Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise/01

chapitre premier

Les début de la renaissance à Lyon

Quiconque se promène aujourd’hui dans les quartiers de Lyon situés entre la montagne de Fourvière et la Saône — les seuls du seizième siècle qui subsistent encore, et d’ailleurs menacés par l’esprit moderne — est frappé par la singulière architecture de ces rues plus larges et plus régulières que celles d’autres villes de France qui ont gardé le caractère de ce temps. À côté d’édifices de la dernière période gothique, on trouve des maisons qui dénotent une nouvelle manière de penser et de vivre. Ailleurs en France, on rencontre des maisons bourgeoises qu’on dit construites dans le style de la Renaissance, mais auxquelles on a simplement ajusté des ornements „à la mode italienne‟ ; les maisons lyonnaises au contraire marquent un progrès de l’architecture par le plan même et par la disposition du bâtiment. Les façades en sont régulières, l’entrée large, hospitalière ; les escaliers sont larges et commodes, les appartements hauts et grands, presque comme dans les palais florentins.

Mais ce qui donne surtout à ces maisons leur caractère Renaissance, ce sont les vastes fenêtres qui éclairent les appartements. Elles rappellent une race qui avait un grand besoin d’air, de lumière et de liberté, une race pour qui la Renaissance n’était pas une simple mode, mais une affaire de cœur et d’esprit.

Comment cette société s’est-elle formée ? Comment a-t-elle passé des ténèbres du moyen-âge à la nouvelle lumière, à cette Renaissance lyonnaise qui a été plus rapide et plus complète que celle d’aucune autre ville ou province de France ?

Pendant les troubles du moyen-âge, le territoire de Lyon avait été partagé entre l’empire et la France, et la ville fut gouvernée par son archevêque. Toutefois Lyon avait réussi à se délivrer peu à peu du joug ecclésiastique et à se mettre sous la protection des rois de France qui lui laissèrent toute liberté dans son administration et qui accordèrent à ses bourgeois presque tout ce qu’ils demandaient. Car la ville était riche et constituait une forteresse puissante contre tout ennemi de l’est et du sud du royaume.

Le commerce ne rencontrait que peu d’obstacles et le marché de Lyon qui était déjà au moyen-âge un des plus grands de la France, allait devenir un des premiers de l’Europe, le premier peut-être après Venise. Située aux frontières de la France, du Dauphiné et de la Savoie, sur deux fleuves navigables qui la mettaient en communication directe avec la Bourgogne, la Suisse et la Provence, elle était en même temps la porte principale du commerce italien avec le nord de la France, les Pays-Bas et une partie considérable de l’Allemagne[1]. Les rois, dès le commencement du quinzième siècle, autorisèrent donc la ville à avoir deux, plus tard même quatre foires franches par an, chacune de la durée de quinze jours. Les commerçants les plus actifs de l’Europe s’y réunissaient pour contracter leurs affaires ; les productions les plus diverses de tous les pays y étaient échangées[1]. De petits artisans qu’ils avaient été autrefois, les Lyonnais se transformaient en commerçants aux vues larges et aux entreprises hardies.

Les financiers les plus habiles et les plus influents que l’Europe connût à cette époque, les Florentins, s’aperçurent bientôt qu’un tel centre commercial était le terrain le plus favorable à leurs entreprises. Nous trouvons dès le milieu du quinzième siècle quelques succursales des grandes maisons de banque florentines à Lyon, les Médicis, les Strozzi, les Capponi, les Gondi, les Guadagni, les Arnolfini et autres qu’il serait inutile de nommer ; environ soixante familles italiennes sont mentionnées dans les documents lyonnais de ce temps ; la plupart sont connues pour leur richesse, leurs relations puissantes, leur amour des lettres et des beaux-arts[2].

Leur influence sur le commerce lyonnais s’accentuait de plus en plus ; ils savaient se rendre indispensables. Lorsque Charles VIII eut chassé hors de France, dans un moment de colère, les employés de la banque de Médicis, les commerçants de Lyon furent dans la plus grande consternation. Ils craignaient de perdre leurs relations avec les Italiens qui étaient les plus lucratives qu’ils eussent, et l’avantage des banques qui se chargeaient de leurs opérations financières.

La colonie italienne allait cependant toujours grandissant. Elle avait son propre consul et jouissait de plusieurs libertés politiques. Les Florentins attiraient des Lucquois et des Piémontais, les banquiers des marchands et des industriels[3]. De cette manière, les industries italiennes s’introduisirent à Lyon, surtout l’orfèvrerie, la lutherie et tout particulièrement la fabrication de soieries qui est restée la source principale de la richesse lyonnaise jusqu’à ce jour. Des artistes italiens passaient par Lyon[4] ou allaient même s’y domicilier ; par exemple le médailleur Niccolo Spinello de Florence qui frappa en 1490, à l’occasion du séjour de Charles VIII et d’Anne de Bretagne, une médaille de commémoration, la première en France[5]. Les Florentins avaient leur chapelle dans l’église des Dominicains ; ils l’ornaient avec cet art exquis qu’ils avaient apporté de leur patrie ; on y admirait un tableau de Salviati, représentant l’Incrédulité de Saint-Thomas.

Les guerres d’Italie ne purent pas arrêter la marche rapide de Lyon vers la richesse et une civilisation plus raffinée, tout au contraire. Pendant que toute la France souffrait terriblement de ces guerres qui éloignaient d’elle, et des travaux de la paix, tant de forces humaines et tant de moyens de subsistance, pendant que des familles nobles, des villes et des provinces s’appauvrissaient, la grande ville commerçante sur le Rhône savait tirer des avantages considérables de la guerre même. Charles VIII fit de Lyon, dès le temps où il préparait sa première expédition d’Italie, la base de ses opérations. Aucune autre ville n’était plus apte à remplir cette fonction. C’est là que se croisaient les routes qui devaient amener les différentes parties de son armée : les chevaliers français et les contingents de ses villes, les lansquenets allemands, les fantassins suisses ; le commerce lyonnais pouvait très bien se charger des fournitures de l’armée ; enfin il n’y avait dans aucune ville de la France autant d’hommes capables de donner des renseignements sur l’Italie ; les premiers d’entre eux étaient les banquiers florentins dont la patrie resta presque toujours l’amie et l’alliée des rois de France.

Ces expéditions étaient donc pour Lyon une nouvelle source de richesse et d’animation intellectuelle et sociale à la fois. La cour séjournait très souvent, presque toujours pendant la guerre, dans la ville, ce qui fit pour longtemps de Lyon la vraie capitale de la France. Il y eut à cette époque une certaine émulation, une jalousie même entre les Lyonnais et les Parisiens, qui considéraient d’un œil jaloux le transfert de la cour à Lyon, et les hommages qu’on rendait à ses femmes dans les somptueux tournois et les riches banquets[6]. Les courtisans et les dames que la cour avait amenés à Lyon, y restaient volontiers, et il semble que la ville devint souvent une espèce de Capoue pour les armées françaises. Les chevaliers allaient y dépenser, dans l’espoir de faire un riche butin, l’argent qu’ils avaient apporté de chez eux ; et, au retour de leurs campagnes, une partie de ce butin même passait dans les mains des Lyonnais.

