Marmion/Defauconpret, 1830/Chant 2

Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Œuvres de Walter Scott, tome 1Furne, Libraire-éditeurTome I. — Ballades, etc (p. 207-225).


CHANT SECOND.

Le Couvent.

AU RÉVÉREND JOHN MARRIOT, M. A.
Ashestiel, Ettrick Forest.


Elles sont maintenant désertes et dépouillées ces plaines où s’élevait jadis une forêt antique ! ils sont dévastés ces vallons autrefois couverts d’épais taillis, et peuplés de cerfs et de daims ! Cette aubépine… qui peut-être voit depuis plus de trois siècles ses rameaux hérissés de piquans ; cette aubépine solitaire, que ne peut-elle nous dire tous les changemens du sol qui l’a vue naître, depuis que, modeste rejeton, sa tige, aujourd’hui si robuste, fléchissait au gré de chaque brise ! Que ne peut-elle nous dire : — Là le chêne altier couvrait la terre de son ombre gigantesque, plus loin le frêne tapissait le rocher de sa verdure, et dominait le taillis avec ses feuilles étroites et les rouges grappes de ses baies. Alors les pins couronnaient la montagne ; le bouleau se balançait dans la plaine ; le tremble frémissait au moindre vent, et le saule ombrageait les ruisseaux. —

Il me semble l’entendre dire encore : — Le cerf altier est venu se reposer sous mon ombre, au milieu du jour ; j’ai vu le loup plus farouche (et la vallée voisine porte encore son nom) errer autour de moi, la gueule altérée de carnage, et hurlant à la clarté de la lune ; le sanglier belliqueux aiguisait ses défenses contre mon écorce, tandis que le daim et le chevreuil bondissaient à travers le taillis. Souvent j’ai vu les monarques d’Ecosse sortir de la tour crénelée de Newark, suivis de mille vassaux ; les chasseurs, l’arc tendu, gardaient toutes les issues de la forêt ; les piqueurs parcouraient à pas lents le plus épais du bois ; les fauconniers tenaient leurs faucons prêts à prendre l’essor, et les forestiers, en élégant costume vert, conduisaient en lesse le lévrier rapide, pour le lancer sur le gibier que faisait partir le chien couchant. — Soudain la flèche siffle et vole, l’arquebuse lui répond, tandis que la colline répète de rochers en rochers le bruit des chevaux, les aboiemens des chiens, les cris des veneurs et les joyeuses fanfares du cor.

Le souvenir de ces nobles plaisirs survit encore dans nos vallées solitaires, sur les bords de l’Yarrow et dans l’épaisse forêt d’Ettrick, qui fut long-temps l’asile d’un redoutable proscrit. Mais cette cour, qui venait ainsi parcourir les forêts, était moins heureuse que nous dans nos parties de chasse. Plus modestes, nos plaisirs n’ont ni pompe ni éclat ; mais notre gaieté, cher Marriot, n’en est pas moins vive. Tu te rappelles mes excellens lévriers : jamais on ne les mit en défaut dans le bois ou sur la colline ; jamais chiens n’eurent plus d’ardeur et une bouche plus sûre. Les intervalles qui se passaient entre nos chasses n’étaient jamais tristes, car, pour nous distraire, nous avions toujours en réserve quelque poète de l’antiquité ou des temps gothiques ; nous admirions les scènes imposantes que la nature déployait à nos yeux ; nous redisions les vers qu’elles rappelaient à notre mémoire ; nous ne traversions pas une allée, pas un ruisseau qui n’eût sa légende ou sa ballade. Et maintenant tout est muet… ton château est désert, ô Bowhill ? Le laboureur n’entend plus le fusil du chasseur retentir sur la montagne ; on ne le voit plus, ému au souvenir de l’héritage de ses pères, verser à la ronde de joyeuses rasades, et boire au Chef des collines. Elles ne sont plus ces fées mortelles qui habitaient les bosquets de l’Yarrow, parcouraient ses avenues et cultivaient ses fleurs ; fées aussi belles que les esprits dansant au clair de la lune sur Carterhaugh et aperçus par la superstitieuse Jeannette. On ne voit plus le jeune baron qui animait les bois solitaires de Shériff, et imitait, par son ton et sa démarche mâle, la majesté d’Oberon. Elle est partie cette noble dame dont la beauté était le moindre attrait ; et cependant si la reine des sylphides eût voulu montrer à la terre tous ses charmes célestes, elle n’eût pu traverser les airs avec une taille plus légère et des traits plus gracieux. L’oreille insensible de la bonne veuve ne se ranime plus pour épier le bruit de ses pas ; elle ne l’attend plus à l’heure de midi, et ne s’occupe plus à orner sa chaumière pour la recevoir triste et pensive, elle tourne son rouet bruyant ou prépare le repas de ses orphelins, en bénissant encore la main qui les nourrit.

