Marmion/Defauconpret, 1830/Chant 3

Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Œuvres de Walter Scott, tome 1Furne, Libraire-éditeurTome I. — Ballades, etc (p. 225-245).


CHANT TROISIÈME.

L’Hôtellerie.

A WILLIAM ERSKINE ESQ.
Ashestiel, Ettrick Forest.


Semblable à ces nuages des matinées d’avril, qui, passant sur la prairie, y font tour à tour succéder l’ombre à la lumière ;. et nous retracent, au milieu des champs, l’image des différentes scènes de cette vie mêlée de joie et de chagrin ; semblable à ce ruisseau descendu des montagnes du nord, qui, tantôt impétueux torrent, va bouillonnant dans la plaine, et tantôt, ralentissant le cours de ses flots argentés, paraît dormir dans le vallon ; semblable à ces légères brises d’automne dont l’haleine inconstante expire et se ranime soudain, quand l’oreille croit que son murmure a cessé ; ma muse romantique plane dans les airs, s’égare, et, fatiguée de ses rêveries, retombe enfin sur la terre. Cependant notre œil se plaît à suivre l’ombre fugitive et les détours irréguliers du ruisseau ; notre oreille aime à écouter la brise légère dont les sauvages soupirs se glissent à travers les feuilles d’automne. Inconstans comme tes nuages, le ruisseau et le vent d’automne, coulez, oui, coulez librement, ô mes vers !

Ai-je besoin de te dire, cher Erskine, que ma muse se plaît un peu trop peut-être à tromper le lecteur, en passant tour à tour d’un mode doux et léger à un mode plus énergique ? Au milieu de ces caprices du poète, un transport plus noble l’inspire quelquefois ; alors ton indulgente amitié veut bien excuser toutes ses erreurs ; et souvent tu m’as dit : — Si tu veux consacrer tes momens de loisir aux rêveries poétiques, renonce à ton humeur inconstante, et va puiser aux véritables sources. Imite les grands maîtres ; contemple avec une noble envie le laurier immortel qui couronne leurs monumens ; du fond des tombeaux, leur voix pourra se faire entendre encore au barde timide, et lui donner des leçons. Choisis parmi eux un guide illustre, suis les routes qu’ils ont frayées, et ne va pas, sur les traces des ménestrels des temps barbares, t’égarer dans des sentiers inconnus.

— Crois-tu donc que notre siècle ne saurait pas aussi t’offrir des sujets classiques ? Le monument révéré de Brunswick ne peut-il donc t’inspirer quelque noble élégie ? Quoi ! pas un vers, une larme, un soupir, quand la valeur s’immole pour la liberté. O héros de ces temps glorieux ! Lorsque, brillant d’un éclat sublime et bravant à la fois la belliqueuse Autriche, la Russie, la France et l’Europe liguée, l’astre de Brandebourg parut à l’horizon, tu ne voulus pas vivre pour le voir s’éclipser à jamais dans les plaines d’Iéna. Héros infortuné !… Il ne t’était pas donné de changer les arrêts du destin, d’étouffer l’hydre dès sa naissance, de briser la verge destinée à châtier la terre coupable… Héros infortuné ! tu n’eus pas le pouvoir de sauver la Prusse, en ce jour où, trop présomptueuse, elle se précipita sur un champ de bataille, armée de la lance, mais oubliant le bouclier ! Non, il t’était réservé d’unir en vain la valeur à la prudence : tu auras cru indigne de tes cheveux blancs de supporter cette dernière injure, la plus cruelle de toutes, celle de voir les royaumes partagés, les écussons abattus, et la légitimité prostituée à un usurpateur ; d’être témoin des outrages dont chacun de tes enfans fut abreuvé, et des malheurs que tu n’aurais pu adoucir. Le ciel, dans sa clémence, avait destiné à une vie honorable une mort plus honorable encore. Ah ! quand les vicissitudes inévitables des temps auront fait luire sur la Germanie le jour de la vengeance ; quand le désespoir, embrasant tous les cœurs d’un enthousiasme digne d’elle, aura réveillé quelque nouvel Arminius, avant de frapper les premiers coups, il ira, ce vengeur de ses droits, aiguiser son épée sur la tombe de Brunswick.

— Ou célèbre un de ces héros croisés, indomptables dans les fers comme sur la brèche, toujours les mêmes et sur la terre et sur les flots, qu’ils tiennent en main la lance, les rênes ou la rame, pourvu qu’ils courent à ces remparts que le féroce musulman défend contre leurs phalanges invincibles. — Célèbre celui dont la voix, semblable au tonnerre, alla réveiller le silence des mers glaciales, quand le Russe et le vaillant Suédois se firent un jeu de la mort au milieu des flots qui les engloutissaient. Ou bien encore chante ce guerrier qui, sur les rives d’Alexandrie, arracha d’une main mourante les lauriers du vainqueur.

— Fais revivre l’antique gloire de notre théâtre, si tu peux obtenir le sourire de la muse tragique ; rappelle-nous les accords sublimes qui s’échappaient jadis de cette harpe suspendue sur les rives sacrées de l’Avon. Après deux siècles de silence, une enchanteresse hardie, brillant d’un noble enthousiasme, a osé détacher ce trésor des branches pâles du saule, et faire entendre à ces bosquets solitaires le récit de la haine de Montfort et des amours de Basile : les cygnes de l’Avon, réveillés par ses chants inspirés, ont cru que leur Shakspeare vivait encore[1].