Pour bien divertir la cour et la noblesse, on fit tout ce qu’on put ; les chansons populaires ne se lassent pas de parler de la gaîté et de la bonne chère lyonnaises. La ville étalait sa richesse et sa libéralité dans ces entrées solennelles dont nous parlerons dans un chapitre suivant[7] ; elle égayait ses hôtes par des représentations théâtrales très nombreuses. Le vieil idéal de galanterie moyen-âgeuse personnifié par le chevalier sans peur et sans reproche était ressuscité par la lecture de romans de chevalerie ; on faisait donc plus fréquemment des joutes, tournois, combats à la barrière et autres entreprises d’armes à plaisance qu’il ne s’était fait longtemps auparavant… Ces bouhourdis se faisaient par les rues de la ville. Le plus souvent les grandes chevaleries se faisaient dans la rue de la Juiverie, parce que là les chevaliers en queste trouvaient les plus belles et bonnes aventures selon ce qu’ils désiraient[8]. On s’efforçait aussi de captiver la foule des étrangers et des gentilshommes par les charmes d’une société qui commençait déjà à être instruite et galante. Steyert, dans son histoire de Lyon, nous raconte beaucoup de ces fêtes où l’on dansait et où l’on s’entretenait courtoisement. Les demoiselles lyonnaises étaient très aimables ; après le départ des chevaliers il y eut chez elles une singulière épidémie de suicide dont il ne serait pas délicat de rechercher les causes. Charles VIII goûtait si fort le plaisir de leur société qu’il en négligeait même ses devoirs de monarque[9]. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la cour fût enchantée de ces séjours et aimât à retourner dans la ville hospitalière et gaie, où l’on goûtait si bien les délices et les plaisirs, la grande chère et le merveilleux passetemps[10].

Le luxe des Lyonnais se rendit cependant toujours plus célèbre, et s’augmentait surtout par le riche butin consistant en grande partie en objets d’art apportés d’Italie et revendus sur le marché de Lyon. Un document de l’année 1495 fait mention d’un payement de 1593 livres tournois pour le menaige, voiture et conduire depuis Napples jusqu’en la ville de Lyon de plusieurs tapisseries, librairies, poinctures, pierre de marbre et de porfire et aultres meubles, lesdites choses pezent en tout 87,000 livres ou environ[11]. La vie lyonnaise prit de cette façon un cachet qui différait beaucoup de celui des autres villes de France : les maisons, les vêtements, les objets usuels, tout était fait à la mode italienne, avec tout le luxe que les banquiers florentins avaient fait connaître aux riches bourgeois de Lyon[12].

Ce qu’il y a de plus important dans l’histoire lyonnaise pendant les guerres d’Italie, ce sont les nouvelles aspirations qui se développent dans l’âme des citoyens. Dans ces marchands, tous d’origine bourgeoise, qui n’ont connu jusque là que leur métier et qui se sont plu dans une vie humble et paisible, ne connaissant pas d’autres jouissances que le gain et le repos après le travail, éclate enfin la joie de vivre, qu’avait préparé depuis longtemps l’exemple de leurs concitoyens italiens. Ils apprennent enfin à se servir des richesses accumulées, ils comprennent qu’il y a des jouissances élevées et raffinées qu’ils n’ont pas encore goûtées et qui sont à leur portée.

Par le contact avec la joie et avec l’Italie, ils se préparent à la nouvelle manière de penser et de sentir : à la Renaissance. Et, notons-le bien, cette Renaissance n’est pas venue par des livres ou par une société de savants, par une espèce d’académie ; elle s’est introduite par la vie sociale, par des rapports directs avec des hommes du monde, des banquiers, des marchands, des industriels, et elle s’est développée sous l’influence de l’art et du luxe italiens, dans une société qui s’adonnait à la gaieté et à des fêtes auxquelles les femmes prenaient part. Voilà pourquoi la Renaissance lyonnaise est polie, galante, sans aucune inclination à la gauloiserie du moyen-âge, bien différente de celle du nord de la France qui a fait naître Rabelais et la plupart des humanistes français. Dans l’âme de ceux-ci, l’éveil s’est fait par suite de lectures assidues des auteurs grecs et romains et par l’étude soignée de la jurisprudence et de la médecine. Voilà aussi pourquoi les femmes prennent une part si vive à la vie littéraire de Lyon, beaucoup plus que dans aucune autre ville de la France.

On ne s’étonne donc pas de voir se développer à Lyon pendant les préparatifs des guerres, entre les victoires et les défaites des armées françaises en Italie, une littérature locale qui montre déjà beaucoup des qualités de l’esprit de la Renaissance. On pourrait appeler cette première période de la littérature lyonnaise d’après son principal représentant l’Époque de Symphorien Champier.

Mais avant de caractériser cette école littéraire, il nous faut parler d’un fait qui a été très important pour son développement : c’est l’introduction de l’imprimerie à Lyon. On a déjà tant écrit sur cette matière[13] que je peux me borner ici à quelques remarques. On sait que Lyon était déjà dans le dernier quart du quinzième siècle[14] une des places les plus importantes de la librairie en Europe, et cette importance alla grandissant jusqu’aux guerres religieuses[15]. Vers le milieu du seizième siècle, Lyon n’est surpassé que par Venise pour le nombre, les qualités artistiques et la correction de ses éditions et pour la variété des matières traitées. Claude de Nourry et François Juste s’occupent surtout de l’impression de livres français destinés au peuple ; on sait le rôle qu’ils jouent dans la vie de Rabelais.

Sébastien Gryphe, un des nombreux Allemands qui ont travaillé à cette époque comme imprimeurs à Lyon, est l’éditeur lyonnais le plus célèbre pour les auteurs latins et grecs ; ses magnifiques éditions tiennent le premier rang après celles des Alde. L’influence qu’il a exercée sur le développement des lettres lyonnaises, a été très efficace ; il a occupé dans ses officines Guillaume Scève, Rabelais et Dolet ; il a formé les imprimeurs-éditeurs Jean de Tournes et Guillaume de Roville qui ont continué son œuvre. Si nous avions une étude biographique consciencieuse sur cet imprimeur, nous verrions beaucoup plus clair dans la marche de la Renaissance lyonnaise.

L’organisation de l’imprimerie au seizième siècle est très différente de celle de nos jours. À l’époque de la Renaissance, la typographie est plutôt un art qu’un métier, et les imprimeurs sont plutôt des érudits et des artistes que des industriels. Ce ne sont pas les humanistes qui chargent les typographes d’imprimer les éditions qu’ils ont préparées ; ce sont au contraire les grands imprimeurs, comme S. Gryphe, qui occupent tout un état-major d’humanistes à corriger les livres pour lesquels le typographe seul est responsable.

L’introduction de l’imprimerie apporte un nouvel élément dans la société lyonnaise : les humanistes allemands et français, qui se distinguent de leurs confrères italiens surtout en ce qu’ils ne savent pas bien comprendre les chefs-d’œuvre de l’antiquité par leur côté esthétique et en ce qu’ils manquent d’élégance pour la plupart. Mais ils ont par contre l’avantage d’être plus consciencieux dans leurs travaux, guidés qu’ils sont par un esprit plus scientifique et plus critique. En somme ils étaient plus pédants, et aussitôt que les lettres lyonnaises commencèrent à prendre des allures scientifiques, elles se ressentirent de cette pédanterie allemande qui contraste singulièrement avec l’autre côté de la Renaissance lyonnaise, tout élégant, joyeux et italien.

L’influence des typographes s’est fait sentir encore d’une autre façon. Les imprimeurs qui sont venus d’Allemagne[16] en ont apporté les idées de Luther sur la réforme religieuse, et ils ont travaillé à les divulguer à Lyon. Les premières protestations contre la vente des indulgences partent des imprimeurs qui ont à souffrir souvent des persécutions du clergé catholique. Seb. Gryphe, Jean de Tournes, Jean Frellon qui hébergeait Calvin, et d’autres typographes d’importance inclinaient aux idées nouvelles. Vers le milieu du seizième siècle, on rencontre chaque soir des bandes d’imprimeurs qui se promènent sur les quais du Rhône, en chantant des psaumes de Marot.

Il va sans dire que l’imprimerie était pour les Lyonnais comme une source où ils puisaient l’instruction classique et italienne, base nécessaire de cette littérature lyonnaise dont le chef est Symphorien Champier et qui se développe parallèlement à la dernière période de l’école des rhétoriqueurs sous Lemaire des Belges.

