Marmion/Defauconpret, 1830/Chant 1
Œuvres de Walter Scott, tome 1, Furne, Libraire-éditeur, , Tome I. — Ballades, etc (p. 188-206).
CHANT PREMIER.
Le ciel de novembre est froid et sombre ; la feuille de novembre est rougeâtre et desséchée. Naguère du haut de ces rocs escarpés d’où le torrent descend en cascade et qui entourent notre petit jardin, lorsque nos yeux plongeaient dans la sombre et étroite gorge de la ravine[1] vous aperceviez à peine le ruisseau, tant le taillis croissait épais sur ses rives, tant étaient rares les petits filets de son cours ; maintenant, retentissant au loin et se montrant maintes fois à travers les ronces et les buissons dépouillés de verdure, il balaie la clairière, et, torrent courroucé, franchit en mugissant les rochers, retombe en cascade sauvage, puis d’un cours plus rapide précipite jusqu’à la Tweed l’écume noire de ses flots.
Les couleurs brillantes de l’automne ne s’étendent plus sur les bois de nos monts. Au déclin du soleil, la Tweed ne réfléchit plus leur couronne empourprée ; elle a disparu la bruyère des monts de Needpath, jadis si riches de ses fleurs ; le sommet de ce mont a pris une teinte plus pâle, et les cimes jumelles de l’Yare sont nues et couleur de rouille. Les moutons, fuyant un air trop froid, redescendent dans les vallons abrités, où languissent encore quelques herbes fanées, où brille quelque humide rayon : leurs regards craintifs se fixent tour à tour avec une calme tristesse sur le gazon flétri et sur le ciel nébuleux. Loin des hauteurs qui les ont nourris pendant l’été, ils errent le long du ruisseau de Glenkinnon ; le berger s’entoure des plis de son manteau pour se garantir des frimas : ses chiens ne bondissent plus gaiement çà et là autour du troupeau ; mais, tremblans de froid, ils s’attachent aux pas de leur maître, le suivent lentement, et relèvent timidement la tête chaque fois que l’ouragan redouble de violence.
Mes enfans, quoique robustes, hardis et vifs comme tous les enfans des montagnes, ressentent aussi la triste influence de la saison ; ils regrettent leurs reines-marguerites, racontent leurs jeux d’été, et demandent en soupirant : — Le printemps reviendra-t il encore ? et les oiseaux, et les agneaux retrouveront-ils leur gaieté ? et l’aubépine se couvrira-t-elle encore de fleurs ?
Oui, petits babillards, oui, la reine-marguerite viendra de nouveau décorer vos berceaux d’été ; l’aubépine vous offrira de nouveau ces guirlandes que vous aimez à tresser ; les agneaux bondiront sur la prairie, les oiseaux chanteront aux alentours, et, tant que vous serez gais et folâtres comme eux, les étés vous sembleront trop courts.
Le printemps, ramené par le retour invariable des saisons, donne une nouvelle vie à la matière muette et insensible ; la nature obéit à sa féconde influence, et reparaît dans tout son éclat. Mais hélas ! quel printemps nouveau viendra chasser l’hiver qui règne sur ma patrie !.… Quelle voix assez puissante pourra dire : — Levez-vous, — à ce sage et à ce guerrier ensevelis ? qui nous rendra cette intelligence, sans cesse occupée du bonheur de l’Angleterre, et cette main armée du glaive de la victoire ? Le soleil printanier donne une nouvelle vie à la plus modeste des fleurs ; mais vainement, vainement il brille en ces lieux où la Gloire pleure sur le cercueil de Nelson ! vainement il percera cette obscurité solennelle qui voile, ô PITT ! ta tombe sacrée.
Gravé profondément dans tous les cœurs anglais, que le souvenir de ces noms jamais ne s’en efface. Dites à vos fils : — C’est là que repose le héros qui périt vainqueur sur les flots de Gibraltar ; il lui fut donné de ressembler à la foudre dévorante par sa course rapide, brillante, irrésistible : partout où se levait un ennemi de sa patrie, le bruit de ce tonnerre inévitable se faisait entendre jusqu’à ce que, sur un rivage lointain, le météore ait roulé, éclaté et détruit… pour disparaître à jamais.
Il n’est pas moins digne de nos larmes, ce sage qui commandait à ce guerrier conquérant, et dont la main puissante lança ce foudre de guerre sur l’Égypte, à Copenhague et à Trafalgar.
Destiné à de si hautes entreprises, il reçut, pour le bonheur de l’Angleterre, une sagesse précoce. Hélas ! le ciel, en punition de nos crimes, lui réservait une tombe non moins prématurée. Honneur à ce citoyen vertueux qui, au faîte, des grandeurs, dédaigna l’orgueil du pouvoir, méprisa les honteuses séductions de l’avarice, et servit son Albion pour elle-même. Une troupe égarée eût voulu briser le frein salutaire de l’obéissance ; mais il parvint à dompter son rebelle courage : modérant cet orgueil qu’il n’eût point voulu étouffer dans son âme, il montra à son impétueuse ardeur une plus noble cause à défendre, et fit servir le bras de l’homme libre à protéger les lois sur lesquelles repose sa liberté.
