Maurice Scève et la Renaissance lyonnaise/03

Honoré Champion (p. 36-53).

chapitre troisième

LES PREMIERS SUCCÈS LITTÉRAIRES

La même année où la deplourable Fin de Flamete reçut un si froid accueil, apporta à Maurice Scève le premier grand succès et les lauriers du poète.

C’était pendant l’exil de Clément Marot à Ferrare. Le poète de François I" s’était fait connaître par un nouveau genre de poésie qui convenait à la société galante de son temps par sa recherche, sa difficulté et aussi sa licence. Il avait composé l’Épigramme du beau Tetin.

Le succès immense que cette poésie eut malgré sa platitude et les sentiments ignobles qu’elle exprimait, est caractéristique. Non seulement ceux qui s’appelaient les élèves de Clément Marot, mais tous qui se piquaient de faire des vers, s’efforcèrent d’imiter ces fadeurs. La société lyonnaise qui s’assemblait alors dans le salon de Madame du Perron, se distingua particulièrement dans ce genre d’exercice poétique.

On appelait ces „épigrammes“, d’après le mot tiré de la science héraldique qui servait depuis longtemps à désigner des poésies descriptives panégyriques ou satiriques, des Blasons[1]. Ces blasons qui servaient de modèle à Marot étaient pour la plupart joyeux et récréatifs ; les imitations de l’Épigramme du beau Tetin l’étaient de même, au moins en grande partie. Il n’existe point de partie du corps de la femme, si cachée soit-elle, qui n’eût son blason. Mais il y eut aussi des poésies d’un caractère plus sérieux, plus abstrait, sentimental même. La plupart de celles-ci semblent sortir du milieu lyonnais, où l’italianisme avait eu pour conséquence plus de civilité et moins de gauloiserie.

À côté de Matthieu de Vauzelles qui chanta les cheveux, Mellin de Saint-Gelais, un peu plus sentimental et moins charnel déjà, composa le blason des cheveux coupés et de l’œil[2], chanté aussi par Antoine de Héroët. Eustorg de Beaulieu célébra le nez, la joue, la langue, les dents et la voix : c’était justement dans la période de son séjour à Lyon, où il connut toutes les libertés du cercle de Madame du Perron ; sur le tard il en eut le repentir au point de devenir ministre protestant. Michel d’Amboise chanta la dent, Victor Brodeau la bouche, et ainsi de suite ; il serait trop long de nommer tous ces versificateurs et leurs productions. Maurice Scève, qui se montra le plus abstrait et le plus décent de tous ces poètes déjà dans ses premiers vers, fit les Blasons du Front, du Sourcil, de la Larme, du Soupir et de la Gorge.

On résolut d’envoyer tous ces vers à Ferrare pour les faire juger soit par Clément Marot, soit par les dames françaises qui avaient accompagné Renée de France en Italie. Et, en effet, il est assez intéressant de le constater : ces dames qui se plaisaient surtout à des disputes théologiques, qui aimaient la compagnie du tant sévère Calvin, ces dames qui avaient appris à connaître le platonisme et l’art italien, se constituèrent en tribunal littéraire pour juger des poésies grivoises, ordurières même. Renée de France présidait elle-même le concours et, comme on pouvait s’y attendre de la part d’une princesse si vertueuse, confite en doctrine platonique et prédisposée à un art sérieux, elle accorda le laurier poétique à celui qui avait chanté le Blason du Sourcil, à Maurice Scève[3]. Marot approuva le jugement de la duchesse bien qu’il ne connût pas le jeune auteur même de nom.

Les blasonneurs réunirent leurs productions et les publièrent l’année suivante à Lyon, chez François Juste, sous le titre de Fleur de Poésie françoise, à la suite d’une traduction française de l’Hécatomphile de Léon Battista Alberti, avec laquelle elles forment un seul volume. Le fait de voir accouplées paisiblement une œuvre pleine de doctrines platoniques sur l’amour, la beauté et la vertu, et des poésies qui ne sont pour la plupart que des obscénités rimées sans grâce et sans esprit, dépourvues de cet humour qui nous fait goûter celles de Rabelais, est très caractéristique pour la société lyonnaise de cette époque, l’Hécatomphile et les Blasons étaient destinés au même public — je ne crois pas me tromper, quand je dis surtout à des femmes — ; et ce public goûtait à la fois ces deux genres de productions littéraires qui semblent s’exclure.

Les Blasons de Maurice Scève sont presque les seuls du recueil qui ne contrastent point avec l’Hécatomphile. Ce ne sont point des chefs-d’œuvre ; mais ce ne sont pas non plus des poésies indécentes. Pour donner un modèle de ce genre poétique, voici le plus court des Blasons de Scève, le Blason du Front :

Front large et haut, front patent et ouvert,
Plat et uni de beaux cheveux couvert,
Front qu’es le cler et serein firmament.
Du petit monde, et par son mouvement
Est gouverné le demeurant du corps.
Et à son vueil sont les membres concors ;
Lequel je voy estre troublé par nues,
Multipliant ses rides très menues.
Et du cousté qui se présente à l’œil
Semble que là se liève le soleil.
Front eslevé sur ceste sphère ronde
Où tout engin et tout sçavoir abonde.
Front révéré, front qui le corps surmonte
Comme celuy qui ne craint riens fors honte.
Front apparent, affin qu’on peust mieux lire
Les loix qu’Amour voulut en lui escrire,
O Front, tu es une table d’attente
Où ma vie est et ma mort très patente.