Symphorien Champier[17] était médecin. Né en 1471 à Saint-Symphorien-le Château d’une famille bourgeoise aisée, il étudia à Paris et fut promu docteur à l’Université de Montpellier. Bientôt après, il vint se fixer à Lyon. Il prit part aux campagnes d’Italie, surtout sous François I. Dans les intervalles de paix, il restait à Lyon où il s’adonnait à ses travaux littéraires. On le fêta beaucoup en Italie, surtout à l’Université de Pavie où il joua un grand rôle. Dans sa patrie, il occupa les imprimeurs par une cinquantaine de petits ouvrages dont la plus grande partie est écrite en langue vulgaire. C’était un homme d’allures très « scientifiques », déjà quelque peu universel. À côté d’ouvrages sur la médecine qui n’ont guère avancé les sciences médicales[18], il a laissé des études historiques où il se montre superficiel, inexact et peu digne de foi, des poèmes et des ouvrages moraux en prose, qui lui ont valu le titre de docteur en théologie, mais qui le classent parmi les rhétoriqueurs les plus médiocres. Et pourtant nous trouvons déjà chez lui cette espèce de „féminisme“, ce culte de la femme qui lui est commun avec les Lyonnais d’une époque postérieure. Cette qualité se manifeste surtout dans la Nef des Dames vertueuses (1503).

Lemaire des Belges était de ses amis ; il venait le voir, quand il visitait les imprimeurs qui s’occupaient de ses ouvrages. Lemaire ne perd jamais une occasion de chanter la belle ville hospitalière :

Le chef de la Gaule celtique,
Reflourissant comme un autre Ilion,
Et surcroissant en sa valeur antique[19].

Il l’appelle cité très noble et antique, le second œil de France et de tous temps élevée en grand prérogative[20]. Un de ses meilleurs amis lyonnais est le peintre et poète Jehan Perréal (appelé aussi Jehan de Paris)[21]. Ce Perréal avait été le principal architecte de l’église de Brou à Bourg-en-Bresse qui fut le mausolée des protecteurs de Lemaire. La ville de Lyon l’employait pour arranger les entrées solennelles et autres fêtes, et pour faire les décorations des mystères et autres pièces de théâtre.

Le meilleur ami de Perréal était Pierre Sala (mort après 1529) qui lui dédia le Livre de l’Amitié, un recueil de dictons sur l’amitié tirés des Pères d’Eglise et de quelques écrivains de l’antiquité[22]. Sala était issu d’une des familles les plus riches de Lyon ce qui lui permit de se livrer exclusivement aux études littéraires. Vers 1490 il s’installa dans une maison de campagne sur la montagne de Fourvière, appelée l’Anticaille, au milieu des ruines de l’antique Lugdunum. Il y mena la vie d’un riche amateur. Les amis de Symphorien Champier se retrouvaient souvent dans des réunions qui n’avaient rien d’officiel. La lettre qui nous en a transmis la notice a donné lieu à la célèbre légende de l’Académie de Fourvière à laquelle ont encore ajouté foi Sainte-Beuve, Thibaut et P. Steyert, le dernier historiographe de Lyon[23]. Elle est écrite par un ami, Humbert Fournier, à Champier, et publiée par ce dernier dans le Tropheum gallorum de 1507. Elle contient la description d’une assemblée qui ne semble pas avoir été la seule, et qui eut lieu dans la maison d’un ami commun, située sur le coteau de la montagne de Fourvière. Rien n’y fait supposer une société organisée avec un but précis ; ce n’est point du tout une académie. La lettre même prouve que ces assemblées étaient sans date fixe et sans aucun règlement.

Elle nous cite aussi les noms des amis qui y étaient ; nous voyons entre autres le médecin Gonsalve de Tolède, le théologien André Victon, et Jean Lemaire des Belges. Elle nous apprend ce qu’était la conversation dans un cercle scientifique de Lyon dans les premières années du seizième siècle. Nous parlons de bien régler les mœurs, de polir et de perfectionner l’esprit par la culture des sciences utiles. Quelques amis nous rendent visite, et, laissant les sujets sérieux, nous nous égayons par de petits contes et par des plaisanteries qui n’ont rien de mordant. On cause des nouvelles des cours et des événements politiques. — Humbert Fournier déclamait des sonnets en rimes toscanes, un autre des morceaux oratoires, un autre encore des fragments de pièces de théâtre. André Victon aimait à s’entretenir de sujets graves tels que l’incertitude de la vie et la nécessité de la mort. Tantôt on faisait un peu de musique, tantôt on se délassait à des jeux divers. Ces passe-temps agréables recevaient un atrait nouveau de la vue qui se présentait aux regards ; après avoir passé sur les innombrables maisons de la ville, les yeux parcouraient un immense paysage[24].

C’est le hasard des sources historiques de ces temps qui nous a transmis des notices d’un seul de ces cercles littéraires et philosophiques ; je ne doute pas qu’ils aient été assez nombreux à Lyon. À cette époque déjà, la société y était internationale ; à côté de banquiers italiens qui y avaient apporté toute la civilisation raffinée, tout le culte du Beau de Florence, il y avait des imprimeurs allemands qui étaient toujours au courant de toutes les nouvelles publications dans le monde des sciences et des belles-lettres.

Malgré leur organisation politique assez indépendante, les „nations“ florentine, lucquoise et allemande ne devaient pas être très exclusives. Nous voyons par la lettre de Humbert Fournier que l’on comprenait et goûtait à Lyon la poésie italienne — si ce n’est celle de Pétrarque du moins celle de ses imitateurs — dès le commencement du seizième siècle ; fait très singificatif pour l’évolution de la poésie lyrique à Lyon. Aussi n’est-il pas sans importance de constater que les littératures antique et italienne avaient déjà donné aux Lyonnais instruits de cette époque le sentiment de la nature.

Après tant d’années de grande renommée, Symphorien Champier mourut presque oublié en 1537, au moment où florissait à Lyon une littérature toute différente de la sienne et dans laquelle nous ne voyons jamais apparaître son nom. El pourtant, ce nom est inséparable de la fondation de deux institutions lyonnaises qui ont exercé une influence capitale sur le développement de la civilisation et de l’esprit de la Renaissance à Lyon : le Collège de Médecine et l’École de la Trinité.

Le Collège de Médecine dont on ne sait pas exactement l’année de fondation, mais qui est probablement du commencement du siècle, n’était pas, à son origine, une école, une faculté au sens moderne du mot[25]. Ce n’était qu’une association des meilleurs médecins de la ville qui soumettaient chaque nouveau venu désireux d’exercer leur art, à un examen assez sévère. Ses certificats d’études et de mœurs reconnus suffisants et ses examens passés, il était obligé de pratiquer son art pendant quatre ans dans un bourg de la campagne lyonnaise avant de pouvoir l’exercer dans la ville. Parmi les médecins de Lyon il y eut plusieurs hommes universels, plusieurs humanistes. Nommons à côté de Symphorien Champier Lazare Meyssonnier, Michel de Nostre-dame, Jehan Canappe, Pierre Tolet[26], les deux Spon et — last not least — François Rabelais, qui n’aurait pas été soumis au règlement du Collège de Médecine en sa qualité de médecin déjà célèbre[27].

L’École de la Trinité était un établissement municipal, émancipé presque complètement de l’autorité ecclésiastique[28]. Une confrérie laïque de bourgeois lyonnais avait établi dans les granges du couvent de la Trinité une école plutôt modeste. En 1527, Champier et quelques-uns de ces concitoyens réussirent à soumettre cette école à l’administration de la ville qui lui donna une base assez solide pour que le nouveau collège suffit aux besoins de toute la jeunesse studieuse de Lyon. Le clergé se vit attaqué dans ses droits ; il ne fut point facile d’obtenir l’assentiment de l’archevêque François de Rohan, qui se réserva le droit d’approuver le choix du recteur. Le consulat donna tous ses soins au collège naissant, agrandit les locaux, institua quatre classes, établit une rétribution scolaire (2 sols 4 deniers) et appela des professeurs dont quelques-uns avaient déjà ou eurent bientôt de la renommée[29].