Le vallon de l’Yair, où les collines plus resserrées laissent à peine un étroit passage à la Tweed qui mugit, bouillonne et s’échappe en torrens écumeux, ce vallon a vu partir son seigneur de noble lignage. Laissé seul sur les rives du fleuve, je regrette de ne plus avoir près de moi ces jeunes compagnons de mes promenades, touchant à peine à la première adolescence, âge heureux où la franchise s’exprime avec un aimable abandon. Serrés à mes côtés, avec quel plaisir ils m’entendaient parler de Wallace, quand je leur montrais du doigt son éminence que j’appelais un lieu sacré[1] ! Comme leurs yeux s’enflammaient à mes récits et moi je souriais en pensant que, malgré la différence des années, mon front avait ressenti quelque étincelle de ce feu qui colorait leurs joues. Heureux enfans ! des sentimens si purs ne peuvent long-temps durer : entraînés par le flot rapide de la vie, il ne vous sera pas permis de vous arrêter sur la rive, car le destin vous précipitera loin du bord, et les passions dirigeront la voile et le gouvernail de votre navire. Cependant chérissez toujours le souvenir du ruisseau et de la montagne solitaire : oui, mes amis, un temps viendra sans doute où, domptant vos transports fougueux, vous penserez souvent, et sans remords, je l’espère, à ces jours de bonheur et de liberté que nous avons goûtés ensemble sur le penchant des coteaux.

Lorsque, rêvant à nos amis absens, nous sentons doublement que nous sommes seuls, il y a encore un charme dans nos regrets : ce sentiment flatte le vif désir d’isolement et de repos qu’éprouvent les ames tendres : le tumulte du monde l’empêche de se faire écouter ; mais c’est à un cœur préparé par la solitude, que sa voix douce inspire plus facilement un mélange de résignation et de contentement. Souvent la vue du lac silencieux de Sainte-Marie (1) a réveillé dans mon ame ces pensées : ni joncs ni roseaux n’en souillent le limpide cristal ; la montagne s’arrête tout à coup sur ses bords, et une légère trace de sable argenté marque à peine le lieu où le flot rencontre la terre. Dans le miroir de ces ondes d’un azur brillant viennent se dessiner les larges traits des collines ; vous ne voyez là ni arbres ni buissons, ni taillis, excepté vers cet endroit où, sur une étroite lisière, quelques pins épars se projettent dans le lac. Cette nudité du site produit aussi son effet, et ajoute à la mélancolie de l’âme. On ne voit ni bosquet ni vallon où puisse respirer un être vivant, ni grotte qui puisse recéler quelque berger ou quelque bûcheron solitaire. L’imagination n’a rien à deviner : on ne voit au loin qu’un désert, et le silence vient encore y joindre son influence mystérieuse… Quoique les rochers de la colline envoient au lac mille ruisseaux, cependant, aux jours d’été, ils coulent si doucement que leur murmure ne sert qu’à endormir l’oreille. Les pas du coursier qui nous porte nous semblent même trop bruyans, tant est profond le calme qui règne en ces lieux.

Rien de vivant ne vient y distraire l’œil, mais je n’oublie pas que l’asile des morts n’est pas éloigné : au milieu des dissensions féodales, un barbare ennemi a détruit la chapelle de Notre-Dame ; cependant c’est encore sous cette terre sacrée que le paysan va se reposer des fatigues de cette vie. Il demande, avant de mourir, que ses os soient déposés dans le lieu où priaient ses simples ancêtres.

Ah ! si l’âge avait apaisé le combat de mes passions ; si le destin avait brisé tous les liens qui m’attachent à la vie, qu’il me serait doux, ai-je pensé souvent, de venir habiter ici, et d’y relever la maisonnette du chapelain ! elle deviendrait pour moi l’ermitage paisible qui faisait soupirer Milton ! Qu’il serait doux de contempler le coucher du soleil derrière le sommet solitaire de Bourhope, et de dire, en voyant expirer ses derniers rayons sur le penchant de la colline ou sur les ondes du lac : — C’est ainsi que le plaisir s’évanouit ; jeunesse, talent, beauté, c’est ainsi que vous nous laissez tristes, abandonnés et en cheveux blancs ! Qu’il me serait doux d’admirer les ruines de Dryhope et de rêver à la Fleur de l’Yarrow ! Que j’aimerais, en entendant le murmure sourd de la montagne, avant-coureur de l’orage, et le sifflement lointain de ses ailes, aller m’asseoir sur le tombeau du magicien, de ce prêtre dont les cendres furent exilées du lieu où reposent les justes. Placé sur ce monument que le soleil n’éclaira jamais (comme le prétend la superstition) je verrais le lac soulever les vagues contre ses rives, et le cygne sauvage monter sur l’aile des vents, déployer au milieu des airs ses larges voiles blanches, et descendre par intervalles pour baigner son sein dans l’onde agitée. Enfin, lorsque mon plaid ne suffirait plus pour me protéger contre la grêle, j’irais dans mon ermitage solitaire, allumer ma lampe, tisonner mon feu, et méditer quelque poème romantique ; bientôt je serais abusé par mes propres idées ; le cri lointain du butor viendrait frapper mon oreille comme une voix mystérieuse, et m’annoncer le prêtre magicien réclamant son ancienne demeure. Mon imagination s’occuperait à lui trouver une figure bien étrange et bien farouche ; et m’interrompant moi-même, je sourirais en pensant que j’ai eu peur.

Mais surtout il me serait doux de regarder ce genre de vie, adopté seulement pour fuir les caprices de la fortune, comme un grand acte de courage et de dévouement, un immense sacrifice dont il me serait tenu compte ; et de penser que chaque heure donnée à ces douces rêveries serait un pas de plus dans le chemin du ciel !