— Ainsi ton amitié abusant ta raison, voudrait, en me prodiguant des louanges qui ne m’appartiennent, pas, prescrire à mes loisirs une tâche au-dessus de mes forces. Mais dis-moi, cher Erskine, as-tu jamais étudié cette puissance secrète à qui tout est soumis, et qui plie à son gré notre ame docile, cette puissance dont la source est inconnue, et qu’on ne peut définir ? Que ce soit une impulsion qui, naissant au moment où l’homme s’éveille à la vie, s’unit à tous nos sentimens et à toutes nos facultés, et devient une portion de nous-même plutôt qu’une dépendance de notre être ; que ce soit, comme on l’appelle à plus juste titre, la force de l’habitude qui se forme dans nos premières années ; cette puissance que tout le monde reconnaît, quelle que soit son origine, gouverne l’ame en reine absolue, et nous retient sous ses lois par d’invisibles chaînes, quand la raison et le goût réclament en vain leurs droits. Jette les yeux à l’orient : demande à ce Belge du ciel brûlant de Batavia pourquoi donc il désire si peu de respirer l’air frais de la montagne ? Satisfait d’élever ses murailles près des ondes dormantes de ses canaux, il te répondra : — Dès ma jeunesse, j’aimais à voir la voile blanche fuir le long de ces arbres. — interroge ce berger battu par la tempête, qui chasse devant lui son troupeau paresseux, et dont le manteau déchiré et le front sauvage rappellent les montagnes du nord qui l’ont vu naître. Il traverse les riantes prairies de l’Angleterre ; toutes leurs richesses se déploient à ses yeux : hé bien ! demande-lui s’il serait heureux de couler ses jours au sein de l’abondance, dans ces fertiles plaines qu’ornent de riantes charmilles, qu’embellissent des prairies et des forêts, et que couvrent d’élégantes chaumières dispersées çà et là. Non, non, il ne laisserait pas pour ces beaux lieux les arides montagnes du sombre Lochaber ; et les belles prairies de Devon ne lui feraient pas oublier les vieilles cimes du Ben-Nevis et le lac de Garry.

Ainsi, tandis que j’imite les accords sans art qui charmèrent mon enfance, ces accords, tout sauvages qu’ils sont, me rappellent la douceur de mes premières pensées. Les mêmes sensations que j’éprouvais à l’aurore de ma vie échauffent ma verve, et inspirent ses chants d’aujourd’hui. Je vois encore ces rochers qui s’élançaient dans les nues, et cette tour de la montagne, qui charmaient l’éveil de mon imagination. Il n’y avait près de moi ni fleuve majestueux digne d’être chanté par la muse héroïque, ni un de ces bocages où les soupirs des brises d’été invitent aux aveux les plus doux à l’amour ; un humble ruisseau pouvait à peine prétendre à l’hommage de la flûte d’un berger. Cependant un instinct poétique me fut donné par ces vertes montagnes et le ciel armé ; c’était un site stérile et sauvage où des roches nues semblaient entassées en désordre ; mais çà et là je rencontrais une verte pelouse formée du plus frais gazon. L’enfant solitaire connaissait les grottes où croissait la giroflée jaune et ces endroits où le chèvrefeuille aimait à se suspendre sur les rochers plus bas et sur une vieille muraille. L’ombrage de ces lieux était pour moi le plus doux de tous ceux que le soleil éclaire dans sa course circulaire, et cette tour chancelante me paraissait le plus grand ouvrage de la puissance humaine. J’écoutais le vieux berger me racontant les exploits de ces maraudeurs du sud, qui portaient leurs ravages jusque sur les monts Cheviot ; et, riches de butin, reprenaient la route de leur demeure qu’ils faisaient retentir du tumulte de leurs cris et de leurs joyeux festins. Je croyais entendre encore le son de la trompette sous les arcades brisées du château, et il me semblait apercevoir de hideuses figures, toutes couvertes de cicatrices, à travers les barreaux rouillés des fenêtres. Puis, pendant l’hiver, autour du foyer, les récits, tantôt gais, tantôt tristes, qui abrégeaient les heures, me parlaient des ruses d’amour, des attraits des dames, des charmes des magiciens, des exploits des chevaliers, des victoires de Wallace et de Bruce, et de ces derniers combats où nos clans d’Ecosse, sortis comme un torrent des Highlands, avaient repoussé les rangs des Habits-Rouges. Etendu tout de mon long sur le plancher, je renouvelais ces guerres, en faisant battre mes cailloux contre mes coquilles. Une seconde fois le lion de la Calédonie mettait en déroute les bataillons du sud.

