L’Encyclopédie/1re édition/FEVE

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FEVE, s. f. faba (Hist. nat. bot.) ; genre de plantes à fleurs papilionacées ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite une gousse longue, qui renferme des semences applaties, & faites à-peu-près en forme de rein : ajoûtez aux caracteres de ce genre, que les tiges sont fermes & garnies de feuilles rangées par paires sur une côte terminée par une petite pointe. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plante. (I)

Feve, (Jardinage.) Boerhaave compte six especes de ce genre de plante, & Tournefort huit ; mais il suffira de décrire la principale, que les Botanistes appellent faba major, & les François feve de jardin ou de marais. Voyez donc Feve de jardin, (Botan.)

Dodonée donne le nom de boona à la graine de cette plante ; les Allemands disent boon, les Anglois bean, & les habitans de la Lombardie bajana.

Ce fruit légumineux est un de ceux qui peuvent le mieux servir à découvrir la nature & la structure des graines en général. On distingue dans celle-ci, outre ses deux peaux, trois parties qui la composent ; de plus son corps est partagé en deux lobes, dont l’un est appellé la radicule, & l’autre la plume ; la radicule devient la racine de la plante, & la plume forme sa tige, portant feuilles & fleurs : c’est dans la plume qu’existent les feuilles de la feve délicatement roulées, & déjà formées dans le même état où elles doivent se déployer hors de terre.

Les parties organiques & similaires de la feve sont, 1°. la cuticule qui se nourrit, croît avec la feve, & s’étend sur toute sa surface ; 2°. le parenchyme qui est le même dans les lobes, la radicule, la plume, & le corps de la feve ; 3°. le corps intérieur, distribué partout le parenchyme, & que Grew nomme la racine séminale, & distingue de la radicule. Dans la racine qui est composée d’une pellicule, d’une partie corticale, & d’une partie ligneuse, se trouve souvent une espece de moëlle douce & pulpeuse. Voyez ici l’anatomie des plantes du célebre auteur anglois ; car comme il n’est pas possible d’entrer dans les détails, nous ajoûterons seulement, que suivant les observations de Boyle, l’expansion de la feve dans sa croissance, est si considérable, qu’elle peut élever un corps chargé de cent livres de poids. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Féve de jardin, (Botaniq.) faba, Raii hist. 909. faba major hortensis, Off. faba flore candido lituris nigris conspicuo, C. B. P. 338. faba cyamos, J. B. 2. 278. faba major recentiorum, Lob. Icon. 57. &c.

La racine de féve de jardin ou de marais, comme on dit à Paris, est en partie droite & en partie rempante, garnie de tubercules & de fibres : ses tiges sont hautes de deux coudées & plus, quadrangulaires, creuses, couvertes de plusieurs côtes qui naissent par intervalles, terminées en pointe, auxquelles sont attachées des paires de feuilles sans symmétrie, au nombre de trois, de quatre, de cinq, ou davantage, oblongues, arrondies, un peu épaisses, bleuâtres, veinées, & lisses.

Ses feuilles naissent plusieurs en nombre des aisselles des côtes sur un même pédicule, rangées par ordre & du même côté : elles sont légumineuses ; la feuille supérieure ou l’étendard est blanc, pannaché de veines purpurines, & pourpré à sa base ; les feuilles latérales ou les aîles, sont noires au milieu, & blanches à leur bord ; la feuille inférieure ou la carine, carina, est verdâtre.

Leur calice est verd, partagé en cinq quartiers ; il en sort un pistil qui se change dans la suite on une gousse longue, épaisse, charnue, velue, relevée, remplie de graines ou de feves, au nombre de trois, de quatre, de cinq, & rarement d’un plus grand nombre : elles sont oblongues, larges, applaties, en forme de rein, grosses, & pesant quelquefois une demi-dragme ; ordinairement elles sont blanches, quelquefois rouges ; elles ont une marque longue & noire à l’endroit où elles sont attachées à leur gousse. L’écorce de cette feve est épaisse, & comme coriace, sa substance intérieure étant desséchée, est dure, solide, & se partage aisément en deux parties, entre lesquelles se trouve a une des extrémités la plontale, qui est très-apparente.

Après que cette plante a donné sa graine, elle se desseche entierement. Les feves vertes & mûres sont des légumes dont on mange souvent ; on les cultive beaucoup dans toute l’Europe.