Une pareille solitude déplairait à celui dont le cœur est troublé : il a besoin d’aller oublier ses agitations secrètes au milieu de la guerre des élémens ; et mon pèlerin eût préféré quelque demeure plus sauvage et plus triste encore, telle que la sombre montagne de Lochskene. Là les cris perçans de l’aigle retentissent de l’île au rivage ; des torrens roulent avec fracas sur les rochers ; un brouillard éternel infecte les airs, et étend son voile sombre sur le lac, dont les flots courent en bouillonnant se précipiter dans la profondeur d’un abîme. Une vapeur blanchâtre domine ce gouffre : le torrent mugit connue s’il était condamné à arroser la caverne souterraine de quelque démon, qui, soumis par les charrues d’un enchanteur, ébranle en hurlant le rocher qui pèse sur lui. L’aspect du pèlerin eût été en harmonie avec cette scène de terreur : je crois le voir penché sur l’abîme d’où s’échappe la vague écumeuse qui, semblable à la crinière flottante d’un coursier, arrose la vallée de Moffat, après avoir baigné le tombeau du géant.

O Marriot ! toi qui sur les bords de l’Isis[2] as répété les chants de nos bardes, daigne maintenant prêter l’oreille à mes vers : tu vas connaître quel était cet homme de malheur qu’environne le mystère.

______

i.

La brise qui dissipa les tourbillons de fumée des canons de Norham ne ridait pas seulement la surface diamantée des eaux de la Tweed, mais soufflant aussi sur la mer du nord, elle enflait les voiles d’un léger vaisseau qui, parti du couvent de Withbv, se dirigeait vers l’île de Saint-Cuthbert.

Cédant au souffle propice, le navire bondit sur les vagues, et les matelots sourient en voyant la proue sillonner avec rapidité l’écume verdure de la mer. Ils se montrent fiers aussi de leurs passagers, et contemplent sur le tillac l’abbesse de Sainte-Hilda dans un siège d’honneur, entourée de cinq jolies nonnes.

ii.

C’était un spectacle charmant de voir ces saintes filles, semblables à des oiseaux échappés de leur cage pour la première fois : timides et curieuses en même temps, elles admiraient tout ce qui frappait leurs regards, car tout était nouveau pour elles.

L’une répète ses pieuses oraisons en regardant le hauban et les voiles ; une autre pâlit à chaque lame d’eau qui s’avance, et, dans sa terreur, elle se recommande à tous les saints ; celle-ci pousse un cri aigu à l’aspect du marsouin qui lève au-dessus de l’onde sa tête noire et ronde et ses yeux étincelais ; une quatrième ajuste les plis de son voile qu’avait soulevé le vent de la mer : peut-être elle craint qu’un œil profane n’entrevoie des appas consacrés au ciel : peut-être aussi parce que ce mouvement donne une nouvelle grace aux contours de son bras et à sa jolie taille.

Le cœur de chaque nonne, simple et pur, se livre au plaisir que lui cause le voyage ; l’abbesse seule et la novice Clara y restent étrangères.

iii.

L’abbesse de Sainte-Witbhy était d’une famille illustre : jeune encore, elle prit le voile et quitta le monde avant de l’avoir connu. Elle était belle, et sans doute elle aurait eu un cœur tendre ; mais elle n’avait jamais entendu un amant soupirer pour elle ; jamais elle n’avait appris quel était le pouvoir de ses yeux. Elle ne pouvait, dans ses idées, séparer l’amour de la honte et de la vanité. Ses espérances, ses craintes, ses plaisirs, étaient tous concentrés dans les murs du cloître ; toute son ambition eût été d’égaler les mérites de sainte Hilda aussi avait-elle donné ses grands biens pour élever la tour orientale du couvent. C’était à son zèle que la chapelle de la sainte devait l’élégante sculpture dont elle était ornée, ainsi que sa châsse d’ivoire enrichie de pierreries. Le pauvre aussi se louait de sa charité ; et le voyageur égaré trouvait un asile dans les murs de Withby.

iv.

Le vêtement de l’abbesse de Sainte-Hilda était noir, et sa règle avait été réformée d’après les statuts sévères des bénédictines ; son visage pâle et sa maigreur attestaient ses veilles et son austère pénitence, qui avaient de bonne heure éteint le feu de ses yeux. Mais elle était remplie de douceur ; et, quoique vaine de ses prérogatives et de son autorité, elle n’avait rien de sévère, et se faisait aimer de ses sœurs.

Ce voyage attristait son ame : elle était mandée à Lindisfarn avec le vieil abbé de Saint-Cuthbert et la prieure de Tynemouth, pour tenir le chapitre de Saint-Benoît, et décider du sort de deux infortunés accusés d’apostasie

v.

Je ne dirai rien de sœur Clara, si ce n’est qu’elle était jeune et belle, aimable et tendre comme une novice qui a connu le malheur ; elle avait aimé un chevalier qui n’était plus, ou qui du moins avait perdu l’honneur, plus précieux que la vie. Sa famille voulait la forcer à accepter un époux qui ne la recherchait que pour ses biens. Clara, le cœur brisé, avait préféré prendre le voile, et ensevelir ses espérances déçues et sa jeunesse flétrie dans le sombre cloître de Sainte-Hilda.

vi.

