La Télégraphie atmosphérique/03
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LA TÉLÉGRAPHIE ATMOSPHÉRIQUE
LES DÉRANGEMENTS.
Il n’est pas de visiteur qui, voyant partir les curseurs engagés dans les tubes pneumatiques, ne pose cette question : « Si les boîtes s’arrêtent en chemin, comment peut-on les retirer ? » Pour satisfaire cette curiosité, nous passerons en revue les divers organes de la transmission, et ainsi nous classerons les dérangements.
Commençons par les tubes. Ils peuvent pécher par un défaut de poli intérieur, par des joints à ressaut, par des fuites d’air à ces mêmes joints. Dans l’établissement, des précautions ont été prises contre ces trois sortes de dangers. Le degré de poli est suffisamment parfait : cette qualité est obtenue, sans alésage, au moyen de passes sur un mandrin, effectuées avant que le tube soit complètement refroidi. Les joints représentés fig. 2 (premier article), donnent une continuité presque mathématique à la surface intérieure ; enfin, des garnitures de caoutchouc assurent l’étanchéité.
De ce côté donc, il y a peu de chances d’avaries, et par conséquent d’arrêts des trains. En fait, depuis 1866, il n’y a pas eu un seul accident causé par le vice des tuyaux : il est utile de rappeler que l’expérience est faite sur une longueur de 20 kilomètres de conduites posées, que les joints se succèdent tous les 5 mètres, enfin que dans la traversée de la Seine, le tube est fixé au tablier d’un pont métallique. Dans la deuxième catégorie d’organes, sont les machines produisant l’air comprimé ou raréfié. Nous ne dirons rien des dérangements qui en dépendent, ils n’ont pas de caractère spécial à l’application présente, on y remédie par les moyens connus.
Il reste les boîtes. Des types nombreux ont été essayés avant le système des deux étuis en tôle et en cuir, dont la fermeture est hermétique et l’ouverture facile. Par sa simplicité, ce mode a prévalu. Mais il n’est pas dans la condition humaine de réaliser la perfection ; il arrive donc quelquefois que des boîtes s’ouvrent pendant le trajet. Comment cela se produit-il, c’est plus difficile à expliquer dans chaque cas particulier.
Tantôt la collerette du piston est en mauvais état et l’air divise le train ; les étuis se séparent et les dépêches se sèment dans le tube. D’autres fois, des rides se forment dans l’enveloppe de cuir, dont, l’effet est de coincer le train si bien qu’il est impossible de le faire démarrer. Une autre forme du dérangement, c’est quand le piston se casse, et que les morceaux se placent entre les boîtes et le tube. On conçoit que nous ne puissions épuiser la série des incidents de cette nature ; dans les huit dérangements en moyenne par année, que présente l’exploitation, il est rare de trouver deux fois la répétition de la même cause. La cause d’ailleurs ne présente qu’un intérêt d’instruction pour l’avenir, il faut aller au plus pressé et sauver rapidement le train en détresse.
Souvent des manœuvres alternées avec l’air comprimé et l’air raréfié dégagent l’obstacle ; à Berlin, pour le même objet, M. Siemens emploie de l’eau forcée avec laquelle il inonde la conduite. L’important est d’extraire le train, sans avoir besoin de démonter la ligne. Quand on a épuisé la série des moyens thérapeutiques anodins, il faut alors recourir à l’opération de la fouille. On voit ainsi apparaître la nécessité d’une détermination préalable, suffisamment précise, du lieu du dérangement. Un premier moyen est indiqué par la nature de l’installation. On a à sa disposition un réservoir d’air comprimé à une certaine pression ; si cet air est répandu en partie dans la section du tube comprise entre le réservoir et l’obstacle, la pression nouvelle est dans un rapport connu avec la pression primitive. En deux mots, la loi de Mariotte, qui règle les rapports des pressions et des volumes d’une même masse de gaz dans deux circonstances différentes, fournit le moyen de trouver un des éléments (volume), quand on connaît les trois autres (deux pressions et un volume). Nous n’en dirons pas davantage, ce moyen ne comportant qu’une précision relative.
M. Siemens préfère mesurer la quantité d’eau qu’il faut dépenser pour remplir la ligne jusqu’à l’obstacle ; la précision doit être plus grande, mais il faut convenir que le procédé, malgré la simplicité apparente, a un aspect quelque peu primitif. On voit bien comment on introduira cette grande masse d’eau, mais il est plus difficile de concevoir qu’elle se puisse enlever aisément.
Nous parlerons, pour finir, d’un moyen détourné, auquel s’applique notre gravure. Nous exposerons le principe avant de décrire l’appareil.