Je pourrais, en cherchant une vaine illusion, peindre toutes ces figures pleines de bonhomie, qui venaient faire cercle autour du foyer du soir. C’était ce vieillard en cheveux blancs qui demeurait dans ce manoir couvert en chaume, sage sans avoir rien appris, simple et bon comme un véritable Ecossais ; son œil, encore vif et perçant, attestait ce qu’il fut dans sa jeunesse, et ses décisions terminaient les différends des voisins, satisfaits d’une justice qu’il ne leur faisait point acheter. C’était notre vénérable ministre, hôte assidu et familier dont les mœurs et ta vie étaient à la fois celles du savant et du saint. Hélas ! souvent mes jeux bruyans et mes espiègleries ont interrompu ses discours ; car j’étais un petit mutin volontaire, capricieux, l’enfant gâté d’une bonne aïeule ; mais, tautôt fâcheux, tantôt excitant le sourire, j’étais toujours souffert, aimé et caressé

Elevé comme je le fus, peux-tu donc exiger de moi l’ouvrage compassé d’un poète classique. Non, Erskine, non ; laisse la bruyère sauvage fleurir sur la colline ; cultive, si tu veux, tes tulipes, taille tes vignes ; mais laisse le chèvrefeuille errer à son gré, et l’églantier croître en liberté. Non, cher ami, non ; puisque tu as daigné quelquefois encourager mes chants par tes louanges, que ta critique éclairée a daigné corriger une pensée triviale ou un vers inutile, écoute-moi avec ta bonté accoutumée, et dans le poète épargne l’ami. Permets à mes vers d’errer en liberté, comme la brise, les nuages et les ruisseaux.


i.

Marmion poursuivit son voyage pendant une longue journée. Le pèlerin le conduisit par les montagnes, dans des sentiers qui traversent d’étroites vallées où serpentent des ruisseaux bordés de bouleaux nains. Ils évitaient les routes de la plaine, de peur des maraudeurs de Merse, qui, dans leur soif du pillage, auraient pu mettre obstacle à leur passage. Souvent ils apercevaient le daim qui, de la cime d’un mont, regardait défiler les cavaliers ; le coq de bruyère s’échappait de son nid sur ses ailes couleur de jais ; le cerf, s’élançant d’une touffe de genêts, n’attendait pas la flèche meurtrière ; et lorsqu’ils pénétrèrent dans le sentier pierreux de la montagne, le ptarmigan aux ailes blanches prit soudain la fuite. Depuis long-temps le soleil avait fourni la moitié de sa carrière lorsqu’ils parvinrent aux hauteurs de Lammermoor de là, se dirigeant vers le nord, ils aperçurent, à l’entrée de la nuit, le hameau et les tours de Gifford.

ii.

Personne ne les invita à recevoir l’hospitalité dans le château. Le seigneur de Gifford venait de partir pour le camp du roi d’Ecosse. Restée seule, la prudente châtelaine n’avait garde d’ouvrir son manoir à des inconnus, amis ou ennemis, à une heure si avancée.

En traversant le village, Marmion aperçut une porte ornée d’un flacon et d’un rameau, et il y arrêta son cheval. L’hôtellerie semblait vaste, quoique peu élégante. Un joyeux foyer et un bon repas promettaient d’y bien délasser sa suite.

Les cavaliers sautent en bas de leur selle, le bruit des éperons retentit dans la basse-cour ; ils vont attacher leurs chevaux dans l’écurie, demandent du fourrage, du feu et le souper : leurs cris divers se font entendre dans toute la maison. L’hôtelier empressé, mesurant sa peine sur l’écot qu’il espère, semble se multiplier pour être partout.

iii.

Bientôt la flamme du foyer permet d’examiner toute l’hôtellerie ; dans un coin, aux soliveaux enfumés du plancher, est suspendu le trésor des provisions d’hiver. On y remarque des oies-soland et maints oiseaux de mer desséchés, des jambons de sanglier et des quartiers de venaison savoureux.

L’arche de la cheminée s’avançait en vaste circonférence ; des ustensiles de ménage étaient rangés en ordre tout autour, et plus loin, les murs étaient ornés de lances, de boucliers, et de toutes les armes d’usage en Ecosse.

Marmion occupa la place d’honneur sous le manteau du foyer, sur un siège en bois de chêne ; et il vit bientôt les gens de sa suite vider gaiement les pots de bière brune que l’hôte actif tirait de vieux vaisseaux alignés le long ou mur,

iv.

Les guerriers ne sont pas ennemis de la joie, et rient volontiers d’un bon mot. Marmion daignait aussi dire le sien et prendre parfois sa part de gaieté. Jamais homme ne fut plus fier avec les grands ; mais, en vrai capitaine, élevé dans les camps, il avait l’art de gagner le cœur farouche des soldats. Ils suivent volontiers un chef tour à tour bouillant et affable, franc et généreux, aimant le vin et les ménestrels, intrépide sur la brèche et galant avec les dames. Un capitaine de cette humeur conduira ses partisans des champs brûlés de l’Inde aux glaces de la Nouvelle-Zemble.

v.

Le pèlerin, appuyé sur son bourdon, se tenait debout en face du chevalier. Son capuchon ne voilait qu’à demi la maigreur de son visage soucieux. Il contemplait Marmion, qui, impatient de ce regard attentif, essaya de lui faire baisser la tête en fronçant le sourcil ; mais vainement son regard sévère rencontra celui du pèlerin, qui ne cessa de l’observer,

vi.