Assise à la proue du vaisseau, elle semblait contempler les vagues et les compter dans leur course rapide ; mais c’étaient d’autres tableaux qui occupaient sa pensée.

Elle se figurait un vaste désert brûlé par les feux du soleil, où ne murmurent ni la brise ni les vagues. Elle croyait voir une main étrangère recouvrir d’un peu de sable un cadavre que bientôt le chacal viendrait arracher à cette tombe de la solitude.

L’infortunée tourne les yeux vers le ciel ; voyez quelle douleur est peinte dans ses regards !

vii.

Tendre, belle et affligée…… tes charmes, ô Clara ! auraient touché le cœur le plus barbare.

Les harpistes et les poètes ont chanté que le lion farouche avait oublié sa fureur à la vue d’une vierge faible et timide. Mais les passions de l’homme sont plus cruelles que la rage du lion ; et la jalousie, liguée avec l’avarice sordide, ont ourdi une criminelle trame pour perdre Clara. Le poison et le poignard ont menacé sa vie ; et les prisonniers de l’île de Saint-Cuthbert furent les complices de ce noir attentat.

viii.

Cependant le vaisseau cotoyait les montagnes du Northumberland. Les villes, les tours et les châteaux qui se succèdent charment les veux des nonnes. Elles laissent bientôt derrière elles la prairie de Tynemouth ; elles aperçoivent au milieu des arbres la superbe tour de Seaton-Delaval ; elles voient les flots de Blythe et du Wansbeck traverser en mugissant une forêt avant de se jeter dans la mer. Elles saluent la tour de Widderington qui a produit de si nobles chevaliers. En passant près l’île des Coquettes, ces saintes filles prièrent le grand saint qui jadis habita ce rivage. Ensuite Warkworth, fier du nom de Perey, fixa leur attention : elles se signèrent dévotement en entendant les échos souterrains du Dunstanborough répéter les mugissemens des flots qui se précipitent dans leurs cavernes. Ta tour aussi, Bamborough, attira leurs regards ; et bientôt après apparut le château régulier du roi Ida, qui, bâti sur le haut d’un rocher, semble menacer l’Océan de ses créneaux et de ses bastions. Ce fut alors que le vaisseau s’éloigna de la côte, et vogua à pleines voiles dans la baie de l’Ile Sainte,

ix.

La marée, parvenue à sa plus grande hauteur, entourait les domaines de Saint-Cuthbert : le flux et le reflux en font tantôt une île ou un continent. Deux fois chaque jour le pèlerin parvient à pied sec à la chapelle de Saint-Cuthbert, et deux fois les vagues effacent les vestiges de ses pas et de son bourdon.

À mesure que le navire approchait, on voyait s’élever progressivement l’antique monastère, édifice imposant, immense, et construit en pierres d’un rouge foncé, sur les bords de la mer.

x.

L’abbaye de Saint-Cuthbert était un reste de l’architecture saxonne avant que les règles de l’art fussent connues. Ses arcades massives s’élevaient en double rang sur des colonnes énormes et basses. L’architecte avait voulu imiter la voûte d’une allée, par la forme des ailes et le fût des piliers. Le Danois païen avait vu échouer sa rage impie contre ces murailles exposées pendant douze siècles aux orages de la Mer, aux attaques éternelles des vents, et aux pirates non moins terribles ; leur solide épaisseur avait résisté à l’Océan, aux vents et aux hommes du nord. Cependant quelques parties de l’édifice, rebâties dans un style plus moderne, rappelaient le passage des Danois ; le vent de la mer avait aussi rongé les sculptures des piliers, usé les formes de la statue du saint, et effacé les angles saillans des tours : mais l’abbaye restait encore debout, telle qu’un brave vétéran couvert de cicatrices.

xi.

Quand elles se virent près des tours du couvent, les vierges de Sainte-Hilda chantèrent le cantique de leur patronne ; et les murmures des flots et du vent mêlèrent leur harmonie sauvage au son plus doux de leurs voix. Bientôt un chœur religieux, à demi étouffé par le bruit des brisans, répondit aux timides voyageuses. Les moines de Saint-Cuthbert descendirent en procession sur la plage, pour aller à leur rencontre avec la bannière, la croix et les reliques.

Les habitans de l’île, pleins d’allégresse, bravèrent la marée et poussèrent à l’envi le navire au rivage. L’abbesse de Sainte Hilda, remarquable par son voile et sa guimpe, se tenait debout sur le tillac, et prodiguait les bénédictions et les signes de croix.

xii.

Je ne parlerai pas de l’accueil que reçurent les filles de Sainte-Hilda, et du banquet auquel elles furent conviées. Chacune d’elles parcourut le couvent, le cloître, l’église, les galeries, et tous les endroits où elle ne risquait pas de rencontrer un œil profane. Enfin, après avoir contenté leur curiosité, les saintes sœurs se réunirent autour du foyer, lorsque la rosée du soir et le vent froid de la mer les forcèrent de s’y réfugier. Les deux congrégations louèrent tour à tour les mérites de leur saint, texte qui ne peut lasser une nonne ; car l’honneur de son saint, comme on sait, c’est le sien.

xiii.