Ah ! il nous aurait suffi que tu vécusses, quoique privé du pouvoir : tel qu’une sentinelle vigilante sur la tour d’une forteresse, tu aurais réveillé l’Angleterre quand l’intrigue ou le danger la menaçaient : semblable à la lumière d’un phare, tu aurais éclairé la route de nos pilotes ; et, comme une colonne superbe qui, seule, est restée debout au milieu des ruines, tu aurais été l’appui du trône chancelant. Maintenant il est brisé ce soutien si nécessaire, il s’est éteint ce phare protecteur ; elle est muette sur la colline la sentinelle dont la voix eût sauvé l’Angleterre.
Rappelez-vous ce courage qui ne l’a jamais abandonné jusqu’à sa dernière heure. La mort déjà planait sur sa couche et réclamait sa proie ; tel que l’infortuné Palinure, il resta ferme au poste dangereux qui lui était assigné ; repoussant les conseils qui l’invitaient au repos, il tenait encore le gouvernail d’une main mourante, jusqu’à ce qu’enfin, privé de son pilote, le vaisseau de l’Etat faillit faire naufrage. Tant que dans les mille plaines de la Grande-Bretagne il restera une seule église non profanée, dont la cloche paisible, invitant aux jours de fête l’habitant des campagnes à venir prier et louer le Seigneur, n’aura jamais fait retentir le son sinistre du tocsin ; tant que la bonne foi et la paix des États vous seront chères, arrosez d’une larme cette pierre insensible : celui qui les a conservées, Pittrepose ici.
Ne craignez pas de donner un libre cours à vos généreux soupirs, parce que son rival est déposé près de lui ; ne craignez pas de prononcer ces mots : — Paix à sa cendre ! — de peur qu’ils ne retentissent sur la tombe de Fox ; pleurez ces talens ravis à l’Angleterre au moment où elle en avait le plus pressant besoin ; pleurez ce génie élevé, ce savoir profond, cet esprit aimable qui aimait la fine raillerie, mais qui eût gémi d’abuser de cette arme ; cette sensibilité si vive, cette imagination si brillante, cette puissante raison qui savait tout pénétrer, tout résoudre, tout combiner ; tant de rares qualités sont maintenant ensevelies avec celui qui ne possède plus que cette pierre funéraire. Ô toi qui déplores qu’elles n’aient pu le préserver toujours de l’erreur, écarte toute pensée trop sévère, et respecte le dernier sommeil.
Ici où se terminent toutes les choses de la terre pour les héros, les patriotes, les bardes et les rois ; ici où est immobile et glacé le bras redoutable du guerrier ; ici où sont muettes les lèvres de celui qui sut chanter la gloire de sa patrie, ou parler pour sa défense ; ici où les voûtes sculptées avec art prolongent le son lointain de l’hymne sacré, comme si un ange répétait encore, — Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! — ici dépouillez-vous de toute prévention, si jamais cœur anglais put s’en dépouiller ; loin de vous une partialité injuste, et n’oubliez pas que Fox mourut Anglais !… Lorsque l’Europe rampait sous le joug de la France, que l’Autriche était abaissée, la Prusse abattue, et les généreux desseins de la Russie trahis par un lâche esclave ; Fox, repoussant avec indignation une paix déshonorante, rapporta l’olivier souillé, fut le noble champion de la gloire de sa patrie, et cloua son pavillon aux mâts des navires. Le ciel, pour prix de sa constance, lui accorda sa part de ce glorieux tombeau ; et jamais marbre ne reçut en dépôt la cendre de deux hommes plus étonnans.
Doués de talens plus qu’humains, à quelle hauteur n’ont-ils pas pris leur essor au-dessus de la foule vulgaire ; jamais on ne les vit, comme les ames communes, marcher au pouvoir par d’obscures intrigues ; semblables aux dieux de la fable, leurs puissantes querelles ébranlaient les royaumes et les nations : voyez tout ce que l’Angleterre a de plus noble se ranger avec orgueil sous la bannière de ces rivaux ; on ne prononce plus que les noms de Fox et de Pitt dans le monde britannique. Jamais enchantement n’égala de pareilles réalités, quand même, du fond des ténébreuses cavernes de Thessalie, un magicien aurait pu, par le secours de son art, tarir l’immense Océan, et détourner les planètes de leur sphère. Hélas ! le talisman de ces deux noms s’est perdu quand la source de la vie s’est tarie pour eux : génie, talens ; tout est enseveli pour toujours sous ce marbre, où, — pensée humiliante pour l’orgueil humain ! — le ciel s’est plu à réunir ces deux puissans ministres ! Versez une larme sur le tombeau de Fox, elle ira rouler sur le cercueil de son rival ; dites sur la tombe de Pittla prière des morts, et le monument de Fox renverra vos accens : l’écho solennel qui veille en ces lieux semble redire sans cesse : — Que leurs discordes finissent avec eux ; qu’ils subissent la même loi ceux que le sort a rendus frères dans la tombe ; mais cherchez sur la terre des vivans : — où trouver deux hommes qui puissent les égaler ? —
Reposez-vous, âmes de feu, jusqu’à ce que la voix de la nature expirante aille vous réveiller au fond du cercueil ; les gémissemens de votre patrie ne peuvent percer le silence de votre monument : combien plus vain et plus impuissant encore sera donc l’hommage de mes regrets ! mais vous approuvâtes les vers du ménestrel des frontières, quoiqu’il ne célébrât que les climats de la Calédonie : sa harpe gothique a retenti sur vos tombeaux ; le barde, que vous daignâtes louer, a chanté vos noms immortels.
