La Vérité sur l’Algérie/08/12

Librairie Universelle (p. 385-387).


CHAPITRE XII

Le pâturage et la culture.


Il y a une relation rigoureuse entre l’étendue des diverses cultures agricoles et celle du pâturage. C’est le pâturage qui nourrit le bétail et c’est le bétail qui permet la restitution par engrais. Il y a bien l’engrais chimique, l’engrais apporté de loin. Mais il coûte cher et n’est possible que lorsque le produit de la culture est destiné à la vente et que le prix en est suffisamment élevé. Quand une crise rend le vin cher en France, on peut, vendant cher le vin d’Algérie, donner de l’engrais cher aux vignes d’Algérie. C’est déjà moins possible pour les céréales. Voyez, même en France, où la culture du blé en certaines régions a diminué le pâturage. L’engrais cher a fait le blé cher et le pain cher, et par choc en retour augmenté les charges du cultivateur qui ensuite a peine à payer l’engrais.

L’agriculture rationnelle — qu’il ne faut pas confondre avec l’industrielle — c’est l’industrialisation du labeur de la terre qui tue ce labeur[1] — l’agriculture rationnelle exige dans le même canton, dans un « rayon de transports bon marché » et le pâturage et les autres cultures. C’est la richesse du pâturage qui règle mathématiquement la richesse des autres cultures. Le pâturage algérien — hors les quelques plaines grasses — est naturellement maigre, le fut et le sera toujours. Aussi — toujours exception faite des trois îlots que vous savez — le rendement des terres algériennes en céréales est, fut et sera toujours naturellement médiocre. Les agronomes ont constaté cette infériorité du pâturage. Ils ont proclamé la nécessité de « doter » l’Algérie d’un pâturage nouveau, meilleur. On chercha tout.

Le « vieil Algérien » qui écrivait ses lettres au Temps en 1894 voulait le salut par le sulla. Un rédacteur de ce journal, un excellent reporter des potins officiels, M. Bourde crut celle-là… Et ça coûta beaucoup d’argent à la Tunisie. Notre excellent confrère avait un flair spécial pour accueillir et faire siennes les idées pratiques.

Mon ami Louis Say fut un moment l’apôtre de l’autruche. Mais c’était simple question de plumes. Celle de M. Bourde l’élargit. M. Bourde estimait frivole une domestication de l’autruche à destination des seules modistes. J’ai noté qu’il proposa très sérieusement de dresser l’autruche… pour l’atteler ! Après l’avoir fait sortir de la rédaction du Temps, ces idées pratiques l’y ont ramené. Pas l’autruche, M. Bourde.

Excusons-le d’avoir cru à la rédemption coloniale par la fourragère-messie du fermier de Sétif. Il ne fut pas le seul.

Dans cette question du sulla, comme il y avait une « bourde » à commettre, M. P. Leroy-Beaulieu ne pouvait y manquer. Il écrivait en 1897 :


« Une découverte qui pourra aider au développement du bétail est celle d’un excellent fourrage naturel, le sainfoin nord-africain ou sulla. Cette plante vient naturellement et abondamment dans les vallons frais de toute l’ancienne Berbérie. Il s’agit de la répandre par les ensemencements. Ceux-ci sont assez malaisés à faire réussir ; mais, en s’ingéniant et en persévérant, on y parviendra. »

Oui. Mais il faudra d’abord faire de l’Algérie un vallon frais.

Si après ces « bourdes » nous lisions l’avis d’un homme sérieux ? M. Rivière dit, lui :


« Il est difficile d’admettre, comme quelques-uns l’ont fait, que l’influence de l’homme est assez puissante pour modifier le revêtement végétal du sol. En d’autres termes la restauration des pâturages ou plutôt leur création avec une flore nouvelle et la formation naturelle de prairies créées par un simple épandage de graines importées d’une contrée exotique quelconque sont présentées comme une opération dont on laisse entrevoir la possibilité et l’utilité.

« On ne saurait trop combattre la mise à exécution de ces projets chimériques dans de tels milieux caractérisés par une extrême inclémence climatérique.

« En supposant que l’on puisse trouver une plante fourragère herbacée ou ligneuse autre que celles qui sont spontanées dans ces régions et par conséquent adaptées à ce milieu, sa propagation ne saurait être que le résultat d’une culture, c’est-à-dire d’un travail préalable du sol sur des millions d’hectares. »


N’allez point vous rappeler Parmentier et nous accuser de condamner sans raison l’effort des gens qui voudraient donner aux Algériens du bon fourrage, car il ne faut pas confondre « végétation » et « culture ».

  1. Cela fera « bondir » mon excellent ami Émile Gautier, mais cela est ainsi.