C’est ainsi que les religieuses de Saint-Withby racontèrent avec un air de triomphe comment trois puissans barons sont soumis à rendre à leur monastère un service de vassaux, pendant que les cors répètent un chant de honte et que les moines crient :

— Déshonneur à votre nom, ô vous qui, pour la perte d’un vil gibier, avez égorgé un prêtre de Sainte-Hilda !

— Voilà ce que sont forcés d’entendre chaque année, au jour de l’Ascension, Herbert, Bruce et Perey, condamnés à travailler au môle de notre rade (2). — Elles dirent aussi comment une princesse saxonne, la belle Edelfled (3), vint se réfugier dans leur couvent. Elles parlèrent de la grande vertu de sainte Hilda, qui changea mille serpens en pierres (4). Elles avaient elles-mêmes trouvé, disaient-elles, des traces de ce miracle dans leur voisinage.

Puis elles dirent encore comment les ailes manquent aux oiseaux de mer quand ils planent sur les tours de Withby, et comment ils descendent pour rendre hommage à la statue de sainte Hilda.

xiv.

Les nonnes de Saint-Cuthbert ne restèrent pas en arrière pour louer leur patron : elles racontèrent combien de fois son corps changea de tombeau, depuis que les moines, chassés par les Danois, avaient erré pendant sept années à travers les marécages et sur les montagnes, avec le précieux dépôt de ses dépouilles mortelles. Ils s’arrêtèrent enfin à Melrose ; mais ce lieu, aimé du saint pendant sa vie, ne devait pas posséder ses reliques. Par un prodige étrange, on vit son cercueil de pierre, brillant comme certaines plantes marines, voguer sur les flots jusqu’à l’abbaye de Tilmouth ; mais son séjour n’y fut pas long : le saint voyageur, se dirigeant vers le sud, étonna par son passage miraculeux Chester-le-Street et Rippon, avant d’être salué par Wardilaw, avec un mélange de joie et de crainte. Enfin il choisit son noble asile aux lieux où sa vaste cathédrale s’élève sur les bords du Wear. C’est dans l’église gothique de Durham que repose son corps ; mais trois prêtres pieux, liés par un serment solennel, partagent seuls l’honneur de savoir le lieu de sa sépulture.

xv.

Qui pourrait raconter tous ses miracles ? L’intrépide roi d’Ecosse et son fils, conduisant avec eux les Galwégiens, impétueux comme les vents du nord, les chevaliers de Lodon, couverts de cottes de maille, et les guerriers de Teviotdale, furent mis en fuite par son étendard (5). Ce fut lui qui, pour venger sa puissance outragée, arma le grand Alfred contre les Danois, et fit prendre la fuite à Guillaume-le-Bâtard, lorsqu’il vint à la tête de ses Normands ravager le Northumberland.

xvi.

Mais les nonnes de Sainte-Hilda auraient bien voulu savoir s’il était vrai que Cuthbert se tint encore sur un rocher près de Lindisfarn, pour y fabriquer de ses saintes mains les chapelets qui portent son nom. Les pêcheurs de Withby assuraient que l’on y voyait la figure du saint, et qu’on entendait le bruit de son enclume alors que la tempête grondait, ou que la nuit silencieuse répandait ses ombres sur les flots. Mais les nonnes de Lindisfarn rejetaient de tels récits et les traitaient de vaine superstition.

xvii.

Tandis qu’autour du foyer on récitait toutes ces légendes, une scène de désespoir se préparait dans un souterrain secret de l’île, où un tribunal prononçait la peine de mort. Le cachot le plus noir n’a pas un aspect plus lugubre que ce caveau. Il avait été construit par le vieux Colwulf, qui vint y pleurer ses fautes quand il quitta la couronne et la hache des Saxons pour le froc et le rosaire. L’entrée seule glaçait les sens d’horreur : la lumière du jour n’y pénétrait point, l’air ne s’y renouvelait jamais. On l’appelait le caveau de la pénitence. Le prélat Sexhelm l’avait converti en un lieu d’inhumation pour les corps de ceux qui, morts en péché mortel, ne pouvaient être ensevelis dans l’enceinte de l’église. Maintenant c’était un lieu de châtiment. Si les cris de désespoir des victimes parvenaient jusqu’à l’air supérieur, les passans faisaient un signe de croix, et croyaient entendre les lamentations des damnés.

xviii.

Il courait seulement dans le monastère une vague tradition sur ce souterrain de la pénitence ; mais excepté l’abbé et quelques moines, personne ne savait où il était situé. L’exécuteur et la victime, les yeux couverts d’un bandeau, y arrivaient sans savoir quelle route ils avaient suivie.

La voûte était basse et sombre, les murs latéraux étaient taillés dans le roc ; des pierres tumulaires, sculptées grossièrement, à demi couvertes de terre et usées par le temps, formaient le seul pavé de ce souterrain. L’humidité des murs, qui se résolvait en gouttes de pluie, tombait des voûtes sur les tombeaux avec un bruit monotone. Un cresset[3], suspendu à la voûte par une chaîne de fer, semblait lutter contre les ténèbres et les noires vapeurs. Cependant la flamme vacillante donnait assez de clarté pour qu’on pût distinguer le conclave redoutable de ces lieux.

xix.

Là étaient assemblés les chefs des trois couvens, tous trois de l’ordre de saint Benoît, dont les statuts étaient gravés sur une table de fer. On eût remarqué l’abbesse de Sainte-Hilda, qui resta quelque temps le visage découvert, jusqu’à ce qu’elle abaissa son voile pour cacher les battemens de son cœur et les larmes que la pitié faisait rouler dans ses yeux.