Arrête, illusion, arrête, daigne encore bercer un moment mon imagination égarée ! Comment pourrai-je me séparer d’un sujet si grand, lorsque mon cœur n’est encore soulagé qu’à demi ? Ah ! que toutes les larmes arrachées par la douleur, que tous les ravissemens de l’âme, que toute cette chaleur qui anime le barde dans ses momens d’inspiration et tous ses plus nobles mouvemens se réunissent ; que la douleur, que l’admiration, que tout ce qu’il existe de sensations grandes et sublimes, associant leurs efforts, s’échappent de mon cœur en une sainte et douce extase ; cet hommage sera encore un trop faible tribut !… Mais non, mes vœux sont impuissans… le charme s’est dissipé.
Semblable à ces bizarres constructions des frimas, qui s’évaporent aux premiers rayons du matin, les créations de ma muse s’évanouissent soudain ; ces arches gothiques, ces pierres monumentales, cette nef vaste, obscure et élevée, ont disparu ; et fuyant les derniers de tous, ô douce illusion ! les sons lointains du chœur viennent mourir à mon oreille ; je reconnais peu à peu la prairie solitaire, le taillis touffu qui environne ma ferme, et mes folâtres enfans, dont les cris s’unissent au murmure des ondes de la Tweed.
C’est ainsi que la nature corrige son élève que séduit un sujet au-dessus de ses forces : — il te convient mieux, me dit-elle, d’errer çà et là, de passer les heures solitaires à arracher du marais le léger roseau, et à le suivre de l’œil, flottant sur la Tweed ; écoute à loisir la voix perçante de la laitière qui fredonne en se balançant pour marquer la cadence, et qui, couronnée de son fragile fardeau, glisse légèrement le long de la colline ; ou bien va, près de ce tombeau du fils de Fingal, entendre le conte du vieux berger : dans sa simplicité rustique, il s’interrompt souvent ; de peur que sa vieille légende ne fatigue l’oreille de celui qu’il croit avoir puisé dans les livres un goût plus raffiné.
Mais toi, cher ami, tu peux nous dire, mieux que personne (car qui mieux que toi connaît ces anciens romans ?) tu peux nous dire combien ces récits du vieux temps ont encore d’empire sur l’âme du poète. Vainement les siècles ont étendu leurs mains flétries sur les pages de l’ancien ménestrel, le récit des hauts faits de ces guerriers hérissés de fer fait encore battre le cœur d’un tendre intérêt, soit que le chevalier du lac entre dans le palais enchanté de Morgane, soit que, méprisant la magie et la conjuration des démons ; il pénètre dans la chapelle périlleuse, et y adresse la parole à un cadavre non enseveli. Tantôt, pour toucher le cœur de la dame Ganore (hélas ! pourquoi leur amour fut-il illégitime ?) ; il attaque l’orgueilleux Tarquin dans la caverne, et délivre soixante chevaliers ; ou bien enfin, pécheur non encore purifié par la pénitence, il entreprend la pieuse recherche de Saint-Gréal (1), et voit en songe une apparition qu’il n’aurait pu voir dans la veille.
Les maîtres de notre lyre ont aimé ces légendes ; on les retrouve encore dans les chants de féerie de Spencer. Ils se mêlent aux fictions célestes de Milton, et Dryden eût dans un ouvrage immortel relevé la table ronde ; mais un roi et une cour débauchés dédaignèrent les nobles inspirations du poète, préférant lui acheter à vil prix des satires, des chansons et des comédies licencieuses. Le monde fut privé de ce glorieux projet ; le feu sacré de la muse fut profané, et le génie avili.
Echauffés par le souvenir de ces noms sublimes, nous aussi, quoique enfans dégénérés d’une race déchue, nous irons tenter de rompre une faible lance dans tes beaux domaines, ô Génie de la chevalerie ! nous irons chercher la tour enchantée où tu dors depuis si long-temps, sourd aux prières des belles qu’oppriment les tyrans. Que la harpe du Nord te réveille ; reparais armé de toutes pièces, avec ton bouclier, ta lance, ta hache d’armes, ton panache et ton écharpe, suivi du cortège des fées, des géans, des dragons, des chevaliers, des nains, des magiciens armés de leur baguette, et des demoiselles errantes sur de blancs palefrois. Autour de toi tu verras accourir l’Amour qui rougit d’avouer son secret, le Mystère à demi voilé, l’Honneur avec son bouclier sans tache, l’Attention au regard immobile, la Crainte qui se plaît au récit qu’elle écoute en tremblant, l’aimable Courtoisie, la Loyauté, que ne peuvent altérer ni les souffrances, ni le temps, ni la mort, et la Valeur, lion généreux qui s’appuie sur sa redoutable épée.
Tes succès, cher Stewart, ont montré qu’on peut mériter par là un beau laurier ; les chênes d’Ytène[2] … à l’ombre desquels les joyeux ménestrels célébraient Ascapart, le fier Bevis, surnommé le Roux[3], qui, dans la forêt de Boldrewood, fut blessé par son chasseur favori… les chéries d’Ytène ont entendu de nouveau ces antiques ballades retrouvées par toi. Car tu as chanté comment, pour plaire à la belle Oriane, le héros des Gaules, cet Amadis si fameux dans les cours, vainquit en champ clos les perfides nécromanciens. Tu as célébré en vers modernes les amours mystérieuses de Partenopex ; ne me refuse pas ton attention, et daigne écouter l’histoire d’un chevalier des anciens jours d’Albion.
