L’Encyclopédie/1re édition/VICE

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VICE, s. m. (Droit naturel, Morale, &c.) c’est tout ce qui est contraire aux lois naturelles, & aux devoirs.

Comme le fondement de l’erreur consiste dans de fausses mesures de probabilité, le fondement du vice consiste dans les fausses mesures du bien ; & comme ce bien est plus ou moins grand, les vices sont plus ou moins blâmables. Il en est qui peuvent être pour ainsi dire compensés, ou du-moins cachés sous l’éclat de grandes & brillantes qualités. On rapporte qu’Henri IV. demanda un jour à un ambasseur d’Espagne, quelle maîtresse avoit le roi son maître ? L’ambassadeur lui répondit d’un ton pédant, que son maître étoit un prince qui craignoit Dieu, & qui n’avoit d’autre maîtresse que la reine. Henri IV. qui sentit ce reproche, lui répartit avec un air de mépris, si son maître n’avoit pas assez de vertus pour couvrir un vice.

Les vices qui peuvent être ainsi cachés ou couverts, doivent provenir plus du tempérament & du caractere naturel que du moral ; ils doivent être en même tems des écarts accidentels, des passions, des surprises de l’homme : Lorsqu’ils arrivent rarement, & qu’ils passent vîte, ils peuvent être cachés, comme des taches dans le soleil, mais ils n’en sont pas moins des taches. Si on ne les corrige, ils cessent d’être taches, ils répandent une ombre générale, & obscurcissent la lumiere qui les absorboit auparavant.

Voyez dans Racine comme Hippolyte répond à son gouverneur, act. I. scene j. c’est un morceau qu’on ne se lasse pas d’admirer. Il dit à Théramene que son ame s’échauffoit au récit des nobles exploits de son pere quand il lui en faisoit l’histoire ; mais, continue-t-il, quand tu me parlois de faits moins glorieux,

Ariane aux rochers contant ses injustices,
Phédre enlevée enfin sous de meilleurs auspices ;
Tu sais comme à regret, écoutant ce discours,
Je te pressois souvent d’en abreger le cours ;
Heureux si j’avois pu ravir à la mémoire
Cette indigne moitié d’une si belle histoire.
Et moi-même à mon tour je me verrois lié ?
Et les dieux jusques-là m’auroient humilié ?
Dans mes lâches soupirs d’autant plus méprisable,
Qu’un long amas d’honneurs rend Thésée excusable,
Qu’ancuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui,
Ne m’ont acquis le droit de fallir comme lui.

Les défauts qu’on trouve dans la vie des grands hommes, sont comme ces petites taches de rousseur qui se rencontrent quelquefois sur un beau visage, elles ne le rendent pas laid, mais elle l’empêchent d’être d’une beauté parfaite : si cela est, que doit-on penser de ces gens qui sont tous couverts de taches vicieuses ; j’aurois cent choses à dire là-dessus, d’après les moralistes, mais je me contenterai de rapporter une seule réflexion de Montagne, homme du monde, & qu’on peut croire en ces matieres. Cette réflexion est dans le l. III. c. ij. de ses essais.

« Il n’est vice, dit-il, véritablement vice qui n’offense, & qu’un jugement entier n’accuse : car il a de la laideur, & incommodité si apparente, qu’à l’aventure, ceux-là ont raison, qui disent qu’il est principalement produit par bestile ignorance, tant est-il mal-aise d’imaginer, qu’on le cognoisse sans le hayr. La malice hume la plûpart de son propre venin, & s’en empoisonne. Le vice laisse comme un ulcere en la chair, une répentance en l’ame, qui toujours s’esgratigne, & s’ensanglante elle-même. » (D. J.)

L’usage a mis de la différence entre un défaut & un vice ; tout vice est défaut, mais tout défaut n’est pas vice. On suppose à l’homme qui a un vice, une liberté qui le rend coupable à nos yeux ; le défaut tombe communément sur le compte de la nature ; on excuse l’homme, on accuse la nature. Lorsque la philosophie discute ces distinctions avec une exactitude bien scrupuleuse, elle les trouve souvent vuides de sens. Un homme est-il plus maître d’être pusillanime, voluptueux, colere en un mot, que louche, bossu ou boiteux ? Plus on accorde à l’organisation, à l’éducation, aux mœurs nationales, au climat, aux circonstances qui ont disposé de notre vie, depuis l’instant où nous sommes tombés du sein de la nature, jusqu’à celui où nous existons, moins on est vain des bonnes qualités qu’on possede, & qu’on se doit si peu à soi-même, plus on est indulgent pour les défauts & les vices des autres ; plus on est circonspect dans l’emploi des mots vicieux & vertueux, qu’on ne prononce jamais sans amour ou sans haine, plus on a de penchant à leur substituer ceux de malheureusement & d’heureusement nés, qu’un sentiment de commisération accompagne toujours. Vous avez pitié d’un aveugle ; & qu’est-ce qu’un méchant, sinon un homme qui a la vue courte, & qui ne voit pas au-delà du moment où il agit ?