A son air fier, à son noir capuchon, à sa robe flottante, je reconnais la pâle prieure de Tynemouth.

Et ce vieillard dont la nuit de l’âge a déjà éteint les yeux, et dont le front sévère et sillonné de rides est le seul qui ne laisse voir aucune trace de pitié, c’est l’abbé de Saint-Cuthbert, que ses mœurs austères ont fait surnommer le saint de Lindisfarn.

xx.

Devant ces trois juges étaient deux coupables ; mais quoique condamnés tous deux au même supplice, un seul mérite notre intérêt. Un habit de page déguise son sexe. Le pourpoint et le manteau négligemment noué ne peuvent cacher tous ses charmes. Elle ramène sa toque sur ses yeux ; elle cherche à couvrir le faucon et les armes de Marmion brodés sur son sein.

Mais par l’ordre de la prieure, un exécuteur découvrit la tête de l’accusée, et dénoua le ruban de soie qui tenait prisonnières les boucles de ses longs cheveux. Alors on reconnut Constance de Beverley, sœur professe de Fontevrault, que l’Église mettait déjà au nombre des morts pour avoir violé ses vœux et abandonné le cloître.

xxi.

La pâleur empreinte sur ses traits formait un pénible contraste avec l’éclat de ses beaux cheveux. Son maintien assuré, son regard calme, annonçaient une fermeté et une constance à toute épreuve. Immobile, elle était si pâle que, sans le souffle de sa respiration, sans le léger mouvement de ses yeux et les ondulations de son sein, indices non équivoques de la vie, on aurait pu la prendre pour une de ces statues de cire que l’artiste a revêtues des formes humaines et d’un faux air d’existence.

xxii.

Son complice était une de ces ames sordides qui vendent le crime au poids de l’or, et ne connaissent d’autre frein que la peur, car leur conscience depuis long-temps a cessé de faire entendre sa voix. Ils n’ont d’autre but que la satisfaction de leurs lâches désirs : tels sont les instrumens que l’enfer emploie pour ses forfaits les plus terribles : car ces ames n’ont aucune vision, aucun spectre pour les épouvanter dans la nuit ; la crainte de la mort peut seule les arrêter.

Ce misérable portait le froc et le capuchon ; il n’avait pas honte de hurler, de se rouler par terre comme un dogue châtié, tandis que Constance attendait son arrêt, muette et sans verser une larme.

xxiii.

Et cependant l’infortunée aurait bien pu pousser des cris. Elle n’avait que trop sujet d’éprouver l’effroi trahi par sa seule pâleur à la vue de deux niches étroites pratiquées dans l’épaisseur du mur. Le malheureux condamné à franchir ce seuil redoutable ne revoyait plus la lumière du jour.

Quelques racines avec un peu de pain et d’eau sont déposées dans ces demeures de la mort. Deux moines revêtus de l’habit de bénédiction, baissant un œil sauvage et hagard, se tiennent immobiles contre les murs. Ils élèvent dans leurs mains une torche ardente dont la lumière, mêlée d’une épaisse fumée, éclaire l’entrée de chaque cellule ; auprès d’eux sont amoncelés, pour un cruel usage, du ciment, des pierres taillées, et des outils de maçonnerie.

xxiv.

Ces exécuteurs étaient choisis parmi ces hommes qu’une sombre inimitié sépare du genre humain et que la rage et l’envie ont jetés dans le cloître ; il en est encore qui, désespérant de la bonté du ciel, se vouent aux pratiques les plus rigoureuses, espérant par-là effacer les souillures d’un noir forfait ; l’Eglise confia toujours le soin de ses vengeances à de tels hommes, soit qu’un penchant naturel les porte à faire le mal, soit que, par une affreuse superstition, en domptant la nature pour se rendre les exécuteurs des vengeances de l’Église, ils pensent se rendre agréables à Dieu.

On les descendit dans le souterrain sans qu’ils se doutassent en quel lieu ils se trouvaient.

xxv.

L’abbé aveugle se leva pour prononcer la sentence qui condamnait les accusés à être enterrés vivans ; alors la malheureuse Constante, rassemblant ses forces, essaya de parler, et interrompit le juge ; des sons inarticulés s’échappèrent de ses lèvres agitées d’un mouvement convulsif. Dans les intervalles de silence qui succédaient à ses gémissemens étouffés, on entendait sous les voûtes un bruit semblable au murmure lointain d’un ruisseau : c’était le mugissement des vagues, car les murailles de ce souterrain étaient si épaisses, qu’à peine y aurait-on distingué le fracas d’une tempête malgré la proximité de la mer.

xxvi.

Constance fit un dernier effort qui refoula son sang prêt à se glacer dans son cœur, son œil se rouvrit, une légère teinte de rose reparut sur ses lèvres, mais faible comme celle dont un orage d’automne laisse parfois l’empreinte passagère sur les sommets de Cheviot. En parlant elle cherchait encore à recueillir ses forces pour le moment terrible qui approchait… Qui n’eût été touché de voir tant de courage dans une femme si belle ?

xxvii.