Le soleil couchant s’arrêtait sur le rocher de Norham (2) et les montagnes solitaires de Cheviot ; ses derniers feux doraient encore le cours large et profond de la Tweed, les tours crénelées, le donjon(3) ; les meurtrières grillées où viennent pleurer les prisonniers, et les murailles qui entourent le château. Les guerriers, se promenant sur les remparts à travers les ombres du soir, paraissaient des hommes d’une taille gigantesque ; et leur armure réfléchissait le jour occidental comme une lumière éblouissante.
La large et brillante bannière de Saint-George perdait peu à peu ses couleurs à mesure que le jour faiblissait de plus en plus ; la brise du soir suffisait à peine pour en dérouler les vastes et pesans replis sur le faîte du donjon. Les patrouilles de la nuit étaient parties pour leur ronde. Les portes du château étaient fermées, la sentinelle se promenait à pas mesurés sur l’arceau obscur du portail, et murmurait les sons à demi articulés d’un vieux chant de guerre des frontières.
Un bruit lointain de chevaux se fait entendre ; la sentinelle regarde de tous côtés, et distingue sur les collines de Horncliff un corps de cavaliers armés de lances, qui s’avancent précédés d’un pannonceau.
Un d’entre eux sort des rangs, tel qu’un éclair qui s’échappe d’un sombre nuage ; il presse de l’éperon le fier coursier qui le porte, il arrive sous les palissades des premières fortifications, et là sonne du cor : la sentinelle à ce son connu descend à la hâte pour avertir le gouverneur de Norham. Ce chevalier s’empresse d’appeler l’écuyer, le maître d’hôtel et le sénéchal.
— Qu’on perce un tonneau de malvoisie, qu’on serve un pâté de venaison, qu’on fasse abaisser le pont-levis, que tous nos hérauts s’apprêtent, que les ménestrels accordent leurs harpes, que la trompette sonne : c’est lord Marmion qui arrive ; qu’on l’accueille par une salve d’artillerie. — Aussitôt quarante yeomen de haute taille vont ouvrir les portes de fer et relever les herses pesantes ; la palissade est écartée et le pont-levis s’abaisse.
Lord Marmion presse son coursier rouan, qui galope avec fierté sur le pont. Son casque pend à l’arçon de la selle. On reconnaît à son visage basané qu’il fut témoin actif de plus d’une bataille, et une cicatrice atteste sa valeur aux plaines de Bosworth. Son sombre sourcil et son œil de feu décèlent un esprit altier et irascible ; mais les rides de la pensée qui sillonnent son front indiquent aussi une âme capable de profonds desseins et prudente dans le conseil. Son front est devenu chauve par l’habitude du casque. Ses épaisses moustaches et sa noire chevelure commencent à blanchir, mais c’est plutôt l’effet des fatigues que de l’âge. À la carrure de sa taille et à la vigueur de ses membres, on devine bien que ce n’est point un chevalier de salon ; mais dans le combat, adversaire redoutable, il est dans les camps chef expérimenté.
Armé de pied en cap, il était revêtu d’une cotte de mailles tissue d’argent et d’acier de Milan. Son casque solide, d’un grand prix, était recouvert d’or bruni ; au milieu du panache qui surmontait son cimier, un faucon noir aux ailes étendues semblait planer sur son aire pour défendre ses petits. On voyait sur son écu le même oiseau blasonné de sable en champ d’azur avec cette devise :
Les rênes brodées de son cheval étaient bleues ; les rubans qui ornaient les flots de sa crinière, et sa superbe housse de velours chamarrée d’or, étaient de la même couleur.
Après lord Marmion s’avançaient deux écuyers de race noble, nés de pères chevaliers, tous deux brûlant de réclamer les éperons d’or ; habiles à dompter un cheval de bataille, à tendre l’arc, à manier l’épée, à courir légèrement la bague. Non moins avancés dans la courtoisie, ils savaient encore danser avec grâce, découper à table, composer des rimes d’amour et les chanter à une dame.
Ils étaient suivis par quatre hommes d’armes avec des hallebardes et des haches d’armes, qui portaient aussi la lance redoutable de Marmion, et conduisaient ses sommiers et son palefroi à l’amble, pour les momens où il plaisait au chevalier de soulager son cheval de bataille. Le dernier, et le plus éprouvé des quatre, portait son pannonceau bleu taillé en forme de queue d’hirondelle, où l’on remarquait encore le faucon de sable aux ailes étendues ; enfin venaient, deux à deux, vingt yeomen en chausses noires et en hoquetons bleus, avec les armoiries de Mamion brodées sur la poitrine. Choisis parmi les meilleurs archers d’Angleterre, tous étaient habiles chasseurs, bandaient d’un bras robuste un arc de six pieds, et lançaient au loin une flèche de plus d’une verge. Ils avaient tous un épieu à la main et un carquois fixé à leur ceinture.
La poussière qui couvrait les hommes et les chevaux montrait assez qu’ils venaient de faire une longue route.
Je ne dois pas oublier maintenant les soldats du château avec leurs mousquets, leurs piques et leurs morions. Ils se rassemblèrent dans la cour pour recevoir le noble Marmion. On-y voyait les ménestrels et les trompettes, et le canonnier tenant à la main sa mèche allumée. La troupe de Marmion entre ; jamais le vieux fort de Norham n’avait retenti d’un fracas comme celui qui ébranla toutes ses tourelles.