Les premiers supérieurs furent Guillaume Durand, Jehan Canappe (le même qui enseigna la chirurgie en français), Loys du Vergier, très favorable à la Réforme, puis Jean Raynier (Raynerius, Raenerius) Celui-ci fut regardé par les premiers humanistes et poètes latins de Lyon comme leur maître, à qui ils adressaient de nombreuses épigrammes laudatives et de qui ils sollicitaient les compliments.

Le plus célèbre des recteurs du Collège de la Trinité fut sans aucun doute Barthélémy Aneau[30] (Anulus) né à Bourges au commencement du siècle, appelé par le consulat comme professeur de rhétorique en 1529, principal une première fois en 1540 et définitivement en 1553. — Aneau est le représentant le plus caractéristique du côté pédant de la Renaissance lyonnaise. Ayant fait des études solides (sous l’helléniste Wolmar, l’ami de Mélanchthon), à l’Université de Bourges, avec Amyot, Bèze et Calvin, il disposait d’une instruction extraordinaire qui lui valut l’estime de beaucoup d’humanistes. Bien qu’il eût toujours professé une sorte d’indifférence correcte matière religieuse, il était protestant convaincu et mourut en martyr de sa confession[31]. Ami intime et admirateur de Marot, dont il continua la traduction des Métamorphoses[32], et de Rabelais, il aspirait à une littérature purement nationale ; il combattit les corruptions italiques surtout en moraliste sévère et en protestant, instruit peut-être par des expériences Y faites dans la société lyonnais e. Dans le Quintil Horatian[33] (ouvrage original mais pédantesque qui n’exprime aucunement les idées du milieu littéraire de Lyon, quoiqu’on en ait dit, mais seulement celles d’Aneau), il déclara la guerre aux principes exposés par Joachim du Bellay dans la Deffence et Illustration de la langue française, ne voulant point qu’on contremine l’italien en françois.

Il fut un écrivain très fécond, mais il laissa toujours apparaître dans ses ouvrages ses qualités ou défauts de régent. Pour les représentations théâtrales qui se donnaient toujours à la fin de l’année scolaire, il composa des drames dont nous sont restés quelques-uns qui ont encore toutes les qualités des moralités moyenâgeuses. Le Chant natal (1539) a été appelé à tort la première opérette ; il se base sur le mystère de la nativité et des mélodies populaires. Le Lyon marchant (1542) est une pièce satirique sous forme d’allégorie, à peu près dans le genre des „revues“ parisiennes de nos jours. Dans les Décades (dizains) de la description, forme et vertu naturelle des animaux (1549 et 1550), il suit le chemin battu et rebattu des vieux bestiaires. Dans le roman moral et allégorique Alector ou le Coq {1560) il est encore complètement sous l’influence des grands rhétoriqueurs. Le reste de ses œuvres, pour lequel je renvoie à Colonia[34] et à Montfalcon[35], consiste surtout en traductions et en livres de classe et d’occasion dont je fais grâce au lecteur.

Quand on pense que la plupart des Lyonnais lettrés ont passé sous la férule de ce pédant, on se gardera de taxer trop bas l’influence qu’il a exercée sur le courant des idées à Lyon. Malgré son pédantisme et son esprit conservateur, c’était un homme qui ne manquait pas de bon sens et qui pouvait se mesurer avec tout Lyonnais quant au savoir universel. Un extérieur agréable, un caractère sociable et une parole facile le faisaient rechercher dans le monde. Mais son influence ne fut pas très favorable au développement de la littérature : par sa critique souvent trop juste et par sa satire âpre et blessante, il enrayait l’élan des jeunes novateurs et ralentissait ainsi la marche de la Renaissance lyonnaise.

Lyon ne manquait donc pas de points d’attraction pour des savants ; surtout pour des humanistes. Résumons encore une fois : une société bourgeoise, riche, qui avait conçu le besoin d’instruction et de jouissances artistiques et littéraires dans son commerce avec les hommes les plus avancés du siècle et dans une série ininterrompue de fêtes magnifiques ; l’imprimerie qui occupait beaucoup de savants comme éditeurs et correcteurs ; le Collège de Médecine qui allait compléter une instruction encore trop peu universelle ; l’Ecole de la Trinité qui ne dépendait que très peu du clergé, et point de l’Etat, et qui répondait si bien à cet idéal de l’école de la Renaissance qu’on pouvait y être en même temps professeur et étudiant ; et, le plus grand avantage de Lyon à cette époque : la grande liberté de pensée, semblable à celle de Rome Sous Léon X, en contraste avec Paris où la Sorbonne d’un côté, le Parlement de l’autre, allaient tyranniser les esprits et les soumettre aux autorités approuvées de l’Eglise et de l’État.

Il y eut donc bientôt à Lyon un nombre assez considérable d’humanistes. Nous avons déjà mentionné les recteurs du Collège de la Trinité et les plus célèbres des médecins. Vers 1536, les nombreux humanistes qui étaient en partie professeurs au Collège, en partie précepteurs, en partie correcteurs chez les imprimeurs, se mirent à publier des poésies latines qui ont presque toutes le caractère d’une correspondance privée. Ils inaugurent ainsi une deuxième période de la littérature lyonnaise : celle des Humanistes, qui joue un rôle si important dans la vie de Maurice Scève que nous lui consacrerons un chapitre spécial.

Un autre groupe de savants est celui des Archéologues. La ville de Lyon possédait au seizième siècle un nombre beaucoup plus considérable de restes de l’antiquité qu’elle n’en a aujourd’hui, et aussitôt que le goût pour la littérature antique fut éveillé, on s’occupa à expliquer leur signification, et à déchiffrer les inscriptions de l’ancien Lugdunum, à l’aide des historiens anciens qui parlent de l’illustre capitale de la Gaule. Déjà Symphorien Champier aimait à reproduire, dans ses travaux soi-disant historiques, des inscriptions latines pour donner plus de poids à ses assertions. Les grands archéologues lyonnais qui le suivirent dans cette voie, étaient de riches amateurs point gênés dans leurs recherches par le soin du pain quotidien, et qui pouvaient se permettre les dépenses qu’exigent des collections de cette sorte.

Un des premiers fut Pierre de Sala, l’ami de Jehan Perréal (cf. p. 9). Dans sa maison de l’Anticaille, située au milieu des ruines de Lugdunum, il étudia en dilettante et avec une curiosité peu méthodique. Les Antiquités de Lyon[36] sont le fruit de ses études ; c’est un vaste recueil de notes prises dans les voyages et promenades de l’auteur, de copies d’inscriptions, de notes tirées de vieux auteurs et de rondeaux et épitaphes de poètes contemporains (probablement Jean Perréal et Lemaire des Belges). Un savant plus sérieux est Claude de Bellièvre. Né en 1487, fils d’une riche et ancienne famille lyonnaise, il fit comme beaucoup de ses concitoyens des études de droit à Toulouse. Rentré à Lyon après sa promotion au grade de docteur, il devint avocat de la sénéchaussée. De 1523 à 1528 il fut échevin de la ville. Après avoir été pendant plusieurs années procureur général de Grenoble, il voyagea en France et en Italie. À son retour à Lyon, il transforma son jardin près de l’église Saint-Jean en un vaste musée d’antiquités, se souvenant probablement de la collection que les Médicis avaient amassée dans la cour du Palazzo Riccardi. Il déposait les résultats des recherches qu’il y faisait dans son Lugdunum priscum, manuscrit de la Bibliothèque de la ville de Lyon qui représente un vaste recueil de matériaux. Une lecture de ce livre prouve que Bellièvre apportait beaucoup d’intérêt à la poésie de sa ville natale ; il cite à plusieurs reprises des passages de la Délie de Maurice Scève lequel passait pour autorité parmi les archéologues lyonnais. Il semble que les deux hommes aient été amis ; les mêmes intérêts les réunissaient.