— Je ne veux point implorer ma grâce, dit-elle ; je sais bien que je demanderais en vain que ma vie fût prolongée d’une minute. Je ne prétends point non plus réclamer et obtenir vos prières ; si la mort lente que je vais souffrir ne suffit pas pour racheter mes fautes, toutes vos messes pourraient-elles davantage ? J’ai écouté les séductions d’un traître, j’ai quitté le couvent et le voile, j’ai pendant trois années fait fléchir mon orgueil jusqu’à me confondre sous les habits d’un page parmi les serviteurs de celui que j’aimais ; qu’il a bien puni la folie de l’infortunée qui lui avait sacrifié toutes ses espérances dans ce monde et dans l’autre !… Il vit Clara… plus belle et plus riche que Constance, elle lui fit oublier ses sermens ; hélas ! — Je ne suis pas le premier exemple de la perfidie des hommes ; mais si le destin n’avait pas trompé mes désirs, jamais femme trahie n’eût été vengée comme moi.

xxviii.

Le roi favorisait les prétentions de son favori ; vainement Clara lui préférait un rival. Marmion diffame Wilton et l’accuse d’être un traître ; le combat est décidé ; on reçoit leurs sermens, on fait les prières d’usage, leurs lances sont en arrêt, le choc commence, et déjà la foule s’écrie : — Victoire à Marmion, le gibet à son rival.

— Dites-moi, vous qui nous prêchez que le ciel se déclare pour le bon droit quand deux chevaliers se combattent en champ clos, où était la justice du ciel quand Wilton, fidèle à son amie et loyal à son roi, trouva la mort ou la honte sous la lance d’un traître ? Ces papiers criminel prouveront mieux son innocence.

Alors Constance tira des papiers cachés dans son sein, les jeta sur la table, recueillit encore ses forces pendant lut moment de silence, et continua en ces termes :

xxix.

— Mais l’hymen du déloyal Marmion fut encore retardé, car Clara se réfugia au couvent de Withby pour échapper à ce lien odieux. Le roi Henry, à la nouvelle de sa fuite, s’écria : — Ses refus ne seront pas écoutés : chevalier, Clara sera ton épouse, qu’elle ait prononcé ses vœu ou non. — Une ressource me restait encore ; le roi venait d’ordonner le voyage de Marmion en Écosse. Je restai ici pour me sauver, et Clara avec moi. Le lâche que vous voyez, séduit par mon or, jura qu’il s’introduirait dans le couvent de Withby, et que le poison enverrait bientôt ma rivale dans le ciel. Cet homme infame a mal tenu sa promesse, sa lâcheté nous a perdus tous deux.

xxx.

Si j’ai fait cet aveu, ce n’est point le remords qui m’a fait parler ; mais je veux mourir avec la consolation de savoir que jamais une autre femme ne sera l’épouse de Marmion. Je conservais précieusement ces papiers : trompée dans mes autres espérances, je les aurais envoyés au roi Henry ; ils livraient à la hache du bourreau la tête de mon perfide amant, quoiqu’il m’en eût coûté la vie.

Maintenant, ministres du trépas, disposez de mon sort : je saurai souffrir… Qu’importe une agonie plus ou moins longue, la mort est toujours là pour la terminer !

xxxi.

Mais, esclaves de la sanguinaire Rome, craignez encore Constance dans la tombe où elle descend vivante. Si un remords tardif réveille Marmion, sa vengeance sera si terrible que vous préféreriez une autre invasion des Danois. Oui, je vous laisse derrière moi un sombre avenir. L’autel s’ébranle, la crosse se brise, la fureur d’un despote vous atteint sur les ailes de la destruction. Ces voûtes si épaisses s’ouvriront aux vents de la mer ! Quelque voyageur y trouvera mes os blanchis au milieu des pierres disjointes ; et ignorant la cruauté des prêtres, il s’étonnera de trouver ici ces dépouilles de la mort. —

xxxii.

Les regards de Constance étaient fixes, ses traits avaient pris un air menaçant, ses cheveux flottaient sur ses épaules ; les boucles qui ombrageaient son front se hérissèrent, sa taille sembla s’élever, l’énergie du désespoir avait donné à sa voix un accent prophétique. Le tribunal s’étonna et frémit, les ministres de la mort contemplaient la victime inspirée avec des regards stupides, et croyaient entendre déjà gronder la tempête qu’elle annonçait. Le plus grand silence régna sous ces voûtes, jusqu’à ce que le vieillard, levant vers le ciel ses yeux privés de la vue, prononça la sentence : — Ma sœur, dit-il, vos misères vont finir ; frère coupable, allez en paix.

Les trois juges s’éloignèrent de cet horrible cachot qui servait au jugement et au supplice. Qui pourrait décrire l’exécution de la sentence ?

xxxiii.

Les membres du tribunal ont cent marches à remonter. Avant qu’ils aient pu respirer l’air du jour supérieur, ils entendent dans les sombres détours de l’escalier les cris du désespoir et des sanglots étouffés. Ils se hâtent. La terreur presse leurs pas, ils se signent d’une main tremblante, et se séparent le trouble dans le cœur. Ils croient ouïr dans le silence solennel de la nuit le gémissement d’une agonie prolongée. Par leur ordre, la cloche du monastère annonce le départ d’une ame de ce monde ; ce glas de mort tinte lentement à travers l’obscurité sur les vagues. — Les rochers du Northumberland en gémirent. L’écho porta le son sinistre de l’airain jusqu’à l’ermitage de Warkworth. L’ermite dit aussitôt son rosaire ; le paysan de Banborough releva sa tête assoupie ; et, sommeillant encore, il murmura une prière. Le cerf tressaillit sur les monts Cheviot, ouvrit au vent ses larges naseaux, et tourna de toutes parts ses regards tremblans au milieu de la bruyère, en écoutant ces accens lugubres.