Mais il regne une grande dispute parmi les Botanistes, pour savoir si notre feve ou le boona de quelques modernes (boon par les Allemands, & bean par les Anglois), est la féve des anciens. On trouvera cette question traitée dans Tragus, Dodonée, J. Bauhin, C. Hoffinan, Melchior Sebizius, &c. Ce qui est certain, c’est que la féve des anciens étoit petite & ronde, comme on le peut voir dans plusieurs endroits de Théophraste, de Droscoride, & autres. D’un autre côté, on a bien de la peine à croire qu’un légume qui étoit si commun, & que l’on employoit tous les jours, ne soit plus en usage à présent, ou qu’il ait changé de nom, & que le boona ait pris sa place & son nom, sans que personne s’en soit apperçu ; car ce boona nous est donné d’un consentement unanime pour la feve, & le mot faba des Latins, répond au κύαμος des Grecs ; ce changement de nom n’est cependant pas sans exemples.

Les feves vertes contiennent un sel essentiel ammoniacal, tellement mêlé de soufre, de terre, & de flegme, qu’il en résulte un mucilage ; mais lorsqu’elles sont mûres, un peu gardées & desséchées, il se fait une certaine fermentation intérieure, qui dissout ce mucilage, & qui développe de plus en plus les principes. Les sels acides, par un nouveau mélange avec le soufre & la terre, se changent en des sels urineux volatils, ou en alkalis fixes : c’est pourquoi on trouve une plus grande quantité de ces sels volatils dans les feves mûres, & elles ne donnent presqu’aucun sel acide dans la distillation. Ces remarques sont de M. Geoffroy.

Pour ce qui regarde la nature & les vertus de la feve, voyez Feve de jardin, (Matiere médic. & Diete.) Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Feve de Jardin, (Mat. méd. & Diete.) nous faisons beaucoup plus d’usage aujourd’hui de la feve de jardin ou marais, dans nos cuisines, que dans nos boutiques : on les mange vertes & fraîches dans les meilleures tables, après les avoir fait cuire avec des herbes aromatiques, la sarriette, par exemple, & les autres assaisonnemens ordinaires ; entieres, lorsqu’elles sont tendres ; & écorcées, lorsqu’elles commencent à durcir en mûrissant ; lorsqu’elles sont seches, on en fait de la purée : en général on en mange peu de séchées à Paris. Mais il y a certaines provinces où elles sont une nourriture fort ordinaire : sur mer les matelots en font un usage journalier. L’opinion commune est que nos feves sont venteuses & difficiles à digérer : mais en général on peut dire que c’est un mets fort bon pour les gens de la campagne, qui sont accoûtumés à des travaux durs, aussi-bien que pour les gens de mer ; au lieu qu’il ne convient point aux personnes délicates, ni à celles qui ne s’occupent point de travaux pénibles.

Isidore assûre que les feves ont été le premier légume dont les hommes ayent fait usage. Pline rapporte que les feves étoient de tous les légumes ceux qu’on révéroit le plus ; parce que, dit cet auteur, on avoit tenté d’en faire du pain. Il ajoûte que la farine de feves s’appelloit lomentum ; qu’on la vendoit publiquement, & que l’usage en étoit fort commun tant pour les hommes que pour les bestiaux. Il y avoit, selon le même Pline, des nations qui mêloient cette farine avec celle de froment.

Quant à l’usage médicinal, on peut dire en général que nous employons rarement les feves ; leur farine est une des quatre farines résolutives. Voy. Farines (les quatre). Riviere & Etmuler recommandent celle de feve en particulier comme un excellent discussif & résolutif, appliquée en cataplasme, dans les inflammations des testicules.

On distille quelquefois, chez les Apothicaires, les fleurs de feves, & cette eau est estimée bonne pour tenir le teint frais, & blanchir la peau : on fait avec cette eau & la farine de feve, un cataplasme très-liquide, qui, appliqué sur le visage, passe pour en ôter les taches de rousseur.