Les éclats de rire de la troupe devenaient moins fréquens ; car plus les archers et les écuyers remarquaient le visage sombre et la barbe épaisse de leur guide mystérieux, plus ils oubliaient leur gaieté. Bientôt un morne silence régna dans la salle, et ne fut plus interrompu que par les chuchotemens de quelque varlet qui, se penchant à l’oreille de son camarade, lui disait d’une voix basse :

— Sainte Vierge ! vit-on jamais un pareil homme ? Quelle pâleur ! Comme son œil étincelle lorsque la lampe vacillante va éclairer son capuchon ! Comme ce regard s’attache sur notre maître ! Non vraiment, pour le plus beau cheval de lord Marmion, je ne voudrais pas endurer cet aspect chagrin et sombre.

vii.

Comme pour dissiper la terreur qui avait saisi ses gens à l’aspect de cette figure pâle que les reflets de la flamme vacillante du foyer rendaient encore plus triste, Marmion appelle un de ses écuyers : — Fitz-Eustace, lui dit-il, sais-tu quelque ballade qui nous amuse un moment ? Nous commençons à nous endormir.

viii.

— Nous ne pouvons trop nous flatter de charmer votre oreille, seigneur, répondit Eustace, accoutumé comme vous l’êtes à la voix de Constant. Qu’il vous plaise de vous rappeler que notre meilleur ménestrel est resté en arrière ; Constant est habile sur la noble harpe des bardes comme sur le luth des amans. Jamais à la Saint-Valentin la grive ne chanta aussi mélodieusement que lui dans le buisson printannier ; jamais le rossignol ne ravit comme lui les échos du soir, en chantant ses mélancoliques amours. Je regrette bien, quel qu’en soit le motif, que nous soyons privés de lui, et j’envie ses chants aux vagues, aux rochers ou aux moines, plus ennuyeux encore, de Lindisfarn. Mais je vais vous redire comme je pourrai son rondelet favori.

ix.

La voix de Fitz-Eustace était tendre ; il y avait dans l’air qu’il choisit quelque chose de bizarre et de triste. Tels sont certains airs que j’ai entendu répéter à nos montagnards, descendus dans les plaines pour les travaux de la moisson. Tantôt une voix perçante prolonge seule le chant, tantôt un chœur sauvage s’unit à elle. Assis sur la colline, je me suis plu souvent à écouter ces chants, qui me semblaient exprimer les regrets d’un cœur languissant loin de la terre natale. Je pensais alors combien cette même harmonie déchirerait mon cœur sur les champs humides du Susquehannah, dans les forêts du Kentucky, ou sur les bords du lac immense d’Ontario, si j’entendais un exilé malheureux y pleurer ses chères montagnes d’Ecosse.

x.
LE CHANT.

Dans quel asile solitaire
Reposera l’amant sincère,
Qui de l’objet de ses amours
Se voit séparé pour toujours ?
Ce sera sous le frais ombrage
Où gémit un humble ruisseau,
Que de leur mobile feuillage
Ornent le saule et le bouleau


le chœur

Eleu loro, eleu loro.
Qu’ornent le chêne et le bouleau.

Jamais la voix de la tempête
N’y viendra gronder sur sa tête ;
Il n’entendra que les soupirs
De l’onde pure et des zéphirs.
Dans cet asile solitaire,
Loin de l’objet de ses amours,
Reposera l’amant sincère
Hélas ! ce sera pour toujours.

le chœur

Eleu loro, etc.
Hélas ! ce sera pour toujours.

xi.

Où reposera l’infidèle
Qui jurait amour éternelle
Pour mieux tromper le cœur aimant
Qui se fiait à son serment ?
Je vois la fuite et l’épouvante
Déshonorer ses étendards,
Et j’entends sa voix expirante
Se mêler aux cris des fuyards.

le chœur

Eleu loto, etc.
Se mêler aux cris des fuyards.

Le vautour couvre de son aile
Les yeux éteints de l’infidèle,
Et dispute aux loups dévorans
De son corps les lambeaux sanglans.
De la vertu l’humble prière
N’oserait plaindre son malheur ;
Et sur sa tombe solitaire
Sont la honte et le déshonneur.

le chœur

Eleu loro, etc.
Et sur sa tombe solitaire
Sont la honte et le déshonneur.

xii.

Le silence et la tristesse succédèrent à ces accens melancoliques. Mais Marmion surtout crut que cette romance lui prédisait une disgrace prochaine et une mort honteuse. Il se couvrit le visage de son manteau, et resta quelque temps le front appuyé sur ses mains.

Ah ! si on eût pu lire dans son ame ou deviner ses pensées, le plus humble de ses serviteurs n’eût pas voulu de Lutterward et de Fontenay au prix de ses regrets amers.

xiii.

O remords ! tes traits aigus se font sentir plus vivement aux cœurs des superbes. Les lâches ont la crainte pour châtiment ; c’est toi qui punis les braves. Mais ils sont doués d’une énergie fatale, et savent encore lutter contre la douleur de leurs blessures alors même que leur cœur se flétrit sous tes atteintes cruelles.