Le lecteur sait que lorsqu’on produit un ébranlement à l’origine d’une conduite remplie d’air, cet ébranlement se propage dans l’air de la conduite avec une vitesse de 330 mètres par seconde. Quand l’ébranlement rencontre un obstacle, il se réfléchit et revient au lieu d’origine avec la même vitesse de 330 mètres par seconde. Si donc on compte le temps qui s’écoule entre le départ et le retour, la durée ainsi définie correspond au trajet de l’ébranlement sur une longueur égale au double de la distance de l’obstacle ; de l’observation de la durée, on conclut facilement la valeur de la distance.
Exemple : L’intervalle de temps entre le départ et le retour de l’onde produite par l’ébranlement est de 1/3 de seconde ; le double trajet a pour expression , et la distance de l’obstacle est de mètres.
Pour réaliser l’expérience, qui n’est autre chose que celle qui donne la mesure de la vitesse du son dans l’air, on a reproduit la méthode appliquée par M. Regnault à l’étude de la propagation dans les canalisations de la ville de Paris.
Les traces du départ et du retour de l’onde sont enregistrées sur un chronographe, au moment de la fermeture d’un circuit électrique, qui est obtenue par le mouvement d’une membrane de caoutchouc placée à l’extrémité libre du tube.
On connaît la propriété du courant électrique, d’aimanter un fer à cheval par son passage autour des deux noyaux. L’aimantation du fer à cheval communique à une palette placée au-dessus des pôles une attraction, qui cesse dès que le courant est rompu. Sans qu’il soit besoin de plus d’explications sur ce dispositif connu qui est la base de presque tous les appareils télégraphiques, on accordera qu’avec des conducteurs convenablement établis, il sera possible de faire marcher l’armature du fer doux (électro-aimant), comme la membrane élastique ; en d’autres termes, si la membrane se soulève 2, 5, 4 fois dans une seconde, l’armature s’attachera 2, 3, 4 fois dans le même temps au noyau, et les durées comme les intervalles des contacts seront identiques dans les deux appareils.
Ceci posé, nous revenons au chronographe. Le temps s’y marque et s’y compte au moyen d’électro-aimants qui sont en relation avec les instruments usités dans cette mesure. Les battements d’un pendule à secondes sont répétés électriquement et enregistrés suivant une ligne no 2 (voy. la gravure ci-contre), qui est décrite par une pointe fixée à l’électro-aimant, sur un cylindre enfumé animé d’un mouvement de rotation continu. L’électro-aimant dont la pointe décrit la ligne no 2, est mobile sur un chariot qui s’avance suivant une génératrice du cylindre, en même temps que celui-ci tourne.
Le chariot porte deux autres électro-aimants : l’un correspond à un subdiviseur du temps qui donne les fractions moindres que la seconde. C’est lui qui trace la ligne no 1, représentant par ses festons des subdivisions égales à de seconde ; ce fractionnement correspond à l’oscillation de la palette d’un trembleur électrique, sorte d’organe dans lequel les interruptions et les rétablissements du courant s’opèrent à raison de 33 par seconde dans le modèle représenté ici.
Le troisième électro-aimant, en rapport avec la membrane de caoutchouc, correspond au mouvement de l’onde dans le tube ; il fournit la ligne no 3 de la figure. On peut remarquer qu’une même onde éprouve plusieurs réflexions successives.
1. Ligne du trembleur électrique. — 2. Ligne du pendule à secondes.
3. Ligne de la membrane.
Il est facile, en jetant les yeux sur notre diagramme, de voir comment on tire de l’expérience le résultat cherché. Dans le nouvel exemple, l’obstacle est placé à 62 mètres ; l’intervalle entre deux marques successives de la membrane est de 12 subdivisions. La comparaison des lignes no 1 et no 2 montre qu’il y a 33 subdivisions dans une seconde, les indications de la ligne no 3 équivalent donc à de seconde. La double distance représente , et la longueur simple donnée par l’expérience est ainsi de mètres ; l’approximation est de 2 mètres.
Il faut expliquer maintenant comment on produit l’onde, et décrire la figure qui représente l’ensemble de l’expérience. À gauche, T est le tube dans lequel un pistolet V est placé pour produire la détonation qui donne naissance à l’onde. Sur la table, au centre de la figure, est le chronographe : M est le mouvement d’horlogerie qui fait tourner le cylindre enregistreur, à la surface duquel se développent les lignes no 1, no 2, no 3.
S est le chariot portant les trois électro-aimants dont chacun trace sa ligne. L’électro-aimant extrême (ligne no 1) est le trembleur, en relation avec la pile PP″. L’électro-aimant médian (ligne no 2), est relié au pendule à secondes R. Enfin l’électro-aimant (ligne no 3) communique électriquement avec la membrane de caoutchouc qui surmonte le tube T et en ferme exactement l’ouverture, sur laquelle elle est tendue comme une peau de tambour.
Le lecteur nous pardonnera ces détails arides ; nous avons cru utile de faire connaître avec quelque longueur un procédé fondé sur l’emploi d’un enregistreur. Les méthodes d’observation doivent des ressources précieuses à ces appareils, dont l’usage se répand chaque jour au grand profit de la science.