On tenoit autrefois dans les boutiques une eau distillée de gouttes de feves, & un sel fixe tiré des cendres de toute la plante ; on regardoit cette eau & ce sel comme de puissans diurétiques, & même comme des spécifiques dans la néphrétique : mais on est revenu de cette niaiserie ; on ne prépare plus cette eau, & fort rarement ce sel. (b)

Feve de Bengale, (Mat. méd.) fruit étranger, qu’on trouve souvent avec le myrobolan citrin, & qui nous vient des Indes orientales par les vaisseaux de nos compagnies. Myrobolani species à nonnullis credita, Raii Dendrol. 134. Faba Bengalensis, Angl. C’est une excroissance compacte, ridée, ronde, applatie, creusée en maniere de nombril, large d’environ un pouce, brune en-dehors, noirâtre en-dedans, d’un goût stiptique & astringent sans odeur.

Le docteur Marloë medecin anglois, est le premier, dit Samuel Dale, qui ait fait connoître & mis en usage ce remede étranger sous le nom énigmatique de feve de Bengale : c’est pourquoi quelques-uns ont cru que c’étoit le fruit de Bengale de Clusius, Exot. liv. II. ch. xxjv. d’autres, que c’est une espece de myrobolans ; d’autres enfin, que c’est la fleur du myrobolan citrin, parce qu’il se trouve souvent avec ces fruits. Mais Dale croit que c’est une excroissance qui s’est formée par la piquûre de quelque insecte, ou plûtôt que c’est le myrobolan citrin lui-même, qui blessé par cette piquûre, a pris une forme monstrueuse. On observe souvent que les prunes étant piquées par quelque insecte, perdent leur figure naturelle & deviennent creuses en-dedans sans contenir aucun osselet.

Ce fruit n’est pas d’un grand usage en France : cependant comme il est fort astringent, on peut l’employer avec utilité seul, ou joint aux myrobolans, & autres remedes de même espece, dans les diarrhées, les dyssenteries, les hémorrhagies, & tout cas où il s’agit d’incrasser modérément le sang, de resserrer les orifices des veines & artérioles, & d’adoucir les humeurs acres. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Feve d’Égypte, (Bot. exotiq.) cette plante curieuse par sa beauté, est la nymphæa affinis malabarica, folio & fore amplo, colore candido, Hort. Mal. 11. 39. fab. 30. Breyn Nelumbo Zeylonensium. Tour. inst. 261. Nelumbo nymphæa alba indica, maxima, flore albo, fabifera, Herm. Mus. Zeyl. 66. Nymphæa indica, glandifera, indiæ paludum, gaudens foliis umbilicatis, amplis, pediculis spinosis, flore roseo, purpureo, & albo, Pluk. Almag. 267.

Ainsi nos meilleurs botanistes connoissent la feve d’Egypte pour une espece de nymphée à fleurs blanches, pourpres, & incarnates ; idée qu’Hérodote semble en avoir eue, lorsqu’il a parlé d’un lis d’eau, couleur de rose, & d’un lis blanc, qui naissent dans le Nil.

Sa fleur est peut-être la même qu’un certain poëte présenta comme une merveille à Hadrien, sous le nom de lotus antinoien, suivant le témoignage d’Athénée, liv. XV. & Plutarque l’appelle le crépuscule, par rapport à la couleur de ce beau moment du jour.

Son fruit, qui a la forme d’une coupe de ciboire, en portoit le nom chez les Grecs ; dans les bas-reliefs, sur les médailles, & sur les pierres gravées, il sert souvent de siége à un enfant.

La tige de la feve d’Egypte a une coudée de haut ; ses feuilles sont très-larges, creusées en forme de nombril, & attachées à des pédicules hérissés de piquans. Voyez les figures de la plante entiere dans les auteurs que nous avons cités, Plucknet, Breynius, & Commelin. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Feve de S. Ignace, (Bot. & Mat. med.) en latin faba sancti Ignatii, off. Igasur, seu nux vomica legitima serap. G. Camelli, Mananaag, Indor. Cathologan, & Pepita de Bisayas, Hispanor.

Cette feve est un noyau arrondi, inégal, en quelque maniere noüeux, très-dur, à demi-transparent, & d’une substance comme de corne, très-difficile à rompre, facile à raper, semblable à la noix vomique, de la grosseur d’une aveline, du goût d’un pepin de citron, mais beaucoup plus amer ; d’une couleur grise, verdâtre, ou rougeâtre en-dehors, & blanchâtre en-dedans. Voyez Hill’s, hist. mat. med. pag. 509.

Les PP. Jésuites portugais-missionnaires nous ont apporté vers le commencement de ce siecle, des îles Philippines, cette espece de noyau qui étoit inconnu jusqu’alors en Europe.