Guillaume du Choul (Caulius) montrait les mêmes penchants ; son érudition était encore plus étendue. De quelques années plus jeune que Bellièvre (il naquit en 1500), il était son voisin et possédait dans son jardin une collection d’épigraphes encore plus riche et un cabinet numismatique très célèbre. Il voyagea en Italie pour approfondir ses connaissances et pour agrandir ses collections[37]. Honoré d’Urfé, Visagier et Goltzius le visitèrent à Lyon pour les admirer, et Étienne Dolet fit en leur honneur une de ses nombreuses digressions dans les Commentaires de la langue latine.

Rappelons encore un troisième archéologue et collectionneur lyonnais, le plus célèbre de tous. Jean Grolier (1479-1565) seigneur d’Aguisi (près de Vérone) était un de ces Italiens à moitié francisés que François Ier aimait à occuper dans la haute diplomatie et dans l’administration de ses provinces italiennes. D’une richesse et d’une libéralité prodigieuses, il fut le Mécène des humanistes français : Guillaume Budé lui dédia son de Asse, Étienne Niger son livre sur la littérature grecque. Il était en relations continues avec Clément VII et les Aide. Dans ses voyages diplomatiques, il cherchait partout des monnaies, des antiquités et des livres, surtout des livres. Sa bibliothèque contenait, autant qu’on a pu la reconstruire, plus de 3000 volumes ; tous dans cette reliure qui en fait l’ornement le plus magnifique des salles d’exposition des grandes bibliothèques. Chaque reliure porte en guise d’ex-libris la devise • Grolierii • et • Amicorum • qui est la meilleure preuve de la munificence de celui qui l’a composée.

Le nombre des livres français qu’il a possédés, est très petit ; et il me semble que c’est plutôt leur beauté extérieure que leur valeur littéraire[38], qui les a fait rechercher.

Rien ne nous montre mieux quels étaient les goûts de la haute société lyonnaise dans la première moitié du seizième siècle que ces riches bourgeois et gentilshommes épris de beauté et de science antiques et dont nous n’avons pas terminé la liste[39].

Les autres humanistes qui n’étaient pas originaires de Lyon, mais qui cherchaient à y gagner leur pain — Rabelais, Dolet etc. — nous occuperont plus tard.

Essayons de nous faire une image de la société lyonnaise telle qu’elle était sous le règne de François Ier. Les traits caractéristiques que nous avons notés plus haut pour l’époque des guerres d’Italie, s’étaient tous accusés. Le culte de la littérature italienne qui avait été introduit par les nombreux Florentins et que la prétendue Académie de Fourvière avait rendu, était loin d’avoir moins de fidèles, le butin des guerres d’Italie qui s’était vendu à Lyon et dont une grande partie consistait en livres et objets d’art italiens, avait contribué au développement d’un goût nouveau chez les Lyonnais. Les guerres avaient multiplié les relations commerciales avec l’Italie, le nombre des marchands et banquiers florentins s’était toujours accru par suite des désordres politiques qui rendaient le séjour de Florence de plus en plus désagréable. Aussi y eut-il un nombre assez considérable d’Italiens illustres employés à Lyon comme fonctionnaires de l’Etat ou comme ecclésiastiques[40].

Cet italianisme eut sur la société mondaine de Lyon une influence beaucoup plus étendue que l’humanisme. C’est à lui que les femmes doivent d’occuper, dans la société, une place qui diffère beaucoup de celle des femmes bourgeoises en d’autres villes de France. Au commencement du siècle, il n’y eut point de femmes dans des cercles tels que la prétendue Académie de Fourvière ; elles étaient trop ignorantes encore pour prendre part aux entretiens des savants. Mais nous les trouvons dans la société chevaleresque et galante, autour de Charles VIII et de ses seigneurs à moitié italianisés. Sous Louis XII, la cour était de même plus souvent à Lyon qu’à Paris, et elle y séjourna encore sous François Ier des années entières, pendant lesquelles elle devint le centre de la vie mondaine de Lyon. Comme il n’y avait point de noblesse lyonnaise, les riches bourgeoises furent admises aux fêtes que leurs maris avaient l’honneur d’offrir aux souverains.

Ces circonstances contribuèrent d’une façon spéciale à développer les relations des deux sexes. Fières de leurs succès mondains, les femmes firent tout pour ne rien perdre de leur conquête. Grâce à l’exemple des Italiennes dont elles fréquentaient la société, elles s’aperçurent du progrès vers la Renaissance qui s’accomplissait dans l’esprit de leurs maris ; elles comprirent qu’elles devaient faire un effort pour réaliser l’idéal de la femme telle que Baldassar Castiglione la décrivait dans sa „donna di corte“. Elles acquirent entière et familière congnoissance des plus louables vulgaires, comme le Thuscan et le Castillian et… des rudimentz de la langue Latine et Grecque, elles se rendirent parfaictement asseurées en tous instrumentz musicaulx, soit au luth, espinette et aultres, elles aspirèrent même à composer des épigrammes et chansons pour satisfaire à ceulx à qui privément en maintes bonnes compaignies elles se récitoient à propos[41], tout cela pour se rendre les dignes compagnes des hommes qu’elles admiraient pour leur science et leur vertu[42].

Cela nous amène à parler de la nouvelle doctrine, on pourrait même dire de la nouvelle religion qui a beaucoup contribué à former l’idéal nouveau de la femme, de l’amour et de la vertu, le culte de la beauté et de l’amitié : le platonisme[43]. Il avait été importé à Lyon par les Florentins, dès le milieu du quinzième siècle. Le platonisme lyonnais était indirect (au nord de la France par contre il fut direct) ; c’est-à-dire qu’il ne reposait pas au commencement sur l’étude des œuvres de Platon, mais sur l’imitation des usages de la société florentine et sur la connaissance intime de quelques œuvres de la littérature italienne imprégnées de la nouvelle doctrine, telles que le Cortegiano de Baldassar Castiglione[44], l’Hécatomphile de Léon Baptiste Alberti[45] et surtout le Canzoniere de Pétrarque avec ses nombreuses imitations. Le platonisme des humanistes parisiens est plus scientifique ; il n’est pas une conséquence de l’italianisme, mais il se trouve être l’œuvre d’hellénistes qui s’occupent très assidûment de Platon, le roi de tous les philosophes et le modèle du style grec[46]. Ce platonisme qui remonte à la source, ne fut introduit à Lyon que par Marguerite de Navarre dont la cour était le foyer de la nouvelle doctrine en France ; Bonaventure Despériers, Étienne Dolet et François Rabelais[47], les premiers humanistes lyonnais qui semblent avoir étudié avec soin les œuvres du grand disciple de Socrate, étaient tous des familiers de la reine.

Si la société mondaine de Lyon n’est pas devenue calviniste comme une très grande partie du peuple (presque tous les noms de protestants qu’on y relève sont ceux de simples artisans), la principale raison en est que le platonisme était la vraie religion des Lyonnais amoureux de la Renaissance. Beaucoup d’entre eux étaient très favorables à une réforme évangélique, mais la rigidité de Calvin, le bannissement de toutes les joies de la vie qu’il prêchait et le nouveau système de dogmes qu’il édifiait devaient leur répugner. Il semble que la tolérance des Lyonnais du seizième siècle, cette tolérance qui leur permit d’appeler un homme qui sentait mal de sa foy — B. Aneau — à une chaire de leur collège, soit un fruit du platonisme.