En effet, Marmion leva bientôt la tête, et souriant à Fitz-Eustace : — N’est-il pas étrange, dit-il, que la romance ait rappelé à mon oreille (1) le son lugubre de l’airain qui annonce dans les cloîtres qu’une sœur va rendre le dernier soupir. Dis-moi, que signifie cette espèce de présage ?

Ce fut alors que le pèlerin, qui depuis le matin avait gardé un silence sévère, le rompit pour la première fois :

— La mort d’une personne qui te fut chère, répondit-il à Marion.

xiv.

Marmion, dont l’intrépidité ne se démentit jamais dans le péril, Marmion, dont l’orgueil se fût révolté contre le regard mécontent d’un roi, et dont l’accent d’autorité réduisait au silence le soldat le plus hardi ; Marmion resta muet, cédant à une terreur involontaire, et ne trouva aucune réponse, accablé par les paroles du pèlerin et par le remords.

C’est ainsi que lorsque la conscience d’un crime ronge secrètement le cœur, il faut peu de chose pour dompter le courage ; le mot qu’un ignorant prononce au hasard confond le plus sage, et l’esprit d’un vil esclave suffit pour faire baisser les yeux aux princes les plus fiers.

xv.

Le trouble de Marmion n’était pas sans motif. C’était lui qui avait livré Constance, non qu’il crût que la tombe dût se fermer sur sa victime : mais fatigué du désespoir d’une amante négligée qui passait tour à tour des prières aux reproches ; indigné de son attentat sur la vie de Clara, c’était Marmion lui-même qui avait rendu sa fugitive à l’Église, ne prévoyant pas le sort qu’on lui préparait ; mais espérant qu’on lui ferait expier ses torts dans un cloître lointain. Pour lui, favori de Henry VIII, il craignait peu les foudres de Rome ; il savait qu’à ce tribunal l’or justifie les criminels. Marmion lui-même avait introduit secrètement les prêtres qui vinrent s’emparer de la victime. Ses gens crurent que leur seigneur laissait son page favori à cause de sa jeunesse ; ou si quelqu’un avait conçu des soupçons, il se gardait bien d’en parler. Malheur à l’imprudent vassal qui eût osé se mêler des secrets du maître

xvi.

Jusqu’à présent sa conscience s’était assoupie. Il pensait que Constance resterait en sûreté dans le cloître ; mais sa romance chérie et l’étrange prophétie du pèlerin furent comme un présage sinistre qui réveilla ses remords, et qui lui rappela maints exemples de la vengeance monacale. Constance trahie et abandonnée se représente à son esprit, belle et tendre comme au jour où, vaincue par ses séductions, elle s’échappa, pour le suivre, du séjour paisible du couvent. Il croit la voir dans tous ses attraits, rougissant de pudeur, muette, hésitant entre le ciel et son cœur, jusqu’à ce que l’amour, triomphant de ses alarmes, lui fit cacher ses terreurs et sa honte dans les bras de Marmion.

xvii.

Hélas ! pensait-il, combien Constance est changée depuis que des années de crime et de déguisement ont donné tant d’assurance à ce front jadis si timide, et à ces modestes regards ! La pudeur ne colore plus ses joues ; elle a perdu sa candeur virginale et toutes les graces de son sexe. Et c’est là mon ouvrage ! c’est à moi qu’elle a sacrifié son repos sur la terre et son bonheur dans l’autre vie.

— Plût au ciel ! dit-il encore en rembrunissant de plus en plus les couleurs du tableau qu’il avait devant les yeux, plût au ciel que ma main eût respecté cette rose sur sa tige ! ou, pourquoi l’objet qu’on aime perd-il si tôt les charmes qui avaient séduit nos cœurs ? La paisible solitude du cloître est devenue pour Constance une étroite prison, et son ame altière va se révolter contre ses fers et son étroite cellule. Que les lois monastiques vont lui paraître sévères, et sa pénitence cruelle !… Et c’est moi qui suis le coupable ! La voilà abandonnée aux veilles et à la discipline… peut-être même… ! Deux fois Marmion se leva, prêt à crier à ses gens de monter à cheval, deux fois le souvenir des ordres de son souverain arrêta ce transport, comme une humide vapeur éteint soudain une flamme naissante ; deux fois il chercha à se rassurer, en se répétant à lui-même : N’ai-je pas ordonné qu’on respectât sa vie en la gardant étroitement ! ils n’oseraient, pour toute leur île, arracher une seule boucle de ses cheveux.

xviii.

Pendant que le repentir et l’amour renaissant déchiraient le cœur de Marmion, comme on voit deux ouragans ravager à la fois le lac Vennachar, l’hôte un peu bavard, qui avait entendu le pèlerin, et qui aimait à placer son mot, prit la parole en ces termes :

— Révérend pèlerin, les gens pieux qui, comme vous, visitent les pays lointains, apprennent souvent l’art de deviner l’avenir, par un mot, par un signe, ou par la connaissance des astres. Mais il y a près d’ici un lieu où un chevalier, qui en vrai paladin mépriserait la peur, pourrait apprendre son sort futur, si toutefois les légendes de nos aïeux n’ont pas abusé le hameau.

Ces paroles excitèrent la curiosité des gens de Marmion ; car le vulgaire aime toujours le merveilleux.

