La Vérité sur l’Algérie/08/13

Librairie Universelle (p. 387-390).


CHAPITRE XIII

La vigne.


En 1902, 142.992 hectares de vignes en rapport, appartenant à 27.789 propriétaires, ont produit de quoi fabriquer 4.353.867 hectolitres de vins, dont 4.238.949 hectolitres valant 84.641.000 francs furent exportés.

Cela nous donnerait encore, dit uniquement, ainsi qu’on le dit en officiels discours, une idée favorable de « l’affaire » viticulture algérienne. Mais il faut compter… et décompter.

Et voici ce que j’ai lu chez un terrible compteur. C’est toujours M. Rivière. Naturellement. Il est le seul…

Un hectare de vigne en Algérie revient à 4.000 fr. Au tribunal on le vend entre 1.500 et 1.800 francs en temps normal.

Le Crédit foncier, pour estimer le gage de ses prêts, n’accorde aucune plus-value à la terre couverte de vignes. J’ai même lu ailleurs que cette administration a quelque temps retranché du prêt la somme nécessaire pour l’arrachement de la vigne.

M. Rivière rappelle ensuite l’hypothèque dont est grevé le vignoble. Il estime qu’elle oscille entre 320 et 330 millions. C’est plus, si nous en jugeons, par la note officielle plus haut citée. Il faut admettre au minimum 400 millions. L’intérêt en est de 8 % en moyenne. Au Crédit foncier et agricole d’Algérie c’est 7 fr. 22. C’est donc 32 millions qu’avant tout la vigne algérienne doit payer. 32 millions qui sortent d’Algérie ; en or.

Le prix d’entretien de l’hectare est, chiffre minimum, de 370 francs par an. Soit cinquante-six millions pour le vignoble. 56 + 32 = 88. C’est quatre-vingt-huit millions « d’exigences irréductibles ». M. Rivière cote seulement 80 millions.

Qu’il y ait récolte ou pas, qu’on vende ou qu’on ne vende pas, c’est une dépense nécessaire de 80 millions au moins pour que subsiste le vignoble.

Il produit. C’est environ 4.500.000 hectolitres. Pour estimer cette production les statistiques donnent le prix de 20 francs à l’hectolitre. C’est exagéré. On compte dans le prix de vente la rémunération des transporteurs et des commissionnaires. On a tort. Le prix payé au producteur atteint et dépasse rarement 14 francs. C’est celui qu’admet M. Rivière. Et il donne comme retour d’argent au producteur 62 millions + 3 millions de sous-produits. Et alors on a : dépenses, 80 millions à 88 millions ; recettes, 65 millions.

Et voilà ce qu’est la bonne affaire agriculture algérienne en ce qui concerne la vigne. Il peut y avoir des propriétaires qui, actuellement, s’enrichissent : ceux qui ont pris la vigne pour rien avant la bonne récolte. Ils encaissent la vente et repassent la vigne. C’est « une main de chemin de fer » que cette exploitation. Celui qui la reçoit à la passe gagne. Mais il y en a beaucoup plus à la dépasse, etc., etc. Mais à quoi sert de discuter ? Il y a le calcul brutal. Restons-y. Notons que c’étaient de grands économistes, de grands hommes d’État, de grands intelligents que les hommes qui ont lancé l’Algérie dans la vigne !

Là encore nous n’avons pas le choix vaste. Nous sommes pris, serrés dans le dilemme. Ou bien ils savaient que pour le bénéfice immédiat de courtages et commissions de toute nature ils engageaient la colonie dans une opération à perte, et alors c’est des canailles. Ou bien ils croyaient l’engager dans une opération à bénéfices, et alors c’est des imbéciles. Car la moindre lueur de bon sens a montré de tout temps qu’un grand vignoble ne pouvait être qu’une mauvaise affaire pour l’Algérie ; que tout ce qu’on pouvait demander à la colonie en vigne c’était la production de sa consommation locale.

Je sais qu’il y eut la grande crise du phylloxéra français… Mais un parler ne peut que servir à rendre plus lourde la condamnation. Ne fallait-il pas être complètement fou pour supposer que la France ne referait pas son vignoble ?

Ne savait-on pas que lorsque l’Algérie aurait fait ses vignes, la France aurait reconstitué les siennes ? Le marché étranger ? Et les traités de commerce Et la concurrence des autres pays à vins ! etc., etc. Et puis faudrait-il faire du bon vin. Le vin algérien n’est pas encore un vin marchand. On doit le retravailler à Bordeaux, à Bercy. Pour quelques domaines qui valent quelque chose, que valent tant d’autres ?

En 1835 le capitaine Rozet publiait dans son ouvrage que les raisins d’Algérie pouvaient servir à la fabrication d’un vin qui vaudrait celui de l’Hermitage. L’idée de la supériorité a priori des vins d’Algérie date de loin, vous le voyez. Et l’expérience ne l’a pas encore fait disparaître.

Rappelons aussi que l’Algérie n’a pas une étendue illimitée de bonnes terres à vignes, etc. Revoyez notre livre du climat.