(1/3)

(2/3)

LA TÉLÉGRAPHIE ATMOSPHÉRIQUE
LES TUYAUX PNEUMATIQUES.

La question de la distribution des dépêches dans l’intérieur des villes, a remis en faveur les systèmes de transport pneumatiques, qui, après avoir eu leur heure de célébrité, semblaient depuis vingt ans voués à l’oubli.

Nous allons, en suivant les phases de cette question, montrer par quelle logique la télégraphie atmosphérique dérive de la télégraphie électrique ; nous nous attacherons ensuite, plus spécialement à la première, et après avoir indiqué ce qu’elle est aujourd’hui, nous rechercherons quel avenir lui est réservé.

La dépêche télégraphique est devenue un objet de consommation courante ; on veut aller vite en ce temps, il était naturel, étant donnée cette tendance, qu’on utilisât avec empressement un moyen aussi commode de transmettre presque instantanément ses impressions ou ses volontés à toutes les distances. Quelques-uns prétendent même que cette conquête de l’industrie n’est pas étrangère à la fièvre de progrès qui nous dévore, nous n’entrerons point dans ce débat.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une ville comme Londres ou Paris expédie et reçoit chaque jour un grand nombre de télégrammes. Les fils qui servent de conducteurs à l’électricité, sont multipliés dans toutes les directions afin de suffire à ce trafic. Ils aboutissent dans l’intérieur, à un centre qui est l’hôtel des télégraphes.

Cette station centrale parle urbi et orbi, en d’autres termes, elle reçoit les dépêches de la ville pour les répandre dans le monde entier, elle se prête aussi au mouvement inverse. Le côté qui nous intéresse ici, c’est la distribution dans la ville même ; examinons ce qu’on a fait pour arriver au but.

Chaque maison ne pouvant être mise immédiatement en communication avec le centre du réseau télégraphique, il a fallu adopter un moyen terme. Dans l’exemple que nous prendrons, Paris, on a divisé la ville en circonscriptions d’un rayon moyen de 500 mètres pour limiter les déplacements des piétons. L’application de cette règle a donné sur le plan cinquante points distants les uns des autres d’un kilomètre, où sont installés autant de succursales de grand bureau.

Un tracé rayonnant fait communiquer électriquement tous les postes auxiliaires avec la station centrale ; ce système semble, à première vue, irréprochable. Mais bientôt l’expérience a fait reconnaître que les diverses succursales fournissent très-irrégulièrement leur contingent de besogne. Le télégraphe est un agent nerveux par excellence, il suit les caprices du public et lui-même est fantasque comme le temps. Ceci demande quelques mots d’explication.

À la Bourse, plus qu’ailleurs, les jours se suivent sans se ressembler ; 3 ou 4 fils suffiront aujourd’hui pour écouler le stock ; demain, vienne un incident, 20 ou 300 fils seront nécessaires. La transmission électrique n’est pas instantanée ; les mots sont formés par des signaux successifs, il faut deux minutes pour envoyer 20 mots. Pour être prête à toute éventualité, l’administration devra faire les frais d’un personnel souvent inoccupé et réunir un matériel considérable : le procédé est ruineux.


D’autre part, les appareils électriques composés d’organes très-délicats, sont sujets à des dérangements d’autant plus fréquents qu’ils sont plus surmenés, les nerfs des employés se mettant ensuite de la partie, vous comprendrez que pour la télégraphie urbaine, la transmission électrique est un méchant moyen dans les stations encombrées.

Voici un exemple où, après avoir marché trop vite dans la voie du progrès, on fut ramené en arrière. Pendant trois ans on assura le service de l’échange des dépêches entre la station centrale et la Bourse, au moyen de voitures. C’était bizarre, et néanmoins les rieurs n’eurent pas beau jeu, une amélioration notable fut la conséquence du changement de système.

On était sur la voie du tube pneumatique ; en voyant circuler tout le jour sur le même trajet cette file de courriers qui gênaient la circulation, on pensa qu’un tube souterrain reliant les deux points pourrait servir de trait d’union avec moins d’embarras. Le tube est posé, les dépêches placées dans de petites boîtes arrivent soufflés par l’air comprimé, comme une balle lancée dans un fusil à vent.

Les Anglais qui avaient réalisé les premiers chemins de fer atmosphériques furent encore les premiers en ligne dans cette nouvelle application : depuis 1854 des tubes sont employés à Londres pour la distribution des dépêches ; cependant jusqu’à ces dernières années le développement du réseau a été très-lent. L’exemple a été suivi à Paris et à Berlin en 1865 ; nous parlerons aujourd’hui du système de Paris.