N’y a-t-il pas déjà dans cette brève pièce une grande partie des qualités et des défauts de la poésie de Scève, que nous constaterons plus tard dans la Délie ? Voilà déjà cette manière de ne pas s’attarder à la description d’objets matériels, cette préoccupation psychologique du vueil, de l’engin et du sçavoir, cette noblesse des sentiments qui ne craint riens fors honte, cette influence que les effets de lumière — le ciel troublé de nues et le lever du soleil — exercent sur l’âme du poète, preuve d’un sentiment tout moderne de la nature ; voilà aussi les réflexions sur les loix d’Amour qui feront encore le sujet de beaucoup de vers de notre auteur. Il n’y a rien qui nous blesse dans ce blason — chose très rare dans ce genre — à l’exception de ce terrible lieu commun du dernier vers.

Dans les autres blasons de Scève, nous trouvons des qualités littéraires qui ne différent pas beaucoup de celles que nous venons de noter. Parcourons par exemple le Blason du Sourcil qui lui a valu le laurier poétique. Il est plus criblé de lieux communs que le précédent ; le sourcil nous y est peint comme dans toutes les descriptions de beauté féminine du seizième siècle :

                    traictif, en vouste fléchissant
Trop plus qu’hébène ou jay noircissant…
Sourcil sur qui Amour print le pourtrait
Et le patron de son arc qui attraict
Hommes et Dieux à son obéissance…
Mais la description matérielle du sourcil ne comprend que peu de vers ; la plus grande partie de la poésie s’occupe de l’influence qu’il exerce sur le pauvre amant.
Sourcil qui rend l’air clair, obscur soudain,
Quand il froncist par yre ou par desdain.
Et puis le rend serein, clair et joyeux
Quand il est doux, plaisant et gracieux…
Sourcil assis au lieu haut pour enseigne
Par qui le cœur son vouloir nous enseigne,
Nous découvrant sa profonde pensée
Ou soit de paix ou de guerre offensée…

Malheureusement Scève ne craint pas le calembour plat, funeste héritage des grands rhétoriqueurs, quand il lui vient à point. Dans ce genre, das banalités fastidieuses lui semblent bien mériter ses efforts :

Sourcil, non pas sourcil, mais un soubz ciel
Qu’est le dixième et superficiel.
Où l’on peut voir des estoilles ardentes…

et voilà l’astrologie qui se mêle à la poésie de Scève, comme plus tard dans la Délie, par imitation sans doute de Pétrarque.

Certes, le Blason du Sourcil est le plus platonique de tous, il contient les compliments les plus sérieux à l’adresse du sexe féminin dont le pouvoir et la vertu paraissent être hors de doute. On comprend facilement que Renée de France et les dames de sa cour lui aient décerné le premier prix.

Dans le Blason de la Larme, le poète décrit comment celle-ci descend coye et lente sur la face et entre les seins

Lieux prohibez comme sacrez et saints[4].
Elle est le gage le plus certain d’amytié (le mot est synonyme d’amour comme dans toutes les poésies du cercle lyonnais)
Larme qui peut yre, courroux, desdain
Pacifier et mitiger soubdain,
Et amollir le cœur des inhumains…
O liqueur sainte, ô petite larmette
Digne qu’aux cieux, au plus haut ou te mette,
Qui l’homme à Dieu peux reconcilier
Quand il se veult par toy humilier…

En finissant, Scève nous inonde d’un de ces torrents de larmes amoureuses qui reparaîtront plus tard au milieu des pages les plus ardues de la Délie.

O larme espaisse, ô compagne secrette
Qui sais assez, comme Amour me traicte.
Lors de mes yeulx, non pas à grande pleins seaux,
Mais bien descends à gros bruyantz ruisseaulx,
Et tellement excite ton pouvoir
Que par pitié tu puisses émouvoir
Celle qui n’a commisération
De ma tant grande et longue passion.

Nous voilà bien arrivés sur la terre du pétrarquisme. L’amour d’un vrai poète ne peut être que malheureux, la dame sera toujours chaste et cruelle ; impossible d’émouvoir la dureté de son cœur, les vers du poète ne la toucheront jamais et ses soupirs moins encore. Ce sont là les idées que Scève exprime aussi dans le Blason du Souspir, où il chante ses tourments qui tous autres maux excèdent.

Où allez-vous, souspirs, quand vous sortez
Si vainement que riens ne rapportez
Fors un désir de toujours souspirer.
Dont le poulmon ne peult plus respirer ?

Scève ne nous fait point grâce du lieu commun pédantesque qui conçoit les soupirs comme la fumée du feu amoureux.

Alors qu’on voit fumer la cheminée
L’on peut juger par signes évidentz
Qu’il y a feu qui couve là-dedans ;
Et quand souvent je sanglote et souspire
Que dans mon corps le feu croit et empire.
Souspirs qui sont le souef et doux vent
Qui va la flambe en mon cœur émouvant…

Même le Blason de la Gorge n’incite jamais le poète à des indiscrétions. Scève nous y parle seulement de sa loyauté, de sa dévotion devant cette gorge yvoiriue qui continue la beauté et la blancheur de la face devant laquelle il a fait

Maint sacrifice et mainte oblation
De ce mien cœur qui ard sur son autel
En feu qui est à jamais immortel,
Lequel j’arrouse et asperge de peurs
Pour eau bénoiste, et pour roses et fleurs
Je vay semant gémissements et plaincts
De chants mortels environnés et pleins,
En lieu d’encens des souspirs parfumez,
Chauds et ardents, pour en estre allumez.