Vice, (Hist. mod.) est un terme qui entre dans la composition de plusieurs mots, pour marquer le rapport de quelque chose ou de quelque personne qui en remplace une autre.

En ce sens, vice est un mot originairement latin, dérivé de vices que les Romains joignoient avec le verbe gerere, pour exprimer agir au lieu ou à la place d’un autre.

Vice-amiral, est en Angleterre un des trois principaux officiers des armées navales du roi, lequel commande la seconde escadre, & qui arbore son pavillon sur le devant de son vaisseau, qui porte aussi le nom de vice-amiral. Nous avons en France deux vice-amiraux, l’un du ponant, & l’autre du levant ; le premier commande sur l’Océan, & l’autre sur la Méditerranée. Il sont supérieurs à tous les autres officiers généraux de la marine, & subordonnés à l’amiral. Voyez Amiral & Armée navale.

Vice-chambellan, nommé aussi sous-chambellan dans les anciennes ordonnances, est un officier de la cour immédiatement au dessous du lord chambellan, en l’absence duquel’il commande aux officiers de la partie de la maison du roi qu’on appelle la chambre au premier. Voyez Chambellan.

Vice-chancelier d’une université, est un membre distingué qu’on élit tous les ans pour gouverner les affaires en l’absence du chancelier, dans les universités d’Angleterre. On l’appelle dans celle de Paris sous-chancelier, & sa fonction est de donner le bonnet aux docteurs & aux maîtres-ès-arts, en l’absence du chancelier. V. Chancelier & Université.

Vice-consul, (Comm.) officier qui fait les fonctions de consul, mais sous les ordres de celui-ci, ou en son absence.

Il y a plusieurs échelles du levant, & quelques places maritimes de l’Europe, où la France & les autres nations n’entretiennent que des vice-consuls, ce qui dépend ordinairement du peu d’importance du lieu & du commerce qu’on y fait. Voyez Consul.

Vice-doge, est un conseiller ou sénateur, noble vénitien, qui représente le doge, lorsque celui-ci est malade ou absent ; & qu’on choisit afin que la république ne demeure jamais sans chef. Mais ce vice-doge n’occupe jamais le siege ducal, ne porte point la couronne, & n’est point traité de sérénissime. Cependant les ministres étrangers en haranguant le corps des sénateurs, donnent au vice-doge le titre de prince sérénissime. Il fait toutes les fonctions du doge, & répond aux ambassadeurs en demeurant couvert, comme le chef de la république. Voyez Doge.

Vice-gérent est un vicaire, un député, un lieutenant. Voyez ces termes à leur place. En France nous avons des vice-gérents dans les officialités : ce sont des ecclésiastiques choisis par l’évêque, pour tenir la place de l’official en cas d’absence ou de maladie. Voyez Official.

Vice-légat est un officier que le pape envoie à Avignon, ou dans quelqu’autre ville pour y faire la fonction de gouverneur spirituel & temporel, quand il n’y a point de légat ou de cardinal qui y commande. Toute la Gaule narbonnoise, comme le Dauphiné, la Provence, &c. a recours au vice-légat d’Avignon pour toutes les expéditions ecclésiastiques, de même maniere que les autres provinces de France s’adressent à Rome. Voyez Légat.

Vice-roi est le gouverneur d’un royaume, qui y commande au nom du roi avec une autorité souveraine. Dans le tems que Naples & la Sicile étoient soumises à l’Espagne, elle y envoyoit des vice-rois. La cour de Vienne lorsqu’elle étoit en possession de ces pays, les gouvernoit aussi par des vice-rois. Le gouverneur général d’Irlande a le titre de vice-roi, & l’Espagne le donne aussi à ceux qui gouvernent en son nom le Mexique & le Pérou.

Vice-seigneur est un vicomte, un shérif, ou un vidame. Voyez ces mots.

Vice-seigneur d’une abbaye ou d’une église, en droit civil & canon, est un avocat ou advoué, c’est-à-dire un défenseur ou protecteur de l’abbaye ou de l’église. Voyez Advoué.

Vice seigneur de l’évêque, en droit canon, est un commissaire ou vicaire général de l’évêque. Voyez Commissaire.