P. Jannet (p. 215-347).


LIVRE SECOND.



Si vous vous attendez, lecteur, que ce livre soit la suite du premier, et qu’il y ait une connexité necessaire entr’eux, vous estes pris pour duppe. Détrompez-vous de bonne heure, et sçachez que cet enchaînement d’intrigues les uns avec les autres est bien seant à ces poëmes héroïques et fabuleux où l’on peut tailler et rogner à sa fantaisie. Il est aisé de les farcir d’épisodes, et de les coudre ensemble avec du fil de roman, suivant le caprice ou le genie de celuy qui les invente. Mais il n’en est pas de mesme de ce tres-veritable et tres-sincere recit, auquel je ne donne que la forme, sans altérer aucunement la matière. Ce sont de petites histoires et advantures arrivées en divers quartiers de la ville, qui n’ont rien de commun ensemble, et que je tasche de rapprocher les unes des autres autant qu’il m’est possible. Pour le soin de la liaison, je le laisse à celuy qui reliera le livre. Prenez donc cela pour des historiettes separées, si bon vous semble, et ne demandez point que j’observe ny l’unité des temps ny des lieux, ny que je fasse voir un héros dominant dans toute la piece. N’attendez pas non plus que je reserve à marier tous mes personnages à la fin du livre, où on void d’ordinaire celebrer autant de nopces qu’à un carnaval, car il y en aura peut-estre quelques-uns qui, après avoir fait l’amour, voudront vivre dans le célibat ; d’autres se marieront clandestinement, et sans que vous ny moy en sçachions rien. Je ne m’oblige point encore à n’introduire que des amours sur la scene ; il y aura aussi des histoires de haine et de chicane, comme celle-cy qui vous va estre racontée. Enfin, toutes les autres passions qui agitent l’esprit bourgeois y pourront trouver leur place dans l’occasion. Que si vous y vouliez rechercher cette grande regularité que vous n’y trouverez pas, sçachez seulement que la faute ne seroit pas dans l’ouvrage, mais dans le titre : ne l’appellez plus roman, et il ne vous choquera point, en qualité de recit d’aventures particulières. Le hazard plustost que le dessein y pourra faire rencontrer des personnages dont on a cy-devant parlé. Témoin Charroselles, qui se presente icy le premier à mon esprit, de l’humeur duquel j’ay des-ja donné un petit échantillon, et dont j’ay obmis expres de faire la description, pour la donner en ce lieu-cy. Si vous en estes curieux, vous n’avez qu’à continuer de lire.


Histoire de Charroselles[1], de Collantine et de Belastre.


Charroselles ne vouloit point passer pour autheur, quoy que ce fust la seule qualité qui le rendist recommandable, et qui l’eust fait connoistre dans le monde. Je ne sçay si quelque remors de conscience des fautes de sa jeunesse luy faisoit prendre ce nom à injure ; tant y a qu’il vouloit passer seulement pour gentilhomme[2], comme si ces deux qualitez eussent esté incompatibles[3], encore qu’il n’y eust pas plus de trente ans que son pere fust mort procureur[4]. Il s’estoit advisé de se piquer de noblesse dès qu’il avoit eu le moyen d’atteller deux haridelles à une espece de carrosse tousjours poudreux et crotté. Ces deux Pegases (tel fut leur nom pendant qu’ils servirent à un nourriçon du Parnasse) ne s’estoient point enorgueillis, et n’avoient la teste plus haute ny la démarche plus fiere que lors qu’ils labouroient les pleines fertiles d’Aubervilliers. Leur maistre les traittoit aussi delicatement que des enfans de bonne maison. Jamais il ne leur fit endurer le serain ny ne leur donna trop de charge ; il eust presque voulu en faire des Bucephales, pour ne porter ou du moins ne traisner que leur Alexandre. Car il estoit tousjours seul dans son carosse ; ce n’est pas qu’il n’aimast beaucoup la compagnie, mais son nez demandoit à estre solitaire[5], et on le laissoit volontiers faire bande à part. Quelque hardy que fust un homme à lui dire des injures, il n’osoit jamais les lui dire à son nez, tant ce nez estoit vindicatif et prompt à payer. Cependant il fouroit son nez par tout, et il n’y avoit gueres d’endroits dans Paris où il ne fust connu. Ce nez, qu’on pouvoit à bon droit appeler son Eminence, et qui estoit tousjours vestu de rouge, avoit esté fait en apparence pour un colosse ; neantmoins il avoit esté donné à un homme de taille assez courte. Ce n’est pas que la nature eust rien fait perdre à ce petit homme, car ce qu’elle luy avoit osté en hauteur, elle le lui avoit rendu en grosseur, de sorte qu’on luy trouvoit assez de chair, mais fort mal pestrie. Sa chevelure estoit la plus desagreable du monde, et c’est sans doute de luy qu’un peintre poetique, pour ébaucher le portrait de sa teste, avoit dit :

On y void de piquans cheveux,
Devenus gras, forts et nerveux,
Herisser sa teste pointuë,
Qui tous meslez s’entraccordans,
Font qu’un peigne en vain s’évertuë
D’y mordre avec ses gosses dents.

Aussi ne se peignoit-il jamais qu’avec ses doigts, et dans toutes les compagnies c’estoit sa contenance ordinaire. Sa peau estoit grenuë comme celle des maroquins, et sa couleur brune estoit rechauffée par de rouges bourgeons qui la perçoient en assez bon nombre. En general il avoit une vraye mine de satyre. La fente de sa bouche estoit copieuse, et ses dents fort aigues : belles dispositions pour mordre. Il l’accompagnoit d’ordinaire d’un ris badin, dont je ne sçay point la cause, si ce n’est qu’il vouloit monstrer les dents à tout le monde. Ses yeux gros et bouffis avoient quelque chose de plus que d’estre à fleur de teste. Il y en a qui ont cru que, comme on se met sur des balcons en saillie hors des fenestres pour decouvrir de plus loin, aussi la nature luy avoit mis des yeux en dehors, pour découvrir ce qui se faisoit de mal chez ses voisins. Jamais il n’y eut un homme plus medisant ny plus envieux ; il ne trouvoit rien de bien fait à sa fantaisie. S’il eut esté du conseil de la creation, nous n’aurions rien veu de tout ce que nous voyons à present. C’estoit le plus grand reformateur en pis qui ait jamais esté, et il corrigeoit toutes les choses bonnes pour les mettre mal. Il n’a point veu d’assemblée de gens illustres qu’il n’ait tâché de la decrier ; encore, pour mieux cacher son venin, il faisoit semblant d’en faire l’eloge, lors qu’il en faisoit en effet la censure, et il ressembloit à ces bestes dangereuses qui en pensant flatter égratignent : car il ne pouvoit souffrir la gloire des autres, et autant de choses qu’on mettoit au jour, c’estoient autant de tourmens qu’on luy preparoit. Je laisse à penser si en France, où il y a tant de beaux esprits, il estoit cruellement bourrelé. Sa vanité naturelle s’estoit accruë par quelque reputation qu’il avoit euë en jeunesse, à cause de quelques petits ouvrages qui avoient eu quelque debit. Ce fut là un grand malheur pour les libraires ; il y en eut plusieurs qui furent pris à ce piege, car, apres qu’il eut quitté le stile qui estoit selon son genie pour faire des ecrits plus serieux, il fit plusieurs volumes[6] qui n’ont jamais esté leus que par son correcteur d’imprimerie. Ils ont esté si funestes aux libraires qui s’en sont chargez, qu’il a des-ja ruiné le Palais et la ruë S. Jacques, et, poussant plus haut son ambition, il pretend encore ruiner le Puits-Certain[7]. Il donne à tout le monde des catalogues des livres qu’il a tous prests à imprimer, et il se vante d’avoir cinquante volumes manuscrits[8] qu’il offre aux libraires qui se voudront charitablement ruiner pour le public. Mais comme il n’en trouve point qui veüille sacrifier du papier à sa reputation, il s’est advise d’une invention merveilleuse. Il fait exprès une satire contre quelque autheur ou quelque ouvrage qui est en vogue, s’imaginant bien que la nouveauté ou la malice de sa pièce en rendront le debit assuré ; mais il ne la donne point au libraire qu’il n’imprime pour le pardessus quelqu’un de ses livres serieux. Avec ces belles qualitez, cet homme s’est fait un bon nombre d’ennemis, dont il ne se soucie gueres, car il hayt tout le genre humain ; et personne n’est ingrat envers luy, parce qu’on luy rend le reciproque. Que si c’estoit icy une histoire fabuleuse, je serois bien en peine de sçavoir quelles avantures je pourrois donner à ce personnage : car il ne fit jamais l’amour, et si on pouvoit aussi bien dire en françois faire la haine, je me servirois de ce terme pour expliquer ce qu’il fit toute sa vie. Il n’eut jamais de liaison avec personne que pour la rompre aussi-tost, et celle qui luy dura le plus long-lemps fut celle qu’il eut avec une fille qu’il rencontra d’une humeur presque semblable à la sienne. C’estoit la fille d’un sergent, conceuë dans le procès et dans la chicane, et qui estoit née sous un astre si malheureux qu’elle ne fit autre chose que plaider toute sa vie. Elle avoit une haine generale pour toutes choses, excepté pour son interest. La vanité mesme et le luxe des habits, si naturels au sexe, faisoient une de ses aversions. Elle ne paroissoit gouluë sinon lors qu’elle mangeoit aux dépens d’autruy ; et la chasteté qu’elle possedoit au souverain degré estoit une vertu forcée, car elle n’avoit jamais pû estre d’accord avec personne. Toute sa concupiscence n’avoit pour objet que le bien d’autruy, encore n’envyoit-elle, à proprement parler, que le litigieux, car elle eust joüy avec moins de plaisir de celuy qui luy auroit esté donné que de celuy qu’elle auroit conquis de vive force et à la pointe de la plume. Elle regardoit avec un œil d’envie ces gros procès qui font suer les laquais des conseillers qui les vont mettre sur le bureau, et elle accostoit quelquefois les pauvres parties qui les suivoyent, pour leur demander s’ils estoient à vendre ; comme les maquignons en usent à l’egard des chevaux qu’on même à l’abreuvoir.

Cette fille estoit seiche et maigre du soucy de sa mauvaise fortune, et pour seconde cause de son chagrin elle avoit la bonne fortune des autres ; car tout son plaisir n’estoit qu’à troubler le repos d’autruy, et elle avoit moins de joye du bien qui luy arrivoit que du mal qu’elle faisoit. Sa taille menuë et déchargée luy donnoit une grande facilité de marcher, dont elle avoit bon besoin pour ses solicitations, car elle faisoit tous les jours autant de chemin qu’un semonneur d’enterremens[9]. Sa diligence et son activité estoient merveilleuses : elle estoit plus matinale que l’aurore, et ne craignoit non plus de marcher de nuit que le loup-garou. Son adresse à cajoller des clercs et à courtiser les maistres estoit aussi extraordinaire, aussi bien que sa patience à souffrir leurs rebuffades et leurs mauvaises humeurs ; toutes qualitez necessaires à perfectionner une personne qui veut faire le mestier de plaider. Je ne puis me tenir de raconter quelques traits de sa jeunesse, qui donnerent de belles esperances de ce qu’elle a esté depuis. Sa mere, pendant sa grossesse, songea qu’elle accouchoit d’une harpie, et mesme il parut sur son visage qu’elle tenoit quelque chose d’un tel monstre. Quand elle estoit au maillot, au lieu qu’on donne aux autres enfans un hochet pour les amuser, elle prenoit plaisir à se joüer avec l’escritoire de son pere, et elle mettoit le bout de la casse sur ses gencives pour adoucir le mal des dents qui commençoient à luy percer. Quand elle fut un peu plus grande, elle faisoit des poupées avec des sacs de vieux papiers, disant que la corde en estoit la lisiere, et l’etiquette la bavette ou le tablier. Au lieu que les autres filles apprennent à filer, elle apprit à faire des tirets, qui est, pour ainsi dire, filer le parchemin pour attacher des papiers et des etiquettes. Ce merveilleux genie qu’elle avoit pour la chicane parut sur tout à l’escole lors qu’on l’y envoya, car elle n’eut pas si-tost appris à lire ses sept Pseaumes, quoy qu’ils fussent moulez, que des exploits et des contracts bien griffonnez.

Avec ces belles inclinations, qui la firent devenir avec l’âge le fleau de ses voisins, et qui la rendirent autant redoutée qu’un procureur de seigneurie l’est des villageois, je luy laisseray passer une partie de sa vie sans en raconter les memorables chicanes, qui ne font rien à nostre sujet, jusques au jour qu’elle connut nostre censeur heroïque. Cette connoissance se fit au palais, aussi luy auroit-il esté bien difficile de la faire ailleurs, et cela comme elle estoit dans un Greffe pour solliciter quelque expedition. Charroselles s’y trouva aussi pour solliciter un procès contre son libraire, sur une saisie d’un de ses livres où il avoit satirisé quelqu’un qui en vouloit empescher le debit[10]. Il n’y a rien de plus naturel à des plaideurs que de se conter leurs procès les uns aux autres. Ils font facilement connoissance ensemble, et ne manquent point de matiere pour fournir à la conversation.

Collantine (c’estoit le nom de la demoiselle chicaneuse) d’abord luy demanda à qui il en vouloit ; Charroselles la satisfit aussi-tost, et luy deduisit au long son procès. Quand il eut flny, pour luy rendre la pareille, il luy demanda qui estoit sa partie. Ma partie (dit-elle, faisant un grand cry), vrayement j’en ai un bon nombre. Comment (reprit-il) ! plaidez-vous contre une communauté, ou contre plusieurs personnes interessées en une mesme affaire ? Nenny dea (repliqua Collantine) ; c’est que j’ay toutes sortes de procès, et contre toutes sortes de personnes. Il est vray que celuy pour qui je viens maintenant icy contient une belle question de droit, et qui merite bien d’estre escoutée. Je n’ai acheté ce procès que cent escus, et si j’en ai des-ja retiré près de mille francs. Ces dernieres paroles furent entendues par un gentil-homme gascon, qui se trouva aussi dans le greffe. Il lui dit avec un grand jurement : Comment, vous donnez cent escus pour un procès ! j’en ay deux que je vous veux donner pour rien. Cela ne sera pas de refus (dit la demoiselle) ; je vous promets de les poursuivre ; il y aura bien du malheur si je n’en tire quelque chose. Et, pour donner plus d’authorité à son dire, elle luy voulut raconter quelqu’un de ses exploits. Or, c’estoit assez le faire que de continuer le discours qu’elle avoit commencé avant cette interruption. Il n’étoit gueres advancé quand le greffier sortit du greffe, apres lequel ce gascon courrut brusquement sans dire adieu. Elle auroit bien fait la mesme chose, si ce n’estoit qu’elle avoit l’esprit trop attaché à son recit. Aussi elle n’accusa point le gascon pour cela d’incivilité, car c’est l’usage du palais qu’on quitte souvent ainsi les premiers complimens et les conversations où on est le plus engagé. Charroselles eust aussi voulu suivre le greffier, mais Collantine le retint par son manteau pour continuer le recit de son procès, dont le sujet estoit assez plaisant, mais la longueur un peu ennuyeuse. Si j’estois de ces gens qui se nourrissent de romans, c’est à dire qui vivent des livres qu’ils vendent, j’aurois icy une belle occasion de grossir ce volume et de tromper un marchand qui l’acheteroit à la fueille. Comme je n’ay pas ce dessein, je veux passer sous silence cette conversation, et vous dire seulement que l’homme le plus complaisant ne presta jamais une plus longue audiance que fit Charroselles ; et, comme il croyoit en estre quitte, il fut tout estonné que la demoiselle se servit de la fin de ce procès pour faire une telle transition. Mais celuy-là n’est rien (ce dit-elle) au prix d’un autre que j’ay à l’edit[11], sur une belle question de coustume, que je vous veux reciter, afin de sçavoir vostre sentiment ; je l’ay des-ja consultée à trois advocats, dont le premier m’a dit oüy, l’autre m’a dit non et le troisième il faut voir. Je me suis quelquefois mieux trouvée d’une consultation faite à un homme d’esprit et de bon sens (comme vous me paroissez) qu’à tous ces grands citeurs de code et d’indigeste. Cette petite flatterie dont il se sentit chatoüiller l’obligea de prester encore une semblable audience ; il trepignoit souvent des pieds, il faisoit beaucoup d’interruptions ; mais tout ainsi qu’un edifice au milieu de la riviere, apres en avoir divisé le cours, la fait aller avec plus d’impetuosité, de mesme ces interruptions ne faisoient qu’augmenter la violence du torrent des paroles de Collantine. Elle poussa son affaire et la patience de son auditeur à bout, et négligea mesme à la fin d’écouter l’advis qu’elle luy avoit demandé, pour se servir de la même fleur de rethorique dont elle s’estoit servie l’autre fois, et passer, sans estre interrompue, au recit d’une autre affaire. Mais une puissance superieure y pourvût, car la nuit vint, et fort obscure, de sorte qu’à son grand regret elle brisa là, et promit de conter le reste la premiere fois qu’elle auroit l’honneur de le voir. À son geste et à son regard parut assez son mécontentement ; sans doute que, dans son ame, elle dit plusieurs fois : Ô nuit, jalouse nuit[12] ! et qu’elle fit contre elle des imprécations aussi fortes qu’un amant en fait contre l’aurore qui vient arracher sa maîtresse d’entre ses bras. Ses plaisirs donc se terminerent par cette necessaire separation ; ils ne laisserent pas de se faire quelques complimens, et de se promettre des services et des sollicitations reciproques en leurs affaires. Collantine, la plus ardente, fut la premiere à demander à Charroselles un placet pour donner à son rapporteur, auprès duquel elle disoit avoir une forte recommandation. Il lui en donna un avec joie, et luy offrit de luy rendre un pareil office s’il en trouvoit l’occasion. Elle la prit aux cheveux, et, tirant de sa poche une grosse liasse de placets differens, avec une liste generale des chambres du parlement, elle luy dit : Regardez si vous ne connoissez personne de ces messieurs. Il luy demanda en quelle chambre elle avoit affaire. Elle luy repondit : Il n’importe, car j’ay des procès en toutes. Charroselles prit la liste et l’examina à la lueur de la chandelle d’un marchand de la galerie. Il en remarqua deux qu’il dit estre de ses intimes amis, et qu’il gouvernoit absolument ; il en remarqua deux ou trois autres qu’il dit estre gouvernez par des gens de sa connoissance, et il ne manqua pas de se servir des termes ordinaires dont se servent ceux qui promettent de recommander des affaires : Je vous donnerai celuy-cy, je vous donnerai cet autre, et le tout avec la mesme asseurance que s’ils avoient les voix et les suffrages de ces messieurs dans leurs poches. Il prit donc de ces placets pour en donner et en faire tenir ; cependant il ne fit ny l’un ny l’autre, comme font plusieurs qui s’en chargent et qui s’en servent seulement à fournir leur garderobbe, ce qui est un pur larcin qu’ils font à celles des conseillers. Pour Charroselles, il estoit excusable d’en user ainsi, car il ne vouloit pas rompre le veu qu’il avoit fait de ne faire jamais de bien à personne.

Collantine ne fut pas encore satisfaite de ces offres si courtoises, car, en continuant dans le style ordinaire des plaideurs, qui vont rechercher des habitudes auprès des juges dans une longue suite de generations et jusqu’au dixième degré de parenté et d’alliance, elle demanda à Charroselles s’il ne luy pourroit point donner quelques adresses pour avoir de l’accès auprès de quelques autres conseillers. Il reprit donc la liste, et en trouva beaucoup où il luy pourroit donner satisfaction, et entr’autres, luy en marquant un avec son ongle, il luy dit : Je connais assez le secrétaire du secrétaire de celuy-là ; je puis par son moyen faire recommander vostre procès au maistre secrétaire, et par le maistre secrétaire à monsieur le conseiller. Ce n’est pas (répondit-elle) la pire habitude qu’on y puisse avoir. Il luy dit encore, en lui en marquant un autre : Ma belle-sœur a tenu un enfant du fils aîné de la nourrice-de celuy-là, chez lequel elle est cuisiniere ; je puis luy faire tenir un placet par cette voye. Cela ne sera pas à negliger (reprit Collantine) ; il arrive assez souvent que nous nous laissons gouverner par nos valets plus puissamment que par des parents ou des personnes de qualité. Mais, à propos, ne connoistrez vous point quelque chasseur, car j’ay affaire à un homme qui aime grandement la chasse ; de chasseur à chasseur il n’y a que la main : si j’en sçavois quelqu’un, je le prirois de luy en parler quand il seroit avec luy à la campagne. Je craindrois (luy dit Charroselles, qui vouloit faire le bel esprit), une telle sollicitation, et qu’on ne lui en parlast qu’en courant et à travers les champs. C’est tout un (repliqua la chicaneuse) ; cela fait tousjours quelque impression sur l’esprit ; et, avec la mesme importunité, elle luy en designa un autre de la faveur duquel elle avoit besoin. Pour celuy-là (luy dit-il), c’est un homme fort devot ; si vous connoissez quelqu’un aux Carmes deschaussez, vostre affaire est dans le sac ; car on m’a dit qu’il y a un des peres de ce couvent qui en fait tout ce qu’il veut ; je ne sçay pas son nom, mais ces bons peres font volontiers les uns pour les autres. Helas (reprit Collantine avec un grand soûpir) ! je n’y ai connoissance quelconque ; toutefois, attendez : je connois un religieux recollet de la province de Lyon, à qui j’ay ouy dire, ce me semble, qu’il avoit un cadet qui estoit de ce couvent ; il trouvera quelqu’un de cet ordre ou d’un autre, il n’importe, qui fera mon affaire.

Là dessus Charroselles luy voulut dire adieu, mais elle le suivit en le costoyant ; et en luy nommant un nouveau conseiller, elle luy demanda la mesme grace qu’il lui avoit faite auparavant. Pour celuy-cy (luy dit-il), c’est un homme qui passe pour galant ; il est fort civil au sexe, et vous estes asseurée d’une favorable audiance, si vous l’allez voir avec quelque personne qui soit bien faite. Ha (reprit-elle) ! je sçay une demoiselle suivante qu’on avoit prise dernierement pour quester à nostre parroisse à cause de sa beauté. Je la prieray de m’y mener, et je ne crois pas qu’elle me refuse, car elle a tenu ces jours-cy un enfant sur les fonds avec le clerc d’un procureur qui occupe pour moy en quelques instances. Charroselles luy dit un second adieu ; mais elle l’arresta encore en lui disant : Je ne vous veux plus nommer que celuy-cy ; dites-moi si vous ne connoissez point quelques uns de ses amis. J’en connois quantité qui le sont beaucoup (luy dit-il). Hé ! de grace, comment s’appellent ils (lui répondit-elle avec une grande émotion) ? Ils s’appellent Loüis (répliqua-t-il). On dit que quand ils vont en compagnie le prier de quelque chose, ils l’obtiennent aisément. Vous estes un rieur (repartit nostre importune) ; je ne voudrois pas trop me fier à ce qu’on en dit : on fait beaucoup de médisance sans fondement, et il n’y a point de si bon juge que la partie qui a perdu sa cause n’accuse d’avoir esté corrompu par argent ou par amis ; cependant cela n’est presque jamais vray.

Cette raillerie servit utilement Charroselles, car il ne se fust jamais autrement sauvé des mains et des questions de cette fille. Ils se separerent enfin, non sans protestation de se revoir, et ils s’en allerent chacun de son costé chercher son logis à tastons, et en pas de loup-garou, chose qui arrive souvent aux plaideurs. Charroselles, retournant chez luy fort fatigué, se mit à table avec sa sœur et son beau frere, qui estoit medecin, chez lequel il s’estoit mis en pension[13], et il leur raconta une partie des avantures de cette journée, et des discours qu’il avoit tenus avec une fille si extraordinaire. Ils admirerent ensemble le naturel des plaideurs, et demeurerent d’accord qu’il faut estre bien chery du ciel pour estre exempt de tomber dans ces deux sottises, generales à tous ceux de ce mestier, d’estre si aspres à chercher des connoissances pour donner des placets à des juges, et d’estre si importuns à raconter leurs affaires, et à les consulter à tous les gens qu’ils rencontrent. Pour moy, dit Lambertin (c’estoit le nom du beau-frere), j’admire que l’on cherche avec tant d’empressement des sollicitations, puis qu’elles servent si peu, et je ne m’estonne point aussi qu’on en fasse si peu de cas, puisqu’elles viennent de connoissances si esloignées. Adjoustez (dit Charroselles) que la pluspart donnent des placets fort froidement, et si fort par maniere d’acquit, que j’aimerois presque autant voir distribuer sur le Pont-Neuf de ces billets qui annoncent la science et le logis d’un operateur[14]. Pour les donneurs de factums (reprit Lambertin), je leur pardonnerois plus volontiers ; car, comme ils contiennent une instruction de l’affaire, cela peut estre utile à quelque chose ; mais le malheur est que ces messieurs en reçoivent tant que, s’ils vouloient les lire tous, il faudroit qu’ils ne fissent autre chose toute leur vie ; de sorte que leur destin le plus ordinaire est d’accompagner les placets à la garderobbe. En cela (dit Charroselles) consiste quelquefois leur fortune ; car, s’il arrive que Monsieur ait le ventre dur, il peut s’amuser à les lire pendant qu’il est en travail, et je tiens que, de mesme qu’un amant seroit ravi de sçavoir l’heure du berger, aussi un plaideur seroit heureux s’il sçavoit l’heure du constipé. Il faut confesser (reprit Lambertin) que tous ceux qui cherchent les voyes d’instruire leurs juges, par quelque façon que ce soit, sont excusables ; mais les autres ne le sont pas qui vont importuner une personne estrangere d’un recit long et fascheux d’un procès où ils n’ont aucun interest. Et il arrive qu’à la fin l’auditeur n’y peut rien comprendre, non seulement parce que souvent l’affaire est trop embroüillée, mais aussi parce que le plaideur en taist beaucoup de circonstances necessaires pour la faire entendre ; et comme il en a l’idée remplie, il croit que les autres en sont aussi bien instruits que luy. Le pis est encore que les avis qu’il demande ne peuveut servir de rien : car, s’il parle à des ignorans, ils ne peuvent donner aucune resolution qui soit pertinente ; et si c’est à des sçavans, ils veulent voir les pieces et les procedures pour faire une bonne et seure consultation. Cependant ce ne sont pas seulement les plaideurs qui ont cette manie ; tous ceux qui frequentent avec eux en sont encore entachez, et ne peuvent se deffendre de tomber en mesme faute. J’en fis ces derniers jours une assez plaisante experience, dont je vous veux reciter briefvement l’avanture.

Un homme de robbe, m’ayant témoigné qu’il vouloit lier une estroite amitié avec moy, m’avoit invité puissamment de l’aller voir. Je luy fis ma premiere visite un dimanche, sur les dix heures du matin. Si-tost qu’il sceut ma venuë, il me fit prier de l’attendre dans une salle, tandis qu’il recevoit dans une autre la sollicitation d’un de ses amis de qualité. Apres une heure entiere il me vint faire un accueil tres-civil, et, pour premier compliment, il me témoigna le déplaisir qu’il avoit de m’avoir tant fait attendre. Il me dit pour s’excuser qu’il estoit engagé avec une personne de condition, qui luy venoit recommander une affaire qui estoit de grande discussion, et où il y avoit les plus belles questions du monde, et là dessus il commença à m’en deduire le fait et à m’en expliquer toutes les circonstances avec les mesmes particularitez qu’il venoit d’apprendre de la partie. Ce recit dura une autre heure, au bout de laquelle midy sonna, et comme il n’avoit pas esté à la messe, il nous fallut separer brusquement sans autre entretien. Je vous laisse à penser quel fruit et quelle satisfaction nous avons receu l’un et l’autre de cette visite, et s’il n’étoit pas plaisant de luy voir commettre la mesme faute qu’il avoit dessein de reprendre et de blâmer.

