Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume III/Chapitre IV/III


 
Traduction de James Darmesteter

Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1893.
Annales du Musée Guimet, Tome 24.


INTRODUCTION
CHAPITRE IV
Les éléments étrangers dans l’Avesta
III.
Azhi Dahâka à Babylone. — Azhi Dahâka représentant de la race arabe dans l’Avesta (Nask Citradât). — Date de l’établissement des Arabes dans l’Iraq (iie siècle après notre ère).


III

À l’époque où fut rédigé l’Avesta, la Chaldée était habitée par les Arabes, elle était déjà l’Irak Arabi. En effet, la résidence d’Azhi Dahâka (Zohâk) est à Bawli, c’est-à-dire à Babylone[1], et il sacrifie à Vayu dans l’inaccessible Kvirinta[2], « le Palais de la grue », qu’un passage de Hamza d’Ispahan identifie avec les ruines de Babylone[3] : or Azhi Dahâka, quoique mythique à l’origine, est devenu, et cela dès la période avestéenne, le représentant de la race arabe. Quand Firdausi fait de lui le fils d’un roi arabe, Mardâs[4], il est absolument dans la vieille tradition : avant Firdausi, les généalogies du Bundahish font de Dahâk un petit-fils de Tâj, l’éponyme des Tâjiks ou Arabes : « Dahâk, fils de Khrûtasp, fils de Zâînîgâv, fils de Virafshang, fils de Tâj[5] ». Or, le Bundahish lui-même ne fait ici, comme souvent, que reproduire l’Avesta sassanide : car le Nask des Généalogies, le Citradât, faisait remonter Dahâk jusqu’à « Tâj, frère de Hôshang et ancêtre des Tâjîks »[6]. Mais l’époque la plus ancienne où la Chaldée soit tombée aux mains des Arabes, qui l’occupent encore, c’est la période arsacide. L’histoire de l’infiltration arabe le long de l’Euphrate n’est point faite encore avec une précision suffisante : mais on sait qu’à la fin du iie siècle de notre ère, les Arabes dominaient sur tout le bassin et possédaient Hîrâ, Mossoul et la Mésopotamie jusqu’à Holwan. La région à l’est de Holwan « était en la possession des Rois des provinces, qui étaient tous persans et ne reconnaissaient pas l’autorité des Arabes. L’Iraq et le Savâd restèrent entre les mains des Arabes, qui étaient en guerre perpétuelle entre eux, comme c’est la coutume »[7]. Si Azhi Dahâka, roi des Arabes, règne a Bawli, c'est-à-dire à Babylone ou en Babylonie, c'est donc que les textes où il paraît avec ce caractère représentent l'état de la Mésopotamie et de la Chaldée au iie siècle de notre ère, ou du moins à une époque où les Arabes étaient déjà dominants dans cette région. C'est à la même époque que se rapporte le tableau de l’Iran tracé dans le premier Fargard du Vendidad : car c'est l'époque où le pays de la Ranha, du Tigre septentrional, l’Arvastâni Rûm, est habitépar « des peuples sans chefs » (Vd. I, 20).

C'est dans la même direction qu'il faut chercher Zainigaush ou Zinigâb, l'homme au regard de basilic, venu, comme Zohâk, du pays des Arabes pour conquérir l'Irân-shahr et qui est refoulé et tué par Afrâsyâb^^1,heure unique où le Touranien eut le dépôt du Hvarenô et fut un sauveurpour l'Iran. Il est regrettable que nous ayons si peu de données sur les luttes des Arabes contre les Muluk tawâif et contre les Parthes : car on aurait peut-être dans cet épisode la clef du personnage énigmatique d'Afrâsyâb. Il est difficile de comprendre comment les Touraniens d'au delà de l’Oxus ont pu intervenir contre les Arabes de l'Euphrate. Mais il faut observer que la carrière d'Afrpasyâb s'achève aux bords du lac Caêcasta, c'est-à-dire en Adarbaijân, au nord de la Mésopotamie^^2 ; or la légende des rois du Yemen met le Tobha Abou Kourroub, envahisseur de la Mésopotamie, aux prises avec les Turcs d'Adarbaijân^^3, de sorte que la tradition d'une rencontre des Arabes avec des Touraniens occidentaux n'a rien d'invraisemblable, et il se peut que la légende de Zainigaush rappelle des incursions arabes sur les provinces iraniennes des Mulûk tarâif repoussées avec le secours des hordes du nord-ouest, celles que plus tard Khosroès Noshirvân essaya d'enfermer dans le Caucase.


  1. Yt. V, 29.
  2. Yt. XV, 19.
  3. Hamza, p. 32.
  4. Mardâs مرداس est une corruption orthographique de Khrûtâsp (Études iraniennes, II, 212).
  5. Bund. XXXI, 6.
  6. Dinkart, VIII, 13, 8.
  7. Tabarî (tr. Zolenberg), II, 8-9.