La plante qui le produit s’appelle catalongay, & cantara, G. Camelli, act. philos. Lond. 2°. 250. Cacurbitifera Malabathri foliis scandens ; catalongay & cantara Philippinis orientalibus dicta, cujus nuclei Pepitas de Bisayas, aut catalogan, & fabæ sancti Ignatii ab Hispanis, Igasur, & Mananaag insulanis nuncupati, Pluck. Mant.

Cette plante qui vient dans l’île de Luzone & dans les autres Philippines, est de la classe des grimpantes, & monte même en serpentant jusqu’au haut des plus grands arbres. Son tronc est ligneux, lisse, poreux, quelquefois de la grosseur du bras, couvert d’une écorce raboteuse, épaisse, & cendrée. Ses feuilles sont grandes, garnies de nervures, ameres, presque semblables à celles du malabathrum, mais plus larges. Sa fleur ressemble à celle du grenadier.

Il lui succede un fruit plus gros qu’un melon, couvert d’une peau fort mince, luisante, lisse, & d’un verd sale, ou de couleur d’albâtre : sous cette petite peau est une autre écorce d’une substance dure, & comme pierreuse. L’intérieur de ce fruit est rempli d’une chair un peu amere, jaune & molle, dans laquelle sont renfermés le plus souvent vingt-quatre noyaux de la grosseur d’une noix, lorsqu’ils sont frais, couverts d’un duvet argenté, & de différentes & inégales figures : ces noyaux en séchant diminuent & n’ont plus que la grosseur d’une noisette ou aveline. Voilà cette aveline connue en matiere médicale sous le nom de feve de S. Ignace.

Ceux qui en font usage, la donnent aux adultes, réduite en poudre par le moyen d’une fine rape, à la dose de 24 grains, & à celle de 4 grains pour les petits enfans : d’autres la font macérer pendant douze heures dans du vin, ou quelque eau distillée convenable, & en prescrivent l’infusion. L’huile de ces feves est un puissant émétique, à la dose d’once j. La teinture jaunâtre de cette noix, par le secours de l’esprit-de-vin, se prescrit intérieurement depuis scrupule j. jusqu’à demi-dragme, & est recommandée extérieurement contre la sciatique & autres douleurs des articulations.

Quelques-uns vantent les vertus de ces noyaux & leurs diverses préparations dans les affections comateuses, la léthargie, l’apoplexie, la paralysie, l’épilepsie, les poisons, & même dans d’autres maladies plus communes, comme le catarrhe, les vers, la colique, la suppression des mois & des vuidanges. Wedelius prétend avoir heureusement employé la feve de S. Ignace dans les fievres continues. Michel Bernard Valentin, qui a le premier publié une dissertation sur cette feve ; dans son traité des polychrestes exotiques, & depuis dans son histoire réformée des simples, n’en fait pas de moindres éloges que son compatriote, pour la cure des maladies chroniques invétérées.

Le P. Georges Camelli jésuite, dans sa description des plantes de l’île de Luzone, la principale des Philippines, croit que ce noyau est la noix vomique de Serapion. Voyez la lettre de ce curieux jésuite, adressée à Rai & à Petivet, dans les Trans. philosop. ans. 1699, pag. 87, & dans les acta eruditor, an. 1700, pag. 552. Il rapporte dans cette lettre plusieurs détails, que nous ne transcrirons pas, sur l’estime singuliere qu’en font les Indiens ; mais il ajoûte à son récit des observations qui prouvent clairement combien la feve de S. Ignace est dangereuse, puisqu’elle produit dans les Espagnols des mouvemens spasmodiques, le vertige, la syncope, & des sueurs froides. C’en est trop pour justifier que les qualités de ce noyau ne sont guere différentes de celles de la noix vomique : aussi ce remede n’est point usité par tout ce qu’il y a de medecins éclairés, sages & prudens ; peut-être même feroit-on bien de le bannir entierement de la Medecine. En effet qu’avons-nous besoin de drogues étrangeres, plus capables d’inspirer des alarmes que de la confiance, dans le succès de leurs opérations ? Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Feve, (Hist. anc.) La feve, je dirai mieux le κύαμος des Grecs, & le faba des Latins, étoit respectée ou regardée comme impure par plusieurs peuples de l’antiquité, & en particulier par les Egyptiens ; car leurs prêtres s’en abstenoient, selon le témoignage d’Hérodote. Les Romains les employoient dans les funérailles, & autres cérémonies funebres. Voyez Lémurales.