Lambertin et Charroselles s’entretenoient ainsi pendant le soupper ; et comme la matiere de railler les plaideurs est assez ample, cette conversation auroit esté poussée fort loin si, au milieu de la plus grande chaleur, elle n’eust esté interrompue par un grand bruit de cinq petits enfans, qui, estant au bout de la table rangez comme les tuyaux d’un sifflet de chaudronnier, vinrent crier de toute leur force : Laus Deo, pax vivis, et firent un piaillement semblable à celuy des cannes ou des oysons qu’on effarouche. Chacun fit silence et joignit les mains, puis la mere prit le plus petit des enfans sur ses genoux pour l’amignotter. Lambertin, accostant sa teste sur son fauteüil, se mit à ronfler ; Charroselles, homme d’estude, monta en son cabinet, où la premiere chose qu’il fit, ce fut son examen de conscience de bons mots, ainsi qu’il avoit accoustumé. C’est à dire qu’il faisoit un recueil où il mettoit par escrit tous les beaux traits et toutes les choses remarquables qu’il avoit oüyes pendant le jour dans les compagnies où il s’estoit rencontré. Apres cela il en faisoit bien son profit, car par fois il se les attribuoit et en compiloit des ouvrages entiers ; par fois il les alloit debiter ailleurs comme venant de son crû. Ce qui luy arriva cette journée fut une grande recolte pour luy, car sans doute il en couchera l’histoire dans le premier livre qui sortira de sa plume, et bien plus amplement que je ne la raconte icy. Ce ne sera que la faute des libraires si vous ne la voyez pas.

Dès les premiers jours suivans, il ne manqua pas d’aller voir Collantine, comme il alloit voir toutes les autres filles et femmes de la Ville. La grande sympathie qu’ils avoient à faire du mal à leur prochain, chacun en son genre, fit qu’ils lierent ensemble une grande....... N’attendez pas que je vous dise amitié ou intelligence ; mais familiarité, tant qu’il vous plaira.

Lors de sa premiere visite, et immediatement apres le premier compliment, Charroselles la voulut regaler de son bel esprit, et luy monstrer le catalogue de ses ouvrages. Mais Collantine l’interrompit, et luy fit voir auparavant tous les étiquettes de ses procès. Apres cela il se mit en devoir de luy lire une satyre contre la chicane, où il décrivoit le malheur des plaideurs. Mais auparavant, elle lui leut un advertissement dressé contre un faux noble qu’elle avoit fait assigner à la Cour des aydes sur ce qu’il avoit pris la qualité d’escuyer[15]. Comme il vid qu’il ne pouvoit obtenir longue audience, il luy voulust monstrer un sonnet qu’il lui dit estre un chef-d’œuvre de poesie. Ha ! pour des chef-d’œuvres (dit-elle), je vous veux lire un exploit en retrait lignager aussi bien dressé qu’on en puisse voir. Il crut estre plus heureux en lui annonçant de petites stances, où il disoit qu’un amant faisoit à sa maistresse sa declaration. Pour des declarations (interrompit-elle encore), j’en ay une de dépens si bien dressée, que de trois cens articles, il n’y en a pas un de rayé ni de croisé. Au lieu de se rebuter, il la pria instamment d’oüir la lecture d’une epistre. Elle répondit aussi tost qu’elle n’entendoit point le latin : car elle ne croyoit pas, en effet, qu’il y eust d’autres epistres que celles qui se lisent devant l’Evangile. Charroselles, pour s’expliquer mieux, luy dit que c’estoit une lettre. Quant aux lettres (luy répondit Collantine), j’en ai de toutes les façons, et je vous en veux monstrer en forme de requeste civile obtenues contre treize arrests tous contradictoires. Quand il vid qu’il estoit impossible qu’il fust escouté, il tira un livret imprimé de sa poche, contenant une petite nouvelle[16], qu’il lui donna, à la charge qu’elle la liroit le soir. Elle ne parut point ingrate, et aussi-tost elle luy donna un gros factum à pareille condition. Enfin, je ne sçay si ce fut encore la nuit ou quelque autre interruption qui les separa ; tant y a qu’ils se quitterent fort satisfaits, comme je crois, de s’estre fait enrager l’un l’autre.

Comme il ne manquoit à Charroselles aucune de toutes les mauvaises qualitez, il avoit sans doute beaucoup d’opiniastreté. Il s’opiniastra donc à vouloir faire entendre à Collantine quelqu’un de ses ouvrages, et s’estant trouvé malheureux cette journée, il voulut joüer d’un stratageme. Il s’advisa donc un jour de la prendre à l’impourveu pour la mener à la promenade hors la Ville, raisonnant ainsi en luy-mesme que, quand il lui liroit quelqu’une de ses pieces, elle ne pourroit pas l’interrompre pour luy faire voir d’autres papiers, parce qu’elle ne les auroit pas alors sous sa main. Mais helas ! que les raisonnemens des hommes sont foibles et trompeurs ! Comme il la tenoit en pleine campagne, ignorante de son dessein, et sans qu’elle eut songé à prendre aucunes armes deffensives, il se mit en devoir de luy lire un episode de certain roman qui contenoit (disoit-il) une histoire fort intriguée. Vrayement (dit Collantine), il faut qu’elle le soit beaucoup si elle l’est d’avantage que celle d’un procès que j’ay ; et en disant cela, elle tira de dessous la juppe sa coppie d’un procès-verbal, contenant 55 roolles de grand papier bien minuttez. Je vous le veux lire devant que je le rende à mon procureur, qui le doit signifier demain ; je l’ay pris exprès sur moy pour le luy laisser à mon retour ; un bel esprit comme vous en fera bien son profit, car il y a de la matiere pour en faire un roman.

Puisque la loy de nature est telle qu’il faut que le plus foible cede au plus fort, il fallut que l’episode cedast au procès verbal, de mesme qu’un pygmée à un geant. Charroselles fut donc resduit à l’escouter, ou plustost à la laisser lire, et cependant il faisoit en lui mesme cette reflection : Ne suis-je pas bien malheureux d’avoir pris tant de peine à composer de beaux ouvrages, et estre reduit non seulement à ne les pouvoir faire voir au public, puisque ces maudits libraires ne les veulent pas imprimer, mais mesme à ne trouver personne qui ait la complaisance de les ouïr lire en particulier ? Il faudra que je fasse enfin comme ces amans infortunez qui recitent leurs avantures à des bois et à des rochers, et que j’imite l’exemple du venerable Bede, qui preschoit à un tas de pierres. Encore si je ne souffrois ce rebut que par ces critiques qui ne trouvent rien à leur goust que ce qu’ils ont fait, je l’endurerois plus patiemment ; mais qu’il le faille aussi souffrir d’une personne vulgaire, qui ne seroit pas capable de voir les defauts de mes ouvrages, supposé qu’il y en eust, et dont je ne devrois attendre que des applaudissemens, c’est ce qui est capable de pousser à bout ma patience.

Cependant Collantine lisoit, et souvent interrompoit la triste resverie de nostre Autheur inconsolable, et en le poussant du coude, luy disoit : N’admirez-vous point que j’ay un procureur qui verbalise bien ? Vous verrez tantost le dire d’un intervenant qui n’est rien en comparaison. Elle demandoit aussi de fois à autre ce qu’il luy en sembloit, et luy, qui estoit de serment de ne rien loüer, et qui eut esté excusable de ne se point parjurer en cette occasion, luy dit en langue de pedant, dont il tenoit un peu : Je ne trouve rien là, nisi verba et voces. Et estant enquis de l’explication de ces mots, il dit qu’il ne trouvoit rien de mieux baptisé qu’un procès verbal, car, en effet, il ne contient que des paroles.

Collantine eut plutost le gosier sec qu’elle ne fut lasse de lire, et cette alteration, aussi bien que la chaleur qu’il faisoit, obligerent ce peu galand homme à luy offrir un petit doit de collation, et pour cet effet ils descendirent à la Pissote[17]. Le couvert ne fut pas si-tost mis sur la table, que la demoiselle, souspesant le pain dans ses mains, se mit à crier contre l’hoste qu’il n’estoit pas du poids de l’ordonnance, et qu’elle y feroit bien mettre la police. Cette querelle, jointe au mauvais ordre que le meneur y avoit donné, qui estoit d’ailleurs fort œconome, leur fit faire un tres-mauvais repas, et qui se pouvoit bien appeler gouster, en prenant ce mot dans sa plus estroite signification.

Le pis fut quand ce vint à conter. Charroselles contestoit avec l’hoste sur chaque article, et faisoit assez grand bruit, lorsque Collantine y accourut, disant qu’elle vouloit estre receuë partie intervenante en ce procès. Elle prit elle-mesme les jettons, chicana sur chaque article, et rogna mesme de ceux qui avoient esté desja alloüez. Sur tout elle ne vouloit pas qu’on payast le pain qu’à raison de dix sols la douzaine, asseurant que l’hoste l’avoit à ce prix du boulanger, et que c’estoit assez pour luy d’y gagner le treizième. Cependant, l’hoste estant ferme à son mot, elle voulut envoyer querir un officier de justice pour consigner entre ses mains le prix de l’escot, et s’opposer à la délivrance des deniers, avec assignation pour en voir faire la taxe. Elle disoit hautement que ce n’estoit pas pour la somme, mais qu’il ne falloit pas accoustumer ces rançonneurs de gens à leur donner tout ce qu’ils demandoient ; excuse ordinaire des avares, qui protestent tousjours de ne pas contester pour la consequence de l’argent, mais qui neantmoins ne contesteroient point s’il n’en falloit point donner. Enfin la liberalité forcée de Charroselles les tira de cet embarras, au grand regret de Collantine d’avoir manqué une occasion d’avoir un procès, asseurant tout haut que, si c’eust esté son affaire, l’hoste en eust esté mauvais marchand ; qu’il luy en eust cousté bon ; et elle se consola neantmoins, sur la menace qu’elle luy fit d’y envoyer un commissaire, pour le faire condamner à l’amende à la police.

Nostre pauvre autheur, qui n’avoit pas eu mesme de la loüange pour son argent, chercha plusieurs autres occasions, dans les visites qu’il rendit à Collantine, de luy faire quelque lecture ; mais elle estoit tousjours en garde de ce costé-là. Ce n’est pas qu’elle eust de l’aversion pour ses ouvrages, mais c’est qu’elle avoit tant d’autres papiers à lire, où elle prenoit plus de goust, qu’elle n’avoit de loisir que pour ceux qui flattoient sa passion. Un jour entr’autres, qu’il avoit fait plusieurs tentatives inutiles, il se mit tellement en colere contre elle, qu’il estoit presque resolu de la lier, et de luy mettre un baillon dans la bouche pour avoir sa revanche, et la prescher tout à loisir, quand voicy qu’il survient une nouvelle occasion de procès.

Je ne sçay sur quel point de conversation ils estoient, quand la demoiselle luy dit : À propos, j’ay une priere à vous faire : faites-moy le plaisir de me prester une chose que vous trouverez dans l’estude de feu monsieur vostre pere. Quoy (dit Charroselles), avez-vous besoin de livres de guerre ou de chevalerie ? J’ai les fortifications d’Errart[18], de Fritat, de de Ville[19], et de Marolois[20] ; j’ay les livres de machines de Jean Baptiste Porta[21] et de Salomon de Caux<refC’est du fameux ouvrage de l’ingénieur normand, La raison des forces mouvantes, etc., 1615, in-fol., dans lequel se trouve la première idée de la machine à vapeur, que Furetière veut parler ici. Cette mention seule suffiroit à prouver que les travaux de Salomon de Caus ne furent pas aussi dédaignés de son temps qu’on l’a prétendu. On pouvoit n’en pas comprendre la portée, mais on les lisoit, et, ce passage-ci en est la preuve, on les citoit parmi les meilleurs.></ref>, les livres de Pluvivel[22] et de la Colombiere[23] ; voulant faire croire par là que son pere estoit un grand homme de guerre.

Ce n’est point cela (luy dit-elle) ; je n’ay affaire que d’un papier. Ha (repliqua-t’il), il en avoit de tres-curieux : il avoit toutes les pieces qui ont este faites durant la Ligue et contre le gouvernement : le Divorce Satirique[24], la Ruelle mal-assortie[25], la Confession de Sancy, et plusieurs autres. Ce n’est point encore cela (repartit Collantine) ; c’est qu’en un procès que j’ay, je voudrois bien produire un arrest qui a esté rendu en cas pareil. J’ay entendu dire qu’il y en a eu un rendu sur une espece semblable, en une instance où feu monsieur vostre pere estoit procureur ; on luy aura peut-estre laissé les sacs ; je vous prie de prendre ce memoire et de le faire chercher, ou à tout le moins de m’en dire le datte. Dites-vous cela (reprit Charroselles) pour me faire injure ? Ne sçavez-vous pas que je suis gentilhomme ? j’ay quatre-vingt mille livres de bien, un carosse entretenu, deux laquais, valet de chambre, et apres cela vous me faites ce tort de me croire fils d’un procureur. Quand il seroit ainsi (luy répondit Collantine), je ne vous ferois pas grand tort, car j’estime autant et plus un procureur qu’un gentilhomme. J’en sçais cent raisons, et sur tout une qui est decisive, pour faire voir l’avantage que l’un a sur l’autre : c’est qu’il n’y a point de gentilhomme, tant puissant soit-il, qui ait pû ruiner le plus chetif procureur ; et il n’y a point de si chetif procureur qui n’ait ruiné plusieurs riches gentilhommes. Et sans luy donner le loisir de l’interrompre, elle qui sçavoit admirablement son Palais, pour luy monstrer qu’elle ne parloit point en l’air, luy dit le nom et la demeure de celuy qui estoit subrogé à la pratique de son pere, luy nomma l’huissier qu’il employoit à faire ses significations, le commis du greffe qui mettoit ses arrests en peau[26], la buvette où il alloit déjeuner, les clercs qui avoient esté dans son estude, enfin tant de choses que Charroselles, convaincu de cette verité et confus de ce reproche, n’eut autre recours pour s’en sauver qu’à son impudence, et à luy soustenir hautement que tout cela estoit faux. Collantine en infera aussi-tost : J’ay donc menty ! et en mesme temps il y eut souflets et coups de poing respectivement donnez. Elle fut la premiere à souffleter et à crier : Au meurtre ! on m’assassine ! et quoy qu’elle fust la moins battuë, c’estoit elle qui se plaignoit le plus haut. Pour le pauvre Charroselles, il n’estoit que sur la deffensive ; et quoy que ce ne fust pas le respect du sexe qui le reteint (car il n’en avoit ny pour sexe, ny pour âge), neantmoins l’avantage n’estoit pas de son costé, car il n’estoit accoutumé qu’à mordre, et non point à souffleter ny à battre. Le plus plaisant fut que, parmy les voisins qui arriverent au secours, se trouva fortuitement le frere de Collantine, qui avoit hérité de l’office de sergent qu’avoit son pere. Quoy qu’il eust beaucoup d’affection pour elle, il se donna bien de garde de separer ces combatans, qui s’embrassoient fort peu amoureusement ; mais, disant aux assistans qu’il les prenoit à tesmoins, il escrivit cependant à la haste une requeste de plainte, et tant plus il les voyoit battre, tant mieux il rolloit. Le mal-heureux autheur fut donc obligé de s’enfuir, car tout le voisinage accouru se rua sur sa fripperie et le mit en aussi pitoyable estat qu’un oyson sans plume. Le sergent envoya querir vistement la justice ordinaire du lieu, dont sa sœur le querella fort, luy disant qu’il se meslast de ses affaires ; qu’elle sçavoit assez bien, Dieu mercy, les destours de la pratique pour ruiner sa partie de fonds en comble ; en un mot, qu’elle vouloit avoir la gloire toute seule de commencer et de pousser à bout ce procez.

Le bailly venu, elle fit faire en moins de rien de gros volumes d’informations, et on connut alors le dire d’un autheur espagnol très-véritable, qu’il n’y a rien qui croisse tant et en si peu d’heure, qu’un crime sous la plume d’un greffier. Elle obtint bientost un décret de prise de corps, et parce qu’elle n’avoit point de veritables blessures, elle se frotta les bras avec un peu de mine de plomb ; en suite elle se fit mettre quelques emplastres par un chirurgien et obtint un rapport de plusieurs échinoses (c’est à dire esgratignures). Ce grand mot donna lieu à deux sentences de provision de 80 livres parisis chacune. Charroselles, qui ne sçavoit autre chicane que celle qui luy servoit à invectiver contre les autheurs, fut si embarassé que, pour éviter la prison, il fut obligé de se cacher quelques jours en une maison de campagne d’un de ses amis. Là, toute sa consolation fut de décharger sa colère sur du papier et de se servir des outils de sa profession. Il se mit à faire une satyre contre Collantine, et sa bilemesme s’épandit sur tout le sexe. Il chercha dans ses lieux communs tout ce qui avoit esté dit contre les femmes. Il n’oublia pas le passage de Salomon, qui dit que de mille hommes il en avoit trouvé un de bon, et de toutes les femmes pas une. En suite il fit un catalogue de toutes les méchantes femmes de l’antiquité, et les compara à sa partie adverse, qu’il chargea seule de tous leurs crimes. Il la dépeignit cent fois plus horrible que Megere, qu’Alecto, ny que Tusiphone. Mais tandis qu’il estoit dans sa plus grande fureur d’invectiver, il se souvint que tout ce qu’il escrivoit seroit peut-estre perdu, parce que les libraires ne voudroient pas imprimer cet ouvrage, comme beaucoup d’autres qu’ils luy avoient rebutez. C’est pourquoy il resolut, pour ne plus travailler inutilement, de sonder à l’advenir leur volonté devant que de commencer un ouvrage. En cela il vouloit imiter ce qu’avoient fait autrefois la Serre et autres autheurs gagistes des libraires, qui mangeoient leur bled en herbe, c’est à dire qui traitoient avec eux d’un livre dont ils n’avoient fait que le titre. Ils s’en faisoient advancer le prix[27], puis ils l’alloient manger dans un cabaret[28], et là ils le composoient au courant de la plume. Encore arrivoit-il souvent que les libraires estoient obligez de les aller dégager de la taverne ou hostellerie, où ils avoient fait de la dépence au delà de l’argent qu’ils leur avoient promis.

Il escrivit donc à tous ceux qu’il connoissoit ; il leur manda son dessein et leur envoya un plan ou un eschantillon de son ouvrage, pour sçavoir d’eux s’ils le voudroient imprimer. Mais comme ces libraires estoient dégoustez de tous ses écrits par les mauvais succès qu’avoient eu ses livres precedens, ils luy manderent tout à plat qu’ils n’imprimeroient rien de luy qu’il ne les eut dédommagez des pertes qu’il leur avoit fait souffrir, ce qui le mit en une telle colère, qu’il eust déchiré le livre qu’il composoit, sans la tendresse paternelle qu’il avoit pour luy. Neantmoins cela luy fit abandonner ce dessein. Toutesfois la rage où il estoit contre Collantine n’estant pas satisfaite, il voulut faire du moins quelque petite pièce contre elle, qu’il pust faire courir en manuscrit chez les gens qui la connoissoient. Mais parce que la prose ne se peut pas resserrer dans des bornes estroites, il fut contraint de tascher à faire des vers. Cependant, il avoit une estrange aversion pour la poësie[29], et quelque effort qu’il eust pû faire, de sa vie il n’avoit pû assembler deux rimes. Enfin sa passion vint à un si haut point, qu’elle se tourna en fureur poëtique, et comme autrefois le fils de Crœsus, qui avoit esté tousjours muët, se desnoüa la langue par un grand effort qu’il fit pour avertir son père qu’on le vouloit tuer, de mesme Charroselles, outré de colère contre Collantine, malgré la haine qu’il avoit pour les vers, fit contr’elle cette Epigramme.

Épigramme.

Pilier mobile du Palais,
Ame aux procès abandonnée,
C’est dommage, tant tu t’y plais,
Que Normande tu ne sois née.
Je m’attends qu’un de ces matins
Ton humeur chicaneuse plaide
Contre le ciel et les destins,
Qui t’ont fait si gueuse et si laide.

Quoy que cette epigramme ne fust pas bonne, elle estoit du moins passable pour un homme qui faisoit son coup d’essay. Il l’envoya à tous ses amis, mais bien luy en prit qu’elle ne vint point à la connoissance de Collantine : car elle n’auroit pas manqué d’en faire informer et de l’appeler libelle diffamatoire. Il se crut donc par là bien vangé (poétiquement s’entend), car chacun se vange à sa maniere, un autheur par des vers, un noble à coups de main, un praticien en faisant couster de l’argent. Quelque temps après, Charroselles, par je ne sçay quel bonheur, fit connoissance avec un procureur du Chastelet, excellent dans son mestier et digne antagoniste de Collantine et de son frère le sergent, quand il les auroit eu tous deux à combattre. Cettuy-cy pour luy préparer une autre vengeance à sa maniere, le fit adresser à un commissaire qui luy fit répondre et antidater une requeste du jour que la querelle estoit arrivée, chose qui se fait sans scrupule, à cause que cela ameine de la pratique aux officiers royaux, par la prevention qu’ils ont sur les subalternes. Il fit entendre pour témoins deux de ses laquais, dont il fit déguiser les noms et la qualité, les ayant produit sous un autre habit ; il eut mesme, je ne sçay comment, un rapport de chirurgie tel quel (car ses blessures dont il avoit eu bon nombre estoient gueries). Avec cela il obtint de sa part un pareil decret, et deux sentences de provision, qui furent données deux fois plus fortes que celles de la justice ordinaire, par une jalousie de jurisdiction : en telle sorte que le sergent, qu’il fit comprendre dans le décret aussi bien que sa sœur, fut obligé pour quelque temps d’aller, comme disent les bonnes gens, à Cachan. Le remede fut d’obtenir un arrest portant deffences aux parties d’executer ce decret et de faire des procedures ailleurs qu’en la cour, les provisions compensées, le surplus payé, c’est le stile ordinaire. Et en vertu de ce surplus, le pauvre sergent, quelque temps après, lors qu’ils ne s’en doutoit en aucune sorte, fut constitué injurieusement prisonnier par un de ses confreres, qui pour peu d’argent se chargea volontiers de cette contrainte contre luy. La cause fut mise au roolle, et après avoir esté long-temps sollicitée et bien plaidée, les parties furent mises hors de cour et de procès sans aucune reparation, dommages, interests, ny dépends. Ainsi, qui avoit esté battu demeura battu, et tous les grands frais que les parties avoient fait de part et d’autre furent à chacune pour son compte.

Or, lecteur, vous devez sçavoir qu’il estoit escrit dans les livres des Destinées, ou du moins dans la teste opiniastre de Collantine, qui ne changeoit guère moins ; qu’elle ne seroit jamais mariée à personne qu’il ne l’eust vaincuë en procès, de mesme qu’autrefois Atalante ne vouloit se donner à aucun amant qu’il ne l’eust vaincuë à la course. De sorte que cet heureux succès de Charroselles luy servit au lieu de luy nuire ; et quoy qu’en effet il ne l’eust pas surmontée entierement, du moins il luy avoit fait perdre ses avantages, comme il arrivoit en ces anciens combats de chevaliers qui se terminoient après un témoignage reciproque de valeur, sans la deffaite entière de leur ennemy. De manière qu’on ne vit point icy arriver ce qui suit ordinairement les procès, car cela ne servit qu’à les réjoindre plus estroitement, et à leur donner une estime reciproque l’un pour l’autre. Sur tout Collantine, qui se croyoit invincible en ce genre de combat, admiroit le heros qui luy avoit tenu teste, et commença de le trouver digne d’elle. Mais voicy cependant un rival, ou plustost un autre plaideur qui se jette à la traverse.

Je ne sçaurois obmettre la description d’une personne si extraordinaire. C’estoit un homme qui, par les ressorts de la Providence inconnus aux hommes, avoit obtenu une charge importante de judicature. Et pour vous faire connoistre sa capacité, sçachez qu’il estoit né en Perigort, cadet d’une maison qui estoit noble, à ce qu’il disoit, mais qui pouvoit bien estre appellée une noblesse de paille, puisqu’elle estoit renfermée sous une chaumiere. La pauvreté plustost que le courage l’avoit fait devenir soldat dans un régiment, et la fortune enfin l’avoit poussé jusqu’à l’avoir rendu cavalier, quand elle le ramena à Paris. Du moins ceux qui estoient bons naturalistes appelloient cheval la beste sur laquelle il estoit monté ; mais ceux qui ne regardoient que sa taille, son port et sa vivacité, ne la prenoient que pour un baudet. Il fut vendu vingt escus à un jardinier dès le premier jour de marché, et bien luy en prit, car il auroit fait pis que Saturne, qui mange ses propres enfans : il se seroit consommé luy-mesme. Le laquais qui suivoit ce cheval (il faut me resoudre à l’appeller ainsi) estoit proportionné à sa taille et à son merite. Il estoit Pigmée et barbu, sçavant à donner des nazardes, et à ficher des épingles dans les fesses ; en un mot, assez malicieux pour meriter d’estre page, s’il eut esté noble, supposé qu’on cherche tousjours de la noblesse dans ces messieurs. Pour bonnes qualitez, il avoit celle d’encherir sur ceux qui jeusnent au pain et à l’eau, car il avoit appris à jeusner à l’eau et à la chastagne. Aussi cela luy estoit-il necessaire pour vivre avec un tel maistre, puisque, pour peu qu’il eust esté goulu, il l’eust mangé jusqu’aux os ; encore n’auroit-il pas fait grande chere, ce pauvre homme et sa bource estant deux choses fort maigres. Si ce proverbe est veritable, tel maistre tel valet, vous pouvez juger (mon cher lecteur, qu’il y a, ce me semble, long-temps que je n’ay apostrophé) quel sera le maistre dont vous attendez sans doute que je vous fasse le portrait. Je vous en donneray du moins une esbauche. Il estoit aussi laid qu’on le puisse souhaiter, si tant est qu’on fasse des souhaits pour la laideur ; mais je ne suis pas le premier qui parle ainsi. Il avoit la bouche de fort grande estenduë, témoignant de vouloir parler de près à ses aureilles, qui estoient aussi de grande taille, témoins asseurez de son bel esprit. Ses dents estoient posées alternativement sur ses gencives, comme les creneaux sur les murs d’un chasteau. Sa langue estoit grosse et seiche comme une langue de bœuf ; encore pouvoit-elle passer pour fumée, car elle essuyoit tous les jours la vapeur de six pippes de tabac. Il avoit les yeux petits et battus, quoy qu’ils fussent fort enfoncez, et vivans dans une grande retraite ; le nez fort camus, le front eminent, les cheveux noirs et gras, la barbe rousse et seiche. Pour le peu qu’il avoit de cou, ce n’est pas la peine d’en parler ; une espaule commandoit à l’autre comme une montagne à une colline, et sa taille estoit aussi courte que son intelligence. En un mot, sa physionomie avoit toute sorte de mauvaises qualitez, hors-mis qu’elle n’estoit point menteuse. On le pouvoit bien appeller vaillant depuis les pieds jusqu’à la teste, car sa valeur paroissoit en ses machoires et en ses talons. Mais l’infortune l’avoit tellement tallonné à l’armée, qu’apres vingt campagnes il n’avoit pas encore gagné autant que valoit sa legitime (l’on ne sçauroit rien dire de moins), et il estoit obligé de venir chercher sa subsistance à Paris, qui estoit son meilleur quartier d’hyver.