Notes


CHANT II.

Note 1. — Introduction, page 209, ligne 2 en remontant. — Le lac silencieux de Sainte-Marie.

Cette belle pièce d’eau forme le réservoir dans lequel l’Yarrow prend sa source. Non loin de là est un lac plus petit, appelé le Loch of the towes, et environné de montagnes de tous côtés. A l’extrémité inférieure du lac se trouvent les ruines de la tour de Dryhope, berceau de Marie Scott, fille de Philippe Scott de Dryhope, et connue sous le nom de Fleur de l’Yarrow ; elle fut mariée à Walter Scott de Harden, qui fut aussi célèbre par ses rapines que sa femme le fut par sa beauté.

Note 2. — Paragraphe xiii.

La tradition populaire de cette singulière servitude, probablement exagérée, est rapportée en ces termes dans un véritable récit, imprimé et publié à Withby : « Dans la cinquième année du règne de Henri II, après la conquête de l’Angleterre par Guillaume, duc de Normandie, le seigneur d’Uglebarnby, alors appelé Guillaume de Bruce, le seigneur de Smeaton, nommé Ralph de Perey, et un gentilhomme nommé Attatson, se donnèrent rendez-vous pour la chasse au sanglier, dans une forêt ou désert appartenant à l’abbé de Withby ; le nom de ce lieu était Eskdale-Side, et celui de l’abbé Sedman. Au jour fixé, ils vinrent au rendez-vous, armés d’épieux et suivis de leurs meutes. Ayant aperçu un énorme sanglier, ils lancèrent leurs chiens, qui le poursuivirent jusqu’auprès de la chapelle de l’ermitage d’Elslsdale-Side, où était un moine de Withby, qui y vivait en anachorète. Le sanglier, poursuivi vivement et accablé de fatigue, entra dans la chapelle, se coucha par terre, et expira. L’ermite ferma la porte et resta dans la chapelle, occupé de ses prières et de ses méditations. Tandis que les chiens étaient à attendre au dehors, les jeunes seigneurs, poursuivant le cours de leur chasse, arrivèrent à l’ermitage, guidés par les aboiemens de leurs limiers ; ils appelèrent l’ermite, qui ouvrit sa porte, et vint se présenter à eux. Les chasseurs ayant vu le sanglier mort dans la chapelle, entrèrent en fureur ; ils se portèrent à des violences envers l’ermite, le maltraitèrent avec leurs épieux : l’ermite en mourut, après avoir fait commuer la peine de mort à laquelle ses meurtriers furent condamnés, en cette espèce de vasselage dont leur postérité ne s’affranchit que difficilement. »

Note 3. — Paragraphe xiii.La belle Edelfled.

Elle était fille du roi Oswy, qui pour remercier le ciel de la grande victoire qu’il lui fit remporter, en 635, contre Peuda, roi païen de Mercie, voua Edelfled, à peine âgée d’un an, au service du Seigneur, dans le monastère de Withby, dont sainte Hilda était alors abbesse. Dans la suite, elle orna avec beaucoup de magnificence le lieu où elle avait été élevée.

Note 4. — Paragraphe xiii.

Ces deux miracles sont rapportés par tous les anciens auteurs qui ont eu occasion de parler de Withby ou de sainte Hilda. On trouve encore au milieu des rochers les restes de ces serpens qui infestaient le couvent, et qui, à la prière de l’abbesse, furent non-seulement exterminés, mais encore pétrifiés. Les naturalistes protestans les nomment ammonitœ.

L’autre miracle est rapporté en ces termes par Camdem : « Voici une autre preuve de la toute-puissance de la sainte : les oies sauvages qui, dans l’hiver, fuient par bandes vers le sud, pour y chercher des rivières ou des lacs qui ne soient pas gelés, s’abaissent soudain à terre lorsqu’elles passent sur certains endroits des environs. »

Note 5. — Paragraphe xv.

Tout le monde sait que lorsque David Ier et son fils Henry envahirent le Northumberland, en 1136, les Anglais marchèrent contre eux sous la bannière de saint Cuthbert, et ce fut à sa vertu divine que l’on attribua la grande victoire qu’ils remportèrent à la sanglante bataille de Northallerton, ou Cuton-Moor. Mais dans le fait, les vainqueurs ne durent leurs succès qu’à la jalousie des différentes peuplades qui composaient l’armée de David, qui était une réunion de Galwégiens, des habitans de Strath-Clyde, d’hommes de Teviotdale et du Lothian, avec beaucoup de soldats normands et allemands, qui tous avaient embrassé sa cause. (Voyez Chalmers Caledonia, page 622.)

  1. Il y a sur une côte de montagnes au-dessus la ferme d’Ashestell, un fossé appelé la tranchée de Wallace. — Ed.
  2. Rivière d’Oxford.
  3. Lampe antique. — Ed.