Les gardes présentent leurs piques ; les trompettes sonnent des fanfares ; le canon tonne sur les remparts : les ménestrels purent bien, certes, saluer de bon cœur le noble Marmion, car en traversant la cour il jetait des angelots d’or. — Sois le bienvenu à Norham, Marmion, cœur vaillant et généreux ; sois le bienvenu à Norham avec ton coursier, ô toi la fleur des chevaliers de l’Angleterre.
Deux poursuivans, revêtus de cottes d’armes, ayant au col leurs écussons d’argent, attendaient le chevalier sur les marches de pierre qui conduisent à la tour du donjon ; ce fut là qu’ils le reçurent en grande pompe, le saluant seigneur de Fontenaye, de Lutterward, de Scrivelbaye, de la ville et du château de Tamworth. Pour reconnaître leur courtoisie, Marmion leur donna, en descendant de cheval, une chaîne de douze marcs pesant. — Largesse ! largesse ! s’écrièrent les hérauts ; vive lord Marmion (4), chevalier du casque d’or ! jamais écu blasonné conquis dans les combats n’a protégé un cœur plus vaillant.
Ils l’introduisirent ensuite dans la salle où s’étaient réunis les hôtes de Norham. La trompette annonça son entrée, et les hérauts crièrent à haute voix :
— Place, seigneurs, place à lord Marmion, chevalier du casque d’or ! Qui ne connaît sa victoire dans la lice de Cottiswold ? C’est là que Ralph de Wilton voulut vainement lui résister. Il fut forcé de céder sa dame à son rival et ses terres au roi. Nous fûmes témoins du spectacle brillant et triste à la fois de cette fameuse joûte. Nous vîmes Marmion percer le bouclier de Wilton et le renverser sur la lice ; nous vîmes le vainqueur gagner ce cimier qu’il porte avec un juste orgueil, et attacher au gibet l’écusson renversé du vaincu. Place au chevalier du Faucon ! place, nobles chevaliers, place à celui qui conquit son bon droit, Marmion de Fontenaye.
Alors s’avança au-devant du chevalier sir Hugh de Heron, baron de Twisell et de Ford, gouverneur de Norham, qui le conduisit à la place d’honneur, au dais de l’estrade.
Le repas fut excellent et joyeux ; et, pendant ce banquet, un ménestrel grossier du Nord chanta sur la harpe le récit d’une sanglante inimitié ; il dit comment les farouches Thirwalls, tous les Ridleys, le robuste Willimondswick, Dick de Hardriding, Hughie de Hawdon, et Will o’the Wall, fondirent sur sir Albany Featherstonhaugh, et l’égorgèrent à Deadinan’s Shaw[4].
Marmion eut peine à écouter jusqu’au bout ce chant barbare ; mais reconnaissant de la peine du ménestrel, il le récompensa largement ; car la prière d’une dame et le chant d’un ménestrel ne doivent jamais être adressés en vain à un chevalier.
— Seigneur chevalier, dit Heron, j’attends de votre franche courtoisie que vous consentirez à rester quelque temps dans ce pauvre château ; vos armes n’y craindront pas la rouille, et votre coursier sera tenu en haleine. Jamais huit jours ne se passent sans quelque joute ou quelque combat. Les Écossais savent conduire un cheval fougueux et ils aiment à mettre la lance en arrêt. Par saint George ! on mène une vie agitée avec de tels voisins ; demeurez quelque temps avec nous, vous verrez comment nous faisons ici la guerre ; je vous le demande au nom de votre dame. — Le front de Marmion se rembrunit.
Le gouverneur observa l’altération de ses traits, et fit signe à un écuyer, qui prit aussitôt une large coupe et la remplit jusqu’aux bords d’un vin couleur de pourpre : — Chevalier, agréez la santé que je vous porte, lui dit-il ; mais auparavant apprenez-moi, je vous prie, ce qu’est devenu ce jeune et joli page qui jadis vous versait à boire ? La dernière fois que nous nous rencontrâmes au château de Raby, je regardais de près ce bel enfant, et je voyais ses yeux gonflés de larmes qu’il essayait en vain de retenir ; sa main douce ne ressemblait en rien à celle d’un varlet accoutumé à polir les armes, à aiguiser le fer, ou à seller un cheval de bataille. Ses doigts délicats semblaient plutôt faits pour agiter l’éventail devant une dame, pour tresser ses cheveux, ou guider une soie déliée à travers le tissu d’une broderie. Son teint était blanc, ses cheveux tombaient en boucles d’or, et quand il soupirait, les plis du drap grossier de son pourpoint brun ne pouvaient arrêter les battemens de son sein. L’auriez-vous laissé auprès de quelque dame ? ou plutôt ce gentil page n’était-il qu’une gentille maîtresse par amour ?
Cette plaisanterie ne pouvait plaire à Marmion. Il roulait déjà des yeux enflammés ; mais, réprimant sa colère naissante, il répondit froidement : — Cet enfant que vous trouviez si beau n’aurait pu supporter l’air glacé du nord. Voulez-vous en savoir davantage ? Je l’ai laissé malade à Lindisfarn. En voilà assez sur lui. Mais à votre tour, seigneur, me direz-vous pourquoi votre dame dédaigne aujourd’hui d’embellir ce salon ? cette dame si sage et si belle aurait-elle entrepris quelque pieux pèlerinage ?
Marmion dissimulait ainsi une question moqueuse, car la médisance s’égayait tout bas sur la dame de sir Hugh Heron.