Quant à son esprit, il estoit tout à fait digne de son corps ; et quoy qu’il n’ait bien paru que lors qu’il a esté placé sur le tribunal, il en fit voir neantmoins quelque eschantillon, par où l’on peut juger de son caractere. Un jour qu’on luy parloit de la grande Chartreuse, il demanda si c’estoit la femme du general des Chartreux. Il demanda aussi à d’autres gens de quelle matiere estoit fait le cheval de bronze, qui, voyant sa naïfveté luy persuaderent que les pecheurs venoient la nuit tirer du poil de sa queuë pour faire leurs lignes. Il gagea un jour que la Samaritaine estoit de Paris, et se mocqua d’un bachelier qui luy vouloit prouver le contraire par la Bible. Ayant oüy parler un jour de l’estoile poussiniere[30], il demanda combien de fois l’année elle avoit des poussins. Une autrefois, un Jacobin luy ayant parlé de la sainte Inquisition, il l’alla retrouver le lendemain, pour luy dire que c’estoit un grand abus de la croire sainte ; qu’il n’avoit point trouvé sa feste dans l’almanac, ny sa vie dans la Fleur des Saints[31]. Comme il se promenoit un jour dans les Thuilleries, quelqu’un s’estonnant de la cause qui avoit peû faire ainsi nommer ce jardin, il répondit qu’il y avoit eu autrefois un roy de France qui s’appelloit Thuille, qui lui avoit donné son nom. C’estoit sçavoir l’histoire de son pays merveilleusement. Je ne sçay s’il n’avoit point autant de raison que cet autre etimologiste, qui vouloit que la salade eust esté inventée par Saladin, à cause de la ressemblance du nom. À propos de princes, quand il vouloit parler de ceux des Vénitiens et des Persans, il avoit coustume de dire le dogue de Venise et le saphir de Perse, au lieu de dire le doge et le sophy. Une autre fois, ayant découvert un clocher en approchant de Charenton, il demanda ce que c’estoit ; on luy répondit que c’estoit la maison des Carmes deschaussez. Ha ! vrayement (dit-il, trompé sur ce que nous appellons ceux de la Religion des Charentonniers), je ne croyois pas qu’il y eust des Carmes deschaussez huguenots. Le nombre de ses apophtegmes seroit grand si on les vouloit recueillir, et pourroit servir de supplément au livre du sieur Gaulard[32], qui avoit à peu près un mesme genie. Cependant, avec ces ridicules qualitez de corps et d’esprit, la fortune s’advisa d’aller choisir ce magot pour le faire paroistre sur un grand theatre, de la mesme maniere que les charlatans y eslevent des singes et des guenons pour faire rire le peuple.

Il y avoit une charge de prevost vacante depuis longtemps en une justice des plus considerables de la ville. D’abord plusieurs personnes d’esprit et de sçavoir se presenterent pour en traiter ; mais il s’y trouva tant d’obstacles de la part d’un nombre infiny de creanciers, que les honnestes gens, qui estoient incapables de faire les intrigues necessaires pour acheter les suffrages de tant de personnes, s’en rebuterent. On y mit cependant un commissionnaire, à qui on fit le procès pour diverses voleries, et la haine qu’on eut pour luy, et la necessité de le chasser, en faciliterent l’entrée à Belastre (car c’est ainsi que se nommoit nostre futur ridicule magistrat). Voicy comme il parvint à cette dignité, qui auroit esté un lieu d’honneur pour un autre, mais qui en fut un de deshonneur pour luy.

Un de ses freres avoit espousé en secondes nopces la fille du premier lit de la seconde femme du deffunt prevost, possesseur de la charge dont il s’agit. Cette veufve étoit une femme vieille, laide, gueuse, méchante, harpie, intrigueuse[33], médisante, fourbe, menteuse, banqueroutiere, et qui avoit toutes ces mauvaises qualitez en un souverain degré. Son mary ne s’estoit pas contenté de se faire separer de corps et de biens d’avec cette peste ; il n’avoit peû estre à couvert de sa malice qu’en la faisant enfermer dans un des cachots de la conciergerie, où elle demeura tant qu’il vescut. Apres sa mort, elle se mit en teste de disposer de cette charge, sous pretexte de sa qualité de veuve, quoy qu’elle n’y eust aucun interest, parce que le nombre de ses creanciers et de son mary absorboit trois fois la valeur de sa succession. Mais par de feintes promesses, elle engagea dans son party une bourgeoise dont la creance estoit fort considérable, luy faisant entendre qu’elles partageroient ensemble les revenus de l’office, qu’elle luy fit paroistre bien plus grands qu’ils n’estoient en effet. Cette femme donna dans le paneau, et comme le chien d’Esope, qui prit l’ombre pour le corps, s’obligea avec elle de payer tous les creanciers.

Belastre fut le personnage du nom duquel le traité fut remply, qui, ayant par ce moyen le titre, se vit en une plus grande difficulté d’avoir l’agrément du seigneur dont la charge dépendoit. Il se trouva qu’il avoit rendu, à l’armée, un service tres-considerable à une personne de la premiere qualité. Il n’y a rien dont les grands soient si prodigues que de sollicitations, ne se pouvant acquitter à moindres frais des vrais services qu’on leur a rendus qu’en donnant des paroles et des complimens. Le seigneur de la justice ne put refuser des provisions à Belastre, apres la priere qui luy en fut faite de la part de cet illustre solliciteur. Mais quoy qu’il eust interessé tous ses officiers, afin de ne point gaster cette sollicitation, il y en eut quelqu’un d’oublié, qui donna advis du peu d’esprit et de capacité de l’aspirant, dont il donnoit d’ailleurs assez de marques par l’aspect de sa personne. Voicy comment cette affronteuse y remedia. Elle leurra une veuve nommée de Prehaut de l’esperance d’épouser ce magistrat quand il seroit parvenu dans son estat de gloire. Celle-cy, qui estoit si affamée de mary qu’elle en auroit esté chercher en Canada[34], la crut, et engagea sa mere dans son party, qui estoit encore une insigne charlatane, et fameuse par ses intrigues et par ses affiches[35]. Sa hablerie, plustot que sa science, lui avoit acquis quelque reputation à faire des cures de certaines maladies du scroton. Elle pensoit, ou plustot elle abusoit comme les autres, le fils d’un conseiller du Parlement, qui, sur sa fausse reputation, s’estoit mis entre ses mains. Ce conseiller estoit en tres-grande estime dans le palais, et n’avoit autre foiblesse que de deferer trop legerement aux prieres de ses enfans, dont il estoit infatué. La vieille donc pria cette veuve, la veuve pria sa mere, la mere pria son malade, le malade pria son pere ; et par surprise, à leur relation, il signa un certificat en faveur de Belastre, sans l’examiner, par lequel il attestoit qu’il estoit noble et de bonne vie et mœurs ; mesme il y avoit un article faisant mention de sa capacité. Apres celuy-là, elle en fit signer plusieurs autres semblables, jusqu’au nombre de vingt-cinq, par des officiers de cour souveraine, avec quelque legere recommandation, et bien plus de facilité ; car tous les hommes péchent volontiers par exemple, et, comme s’ils estoient au bal, se laissent conduire par celuy qui meine la bransle. Tant y a qu’apres ces témoignages authentiques (que le seigneur garda pardevers luy comme ses garends) il ne put se deffendre d’agréer un homme qui se rendit aussi fameux par son ignorance, que les autres l’auroient pû faire par leur doctrine.

Aussi-tost, le nouveau pourveu publia que sa promotion à cette charge estoit un ouvrage de la providence divine ; et pour preuve (disoit-il) qu’elle s’estoit meslée de son affaire, c’est qu’il avoit obtenu tant de certificats de capacité de personnes qui ne l’avoient jamais veu ny conneu. Le curé mesme de la paroisse l’appela, dans son prosne, prevost Dieu-donné, trompé par les premieres apparences qu’il luy donna de devotion.

Quand il fust installé dans son siege, le premier reglement qu’il fit, ce fut d’ordonner que les procureurs, greffiers, sergens et autres officiers escriroient doresnavant tous leurs actes en lettre italienne bastarde. Car, comme il escrivoit à la manière des nobles, c’est à dire d’un caractère large de deux doigts, il ne pouvoit lire que cette sorte d’escriture. Il appeloit chicane tout ce qu’il voyoit escrit en minutte, et il adjoustoit qu’il avoit tousjours oüi dire que la chicane estoit une méchante beste, qu’il ne la vouloit point souffrir dans sa justice. S’il desiroit voir quelques expéditions ou procedures, il disoit : Apportez-moy un papier, nommant de ce nom general tous les actes qui se font en justice, de mesme que font les bonnes gens qui n’ont aucune connoissance des affaires. Il se servoit encore des termes de la guerre pour s’expliquer dans la robbe, et quand il vouloit se faire payer de ses vacations ou de ses espices, il disoit ordinairement : Payez-moy ma solde. Il avoit peut-estre appris ce qui se raconte d’un gentilhomme de fortune, qui, sans avoir esté à la guerre, tout d’un coup fut fait general d’armée, et qui chercha aussi-tost un maistre de fortifications pour luy apprendre (disoit-il) l’art militaire de la guerre, à quatre pistoles par mois. Celuy-cy en fit chercher un pour luy apprendre le mestier de juge, à la charge qu’on luy en viendroit faire des leçons chez luy. Il s’imaginoit que cela s’apprenoit comme la science d’un escrimeur ; et il adjoustoit que, puisqu’il avoit bien esté à l’armée sans avoir esté à l’académie, il pourroit bien aussi estre juge sans avoir esté jamais au collége. Il se targuoit quelquefois de l’exemple d’un boucher de Lyon qui avoit acheté un office d’esleu[36] ; le gouverneur de la ville s’estonnant comment il le pourroit exercer, veu qu’il ne sçavoit ni lire ni escrire, il luy répondit avec une ignorante fierté : Hé ! vrayement, si je ne sçais escrire, je hocheray ; voulant dire que, comme il faisoit des hoches sur une table pour marquer les livres de viande qu’il livroit à ses chalans, il en feroit autant sur du papier pour lui tenir lieu de signature. Mais en faveur du boucher, on pourroit alléguer une disparité qui le rendroit excusable ; car les esleus sont gens ignares et non lettrez par l’édit de leur creation, et c’est en ce point que l’édit, grace à Dieu, est bien observé. Je ne puis obmettre une belle preuve qu’il donna de sa capacité un peu auparavant que de devenir juge. Il estoit au Palais avec quelques officiers d’armée, qui achetoient des livres à la boutique de Rocolet[37] ; par vanité il en voulut aussi acheter, et en effet il en demanda un au marchand. Rocolet luy demanda quel livre il cherchoit, et s’il en vouloit un in-folio, ou un in-quarto. Belastre, ignorant de ces termes, n’auroit pas compris ce que cela vouloit dire, si ce n’est qu’en mesme temps on luy monstroit du doigt le volume. Il répondit donc qu’il vouloit un grand livre. Rocolet luy demanda encore s’il vouloit un livre d’histoire, de philosophie, ou de quelqu’autre science. Belastre luy répondit qu’il ne s’en soucioit pas, et qu’il vouloit seulement qu’il luy vendist un livre. Mais encore (insista le marchand), afin que je vous en donne un qui vous puisse estre plus utile, dites-moy à quoy vous vous en voulez servir. Belastre luy répondit brusquement : C’est à mettre en presse mes rabats[38]. Cette réponse fit rire le libraire et tous ceux qui l’entendirent, et monstra que cet homme se connoissoit fort en livres, et qu’il en sçavoit merveilleusement l’usage. Il estoit si peu versé dans la connoissance du Palais, que, mesme depuis qu’il fut magistrat, il croyoit que les chambres des enquestes[39] estoient comme les classes du collége, et qu’on montoit de l’une à l’autre à mesure qu’on devenoit plus capable ; de sorte qu’ayant veu un jeune homme sortir de la quatriesme chambre, il s’en estonna, et dit tout haut : Voila un conseiller bien advancé pour son âge. Une autrefois, à la table d’un president, quelqu’un vint à citer la loy des douze tables. Vrayement (luy dit Belastre en l’interrompant), il falloit que ces Romains fussent gens de bonne chere. Un galant homme qui se trouva de la compagnie, pour ne pas laisser perdre ce plaisant mot, en fit sur le champ ce quatrain :

Un ignorant que les destins
Font un juge des plus notables
Croit que les loix des douze Tables
Sont faites pour les grands festins.

Apres le dîner, ayant suivy ce president, qui entroit en son cabinet pour y examiner le plan d’une maison qu’il vouloit faire bastir, Belastre le prit apres luy pour le voir, faisant semblant de s’y connoistre ; mais, ayant apperceu au bas une ligne divisée en plusieurs parties, avec cette inscription : Eschelle de quinze toises : Vrayement (dit-il), pour faire une si grande eschelle, il falloit de belles perches. Il luy arriva aussi un jour de demander à un conseiller, quand le roy estoit en son lit de justice, s’il estoit entre deux draps ou sur la couverture.

Mais pour revenir à son domestique (car on pourroit faire des livres entiers de ses burlesques apophtegmes), il luy vint une apprehension que cette demoiselle de Prehaut ne luy fist signer quelque papier (c’est ainsi, comme j’ay dit, qu’il appeloit tous contracts), et qu’elle ne surprist une promesse ou un contract de mariage. Il luy avoit promis son alliance avant qu’il fust instalé, mais lors qu’il crut n’avoir plus affaire d’elle, il la dédaigna, et ne voulut plus tenir sa promesse. Comme il ne sçavoit pas lire, du moins l’escriture ordinaire de la pratique, il ne signoit que sur la foy d’un sifleur qu’il avoit ; mais, la deffiance estant fort naturelle aux méchans et aux ignorans, il eut peur qu’il ne fust gagné par cette femme, qui passoit pour fort artificieuse. Voicy la belle precaution de laquelle il s’avisa, et dont il ne demanda advis à personne. Il fit commandement à un de ses sergens d’aller faire deffenses au curé de la paroisse de le marier en son absence. Le sergent luy remonstra qu’il se mocquoit de luy, mais cela fit croire à Belastre qu’il s’entendoit aussi avec sa partie, de sorte qu’il fit le mesme commandement à un autre, qui luy fit une pareille réponse. Enfin, se fachant de n’estre pas obey, et les menaçant d’interdiction, il alla luy-mesme dire au curé, en présence de plusieurs témoins qu’il mena exprès : Je vous fais deffence, par l’authorité que j’ay en main, de me marier que je n’y sois présent en personne ; et au retour, par maniere de congratulation, il disoit à ses domestiques : Voila comme les gens prudens donnent ordre à leurs affaires et se gardent d’estre surpris.

Tel estoit donc la mine et le genie de ce personnage, qui ne divertissoient pas mal tous ceux qui le connoissoient. On prenoit aussi un tres grand plaisir à examiner son action et ses habits, qui n’estoient pas mal assortis avec le reste. Il faisoit beau le voir dans les rues, car il marchoit avec une carre et une gravité de president gascon. Il avoit cherché le plus grand laquais de Paris pour porter la queue de sa robbe, et il la faisoit tousjours aller de niveau avec sa teste, car il s’estoit sottement imaginé que quand on la portoit bien haute, c’estoit une grande marque d’élevation. En cet estat elle découvroit une soûtane de satin gras et un bas de soye verte qui estoit une chose moult belle à voir. Dans son siege, c’estoit encore pis, car en cinq ans que dura son regne, il ne put jamais apprendre à mettre son bonnet, et la corne la plus élevée, qui doit estre sur le derriere, estoit tousjours sur le devant ou à costé. Il estoit là comme ces idoles qui ne rendoient point d’oracles toutes seules. Il y avoit un advocat qui montoit au siege auprès de luy, pour luy servir de conseil ou de truchemant, qui luy souffloit[40] mot à mot tout ce qu’il avoit à prononcer ; mais ce secours ne luy dura gueres, car les parties interessées à l’honneur de la justice eurent d’abord cet avantage, qu’ils firent deffendre à ce sifleur de monter au siege avec luy, afin que, son ignorance estant plus connuë, il peût estre plus facilement dépossedé. Le sifleur fut donc obligé de se retirer au barreau, d’où il luy faisoit quelques signes dont ils estoient convenus pour les prononciations les plus communes ; mais il s’y trompoit quelquefois lourdement. L’extention de l’index estoit le signe qu’ils avoient pris pour signifier un appointement en droit. Un jour qu’il estoit question d’en prononcer un, le truchemant luy monstra le doigt, mais un peu courbé ; le juge crut qu’il y avoit quelque chose à changer en la prononciation, et appointa les parties en tortu. Ce n’est pas le seul jugement tortu qu’il ait donné. Comme il n’en sçavoit point d’autre par cœur que : deffaut et soit reassigné, il se trouva qu’un jour en le prononçant un procureur comparut pour la partie ; il ne laissa pas d’insister à sa prononciation, disant au procureur, qui s’en plaignoit : Quel tort vous fait-on de donner deffaut et dire que vous serez reassigné ? Le procureur ayant repliqué que cette reassignation n’auroit autre effet que de lui faire faire une pareille presentation, il le fit taire, et le condamna à l’amande pour son irreverance. Il condamna pareillement à l’amande un advocat qui, en plaidant devant luy contre des chartreux, pour faire le beau parleur, les avoit appelez icthyophages (voulant dire qu’ils ne mangeoient que du poisson), à cause, disoit ce docte officier, qu’il ne vouloit pas souffrir dans son siege que des advocats dissent de vilaines injures à leurs parties adverses, et surtout à de si bons religieux. Il arriva une autre fois qu’y ayant eu une cause plaidée long-temps avec chaleur, l’affaire demeura obscure pour luy, qui auroit esté fort claire pour un autre, sur quoy il se contenta de prononcer : Attendu qu’il ne nous appert de rien, nous en jugeons de mesme. Hors du siege, il ne prenoit point de connoissance des affaires ; et quand quelque amy qu’il vouloit gratifier venoit faire chez luy une sollicitation, il luy répondoit seulement en ces termes : Faites composer une requeste, je la seigneray, et je mettray : Soit fait ainsi qu’il est requis.

J’apprehende icy qu’on ne croye que tout ce que j’ay rapporté jusqu’à present ne passe pour des contes de la cigogne ou de ma mere l’oye[41], à cause que cela semble trop ridicule ou trop extravagant ; mais pour en oster la pensée, je veux bien rapporter en propres termes une sentence qu’un jour il rendit, dont il courut assez de coppies imprimées dans le palais lors qu’on poursuivoit le procès de son interdiction. Belastre la rendit tout seul et de son propre mouvement (son sifleur estant malheureusement pour lors à la campagne) sur une affaire tres-épineuse, et qui ne pouvoit estre bien decidée que par le juge Bridoye[42] ou par luy ; la voicy en propres termes et telle qu’elle a paru en plein parlement, où on en produisit l’original :


Jugement des buchettes, rendu au siege de ....,
le 24 septembre 1644
.


Entre maistre Jean Prud’homeau, demandeur en restitution d’une pistole d’or d’Espagne de poids, et trois pieces de treize sols six deniers legeres, comparant en sa personne, d’une part. Contre Pierre Brien et Marie Verot, sa femme ; ladite Verot aussi en personne. Ledit demandeur a dit avoir fait convenir par devant nous les deffendeurs, pour se voir condamner a luy rendre et restituer une pistole d’or d’Espagne de poids, et trois pieces de treize sols six deniers legeres, qu’il auroit mis es mains ce jourd’huy de ladite Verot, pour en avoir la monnoye, et luy payer quatorze sous de dépence ; c’est à quoy il conclud et aux dépens. Ladite Verot reconnoist avoir eu entre les mains une pistole, laquelle ledit Prud’homeau luy avoit baillée pour la luy faire peser, mais que, la luy ayant renduë et mise sur la table, elle fait dénégation de l’avoir prise, et partant mal convenue par le demandeur ; et pour le regard des trois pieces de treize sols six deniers legeres, reconnoist les avoir euës, offrant les luy rendre, en payant quatorze sols, que leur doit ledit Prud’homeau, de dépence ; requerant estre renvoyée avec dépens. Et par ledit Prud’homeau a esté persisté en ce qu’il a dit cy-dessus, et fait dénegation que ladite Verot luy ait rendu ladite pistole, ny ne l’avoir veu mettre sur la table, ne sçachant si elle l’a mise ou non, et ne l’avoir veuë du depuis ; c’est pourquoy il conclud à la restitution d’icelle et aus dépens.

Sur quoy, et apres que les parties respectivement ont fait plusieurs et divers sermens, chacune à ses fins, et voyant que la preuve des faits cy-dessus posez estoit impossible, nous avons ordonné que le sort sera presentement jetté, et à cet effet avons d’office pris deux courtes pailles ou buchettes[43] entre nos mains, enjoint aux parties de tirer chacun l’une d’icelles ; et pour sçavoir qui commenceroit à tirer, nous avons jetté une piece d’argent en l’air et fait choisir pour le demandeur l’un des costez de ladite piece par nostre serviteur domestique ; lequel ayant choisi la teste de ladite piece, et la croix, au contraire, estant apparue, avons donné à tirer à la deffenderesse l’une des buchettes, que nous avons serrées entre le pouce et le doigt index, en sorte qu’il ne paroissoit que les deux bouts par en haut, avec declaration que celle des parties qui tireroit la plus grande des buchettes gagneroit sa cause. Estant arrivé que la deffenderesse a tiré la grande, nous, deferant le jugement de la cause à la providence divine, avons envoyé icelle deffenderesse de la demande du demandeur pour le regard de la pistole, sans dépens, et ordonné que les trois pieces de treize sols six deniers seront renduës, en payant par le demandeur quatorze sols pour son escot. Dont ledit Prud’homeau a declaré estre appelant, et de fait a appelé et a requis acte à moy greffier sous-signe, qui luy a esté octroyé. Donné à ..... le 24 septembre 1644.

Cette piece, qu’on a rapportée en propres termes et en langage chicanourois, pour estre plus authentique, est assez suffisante pour establir la verité que quelques envieux voudroient contester à cette histoire : apres quoy on ne sçauroit rien dire qui puisse mieux monstrer le caractere et la suffisance de Belastre. C’estoit donc un digne objet des satyres et railleries publiques et particulieres ; mais ce ne fut pas là son plus grand malheur : il se fut bien garenty des escrits et des pointes des autheurs, et il ne le put faire des exploits et de la chicane de Collantine. Malheureusement pour luy, elle eut un procès en sa justice contre un teinturier, où il ne s’agissoit au plus que de trente sous. Elle n’en eut pas satisfaction, ce qui la mit tant en colere, qu’elle le menaça en plein siege qu’il s’en repentiroit ; et comme elle ne cherchoit que noises et procès, elle alla fueilleter ses papiers, où elle trouva qu’autrefois il avoit esté deub quelque chose sur la charge de Belastre à quelqu’un de ses parens ; mais la poursuite de cette debte avoit esté abandonnée, parce qu’un si grand nombre de creanciers avoient saisi ce qui luy en pouvoit revenir, qu’ils en auroient absorbé le fonds quand il auroit esté dix fois plus grand.

Quoy qu’elle n’y eust donc aucun veritable interest, elle se mit à la teste de toutes les parties de Belastre, qui commençoient des-ja à l’attaquer, mais foiblement, ayant peur de sa qualité de juge, et elle fit tant de bruit et de procedures que le pauvre homme ne pût jamais démesler cette fusée, et vit prononcer deux fois contre luy une injurieuse interdiction. Encore avoit-elle l’adresse de ces capitaines qui, portant la guerre dans un païs ennemy, y font subsister leurs troupes. Car elle tiroit contribution de tous les ennemis et creanciers de Belastre, et encore plus de ceux qui pretendoient au titre ou à la commission de sa charge. Mais elle changeoit aussi souvent de party que jadis les lansquenets, et sa fidelité cessoit aussitost que sa pension. Cependant cinq ans de plaidoirie aguerrirent si bien l’ignorant Belastre, qu’il devint aussi grand chicaneur qu’il y en eust en France ; aussi ne pouvoit-il manquer d’apprendre bien son mestier, estant à l’escole de Collantine. À force donc de voir ses procureurs et ses advocats, il apprit quelques termes de chicane ; et dès qu’il en sçeut une douzaine, il crut en sçavoir tout le secret et toutes les ruses. Il luy arriva donc ce que j’ay remarqué arriver à beaucoup d’autres ; car dès qu’un gentilhomme ou un paysan se sont mis une fois à plaider, ils y prennent un tel goust qu’ils y passent toute leur vie, et y mangent tout leur bien, de sorte qu’il n’y a point de plus opiniastres ni de plus dangereuses parties, au lieu que ceux qui sont les plus entendus dans le mestier sont ceux qui plaident le plus tard et qui s’accordent le plustost. Il lui arriva mesme d’avoir quelquefois l’avantage sur Collantine, car il combatoit en fuyant, et à la maniere des Parthes, ce qu’on pratique ordinairement quand on est deffendeur, et en possession de la chose contestée. Il faloit qu’elle avançast tous les frais, ce qu’elle ne pouvoit faire quand ses contributions manquoient ; pour de la patience, elle en avoit de reste, et elle ne se fust jamais lassée. Tant y a qu’on peut dire que, tant que la guerre dura entr’eux, les armes furent journalieres.

Neantmoins, à l’exemple des grands capitaines, qui ne laissent pas de se faire des civilitez malgré l’animosité des partis, Belastre ne laissoit pas de rendre visite quelquefois à Collantine. Quelques-uns croyoient que c’estoit pour chercher les voyes de s’accommoder avec elle ; mais ceux qui la connoissoient sçavoient bien que c’estoit une tres-grande ennemie des transactions, et que c’estoit eschauffer la guerre que de luy parler d’accord. Pour luy, il prenoit pretexte d’exercer une vertu chrestienne qui luy commandoit d’aimer ses ennemis ; car, quoy que sa conscience luy reprochast qu’il possedoit le bien d’autruy injustement, il ne laissoit pas de faire le devot, qui sont deux choses que beaucoup de gens aujourd’huy accordent ensemble. Quand à Collantine, si elle n’eust voulu recevoir visite que de ses amis, il luy auroit fallu vivre dans une perpetuelle solitude. Elle fut donc obligée de recevoir les visites peu charmantes de cet ennemy, et la fortune, qui cherchoit tous les moyens de le rendre ridicule, luy fit aimer tout de bon cette personne, qu’il auroit aimée sans rival, si ce n’eust esté l’opiniastreté de Charroselles, qui s’y attacha alors plus fortement, non pas tant par amour qu’il eust pour elle, que pour faire dépit à ce nouveau concurrent.

Je ne pécheray point contre la regle que je me suis prescrite, de ne point dérober ny repeter ce qui se trouve mille fois dans les autres romans, si je rapporte icy la declaration d’amour que Belastre fit à Collantine, parce qu’elle fut assez extraordinaire. Je ne sçais à la quantiesme visite ce fut que, pour commencer à la cajoller, il luy repeta ce qu’il lui avoit dit desja plusieurs fois : Mademoiselle, si je viens icy rechercher vostre amour, ce n’est point pour vous demander ny paix ny trefve. Vous y seriez fort mal venu, Monsieur le prevost (interrompit brusquement Collantine). Mais pour vous declarer (continua Belastre) qu’estant obligé par l’evangile d’aimer mes ennemis, je n’en ay point trouvé de pire que vous, et que par consequent je sois tenu d’aimer d’avantage. Vrayement, Monsieur le prevost (répondit Collantine), vous ne me devez pas appeler votre ennemie, mais seulement votre partie adverse ; et pourveu que vous vouliez bien que nous plaidions tousjours ensemble, nous serons au reste amis tant qu’il vous plaira. J’advouë qu’un petit sentiment de vengeance m’a fait commencer ce procès ; mais je ne le continuë que par l’inclination naturelle que j’ay à plaider. Je vous ay mesme quelque obligation de m’avoir donné l’occasion de feuilleter des papiers que je negligeois, où j’ay trouvé un si beau sujet de procès, et qui a si bien fructifié entre mes mains. Quant à moy (reprit Belastre) j’avouë que ce procès m’a esté d’abord un grand sujet de mortification ; mais maintenant que j’ay appris la chicane, Dieu merci et à vous, j’y prends un goust tout particulier ; et je vois bien que nous avons quelque sympathie ensemble, puisque nos inclinations sont pareilles. Tout le regret que j’ay, c’est que je n’aye à plaider contre une autre personne, car je suis tellement disposé à vouloir tout ce que vous voulez, que je vous passeray volontiers condamnation. Ha ! donnez-vous-en bien de garde, Monsieur le prevost (repliqua brusquement Collantine) ; car le seul moyen de me plaire est de se deffendre contre moy jusqu’à l’extrémité. Je veux qu’on plaide depuis la justice subalterne jusqu’à la requeste civile et à la cassation d’arrest au conseil privé[44]. Enfin, à l’exemple des cavaliers qui se battent, je tiens aussi lâche celuy qui veut passer un arrest par appointé, que celuy qui, en combat singulier, demande la vie au premier sang. J’avouë que cette façon d’agir est nouvelle et fort surprenante ; mais ceux qui s’en estonneront en peuvent rechercher la cause dans le ciel, qui me fit d’un naturel tout à fait extraordinaire. Bien donc (dit alors Belastre), puisque, sans vous fascher, il faut plaider contre vous, je veux intenter un procès criminel contre vos yeux, qui m’ont assassiné, et qui ont fait un rapt cruel de mon cœur ; je pretends les faire condamner, et par corps, en tous mes dommages et interests. Ha ! voilà parler d’amour bien élegamment (luy repartit Collantine) ; ce langage me plaist bien plus que celui d’un certain autheur qui me vient souvent importuner, et qui me parle comme si c’estoit un livre de fables. Mais dites-moy, Monsieur le prevost, où avez-vous pesché ces fleurettes ? qui vous en a tant appris ? on dit par tout que vous ne sçavez pas un mot de vostre mestier. J’en sçais bien d’autres (repliqua Belastre), la robbe et le bonnet m’inspirent tant de belles pensées, que mon beau-frere dit qu’il a peine de me reconnoistre, et que j’ay le genie de la magistrature. Je ne sçay pas bien ce que veut dire ce mot, mais je suis asseuré que bien souvent par hazard je juge mieux que je n’avois pensé : témoin une sentence que par surprise on me fit signer tout à rebours de ce que je l’avois resoluë, qui fut confirmée par arrest. Voilà comme le ciel ayde aux gens qui sont inspirez de luy. Ne croyez donc pas ces calomniateurs qui disent que je suis ignorant. Il est vray que je n’ay pas esté au college, mais j’ay des licences comme l’advocat le plus huppé ; je les ay monstrées à mon rapporteur, et ce que j’y trouve à redire, c’est qu’elles sont escrites d’une chienne d’escriture que je ne pus jamais lire devant luy. Vrayement, Monsieur le prevost (dit alors Collantine), vous n’estes pas seul qui avez eu des licences sans sçavoir le latin, ni les loix ; et si on ostoit la charge à tous les officiers qui ont esté receus sur la foy de telles lettres, et apres un examen sur une loy pipée, il y auroit bien des offices vacans aux parties casuelles. Prenez bon courage, vous en apprendrez plus sous moy en plaidant, que si vous aviez esté dix années dans les estudes.