Il est important de noter que Maurice Scève manifeste dans ces blasons déjà toute son individualité poétique. Il est encore disciple de Clément Marot, surtout pour la forme ; mais il n’est pas un plat imitateur. Il se distingue des autres blasonneurs par une sévérité tantôt idéale et sereine, tantôt pédante, par une préciosité sentimentale excessive, et même fastidieuse. Sa versification est facile et peut soutenir la comparaison avec celle de Marot ; le style n’a pas les duretés de celui d’un novice, et on croit avoir affaire à un poète ayant déjà quelque expérience. C’est que les blasons ne sont pas antérieurs à tous les dizains de la Délie. Si nous suivons les allusions historiques de cet ouvrage, nous arrivons à la conclusion, que toute la première centaine de ses dizains ont été composés avant le concours des blasons, ou tout au moins à la même époque.

Ces concours poétiques amusaient beaucoup, semble-t-il, Renée de France et sa cour. Marot eut l’idée de la surprendre par un nouveau tournoi, plus Joyeux et récréatif encore, il le proposa à ses disciples dans VEpitre aux Blasonneurs que nous avons déjà citée à plusieurs reprises. La tâche de chaque poète était cette fois de dire tout le mal possible d’une partie du corps féminin, supposée laide, dans une parodie des premiers blasons, surtout des siens propres, et de brûler ce qu’il avait adoré. Ce n’était donc pas un concours du beau dans la poésie, mais du laid et du grotesque. Le titre de Blason ne convenant plus à ces poésies de genre satirique, ou les appela des Contre-Blasons. Marot en donna de nouveau le modèle : l’Épigramme du laid Tetin qu’il joignit à son épître[5].

La plupart des Blasonneurs acceptèrent avec joie cette nouvelle occasion de faire briller leur esprit, leur humeur gauloise et leur talent de versificateurs ; le nombre des Contre-Blasons est presque aussi grand que celui des Blasons. Mais le concours lui-même n’eut pas lieu ; Marot qui ne se sentait plus en sûreté à Ferrare, quitta précipitamment cette cour hospitalière. Les Contre-Blasons furent néanmoins recueillis et publiés dans l’édition de 1550 des Blasons et Contreblasons du Corps féminin et dans les éditions suivantes[6].

Le nouveau genre ne correspondant pas à la haute conception que Maurice Scève s’était faite de la poésie, il ne prit point part à ce deuxième concours. Il avait jugé que les Contre-Blasons ne seraient qu’une baliverne et que ses vers sérieux s’y seraient prêtés très mal. Il n’était pas homme à faire de telles poésies, lui, de qui les Blasons étaient presque les seuls à chanter la beauté à un point de vue idéal[7].

À la même époque, Clément Marot eut à vider sa querelle avec Sagon[8]. Les coups tombaient drus et menus des deux côtés ; chacun des deux poètes cherchait à rabaisser non seulement son adversaire mais aussi les disciples de celui-ci. À travers la mêlée on voit que la renommée de Maurice Scève avait été de beaucoup augmentée par la couronne de laurier que Renée de France avait envoyée au jeune poète lyonnais. Une année auparavant Marot ne le connaissait pas même de nom ; maintenant il parle de lui dans l’Épître de Frippelippes comme d’une autorité dont on aurait à craindre le jugement.

Je ne voy point qu’un sainct Gelais,
Un Héroët, un Rabelais,
Un Brodeau, un Scève, un Chappuy
Voysent écrire contre luy. (contre Marot)

Sagon le respecte aussi et se garde bien de s’attirer un tel ennemi, ce qui prouve que la renommée de Scève n’était plus locale à cette époque, mais qu’elle s’étendait jusqu’au nord de la France, jusqu’à Rouen :

Je ne veux pas rabaisser les crédits
Des excellents par loi nommez et dits,
De Saint Gelais, Héroët, Chappuis, Scève ;
Ces quatre ici ne sont fols étourdis
Comme ton maître obstinés et médits
Dont en esprit le mien en douleur grève[9]

Les défenses de Marot avaient paru toutes deux à Lyon : Bonaventure Destériers et Charles Fontaine avaient pris la plume pour défendre leur maître absent contre les furieuses attaques de Sagon. Lyon parait avoir été à cette époque la forteresse de Marot contre les assauts du nord de la France, l’égide de la littérature nouvelle, d’allures un peu hérétiques, contre les vieux rhétoriqueurs pédants et scolastiques.

Mais bien que les vers de Frippelippes aient l’air d’être une exhortation de Marot à Scève de l’assister dans le combat, celui-ci observe cette sage réserve qui est une des qualités principales de son caractère. Il ne prend point parti dans cette lutte qui ressemble plus à un échange d’injures qu’à une querelle littéraire.

Cette même année 1536, François Ier se trouvait être dans des circonstances politiques telles qu’il n’avait rien à craindre ni de la cour papale ni de Charles-Quint, et il relâcha par conséquent la bride aux évangéliques. Clément Marot reçut la permission de rentrer en France, à la condition cependant de faire amende honorable et d’abjurer publiquement toute hérésie. Pour blesser le pauvre poète au vif, on résolut de donner ce spectacle à ses amis lyonnais, et de réjouir par ce triomphe le cardinal de Tournon, le plus cruel et implacable persécuteur d’hérétiques qu’il y eût alors en France. Marot chercha à fléchir sa dureté par un long panégyrique[10].

Mais les Lyonnais eurent le plaisir de faire fête au poète, qui, de son côté, n’avait point oublié les marques d’amitié et d’admiration qu’il avait reçues de Lyon pendant sa disgrâce et son exil à Ferrare. Il était heureux de retrouver de vieux amis, tels que Victor Brodeau. Il plaignit la mort de Claude Perréal, fils de l’architecte et peintre Jean Perréal, dans un rondeau adressé à ses sœurs et à ses amis. Il était fêté dans la société humaniste de Lyon et chantait à son tour ses amis Etienne Dolet et Bourbon de Vandœuvre. Un jour il invita à dîner trois poètes : Boissonné, Villas et la Perrière.