Ce chevalier feignit de ne pas sentir l’ironie, et répondit négligemment : — Quel est l’oiseau qui, libre de ses ailes, se plaît à rester dans sa cage ? Norham est si triste ! ses grilles, ses créneaux, ses sombres tours inspirent tant d’ennui ! Mon aimable dame préfère jouir d’un jour plus gai et de sa liberté à ta cour de la belle reine Marguerite. Nous pouvons bien garder notre lévrier en lesse, retenir sur le poing l’impatient faucon, mais est-il un lieu capable de fixer une beauté légère ? Laissons cet oiseau volage errer dans les airs, il reviendra près de nous quand ses ailes seront fatiguées.
— Hé bien, si lady Heron habite avec la royale épouse de Jacques, vous voyez en moi un messager prêt à lui porter vos tendres complimens. Je suis envoyé à la cour d’Écosse par notre monarque, et je réclame de votre bonté un guide sûr pour moi et ma suite. Je n’ai pas revu l’Écosse depuis que Jacques épousa la cause de ce prétendu prince Warbeck (5), de ce Flamand imposteur, qui reçut à la potence le prix de sa fourberie. Je faisais partie de l’armée de Surrey lorsqu’il rasa la tour antique d’Ayton.
— Vraiment, reprit Héron, les guides ne vous manqueront pas à Norham. Nous avons ici des gens qui se sont avancés jusqu’à Dunbar. Ah ! ils pourront vous dire quel est le goût de l’ale des moines de Saint-Bothan. Les coquins ont enlevé le bétail de Lauderdale, pillé les femmes de Greenlaw, et ils leur ont fourni des lumières pour mettre leurs coiffes[5].
— Grand merci de tels guides, s’écria Marmion : en temps de guerre je ne voudrais pas d’autres gardes que vos maraudeurs ; mais je remplis une mission de paix ; je vais m’informer du roi Jacques pourquoi il lève des troupes sur tous les points de son royaume ; et, si j’allais escorté de vos pillards, je courrais risque d’inspirer des craintes et des soupçons au roi.
Un héraut me paraît un guide plus convenable, ou un moine pacifique, ou quelque prêtre voyageur, ou même quelque bon pèlerin.
Le gouverneur y rêva un moment ; puis, ayant passé la main sur son front, il répondit :
— Je voudrais bien vous procurer le guide qu’il vous faut, mais je ne puis guère me priver de mes poursuivans d’armes, les seuls hommes qui puissent porter sans danger mes messages en Écosse. Quoiqu’un évêque ait bâti ce fort, les gens d’église nous visitent rarement. Notre chapelain lui-même n’est plus revenu depuis le dernier siège ; il ne pouvait se contenter de la ration pour chanter la messe, et il s’est réfugié dans la cathédrale de Durham, afin de prier Dieu pour nous sans courir aucun risque.
Notre vicaire de Norham est, par malheur, trop bien ici pour monter à cheval.
L’abbé de Shoreswood…(6) celui-là vous dompterait le coursier le plus fougueux de votre troupe, mais il n’y a pas de porte-lance au château qui sache mieux que lui jurer, chercher querelle, et même donner un coup de poignard.
Le frère Jean de Tillmouth serait mieux votre homme : bon vivant à table, bienvenu partout, il connaît tous les châteaux et toutes les villes où l’on boit du bon vin et de la bonne ale, depuis Newcastle jusqu’à Holyrood ; mais hélas ! le pauvre homme ! il ne quitte guère plus l’enceinte du château depuis le jour où sa mauvaise étoile lui fit traverser la Tweed, pour aller apprendre le Credo à la dame Alison. Le vieux Bughtrig le surprit avec sa femme ; et frère Jean, ennemi des querelles, décampa au plus vite, oubliant froc et capuchon : le rustre jaloux a juré que, s’il revient, il n’aura plus personne à confesser. Je crois le frère peu désireux de le rencontrer ; cependant il est possible qu’il se hasarde à sortir sous votre protection.
Le jeune Selby, debout près de la table, découpait les mets pour son oncle et son hôte ; il prit respectueusement la parole et dit :
— Mon cher oncle, quel malheur ce serait pour nous, s’il arrivait quelque mésaventure au frère Jean ! C’est un homme si gai ! Il n’est ni jeu ni bon tour qu’il ne sache : qui est plus adroit que lui au trictrac et aux boules ? qui chanterait comme lui ces chansons si comiques, lorsque la neige de Noël nous fait trouver le temps si long auprès du foyer, sans que nous puissions ni chasser, ni faire aucune excursion en Écosse ? La vengeance de ce rustre de Bughtrig ne se contenterait pas cette fois de lui retenir son froc. Que frère Jean dorme à son aise au coin de la cheminée ! qu’il continue à faire rôtir des pommes sauvages, ou à vider les flacons ! il est venu hier au soir à Norham un guide qui vaudra mieux que frère Jean.
— Par ma foi ! dit Heron, c’est bien parlé, neveu ; voyons, achève.
— Nous avons ici un saint pèlerin qui a visité Jérusalem et qui vient de Rome ; il a baisé la pierre du saint sépulcre ; il a parcouru tous les saints lieux de la Palestine et de l’Arabie, gravi les montagnes de l’Arménie, où l’on voit encore l’arche de Noé ; traversé cette mer Rouge qui s’ouvrit sous la baguette du prophète, et salué dans le désert de Sinaï la montagne sur laquelle la loi fut donnée au milieu des éclairs et de l’orage ; il a apporté des coquillages de Saint-Jacques de Compostelle : il a vu le fertile Montserrat, et cette grotte où, fuyant les hommages de toute la jeunesse sicilienne, sainte Rosalie se retira avec Dieu seul.