Un clerc de procureur entra comme elle disoit ces paroles ; la qualité de cette personne estant pour elle si considerable qu’elle lui auroit fait quitter l’entretien d’un roy, l’obligea de laisser là Belastre pour faire mille caresses et questions à ce petit basochien, s’il avoit fait donner une telle assignation, s’il avoit levé un tel appointement, s’il avoit fait remettre une telle production, et generalement l’estat de toutes ses affaires ; ce qui dura si longtemps, que Belastre, d’ailleurs fort patient, s’ennuya de sorte qu’il fut contraint de la quitter, sans mesme obtenir son audience de congé.

Si tost qu’il fut arrivé chez luy, voyant l’heureux succès qu’avoient eu deux ou trois mots de pratique qui avoient pleu à Collantine, il se mit à escrire un billet galand dans le mesme stile, et mesme il ne croyoit pas qu’il y en eust un autre plus relevé ny plus charmant : car la science que nous avons apprise de nouveau est d’ordinaire celle que nous estimons le plus ; or on n’auroit pas pu trouver un plus moderne praticien. Dans cette resolution, il prit son sujet sur ce que Collantine l’avoit fait emprisonner un peu auparavant pour une amande, d’où il n’estoit sorty que par un arrest. Il chercha dans un Praticien françois, qu’il avoit tousjours sur sa table, les plus gros mots et les plus barbares qu’il y pût trouver, de la mesme maniere que les escoliers se servent des Epithetes de Textor et des Elegances poëtiques pour leurs vers ; et apres avoir basty un billet qui ne valoit rien, et qui s’entendoit encores moins, il eut recours à son sifleur domestique, lequel, l’ayant presque tout refait, le conceut enfin en ces termes :


Lettre de Belastre à Collantine.


Mademoiselle, si je forme complainte contre vos rigueurs, ce n’est pas de m’avoir emprisonné tout entier dans la conciergerie, mais c’est parce qu’au mépris des arrests qui m’ont eslargy, vos seuls appas ont d’abondant decreté contre mon cœur, dont ayant eu advis, il s’est volontairement rendu et constitué prisonnier en la geolle de vostre merite. Il ne se veut point pourvoir contre ledit decret, ny obtenir des defenses de passer outre ; ains, au contraire, il offre de prester son interrogatoire et de subir toutes les condamnations qu’il vous plaira, si mieux, vous n’aimez, me recevant en mes faits justificatifs, me sceller des lettres de grace et de remission de ma temerité, attendu que le cas est fort remissible, et que si je vous ai offensée ce n’a esté qu’à mon cœur deffendant : faisant à cet effet toutes les protestations qui sont à faire, et particulierement celle d’estre toute ma vie

Votre tres humble et tres patient serviteur,

Belastre.

Si tost que cette lettre fut achevée, Belastre en trouva le stile merveilleux et magnifique, et s’applaudit à luy mesme comme s’il l’eust composée, parce qu’il y reconnut deux ou trois termes de pratique qu’il y avoit mis, qui avoient servy à son siffleur de canevas pour la mettre en cette forme. Il ne laissa pas d’embrasser tendrement son docteur, pour le remercier de sa correction ; et il ne l’eut pas si-tost mise au net, qu’il l’envoya à Collantine. De vous dire quelle impression elle fit sur son esprit, je ne puis le faire bien precisément, parce qu’il n’y a point eu d’espion ou de confident qui en ayent pû faire un rapport fidelle, ce qui est un grand malheur, et fort peu ordinaire : car regulierement, en la reception de telles lettres, il se trouve tousjours quelqu’un qui remarque les paroles ou les mouvemens du visage, témoins asseurez des sentimens du cœur de la dame, et qui les decelle aussi-tost indiscretement. Il y eut encore un malheur plus signalé : c’est que la réponse qu’elle y fit (car elle a déclaré depuis y avoir répondu) fut perduë, d’autant que, comme elle n’avoit point de laquais, elle se contenta de mettre sa lettre dans de certaines boëstes[45] qui estoient lors nouvellement attachées à tous les coins des ruës, pour faire tenir des lettres de Paris à Paris, sur lesquelles le ciel versa de si malheureuses influences que jamais aucune lettre ne fut renduë à son adresse, et, à l’ouverture des boëstes, on trouva pour toutes choses des souris que des malicieux y avoient mises.

Ce qu’on peut apprendre neantmoins du succes de cette lettre, par les conjectures, c’est que le stile en plut fort à Collantine, comme estant tout à fait selon son genie, et elle en conceut une nouvelle estime pour Belastre, le jugeant digne par là d’estre poursuivy plus vivement, comme elle fit en effet ; car elle avoit reformé ce proverbe commun : Qui bien aime, bien chastie, et elle disoit, pour le tournerà sa maniere : Qui bien aime, bien poursuit. Belastre, de son costé, poursuivoit sa pointe, et, sans préjudice de ses droits et actions, c’est à dire de ses procès, qui alloient tousjours leur train, il ne laissoit pas d’employer ses soins à faire la cour à Collantine et à lui conter des fleurettes aussi douces que des chardons. Il luy envoyoit mesme les chef-d’œuvres des patissiers, des rotisseurs, et semblables menus presens qu’il recevoit en l’exercice de sa charge. Il luy donnoit les bouquets que luy presentoient les jurées bouquetieres ou les maîtres de confrairies ; il luy faisoit bailler place commode dans les lieux publics, pour voir les pendus et les rouez qu’il faisoit executer[46]. Et, enfin, comme le singe des autres galands, poëtes ou non, qui ne croyoient pas bien faire l’amour à leur maistresse s’ils ne lui envoyoient des vers, il ne voulut pas negliger cette formalité en faisant l’amour dans les formes. Mais comme sa temerité ne le porta pas d’abord jusqu’à en vouloir faire de son chef (veu qu’il ne sçavoit par où s’y prendre) et qu’il n’avoit personne à qui il pust commander d’en faire exprès, ou plustost qu’il n’avoit pas dequoy les payer, ce qui est le plus important, et qui n’appartient qu’aux grands seigneurs, il trouva ce milieu commode de dérober dans quelque livre ceux qu’il trouveroit les plus propres pour son dessein, et de les défigurer en y changeant quelque chose, afin de les faire passer pour siens plus aisément. Au reste, parce qu’on auroit facilement découvert son larcin s’il l’eust fait dans quelqu’un de ces nouveaux autheurs qui sont journellemant dans les mains de tout le monde, son soin principal fut de chercher les plus vieux poëtes qu’il pourroit trouver. Or, à quoy pensez-vous qu’il connust si un autheur estoit ancien ou moderne (car il ne connoissoit ny leur siecle, ny leur nom, ny leur stile) ? il alloit sur le Pont-Neuf[47] chercher les livres les plus frippez, dont la couverture estoit la plus dechirée, qui avoient le plus d’oreilles, et tels livres estoient ceux qu’il croyoit de la plus haute antiquité.

Il trouva un jour un Theophile qui avoit ces bonnes marques, qu’il acheta le double de ce qu’il valoit, encore crut-il avoir fait une bonne emplette, et avoir trompé le marchand. Il en fit quelques extraits apres l’avoir bien feuilleté, et pourveu que les vers parlassent d’amour, cela luy suffisoit pour les trouver bons. Il en envoya quelques-uns à Collantine, apres les avoir corrigez et ajustez à sa maniere, c’est à dire les avoir gastez et corrompus. Le messager qui les porta eut ordre de dire qu’il les avoit veu faire à la haste, et que Belastre n’avoit pas eu le loisir de les polir.

Quoy que Collantine ne se connust point du tout en vers, elle ne laissoit pas neantmoins de faire grand estat de ceux qu’on luy envoyoit, non pas pour estre bons ou mauvais, mais parce seulement qu’ils estoient faits pour elle. Car il n’y a point de bourgeoise, pour sotte et ignorante qu’elle soit, qui n’en tire un grand sujet de vanité, et mesme davantage que les personnes de condition, qui sont accoustumées à en recevoir. Aussi n’y eut-il personne qui vint chez elle à qui elle ne les monstrast comme une grande rareté, depuis son procureur jusqu’à sa blanchisseuse. Mais entre ceux qu’elle croyoit qui les devoient le plus admirer, elle contoit Charroselles. Dès la premiere fois qu’elle le vid, elle courut à luy avec des papiers à la main qui le firent blesmir, car il croyoit encore que ce fussent quelques exploits. Elle luy dit brusquement : Tenez, auriez-vous jamais cru qu’on eust fait des vers à ma louange ? En voila pourtant, dea ! et vous, qui faites des livres, n’avez jamais eu l’esprit d’en faire un pour moy.

Charroselles luy baragoüina entre les dents certain compliment qu’il auroit été difficile de deschiffrer, et prit ces papiers en tremblant, croyant avoir encore plus à souffrir en la lecture de ces vers qu’en celle des papiers pleins de chicane : car il contoit des-jà qu’il luy en cousteroit quelque loüange, qu’exigent d’ordinaire tous ceux qui presentent des vers à lire, ce qui estoit pour luy un supplice insupportable. Cependant il en fut quitte à meilleur marché, car il n’eust pas si-tost jetté les yeux dessus, qu’il reconnut le larcin. Il dit donc à Collantine qu’ils estoient de Theophile, et que c’estoit se mocquer de dire qu’on les avoit fait exprès pour elle. Il lui apporta mesme le livre imprimé, pour une pleine conviction, ce que Collantine receut avec grande joye. Elle ne manqua pas de faire insulte au pauvre Belastre dès la premiere fois qu’il la vint voir ; pour premier compliment, elle luy dit qu’elle avoit recouvert une piece decisive qu’elle alloit produire contre luy. Belastre, qui croyoit son larcin aussi caché que s’il l’eût fait chez les Antipodes, crut alors qu’elle vouloit parler de ses procès, et répondit seulement qu’il y feroit fournir de contredits par son advocat. Mais Collantine, le tirant d’erreur, luy parla des vers qu’il lui avoit envoyez, et lui dit : Vraiment, Monsieur, vous avez raison de dire que les vers ne vous coustent gueres à faire, puisque vous les trouvez tous faits. Belastre, qui attendoit de grands remercimens, se trouva fort surpris de cette raillerie ; et neantmoins, avec une asseurance de faux témoin, il lui confirma, non sans un grand serment, qu’il les avoit fait tout exprès pour elle. Mais que voulez-vous gager (reprit Collantine) que je vous les monstreray imprimez dans ce livre (dit-elle en luy monstrant un Theophile) ? Tout ce que vous voudrez, dit Belastre, qui, luy voyant tenir un livre relié de neuf, ne se douta aucunement que ce fust le mesme que le sien, qu’il croyoit tres-vieux. La gageure accordée d’une collation, le livre fut ouvert à l’endroit du larcin, marqué d’une grande oreille, ce qui surprit davantage Belastre que si on luy eust revelé sa confession. Il s’enquit aussi-tost du nom de celuy qui avoit pû découvrir un si grand secret, et apprenant que c’estoit son rival, il l’accusa soudain de magie. Il crut qu’il falloit estre devin ou avoir parlé au diable pour trouver une chose si cachée. Car (disoit-il) ou il faut que cet homme ait leu tous les livres qu’il y a au monde, et qu’il les sçache tous par cœur, ou il n’a point veu celuy que j’ay, qui est le plus vieux que j’aye jamais pû trouver. Quelque temps apres ce ridicule raisonnement, assez commun chez les ignorans, et la gageure acquittée, il minutta sa sortie ; et pour se vanger de son rival, il ne fut pas si-tost dehors qu’il demanda à un des procureurs de son siege comment il se falloit prendre à faire le procès à un sorcier. On luy dit qu’il falloit avoir premierement quelque denonciateur. He bien ! (dit-il aussi-tost) où demeurent ces gens-là ? envoyez-m’en querir un par mes sergens ? Cette ignorance fit faire alors un grand éclat de rire à ceux qui estoient présens ; sur quoy il adjousta en colere : Quoy ! ne sont-ce pas des gens créez en titre d’office ? je veux qu’ils fassent leur charge, ou je les interdiray sur le champ. La risée ayant redoublé, Belastre, en persistant, dit encore : Vous me prenez bien pour un ignorant, de croire qu’en France, où la police est si exacte, et où on chomme si peu d’officiers, on ne puisse pas trouver tous ceux qui sont nécessaires pour faire le procès à un sorcier. Mais il eut beau se mettre en colere, il ne put executer son dessein, et il fallut qu’il remist sa vengeance à une autre occasion.

Pour éviter désormais un pareil affront, et reparer celuy qu’il avoit receu, il se resolut, à quelque prix que ce fust, de faire des vers de luy-mesme. Depuis qu’il en eut une fois tasté, il ne crut pas qu’on se pust passer d’en faire ; et on peut bien dire que c’est une maladie semblable à la gravelle ou à la goutte : dès qu’on en a senty une atteinte, on s’en sent toute sa vie. Il estoit fort en peine de sçavoir avec quoy on les faisoit, et apres avoir feuilleté quelques livres, le hasard le fit tomber sur certain endroit où un poëte s’estonnoit de ce qu’il faisoit si bien des vers, veu qu’il n’avoit pas beu de l’hippocrene. Il crut, par la ressemblance du nom, que c’estoit une espece d’hypocras, et il demanda à un juré apoticaire qui eut à faire à luy environ ce mesme temps qu’il lui donnast quelques bouteilles d’hypocras à faire des vers. Il n’en eut qu’une risée pour réponse, mais il adjousta : Ne faites point de difficulté de m’en faire exprès, je le payeray bien, valust-il un escu la pinte. Une autrefois, ayant leu que pour faire de bons vers il falloit se mettre en fureur, s’arracher les cheveux et ronger ses ongles, il pratiqua cela fort exactement. Il mordit ses ongles jusques au sang, il se rendit la teste presque chauve, et il se mit si fort en colere (il ne connoissoit point d’autre fureur) que son pauvre clerc et son laquais en pâtirent, et porterent long-temps sur les épaules des marques de sa verve poëtique. Enfin, il eut recours à son siffleur, qui se méloit aussi de faire des vers (de méchans, s’entend) et qui un peu auparavant avoit fait jouer dans sa chambre une pastorale de sa façon, sur un theatre basty de trois ais et de deux futailles, decoré des rideaux de son lit et de deux pieces de bergame. Cet homme lui enseigna donc les regles des vers, qu’il ne sçavoit pas luy-mesme. Il luy apprit à conter les syllabes sur ses doigts, qu’il mesuroit auparavant avec un compas : car il ne concevoit point d’autre façon de faire des vers, que de trouver moyen de ranger des mots en haye, comme il avoit veu autrefois ranger des soldats pour faire un bataillon.

Ce brave maistre luy apprit aussi qu’il y avoit des rimes masculines et féminines ; sur quoy Belastre luy dit avec admiration : Est-ce donc que les vers s’engendrent comme des animaux, en meslant le masle avec la femelle ? Enfin, apres quelques mois de noviciat, et apres avoir autant broüillé de papier qu’un scrupuleux faiseur d’anagrammes, il fit les trois méchans couplets qu’on verra en suitte, non sans suer aussi fort que celuy qui auroit joüé quatre parties de six jeux à la paulme. Encore faut-il que je recite de luy une certaine naïfveté assez extraordinaire.

Il avoit oüy dire que les muses estoient des divinitez qu’il falloit avoir favorables pour bien faire des vers, et que tous les grands poëtes les avoient invoquées en commençant leur ouvrage. Il avoit mesme marqué de rouge quatre vers dans un Virgile qu’avoit son siffleur, qu’on luy avoit dit estre l’invocation de l’Eneïde. Il avoit apris par cœur ces quatre vers, et les recitoit comme une oraison fort devote toutes les fois qu’il se mettoit à ce travail, de mesme qu’on fait lire la vie de sainte Marguerite pour faire delivrer une femme enceinte. Quand Belastre eut si bien, à son sens, reüssi dans son entreprise, et se fust applaudi cent fois luy-mesme (car les ignorans sont ceux qui se trouvent les plus satisfaits de leurs ouvrages), il s’en alla, avec ce beau chef-d’œuvre dans sa poche, voir Collantine. Il avoit une fierté nompareille sur son visage, croyant bien effacer la honte qu’il avait auparavant receuë. Il debuta par ce cartel : Je vous deffie (dit-il en lui monstrant un papier qu’il tenoit à la main) de trouver que ces vers que je vous apporte soient dérobez ; car dans tous les livres qui sont au monde, vous n’en verrez point de cette maniere. Ce n’est pas que je me veüille piquer d’estre autheur, ny faire le bel esprit ; mais vous connoistrez que quand je m’y veux appliquer, je suis capable de faire des vers à la cavaliere.

Par malheur pour luy, Charroselles, qui estoit entré un peu auparavant, se trouva de la compagnie ; il fit un grand cry dès qu’il ouyt nommer cette sorte de vers, qui importune tant d’honnestes gens ; et sans songer s’il avoit un antagoniste raisonnable en relevant cette parole, il luy dit brusquement : Qu’entendez-vous par ces vers à la cavaliere ? n’est-ce pas à dire de ces méchans vers dont tout le monde est si fatigué ? Belastre se hazarda de répondre que c’estoient des vers faits par des gentilshommes qui n’en sçavoient point les regles, qui les faisoient par pure galanterie, sans avoir leu de livres, et sans que ce fust leur mestier. Hé ! par la mort, non pas de ma vie (reprit chaudement Charroselles). Pourquoy diable s’en meslent-ils, si ce n’est pas leur mestier ? Un masson seroit-il excusé d’avoir fait une méchante marmite, ou un forgeron une pantoufle mal faite, en disant que ce n’est pas son mestier d’en faire ? Ne se mocqueroit-on pas d’un bon bourgeois qui ne feroit point profession de valeur si, pour faire le galand, il alloit monster à la brêche, et monstrer là sa poltronnerie ?

Quand je voy ces cavaliers, qui, pour se mettre en credit chez les dames, negligent la voye des armes, des joustes et des tournois pour faire les beaux esprits et les versificateurs, j’aimerois autant voir les chevaliers du Port au foin faire les galans avec leurs tournois à la bateliere, lors qu’ils tirent l’anguille ou l’oison, et qu’il joustent avec leurs lances. Cependant il se coule mille millions de méchans vers sous ce titre specieux de vers à la cavaliere, qui effacent tous les bons, et qui prennent leur place. Combien voyons-nous de femmes bien faites mépriser des vers tendres et excellens qu’aura fait pour elles un honneste homme avec tout le soin imaginable, pour admirer deux méchans quatrains que leur aura donné un plumet, aussi polis que ceux de Nostradamus ? Ô Muses ! si tant est que vostre secours soit necessaire aux amans, pourquoy souffrez-vous que ceux qui vous barbouillent et qui vous défigurent soient favorisez par vostre entremise, et que vos plus chers nourrissons soient d’ordinaire si mal receus ?

L’entousiasme alloit emporter bien loin Charroselles, car il estoit fort long en ses invectives (quoy qu’il n’eust pas grand interest en celle-cy, comme faisant fort peu de vers), quand l’impatience de Collantine l’interrompit, en disant fort haut : Or sus, sans faire tant de préambules, voyons ces vers dont est question ; qu’ils soient bons ou mauvais, il suffit qu’ils soient faits à ma loüange pour me plaire. Belastre ne s’en fit pas prier deux fois, de peur de differer les applaudissemens qu’il en attendoit ; il leut donc ces vers avec la mesme gravité qu’il auroit deub prononcer ses sentences :

Belle bouche, beaux yeux, beau nez,
Depuis que vous me chicanez,
Mon cœur a souffert la migraine ;
Faites faire halte à vos rigueurs,
Quoy ? Voulez-vous par vos froideurs
Egaler la Samaritaine ?

Vrayment (dit Charroselles), je ne sçay si ces vers ne sentent point plus le praticien que le cavalier ; mais du moins on ne dira pas qu’ils sentent le médecin, car il n’y en a point qui pust dire que la migraine, qui est une maladie de la teste, fust dans le cœur. Cela peut passer neantmoins à la faveur de cette comparaison qui a toute la froideur que vous luy attribuez ; continuez donc.

Vous trapercez si fort un cœur
Que, quand je l’aurois aussi dur
Que celuy du cheval de bronze,
Il faudroit ceder à vos coups,
Et je vous les donnerois trestous
Quand bien j’en aurois dix ou onze.

Voila (dit Charroselles) une rime gasconne[48] ou perigourdine, et vous la pouvez faire trouver bonne en deux façons, en violentant un peu la prononciation, car vous pouvez dire un cœur aussi deur, ou un cur aussi dur ; mais en recompense la rime de onze est fort bien trouvée. Quant au cinquième vers, si vous l’aviez bien mesuré vous le trouveriez trop long d’une sillabe. À cela (répondit Belastre) le remede sera facile ; je n’auray qu’à le faire écrire plus menu, il ne sera pas plus long que les autres. Je ne me serois pas advisé de ce remede (dit Charroselles), et j’aurois plustost dit donrois au lieu de donnerois, comme faisoient les anciens, qui usoient de la sincope. Qu’est-ce à dire, sincope (reprit Belastre) ? n’est-ce pas une grande maladie ? qu’a-t-elle de commun avec les vers ? Ensuite il continua :

Et, qui pis est, vostre attentat
Se commet contre un magistrat.
Doublement peche qui le tue.
Quand il s’agit de resister
Aux coups qu’il vous plaist me porter
Je n’ay ny force ny vertue.

Charroselles, estonné de ce dernier mot, demanda le papier pour voir comment il estoit escrit ; mais il fut surpris de voir que l’autheur, qui estoit mieux fondé en rime qu’en raison, avoit mieux aimé faire un solœcisme qu’une rime fausse. Il admira sa naïveté, et luy demanda s’il en avoit fait encore d’autres. Belastre répondit qu’il y en avoit beaucoup qu’il n’avoit pas eu le loisir de décrire. Charroselles luy repliqua : Ce n’est donc icy qu’un fragment ? À quoy Belastre repartit : Je ne sçay ; mais, je vous prie, dites-moy combien il faut que l’on mette de vers pour faire un fragment ? Cette nouvelle naïveté causa un grand esclat de rire, qui ne fut pas sitost passé que Belastre, voulant recueillir le fruit de son travail, demanda ce qu’on pensoit de ses vers, c’est-à-dire, exigeoit de l’approbation, quand Charroselles luy dit : Vrayement, Monsieur, vous faites des vers à la maniere des Grecs, qui avoient beaucoup de licences. Pourquoy non (reprit Belastre) ? n’ay-je pas eu mes licences, qui m’ont cousté de bel et bon argent ? Il est vray que je ne sçay de quelle université elles sont, mais mademoiselle les a veuës, car je les ay produites quand elle m’a accusé de ne sçavoir pas le latin. J’ay fait toutes mes classes, tel que vous me voyez ; il est vray qu’ayant esté long-temps à la guerre, j’ay tout oublié.

Vous estes donc (luy dit Charroselles) plus que docteur, car j’ai ouy dire quelquefois qu’un bachelier est un homme qui apprend, et un docteur un homme qui oublie ; vous qui avez tout oublié estes quelque chose par delà. Pour revenir à vos vers, ils sont d’une manière toute extraordinaire ; je n’en ay point veu de pareils, et je ne doute point que vous ne fassiez de beaux chefs-d’œuvres s’il vous vient souvent de telles boutades. Ha (dit Belastre), je voudrois bien sçavoir les regles d’une boutade ; est-il possible que j’en aye fait une bonne par hazard ? Vous estes bien difficiles à contenter, vous autres messieurs les delicats (dit là dessus Collantine) ; pour moy, j’aime generalement tous les vers poetiques, et surtout les quatrains de six vers, tels que sont ceux qui sont pour moy. Charroselles sousrit de cette belle approbation, et insensiblement prit occasion, en parlant de vers, de déclamer contre tous les autheurs qu’il connoissoit, et il n’y en eut pas un, bon ou mauvais, qui ne passast par sa critique, sans prendre garde s’il parloit à des personnes capables de cet entretien. Mais j’obmettray encore à dessein tout ce qu’il en dit, car on me diroit que c’est une médisance de reciter celle que les autres font. La conclusion fut que Collantine, qui s’étoit teuë long-temps pendant qu’il parloit de ces autheurs, dont elle ne connoissoit pas un, voulant parler de vers à quelque prix que ce fust, vint à dire : Pour moy, je ne trouve point de plus beaux vers que ceux de la Misere des clercs des procureurs ; les pointes en sont bonnes et le sujet tout à fait plaisant. Je les leus dernierement sur le bureau du maistre clerc de mon procureur, durant qu’il me dressoit une requeste. Si les clercs (répondit Charroselles) sont aussi miserables que ces vers, je plains sans doute leur misere ; mais quoy ! ce ne sont pas seulement les clercs qui sont à plaindre, les procureurs le sont aussi, et encore plus les parties, enfin tous ceux qui se meslent de ce maudit mestier de chicaner. Pourquoy dites-vous cela (reprit Collantine) ? je ne vois point qu’il y ait de meilleur mestier que celuy de procureur postulant ? Vous ne voyez point de fils de paysan ou de gargotier qui soit entré dans une telle charge, la pluspart du temps à credit, qui au bout de sept à huit ans n’achete une maison à porte cochere[49], qu’il se fait adjuger par decret à si bon marché qu’il veut, et qui ne fasse cependant subsister une assez nombreuse famille. Que s’il ne tient pas bonne table, et s’il ne fait pas grande dépence, c’est plustost par avarice que par incommodité. Je ne doute point (repliqua Charroselles) que le gain n’en soit assez grand, et je ne m’enquiers point s’il est legitime ; mais il faut avoüer que c’est une triste occupation d’avoir tousjours la veuë sur des papiers dont le stile est si dégoustant, et de n’aquerir du bien qui ne vienne de la ruine et du sang des miserables. À leur dam (interrompit Collantine) ! Pourquoy plaident-ils, ces miserables, s’ils ne sont pas bien fondez ? Fondez ou non (adjousta Charroselles), les uns et les autres se ruinent également, témoin une emblesme que j’ay veuë autrefois de la chicane, où le plaideur qui avoit perdu sa cause estoit tout nud ; celuy qui l’avoit gagnée avoit une robbe, à la verité, mais si pleine de trous et si déchirée, qu’on auroit pû croire qu’il estoit vestu d’un rezeau : les juges et les procureurs estoient vestus de trois ou quatre robbes les unes sur les autres.