Le chevalier accorda froidement, à l’hôte la permission de poursuivre ; et l’Ecossais commença gaiement son récit.

xix.
CONTE DE L’HOTE.

— Un grand clerc pourrait vous dire combien d’années se sont écoulées depuis qu’Alexandre (troisième roi de ce nom martial) occupait le trône d’Ecosse, et à quelle époque il vint trouver sir Hugo, alors seigneur de ce village. Le lord de Gifford était brave comme oncques chevalier le fut, et jamais enchanteur n’opéra de charmes plus puissans à l’heure de minuit. Son nom vit encore dans quelques vieilles ballades, qui le désignent sous le titre de fondateur de la caverne des Esprits. Je voudrais bien, lord chevalier, qu’un plus long séjour dans ce hameau vous permit d’aller visiter cette caverne. Elle est vaste, profonde, et située sous les voûtes du château. En voyant la manière dont le roc est taillé, et la forme des arches, on devine facilement que jamais la main d’un homme ne fut employée à cette construction. Tout fut l’ouvrage des enchantemens ; et j’ai ouï raconter par mon grand-père que les clameurs effrayantes et le carillon de ces artisans de l’enfer, qui travaillaient sous les ordres du magicien Hugo, ressemblaient à la voix mugissante des vagues qui luttent dans les cavernes de Dunbar.

xx.

Le roi vint trouver le lord Gifford dans son château ; il était tourmenté par l’incertitude, car il avait rassemblé ses troupes sur les côtes, ayant appris que les navires des Norwégiens et des Danois agitaient leurs rames à l’embouchure de la Clyde ; le redoutable Hacon avait réuni sous ses bannières les guerriers de la Norvège, qui, fiers de leur force gigantesque, menaçaient l’Ecosse et les îles de Bute, d’Arran, de Cuningham et de Kyle (2).

Lord Gifford entendit du fond de sa caverne le cor d’Alexandre ; il parut à la vue du roi, sans se donner le temps de quitter son étrange et effrayant costume. Son manteau était doublé de peau de renard blanc, sur son front chauvre et ridé s’élevait un bonnet terminé en pointe, tel que les clercs disent qu’en portaient les magiciens de Pharaon ; sur sa chaussure on remarquait des croix et des emblèmes magiques ; le pentacle (3) figurait sur sa poitrine ; sa ceinture, faite de parchemin vierge, ou, comme d’autres le prétendent, avec la peau d’un homme mort, était ornée de signes planétaires en mouvement direct ou rétrograde, en trin-aspect ou en conjonction ; enfin il tenait à la main son épée nue.

xxi.

Ses fréquentes communications avec l’enfer avaient sillonné son visage de rides extraordinaires ; les veilles et le jeûne avaient desséché son corps ; son regard se troublait à la vue de la lumière des cieux, comme peu accoutumé à cette clarté ses propres serviteurs osaient à peine lever les yeux sur lui dans ce costume, car la tradition raconte qu’il se montrait rarement ainsi à la clarté du soleil.

— Je connais, dit-il d’une voix rauque et cassée, je connais le motif qui amène mon prince en ce lieu ; épargnez-vous la peine de m’en instruire, mais sachez que vous attendez vainement de moi les secrets de l’avenir. Cependant si votre bras est ferme, et que votre cœur soit brave, le courage pourra plus que ma science.

xxii.

— Les démons fiers et chagrins des moyennes régions de l’air, qui voyagent sur les nuages orageux, savent lire l’avenir dans une étoile fixe ou errante, mais ils n’accordent leurs secours qu’à une force supérieure à la leur. C’est un de ces démons que dernièrement j’ai voulu consulter. Quoique le charme dont j’avais fait usage soit, selon moi, capable d’aller troubler l’enfer jusque dans ses abîmes les plus obscurs, le démon rebelle s’obstina dans son silence. Mais vous, qui ignorez votre privilège, vous qui naquîtes dans cette nuit de honte pour l’enfer (4), où les tombeaux entr’ouverts et la voix des mourans proclamèrent sa défaite, votre valeur obtiendra ce qui est refusé à ma science.

— Grand merci, répondit notre vaillant roi : je te demande seulement de me mettre en présence de cet adversaire, et je te jure par cette épée, présent de Richard Cœur-de-Lion, que je saurai forcer le démon à m’obéir.

Le magicien remarqua la contenance assurée du roi, et continua de la sorte, charmé de son courage.

— Le sang de Malcolm vient de parler. Vous partirez d’ici à l’heure de minuit ; arrivé sur la colline que voilà, vous trouverez une muraille circulaire qui en couronne le sommet ; il y a une entrée du côté du sud : arrêtez-vous, sonnez du cor, et le démon paraîtra sous la forme de votre plus cruel ennemi ; mettez votre lance en arrêt, piquez votre cheval de l’éperon, fondez sur le fantôme en invoquant saint George ; s’il est désarçonné, vous le forcerez à vous instruire de ce que vous désirez savoir ; si le cœur venait à vous manquer dans le combat… je ne réponds pas de votre vie.

xxiii.