Ce pèlerin a aussi imploré le pardon de ses péchés dans la chapelle du vaillant saint George de Norwich, dans celle de saint Cuthbert de Durham et de saint Bede ; il connaît tous les chemins d’Écosse, et va visiter les églises du comté de Forth ; il mange peu, veille long-temps, et ne boit que de l’eau des ruisseaux ou des lacs. Voilà un bon guide dans les plaines comme dans les montagnes ; mais, quand frère Jean a vidé son pot d’ale, il ne sait plus quel chemin il a pris, et ne s’en soucie guère plus que le vent qui souffle et se réchauffe contre son nez[6]
— Grand merci, dit lord Marmion ; je ne souffrirai pas que le frère Jean, cet homme vénérable, s’expose pour moi au moindre danger : si le pèlerin veut me servir de guide jusqu’à Holyrood, il aura lieu de se louer de moi autant que de son patron. Ce ne sont ni coquilles ni chapelets que je lui promets, mais de beaux et bons angelots d’or. J’aime d’ailleurs ces saints errans ; ils ont toujours en réserve, pour charmer l’ennui d’une route sur les montagnes, quelque chanson, lai, romance, conte joyeux, bon mot, ou pour le moins une légende menteuse.
— Ah ! noble chevalier, interrompit Selby, et il posa un doigt sur sa bouche d’un air de mystère ; cet homme est bien savant : peut-être même l’est-il plus qu’on ne peut le devenir par de saintes pratiques ; il se parle souvent à lui-même, et recule comme devant un objet visible pour lui seul. Hier au soir nous allâmes écouter à la porte de sa cellule : nous entendîmes des paroles étranges, et cela dura jusqu’au matin, quoiqu’il n’y eût personne avec lui. Parfois il me semblait que d’autres voix répondaient à la sienne. Que vous dirais-je ? Je ne vois là rien de bon… et frère Jean prétend qu’il est écrit que jamais une conscience nette et exempte de toute souillure du péché ne peut veiller et prier si long-temps ; car frère Jean lui-même s’endort toujours en disant son chapelet, avant d’avoir récité dix Ave et deux Credo.
— Fort bien, dit Marmion. Par ma foi ! ce pèlerin sera mon guide, quand Satan et lui seraient d’intelligence. Ainsi, qu’il vous plaise, gentil jouvencel, d’appeler le pèlerin dans cette salle.
Le pèlerin fut appelé et introduit (7).
Un noir capuchon lui couvrait le visage ; sa robe était de la même couleur, et sur ses larges épaules on voyait les clefs de saint Pierre découpées en drap rouge. Des coquillages ornaient son chapeau ; le crucifix qui pendait à son cou venait de Lorrette. Le voyage avait usé ses sandales : il portait le bourdon, la bougette[7], la bourde et la cédule. Le rameau de palmier flétri qu’il tenait à la main indiquait le voyageur de la Terre-Sainte.
Il n’y avait dans la salle aucun chevalier dont la taille fût plus haute que la sienne, et qui eût une démarche plus noble et plus fière. Il n’attendit point qu’on le priât d’approcher, et il alla se placer vis-à-vis le lord Marmion, comme s’il eût été son égal. Mais il semblait épuisé par la fatigue : son visage était ridé et abattu ; et, quand il essayait de sourire, il y avait quelque chose d’égaré et de sombre dans ses yeux. La mère qui lui donna le jour aurait eu peine à le reconnaître, en voyant ses joues pâles et ses cheveux brûlés par le soleil.
Ah ! comme les besoins et les privations, les voyages et les chagrins altèrent bientôt le visage de nos amis les plus chers ! La terreur peut devancer les années, et blanchir nos cheveux dans une nuit ; de pénibles travaux, rendre nos traits austères. La misère éteint le feu des yeux, et la vieillesse n’a point de rides aussi profondes que celles qu’imprime le désespoir. Heureux le mortel exempt de toutes ces peines ! ce pauvre pèlerin les avait toutes connues.
Lord Marmion lui demanda s’il voulait être son guide ; le pèlerin y consentit. Il fut convenu qu’aux premiers feux du matin on se mettrait en marche pour se rendre à la cour d’Ecosse. — Mais, ajouta le pèlerin, je ne puis rester long-temps en chemin ; des vœux solennels m’appellent au rivage de Saint-André, dans la caverne où, du matin au soir, le bienheureux saint Régulus mêlait ses cantiques à la voix mugissante des vagues. Mon pèlerinage ne finira qu’à la miraculeuse source de Saint-Fillan, dont les eaux possèdent la vertu de calmer le délire et de rendre la raison. Fasse la Vierge Marie que je retrouve dans ces saints lieux la paix de mon cœur, ou puisse-t-il cesser de battre à jamais !
Ce fut dans ce moment que le page de sir Heron versa dans une coupe d’argent la libation de minuit, et l’offrit à genoux au lord Marmion, qui but au sommeil de son hôte. La coupe circula de main en main, et le pèlerin seul refusa de l’approcher de ses lèvres, malgré les instances de Selby.
C’était le signal de la fin du repas. On se tut. Les ménestrels cessèrent leurs chants, et bientôt on n’entendit plus dans le château que les pas mesurés de la sentinelle.