Vous estes bien hardy (luy dit Belastre en colère) de décrier ainsi nostre mestier ? Si j’avois icy mes sergens, je vous ferois mettre là bas en vertu d’une bonne amande que je vous ferois payer sans déport. Je le décrie moins (répondit Charroselles) que ne font les advocats, parce qu’on ne les void jamais avoir de procès en leur nom, de mesme que les medecins ne prennent jamais de leurs drogues. J’ay ouy dire encore ce matin à un de mes amis qu’il n’avoit jamais eu qu’un procès, qu’il avoit gagné, avec dépens et amende, mais qu’il s’est trouvé à la fin que s’il eust abandonné dès le commencement la debte pour laquelle il plaidoit, il auroit gagné beaucoup davantage. Mais comment cela se peut-il faire (lui dit Collantine) ? Voicy comment il me la conté (reprit Charroselles) : Il luy estoit deub cent pistolles par un mauvais payeur, proprietaire d’une maison qui valloit bien environ quatre mil francs. Il a mis son obligation entre les mains d’un procureur, qui, ayant un antagoniste aussi affamé que luy, a si bien contesté sur l’obligation et sur les procedures du décret qu’on a fait en suite de cette maison, qu’il a obtenu jusqu’à sept arrests contre la partie, tous avec amende et dépens. Or, par l’événement, les dépens ayans esté taxez à 2500 livres, et la maison adjugée à 2000 livres seulement au beau-frere de son procureur, il luy a cousté de son argent 500 livres, outre la perte de sa debte. Mais il m’a juré que son plus grand regret estoit à l’argent qu’il luy avoit fallu tirer pour payer toutes les amandes à quoy sa partie avoit esté condamnée, faute de quoy on ne luy vouloit pas délivrer ses arrests.

On avoit raison (repartit Collantine), car ne sçait-on pas bien que c’est celuy qui gagne sa cause qui doit avancer l’amande de douze livres ? Mais on luy en donne, s’il veut, aussi-tost le remboursement sur sa partie. Et que sert le remboursement (adjousta Charroselles) si le debiteur est insolvable, comme le sont tous les chicaneurs ? Ne vaudroit-il pas bien mieux que Monsieur le receveur perdit la somme, qui luy est un pur gain, que de la faire tomber, par l’evenement, sur le dos de celuy qui avoit bon droit, et qui est chastié de la faute d’autruy ?

La mesme personne m’a fait encore une grande plainte sur la declaration de ces dépens, qui luy tenoit fort au cœur, et l’a traduite assez plaisamment en ridicule. Il m’a fait voir que pour un mesme acte il y avoit cinq ou six articles separez, par exemple pour le conseil, pour le memoire, pour l’assignation, pour la coppie, pour la presentation, pour la journée, pour le parisis, pour le quart en sus, etc.[50], et il m’a dit en suite qu’il s’imaginoit estre à la comedie italienne, et voir Scaramouche hostelier compter à son hoste pour le chapon, pour celuy qui l’a lardé, pour celuy qui l’a châtré, pour le bois, pour le feu, pour la broche, etc. Vrayment (dit alors Collantine), il faut bien le faire ainsi, puisque c’est un ancien usage ; j’avouë bien que c’est là où messieurs les procureurs trouvent mieux leur compte, car pour faire cette taxe on compte les articles, et tel de ces articles qui n’est que de dix deniers couste quelquefois huit sous à taxer, comme en frais extraordinaires de criées ; sans compter les roles de la declaration, qui par ce moyen s’amplifient merveilleusement. Aussi disent-ils que c’est la piece la plus lucrative de leur mestier. Mais je vous advoüray (ajousta-t’elle) que j’y trouve une chose qui me choque fort : c’est qu’on y taxe de grands droits aux procureurs pour les choses qu’ils ne font point du tout, comme les consultations et les revisions d’ecritures, et on leur en taxe de très-petits pour celles qu’ils font effectivement, comme les comparutions aux audiences pour obtenir les arrests ; c’est un point qu’il sera tres-important de corriger, quand on fera la reformation des abus de la justice. Apres cela (continua Charroselles, qui avoit esté aussi obligé d’apprendre à plaider à ses dépens à cause du procès qu’il avoit eu contre Collantine) n’avoüerez-vous pas que c’est un méchant mestier que de plaider, puis qu’on est exposé à souffrir ces mangeries ? Il faut distinguer (répondit la demoiselle), car on a grand sujet de plaindre ces plaideurs par necessité, qui sont obligez de se deffendre le plus souvent sans en avoir les moyens, quand ils sont attaquez par des personnes puissantes, et attirez hors de leur pays en vertu d’un committimus. Mais il n’en est pas de mesme de ces plaideurs volontaires qui attaquent les autres de gayeté de cœur, car ils sont redoutables à toutes sortes de personnes, et ils ont l’avantage de faire enrager bien des gens. Vous m’advouërez vous-mesme que c’est le plus grand plaisir du monde, et qu’on peut bien faire autant de mal par un exploit que par une satyre. Outre que leurs parties sont tousjours contraintes, pour se racheter de leurs vexations, de leur donner de l’argent ou de leur abandonner une partie de la chose contestée, de sorte que, quelque méchant procès qu’ils puissent avoir, pourveu qu’ils les sçachent tirer en longueur, ils y trouvent plus de gain que de perte.

Vrayment (interrompit Charroselles), à propos de ces gens qui chicanent à plaisir, je me souviens d’une rencontre que j’eus dernierement au palais. Je me trouvay auprès d’un Manceau qui, ayant donné un soufflet à un notaire de ses voisins (ainsi que j’appris depuis), avoit esté obligé de soustenir un gros procès criminel devolu par appel à la cour, et pour ce sujet il avoit esté condamné en de grandes reparations, dommages et interests. J’oüys un de ses compatriotes qui, pour le railler, luy disoit : Hé bien, qu’est-ce, Baptiste (ainsi falloit-il que s’appellast ce tappe-notaire) ? Tu es bien chanceux : tu as perdu ton procès ? Ce Manceau luy dit pour toute réponse : Vrayment c’est mon, vla bien dequoy ! N’en auray-je pas un autre tout pareil quand je voudray ? La risée que firent ceux qui ouyrent cette réponse me donna la curiosité d’aprendre le sujet de ce procès, et en suite d’avoüer qu’il n’y avoit rien de plus aisé que de faire des procès de cette qualité, mais que ce n’estoit pas un moyen de faire grande fortune.

Je n’entends pas parler de ces sortes de procès (dit alors Collantine), Dieu m’en garde ! il n’y a rien de si dangereux que d’estre deffendeur en matière criminelle ; mais je parle de ces droits litigieux qu’on achepte à bon marché de gens foibles et ignorans des affaires, dont les plus embrouïllez sont les meilleurs. Car on n’a qu’à se faire recevoir partie intervenante, et pourvu qu’on sçache bien faire des incidens et des chicanes, tantost se ranger d’un party et tantost de l’autre, il faut enfin que les autres parties acheptent la paix, à quelque prix que ce soit. Tel est le mestier dont je subsiste il y a longtemps, et dont je me trouve fort bien. J’ay des-ja ruiné sept gros paysans et quatre familles bourgeoises, et il y a trois gentilshommes que je tiens au cul et aux chausses. Si Dieu me fait la grace de vivre, je les veux faire aller à l’hospital. Collantine commençoit des-ja à leur vouloir conter ses exploits, tant en gros qu’en détail, et n’eust finy de longtemps, quand elle fut interrompuë par Belastre, qui luy dit : Sans aller plus loin, vous me faites faire une belle experience de ce que vous sçavez faire. Il y a assez long-temps que vous me chicanez, sous pretexte d’une vieille recherche de droits dont il ne vous en est pas deub un carolus. Quoy (repliqua chaudement Collantine) ! vous ne me devez rien ? Estes-vous assez hardy pour le soustenir ? Je vous vais bientost montrer le contraire. Je m’en rapporte à Monsieur (dit-elle en monstrant Charroselles) ; il en jugera luy-mesme. Ce fut lors qu’ils se mirent tous deux en devoir de conter tous les procès et differens qu’ils avoient ensemble, en la presence de Charroselles, comme s’il eust esté leur juge naturel. Ils prirent tous deux la parole en mesme temps, plaiderent, haranguerent et contesterent, sans que pas un voulust escouter son compagnon. C’est une coustume assez ordinaire aux plaideurs de prendre pour juge le premier venu, de plaider leur cause sur le champ devant luy, et de s’en vouloir rapporter à ce qu’il en dira, sans que cela aboutisse néantmoins à sentence ny à transaction ; de sorte que, si on avoit déduit au long cet incident, il n’auroit point du tout choqué la vray-semblance. Mais cela auroit esté fort plaisant à entendre, et le seroit peu à reciter. À peine s’estoient-ils accordez à qui parleroit le premier (car la contestation fut longue sur ce point), quand on ouyt heurter à la porte. C’estoit le greffier de Belastre, qui l’estoit venu trouver chez Collantine, sçachant qu’il y estoit, pour luy faire signer la minutte d’un inventaire qu’il venoit d’achever ; et outre le procès verbal de scellé qu’il tenoit en main, il avoit encore sous le bras un fort gros sac, contenant tous les papiers inventoriez, qui devoient estre deposez au greffe pour la seureté des vacations des officiers. Son arrivée fit faire trefve à ces deux parties plaidantes, et apres qu’il eut eu une petite audiance en particulier de Belastre, ce greffier (qu’on avoit appellé Volaterran, parce qu’il voloit toute la terre) donna son procès verbal à signer à ce venerable magistrat. Charroselles, qui fouroit son nez par tout, fut curieux de sçavoir ce que c’estoit, et s’estant baissé sous pretexte de ramasser un de ses gans, il leut au dos du cahier cette inscription :

Inventaire de Mythophilacte.

Comment (s’ecria-t’il aussitost) ! le pauvre Mythophilacte est donc mort ! Quoy ! cet homme qui a esté si fameux dans Paris, et par sa façon de vivre et par ses ouvrages ? Je m’asseure qu’on aura trouvé chez luy de belles curiositez. Si vous les desirez voir (dit le greffier assez civilement, contre l’ordinaire de ces messieurs, qui ne sont point accusez d’estre civils), vous n’en sçauriez trouver un memoire plus exact que cet inventaire que j’en ay dressé. Vous ne me sçauriez faire un plus grand plaisir (dit Charroselles). Et à moy aussi (dit de son costé Collantine), qui estoit ravie d’ouïr toute sorte d’actes et d’expeditions de justice. Belastre, qui estoit aussi bien aise d’entendre lire une piece intitulée de son nom, et qui croyoit se faire beaucoup valoir par ce moyen à Collantine, non seulement applaudit à cette curiosité, mais mesme, par l’authorité qu’il avoit sur le greffier, luy commanda de la satisfaire. Le greffier, luy obeyssant, s’assit auprès d’eux, et, apres qu’ils eurent repris leur place et fait silence, Volaterran commença de lire ainsi :


Inventaire de Mythophilacte.


L’an mil six cens...... Je vous prie (interrompit Charroselles), passez cette intitulation, qui ne contient que des qualitez inutiles. Inutiles (reprit Collantine avec un grand cry) ! vous vous trompez fort : il n’y a rien de plus essentiel en une affaire que de bien establir les qualitez. Cela seroit bon (reprit Charroselles), si on avoit à instruire ou à juger un procès ; mais comme nous n’avons icy que la curiosité de voir les effets de Mythophilacte, ce ne seroit que du temps et des paroles perduës. Cette raison ayant prevalu, au grand regret neantmoins de Belastre, qui prenoit grand plaisir à entendre lire ses qualitez, Volaterran passa plusieurs pages de l’intitulation, apposition et levée des scellez, et continua de lire :

Premierement un lit où estoit gisant ledit deffunt, consistant en trois aix posez sur deux tresteaux, une paillasse, avec une vieille valise servant de traversin, et une couverture faite d’un morceau de tapisserie de Rouen, prisez le tout ensemble vingt-cinq sous, cy 25 sous.

Item, deux chaises de paille, avec un fauteuil garny de mocquette, prisés dix sous, cy 10 sous.

Item, un coffre de bois blanc, sur lequel avons reconnu nos scellez sains et entiers, et dans iceluy ne s’est trouvé que les papiers cy-apres inventoriez, ledit coffre prisé douze sous, cy 12 sous.

De grace (dit Charroselles), allons vistement à ces papiers ; c’est la seule chose que je desire de voir, m’imaginant qu’il y en aura de fort bons. Car pour le reste de ses meubles, il est aisé d’en juger par l’échantillon, et je me doute bien que le pauvre Mythophilacte est mort dans la dernière pauvreté. Je ne m’estonne plus qu’il apprehendast si fort les visites, et qu’il eust tant de soin de cacher la maison où il demeuroit à ses plus intimes amis, ausquels elle estoit aussi inconnue que la source du Nil. Mais comme je m’attends bien que par tout l’inventaire nous trouverons une pareille gueuserie, je vous prie, monsieur le greffier, de coupper court et de commencer à lire le chapitre des papiers, puisque la curiosité de la compagnie ne s’estend que là. Ainsi fut dit, ainsi fut fait : alors Volaterran, ayant sauté plusieurs feuillets, continua de lire :

Premierement, le testament ou ordonnance de derniere volonté dudit deffunt, en datte du 21 avril

Hé ! de grace, encore un coup (dit Charroselles), nous n’avons que faire des dates ; je vous prie, voyons seulement les dispositions de ce testament, et sur tout sautez le preambule, et ce stile des notaires qui ne fait que gaster du parchemin. Le greffier prit donc en main ce testament, et en ayant parcouru en bredouillant deux ou trois roolles pleins de ces vaines formalitez, il commença à lire plus intelligiblement ces clauses :

En premier lieu, à l’égard de mes funerailles et enterrement, j’en laisse le soin à l’hoste du logis où je seray decedé, me confiant assez d’ailleurs en son humanité, qui prendroit cette peine de luy-mesme, quand je ne l’en prierois point. Je m’attends aussi qu’il le fera sans pompe, sans tenture et sans luminaire, en toute humilité chrestienne, et convenablement à ma position et à ma fortune.

Item, à chacun des pauvres autheurs qui se trouveront à mon enterrement, je donne et legue un exemplaire d’un livre par moy composé, intitulé : l’Exercice journalier du poëte, dont la delivrance leur sera faite sitost que ledit livre sera achevé d’imprimer, dans lequel ils trouveront un bel exemple de constance pour supporter la faim et la pauvreté, avec une oraison tres ardente que j’ay faite en leur faveur, afin que les riches aient plus de compassion d’eux qu’ils n’ont eu de moy.

Item, je donne et legue à Claude Catharinet, mon meilleur amy et second moy-mesme, mon grand Agenda ou mon Almanach de disners, dans lequel sont contenus les noms et les demeures de toutes mes connoissances, avec les observations que j’ai faites pour decouvrir le foible des grands seigneurs, pour les flatter et gagner leurs bonnes graces, ensemble celles de leurs suisses et officiers de cuisine, esperant que, par le moyen de cet ouvrage, il pourra sustenter sa vie comme j’ay fait la mienne jusqu’à present.

Item, à tous mes pretendus Mecenas, je donne et legue la liberation de ce qu’ils me doivent pour le prix de l’encens que je leur ay fourny et livré, tant par epistres dedicatoires, panegyriques, epitalames, sonnets, rogatons, qu’en quelque autre sorte et maniere que ce soit, ne desirant pas que leur ame soit tourmentée en l’autre monde, comme elle le pourroit estre pour avoir retenu le salaire deub à mes grands travaux. J’en fais la mesme chose à l’égard de ces méchans libraires qui ont mangé tout le fruit de mes veilles, et qui m’ont tant fait souffrir depuis que j’ay esté à leur discretion. Et quoy qu’ils aient souvent pris à tasche de me faire damner, je prie Dieu qu’il ne leur impute point le mal qu’ils m’ont fait, mais qu’il use envers eux de sa misericorde, de toute l’estendue de laquelle ils ont grand besoin.

Item, je donne et legue à Georges Soulas, ci-devant mon valet et scribe, et maintenant, à force de manier mes ouvrages, devenu mon collegue et confrere en Apollon, tant pour paiement des gages que je luy puis devoir que par pure liberalité, donation à cause de mort, et en la meilleure forme que pourra valoir, tout le reste de mes ouvrages et papiers, tant imprimez qu’à imprimer, luy faisant don de tous les profits qu’il en pourra retirer des comédiens, des libraires et des personnes à qui il les pourra dédier ; à la charge, et non autrement, qu’il fera imprimer lesdits manuscrits sous mon nom, et non sous le sien, et qu’il ne me privera point de la gloire qui m’en peut revenir, comme je sçay que quelques autheurs escrocs en ont cy-devant usé. Et pour exécuteur du présent testament, je nomme Charles de Sercy[51], maistre libraire juré au Palais, veu que j’espère de sa courtoisie que, comme il se forme sur le modèle de Courbé[52], qui ne dédaigne pas d’estre agent général des autheurs de la haute classe, luy qui commence de venir au monde ne dédaignera pas de rendre cet office à la mémoire de son tres humble serviteur et chalend. Voulant en cette considération que Georges Soulas, légataire universel de mes ouvrages, lorsqu’il en voudra faire faire l’impression, lui donne la preferance à tous les autres, pour le recompenser des pertes qu’il a faites sur tant de recueils et de rapsodies inutiles qu’il a imprimées, et qui le menacent d’une banqueroute prochaine et bien méritée : car ainsi le tout a esté par ledit testateur dicté, nommé, leu et releu, etc.

Vrayment (dit alors Charroselles), j’avois grande estime pour le pauvre Mythophilacte, mais je lui sçay fort mauvais gré de ce qu’il destourne ces petits libraires du soin de faire des recueils. Chacun sçait combien ceux qui sont haut hupez font les rencheris quand on leur offre des coppies à imprimer. Ils ne veulent prendre que celles d’une certaine caballe qui leur plaist, encore les payent-ils à leur mode, et il leur faut jetter les autres à la teste, encore n’en veulent-ils point imprimer.

Vous m’avez fait cent fois la mesme plainte de vos libraires (dit Collantine) ; pourquoy les voudriez-vous obliger à imprimer vos livres, si le debit n’en est pas heureux ? Que ne les faites-vous imprimer à vos frais, à l’exemple d’un certain autheur dont j’ai ouy parler au Palais, qui en a pour cinquante mille francs sur les bras. J’aimerois mieux, si j’estois à votre place, vendre mes chevaux et mon carrosse, pour acheter la gloire qui m’en reviendroit, puisque vous en estes si affamé. Ou plustost, que ne quittez-vous tout ce fatras de compositions philosophiques, historiques et romanesques, pour compiler des arrests, des plaidoyers ou des maximes de droit : dame ! ce sont des livres qu’on achete tousjours, quels qu’ils soient, et il n’y a point de libraire qui n’en fust aussi friand que des Heures à la chancelliere[53]. Mais, je vous prie, brisons là, car je vois bien que vous voudriez faire en replique une longue doleance. Puisque la compagnie est curieuse de voir ces papiers, passons aux titres et contracts d’acquisitions de maisons et de constitutions de rente, car ce sont les principaux articles d’un inventaire.

Ha ! pour cela (dit Belastre), nous n’en avons trouvé aucuns, mais seulement beaucoup d’exploits pour debtes passives : de sorte que tout le reste de cet inventaire ne contient que le cathalogue de quantité de livres et ouvrages manuscrits, qu’un des legataires nous a requis d’inventorier, pour luy en faire en suite la delivrance, parce qu’il dit que le deffunt luy en a fait don. Nous n’avons affaire que de cela (reprit Charroselles), et c’est icy asseurément le legs fait à Georges Soulas, dont vous venez d’entendre parler. Lisons viste, je vous prie, ce cathalogue. Je m’y oppose (dit Collantine), et je veux auparavant qu’on m’explique un article de ce testament, touchant ce grand agenda et cet almanach de disners qu’il legue à Catharinet, et qu’il dit estre suffisant pour sa subsistance.

Je le veux bien (répondit Belastre) ; je le vais faire chercher tout à l’heure par mon greffier, car je me souviens bien de l’avoir fait inventorier. J’aurois bien de la peine à vous le trouver maintenant (repartit Volaterran), car ce n’est qu’un petit cahier de cinq ou six fueilles, qui est meslé parmi un grand nombre d’escrits et de paperasses ; mais je vous diray bien ce qu’il contient en substance, car je l’ay considéré assez attentivement, lors que j’en ay fait la description. Cet almanach de disners est fait en forme de table divisée par colomnes, et contient une liste de tous les gens qui tiennent table à Paris, ou des autres connoissances du deffunt à qui il alloit demander à disner. Cela est distribué par mois, par semaines et par jours, tout de mesme qu’un calendrier. De sorte qu’en la mesme maniere que les pauvres prestres vont demander leurs messes le samedy à Nostre-Dame, le lundy au Saint-Esprit, le vendredy à Sainte-Geneviefve, de mesme il assignoit ses repas à certains jours chez certains grands, le lundy chez tel intendant, le mardy chez tel prelat, le mercredy chez tel president, et ainsi il subsistoit toute l’année, jusques là qu’il avoit marqué subsidiairement, et en cas de besoin, pour son pis aller, les auberges allemandes et françoises.

Voila qui suffit (dit Charroselles) pour nous donner l’intelligence de tout l’ouvrage, sur lequel, sans l’avoir veu, je pourrois bien faire des illustrations et des commentaires. Car je me doute bien que pour faire un almanach parfait, il y avoit bien des jeusnes et des jours maigres marquez, et peut estre plus qu’il n’en est observé dans l’Eglise. Je crois bien aussi que pour le pronostique qu’on a coustume d’y mettre à chaque lunation, on pouvoit souvent y escrire : grandeur de famine, secheresse d’amis, table rompüe, etc., prédiction plus claire et plus certaine que celle de Jean Petit et de Mathurin Questier[54]. Je m’imagine encore qu’il pouvoit faire un almanach historial des jours de nopce et de grands festins où il avoit assisté, et qu’il avoit marqué à part ces jours-là dans son calendrier, comme les jours heureux ou malheureux revelez au bon Joseph.

Il falloit (interrompit Collantine) que cet homme fust bien miserable, puisqu’il ne pouvoit vivre sans escornifler : car c’est, à mon sens, le dernier des métiers, et indigne d’un homme qui a du pain et de l’eau. Ce ne seroit pas là une bonne consequence (dit Charroselles) : car il y a bien des marquis et des gens accommodés qui ne se font point de scrupule d’estre escornifleurs habituez à certaines bonnes tables, et j’ay veu souvent nostre pauvre Mythophilacte se plaindre de ce desordre. Car (disoit-il), sous pretexte que ces gens ont quelque capacité ou expérience sur le chapitre des sauces, et qu’ils prétendent avoir le goust fin, ils croyent avoir droit d’aller censurer les meilleures tables de la ville, qui ne peuvent estre en reputation de friandes et de delicates, si elles n’ont leur approbation ; jusques-là qu’il soustenoit quelquefois que ces gens estoient des larrons et des sacriléges, qui deroboient et venoient manger le pain des pauvres. Pour luy, qui n’y alloit point par goinfrerie, mais par nécessité, je ne puis que je ne l’excuse : car comment pourroit vivre autrement un autheur qui n’a point de patrimoine ? il auroit beau travailler nuit et jour, dès qu’il est à la mercy des libraires, il ne peut gagner avec eux de l’eau pour boire.

Il me souvient de l’avoir veu une fois en une grande peine. Je le trouvay en place de Sorbonne querellant avec un autre autheur, qui, entr’autres injures, luy reprocha tout haut qu’il étoit un caymand de gloire, et que de tous costez il en alloit mendier. Ce dernier mot fut ouy par des archers qui cherchoient tous les mendians[55] pour les mener à l’Hospital General. Ils le saisirent au collet en ce moment (aussi bien estoit-il d’ailleurs assez déchiré), et j’eus bien de la peine à le faire relascher. J’en vins pourtant à bout, sur ce que je leur remonstray que le mestier de poëte, dont il faisoit profession, le conduisoit naturellement à l’hospital, et qu’il ne falloit point d’autres archers que ceux de son mauvais destin pour l’y faire aller en diligence. J’aurois bien d’autres particularitez assez plaisantes à vous reciter[56] ; mais l’impatience que j’ay de voir ce cathalogue de livres ne me permet pas de m’arrester sur cecy d’avantage. Ce fut lors que Volaterran, qui vit bien que Belastre, par un signe de teste, avoit dessein qu’on luy donnast prompte satisfaction, continua de lire.

Catalogue des livres de Mythophilacte.


L’Amadisiade, ou la Gauléide, poëme heroï-comique, contenant les dits, faits et prouesses d’Amadis de Gaule, et autres nobles chevaliers ; divisé en vingt-quatre volumes, et chaque volume en vingt-quatre chants, et chaque chant en vingt-quatre chapitres, et chaque chapitre en vingt-quatre dixains, œuvre de 1734800 vers, sans les argumens.

Apologie de Saluste du Bartas et d’autres poëtes anciens qui ont essayé de mettre en vogue les mots composez ; où il est monstré que les François, en cette occasion, n’ont esté que des pagnottes[57], en comparaison des Grecs et des Romains, par l’exemple d’Aristophane, de Plaute, et d’autres autheurs.

Le Rappé du Parnasse, ou recueil de plusieurs vers anciens corrigez et remis dans le stile du temps.

La Vis sans fin, ou le projet et dessein d’un roman universel, divisé en autant de volumes que le libraire en voudra payer.

La Souriciere des envieux, ou la confutation des critiques ou censeurs de livres, ouvrage fait pour la consolation des princes poëtiques détronez, où il est monstré que ceux-là sont maudits de Dieu, qui découvrent la turpitude de leurs parens et de leurs frères.

La Lardoire des courtisans, ou satyre contre plusieurs ridicules de la cour, qui y sont si admirablement piquez que chacun y a son lardon.

La Clef des sciences, ou la croix de par Dieu du prince, c’est-à-dire l’art de bien apprendre à lire et à escrire, dedié à monseigneur le dauphin ; avec le passe-partout de devotion, ou un manuel d’oraison pour l’exercice journalier du chrestien.

Imitation des Thresnes de Jeremie, ou lamentation poëtique de l’autheur sur la perte qu’il fit, en déménageant, de quatorze mille sonnets, sans les stances, épigrammes, et autres pieces[58].

Vrayment (dit Charroselles), j’ay esté present à la naissance de cet ouvrage : jamais je ne vis un autheur plus déconforté que fust celuy-cy en recevant la nouvelle de cet accident. Je taschay à le consoler de tout mon possible, suivant le petit genie que Dieu m’a donné ; et comme j’avois appris du crocheteur qui avoit esté chargé de ces papiers qu’il falloit qu’ils eussent esté perdus vers le Marché-Neuf, j’asseuray Mythophilacte que quelque beuriere les auroit ramassez, comme estant à son usage, et qu’il n’avoit qu’à aller acheter tant de livres de beurre, qu’il peust recouvrer jusqu’à la derniere piece qu’il avoit perduë. Vrayment (répondit Belastre), voilà une consolation bien maligne, et qui est fort de vostre genie, comme vous dites ; mais ne faites point perdre de temps à mon greffier, à qui j’ordonne de continuer. Volaterran, reprenant où il en estoit demeuré, leut du mesme ton qu’il avoit commencé.

Discours des principes de la poësie, ou l’introduction à la vie libertine.

Placet rimé pour avoir privilege du Roy de faire des vers de ballet, chansons nouvelles, airs de cour et de pont-neuf, avec deffenses à toutes personnes de travailler sur de pareils sujets, recommandé à monsieur de B……[59], grand privilegiographe de France.