Le vulgaire croyoit que ce monde étoit rempli de démons, lemures, les uns bons qu’ils appelloient lares, les autres mauvais qu’ils nommoient spectres, larvæ, spectra. Il étoit persuadé de l’apparition de ces derniers ; opinion folle dont il n’est pas encore revenu, & dont il ne reviendra jamais.

Ce fut pour appaiser ces malins génies, qu’on jettoit sur les tombeaux quantité de feves, qui passoient pour le symbole de la mort. Ces idées ridicules donnerent naissance à la Nécromantie, que l’avidité du gain fit embrasser à plusieurs imposteurs. Ils mirent à profit l’ignorante crédulité du peuple, en s’attribuant le pouvoir d’évoquer les ames, de les interroger, & d’en apprendre l’avenir. Voy. Evocation & Nécromantie.

On peut lire dans les fastes d’Ovide, la maniere dont ils évoquoient les mauvais esprits, en leur offrant des feves. N’est-ce point-là l’origine de l’usage qui regne encore en plusieurs pays catholiques, d’en manger & d’en distribuer le jour de la commémoration des morts ?

Mais qu’a voulu dire Pythagore par la célebre ordonnance qu’il fit à ses disciples de s’abstenir des feves, κύαμων ἀπέχη ? Les anciens eux-mêmes expliquent diversement ce précepte, & par conséquent en ignorent le véritable sens. Quelques-uns l’entendent des feves au propre ; parce que leur nourriture est nuisible à la santé des Gens de Lettres, qu’elle cause des vents, des obstructions dans les visceres, appesantit la tête, trouble l’esprit, & obscurcit la vûe : c’est le sentiment de Cicéron, de divinat. lib. I. cap. xxx. D’autres, comme Pline le raconte, l’attribuent à ce que les feves contiennent les ames des morts, & qu’on trouve sur leurs fleurs des lettres lugubres. D’autres prennent le mot de κύαμος énigmatiquement, pour l’impureté & la luxure.

Il y en a qui interpretent, avec Plutarque, cette défense des charges de la république ; car on sait que plusieurs peuples de la Grece se servoient des feves au lieu de petites pierres, pour l’élection de leurs magistrats. A Athenes, la feve blanche désignoit la réception, l’absolution, la réjection, la condamnation, & la noire. Ainsi, selon Plutarque, Pythagore recommandoit ici figurément à ses disciples, de préférer une vie privée toûjours sûre & tranquille, aux magistratures pleines de troubles & de dangers.

Enfin plusieurs anciens & modernes cherchent dans la philosophie de Pythagore, l’explication naturelle de son précepte ; & ces derniers me semblent approcher le plus près de la vérité. En effet Pythagore avoit enseigné que la feve étoit née en même tems que l’homme, & formée de la même corruption : or comme il trouvoit dans la feve je ne sai quelle ressemblance avec les corps animés, il ne doutoit point qu’elle n’eût aussi une ame sujette comme les autres aux vicissitudes de la transmigration, & par conséquent que quelques-uns de ses parens ne fussent devenus feves ; de-là le respect qu’il avoit pour ce légume, & l’interdiction de son usage à tous ses disciples.

Cette opinion de Pythagore que nous venons d’exposer, n’est point un sentiment qu’on lui prete ; elle se trouve détaillée dans la vie que Porphyre a faite de ce philosophe. Aussi Horace, qui long-tems avant Porphyre ne doutoit point que cette idée de transmigration ne fût celle de Pythagore, s’en est moqué plaisamment dans une de ses satyres :

O quando faba Pythagoræ cognata, simulque
Uncta satis pingui ponentur oluscula lardo ?

Sat. vj. lib. II. V. 63.

« Quand pourrai-je, dit-il, dans mes repas rustiques, en depit de Pythagore, me régaler d’un plat de feves, & manger à discrétion de mes légumes, nourries de petit-lard » ?