Le platonisme ne fit que rendre plus vive la vie sociale que l’italianisme et la longue période de fêtes avaient éveillée à Lyon. On se réunissait dans des salons, et, chose très remarquable, c’est déjà la maîtresse de la maison qui présidait aux réunions. Le plus renommé de ces cercles était celui de Madame du Perron. Marie Catherine de Pierrevive était italienne de naissance, fille d’épiciers enrichis dans le commerce colonial et mariée dès 1519 à Antoine de Gondi (issu des Gondi de Florence, famille assez célèbre mais un peu appauvrie à cette époque). Il s’appelait le seigneur du Perron d’après une terre française qu’il avait achetée. En 1537 il devint échevin de Lyon.

Eustorg de Beaulieu[48] qui, vers 1536, gagnait son pain à Lyon comme poète d’occasion et professeur de musique, donnait des leçons à une fille de cette famille, Madame Hélène de Gondi. Comme il était noble de naissance, il fut admis, malgré sa pauvreté, dans le salon de la mère qu’il a célébrée dans plusieurs épigrammes de ses Divers Rapportz[49]. Il y nomme non seulement des Lyonnais de marque comme habitués de ce cercle, mais aussi des prélats, princes et rois. C’était au temps où François Ier avait porté la cour à Lyon pour préparer la guerre de Provence ; ces mots ne peuvent se rapporter qu’à lui et à sa famille. Madame du Perron commençait dès cette époque à s’insinuer chez Catherine de Médicis dont elle garda la confiance intime jusqu’à ses derniers jours. La protection de la reine assura la prospérité prodigieuse de la famille dont le descendant le plus illustre sera le cardinal de Retz.

Il va sans dire que sa qualité d’amie d’une reine lui valut beaucoup de compliments tant en prose qu’en vers, de ses admirateurs[50] ; pourtant on la connaît surtout comme ourdisseuse de cabales. Lestoîlle et Brantôme nous assurent qu’elle fut aussi dépravée que séduisante ; nous atténuons encore l’expression employée par ce dernier quand nous la rendons par entremetteuse. Si Brantôme avait raison, si le salon le plus brillant et le plus célèbre de la société lyonnaise était présidé par une femme si vicieuse, sans aucun scrupule, ce serait là une nouvelle raison pour nous de croire que les mœurs étaient alors très relâchées à Lyon[51], surtout en ce qui concerne les relations des deux sexes. On peut comparer Lyon et Venise à divers points de vue. Les deux villes étaient des centres du commerce international, l’administration de Venise était tout indépendante, celle de Lyon l’était très peu ; les bourgeois des deux villes s’étaient très vite enrichis et aimaient à dépenser leur argent dans des fêtes brillantes. Venise était alors la ville où l’on s’amusait le mieux en Europe et nous n’avons pas besoin de détailler ces amusements. Lyon était connu dans toute la France pour son luxe excessif. Or il est bien rare qu’une société plongée dans le luxe ne connaisse point la luxure. J’ai souvent l’impression que le platonisme lyonnais ne fut qu’une aspiration vers un idéal qu’on voyait s’éloigner de plus en plus[52].

Une société instruite et luxueuse ne manquera jamais d’avoir sa littérature propre. Il est donc aisé de constater vers 1535 le commencement d’une deuxième période où les lettres lyonnaises se développent d’une façon plus remarquable. La littérature de ce temps, qui finit vers 1540, a un double caractère : la société bourgeoise contente ses besoins littéraires avec des vers français, les humanistes expriment leurs sentiments en mètres latins.

Clément Marot qui passe souvent par Lyon[53], et Mellin de Saint-Gelais[54] qui y accompagne la cour dans ses nombreux séjours fournissent les modèles de la littérature en langue vulgaire. C’est une espèce de littérature romantique du seizième siècle ; elle réintroduit dans la société française qui reçoit déjà les semences de la Renaissance, l’idéal de la galanterie chevaleresque du moyen-âge. Mais comme au moyen-âge, la poésie est dégradée à n’être qu’un jeu de société auquel quiconque se pique de savoir-vivre ne saurait se soustraire ; c’est un simple jeu de demandes et de réponses, un échange de compliments, de bons mots et de calembours. Quiconque veut étaler son savoir, son esprit et son bon goût, fera des vers, les femmes les toutes premières, et les poètes de métier qui voudront faire acte de galanterie envers une femme, ne manqueront point de publier un dizain ou un huitain de cette dame avec leurs propres poésies. C’est de cette façon que se sont conservés des vers de-Jeanne Gaillarde dans les poésies de Marot, de Jacqueline Stuara dans celles de Despériers. Il me semble inutile d’ajouter que cette poésie conventionnelle, qui ne connaît aucun élan vers la beauté ou quelque autre idéal, est froide, fade et monotone.

De même la poésie latine qu’on cultivait à Lyon à cette époque, a le plus souvent le caractère d’une correspondance poétique ; ce sont des billets de quelques lignes, c’est un échange de compliments et de bons mots. Mais elle connaissait aussi l’aspiration vers un idéal : on cherchait à imiter des poètes latins de la Renaissance italienne tels que Sannazar et Marulle, on s’efforçait même d’égaler les poètes lyriques de l’antiquité. La correspondance poétique s’étend sur tous les sujets qui peuvent intéresser des humanistes, jusqu’à la philosophie et à la religion. On y trouve encore des fadeurs ; la monotonie en disparaît rarement ; mais on sent l’individualité qui s’en dégage, on y sent la soif de gloire, immortelle qui naît dans ces poètes ; on y sent le souffle de la liberté et de la Renaissance.

A la même époque vivait à Lyon un homme qui appartenait par sa naissance à la société mondaine, par son instruction aux cercles humanistes de Lyon. Il excellait dans la poésie française et latine, et connaissait les lettres italiennes depuis sa jeunesse ; s’il y avait un homme dans la société lyonnaise qui fût capable de lui donner une nouvelle poésie, ce ne pouvait être que lui. Cet homme, c’était Maurice Scève[55].