Forfantiados libri quatuor, de vita et rebus gestis Fatharelli.

Le Grand sottisier de France, ou le dénombrement des sottises qui se font en ce vaste royaume, par ordre alphabétique.

Vrayment (interrompit encore Charroselles), ce dessein est beau ; j’avois eu envie de l’entreprendre avant luy, et je l’aurois fait, si je ne fusse point tombé en la disgrace des libraires, car cela est fort selon mon genie. J’en ay conferé plusieurs fois avec le pauvre deffunt ; il me disoit qu’il avoit dessein d’en faire trente volumes, dont chacun seroit plus gros que le Théatre de Lycosthene, ou que les centuries de Magdebourg. Il est vray que je luy ay tousjours predit que quelque laborieux qu’il fust, et quoy qu’il ne fist autre chose toute sa vie, il laisseroit tousjours cet ouvrage imparfait. Mais, Monsieur (dit-il au greffier), excusez si je vous ay interrompu ; je vous prie de continuer. Volaterran leut donc en continuant.

Dictionnaire poëtique, ou recueil succint des mots et phrases propres à faire des vers, comme appas, attraits, charmes, flèches, flammes, beauté sans pareille, merveille sans seconde, etc. Avec une préface où il est monstré qu’il n’y a qu’environ une trentaine de mots en quoy consiste le levain poëtique pour faire enfler les poemes et les romans à l’infiny.

Illustrations et commentaires sur le livre d’Ogier le Danois, où il est monstré par l’explication du sens moral, allegorique, anagogique, mythologique et ænigmatique, que toutes choses y sont contenuës, qui ont esté, qui sont, ou qui seront ; mesme que les secrets de la pierre philosophale y sont plus clairement que dans l’Argenis, le Songe de Polyphile, le Cosmopolite, et autres. Dedié à messieurs les administrateurs des petites maisons.

Traité de chiromance pour les mains des singes, œuvre non encore veuë ny imaginée.

Imprecation contre Thersandre, qui apprit à l’autheur à faire des vers, ou paraphrase sur ce texte : Hinc mihi prima mali labes.

Rubricologie, ou de l’invention des titres et rubriques, où il est montré qu’un beau titre est le vray proxenete d’un livre, et ce qui en fait faire le plus prompt debit. Exemple à ce propos tiré des Pretieuses.

Plaidoyers et harangues prononcées dans l’assemblée generale des libraires, consultans sur l’impression de plusieurs livres qu’on leur avoit presentez. Avec le jugement intervenu sur iceux, Midas presidant, par lequel le Cuisinier, le Patissier et le Jardinier François ont esté receus, et plusieurs bons autheurs anciens et modernes rebutez.

Description merveilleuse d’un grand seigneur prophetisé par David, qui avoit des yeux et ne voyoit point, qui avoit des oreilles et n’entendoit point, qui avoit des mains et ne prenoit point, mais qui, en recompense, avoit des gens qui voyoient, entendoient et prenoient pour luy.

De l’usage du thelescopophore, ou de certaines lunettes dont se servent les grands, qui s’appliquent aux yeux d’autruy, exemptes de l’incommodité de les porter, mais sujettes à tous les accidens cottez au traité De fallaciis visus.

Advis et memoires à monsieur le procureur du roy, pour eriger en corps de maistrise jurée les poëtes et les autheurs, et les faire incorporer avec les autres arts et mestiers de la ville, où il est traité des estranges abus qui se sont glissez dans cette profession, et que l’ordre de la police demande qu’on y mette des jurez et maistres gardes, comme dans tous les autres corps moins importans.

Somme Dedicatoire, ou examen general de toutes les questions qui se peuvent faire touchant la dedicace des livres, divisée en quatre volumes.

Ha ! je vous prie (interrompit Charroselles), abandonnons le reste de cette lecture, quelque agreable qu’elle soit, et nous arrestons aujourd’huy à voir ce livre-cy en détail, car j’en ay souvent ouy parler ; et puis c’est un sujet nouveau et fort necessaire à tous les autheurs.

Je voudrois bien (dit le greffier) satisfaire votre curiosité ; mais quelle apparence y a-t-il de vous lire ces quatre volumes, que nous aurions de la peine à voir en douze vacations ? Parcourons-en au moins quelque chose (reprit l’opiniastre Charroselles) ; nous en tirerons quelque fruit. Je trouve (dit le greffier, qui feüilletoit cependant le livre) le moyen de vous contenter aucunement, car je vois icy une table des chapitres, dont je vous feray la lecture si vous voulez. La compagnie l’en pria, et il continua de lire.

SOMME DÉDICATOIRE.

TOME PREMIER.
Chapitre 1.

De la dedicace en general, et de ses bonnes ou mauvaises qualitez.

Chapitre 2.

Si la dedicace est absolument necessaire à un livre. Question decidée en faveur de la negative, contre l’opinion de plusieurs autheurs anciens et modernes.

Chapitre 3.

Qui fut le premier inventeur des dedicaces. Ensemble quelques conjectures historiques qui prouvent qu’elles ont esté trouvées par un mendiant[60].

Chapitre 4.

Laquelle est la plus ancienne des dedicaces, celle des thèses ou celle des volumes ; et de la profanation qui en a esté faite en les mettant au bas des simples images, par Baltazar Moncornet.

Chapitre 5.

Le pedant Hortensius aigrement repris de sa ridicule opinion, pour avoir appellé un livre sans dedicace Liber ἀκέφαλος.

Chapitre 6.

Jugement des dedicaces railleuses et satyriques, comme de celles faites à un petit chien, à une guenon, à personne, et autres semblables ; et du grand tort qu’elles ont fait à tous les autheurs trafiquans en maroquin.

Chapitre 7.

Refutation de l’erreur populaire qui a fait croire à quelques-uns qu’un nom illustre de prince ou de grand seigneur mis au devant d’un livre servoit à le deffendre contre la médisance et l’envie. Plusieurs exemples justificatifs du contraire.

Chapitre 8.

Des dedicaces bourgeoises et faites à des amis non reprouvées, et comparées à l’onguent miton-mitaine, qui ne fait ny bien ny mal.

Chapitre 9.

Plainte et denonciation contre Rangouze, d’avoir fait un livre de telle nature, qu’autant de lettres sont autant de dedicaces ; sur laquelle l’autheur soûtient que son procès luy doit estre fait, comme à ces magiciens qui se servent de pistoles volantes.

Chapitre 10.

Sous quel aspect d’astres il fait bon semer et planter des eloges pour en recüeillir le fruit dans la saison. Avec l’horoscope d’un livre infortuné, qui ne fut pas seulement payé d’un grand mercy.

Chapitre 11.

Distinction et catalogue des jours heureux et malheureux pour dedier les livres ; où on decouvre le secret et l’observation de l’heure du berger pour presenter un livre, sçavoir : quand le Mecenas sort du jeu et a gagné force argent.

TOME SECOND.
Chapitre 1.

De la qualité et nature des Mecenas en general.

Chapitre 2.

Des diverses contrées où naissent les vrais Mecenas, et que les meilleurs se trouvent en Flandres et en Allemagne, comme les meilleurs melons en Touraine, et les meilleurs asnes en Mirebalais. La Serre cité à propos.

Chapitre 3.

Des vrais et faux Mecenas, et de la difficulté qu’il y a de les connoistre. Si c’est une pierre de touche asseurée de sonder ou pressentir la liberalité qu’ils feront au futur dedicateur.

Chapitre 4.

De la disette qu’il y a eu des Mecenas en plusieurs siecles, et particulierement de la merveilleuse sterilité qu’en a celuy-cy.

Chapitre 5.

Preuve de l’antiquité de la poësie, à l’occasion de ce que la plus ancienne de toutes les plaintes est celle des poëtes sur le malheur du temps et sur l’ingratitude de leur siecle.

Chapitre 6.

Continuation du mesme sujet, avec la liste des hommes de lettres morts de faim ou à l’hospital, illustrée des exemples d’Homere et de Torquato Tasso.

Chapitre 7.

Examen de la comparaison faite par quelques-uns d’un vray Mecenas au phœnix ; où il est montré que, si elle est juste en considerant sa rareté, elle cloche en ce qu’il ne dure pas 500 ans, et qu’il n’en renaist pas un autre de sa cendre.

Chapitre 8.

Du choix judicieux qu’on doit faire des Mecenas, et que les plus ignorans sont les meilleurs, vérifié par raisons et inductions.

Chapitre 9.

Difference des Mecenas de cour et des Mecenas de robe ; avec une observation que ceux-cy sont tres-dangereux, à cause que d’ordinaire ils se contentent de promettre de vous faire gagner un procès ou de vous servir en temps et lieu.

Chapitre 10.

Eloges de monsieur de Montauron[61], Mecenas bourgeois, premier de ce nom, recüeillis des epistres dedicatoires des meilleurs esprits de ce temps. Avec quelques regrets poëtiques sur sa decadence.

Chapitre 11.

Paradoxe tres veritable, que les plus riches seigneurs ne sont pas les meilleurs Mecenas. Où il est traitté d’une soudaine paralysie à laquelle les grands sont sujets, qui leur tombe sur les mains quand il est question de donner.

Chapitre 12.

Cinquante ruses et échapatoires des faux Mecenas, pour se garantir des pieges d’un autheur dediant et mendiant.

Chapitre 13.

Recit d’un accident qui arriva à un tres-mediocre autheur à qui la teste tourna, à cause de l’honneur qu’il reçeut de la dedicace d’un livre que luy fit un sçavant illustre.

Chapitre 14.

Indignation de l’autheur contre les dedicaces faites à d’indignes Mecenas. Comme pour s’en venger il prepara une epistre dedicatoire au bourreau pour le premier livre qu’il feroit.

TOME TROISIÈME.
Chapitre 1.

De la remuneration en general qu’on doit faire pour les epistres dedicatoires, et si elle est de droit naturel, de droit des gens ou de droit civil.

Chapitre 2.

Si en telle occasion on doit avoir égard à la qualité de celuy qui dedie ; par exemple, si on doit donner un plus beau present à un autheur riche qu’à un pauvre. Avec plusieurs raisons alleguées de part et d’autre.

Chapitre 3.

Si on doit mettre en consideration les frais faits à la relieure, desseins, estampes, vignettes, lettres capitales, et autres despences faites pour contenir les portraits, chifres, armes et devises du seigneur encensé. Avec une notable observation que toutes ces forfanteries font presumer que le merite du livre, de soy-mesme, n’est pas fort grand.

Chapitre 4.

Pareillement, s’il faut rembourser à part et hors d’œuvre les frais d’un voyage qu’aura fait un autheur pour aller trouver son Mecenas en un pays fort éloigné, et pour luy presenter son livre.

Chapitre 5.

La juste Balance des livres, et si on les doit considerer par le poids ou par le merite, par la grosseur du volume ou par l’excellence de la matiere. Question traittée sous une allegorie dramatique, et l’introduction des personnages de l’Asne laborieux et du fin Renard.

Chapitre 6.

Question incidente (si cæteris paribus) : on doit payer davantage la dedicace des livres in-folio que des in-quarto, et que des in-octavo ou des in-douze. Avec un combat notable de Calepin contre Velleius Paterculus[62].

Chapitre 7.

Autre question : si le mesme livre imprimé in-douze en petit caractere doit estre aussi bien payé que s’il estoit imprimé en gros caractere et en grand volume. Avec l’observation de la difference des enfans corporels et spirituels : car les premiers sont petits en leur naissance, et croissent avec le temps ; et les autres, tout au contraire, d’abort s’impriment en grand, et avec le temps en petit.

Chapitre 8.

Des epistres dedicatoires des reimpressions ou secondes editions ; sçavoir quelle taxe leur est deuë. Plaisant trait d’un Mecenas qui donna pour recompense à un autheur qui luy avoit fait un pareil present un habit vieux et retourné.

Chapitre 9.

De ceux qui font imprimer les anciens autheurs, et en font des dedicaces sous pretexte de les dire corrigez, illustrez, nottez, commentez, apostillez ou rapsodiez. Exemple d’une dedicace de cette nature payée de l’argent d’autruy par un partisan qui fit le lendemain banqueroute.

Chapitre 10.

De ceux qui mettent au jour les anciens manuscrits non encore imprimez ; où il est montré qu’on leur doit au moins le mesme salaire qu’à une sage femme, qui ayde à faire venir les enfans au monde.

Chapitre 11.

Si on doit faire quelque consideration d’un libraire qui dediera l’ouvrage d’autruy ou un livre qu’il aura trouvé sans adveu. Juste paralelle de ces gens avec ceux qui empruntent des enfans, ou qui en vont prendre aux enfans trouvez, pour mieux demander l’aumosne.

Chapitre 12.

Des glaneurs du Parnasse, ou des gens qui font des recüeils de pieces de vers et de prose, et qui les dedient comme des livres de leur façon. Telle maniere d’agir condamnée, comme estant une exaction et levée injuste sur le peuple poëtique. Avec les memoires d’un donneur d’avis pour faire créer des charges de garde-ouvrages, à l’instar des garde-bois ou garde-moissons, pour empescher ces inconveniens.

Chapitre 13.

S’il y a lieu et action de se pourvoir en justice contre un Mecenas pour avoir payement d’une epistre dedicatoire, et si elle se doit payer au dire d’experts. Question décidée par un article de la coutume, au chapitre Des fins de non-recevoir, et parle droit De his quæ sine causa.

Chapitre 14.

Si, au contraire, un Mecenas, ayant payé un livre sans le voir, peut estre relevé pour læsion énorme, en cas que le livre ne vaille rien ou qu’il n’y soit pas assez loüé, et s’il a cette action qu’on appelle, en droit, condictio indebiti.

Chapitre 15.

Si les heritiers ou creanciers d’un autheur deffunt sont, de droit, subrogez en son nom et actions, et s’ils peuvent tirer en justice le mesme émolument de la dedicace de son livre, quand ils le mettent au jour. Examen du titre De actionibus quæ ad heredes transeunt.

Chapitre 16.

Arrest notable rendu au profit d’un pauvre autheur qui avoit fait une epistre dedicatoire sous le nom d’un libraire, moyennant 30 sous, lequel fut reçeu à partager la somme de 150 livres qu’un Allemand avoit donné au libraire pour la dedicace ; avec les plaidoyers des advocats, où sont de belles descriptions de la grande misere de quelques autheurs, et de l’estrange coquinerie de tous les libraires.

Chapitre 17.

Factum d’un procès pendant entre un libraire et un autheur qui travailloit à ses gages et à la journée, sur la question de sçavoir à qui appartiendroit la dedicace du livre, de laquelle il n’avoit point esté fait mention dans leur marché.

Chapitre 18.

Si c’est un stellionnat poëtique (c’est-à-dire vendre plusieurs fois une même chose) de vendre une piece de theatre, premièrement à des comédiens, et puis à un libraire, et puis à un Mecenas. Question decidée en faveur des autheurs, fondez en droit coustumier.

Chapitre 19.

Si un domestique ou commensal d’un Mecenas est obligé de luy dedier ses ouvrages privativement et à l’exclusion de tous autres, et si le Mecenas luy doit pour cela une recompense particulière, ou si le logement et la nourriture luy en doivent tenir lieu. Le droit des esclaves est ici traitté, qui veut qu’ils ne puissent rien acquérir que pour leur maistre. Où il est monstré que les esclaves de la fortune sont encore moins favorables que les esclaves pris en guerre.

Chapitre 20.

D’un moyen facile et general qu’ont trouvé les Mecenas de soudre toutes les difficultez cy-dessus, en ne donnant rien. Description, à ce propos, de l’avarice, et du déménagement qu’elle a fait en nos jours ; où on voit qu’elle habite dans les hôtels et dans les palais, au lieu qu’elle estoit cy-devant logée dans les colleges et dans les gargoteries.

TOME QUATRIESME.
Chapitre 1.

Des eloges en general, avec leur distinction, nature et qualitez.

Chapitre 2.

Que les éloges immoderez sont de l’essence des epîtres dedicatoires. Avec la preuve experimentale que l’encens qui enteste le plus est celuy qui est trouvé le meilleur, contre l’opinion des médecins et droguistes.

Chapitre 3.

Si le Mecenas doit payer la dedicace du livre à proportion de l’encens qu’on luy donne dans l’epistre. Avec l’invention de faire le trebuchet pour le pezer.

Chapitre 4.

Si l’encens qu’on donne au Mecenas dans le reste du livre, où on trouve bonne ou mauvaise occasion de parler de lui, ne doit pas faire doubler ou tripler la dose du present qu’il avoit destiné pour la seule epître.

Chapitre 5.

Si les autres personnes dont on fait une honorable mention dans le livre, par occasion, doivent un present particulier à l’autheur, chacune pour sa part et portion des éloges qu’on luy donne.

Chapitre 6.

Du titre ou carat de la louange. Où il est monstré que pour estre de bon alloy, et en avoir bon debit, elle doit estre de 24 carats, c’est-à-dire portée dans le dernier excès.

Chapitre 7.

Si un autheur qui aura donné à son Mecenas la divinité ou l’immortalité doit estre deux fois mieux payé que celuy qui l’aura seulement appelle demy dieu, ange ou héros. Exemples de plusieurs apotheoses qui ont esté plus heureuses pour l’agent que pour le patient.

Chapitre 8.

Paradoxe tres veritable, que la louange la plus mediocre est la meilleure, contre l’opinion du siecle et des grands. Avec une table des degrez de consanguinité de la flaterie et de la berne, où on void qu’elles sont au degré de cousins issus de germain.

Chapitre 9.

De la louange qui est notoirement fausse, avec la preuve qu’elle doit estre payée et recompensée au double, par deux raisons : la première, parce qu’il faut recompenser l’autheur du tort qu’il se fait en mentant avec impudence ; la seconde, parce que le Mecenas seroit le premier à en confirmer la fausseté, si par un ample payement il n’en faisoit l’approbation.

Chapitre 10.

Si les femmes, qu’on flatte souvent pour rien, et qui croyent que toutes les louanges leur sont deuës de droit, doivent payer, autant que les hommes, les eloges que leur donnent les auteurs dans leurs livres ou dans leurs epistres dedicatoires.

Chapitre 11.

Si l’on doit un plus grand present pour les eloges couchez dans les histoires que dans les poësies ou romans.

Chapitre 12.

Divers avantages qu’ont les historiens sur les poëtes et romanciers, et des belles occasions qu’ont ceux-là d’obliger plusieurs personnes. Sçavoir si la licence qu’ont ceux-cy de mentir et d’hyperboliser les peut égaler aux autres.

Chapitre 13.

Si les historiens se doivent contenter des pensions que leur donnent les rois ou les ministres, ou s’ils peuvent honnêtement dedier leurs livres à d’autres, et en recevoir des presens pour avoir bien parlé d’eux.

Chapitre 14.

Quels gages ou pensions on doit à un autheur qui a écrit l’histoire ou la genealogie d’une famille. Du nombre prodigieux de personnes que tels escrivains ont annobly, et que c’est tres-proprement qu’on peut appeller cela noblesse de lettres.

Chapitre 15.

S’il est permis à un autheur qui n’a rien reçeu d’une dedicace de la changer, et de dedier le mesme livre à un autre. Où la question est decidée en faveur de l’affirmative, suivant la regle du droit qui permet de revoquer une donation par ingratitude.

Chapitre 16.

Question notable : supposé qu’un Mecenas vint à estre degradé, pendu, ou executé pour quelque crime, s’il faudroit supprimer ou changer l’epistre dedicatoire, ou bien continuer toûjours le debit du livre.

Chapitre 17.

En une seconde impression du mesme livre, quid juris ?

Chapitre 18.

Apologie des docteurs italiens, qui n’exemptent pas de crime ceux qui escroquent les personnes qui se sacrifient à leurs plaisirs. Où il est monstré, par identité de raison, que les Mecenas qui excroquent les pauvres autheurs qui ont prostitué leur nom et leur plume pour leur reputation commettent un crime qui crie vengeance à Dieu, comme celui de retenir le salaire des serviteurs et pauvres mercenaires.

Chapitre 19.

Extrait d’un procès de reglement de juges intenté par un autheur contre un Mecenas pour le payement de quelques eloges qu’il luy avoit vendus, avec l’arrest du conseil donné en conséquence, qui a renvoyé les parties pardevant les juges consuls, attendu qu’il s’agissoit de fait de marchandise.

Chapitre 20.

Si le relieur qui a fourny le maroquin pour couvrir le livre dedié, ou le marchand qui a vendu le satin pour imprimer la these, ont une action réelle ou personnelle, et s’il suffiroit à l’autheur de faire cession et transport du present futur du Mecenas jusqu’à la concurrence de la debte. Contrarieté des decisions sur ce sujet de la cour du Parnasse et du siege du Chastelet.

Chapitre 21.

Fin ménage d’un autheur, qui presenta à son Mecenas un livre couvert simplement de papier bleu[63], disant que c’estoit ainsi qu’on habilloit les pauvres orphelins et les enfans de l’hospital, témoin ceux du Saint-Esprit et de la Trinité.

Chapitre 22.

De la loy du talion, et si elle est reçeue chez les autheurs. Par exemple, si, avec des complimens, on peut payer les eloges que donne un autheur dans sa dedicace.

Chapitre 23.

Examen de l’exemple d’Auguste, cité sur ce sujet, qui donna à un poëte des vers pour des vers. Preuve qu’il ne doit point estre tiré en conséquence.

Chapitre 24.

Si le Mecenas qui fait valloir la piece de l’autheur, ou qui met son livre en credit par des recommandations ou applaudissemens publics, s’acquite d’autant envers luy de la recompense qu’il luy doit donner. Raisons de douter et de decider.

Chapitre 25.

Conseils utiles à un autheur pour faire reüssir une dedicace. De la necessité qu’il y a d’importuner les Mecenas pour arracher quelque chose d’eux.

Chapitre 26.

Autre conseil tres important de faire de grandes civilitez et des presens de ses livres à tous les valets du Mecenas, afin qu’ils fassent commemoration de l’autheur en son absence, et qu’ils fassent valloir le livre auprès de leur maistre.

Chapitre 27.

Digression pour parler de la nature des mules aux talons, à l’occasion de ce que les autheurs sont sujets à les gagner, en attendant l’heure favorable pour presenter leurs livres à leurs Mecenas.

Chapitre 28.

Maxime verifiée par experience et par induction, que tous les autheurs qui ont fait fortune aupres des grands ne l’ont point faite en vertu de leur merite, mais pour leur avoir esté utiles en quelques autres affaires, ou par l’intrigue ou recommandation de quelqu’un.

Chapitre 29.

Conclusion de tout ce discours, auquel est adjoustée une table dressée à l’instar de celle de la liquidation d’interests, contenant la juste prisée et estimation qu’on doit faire des differens eloges. Ensemble le prix des places d’illustres et demy illustres qui sont à vendre dans tous les ouvrages de vers ou de prose, suivant la taxe qui en a esté cy-devant faite.

Vrayment (dit Charroselles), en attendant que je voye tout cet ouvrage, dont j’ay une grande curiosité, monstrez-nous au moins ce dernier chapitre, ou plustost cette table si nécessaire à tous les autheurs. Je le veux bien (dit Volaterran), mais je ne sçaurois vous satisfaire tout à fait : car, comme elle est dans le dernier feuillet du livre, la pourriture ou les rats en ont mangé toute la marge où les sommes sont tirées en ligne. Hé bien ! nous nous contenterons de voir seulement les articles (dit Charroselles). Le greffier s’y accorda, et leut ainsi :

ESTAT ET ROLE DES SOMMES

Auxquelles ont esté moderement taxées, dans le conseil
poétique, les places d’illustres et demy-ilustres,
dont la vente a esté ordonnée pour faire
un fonds pour la subsistance des
pauvres autheurs.

Pour un principal heros d’un roman de dix volumes
000. liv. parisis.
Pour une heroïne et maistresse du heros
00. l. par.
Pour une place de son premier escuyer ou confident
0. ....sis.
Pour une place de demoiselle suivante et confidente.
3... par...
Pour ceux de 5 volumes et au dessous, ils seront taxez à proportion.
Pour un rival malheureux et qui est prince ou heros
Pour le heros d’un episode ou histoire incidente
Pour la commemoration d’une autre personne faite par occasion
Pour un portrait ou caractère d’un personnage introduit
20 l. tournois.
Nota que, selon qu’on y met de beauté, de valeur et d’esprit, il faut augmenter la taxe.
Pour la description d’une maison de campagne qu’on deguise en palais enchanté, pour la façon seulement sera payé
Pour l’anagramme du nom du personnage dépeint, quarante sous.
Pour le fard dont on l’aura embelly : à discretion.
Pour faire qu’un amant ait avantage sur son rival et qu’il soit heureux dans les combats et intrigues. Idem.

Le juste prix de toute sorte de vers.

Pour un poëme epique en vers alexandrins
2000 l.
Nota que cela s’entend de pension par chacun an, tant que durera la composition, pourveu que ce soit sans fraude.
Pour les personnages introduits dans ces poëmes, la taxe s’en fait au double de celle qui est faite pour pareilles places de prose.
Pour les odes heroïques de dix ou douze vers chacune strophe
100 s.
Pour les autres de sixains ou quatrains
Pour un sonnet simple
trois l.
Pour un sonnet de bouts rimez, deux sous six deniers.
Pour un sonnet acrostiche
24 s. p.
Pour un madrigal tendre et bien conditionné
30 s.
Pour une elegie
Pour une chanson
Pour un rondeau
Pour un triollet

Il y a apparence qu’il y en avoit encore quantité d’autres ; mais non seulement le chiffre a esté mangé, mais encore le texte de l’article, dont il ne reste plus qu’une assez grande liste de pour, que vous pouvez voir.

Vrayment, c’est dommage (dit Charroselles), je voudrois qu’il m’eust cousté beaucoup, et en avoir l’original sain et entier : je le donnerois à Cramoisy, imprimeur du roy pour les monnoyes, qui seroit bien aise de l’imprimer. Mais pour ne vous pas importuner davantage, je vous prie, monsieur le greffier, et vous, monsieur le prévost (que je devois nommer premièrement), de me prester ces manuscrits pour les lire en particulier ; je vous en donneray mon recepissé, et je vous les rendray dans deux fois vingt-quatre heures.

Je m’en donneray bien de garde que je ne sois payé de mes vacations (reprit brusquement Belastre). Et moy de ma grosse (adjousta Volaterran). Et tous deux en mesme temps dirent que, s’il vouloit lever le procès verbal et payer les frais du scellé, qu’ils luy donneroient tout ce qu’il voudroit. Vous devez mesme remercier mademoiselle que voila (dit Belastre, en monstrant Collantine), de ce que je vous en ay tant fait voir ; c’est une prévarication que j’ay faite en ma charge, et à laquelle les juges de ma sorte ne sont gueres sujets. Charroselles dit alors qu’il ne vouloit point payer si cher une si légere curiosité, et qu’il auroit patience que ces livres fussent imprimez. Si est-ce pourtant (dit Collantine à Belastre), puisque vous en avez tant fait, qu’il faut que vous me monstriez encore une piece dont vous avez parlé dans ce dernier livre que vous avez leu, en certain endroit où j’avois bien envie de vous interrompre, et où il est parlé du boureau : car, comme c’est un officier de justice, et que je les respecte tous, je seray bien aise de sçavoir ce qu’on dit de luy. Fort volontiers (reprit Belastre) : j’avois la mesme curiosité, et je n’aurois pas manqué de la satisfaire si-tost que j’aurois esté chez moy ; mais puisqu’il est ainsi, nous la verrons tout à cette heure. Aussi-tost il commanda au greffier de chercher dans le corps du livre cette piece, dont il avoit veu le titre dans la table des chapitres. Le greffier obeït, la trouva, et la leut en cette sorte :

ÉPISTRE DEDICATOIRE

Du premier livre que je feray[64].

À tres haut et tres redouté seigneur Jean Guillaume, dit S. Aubin,
maistre des hautes œuvres de la ville, prevosté
et vicomté de Paris.