Ce qui l’attirait surtout à Lyon, c’était la société mondaine de cette ville, ses femmes si gaies et si instruites, fières de savoir répondre en vers aux compliments rimes du célèbre poète. Clément Marot fut ainsi une célébrité des salons lyonnais et les faveurs ne lui manquèrent point. Une Épigramme à une Dame de Lyon qui se trouve dans ses œuvres, contient une invitation très hardie, et la Responce de ladicte Dame est bien engageante. Une autre épigramme est adressé à deux Sœurs Lyonnaises[11], auprès desquelles il s’excuse de ne pouvoir leur rendre une visite.

Il sut se faire une amie plus intime — Jeanne Gaillarde[12] — avec qui il entretint toute une correspondance poétique. Dans un rondeau il la compare à Christine de Pisan pour son instruction, son éloquence et sa veine poétique. La réponse de la belle poétesse est très humble et pleine d’admiration pour l’illustre auteur. Dans une épigramme, il la désigne comme le bijou le plus rare de Lyon, ville qu’il chante en dithyrambes emphatiques. Pourtant j’ose exprimer le soupçon que Jeanne Gaillarde ne fut qu’une courtisane ; elle n’appartenait point à une des familles connues, qui auraient pu donner à leur fille une instruction aussi vaste. Le nom de „Gaillarde“ est en lui-même assez significatif, surtout au féminin, et, sans la désignation de „Dame“ ou de „Damoyselle“ il est moins un nom de famille qu’une épithèté telle qu’on en donnait alors aux courtisanes. Mais ce n’est qu’une hypothèse qu’il serait aussi difficile de prouver que de rejeter ; nous reviendrons du reste là-dessus quand nous parlerons des autres femmes poètes de Lyon.

C’est sans doute à cette occasion que Marot fit enfin la connaissance personnelle de Maurice Scève qui était entré en correspondance avec lui depuis une année environ. Le huitain qui en fait foi[13] nous semble être la preuve d’une amitié assez intime. Nous voyons que Scève était, comme la plupart des membres de la société mondaine de Lyon, excellent musicien, en théorie et en pratique, et qu’il voulait déterminer Marot à cultiver sa voix.

Marot était enchanté de son séjour à Lyon, où on l’avait tant fêté et où il avait retrouvé le sentiment de lui-même après les grandes humiliations subies. Il n’oubliera jamais l’hospitalité lyonnaise ; en pauvre poète il ne saura la payer autrement que par des vers dont il n’est pas chiche. Dans une des meilleures épitres qu’il ait écrites, il fait ses adieux à la ville :
Adieu Lyon qui ne mords point,
Lyon plus doux que cent pucelles…

Il se souvient de tous les biens qu’il a reçus durant son séjour :

Tant d’honneur et tant de bonté
Que voluntiers diroys combien
Mais il ne peult estre compté.
Il remercie les belles dames du charme qu’elles ont exercé sur lui, les vieillards „toujours amoureux de vertu“ de leur bon exemple, les citoyens de leur hospitalité, les „enfants“ pleins de sçavoir de leur zèle pour sa Muse. En quittant Lyon où il s’est tant amusé, il fait ses adieux à la jeunesse ; il voit l’avenir en gris. Dans la première strophe, il se souvient de son abjuration publique qui le tourmente toujours, et le congé qu’il prend du Cardinal de Tournon est une satire mordante mais habilement cachée, comme on s’en permet contre un ennemi assez puissant pour vous écraser :
Va, Lyon, que Dieu te gouverne,
Assez longtemps s’est esbattu
Le petit chien en ta caverne
Que devant toy on a battu
.
Finablement pour sa vertu,
Adieu des foys un million
A Tournon de rouge vestu,
Gouverneur de ce grand Lyon.
Ce n’est pas dans ces seuls vers que Marot chante la ville de Lyon et les grandes qualités de ses citoyens[14]. Aucune ville de France n’a laissé tant de traces dans l’œuvre de ce poète, aucune n’a joué un rôle si important dans sa vie : Lyon fut en effet la capitale littéraire de la France dans la première moitié du seizième siècle.

Marot passa encore différentes fois par Lyon, mais aucun de ses séjours ne peut être comparé à celui de 1536 ni pour sa durée, ni pour sa splendeur. Il y retourna en 1537 et 1538, il s’y arrêta en interrompant son départ précipité de la France vers la fin de l’année 1543. Nous avons rapporté à son premier séjour toutes les poésies de Marot relatives à Lyon, il se peut bien que l’une ou l’autre ait été composée lors d’un séjour postérieur. Mais ces vers ne donnent aucun indice nous permettant de les dater d’une façon définitive, à l’exception de deux ou trois qui sont certainement de 1536. Quant aux autres, la plus grande probabilité est pour le même séjour, qui fut, nous le répétons, le plus important à tous les points de vue.

Pour terminer l’histoire des relations de Clément Marot avec les Lyonnais, nous avons passé sur un événement qui est de la plus grande importance pour la vie de Maurice Scève, et qui eut lieu dans la même année 1536.