Représentons-nous sur le plan, les 50 stations distantes les unes des autres d’un kilomètre environ, reliées par un tube de fer interrompu à chacune d’elles. La station centrale par laquelle s’effectue le transit des dépêches avec l’extérieur, est à la rue de Grenelle ; il y a ensuite les stations de quartiers, rue Boissy-d’Anglas, Grand-Hôtel, Bourse, etc., actuellement au nombre de 17.

Réseau des tubes pneumatiques à Paris.

Comment fonctionne ce réseau ? Comme un petit chemin de fer souterrain dans lequel les wagons sont des boîtes cylindriques, et le moteur, de l’air comprimé, préparé dans les stations. Au bureau central on forme les trains, composés d’autant de boîtes qu’il y a de succursales à desservir. Les trains sont omnibus quand ils s’arrêtent aux gares intermédiaires, express lorsqu’ils brûlent ces dernières.

Chaque quart d’heure, un train omnibus quitte la rue de Grenelle, et franchit la distance qui la sépare du bureau de la rue Boissy-d’Anglas (1 500 mètres) en une minute et demie. Là il est reçu dans une colonne verticale P (fig. 2), et l’on en tire la boîte qui apporte les dépêches à distribuer dans le quartier, les autres sont remises dans la section de ligne qui se dirige vers le Grand-Hôtel, et on y ajoute une nouvelle boîte emportant les dépêches à transmettre, déposées depuis le dernier courrier. Le train repart donc, composé d’autant de curseurs que précédemment ; il subit les mêmes manipulations au Grand-Hôtel, à la Bourse, à la place du Théâtre-Français et à la rue des Saints-Pères. Il rentre à la rue de Grenelle, 12 minutes après le départ, ayant échangé toutes ses boîtes et rapportant les dépêches du départ.

Nous avons laissé à dessein de côté le rôle des réseaux secondaires, pour ne pas compliquer l’explication. À l’inspection de notre carte, le lecteur verra qu’une circulation analogue à celle du premier réseau s’établit, en correspondance avec elle, sur les deux circuits :

Bourse.
Rue J.-J. Rousseau.
R. des Vieilles-Haudriettes.
Place du Château-d’Eau.
Porte St-Denis.
Bourse.
  Bourse.
Rue Ste-Cécile.
Gare du Nord.
Boulev. Rochechouart.
Rue Lafayette.
Bourse.

C’est comme une série d’engrenages commandés par un pignon central.

Il reste, à parler de la ligne directe qui va de la rue de Grenelle à la Bourse, et des embranchements des Champs-Élysées, de la Place du Havre, et la rue des Halles. Sur la première circulent les trains express d’aller et de retour, dont les départs sont intercalés entre ceux des trains omnibus, afin de desservir ces stations qui sont les plus actives, deux fois par quart d’heure. L’aller se fait par la pression, le retour par l’aspiration. Le même mode d’exploitation est appliqué aux embranchements, qui correspondent avec les trains omnibus du premier réseau ou réseau principal.

Pour compléter ces indications, nous allons entrer dans quelques détails plus spéciaux :

Tubes. — Les tubes de lignes sont en fer ; le diamètre intérieur est de 0m,065. Ils sont assemblés par des joints à brides, disposés ainsi que le montre la figure 1 ; on admet des courbes de 5 à 20 mètres de rayon.

Fig. 1. Tube pneumatique.

Production de l’air comprimé ou raréfié. — Divers systèmes sont employés. Le premier en date est une application du principe de l’appareil de physique connu sous le nom de Fontaine de Héron. On transvase l’air atmosphérique d’un premier récipient B (fig. 2), dans un second récipient communiquant avec le premier au moyen du tube bb, par une introduction d’eau dans le récipient B. L’air ainsi forcé est puisé dans le récipient pour être dépensé dans le tube. La facilité que procure la canalisation d’eau de la ville de Paris de renouveler autant que l’on veut cette opération, a rendu ce moyen très-pratique en fournissant une solution élégante.

Fig. 2. Appareil à production de l’air comprimé.

Lorsqu’on n’est pas tenu à faire les installations dans des quartiers où les machines ne sont pas tolérées, l’emploi de la vapeur est beaucoup plus économique pour la compression de l’air. On a recours alors à des pompes ordinaires, avec lesquelles on peut assurer un service actif et soumis à moins de causes d’irrégularités. C’est ce dernier mode qui a été préféré dans les récents établissements.

Les trains composés de dix boîtes pèsent quatre kilogrammes environ, ils sont poussés ou aspirés par une différence de pression de trois quarts d’atmosphères, qui donne la vitesse moyenne de un kilomètre par minute.

Ch. Bontemps.

La suite prochainement.