Guillaume,

Voicy asseurément la première fois qu’on vous dedie des livres ; et un present de cette nature est si rare pour vous que sans doute sa nouveauté vous suprendra. Vous croirez peut-estre que je brigue vos faveurs, comme tous les autheurs font d’ordinaire quand ils dedient. Cependant il n’en est rien ; je ne vous ay point d’obligation et ne veux point vous en avoir. Voicy la premiere epistre dedicatoire qui a esté faite sans interest, et qui sera d’autant plus estimable que je n’y mettray point de sentimens deguisez ni corrompus. Il y a long-temps que je suis las de voir les autheurs encenser des personnes qui ne le meritent peut-estre pas tant que vous. Ils sont leurrez par l’espoir d’obtenir des pensions et des recompenses qui ne leur arrivent presque jamais ; ils n’obtiennent pas mesme les graces qu’on ne leur peut refuser avec justice, et j’ay veu encore depuis peu un homme de merite acheter cherement une place pour servir un faux Mecenas, qui en avoit esté exclus par la brigue d’un goinfre et d’un hableur qui avoit gagné ses valets. Depuis que j’ay veu louer tant de faquins qui ont des équipages de grands seigneurs, et tant de grands seigneurs qui ont des ames de faquins, il m’a pris envie de vous louer aussi, et certes ce ne sera pas sans y estre aussi bien fondé que tous ces flatteurs. Combien y a-t-il de ces gens qu’on vante si hautement, qu’il faudroit mettre entre vos mains afin de leur apprendre à vivre ? Ils ne font pas si bien leur mestier comme vous sçavez faire le vostre : car il n’y a personne qui execute plus ponctuellement les ordres de la justice, dont vous estes le principal arcboutant. Ce n’est pas pourtant que je veuille establir un paradoxe, ny faire comme Isocrate et les autres orateurs qui ont loué Busire, Helene et la fièvre quarte. Je trouve qu’on vous peut louer en conscience, quand il n’y auroit autre raison sinon que c’est vous qui monstrez à beaucoup de gens le chemin de salut, et à qui vous ouvrez la porte du ciel, suivant le proverbe qui dit que de ces pendus il n’y en a pas un perdu. Quant à la noblesse de votre employ, n’y a-t-il pas quelque part en Asie ou en Afrique un roy qui tient à gloire de pendre lui-mesme ses sujets, et qui est si persuadé que c’est un des plus beaux appennages de sa couronne, qu’il puniroit comme un attentat celuy qui luy voudroit ravir cet honneur ? Lorsque les saints pères ont appelé Attila, Saladin et tant d’autres roys les bouchers de la justice divine, ne vous ont-ils pas donné d’illustres confrères ? Vostre equipage mesme se sent de votre dignité ; et quand vous estes dans la fonction de vostre magistrature vous ne marchez jamais sans gardes et sans un cortege fort nombreux. Il y a une infinité d’officiers qui ne travaillent que pour vous et qui ne taschent qu’à vous donner de l’employ. Que plust à Dieu qu’ils vous fussent fideles ! Vous seriez trop riche si vous teniez dans vos filets tous ceux qui sont de vostre gibier. Cependant ils ont beau frauder vos droits, vos richesses sont encore assez considerables. Il n’y a point de revenus plus asseurez que les vostres, puisque leur fonds est asseuré sur la malice des hommes, qui croist de jour en jour et qui s’augmente à l’infini. Il faut pourtant que vous ne soyez pas sans moderation, puisque vous avez le moyen de faire votre fortune aussi grande que vous voudrez : car on dit quand un homme fait bien ses affaires qu’il a sur luy de la corde de pendu, et certes il n’y a personne qui en puisse avoir plus que vous. Aussi vostre merite a tellement esté reconnu, qu’on s’est détrompé depuis peu du scrupule qu’on avoit de vous frequenter. Au lieu de vous fuir comme un pestiferé, on a veu beaucoup de gens de naissance ne faire point de difficulté d’aller boire avec vous, parce que vous aviez de bon vin. De sorte qu’il ne faut pas qu’on s’étonne qu’insensiblement vous vous trouviez parmi les heros et les Mecenas. Comme on a poussé si loin l’hyperbole et la flatterie, j’ai souvent admiré qu’apres avoir placé au rang des demy-dieux tant de voleurs et de coquins, on ne vous ait pas mis de leur nombre : car je sçay que vous estes leur grand camarade, et je vous ay veu bien des fois leur donner de belles accolades. Il est vray que vous leur donniez incontinent apres un tour de vostre mestier ; mais combien y a-t-il de courtisans qui vous imitent, et qui en mesme temps qu’ils baisent un homme et qu’ils l’embrassent, le trahissent et le précipitent ? Si on vous reproche que vous dépouillez les gens, vous attendez du moins qu’ils soient morts ; mais combien y a-t-il de juges, de chicaneurs et de maltotiers qui les sucent jusques aux os et qui les écorchent tout vifs ? Enfin, tout conté et tout rabattu, je trouve que vous meritez une epistre dedicatoire aussi bien que beaucoup d’autres. Je craindrois pourtant qu’on ne crust pas que c’en fust une, si je ne vous demandois quelque chose. Je vous prie donc de ne pas refuser vostre amitié à plusieurs pauvres autheurs qui ont besoin de vostre secours charitable : car l’injustice du siècle est si grande que beaucoup d’illustres, abandonnez de leurs Mecenas, languissent de faim, et, ne pouvant supporter leur mépris et la pauvreté, ils sont reduits au desespoir. Or, comme ils n’ont pas un courage d’Iscariot pour se pendre eux-mesmes, si vous en vouliez prendre la peine, vous les soulageriez de beaucoup de chagrin et de miseres. J’aurois fini en cet endroit, si je ne m’estois souvenu qu’il falloit encore adjouter une chose qui accompagne d’ordinaire les eloges que donnent à la haste les faiseurs de dedicace : c’est la promesse d’ecrire amplement la vie ou l’histoire de leur heros. J’espere m’acquitter quelque jour de ce devoir, dans le dessein que j’ai de faire des commentaires sur l’Histoire des larrons : car ce sera un lieu propre pour faire de vous une ample commemoration, et pour celebrer vos prouesses et vos actions plus memorables. En attendant, croyez que je suis, autant que votre merite et vostre condition me peuvent permettre,

Guillaume,
Vostre, etc.

Volaterran n’eut pas si-tost achevé cette lecture, que, de crainte qu’on ne luy en demandast encore une autre, il se leva brusquement, remit à la haste ses papiers dans son sac, et, en disant : Vrayment, je ne gagne pas ici ma vie, il s’en alla sans faire aucun compliment pour dire adieu. Mais cet empressement avec lequel il reserra ces papiers fut cause que deux glisserent le long du sac, sans qu’il s’en aperçeust, dont l’un fut ramassé par Charroselles, et l’autre par Collantine. Celle-cy ouvrit vistement le sien, et trouva que c’étoit un escriteau en grand volume, et en gros caractere, comme ceux qu’on achete à S. Innocent pour les maisons à loüer, où il y avoit écrit :

CEANS ON VEND DE LA GLOIRE À JUSTE PRIX, ET SI
ON EN VA PORTER EN VILLE.

La nouveauté de cet escriteau les surprit tous, car on n’en avoit point encore veu de tels affichez dans Paris, quand Belastre leur dit, prenant la parole : J’en ay esté surpris le premier, en ayant trouvé une assez grosse liasse lorsque j’ay fait cet inventaire. Ce qui m’a donné sujet d’interroger là dessus Georges Soulas, pour sçavoir ce que le deffunt en vouloit faire. Il m’a répondu que ce pauvre homme, pressé de la necessite, et ne trouvant plus si bon débit de sa marchandise, pretendoit mettre cet escriteau à sa porte, et qu’il ne doutoit point qu’il n’y eust beaucoup d’autres autheurs qui, à son imitation, ouvriroient des boutiques de gloire. Je crois (dit Collantine) qu’elles viendroient aussi-tost à la mode que celles des limonadiers[65], qui sont si communes aujourd’huy, et dont le mestier il n’y a gueres estoit tout à fait inconnu.

Vrayment, monsieur le prevost (dit alors Charroselles), vous avez interest que ce nouveau mestier s’établisse en vostre justice ; mais il le faudra aussi-tost unir et incorporer avec les vendeurs de tabac[66], parce qu’ils ont cela de commun, qu’ils vendent tous deux de la fumée. Oüy dea (dit Belastre), je le pourray bien faire, mais je leur promets d’aller souvent en police chez eux, car on dit que c’est une marchandise fort sophistiquée. Collantine, prenant à son tour la parolle, et l’addressant à Charroselles : Vous ne me montrez point (dit-elle) le papier que vous avez ramassé ; il y a long-temps que vous le considerez ; n’est-ce point quelque obligation ou lettre de change ? Je crois (dit Charroselles, apres l’avoir encore quelque temps examiné) que vous avez touché au but. C’est en effet une lettre de change de reputation, tirée par Mythophilacte sur un academicien humoriste de Florence ; car il luy envoye un ouvrage d’un de ses amis, et il le prie, à piece veuë, de luy vouloir payer douze vers d’approbation pour valeur reçeuë, luy promettant de luy en tenir compte, et de le payer en mesme monnoye. Cette monnoye (reprit Collantine) ne se trouve point dans aucun edit ou tariffe qui ait esté publié, de sorte que, si on la portoit au marché, on mourroit bien de faim aupres. Il est vray (repliqua Charroselles) qu’elle est aujourd’huy fort decriée, avec toutes les especes legeres qu’on a ordonné de porter au billon, car il n’y a rien de plus leger que de la fumée. Il alloit là-dessus donner carriere à son esprit, et dire force méchantes pointes, estant fort grand ennemy des donneurs de loüanges ; mais il en fut empesché par Belastre, qui, ayant esté adverty par son greffier qu’il y avoit quelques interrogatoires fort pressez qu’il devoit faire en sa justice, fut obligé de quitter la partie, et de s’en aller, non sans un grand regret d’avoir esté interrompu par Volaterran, en voulant plaider son procès devant Charroselles.

Il se consola par l’esperance qu’il eut d’en trouver une autrefois l’occasion, ce qui ne luy fut pas mal-aisé, car, en continuant ses visites, il y trouva plusieurs fois aussi Charroselles, qui pour ce jour-là n’y resta gueres plus long-temps que luy. Mais je serois fort ennuyeux si je voulois décrire par le menu toutes les avantures de ces amours (c’est ainsi que je les appelle à regret, chacun les pourra nommer comme il luy plaira), car elles durerent assez long-temps, et continuerent tousjours de mesme force. Il y eut sans cesse querelles, differens et contestations, au lieu des fleurettes et des complimens qui se debitent en semblables entretiens. La seule complaisance qu’eut Charroselles pour Collantine, ce fut de luy laisser deduire tous les procès qu’elle voulut, à la charge d’entendre lire de ses ouvrages par apres en pareille quantité. Et certes, il luy rendit bien son change, ne luy ayant pas esté à son tour moins importun. Je m’abstiendray de reciter les uns et les autres, et je croy, Dieu me pardonne, que je serois plustost souffert en recitant au long ces procès, qu’en faisant lire ces ouvrages maudits, qui sont condamnez à une prison perpetuelle.

Jugez donc du reste de l’histoire de ces trois personnages par l’échantillon que j’en ay donné ; et sans vous tenir d’avantage en suspens, voicy quelle en fut la conclusion :

À l’égard de Belastre, son procès le mina si bien avec le temps, ayant affaire à une partie qui sçavoit mieux son mestier que luy, que non seulement il se vid entierement ruiné (ce qui n’eut pas esté grand chose, car il l’estoit desja devant que d’arriver à Paris), mais mesme interdit et depossedé de sa charge, qui estoit le seul fondement de sa subsistance. Ses amys, qui prevoyoient bien cette cheute, voulurent, avant qu’elle feust arrivée, tenter les voyes d’accommodement avec Collantine, qui le pressoit le plus. Ils luy monstrerent si bien qu’il n’avoit plus que ce moyen de se maintenir, qu’ils le firent resoudre à luy faire faire des propositions de l’épouser, malgré le peu de bien qu’elle avoit. Mais l’esprit de Collantine estoit bâty de telle sorte, que cette esperance d’accommodement, qui la devoit porter à faire faire ce mariage, fut ce qui l’en empescha. Car, comme elle vint à considerer que, si-tost qu’elle seroit mariée à Belastre, il luy falloit quitter les pretentions qu’elle avoit contre luy, elle ne s’y put jamais resoudre, ni abandonner lâchement ce procès, qui estoit son plus grand favory, à cause qu’il estoit le plus gros. Cette seule pensée de paix qu’avoit euë Belastre fut cause qu’il eut tout à fait son congé ; depuis elle n’a point quitté prise, elle l’a poursuivy jusqu’à son entiere défaite.

À l’égard de Charroselles, il n’en alloit pas de mesme : ils n’avoient plus de procès ensemble qui fust pendant en justice, et qui pust estre assoupi par un mariage, de sorte qu’il n’avoit pas une pareille exclusion. Car tous les differens qu’ils avoient ensemble, c’estoient de ces contestations qui leur arrivoient tous les jours par leur opiniastreté et par leur mauvaise humeur ; et tant s’en faut que le mariage les appaise, qu’au contraire il les multiplie merveilleusement. Je ne sçay pas ce qui le put porter à songer au mariage, luy qui avoit tant pesté contre ce sacrement, aussi bien que contre toutes les bonnes choses, et sur tout avec une personne qui n’avoit ny bien, ny esprit, ny aucune qualité sociable. Il faut qu’il l’ait voulu faire par dépit, et en hayne de luy-mesme, pour montrer qu’il faisoit toutes choses au rebours des autres hommes, ou plustost que ç’ait esté par un secret arrest de la providence, qui ait voulu unir des personnes si peu sociables, pour se servir de supplice l’une à l’autre.

Quoy qu’il en soit, le mariage fut proposé et conclud ; mais, hélas ! qu’il y eut auparavant de contestations ! Jamais traité de paix entre princes ennemis n’a eu des articles plus debattus ; jamais alliance de couronnes n’a esté plus scrupuleusement examinée. Collantine voulut excepter nommément de la communauté de biens, qu’on a coustume de stipuler dans un tel contract, qu’elle solliciteroit ses procès à part ; qu’à cette fin son mary lui donneroit une generale authorisation, et qu’elle se reservoit ses executoires de dépens, dommages et interest liquidez et à liquider, et autres émolumens de procès, qu’elle pourroit faire valoir comme un pecule particulier. Il fut aussi consenty qu’elle feroit divorce et lict à part toutes fois et quantes ; et la clause portoit que, sans cette condition expresse, le mariage n’eust point esté fait ni accomply. Mais ce qu’il y eut de plaisant, c’est que les autres personnes, quand elles font des contracts, taschent d’y mettre des termes clairs et intelligibles, et toutes les clauses qu’elles peuvent s’imaginer pour s’exempter de proces ; mais Collantine, tout au contraire, taschoit de faire remplir le sien de termes obscurs et équivoques, mesme d’y mettre des clauses contradictoires, pour avoir l’occasion, et en suite le plaisir, de playder tout son saoul.

Encore qu’ils eussent signé enfin ce contract, ils n’estoient pas pour cela d’accord ; leur contrarieté parut encore à l’eglise et devant le prestre : car ils estoient si accoustumez à se contredire que, quand l’un disoit ouy, l’autre disoit non, ce qui dura si long-temps qu’on estoit sur le point de les renvoyer, lors que, comme des joüeurs à la mourre, qui ne s’accordent que par hazard, ils dirent tous deux ouy en mesme temps, chacun dans la pensée que son compagnon diroit le contraire. Cet heureux moment fut ménagé par le Prêtre, qui à l’instant les conjoignit, et ça esté presque le seul où ils ayent paru d’accord.

Cette ceremonie faite, on fit celle des nopces, où il y eut quelques avantures qui tinrent de celle des Centaures et des Lapites, et le mauvais augure s’estendit si loin, que les violons mesmes n’y peurent jamais accorder leurs instrumens. Les nopces estoient à peine achevées, que Collantine et Charroselles eurent un proces, qu’on peut dire en vérité estre fondé sur la pointe d’une aiguille ; car le lendemain, en s’habillant, elle avoit mis sur sa toilette une aiguille de teste qui estoit d’or avec un petit rubis fin, dont elle se servoit pour accommoder ses cheveux. Charroselles (en badinant) s’en voulut curer une dent creuse ; mais comme il avoit la dent maligne, l’aiguille se rompit dès qu’elle y eut touché. Aussi-tost Collantine vomit contre luy plusieurs injures et reproches, entre lesquels elle n’oublia pas de luy reprocher le defaut dont sa dent estoit accusée. Charroselles, qui vouloit faire durer sa complaisance vingt-quatre heures du moins (c’estoit pour luy un grand effort), offrit de luy en apporter une autre plus belle, et il luy dit mesme qu’il luy en feroit donner une en present par quelque libraire, à qui il donneroit plustost à imprimer un de ses livres sans autre recompense. Vrayement, c’est mon (dit Collantine), vous me renvoyez là à de belles gens ; vous n’en avez jamais sçeu rien tirer, et puis, quand vous m’en donneriez cent, je ne serois pas satisfaite : je veux celle-là, et non point une autre ; j’en fais état à cause qu’elle vient de ma grand’mère, qui me l’a donnée à la charge de la garder pour l’amour d’elle. L’affection que j’ay pour ce bijou me fait souffrir des dommages et interests qui ne peuvent pas tomber en estimation. Et en mesme temps elle recommença à luy dire que c’estoit un mauvais ménager, qu’il la vouloit ruïner, qu’il lui avoit osté le plus pretieux joyau qu’elle avoit ; toutes lesquelles parolles ne s’en estant pas allées sans repliques et dupliques, la querelle s’échauffa si fort, que cela aboutit à dire qu’elle se vouloit separer. Et aussi-tost elle luy fit donner un exploit en separation de corps et de biens, que quelques-uns asseurent qu’elle avoit fait dresser tout prest dès le jour de ses fiançailles. Si je voulois raconter, mesme succinctement, tous les proces et les broüilleries qui sont survenuës entre eux depuis, je serois obligé d’écrire plus de dix volumes, et je passerois ainsi la borne que nos escrivains modernes ont prescrite aux romans les plus boursoufflez. Mais encore, lecteur, avant que de finir, je serois bien aise de vous faire deviner quel fut le succes de ces plaidoyries, et qui fut le plus opiniastre de Collantine ou de Charroselles. J’ayme mieux pourtant vous tirer de peine, car je vois bien que vous n’en viendriez jamais à bout ; mais auparavant, il faut que je vous fasse un petit conte :

Dans le pays des fées, il y avoit deux animaux privilegiez : l’un estoit un chien fée, qui avoit obtenu le don qu’il attrappoit toutes les bestes sur lesquelles on le lâcheroit ; l’autre estoit un lièvre fée, qui de son costé avoit eu le don de n’estre jamais pris par quelque chien qui le poursuivist. Le hazard voulut qu’un jour le chien fée fut lasché sur le lièvre fée. On demanda là-dessus quel seroit le don qui prevaudroit, si le chien prendroit le lièvre, ou si le lièvre échapperoit du chien, comme il estoit écrit dans la destinée de chacun. La resolution de cette difficulté est qu’ils courent encore. Il en est de mesme des proces de Collantine et de Charroselles : ils ont tousjours plaidé et plaident encore, et plaideront tant qu’il plaira à Dieu de les laisser vivre.

FIN.

  1. Les clefs, notamment celle de l’édit. de Nancy (1713, in-12), page 193, nous disent que Charroselles n’est autre que Charles Sorel, auteur de la Science universelle, du Berger extravagant, de la Bibliothèque françoise, de Francion, etc., et il est en effet facile de voir que le nom de l’un est l’anagramme de celui de l’autre. Toutefois, faute d’autres preuves, on doutoit encore que l’intention de Furetière eût été de peindre aussi au vif et presque en le nommant un homme qui vivoit encore lors de la première édition du Roman bourgeois. Sorel ne mourut qu’en 1674. Un passage d’une lettre de Gui Patin (25 novembre 1653) est venu détruire ce doute pour nous. En comparant ce qu’il y est dit de Ch. Sorel avec le portrait détaillé que Furetière fait de Charroselles, nous avons acquis la preuve qu’il y a entre les deux identité complète. Nous le ferons voir, du reste, en citant, au fur et à mesure que les détails du portrait dessiné par Furetière se présenteront, les phrases de Gui Patin qui correspondent et établissent la ressemblance. — Une chose reste à connoître après cela, c’est le motif de la haine qui envenime cette satire. Furetière ne l’avoit pas toujours éprouvée contre Sorel, et celui-ci, de son côté, ne semble s’être jamais montré hostile à l’auteur du Roman bourgeois. En 1658, ayant à parler de Sorel dans sa Nouvelle allégorique, etc., p. 38, Furetière s’étoit exprimé sur lui en bons termes. À l’entendre alors, c’étoit un auteur « d’excellents livres satiriques et comiques », qui, s’étant acquis grand crédit dans l’empire des Ironies, « s’étoit rendu formidable même aux quarante barons ». Sorel, sensible à cette mention flatteuse, avoit rendu la pareille à Furetière dans sa Bibliothèque françoise, p. 172. Il avoit dit de cette Nouvelle allégorique, etc., qu’il appelle Relation des guerres de l’éloquence, « qu’elle contient une fort agréable description des différends de divers auteurs du siècle, etc. ». Il y avoit donc, on le voit, entre Furetière et Sorel, échange de bons rapports et même d’éloges. L’attaque contenue dans le Roman bourgeois n’en dut être que plus inattendue. Elle le fut pour tout le monde, sans doute, et certainement pour Sorel tout le premier. Il s’y attendoit si peu, que, travaillant à la 2e édition de sa Bibliothèque françoise au moment où la mise en vente du Roman bourgeois étoit annoncée, il ne voulut pas perdre l’occasion d’en dire du bien préventivement, et de se faire ainsi l’écho des éloges qu’en débitoient d’avance les confidents de l’auteur. « Voilà, écrivoit-il, page 199, voilà qu’on nous donne un livre appelé le Roman bourgeois, dont il y a déjà quelque temps qu’on a ouy parler, et qui doit estre fort divertissant, selon l’opinion de diverses personnes. Comme on croit que cest ouvrage a toutes les bonnes qualités des livres comiques et des burlesques tout ensemble, quand on l’aura veu, on le mettra avec ceux de son genre, selon le rang que son mérite luy pourra apporter. » — Le Roman bourgeois, qui est de la fin de 1666, parut avant cette seconde édition de la Bibliothèque françoise, qui ne porte que la date de 1667. Sorel fut ainsi à même de juger ce qu’étoit le livre dont il avoit fait l’éloge sur parole ; il put surtout se reconnoître dans Charroselles, et il ne tint qu’à lui de se venger aussitôt du portrait anagrammatique en substituant quelques phrases amères à celles qu’il avoit d’abord écrites. Il avoit trop pritd’esprit pour cela. Il ne changea rien à sa première rédaction ; il continua de déclarer qu’il n’avoit pas encore lu. Comment prouver mieux qu’il ne s’étoit pas reconnu ?
  2. C’étoit, en effet, un des foibles de Ch. Sorel. Ainsi, comme le constate Niceron, il prit successivement les noms de de Souvigny et de de l’Isle. Il signa même de ce dernier l’un de ses ouvrages, Des Talismans, ou figures peintes sous certaines constellations, Paris, 1636, in-8. On s’en moquoit dans le monde, et surtout dans la société des auteurs, dont Furetière faisoit alors partie, avec Boileau, Racine, La Fontaine et Molière. Il seroit même probable que celui-ci pensoit à Ch. Sorel et à son dernier pseudonyme nobiliaire quand il écrivit dans l’École des femmes (acte 1er, sc. 1re) :

    Je sais un paysan qu’on appeloit Gros-Pierre,
    Qui, n’ayant pour tout bien qu’un seul quartier de terre,
    Y fit tout à l’entour faire un fossé bourbeux,
    Et de monsieur de l’Isle en prit le nom pompeux.

    La Monnoye, et d’après lui Niceron, sont en cela de notre avis, contre l’opinion de l’abbé d’Aubignac, qui pensoit, chose inadmissible, que Molière s’étoit ici moqué de son ami Thomas Corneille. V. Niceron, Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, t. 31, p. 391.

  3. Elles passoient pour l’être en effet : « Dans le monde, dit M. Meyer, Commentaire sur les lettres persanes, p. 122, il étoit notoire qu’on dérogeoit au titre de noble en se faisant poète ou homme de lettres. » On peut consulter à ce sujet les Trois traites de la noblesse, de Thierriat (1606), au chapitre de la Dérogeance, et lire un curieux article inséré sous ce titre : Sur un ancien préjugé, dans les Saisons du Parnasse (printemps 1806), p. 218-220.
  4. De même pour Charles Sorel : « Il est fils, dit Gui Patin, d’un procureur en parlement » ; puis il ajoute en vrai médecin : « sa mère est morte hydropique, et son père d’une fièvre quarte, qui est la plupart du temps fatale aux vieillards. »
  5. Pour tout ce qui suit, jusqu’à la description de la taille rondelette et courte de Charroselles, il faut encore lire Gui Patin, qui, en une phrase, fait le même portrait pour Charles Sorel : « C’est, dit-il, un petit homme grasset, avec un grand nez aigu, qui regarde de près. »
  6. « Ce M. Sorel a fait beaucoup de livres françois, et, entre autres, Francion, le Berger extravagant, l’Ophir de Chrysanthe, l’Histoire de France, et une Philosophie universelle. » (Gui Patin.)
  7. C’est ainsi qu’on désignoit le quartier des libraires groupés au haut du mont Saint-Hilaire, à l’embranchement des rues des Sept-Voies et des Carmes, tout près du clos Bruneau et de ses écoles. Le Puits-Certain étoit un puits banal, construit vers 1660, au carrefour de la rue Saint-Jean-de-Beauvais et de la rue Saint-Hilaire (qui en avoit même pris le nom pendant quelque temps), par Rohert Certain, curé de Saint-Hilaire, et, plus tard, principal du collége de Sainte-Barbe. (Piganiol, Descript. hist. de Paris, t. 6, p. 20.) — Les libraires avoient surtout afflué dans ce quartier depuis que, par arrêt du 1er avril 1620, ordre avoit été donné « à tous imprimeurs de se retirer au dessus de Saint-Yves (rue des Noyers), avec défense de tenir imprimerie et presse en tout autre lieu, sur peine de la vie. » (Registres du Parlement, à sa date.)
  8. Furetière exagère ici. Gui Patin dit seulement : « Il a encore plus de vingt volumes à faire, et voudroit bien que tout cela fût fait avant de mourir ; mais il ne peut venir à bout des imprimeurs. »
  9. Celui qui annonçoit les morts et qui portoit les billets d’enterrement. Le mot semonneur vient du vieux verbe semondre, signifiant avertir, inviter, qu’on trouve encore employé dans l’Étourdi (act. 2, sc. 6), mais qui, selon Regnier Desmarais, n’étoit plus d’usage de son temps qu’à l’infinitif (Grammaire, etc., Paris, 1706, p. 479). — Le semonneur d’enterrements s’appeloit aussi crieur de corps morts (Tallem., Histor., in-8º, t. 4, p. 345). C’est d’un de ces hommes et de leurs attributions funèbres que parle la Lisette du Légataire (act. 4, sc. 8), quand elle dit :

    ..... Le crieur a voulu malgré moi
    Faire entrer avec lui l’attirail d’un convoi.