Au reste le lecteur est maître de consulter sur cette matiere Vossius, de Idolol. lib. III. cap. xxxv. l. IV. cap. xcvij. lib. V. cap. xj. xij. xxv. & xljx. & quelques auteurs qui ont développé le système de Pythagore. Voyez aussi Pythagoriciens. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Feve, (Manége, Maréchall.) maladie de la bouche ; elle est encore connue sous le nom de lampas. Elle consiste dans un tel degré d’épaisseur de la membrane qui tapisse intérieurement la mâchoire supérieure, & qui revêt le palais, que cette membrane excede considérablement la hauteur des pinces ; souvent aussi elle se propage de maniere qu’elle anticipe sur ces mêmes dents. Je ne sai pourquoi les auteurs qui ont traité de l’art vétérinaire, n’ont point parlé de ce dernier cas. Ce prolongement ou ce volume contre nature n’a rien qui doive étonner, lorsque l’on considere que la mucosité filtrée & séparée dans la membrane de Schucider, se répandant sur celle dont il s’agit, par les ouvertures que lui présentent les fentes incisives, l’humecte & l’abreuve sans cesse. C’est précisément dans le lieu de ces ouvertures qu’elle s’étend ou s’épaissit au point de rendre l’action de manger difficile à l’animal ; & celle de tirer le fourrage encore plus laborieuse & même impossible, vû la douleur qu’il ressent à chaque instant où se joignent les extrémités des dents antérieures, entre lesquelles cette membrane se trouve prise & serrée. Dans la pratique, on remédie par le moyen du cautere actuel à cette maladie. Le maréchal, après avoir mis un pas-d’âne dans la bouche du cheval, & s’être armé d’un fer chaud, tranchant & recourbé à l’une de ses extrémités (voyez Fer a Lampas), consume cette partie gonflée précisément entre les deux premiers de ces sillons transverses qui, très-évidens dans l’animal & fort obscurs dans l’homme, s’étendent d’un bord de la mâchoire à l’autre. On observe que le fer ne soit point trop brûlant, & ne porte atteinte à la portion osseuse de la voûte palatine ; ce qui nécessairement occasionneroit une exfoliation & de véritables accidens. Quelqu’ancienne, quelque commune que soit cette opération, je ne la crois point indispensable. S’il n’est question que du gonflement de la membrane, gonflement qui ne survient ordinairement que dans la bouche des jeunes chevaux, & qui souvent ne les incommode point, il suffira, pour le dissiper, d’ouvrir la veine palatine avec la lancette ou avec la corne. Voyez Phlébotomie. Si la membrane s’est prolongée jusque sur les pinces, on pratiquera la même saignée, après avoir coupé avec des ciseaux ou avec un bistouri cette partie excédante ; & lorsque l’animal aura répandu une suffisante quantité de sang, on lui lavera la bouche avec du vinaigre, du poivre & du sel, & on lui fera manger ensuite du son sec. Ces précautions réussissent toûjours, ainsi on peut envisager l’application du cautere comme une ressource consacrée plûtôt par l’usage que par la nécessité. (e)

Feve, (Germe de) Manége, Maréchall c’est ainsi que nous nommons l’espece de tache ou de marque noire que nous observons dans le milieu des douze dents antérieures des poulains, jusqu’à un certain tems ; des chevaux, jusqu’à ce qu’ils ayent rasé ; & de ceux qui sont béguts ou faux-béguts, pendant toute leur vie. Voyez Faux-marqué. (e)

Feve, (Pêche.) Comme les feves procurent un des meilleurs appâts connus pour attraper le poisson, on peut indiquer ici la maniere dont les Anglois les préparent à ce dessein. Prenez un pot de terre neuf, vernissé en-dedans ; faites-y cuire dans de l’eau de riviere une certaine quantité de feves (supposons quatre litrons de feves), qui auront été auparavant macérées dans de l’eau chaude pendant six heures. Lorsqu’elles seront à demi-cuites, ajoûtez-y quatre onces de miel & quatre grains de musc ; donnez au tout encore quelques bouillons, & retirez votre pot du feu. Maintenant, pour employer votre amorce avec succès, choisissez un endroit clair, net & propre de la riviere, afin que le poisson puisse voir au fond de l’eau sa pâture : mettez dans cet endroit une douzaine de feves soir & matin pendant quelques jours. Dès que le poisson aura goûté de vos feves, il ne manquera pas d’accourir en foule dans le même lieu pour en rechercher de nouvelles, & pour lors il vous sera facile de prendre une grande quantité de ce poisson avec le filet qu’on nomme épervier. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.