Dès que la cloche eut sonné minuit, signal de son départ, le roi partit seul, monté sur son cheval et bien armé. Arrivé à l’enceinte déserte de l’ancien camp… — Seigneur chevalier, vous pourrez le voir à main gauche en sortant du village ; jadis les Pictes marquèrent la tranchée de leur sang ; à l’entour le terrain est noir et aride ; mais l’espace intérieur est tapissé d’une fraîche verdure : nos enfans connaissent bien le lieu ; c’est là qu’ils cueillent les premières fleurs sauvages du printemps ; mais malheur au voyageur égaré qui y pénètre pendant la nuit. La portée d’un trait mesure assez bien la largeur de l’enceinte où, par conséquent, on peut prendre carrière. Quatre brèches y donnent entrée, aux quatre régions du ciel : le roi entra par celle du sud, s’arrêta, et sonna bravement du cor. Alors il vit s’avancer contre lui, du côté du nord, le roi d’Angleterre, qui, dans ce temps-là, combattait en Terre-Sainte, à plus de mille lieues. Ses armes étaient celles de la Grande-Bretagne, le léopard brillait sur son écu, c’était le coursier syrien, c’était la taille d’Edouard. En effet, l’Ecosse a reconnu long-temps après que ce prince était son plus cruel ennemi[2].

xxiv.

Cette apparition fit d’abord tressaillir notre monarque ; mais son noble cœur surmonta toute crainte ; ils s’élancèrent l’un sur l’autre. Au premier choc, le chevalier fantôme roula dans la poussière avec son cheval ; un éclat de sa lance perça la visière d’Alexandre et le blessa légèrement… Alexandre saute terre, et menaçant le démon vaincu avec son épée, il le force de lui apprendre quelle sera l’issue de sa campagne. Alors il vit les plaines glorieuses de Largs couvertes d’ossemens gigantesques, monument de la défaite des Danois. Il se vit lui-même au plus fort de la mêlée, agitant sa hache d’armes, et renversant de son char l’orgueilleux flacon, pendant que les noirs corbeaux du Danemark planaient au-dessus de ces rois fantastiques.

On dit aussi que, dans cette nuit mémorable, Alexandre vit plus avant encore dans l’avenir, et qu’il apprit les victoires promises à nos descendans contre les peuples du nord ; il vit une ville royale[3] livrée aux flammes ; ses palais et ses tours embrasés, éclairant le ciel de la nuit des torches de l’incendie, pendant que les vainqueurs conduisaient les vaisseaux en triomphe. Voilà de quoi consulter les clercs érudits ; pour nous autres villageois, cela passe la portée de notre intelligence.

xxv.

Satisfait de ces heureux présages, le roi se mit à la tête de ses armées ; il combattit et vainquit les Danois ; mais tous les ans, quand revenait la nuit de son étrange combat avec l’esprit, le sang coulait de sa blessure, et lui causait une légère douleur ; lord Gifford lui disait alors en souriant : — Quelque brave que vous ayez été, vous portez la peine d’avoir tressailli.

Depuis long-temps le roi d’Ecosse dort dans l’église de Dumferline ; que Notre-Dame protège son repos ! Mais la lice est encore ouverte sur le sommet de la colline, pour tout paladin qui ose se hasarder contre le fantôme (5). Plusieurs chevaliers se sont présentés, ils ont tous payé cher leur témérité ; il n’y a que Wallace et Gilbert Hay, comme le rapporte la légende, qui soient sortis vainqueurs d’un tel combat.

Voilà toute mon histoire. —

xxvi.

Les quaighs[4] étaient profonds et la liqueur forte ; les auditeurs de l’aubergiste auraient fait sans doute de longs et savans commentaires ; mais Marmion fit un signe, et ses écuyers se retirèrent avec leur maître. Les autres hommes de sa suite, fatigués de la route et de leurs libations d’ale, s’étendent autour du feu ; leurs boucliers et leurs carquois leur servent d’oreillers, et bientôt ils s’assoupissent d’un profond sommeil. La flamme mourante des tisons à demi consumés tantôt éclaire le groupe, tantôt le laisse dans l’obscurité.

xxvii.

Fitz-Eustace s’était couché à part sur le foin d’un vaste grenier. Les rayons de la lune tombaient par intervalle sur son manteau vert, dans les plis duquel il s’était enveloppé. Comme on rêve à son âge, il rêvait de la chasse à travers les forêts et sur les bords des ruisseaux ; il rêvait de faucons ou de meutes, de tournois, de bagues, de gants, ou peut-être de l’amour d’une belle, songe plus doux encore !

Quelqu’un s’approche de lui d’un pas prudent et l’éveille. Il regarde, et croit voir un fantôme qui, moitié dans l’obscurité et moitié éclairé par la lune, se tenait debout devant lui ; un panache flottait sur son casque ; Fitz-Eustace frémit et veut mettre la main sur son épée, lorsqu’il reconnaît la voix de son maître.

xxviii.

— Fitz-Eustace, lève-toi… J’appelle en vain le sommeil. Le conte de ce villageois me poursuit ; des pensées pénibles ont agité mon sang ; l’air de la nuit pourra le calmer… Je monterais volontiers sur mon coursier pour voir ce chevalier merveilleux. Lève-toi, cher Eustace, va seller mon cheval, et surtout prends bien garde de ne réveiller aucun de mes vassaux. Je ne voudrais pas que ces varias bavards eussent quelque motif de dire, en vidant leurs pots de bière, que j’ai ajouté foi à un semblable conte.