À cette époque, François Ier préparait les campagnes de Piémont et de Provence contre Charles-Quint. Comme d’habitude, il fit de Lyon le centre de ses opérations militaires, ce qui l’obligea à des séjours prolongés dans cette ville ; il y vint une première fois le 17 février, une seconde du 20 mai au 4 août, avec de brèves absences. Il fondait les meilleures espérances sur la nouvelle guerre et il rendit son séjour aussi agréable que possible ; sa cour se plaisait autant que lui dans la ville qui était devenue la seconde capitale. Le roi ne dédaigna pas de fréquenter les salons lyonnais ; si Eustorg de Beaulieu parle de rois et de princes qui étaient à cette époque les habitués du cercle de Madame du Perron, il ne peut être question que de François Ier et de sa famille. Le roi comblait de faveurs les habitants de Lyon, comme avait coutume de le faire dans les moments où il était de bonne humeur.

Le 31 mars, il signa un édit de grâce pour les hérétiques auxquels il fut permis dorénavant de rentrer en France après une abjuration publique de leurs prétendues erreurs — c’est le même qui mit fin à l’exil de Marot. La protection que le monarque accorda à l’industrie des soies nouvellement établie à Lyon, est une des causes principales du développement prodigieux qu’elle eut à partir de ce moment. Les littérateurs de Lyon eurent aussi à se réjouir de l’humeur clémente du roi. Étienne Dolet reçut à cette occasion la permission d’imprimer ses Commentaires de la Langue latine, à quoi ses ennemis s’étaient opposés si longtemps avec tant de succès.

Les poètes lyonnais chantaient François Ier en vers enthousiastes ; nous avons des raisons de croire que Scève a composé à cette époque les dizains de la Délie qui célèbrent le roi de la Renaissance.

Ce ciel de soy communément avare
Nous a cy-bas heureusement transmis
Tout le hault bien de parfection rare
Duquel il s’est totalement desmis
Comme qui veult ses chers et saincts amis
D’aulcun bienfaict haultement premier.
      Car il a plu (non de ce coustumier)
Toute vertu en ces bas lieux terrestres
Soubz ce grand Roy, ce grand Françoys premier
Triumphateur des armes et des lettres[15].

Mais un événement bien triste fit perdre l’espoir au roi et remplit son âme de désolation.

Pendant qu’il était à Valence, vers le commencement du mois d’août, pour se rapprocher du théâtre de la guerre, c’est-à-dire de la Provence, on vint lui porter la nouvelle que celui de ses fils qu’il aimait le plus, le dauphin François, était décédé à Tournon le 10 août, à l’âge de 18 ans.

Résumons en peu de mots l’histoire de cette mort qui faucha le meilleur espoir de la France. Le dauphin avait joué à la paume avec sa suite de jeunes seigneurs, à Tournon, par une journée d’août sous le soleil brûlant de la Provence. Comme il était échauffé à n’en pouvoir plus, il but trop avidement de l’eau froide, dans un moment de repos, ce qui provoqua une maladie subite qui l’enleva en quatre jours. Toute la France honora des plus vifs regrets ce jeune prince aimable et intelligent ; il ressemblait à son père, étant bon soldat et hardi cavalier, aimant aussi les femmes avec lesquelles il avait commis des excès qui avaient affaibli son corps et donné beau jeu à la maladie[16].

On ne voulut pas croire à la mort naturelle d’un prince qui était l’espoir de la patrie. Son échanson, Sébastien de Montecucculi, gentilhomme de Ferrare, qui lui avait présenté le funeste verre d’eau, fut arrêté, et comme ou trouva chez lui un traité sur les poisons, la torture lui arracha tous les aveux qu’on désirait. Ne répétons pas les soupçons dont on offensa à cette occasion Charles-Quint et Catherine de Médicis.

L’affaire fut jugée à Lyon ; un arrêt du 7 octobre[17] condamna le malheureux gentilhomme italien à être écartelé. François Ier se résolut à arranger l’exécution avec le plus grande faste possible pour donner à l’Europe le spectacle de sa vengeance. Tous les princes et princesses du sang, tous les prélats, tous les ambassadeurs et seigneurs étrangers y furent commandés, toute la haute bourgeoisie de Lyon y assista. Et tous supportèrent fort bien ces atrocités, à l’exception de la reine de Navarre qui se jeta sur le sein de son royal frère pour se soustraire au spectacle dégoûtant auquel on l’avait fait assister malgré elle.

Les poètes français n’étaient pas les moins attristés par la mort du dauphin François, qui était d’une bonne nature et vraiment royale, bien fondé en toute vertu héroïque et studieux et amateur de toutes bonnes sciences et arts libéraux[18]. Il avait la réputation d’être doux et gracieux, sage et modeste[19]. Marot préférait, pendant son exil de Ferrare, en appeler à la grâce et à la bonté du dauphin François, plutôt qu’à la clémence du roi pour obtenir un sauf-conduit qui lui permît de rentrer en France[20]. Le roi lui-même, quand il apprit la mort de ce fils, donna son caractère en modèle à ceux qui lui restaient et qui n’avaient pas les mêmes qualités chevaleresques, ni les mêmes goûts littéraires. Henri surtout, qui lui succéda comme dauphin, était connu pour son indolence et son intelligence médiocre. On avait espéré que le dauphin François serait un jour le véritable roi de la Renaissance, titre que son père est loin de mériter complètement ; les savants et les poètes de la France perdaient avec lui leurs meilleures espérances.

On ne s’étonne donc guère du grand nombre de poésies qui déplorèrent l’événement dont nous venons de parler. Les écrivains de renommée aussi bien que la poésie populaire rivalisèrent à exprimer leurs condoléances à la France et à son roi[21]. Les poètes et les humanistes lyonnais avaient été les plus rapprochés de la catastrophe ; c’était dans leur ville que l’exécution solennelle eut lieu. Ils ne laissèrent point passer cette occasion d’exprimer leurs regrets au roi et de sacrer la fête de sa vengeance par l’élévation de la poésie.

