La Vérité sur l’Algérie/08/14

Librairie Universelle (p. 390-393).


CHAPITRE XIV

Les autres cultures.


Faut-il parler des autres cultures ?

Voulez-vous l’histoire des prairies artificielles ? La statistique de 1888 on compte 12.000 hectares ; celle de 1900, 8.000 ; celle de 1901, 6.000. Un succès.

L’histoire — toujours officielle — du coton, de ce coton qui devrait prospérer, si l’on en croyait la climatologie classique, est également très instructive.

On dépensa beaucoup d’argent et, à grand effort, on planta du coton dans la province d’Oran.

En 1853, on en produit 4 tonnes.

En 1864, 500.

En 1868, on crut que l’Algérie avait définitivement trouvé son produit riche. On fit 900 quintaux de coton. La surélévation des prix (guerre d’Amérique), jointe aux primes, permettait de dépenser beaucoup d’argent à la culture, de lutter contre les froids, etc…

Mais ramenée à ses conditions normales, subissant des années de froid, cette culture « ne paie plus ». En 1899-1900, on récolte 2 kilogrammes 400 grammes. En 1899-1900, le coton ne figure plus aux statistiques.

Mais cela ne durera point.

Nos coloniaux ne peuvent admettre en effet que la terre d’Algérie dans ses richesses ne possède pas le coton. Cela serait contraire au dogme de l’Algérie pays chaud.

J’ai lu sans surprise, dans le Figaro du 13 novembre 1900, ceci :


« L’Association cotonnière coloniale a donné hier soir à l’hôtel Continental un banquet de 200 couverts sous la présidence de M. Doumergue, ministre des colonies, pour fêter la fondation en France d’un syndicat cotonnier destiné à propager et à encourager en Algérie et aux colonies la culture et l’industrie du coton. Dans l’assistance on remarquait MM. Étienne, etc…. »


En mars 1904, l’Écho d’Oran publiait toute une série sur le programme cotonnier algérien.

Contrarier la nature est ainsi fort amusant pour certains hommes. Des maniaques japonais forcent des chênes à évoluer dans un pot à fleurs ; encore obtiennent-ils un résultat : coûteux, horrible ; mais c’est un résultat tangible ; il reste quelque chose vivant de leur effort. Les maniaques de l’agriculture coloniale contre nature savent qu’ils n’obtiendront d’autre résultat que celui de dépenser de l’argent. Qui ne sort pas de leur poche, hélas !

Cette espèce d’hommes est très curieuse à observer pour les dilettantes. Elle le serait plus encore pour les aliénistes. On l’honore aujourd’hui. Elle est fort en estime dans le monde officiel. Quand un fou veut faire pousser de la vigne au cap Saint-Jacques, on le subventionne. Un autre obtient que le « jardin colonial », on le fasse à Vincennes. Aussi comme ils savent que, plus ce qu’ils proposeront sera insensé, plus on les estimera sages, grands, ils débrident leur fantaisie. Du coton, des bananes, voilà ce qu’ils recommandent pour l’Algérie.

Le service botanique d’Alger, rendons-lui cette justice, ne fait pas que de telles recommandations. Ainsi j’ai lu dans le rapport du docteur Trabut joint par M. Revoil à l’exposé général de la situation :


« La culture du tabac ne peut prendre en Algérie une extension nouvelle qu’à la condition de livrer de bons produits. »


Et à cela, en même temps que léger reproche, étaient joints quelques conseils pour que les feuilles de tabac algérien ne tombassent point en concurrence avec celles des choux. La recommandation, vous le voyez, était bonne. Eh bien ! c’est la seule que l’Algérie trouva mauvaise et ne pardonne pas encore à l’infortuné docteur Trabut. Aussi pourquoi ne borne-t-il pas son apostolat à prêcher la culture des agaves ?

Dans le talus d’une route près d’Alger, il y a des trous que les pauvres diables utilisent pour abriter leur misère quand nul propriétaire ne veut plus d’eux. Ils n’y paressent point. Ils travaillent. Avec les fils qu’ils extraient des agaves, ils confectionnent des mèches de fouet. J’ai causé avec un de ces industriels. « Monsieur m’a-t-il dit, l’Algérie aurait, dans l’agave, si on voulait, un trésor. » C’est bien l’avis du docteur Trabut. Et cet homme généreux veut donner à l’Algérie ce trésor.

« Depuis dix ans, écrit-il, le service botanique s’efforce de multiplier et de faire cultiver quelques agaves pouvant croître dans les sols pauvres et inutilisés du littoral. »

Tant que le service botanique ne s’efforça qu’à cela et à des tâches similaires, ce fut parfait… Mais toucher au tabac, demander de bons produits !