Marmion se leva avec l’aurore. On alla d’abord à la chapelle ; on y entendit une messe dépêchée par le frère Jean, et un bon repas fut offert à Marmion. Bientôt les trompettes sonnèrent le boute-selle. On n’oublia pas le coup de l’étrier. Le baron et son hôte se conduisirent réciproquement en chevaliers courtois ; Marmion remercia le gouverneur, qui, de son côté, s’excusa avec modestie. Ce cérémonial se continua jusqu’à ce que Marmion eût vu défiler son cortège, et lui-même partit. Aussitôt les trompettes firent retentir les échos de leurs fanfares ; le canon ébranla les remparts, et le rivage d’Ecosse ; une épaisse fumée, blanche comme la neige, enveloppa le château et ses vieilles tours, jusqu’à ce que la brise de la Tweed l’eût dissipée et éclairci de nouveau l’horizon.
Notes
CHANT PREMIER.
Un jour qu’Arthur faisait un grand festin avec tous les chevaliers de la Table Ronde, le Saint-Gréal, vase dans lequel le Christ avait fait la cène, et qui était resté long-temps caché aux regards des hommes, en punition des crimes de la terre. Ici apparut tout à coup, ainsi qu’à tous ceux dont il était environné. A la suite de cette vision, ils firent tous le vœu solennel d’aller chercher le Saint-Gréal. Mais, hélas ! il ne devait être trouvé que par un chevalier accompli, et qui fût pur de tout commerce charnel. Ainsi l’intrigue que le sir Lancelot avait avec la dame Genièvre ou Ganore, rendit inutiles toutes ses nobles perfections ; il ne rencontra que désastres et malheurs dans la longue et pieuse recherche qu’il entreprit, etc. etc.
Les ruines du château de Norham (anciennement appelé Ubbandfond) sont situées sur la rive méridionale de la Tweed, à six milles environ au-delà de Berwick, et dans un lieu où cette rivière sépare l’Écosse de l’Angleterre.
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler à mes lecteurs qu’à proprement parler on entend par donjon la partie la plus forte d’un ancien château. C’était une tour haute et carrée formée par quatre murs d’une épaisseur effrayante, et située au milieu des fortifications, dont elle était ordinairement isolée. C’était là que, lorsque les ouvrages extérieurs avaient été emportés, la garnison se retirait pour tenter un dernier effort. Le donjon contenait la grande salle, les salles de cérémonie et la prison du château. C’est cette dernière circonstance qui a fait donner au mot dongeon la signification qu’il a maintenant. Ducange (au mot donjon) conjecture, non sans quelque vraisemblance, que ce mot vient de ce que ces espèces de prisons étaient bâties autrefois sur les collines, qui, dans la langue celtique, s’appellent dun. Borlase suppose que ces tours ont été ainsi appelées à cause de l’obscurité qui régnait dans leurs appartemens, ce qui fit qu’on leur donna le nom de prison : c’est faire dériver l’ancien mot de l’application qui en a été faite dans les temps modernes.
Lord Marmion, qui joue le principal rôle dans ce roman, est un personnage tout d’imagination : cependant il a existé autrefois nue famille de Marmion, seigneurs de Fontenay en Normandie, qui jouissait d’une haute considération. Robert de Marmion, seigneur de Fontenay, l’un des seigneurs les plus distingués qui suivirent Guillaume-le-Conquérant, reçut en récompense le château et la ville de Tamworth, et en outre la Seigneurie de scrivelbaye, dans le Lincolnshire.
L’histoire de Perkin Warbeck ou Richard d’York, est assez connue. En 1496, il fut reçu en Ecosse avec les plus grands honneurs, et Jacques IV, après lui avoir donné en mariage lady Catherine Gordon, une de ses parentes, fit la guerre à l’Angleterre pour appuyer ses prétentions. Voulant tirer vengeance de l’invasion qui avait été faite en Angleterre, Surrey s’avança dans le Berwickshire à la tête d’une armée considérable ; mais il fit retraite après avoir pris le petit fort d’Ayton.
Ce prêtre était sans doute un peu cousin de Welsh, vicaire de Saint-Thomas d’Exeter, qui, en 1549, commandait les insurgés de Cornish, et eut le malheur d’être pendu au clocher de son église.
L’expression palmer (porte-palme), par opposition au mot pilgrim (pèlerin), signifie un homme qui ne s’occupait qu’à visiter les lieux honorés des reliques des saints, passant toute sa vie à voyager, et vivant de la charité des fidèles. Les pèlerins revenaient chez eux, et reprenaient leurs anciennes occupations, lorsqu’ils avaient une fois fait leurs dévotions au lieu qui faisait l’objet principal de leur pèlerinage ; mais les porte-palmes semblent avoir été les quœstionarii dont il est mention dans les anciens canons d’Ecosse.
- ↑ Glen, ravine, vallon entouré de montagnes. — Ed.
- ↑ Forêts du Hampshire. — Ed.
- ↑ Guillaume-le-Roux. — Ed.
- ↑ Citation d’une vieille ballade chantée par les ménestrels, et qui est très-populaire en Écosse. — Ed.
- ↑ Expression ironique des maraudeurs incendiaires. — Ed.
- ↑ Cette plaisanterie triviale de l’auteur a été l’objet d’une critique sévère en Angleterre. — Ed.
- ↑ The budget, bourse de cuir. — Ed.