Étienne Dolet qui était depuis deux ans à Lyon, employé comme correcteur par divers imprimeurs, recueillit, trois mois plus tard, tous les vers sur la mort du dauphin qu’il put ramasser ; des épigrammes, des épitaphes, des déplorations et des églogues en latin et en langue vulgaire ; il en fit un petit volume, imprimé chez François Juste, éditeur plutôt populaire que savant. Pourtant c’est presque une édition de luxe, destinée probablement à être présentée au roi et à ses seigneurs ; le papier est de la meilleure qualité et les caractères sont d’une taille très soignée[22].

Nous voyons défiler dans ce petit livre toute la société humaniste de Lyon et ce qu’elle comptait d’amis en France. Des vers latins de Dolet sont les premiers du recueil ; Claude Fournier, Jean Visagier, Nicolas Bourbon, Gilbert Ducher, Jean des Gouttes sont les principaux Lyonnais qui y ont ajouté les leurs ; Pierre Castellanus, H. Appianus, Guillaume Mellier, Salmon Macrin, F. Piochet, Jean Canappe, Mellin de Saint-Gelais et Antoine du Moulin — voilà les noms des poètes d’autres provinces de la France qui y ont participé, et dont les trois derniers surtout sont connus pour avoir eu des relations suivies avec la société lyonnaise. Mais la part du lion dans ce petit livre appartient sans aucun doute à Maurice Scève, qui y a fait ses débuts dans la poésie latine, et à son cousin Guillaume.

Dans la première partie du recueil qui contient les vers latins, Étienne Dolet a laissé le deuxième rang à Maurice Scève, se réservant à lui-même le premier. Cette première poésie latine de Scève est une complainte en quinze distiques d’une rhétorique assez sentencieuse :
Quid vitae hseremus ? et quid inani fidimus umbræ ?
Inviti in mortem, summamque illabimur horam,
Nec quisquam est hominum, qui se fato eximat. Ecce
Ipse decem nondum primos adoleveram in annos
Et patriæ, Hispanias egi…

et il continue en racontant assez exactement les divers faits de la vie du Dauphin, en y ajoutant ses réflexions et les effusions de son sentiment. Il fait suivre le complainte de trois épitaphes latines qui n’expriment point d’autres idées que ses poésies françaises du même recueil. Le point de départ de ses réflexions est souvent un calembour banal : le dauphin est à la fois le fils du roi et le poisson qui a sauvé Arion ; il n’y a rien de surprenant que le nom de Montecucculi lui rappelle toutes les fables qu’on raconte du coucou.

It cuculus teneros aliorium perdere fætus
Ut suo non nido collocet ova sua.
Non tamen ipse tuis alium at te perdis iniquum,
Ut merito cuculi nomine dignus eras.

La plupart de ces vers sont inspirés par une haine implacable contre le prétendu empoisonneur : in veneficuni qui veneno Delphinum extinxit. Guillaume Scève n’a pas composé pour ce recueil moins de cinq épitaphes et épigrammes, qui ne se distinguent pas beaucoup de celles de son cousin, ni par l’inspiration, ni par la forme qui est assez correcte.

La partie la plus intéressante du livre est sans aucun doute la deuxième qui contient les poésies françaises. Après trois épitaphes de Saint-Gelais et une quatrième de Marot, l’éditeur a fait suivre deux huitains de Maurice Scève, voulant exprimer peut-être par cet ordre que ce poète était regardé à cette époque déjà comme le troisième de la France. Le premier des huitains est une apostrophe à la cruelle mort qui a poursuivi le dauphin par envie de ses vertus, lesquelles l’auraient enlevé à sa persécutrice pour lui procurer la vie immortelle. Le second exprime des idées d’immortalité plutôt chrétiennes.

La pièce la plus longue et sans doute aussi la plus importante du recueil est de Maurice Scève. Elle a pour titre Arion, Églogue sur le trespas de feu Monsieur le Dauphin[23] (environ 250 vers de dix syllabes). Il est aisé de trouver la clef de cette allégorie fastidieuse et sentimentale : le dauphin François est identifié avec le dauphin qui a sauvé Arion, c’est à dire le poète lui-même. Après la mort de son bienfaiteur, il ne reste au pauvre Arion-Scève qu’à célébrer la mort de celui-ci dans des vers plaintifs.

Étant couché à l’envers sous un palmier au bord de la mer, il chante ces siens extrêmes vers aux tritons, aux sirènes et à d’autres demi-dieux :

Allez, espoir et désirs trop usez,
Allez, de nous jusque ci abusez
Dont maints doux ans ont été dérivés :
Vuidez d’ici, puis que sommes privés
De nostre attente et longue affection.

Il continue en chantant, toujours sous forme allégorique, les exploits de la première jeunesse du dauphin : c’est le même dauphin qui a retiré Arion de l’océan et qui est allé en otage pour son père en Espagne. Nous apprenons qu’Arion n’a pas été ingrat envers le dauphin ; il l’a délivré des mains de ses ennemis, en leur cédant la plus grande partie de son trésor. Nouvelle incohérence : Arion n’est pas seulement l’allégorie du poète ou des poètes français réunis qui chantent leur protecteur ; il représente ici tout le peuple de France. Le dauphin retourne de sa prison

Accompagné de maints divers poissons
Qui autour luy gettent maint joyeux sons
De leurs clairons, trompettes et buccines.
Tant que les bois et les rochers voisines (sic !)
De leurs doulx chants partout retentissoient[24]
Et près et loing haultement remplissoient
De l’haulte mer les grands undes salées,
Plaines, marests et umbreuses vallées.
Vous, dieux marins, sortistes des abymes.
Et vous, ô mons, elevastes vos cymes
Ou il venoit couronné comme Roy.
      Sus son chef crespe avoit une couronne
D’olive verde, et la roide colonne
De Fortitude en sa senestre main.
Puis nous monstroit par un soubris humain
Celle qu’estoit presqu’au monde expirée,
La riche paix, de tous tant désirée.
Que lors sa dextre élevée portoit
Et par laquelle il nous reconfortoit…

Les vers suivants abandonnent pour un moment l’allégorie pour exprimer la joie du peuple au recouvrement de la paix et au retour des enfants de France. Le poète est le plus heureux de tous ceux qui participent à ces fêtes[25].

