloppe et l’on obscurcit ses expressions, pour mettre son ignorance dans l’ombre.
  43. Il ne dit point ce qu’il entend par incorporation, mélange, composition, confusion, etc.
  44. En laissant de côté sa défectueuse nomenclature, pour déterminer les idées, leurs rapports et la signification des mots, disons qu’il y a ici trois différences ou modes distincts à considérer ; savoir : des parties ténues ou grossières, adhérentes ou non adhérentes, rapprochées ou dispersées.
  45. Ce point a été décidé depuis quelques années par Priestley et ce grand nombre de chymistes qui ont observé dans le plus grand détail les propriétés des diverses substances aériformes ou gas ; tels que gas méphitique, inflammable, nitreux, acide marin, acide spathique, etc.
  46. Un des plus grands analystes qui aient existé, et qui a même outré l’analyse, en la poussant jusqu’aux atomes.
  47. Ce sont aussi des espèces d’archets, de boute-feux, de fouëts ou d’éperons ; en ébranlant l’imagination, la partie impulsive de l’esprit, ils lui donnent de l’activité, ce qui est l’essentiel, et ce genre d’activité qui fait les originaux ; car le principal vice de la plupart des esprits, c’est la paresse, l’inertie, ou une activité de singe qui les rend prompts à imiter, en grimaçant, tout ce qui brille, où simplement tout ce qui remue ; il en est peu qui aient un mouvement propre et spontanée ; presque tous empruntent leur mouvement des autres hommes, et attendent, pour se tirer de leur engourdissement, que certains esprits actifs, constans et dominateurs leur donnent l’impulsion, et les mettent en train. L’esprit original est celui qui ne tire sa direction et son impulsion que de ses propres observations et de ses propres réflexions.
  48. Elle ne l’intercepte pas ; mais, comme l’action de l’aimant s’exerce et s’épuise même sur le fer interposé, cet aimant ne peut plus avoir d’action sur l’autre fer placé au-delà de l’obstacle. Tous les physiciens expérimentaux que j’ai lus, ou dont j’ai suivi les cours, ont donné, après Bacon, et peut-être d’après lui, dans ce paralogisme que je relève ici ; je ne sais même s’il ne s’est pas un peu glissé dans le système newtonien. Car soient deux corps sphériques, peu éloignés l’un de l’autre et qui s’attirent réciproquement. Supposons de plus que chacun de ces deux corps soit divisé en tranches verticales, parallèles entr’elles et à celles de l’autre. Cela posé, les tranches antérieures de chacun seront, par rapport à ses tranches postérieures et aux tranches antérieures de l’autre, ce que ; dans l’exemple cité, le fer interposé est par rapport à l’aimant et au fer placé de l’autre côté. Par exemple, la première tranche antérieure du corps A exerçant et épuisant même sa force attractive sur la première tranche antérieure du corps B, elle n’agira pas immédiatement sur la seconde tranche de celui-ci ; mais médiatement et par l’intermède de la première : et comme la seconde tranche de B est adhérente à la première, la tranche antérieure de A n’attirera pas cette seconde tranche de B, mais elle la tirera par le moyen de la première tranche du même corps ; et il ne sera pas vrai que les corps très voisins s’attirent réciproquement en raison de la totalité de leur masse ; ce sera, en partie, une attraction, et, en partie, une traction.