  1. a et b Laissons parler quelques chiffres sur l’importance du commerce lyonnais au xvie siècle. Nicolas de Nicolay, géographe du roi, fut chargé par Catherine de Medicis, vers 1560, de faire une description générale du royaume. Il n’y a qu’une partie de ce projet qui ait été réalisée : c’est la description de Lyon (Description générale de la ville de Lyon et des anciennes Provinces du Lyonnais et du Beaujolais p.p. la société de Topographie historique de Lyon. Lyon 1882). L’auteur qui esquisse dans ce livre déjà le système mercantile de Colbert, y mentionne les chiffres suivants concernant l’importation annuelle de marchandises étrangères : Pays du nord : Toiles de Saint Gall, chevaux d’Allemagne, de Hongrie, de Danemark, martres subelines et autres fourrures précieuses, satin de Bruges : 560,000 livres. Tapisseries de haute lisse d’or et de soye : 900,000 livres. Grande quantité de drogues d’Anvers : 400,000 livres, — pierres précieuses et parfums ; 500,000 livres. Poissons salés de l’étranger : 100,000 livres, — fromages de Hollande 12,000 livres. Angleterre : Or, étain, plomb : 2 — 300,000 livres, — laine et draps fins 200,000 livres. Portugal : Épiceries, pierreries, perles et parfums : 700,000 livres, — fruits et vins 1,800,000 livres. Espagne : Soi grège : 2,000,000 livres, or et argent : 300,000 livres, armes : 5000 livres. Objets de luxe : 200,000 livres. Italies (sic) Levant et Barbarie : Draps d’or et d’argent, soies, rubans, boutons et aultres ouvrages de toute sorte et façons, fort exquis et de hault pris : armes et mil aultres petites denrées exquises de grand coust et peu de prouffit : 13 à 14,000 000 livres. — Pouille et Calabre : pour plus de 400,000 livres d’épiceries et drogueries, pierres, plumes d’autruche et autres objets de luxe, estamets fins de Venise, Milan et Florence 5 à 600,000 livres. Vaisselle de porcelaine, marbre, albâtre, émail, verres et autres ouvrage de cristallins, cordouan et maroquins, raisins de Corinthe, azur d’outre mer, faucons, etc. etc. : 5 — 600,000 livres.
  2. cf. Charpin-Feugerolles, Les Italiens à Lyon. Lyon 1894. — Picot, Émile : Les Italiens en France. Annales de la faculté de lettres de Bordeaux. Bulletin italien, année XXXIII.
  3. Tommasso, Récits des ambassadeurs vénitiens, vol. I, p. 36 : Andréa Novagero écrit que plus de la moitié des habitants de Lyon étaient des étrangers et la plus grande partie de ceux-là des Italiens.
  4. Giuliano de San Gallo fut chargé par le cardinal Giuliano della Rovere d’apporter à Charles VIII, quand celui-ci était à Lyon, un modèle en bois richement ornementé d’un palais de Savona. — Burckhardt, Jakob. Geschichte der Renaissance in Italien. 4e éd. Stuttgart 1904, p. 117.
  5. Rondot, Natalis, La médaille d’Anne de Bretagne. Lyon 1885.
  6. I. La réformation sur les dames de Paris faite par les Lyonnaises, et responce et réplique des dames de Paris contre celles de Lyon. 2. La rescription des femmes de Paris aux femmes de Lyon, et réponse faite par les dames de Lyon sur la rescription des Parisiennes, cf. Revue des Lyonnais. 1864, 2e s. XXVIII. 558, et XXIX, 81. — Puisque les deux poésies sont d’un caractère très calomnieux, on ne peut pas bien ajouter foi au tableau de la démoralisation des femmes lyonnaises qui sont accusées d’assimiler par leur coquetterie les églises aux maisons où se vend l’amour, et de vendre la beauté de leurs filles. Mais voici quelques vers très caractéristiques de la réponse des Lyonnaises :

    Laissons prêcher Carmes, Frères Mineurs
    Et Mendiants. — Ce n’est à vous à faire.
    Un chacun doit penser à son affaire…
    Rire, chanter, dancer et caqueter
    Désirons fort, nous autres de Lyon —
    — Se aux amans nos cœurs humtlion.

    Vous ne deussiez en prendre ennuy, mais aise,
    Un jour plaisant en vaut cent de mésaise.
  7. cf. chap. VII.
  8. Relations citée par Thibaut, Marguerite d’Autriche, p. 144.
  9. Brantôme, ed Lalanne, tome IX, p. 471. Aussi les aimait-il fort (les dames de son règne) et les servit bien, voire trop, car tournant de son voyage de Napples très victorieux et glorieux, il s’amusait si fort à les serviir, caresser et leur donner tant de plaisirs à Lyon par les beaux combats et tournois qu’il fit pour l’amour d’elles, que, ne se souvenant point des siens qu’il avait laissés dans ce royaume, les laissa perdre ; et villes et royaume et chasteaux tendaient les bras pour avoir secours.
  10. Colonia. Hist. litt. de Lyon. t. II. p. 408.
  11. Thibaut, op. cit. p. 144.
  12. Il paraît que ce luxe, qui est venu par la bombance et superfluité des draps de soie prattiquée et moyennée à Lyon par les banquiers estrangers, n’a disparu que vers 1564, par les effets surprenants de la prédication évangélique. (cf. Antoine du Pinet, Plants, pourtraits et descriptions de plusieurs villes et forteresses, tant de l’Europe… etc. Lyon 1564).
  13. Claudin, Histoire de l’imprimerie, tom. II. — Vingtrinier, Aimé, Histoire de l’imprimerie à Lyon. Lyon 1894. — Montfalcon, Le nouveau Spon ou Manuel du Bibliophile et de l’archéologue lyonnais. Lyon 1856. — Baudrier, J. Bibliographie lyonnais. Recherches sur les imprimeurs, libraires et fondeurs de lettres de Lyon au seizième siècle. 6 vol. Lyon 1895—1904.
  14. Péricaud, Bibliographie lyonnaise du quinzième siècle. Lyon 1851.
  15. Dans l’entrée solennelle d’Eléonore d’Autriche à Lyon en 1530, on comptait 200 imprimeurs dans le grand cortège ; dans l’entrée de Henri II en 1548 il y en avait même 413.
  16. Citons les noms de Johannes Alemanus, Schenk, Wensler (ou Michaël de Basilea) Jean Trechsel, Sébastien Gryphe etc.
  17. Allut. Paul, Étude biographique et bibliographique sur S. Champier. Lyon. 1859. Voir aussi Revue du Lyonnais 1836, II. p. 41.
  18. Haller dit de lui : non indoctus homo, polygraphus et collector, semi-barbarus tamen.
  19. Concil de deux lang. p. 382.
  20. Illustre des Gaules p. 36. cf. sur Lemaire des Belges : Thibaut, op. cit. et Becker, Ph. Aug. Jean Lemaire. Strassburg 1893.
  21. Charvet, M, Jehan Perrial. Lyon 1874. — Dufay. de Perréal. Revue du Lyonnais. 1870. I. p. 50.
  22. Sala, Pierre. Le livre d’amitié dédié à Jehan de Paris par l’escuyer P. Sala, Lyonnais, p. p. G. Guigne, Lyon 1884 (ms. de la Bibl. nat.)
  23. L’auteur de la légende est le jésuite Poullin de Lumina qui se permet dans son Abrégé chronologique de l’histoire de Lyon (Lyon 1767) la fantaisie suivante, amusante surtout au point de vue chronologique : Louise l’Abé étoit un des principaux membres de l’Académie littéraire dont les assemblées se tenaient sur la montagne de Fourvière, dans la maison du Sieur de Langes d’où elle fut appelée l’Angélique ; les autres Académiciens étaient les Sieurs de Langes, de Villeneuve, Fournier, Paterin, Symphorien Champier, Benoît Court, Jean voulté (sic) Jean Dolet (sic), Duchoul, Vanzelles, le poète Girinet, Clément Marot, Maurice Sève, Claudine et Sibile Sève, Pernette Duguillet, Clémence de Bourges et les Sieurs du Peyrat.
  24. Je cite la traduction de Montfalcon (Hist. mon. II. p. 97.)
  25. Plus tard on y fit aussi des cours. Jehan Canappe y enseigna la chirurgie en français.
  26. Ami de Rabelais, comme lui médecin à l’Hôtel Dieu. Traducteur de diverses dissertations médicales en langue vulgaire, cf. Breghot du Luth, Mélanges I, p. 180 et Revue des Études Rabelaisiennes II (1904) p. 70.
  27. D’autres médecins lyonnais fameux : cf. Montfalcon, Histoire monumentale de Lyon, t. II. p. 47.
  28. Rabanis, Notice historique sur le Collège de Lyon. — Demogeot, Notice sur le Collège de la Trinité dans : Lyon ancien et moderne. — Buisson, F. Sébastien Castellion. Thèse française. Paris 1893, t. i, p. 17 fl’.
  29. Buisson, Castellion, t. I. p. 18.
  30. Article de la France protestante. — Montfalcon. Hist. mon, t. II p. 49-52. — Buisson, Castellion. t. I, p. 22. — Mugnier, M Cl de Buttet. Annales de Savoie XXXV. p. 9a ff. Malheureusement il n’existe pas encore de travail spécial sur B. Aneau.
  31. Le 5 juin 1561, il fut massacré dans une émeute de la populace catholique. — Une clause de son contrat prouve qu’il était suspect d’hérésie : Il lui est enjoint estre leu ni enseigné audict collège aulcune doctrine, ni livre deffendus ou censurez, contre l’honneur, auctorité et deffense de nostre mère Saint Eglise et souffrir audict collège estre tenu propos, ni dogtnatisartt ni enseignant en mauvaise doctrine en particulier, ni en général.
  32. Lyon, Guillaume Roville 1549.
  33. Revue d’hist. litt. de la France, 15 janvier 1898. — Chamard. Joachim du Bellay, Lille 1900. — Joachim de Bellay, œuvres complèts, p. p. Léon Séché, t. I. Paris 1903. p. 61 ff.
  34. Colonia, Hist. litt. II. 698.
  35. Montfalcon, Hist. mon. II. 50—53.
  36. ms. de la Bibl. nat. Fonds français 5447.
  37. Voici la liste de ses ouvrages : Discours sur la castramétation et discipline militaire des anciens Romains, Lyon 1555. — Des bains et antiques exercitations grecques et romaines, 1567, 1581. — Épître consolatrice à Mme. de Chevrière, Lyon 1555. — Discours sur la Religion des anciens Romains, Lyon 1556 (traduit en italien par Simeone Simeoni, en latin par L. Joachim Camerarius, en espagnol par Balthazar Ferez de Castille).
  38. Leroux de Lincy, Recherches sur Jean Grolier, Paris 1866.
  39. On pourrait y ajouter encore Jean de Vanzelles, l’ami de M. Scève. cf. L. de Niepce, les chambres de merveille ou cabinets d’antiquités de Lyon. Revue lyonnaise, vol. III — VI. Un autre archéologue remarquable qui habita Lyon fut Gabriele Simeoni (né en 1509) qui, il est vrai, appartient à une époque postérieure de quelques années à celle qui nous occupe dans ce chapitre. Après avoir échappé à l’inquisition italienne, il arriva en 1556 à Lyon, où il resta pendant trois ans. Il s’y occupait de travaux littéraires de toute sorte. Il traduisit entre autre en italien l’étude de Duchoul sur la castramétation romaine. Sa traduction italienne des Métamorphoses d’Ovide est célèbre surtout par les gravures de Salomon Bernard (le petit Bernard). Il a déposé le fruit de ses études archéologiques sur Lyon dans un manuscrit qui porte le titre de l’Origine ed Antiquità di Lione (p. p. la société des Bibliophiles lyonnais) et qui se trouve maintenant dans les archives de la cour de Turin. — Un autre florentin, le grand hébraïsant 'Sanctes Pagnini se réfugia à Lyon après le grand échec de son maître Savonarole. Il y mena une vie très retirée et a été sans aucune influence sur la Renaissance lyonnaise.
  40. De 1498 à 1507 César Borgia fut gouverneur de Lyon, de 1515 à 1518 Jean-Jacques Trivulce, de 1518 à 1536 Théodore Trivulce qui fut remplacé de 1529 à 1533 par son frère Pomponne. De 1547 à 51, Hippolyte d’Esté fut archevêque de Lyon, Une liste plus étendue dans Steyert, op cit. t. II. p. 34.
  41. Antoine du Moulin, Préface des Rymes de Perette du Guillet, Lyon 1545.
  42. cf. le chapitre VI.
  43. cf le chapitre V.
  44. Le Cortegiano eut deux éditions lyonnaises en 1537 et 1538. cf. Brunet Manuel du libraire.
  45. Hécatomphile ce sont deux dictions grecques… Lyon, Juste, 1534 (autre éd. s. 1. n. d.).
  46. et que tu formes ton style quant à la (langue) grecque à l’imitation de Platon, quand à la latine de Cicéron. (Rabelais, Pantagruel, chap. VIII)
  47. cf. le chapitre V.
  48. cf. l’article de la France protestante.
  49. Beaulieu, Eustorg, Les divers rapportz. Lyon, P. de Sainte-Lucie 1537. (Paris 1544).
  50. Du Verdier, Bibliothèque. Article Marie de Pierrevive. Damoiselle lyonnaise, Dame du Perron. J’ai vu plusieurs louanges de cette dame, faite par beaucoup d’écrivains de son temps, mais je n’ai pas cognoissance de ses écrits. Elle florissait du temps du Roi François I vers 1540.
  51. Scio ego famosatn galliarutn urbetn ea causa sic perversam ut vix aliqua ibi matrona pudica sit, vix filiae nubant virginea. Passage d’une lettre d’Agrippa de Nettesheim qui résidait à Lyon en 1537, cité par Moutarde, Eugène, Etude hist. sur la Réforme à Lyon. Genève 1881.
  52. Un curieux document nous permet — occasion très rare — d’être témoins d’une conversation de ce temps qui, bien qu’elle soit fictive, nous montre qu’elles furent les relations des deux sexes à Lyon, vers l’année 1520. C’est le prologue des Prouesses de plusieurs rois écrit à cette époque par Pierre Sala. (p.p. G. Guigue, cf. p. 9). — L’auteur se réveille par un beau matin de mai dans l’Anticaille, sa maison de campagne. Comme il ouvre sa fenêtre pour jouir de la vue splendide qu’on a de la montagne de Fourvière, il voit s’approcher trois jeunes dames de ses parentes, accompagnées de leurs suivantes.