Mais cette joie universelle ne va pas durer longtemps ; Atropos va ravir de son dard (sic) l’infortuné dauphin. Arion tonne alors des imprécations contre Montecucculi qui nous apparaît — un coucou ne pouvant pas bien tuer un dauphin — sous la forme d’un crocodile, allégorie qui repose sur un calembour piètre[26].

O Cocodrille, ancien ennemi
De mon jadis tant cher tenu ami,
Qui t’esmouvoit sans aucune achoison
Commettre en lui si grande traïson.
D’empoisonner les eaux où il nageoit
Quand pour le chaud las il se soulageoit ?
................

Tout ce qui suit n’est plus qu’une litanie de plaintes. Voici d’abord une apostrophe à la lyre du poète, mais qui s’adresse plutôt à celle d’Orphée qu’à celle d’Arion ; un moment même il semble que l’églogue marine aille se changer en églogue champêtre. À la fin de la pièce, Arion s’adresse de nouveau aux demi-dieux qui forment son auditoire, les priant de le laisser seul avec sa douleur.

Donc pour plorer une si grande perte
J’abiterai ceste terre déserte
Où ce mien corps de peu à peu mourra.
Et avec moi seulement demourra
Pour compaignon sur ceste triste rive
Un doux languir jusqu’à la mort tardive.

Ce dernier vers nous paraît avoir l’étrange charme mélodieux, d’une sentimentalité un peu maladive et artificielle qu’on retrouve quelquefois dans la Délie. La poésie est signée de la devise de Scève : Sovffrir • Se • Ovffrir, la même qui se trouve dans La déplourable Fin de Flamete.

Personne ne voudra prétendre que ce soit un chef-d’œuvre ; les fautes en sont trop apparentes. On sent le ridicule forcé de ces rapprochements mythologiques, basés uniquement sur un jeu de mots sans rapport avec la réalité et qui n’ont partant aucune valeur poétique. Toute la poésie est une catachrèse continue ; on ne sait jamais s’il faut se représenter un prince ou un poisson. Dans la description de la rentrée des enfants de France, l’auteur abandonne un moment l’allégorie et raconte des réalités ; dans ce moment on sent qu’il est un vrai poète. Mais quand il nous peint des poissons qui jouent de la trompette, du clairon et de la buccine et qui chantent, il tombe de nouveau dans le défaut fondamental de toute la pièce : l’allégorie forcée qui ne permet guère le développement de sentiments et d’idées poétiques. Le „Cocodrille“ est tout ce qu’il y a de plus ridicule. Toute la poésie est un travail purement intellectuel dans lequel le cœur et la fantaisie n’ont point eu de part.

Cette églogue n’a pas même l’avantage d’être originale : le modèle qu’elle imite est la Complainte de Louise de Savoie par Clément Marot. Mais on sent bien que Scève a lu aussi les Églogues maritimes de Sannazar et qu’il cherche à en tirer quelques traits pour les incorporer dans sa composition. Cette imitation de deux modèles à la fois n’a fait que rendre sa poésie plus guindée et plus décousue.

  1. cf. la liste des Blasons dans Brunet, Manuel de Libraire.
  2. Marot, dans l’Épître à ceux qui après l’épigramme du beau tetin en feirent d’autres, se plaint de ce que Saint-Gelais ne prit point part au concours des Blasons. Comme je n’ai à ma disposition que l’édition de Méon (1807), il m’est impossible de résoudre cette contradiction.
  3. cf. le passage suivant de la même épitre de Marot :
    Mais du Sourcil la beauté bien chantée
    A tellement nostre cour contentée,
    Qu’à son auteur nostre Princesse donne
    Pour ceste foys de laurier la couronne
    Et m’y consens, qui point ne le congnois
    Fors qu’on m’a dit que c’est un Lyonnois.
  4. Qu’on compare ce vers avec les grivoiseries de l’Épigramme du beau Tetin
  5. Marot. Épître aux Blasonneurs :
    Or, chers amys, par manière de rire
    Il m’est venu volunté de descrire
    A contrepoil un tetin que j’envoye
    Vers vous, affîn que suiviez ceste voye.
    Je l’eusse painct plus laid cinquante foys,
    Si je l’eusse peu : tel qu’il est toutesfoys.
    Protester veulx, affin d’éviter noyse,
    Que ce n’est point un tetin de Françoise,
    Et que voulu n’ay la bride lascher
    A mes propos pour les dames fascher :
    Mais voulentiers, qui l’esprit exercite,
    Ores le blanc, ores le noir récite :
    Et est le painctre indigne de louange
    Qui ne sçait paindre aussi bien Diable qu’Ange.
    Après la course il faut tirer la barre :
    Après bémol, il faut chanter bécarre.
    Là donc, amys, celles qu’avez louées,
    Mieux qu’on ma dict sont de beauté douées,
    Parquoy n’entends que vous vous desdisiez
    De beaux blasons à elles desdiez :
    Ains, que chacun le rebours chanter vueille
    Pour leur donner encores plus grand fueille :
    Car vous sçavez qu’à gorge blanche et grasse
    Le cordon noir n’a point maulvaise grace.