  10. Peut-être s’agit-il du roman de Francion, dans lequel en effet, selon Tallemant, Sorel avoit satirisé, sous le nom d’Hortensius, Balzac, qui étoit d’humeur assez vindicative pour chercher, comme il est dit ici, à arrêter le débit du livre (Historiettes, in-8o, t. 3, p. 155). D’un autre côté, le Berger extravagant, cette grande parodie des romans à la mode, où Sorel se moque à chaque ligne de l’Endymion de Gombauld ; du Polexandre, de la Caritie, de l’Alcidiane, de la Cythérée de Gomberville ; de la Cassandre, de la Calprenede ; du Cyrus et de la Clélie, mais surtout de l’Astrée, avoit pu lui attirer aussi, de la part des auteurs, tous très puissants, les représailles judiciaires dont il est ici question.
  11. Les chambres de l’édit, qu’on nommoit ainsi parceque c’étoit une juridiction crée par l’édit de Nantes, se composoient moitié de magistrats catholiques, moitié de protestants. On y jugeoit les causes de ceux-ci. Dès avant la révocation de l’édit, elles n’existoient plus. Louis XIV les supprima en 1670. Le Coigneux, père de Bachaumont, étoit président à l’édit. (Tallemant, Historiettes, édit. in-8o, t. 3, p. 107.)
  12. C’est la fameuse chanson de Desportes, « qui, dit M. Sainte-Beuve, confirmé d’ailleurs par ce passage de Furetière, se chantoit encore sous la minorité de Louis XIV. »

    Ô nuit ! jalouse nuit, contre moi conjurée,
    Qui renflammea le ciel de nouvelle clairté,
    T’ai-je donc aujourd’hui tant de fois désirée
    Pour être si contraire à ma félicité ?

    (Œuvres de Desportes, Rouen, Raphaël du Petit-Val, 1611, p. 518.)

    Regnier, dans sa 10e satire (v. 406), fait aussi allusion à cette chanson célèbre. Desportes l’avoit imitée du capitolo VII des poésies diverses de l’Arioste : O ne miei danni, qui avoit déjà inspiré à Olivier de Magny (1559) la Description d’une nuit amoureuse (V. ses Odes), et qui devoit donner encore à Gille Durant l’idée de ses stances : Ô nuit ! heureuse nuit !

  13. Ceci regarde encore Charles Sorel : « Il n’est point marié, dit Gui Patin, et demeure avec une sienne sœur, femme de M. Parmentier, avocat général. » — Furetière dit médecin ; c’est tout ce qu’il change à la vérité.
  14. Nous n’avons vu aucun de ces billets-réclames, mais nous nous faisons une idée de leur style par ce que nous savons des tableaux établis comme enseignes par ces mêmes opérateurs. « Carmeline, lit-on dans le Chevræana (p. 142), qui étoit un fameux arracheur de dents, et qui en remettoit d’autres en leur place, avoit fait mettre à côté de son portrait, exposé en vue sur la fenêtre de sa chambre qui regarde le cheval de bronze, le mot de Virgile sur le rameau d’or du 6e livre de l’Énéide,

    Uno avulso, non deficit alter,

    et l’application est heureuse. »

  15. À partir de 1661, on inquiéta les usurpateurs de noblesse. (Subligny, Muse dauphine, in-12, p. 235.) La Fontaine fut condamné, en 1662, à 2,000 fr. d’amende pour avoir pris indûment le titre d’écuyer. (V. son Histoire, par Walekenaër, 1re édit., p. 341.) Boileau fut aussi poursuivi, mais il gagna son procès. (Lettre à Brossette, 9 mai 1699.)
  16. On a de Ch. Sorel des Nouvelles françoises, 1683, in-8º.
  17. C’étoit un fameux cabaret des environs de Vincennes. Le hameau auquel il attenoit en a gardé long-temps le nom.
  18. On a de J. Errart, le premier ingénieur françois qui ait écrit sur cette matière : La fortification démonstrée et réduicte en art, 1594, in fol. — Une autre édition en fut donnée à Cologne en 1604.
  19. Son traité, imprimé à Lyon en 1638, a pour titre : Les fortifications du chevalier A. De Ville.
  20. Samuel Marolois, de qui l’on a aussi des travaux sur la perspective et sur l’optique, a laissé : Artis muniendi, sive fortificat. pars prima et secunda, Amst., 1633, in-fol. — Son nom ne se trouve dans aucune biographie.
  21. Furetière parle ici de quelques uns des nombreux ouvrages du fameux physicien napolitain : Pneumaticorum libri III, Naples, 1601, in-4º ; De distilationibus, Rome, 1608, in-4º ; etc.
  22. Il étoit sous-gouverneur du Dauphin (Louis XIII), et son maître pour les exercices du corps. On lui doit le Manége royal, Paris, 1615, in-fol., réimprimé sous le titre d’Instruction du Roy en l’exercice de monter à cheval, Paris, 1625, in-fol.
  23. On a du sieur de la Colombière : Le vray théâtre d’honneur et de chevalerie, 1 vol. in-4º, et plusieurs autres ouvrages.
  24. C’est le plus sanglant libelle qui ait été écrit contre la reine Marguerite, première femme divorcée de Henri IV. « Dans ce libelle, dit M. Bazin, où il ne faut chercher ni fidélité historique, ni talent de style, mais qui ne manque pas d’une certaine verve ordurière, l’auteur feint qu’il s’est élevé quelque blâme contre la dissolution du premier mariage de Henri IV, et il place dans la bouche du roi lui-même le récit scandaleux des faits qui ont rendu cette séparation nécessaire, ou qui, depuis, l’ont trop justifiée. Nous croyons qu’on ne s’est pas mépris en attribuant cet écrit à d’Aubigné. Un voyage qu’il fit à la cour, vers l’époque où l’on voit que ce pamphlet fut composé (1608), pourroit bien lui en avoir fourni l’occasion. Au reste, de lui ou d’un autre, il sent évidemment son huguenot hargneux, sorte de gens que Marguerite avoit toujours trouvés sans respect et sans pitié pour elle. Le Divorce satirique ne fut pas alors imprimé, mais il s’en fit des copies, qui coururent les châteaux des gentilshommes réformés, et, en 1662 seulement, les presses de Hollande le donnèrent à la suite du Journal de Henri III, ce qui étoit parfaitement sa place. » (Art. sur Marguerite de Valois, Rev. de Paris, 5 mars 1843, p. 25-26.) — On voit que Furetière a raison de ranger le Divorce satirique parmi les pièces rares et curieuses. Ajoutons qu’on ne l’attribue pas seulement à d’Aubigné, mais à Louise-Marguerite de Lorraine, princesse de Conti, fille du duc de Guise. (Dreux du Radier, Tablettes historiques… des rois de France, t. 1, p. 11.)
  25. Pièce encore plus rare que la précédente. Tallemant l’attribue à la reine Marguerite elle-même. « On a, dit-il, une pièce d’elle, qu’elle a intitulée la Ruelle mal assortie, où l’on peut voir quel étoit son style de galanterie. » Elle est si peu connue, que M. Monmorqué mit en note, à propos de ce passage de Tallemant : « Cette pièce ne paroît pas avoir été imprimée. » (Historiettes, 2e édit., t. 1er, p. 163.) C’étoit une erreur : M. Paulin Paris a retrouvé la Ruelle mal assortie à la page 95 du Nouveau recueil de pièces les plus agréables de ce temps, en suite des jeux de l’inconnu, Paris, chez Nicolas de Sercy, 1644, et il a consigné sa découverte dans une note de la nouvelle édition qu’il donne des Historiettes, t. 1er, p. 151–152. Le plus curieux pour nous, c’est que le recueil où la Ruelle se trouve ainsi avoit été justement publié par Charles Sorel, prototype du Charroselles, en possession de qui Furetière, non sans intention, nous montre la curieuse pièce. Une réimpression à petit nombre de la Ruelle mal assortie se prépare à la libraire d’Aug. Aubry.
  26. On disoit autrefois peau pour parchemin. « Tous les arrêts, lit-on dans le Dictionnaire de Furetière, s’expédient en peau. — Il y a une vingtaine de greffiers en peau. »
  27. G. Gueret, dans son Parnasse réformé, Paris, 1671, in-12, p. 43-44, fait ainsi parler ce même La Serre : « Y a-t-il d’autre marque de la bonté d’un ouvrage que le profit qu’en tire l’auteur ? Pourvu qu’il soit payé de son patron et du libraire aussi avantageusement que je l’ay toujours été, n’est-ce pas une hérésie que de douter de son mérite ?… J’ay mieux aimé que mes ouvrages me fissent vivre que de faire vivre mes ouvrages… Je n’ai cherché que l’expédition. J’ay laissé aux autres le soin de bien écrire, et je n’ay pris pour moi que celuy d’écrire beaucoup. »
  28. La Serre s’acquoquina si bien au cabaret qu’il finit par y prendre femme. « Il épousa… (en 1648), dit Tallemant, une jolie personne, fille d’un cabaretier d’Auxerre. Ils s’attraperent l’un l’autre. » (Historiettes, 1re édit., t. 5, p. 28.) — Si le projet de libre échange émis par Hortensius, au liv. 11 de Francion, eût été exécuté, les poëtes de ce temps-là y eussent bien trouvé leur compte : « Qui n’aura pas d’argent, porte une stance au tavernier, il aura demy-septier ; chopine pour un sonnet, pinte pour une ode, etc. ; — quarte pour un poëme et ainsi des autres pièces. » (La vraye histoire comique de Francion, etc, par M. De Moulinet (Sorel), Rouen, 1663, in-8o, p. 615.) — Cette manière de composer au cabaret étoit encore de tradition littéraire au XVIIIe siècle. L’abbé Prevost ne faisoit pas autrement. « La feuille d’impression lui étoit payée un louis, dit M. A. Firmin Didot ; nous possédons des traités signés au cabaret, au coin de la rue de la Huchette, suivant l’usage du temps. » (Encyclop. moderne, Paris, 1851, in-8º, t. 26 (art. Typographie), p. 835, note.
  29. Charles Sorel, bien qu’il ait cherché à faire tout ce qui concernoit son etat d’auteur, n’a pas laissé en effet un seul vers.
  30. On nommoit encore ainsi au XVIIe siècle l’étoile qui se trouve au centre de la constellation des pléiades. Ainsi placée au milieu de ces six étoiles, elle semble une poule poussinière au milieu de ses petits ; de là son nom, qui se lit aussi dans Rabelais (liv. 1, chap. 53 ; liv. 4, chap. 43) et dans Regnier (sat. 6, v. 219).
  31. Fleurs des vies des saints, traduites du Flos sanctorum du P. Ribadeneyra par les PP. Gaultier et Bonnet, Paris, 1641, 2 vol. in-fol. C’est le même livre dont parle la Dorine du Tartuffe (acte 1, sc. 3).
  32. Le livre de ce prototype des Jocrisses, imprimé d’ordinaire à la suite des Bigarrures et touches du seigneur des Accords, a pour titre : les Contes facétieux du sieur Gaulard, gentilhomme de la Franche-Comté bourguignotte.
  33. Ce mot, employé par Saint-Évremond, dans sa satire du Cercle, ne se trouve ni dans le dictionnaire de Nicot (1606), ni dans le Richelet de 1680 ; mais la première édition de l’Académie le donne, en faisant remarquer qu’intrigueuse est plus employé qu’intrigueur. Intrigant ne parut qu’après 1694.
  34. C’est là que l’arrêt du 18 avril 1663 envoyoit les filles affamées comme cette veuve de Préhault. Il courut plusieurs pièces et chansons sur leur départ et sur leurs adieux à la ville et aux faubourgs de Paris ; une des plus curieuses se trouve dans le livre de Bussy-Rabutin, Amours des dames illustres de notre siècle, Cologne, 1681, in-12, p. 371, 380 :

    Voilà nos plaisirs qui sont morts,
    Et nous en sommes aux remords.
    Adieu promenades de Seine,
    Chaillot, Saint-Cloud, Ruel, Suresne.

    Ah ! que nous allons loin d’Issy,
    De Vaugirard et de Passy !…
    Defita s’y prend comme il faut ;
    Bourgeois, voilà ce que vous vaut,
    Un magistrat de cette sorte
    Et qui n’y va pas de main morte…
    Faisons le triage, et comptons
    Combien sont nos brebis galeuses :
    Les listes sont assez nombreuses
    Pour les envoyer en troupeau
    Paître dans le monde nouveau.

  35. Locke, dans le Journal du voyage qu’il fit en France vers cette époque, parle, comme l’ayant vue, d’une affiche à peu près pareille à celle-ci. C’est au duc de Bouillon que le privilége du remède qu’elle annonçoit, « un sachet… sans mercure », avoit été accordé, le 17 septembre 1667. (Extrait du Journal de Locke, Rev. de Paris, t. 14, p. 79.)
  36. L’élu étoit un conseiller d’élection, sorte de juridiction chargée de répartir l’impôt, d’avoir raison des contribuables, etc., et qui d’abord, son nom l’indique, n’avoit que des charges données par élection. Avec le temps on en arriva à les vendre, comme on le voit ici. C’étoient des emplois très subalternes, ce passage le prouve aussi, et Dorine, dans Tartufe (act. 1er, sc. 5), mettant sur la même ligne

    Madame la Baillive et madame l’Elue

    ne fait pas grand honneur à la première. Les ancêtres de Cinq-Mars avoient tenu ce mince emploi ; aussi, quand, au grand étonnement de tous, le maréchal d’Effiat fut fait chevalier de l’ordre, Bassompierre dit : « Je ne sais pas s’il a été nommé, mais je sais qu’il a été élu. » (Tallemant, Hist., in-8, t. 3, p. 16.) — Dans les Bourgeoises de qualité, de Dancourt, Mme l’Elue joue l’un des principaux rôles.

  37. Reçu imprimeur-libraire en 1618, imprimeur du roi en 1635, ce fut, jusqu’en 1666, année de sa mort, l’un des plus fameux libraires de son temps. (La Caille, Hist. de l’imprimerie, in-4, p. 228–230.) Entre autres livres d’art militaire, il avoit publié, avec un grand luxe de figures, Instruction pour apprendre à monter à cheval, par Antoine de Pluvinel (1627, in-fol.) Il n’est donc pas étonnant que Furetière fasse venir des officiers d’armée à son étalage. Rocolet pouvoit aussi offrir, comme il le fait plus loin, des livres de philosophie. En 1626, il avoit donné une édition des œuvres de Bacon.
  38. Encore une plaisante idée que Molière reprendra plus tard pour en faire un des meilleurs traits de la grande tirade de Chrysale dans les Femmes savantes :

    Et, hors un grand Plutarque à mettre mes rabats,
    Vous devriez brûler tout ce meuble inutile.

    Ce Plutarque ainsi employé reparoît dans le discours que Palaprat a mis en tête de sa comédie des Empiriques : « C’est, ajoute-t-il, un grand in-folio de Vascosan. » (Les œuvres de monsieur Palaprat, etc., Paris, 1712, in-8, t. 2, p. 36.)

  39. « On y jugeoit des procès par écrit. Il y en avoit cinq à Paris. » (Dict. de Furetiére.)
  40. Si l’on avoit pu croire que le souffleur donné à Petit-Jean, fait avocat, au troisième acte des Plaideurs, étoit une invention de Racine, ce passage de Furetière seroit une preuve qu’on se trompoit, et que cette industrie existoit réellement au XVIIe siècle. Ceux qui l’exerçoient étoient en même temps ce que nous appellerions des répétiteurs, ils enseignoient le droit en chambre ; mais, le plus fort de leur métier étant de souffler les avocats, on les appeloit souffleurs. (V. à ce mot le Dict. de Trévoux.)
  41. On n’est pas d’accord sur l’origine du nom de ces contes, et, faute d’autre étymologie, on est obligé de s’en tenir à l’opinion de ceux qui croient qu’il s’agit ici des contes semblables à celui de la reine Pédauque, reine à la patte d’oie (V. Rabelais, liv. 4, chap. 41), ou d’adopter la version émise dans la Bibliothèque des Romans, où il est dit : « Cette sionexpression (contes de ma mère l’oie) est prise d’un ancien fabliau dans lequel on représente une mère oie instruisant de petits oisons, et leur faisant des contes dignes d’elle et d’eux, etc. » Reste à trouver le fabliau. D’après une phrase de Ch. Perrault, qui devoit s’y connoître, dans son Parallèle des anciens et des modernes, on pourroit penser que la mère l’oye étoit un conte aussi bien que Peau d’âne, et qu’étant plus fameux que les autres, il avoit donné son nom à toute la série. Il est étrange alors que Perrault ne l’ait pas reproduit dans son recueil, d’autant que le titre de sa première édition (1697) est celui-ci : Contes de ma Mère l’oye. — L’oie sauvage et la cigogne passant pour être le même oiseau dans quelques pays, comme la Hollande, on comprendra que les contes de l’oie aient pu être appelés aussi bien contes de la cigogne. Dans la Comédie des Proverbes, acte 2, sc. 2, on ne les désigne que sous ce dernier nom.
  42. C’est le même qui s’appellera Bridoison dans le Mariage de Figaro, et que Rabelais nous avoit déjà fait connoître, avec le nom significatif qu’il porte ici, au livre 3, chap. 37–41, de Pantagruel.
  43. Il doit être fait allusion ici à quelque jugement que sa bizarrerie auroit rendu célèbre alors. Furetière laisse ignorer le nom du siége. Mais La Fontaine, qui, selon nous, veut rappeler le même fait dans le 10e conte de son livre 2, n’est pas aussi discret. Il nous apprend que ce fameux jugement des buchettes fut rendu à Mesle ou Mêle, petite ville sur la Sarthe. Furetière nous a dit la date, 1644. Sauf le vrai nom du juge et le vrai motif de l’affaire, nous sommes donc ainsi complétement édifiés sur le tout.
  44. La justice subalterne ou foncière connoissoit des affaires de simple police. — « La requête civile est une voie de droit par laquelle on se pourvoit contre les arrêts rendus injustement. » (Dict. de Furetière.) — La chambre du conseil étoit celle où se rapportoient les procès par écrit. Les demandes en cassation d’arrêt étoient portées au conseil privé, composé de conseillers d’état, sous la présidence des chambres.
  45. C’est l’invention de la petite poste. Loret en parle, mais sans nous dire, comme Furetière, quel en fut le malencontreux résultat. Voici ce qu’il écrivoit, sous la date du 13 août 1653, au livre 4, p. 95, de sa Muse historique :

    On va bientôt mettre en pratique,
    Pour la commodité publique,
    Un certain établissement
    (Mais c’est pour Paris seulement)
    De boîtes nombreuses et drues
    Aux petites et grandes rues,
    Où, par soi-même ou son laquais,
    On pourra porter des paquets,
    Et dedans, à toute heure, mettre
    Avis, billet, missive ou lettre,
    Que des gens commis pour cela
    Iront chercher et prendre là,
    Pour, d’une diligence habile,
    Les porter par toute la ville…
    Et si l’on veut savoir combien
    Coûtera le port d’une lettre,
    (Chose qu’il ne faut pas obmettre)
    Afin que nul n’y soit trompé,
    Ce ne sera qu’un sou tapé…

    Un siècle après, l’utile et malheureux établissement de 1653 étoit si bien oublié, que, M. de Chamousset l’ayant remis sur pied, on lui en fit honneur comme s’il étoit le premier qui en eût eu l’idée. V. Mémoires secrets, 28 avril 1773, t. 6, p. 363-364.

  46. Encore une idée de la même famille qu’une des plus plaisantes de Molière et de Racine. Thomas Diafoirus, dans le Malade imaginaire, offre à Angélique de lui faire voir une dissection. Dans les Plaideurs, il y a un passage qui rappelle plus directement la phrase de Furetière, et qui pourroit même en procéder réellement. Les Plaideurs, en effet, ne sont que de 1668.

    Dandin.
    N’avez vous jamais vu donner la question ?
    Isabelle.
    Non, et ne le verrai, que je crois, de ma vie.
    Dandin.
    Venez, je vous en veux faire passer l’envie.

    (Acte 3, sc. 4.)

    Du reste, les similitudes de traits et de scènes qui peuvent exister entre les Plaideurs et le Roman bourgeois ne doivent pas étonner. Furetière étoit de la société des gais buveurs qui se réunissoient au Mouton du cimetière Saint-Jean, et au milieu de laquelle naquit et grandit peu à peu la comédie de Racine. Louis Racine, dans ses Mémoires sur son père (page 74), avoue lui-même indirectement cette collaboration de la spirituelle compagnie.

  47. C’est là en effet que les bouquinistes avoient leurs étalages ; ils y faisoient si grand commerce, que les libraires, jaloux, se plaignirent du dommage que leurs boutiques en éprouvoient. Après de longs débats, dont Gui Patin a parlé dans sa lettre du 30 septembre 1650, ceux-ci eurent gain de cause, et parvinrent à faire « quitter la place à cinquante libraires qui y étoient, etc. » Entre autres mémoires écrits pour cette affaire, il en est un en faveur des bouquinistes, et dont Baluze pourroit bien être l’auteur, qui a été publié dans la Bibliothèque de l’école des Chartes, 2e série, t. 5, p. 370.
  48. Cette façon de rimer, et partant de prononcer, n’étoit pas si exclusivement gasconne que le dit Charroselles. Sous Louis XIII, on ne faisoit pas autrement à Paris. Grâce à la prononciation, dur y rimoit très bien avec cœur, ce dont s’indignoit le Normand Malherbe. « Il ne vouloit pas, dit Tallemant, qu’on rimât sur bonheur ni sur malheur, parce que les Parisiens n’en prononcent que l’u, comme s’il y avoit bonhur, malhur, etc. » (Historiettes, édit. in-12, t. 1, p. 267.)
  49. Alors on faisoit une grande différence entre la maison à porte cochère et la maison à petite porte. C’est d’après cela que l’on calculoit la fortune du propriétaire ou du locataire. Pendant la fronde, quand on créa une garde bourgeoise pour la défense de la ville, les portes cochères durent fournir chacune un cavalier, tandis que les portes ordinaires ne devoient qu’un fantassin. On lit à ce propos dans le Courrier burlesque de la guerre de Paris :

    Le mardi (12 janvier 1649), le conseil de ville
    Fit un reglement fort utile,
    Savoir, que pour lever soldats,
    Tant de pied comme sur dadas,
    L’on taxeroit toutes les portes,
    Petites, grandes, foibles, fortes ;
    Que la cochère fourniroit
    Tant que le blocus dureroit
    Un bon cheval avec un homme,
    Ou qu’elle donneroit la somme
    De quinze pistoles de poids,
    Payable la première fois ;
    Les petites, un mousquetaire,
    Ou trois pistoles pour en faire.

    (Pièces à la suite des Mémoires du cadinal de Retz, Amst., 1719, in-12, t. 4, p. 270.)
  50. Cette curieuse énumération de frais rappelle celle que fait Molière dans les Fourberies de Scapin (acte 2, scène 8). Comme cette pièce est de 1671, il se pourroit que le passage que j’indique ne fût encore qu’une réminiscence, étendue, du reste, et complétée, du Roman bourgeois.
  51. Il avoit été reçu imprimeur-libraire le 13 septembre 1649, mais il n’avoit guère commencé à marquer qu’en 1670, année où il fut fait adjoint de la communauté. Furetière pouvoit donc, même en 1666, époque, non de la rédaction, mais de la publication de son livre, parler encore de lui comme il en parle. — Dans l’édition de Nancy, de 1713, le nom de Jean Treyar est substitué à celui de Ch. de Sercy.
  52. C’est d’Augustin Courbé qu’il est parlé ici. « Son plus grand négoce, dit La Caille (Hist. de l’impr., p. 274), étoit de livres de galanteries et de romans, dont il faisoit grand débit. » — Dans sa Nouvelle allégorique, etc., p. 115, Furetière avoit déjà parlé de Courbé, à propos de mademoiselle de Scudéry, dont il éditoit les romans : « La pucelle Sappho obtint permission de mener des troupes dans la Romanie pour la rétablir, à cause qu’elle y avoit de belles terres et seigneuries, dont Augustin Courbé étoit fermier général, et où il faisoit si bien son compte, qu’il s’y seroit extraordinairement enrichi, sans les pertes que lui a fait souffrir d’ailleurs le prince Galimathias. »
  53. Exercice spirituel, contenant la manière d’employer toutes les heures du jour au service de Dieu, par V. C. P., dédié à Mme la Chancelière. La corporation des relieurs de Paris avoit fait cette galanterie à madame Séguier, pour se rendre favorable le chancelier, sous la direction duquel toutes les corporations dépendantes de la librairie étoient placées. Le succès de ce livre dura plus d’un siècle ; en 1767 le libraire de Hansy en donna encore une édition, reproduisant la dédicace que Collombat avoit faite pour la première. Il n’y avoit de changé que la Chancelière, à qui l’on dédioit.
  54. C’étoient deux de ces pauvres diables de prophètes, si nombreux alors, que Louis XIV fut obligé de donner, en 1682, une déclaration sous forme d’édit portant peine de bannissement contre les astrologues, devins, magiciens et enchanteurs. V. Esprit des journaux, mai 1789, p. 267. Il est parlé de Petit et de Questier, comme astrologues, dans plusieurs mazarinades. Questier en fit même quelques unes. V. le Mascurat, p. 194, et C. Moreau, Bibliogr. des Mazarin., t. II, p. 94, no 1763.
  55. C’est vers 1656, époque où Bicêtre fut donne à l’hôpital général, que ces mesures furent prises contre les gueux. Le vieux château du cardinal Winchester avoit ainsi pris la place du dépôt de mendicité projeté par Louis XIII en ses lettres patentes du mois de février 1622, et qui devoit être placé au bout de la grande allée du Cours-la-Reine. — Cl. Le Petit, dans les strophes de son Paris ridicule qu’il consacre au château de Bicêtre, nous montre les gueux installés dans le vieux manoir, et y vivant gais et contents. Or la première édition du Paris ridicule est de 1668. — La fondation de l’hôpital général étoit due à la charité du président de Bellièvre. (Perrault, Vie des hommes illustres, p. 54.)
  56. Le portrait de Mythophilacte n’est pas tracé d’après un original unique ; c’est un type complexe ; quelques traits appartiennent à celui-ci, d’autres à celui-là. Montmaur a posé pour tout ce qui concerne le poète parasite ; pour une partie du reste, c’est de Mailliet, le Poète crotté de Saint-Amand, qui sert de modèle. Il étoit gueux comme Mythophilacte, et comme lui quêteur de dédicaces. Furetière, dans sa satire des Poètes, parue avec ses Poésies diverses deux ans avant le Roman bourgeois, avoit mis déjà de Mailliet en scène, sous son vrai nom, et l’on y peut juger de sa parenté avec le type ici analysé. Montmaur et Mailliet étoient morts depuis long-temps.
  57. De l’italien pagnota, poltron, timide. V. la Comédie des Proverbes, act. I, sc. 6.
  58. Mailliet, selon Furetière, 5e satire, V. 95-120, avoit aussi perdu ses vers ; un valet les lui avoit jetés au feu.
  59. Benserade, à qui Furetière a déjà fait allusion plus haut, p. 138.
  60. Scarron avoit la même pensée que Furetière ; il a dit que « faire une dédicace, c’étoit faire le gueux en vers ou en prose ».
  61. Fameux financier, Mécène bourgeois, comme dit Furetière. Corneille lui dédia Cinna. (V. son Historiette dans Tallemant, 1re édit., V, p. 15.)
  62. Le dictionnaire de Calepin est un fort in-fol. L’Abrégé de l’Histoire romaine, par Velleius Paterculus, un mince volume, souvent de très petit format.
  63. La Bibliothèque bleue, les Contes bleus, durent leur nom au papier qui leur servoit de couverture. De là vint aussi que l’on dit bluet pour une brochure de peu d’importance (Poésies du P. du Cerceau, 1785, in-12, tom. 1, p. 312), et plus tard bluette.
  64. C’est cette épître dédicatoire d’un livre futur qui a fait dire que Furetière avoit dédié son Roman bourgeois au bourreau. Nous avons déjà combattu cette erreur trop répétée dans un article sur les livres imaginaires publié par le Journal de l’amateur de livres, tome 3, p. 10-11.
  65. L’établissement de la communauté des limonadiers date de 1676, époque ou on leur permit de vendre du café. L’ouverture des premières boutiques de limonades remonte à plusieurs années auparavant, à 1630 environ. V. Mélanges d’une grande bibliothèque, Hh., p. 187. Le grand d’Aussy, Vie privee des François, tom. iii, passim.
  66. C’est à peu près la pensée de Saint-Amand à la fin de l’un de ses sonnets :

    Non, je ne trouve pas beaucoup de différence
    De prendre du tabac et vivre d’espérance :
    Car l’un n’est que fumée et l’autre n’est que vent.