    Le temps si doulz, point ne couroit de vent,
    Si sailli hors pour venir au devant
    Les saluer ; et dès qu’elles me virent
    En soubzriant très doulcement me dirent :
    „Où allez-vous, si matin, maintenant ?“
    „Mais vous, dames, ainsi par main tenant
    Qui vous a meu de monter la montagne ?“
    „Les grands pardons que là dessus on gagne,
    Me dit l’une, venez y avec nous
    Et nous viendrons après diner chiez vous.“
    Je accepte de bon cœur la corvée
    Et ma femme qui jà s’estoit levée,
    Très joyeux de ce gentil rencontre
    Nous accourut vistement à l’encontre.

    Les quatre dames vont au sanctuaire de Saint-Irénée ; le poète les attend, surveillant les préparatifs du festin. Le banquet et la joyeuse conversation ne cessent pas avant le soir.

    Après le dîner, les dames se retirent dans la bibliothèque où le volume „des rois“ donne à la plus jeune l’occasion de dire les éloges de François Ier. Elle admire surtout la bravoure héroïque dont il a fait preuve dans la bataille de Marignan

          „Puisque voulez sçavoir,
    „Pourquoi je ris, or sachez, pour tout voir,
    „Que passe-temps n’est nul qui tant me pleze
    „Que d’être en lieu seulette à mon eze
    „Où je puisse lire les faictz et dictz
    „Des rois passez, tant courtoys et hardys,
    „Qui n’eurent peur d’entrer parmi les dards
    „Aussi avant que leurs simples soudards
    „Et voulurent leurs corps habandonner
    „En tous perilz, pour courage donner
    „Aux combattants, comme fist notre roi
    „À Marignan en ce mortel conroy.“

    Les autres dames applaudissent et ajoutent d’autres anecdotes sur la valeur du roi à celles que la première vient de raconter. Elles finissent par prier l’auteur de recueillir tous les récits sur les faits d’armes des rois depuis les temps bibliques jusqu’à l’époque moderne.

  53. cf. le chapitre III.
  54. Revue d’hist. litt. de la France, t. IV. p. 407. L. DelarutlU. „Un dîner littéraire chez Mellin de Saint-Gelais.“ Cet article qui se base sur une poésie latine de Visagier, nous donne la description très intéressante d’une réunion d’humanistes lyonnais.
  55. Consultez sur les sources de ce chapitre ; Charléty, Sébastien. Bibliographie critique de l’Histoire de Lyon depuis les origines jusqu’à 1789. Lyon et Paris 1902.