Le seigneur et l’écuyer descendirent à petits pas ; Fitz-Eustace ouvrit la porte de l’écurie, et sella dans l’obscurité le cheval de Marmion, pendant que celui-ci parlait ainsi à voix basse

xxix.

— Ne te souvient-il pas, mon bon écuyer, d’avoir entendu dire qu’au moment de ma naissance, le saint George qui ornait la chapelle de mon père se laissa choir de son cheval de marbre, comme fatigué d’être en selle ? Les chapelains flatteurs dirent que ce champion me cédait sa monture. Pour vérifier cet augure, je voudrais bien rencontrer le chevalier fantastique. J’aimerais à le combattre pour le forcer à répondre à une question. Mais vaine pensée ! les esprits, s’il en existe, sont une race légère qui chante et danse sur les bords d’une source ou de la mer au bruit des cascades, ou qui court la bague autour d’un vieux chêne.

En finissant ces mots, Marmion monta à cheval et sortit, sans se hâter, de l’hôtellerie.

xxx.

Fitz-Eustace le suivit de loin pendant quelque temps ; il prêta l’oreille aux pas de son cheval, jusqu’à ce que, par le bruit toujours plus faible, il jugea que Marmion se dirigeait vers l’enceinte du camp des Pictes.

— Comment se fait-il, pensait Fitz-Eustace, qu’un chevalier qui regarde à peine comme évangile ce que l’Église professe, excité par un conte ridicule, monte à cheval au milieu de la nuit, et, couvert de son armure, s’attende presque à rencontrer un esprit armé de toutes pièces ?

Fitz-Eustace savait peu combien les passions ébranlent l’ame la plus forte. La crédulité se présente comme un moyen de fixer nos idées incertaines fatigués de nos doutes, nous l’accueillons comme un guide, bien que ce guide soit aveugle.

xxxi.

Fitz-Eustace s’inquiétait peu de tout cela, mais il attendait patiemment le retour du chevalier, lorsqu’il entendit le bruit du galop d’un cheval qui précipitait sa course vers le village. Ce bruit, d’abord sourd, devint bientôt plus sonore lorsqu’il retentit sur les pierres de la route. Fitz-Eustace reconnut le cheval de Marmion, qui revenait plus vite qu’il n’était parti. Il mit pied à terre avec tant de hâte qu’il faillit tomber, et, jetant les rênes entre les mains de son écuyer, se retira sans mot dire. Mais la clarté de la lune fit voir à Fitz-Eustace que le faucon de son casque était couvert de poussière ; les marques que portait le coursier sur son flanc gauche et sur ses genoux, indiquaient qu’il n’avait pas eu le pied ferme. Après avoir réfléchi à ces signes singuliers, Fitz-Eustace essaya d’aller retrouver le repos ; mais son sommeil fut court, et agité par des songes de terreur ; aussi l’écuyer entendit-il avec plus de plaisir que jamais les premiers chants de l’alouette matinale.


Notes


CHANT III.

Note 1. — Paragraphe xiii.

Le tintement d’oreille est regardé par les Ecossais comme le présage de la mort d’un ami.

Note 2. — Paragraphe xx.

En 1263, Hacon, roi de Norvège, vint dans le détroit de la Clyde avec un formidable armement, et fit une descente à Large, dans le Ayrshire. Alexandre III fut à sa rencontre, et le défit le 2 octobre. Bacon se retira aux Orcades, où il mourut quelque temps après la disgrace qu’avaient essuyée ses armes. Il existe encore près du champ de bataille un grand nombre de tombeaux, plusieurs d’entre eux ayant été ouverts, on les a trouvés, comme d’ordinaire, remplis d’ossemens et d’urnes funéraires.

Note 3. — Paragraphe xx.Un pentacle, etc.

Le pentacle est une pièce de linge fin, pliée de manière à présenter cinq coins, pour correspondre aux cinq sens, et couverte de caractères mystérieux. Les magiciens déploient le pentacle vers les démons qu’ils évoquent, lorsqu’ils sont rebelles et obstinés et qu’ils refusent de se soumettre aux rites et cérémonies magiques.

Note 4. — Paragraphe xxii.

C’est un article de foi parmi le peuple, que ceux qui sont nés le jour de Noël, ou le vendredi saint, peuvent voir les esprits, et même leur commander. Les Espagnols attribuent les regards égarés de leur Philippe II aux désagréables visions auxquelles ce privilège l’avait soumis.

Note 5. — Paragraphe xxv.

J’ai puisé les détails du combat entre Alexandre III et le fantôme chevalier dans Gervais de Tilbury, maréchal du royaume d’Arles. (Otia imperial. op. script. rer. Brunswick, vol. 1, p. 797.)

  1. Miss Joanna Baillie. — Ed.
  2. Edouard, surnommé Longues-Jambes. Voyez la note. — Ed.
  3. Copenhague. Par pudeur, le poète eût dû taire une expédition honteuse pour sa patrie. — Ed.
  4. Coupes eu bois formées de plusieurs douves. — Ed.