    Je cite Marot d’après l’édition de Guillaume le Bret, Paris 1547.

  6. cf. les éditions des Blasons dans Brunet, Manuel du libraire.
  7. Scève n’était pas le seul poète qui ne trouvât point les Contre-Blasons de son goût. Son ami Matthieu de Vauzelles comprit aussi que ce serait passer les bornes, et, au lieu d’écrire un „Contre-Blason des Cheveux“ il composa un Blason de la Mort. Gilles Corrozet publia même un Blason contre les Blasonneurs. La critique que le poète latin Visagier (Vulteius) leur adressa est plus bénigne :
    Ad poetas Gallos qui muliebria tnembra laudarunt
    Faemina quid vestra depingitur arte poetae ?
    Depingi vivo nullo colore potest.
  8. Voizard. De disputatione inter Marotum et Sagontum. Thèse. Paris 1885. Bonnefon. Du différend entre Marot et Sagon. Revue d’hist. litt. I. p. 104.
  9. Le Rabais du Caquet de Frippelippes cité par Bonnefon. Rev. h. 1. I p. 131.
  10. Épître à Monseigneur le Cardinal de Tournon, Marot retournant de Ferrare à Lyon.
  11. Peut-être Claudine et Sibylle Scève. Marot a composé encore des Estrennes pour Jeanne Scève et Jeanne Fay, Lyonnaises.
  12. Montfalcon prétend avoir retrouvé un recueil manuscrit des poésies de Jeanne Gaillarde ; je ne sais pas ce qu’elles sont devenues. Hist. mon. p. 105.
  13. À Maurice Scève, Lyonnais
    En m’oyant chanter quelquefovs
    Tu te plaings qu’estre je ne daigne
    Musicien, et que ma voix
    Mérite bien que l’on m’enseigne,
    Voyre que la peine je preigne
    D’apprendre ut re my fa sol la.
    Que Diable veux-tu que j’appreigne ?
    Je ne bois que trop sans cela.
  14. cf. encore un Épigramme de la ville de Lyon.
    On dira ce que l’on vouldra
    Du Lyon et de sa cruauté :
    Toujours ou le sens me fauldra
    J’estimeray sa privauté :
    J’ay trouvé plus d’honnesteté
    Et de noblesse en ce Lyon
    Que n’ay pour avoir fréquenté
    D’autres bestes un million.
  15. Délie, dizain 352.
  16. Guiffrey, Georges. Chronique du roy François premier de ce nom. Paris 1860, tome 8, p. 184-86. — Brantôme, Œuvres, éd. Lalanne. t. III p. 173 ff. (Procès verbal de l’autopsie du dauphin : Appendice du même volume, p. 446). Guillaume du Bellay Mémoires, livre VII. année 1536. p, 395. — Promptuaire des Médailles'. Lyon. G. Roville 1575, seconde partie, p. 358. Portrait et biographie du dauphin François.
  17. Capefigue François Ier, Paris 1845. vol. IV. p. 100 : texte de l’arrêt.
  18. Promptuaire des Médailles, t. II. p. 258.
  19. Brantôme, t. III. p. 174.
  20. Marot. Épître à Monseigneur le Dauphin. Du temps de son dit exil. Cette épître ne peut guère s’adresser à Henri qui n’était pas connu comme protecteur des poètes. Elle est écrite probablement quelques jours après la mort du Dauphin, dont Marot n’avait pas encore la nouvelle, étant à Venise.
  21. Michel d’Amboise. Déploration de la mort de Françoys de Valoys, jadis daulphin de France… avec deux dixzains dudict seigneur, par Lesclave fortuné (sans lieu ni date, probablement Paris 1536). — Hugues Salet. Une églogue. Œuvres. Paris 1536. — Bonaventure Despériers. Épitaphe de Françoys, Daulphin, premier nay du Roy Françoys, Recueil des Œuvres, p. 119. — La déploration sur le trespas de feu monseigneur le Dauphin de France. Pièce anonyme, citée par E. Picot. Bibl. Rothschild, p. 417, n° 3797. — Pour la poésie populaire voir Brantôme.
  22. Recueil de vers latins et vulgaires de plusieurs poètes frattçcùs composés sur le trespas de feu Monsieur le Daulphin. MDXXXVI. On les vend à Lyon chez François Juste près Nostre Dame du Confort.
  23. Goujet et Brunet en citent une édition séparée : Scève, Maurice. Arion, Eclogue (sic) sur le trespas de Françoys, Daulphin de France. À Lyon, chez François Juste 1536. in-16. allongé ; car. semi-goth. — Le supplément de Brunet (1880) dit que cette édition semble avoir disparue. Je n’en ai aucune notice.
  24. Dans l’original : retondissoient.
  25. Ce retour des enfants de France fut fêté avec magnificence à Lyon. Cf. un article de la Revue du Lyonnais (1838, t. IL p. 113) qui se rapporte à une plaquette très rare : D’une réjouissance publique faite à Lyon quand la nouvelle fut apportée de la reddition des deux fils du roy, qui avoient esté ostagiers pour le roy leur père en Espagne.
  26. Le poète se base sur la fable de l’inimitié entre le dauphin et le crocodile, racontée par Pline (livre VIII, chap. 25). Dans la Délie on retrouve encore des monstruosités semblables qui datent de la même époque de la vie de Scève, par ex. dizain ai : Le Cerf (maison de Bourbon) volant aux abois de l’Autruche (maison d’Autriche).