L’Encyclopédie/1re édition/FAUX-MARQUÉ

Faux-marqué ou Contre-marqué, s. m. (Maréchall.) termes synonymes : le second est plus usité que le premier.

Le cheval contre-marqué est celui dans la table de la dent duquel on observe une cavité factice ou artificielle, & telle que l’animal paroît marquer : cette friponnerie n’est pas la seule dont les maquignons sont capables. Voyez Maquignon.

Ils commettent celle dont il s’agit, par le moyen d’un burin d’acier, semblable à celui que l’on employe pour travailler l’ivoire : ils creusent legerement les dents mitoyennes, & plus profondément celles des coins. Pour contrefaire ensuite le germe de feve, ils remplissent la cavité de poix résine, ou de poix noire, ou de soufre, ou bien ils y introduisent un grain de froment, après quoi ils enfoncent un fer chaud dans cette cavité, & réiterent l’insertion de la poix, du soufre ou du grain, jusqu’à ce qu’ils ayent parfaitement imité la nature : d’autres y vuident simplement de l’encre très-grasse, mais le piége est alors trop grossier.

L’impression du feu forme toûjours un petit cercle jaunâtre qui environne ces trous. Il est donc question de dérober & de soustraire ce cercle aux yeux des acheteurs. Aussi-tôt qu’il s’en présente, le maquignon glisse le plus adroitement qu’il lui est possible dans la bouche de l’animal une legere quantité de mie de pain très-seche, & pilée avec du sel ou quelqu’autre drogue prise & tirée des apophlegmatisans, & dont la propriété est d’exciter une écume abondante : cette écume couvre & cache le cercle, mais dès qu’on en nettoye la dent avec le doigt, il reparoît, & on le découvre bien-tôt ; d’ailleurs les traits du burin sont trop sensibles pour n’être pas aisément apperçus.

Le but ou l’objet de cette fraude ne peut être parfaitement dévoilé qu’autant que nous nous livrerons à quelques réflexions sur les marques & sur les signes auxquels on peut reconnoître l’âge du cheval.

La connoissance la plus particuliere & la plus sûre qu’on puisse en avoir, se tire de la dentition, c’est-à-dire du tems & de l’époque de la pousse des dents, & de la chûte de celles qui doivent tomber pour faire place à d’autres.

La situation des quarante dents dont l’animal est pourvû, est telle qu’il en est dans les parties latérales postérieures en-delà des barres, dans les parties latérales en-deçà des barres, & dans les parties antérieures de la bouche ; de-là leur division en trois classes.

La premiere est celle des dents qui, situées dans les parties latérales postérieures en-delà des barres, sont au nombre de vingt-quatre, six à chaque côté de chaque mâchoire : elles ne peuvent servir en aucune façon pour la connoissance & pour la distinction de l’âge, d’autant plus qu’elles ne sont point à la portée de nos regards. On les nomme mâchelieres ou molaires, mâchelieres du mot mâcher, molaires du mot moudre, parce que leur usage est de triturer, de broyer, de rompre les alimens ou le fourrage : opération d’autant plus nécessaire, que sans la mastication il ne peut y avoir de digestion parfaite.

La seconde classe comprend les dents qui, placées dans les parties latérales en deçà des barres, sont au nombre de quatre, une à chaque côté de chaque mâchoire. Les anciens les nommoient écaillons, nous les appellons crocs ou crochets ; ce sont en quelque façon les dents canines du cheval. Les jumens en sont communément privées, & n’ont par conséquent que trente-six dents : il en est néanmoins qui en ont quarante, mais leurs crochets sont toûjours très-petits, & elles sont dites brechaines. Beaucoup de personnes les regardent comme admirables pour le service, & comme très-impropres pour le haras ; d’autres au contraire les apprécient pour le haras, & les rejettent pour le service. On peut placer ces idées différentes & ces opinions opposées, dans le nombre des erreurs qui, jusqu’à présent, ont infecté la science du cheval.

La troisieme classe renferme enfin les dents qui sont situées antérieurement, & qui sont au nombre de douze, six à chaque mâchoire : leur usage est de tirer le fourrage & de brouter l’herbe, pour ensuite ce fourrage être porté sous les molaires qui, ainsi que je l’ai dit, le broyent & le triturent : aussi ces dents antérieures ont-elles bien moins de force que les autres, & sont-elles bien plus éloignées du centre de mouvement.

L’ordre, la disposition des dents dans l’animal, n’est pas moins merveilleuse que leur arrangement dans l’homme : elles sont placées de maniere que les deux mâchoires peuvent se joindre, mais non pas par-tout en même tems, afin que l’action de tirer & de brouter, & celle de rompre & de triturer, soient variées selon le besoin & la volonté. Lorsque les dents molaires se joignent, les dents antérieures de la mâchoire supérieure avancent en-dehors ; elles couvrent, elles outre-passent en partie celles de la mâchoire inférieure qui leur répondent ; & quand les extrémités ou les pointes des dents antérieures viennent à se joindre, les molaires demeurent écartées.

Les unes & les autres ont, de même que toutes les parties du corps de l’animal, leur germe dans la matrice, & celles qui succedent à d’autres ne sont pas nouvelles ; car elles étoient formées, quoiqu’elles ne parussent point. Séparez les mâchoires du fœtus du cheval, vous y trouverez les molaires, les crochets, & les antérieures encore molles, distinguées par un interstice osseux, & dans chacune un follicule muqueux & tenace, d’où la dent sortira. Séparez encore ce rang de dents, vous en trouverez sous les antérieures un second, composé de celles qui sont destinées à remplacer celles qui doivent tomber ; je dis sous celui des antérieures, car les crochets & les molaires ne changent point. Les dents sont donc molles dans leur origine ; elles ne paroissent que comme une vessie membraneuse encore tendre & garnie à l’extérieur d’une humeur muqueuse : cette vessie abonde en vaisseaux sanguins & nerveux ; elle se durcit dans la suite par le desséchement de la matrice plâtreuse qui y aborde sans cesse, c’est ce qui fait le corps de la dent. La substance muqueuse, que j’ai dit être à l’extérieur, devient encore plus compacte par sa propre nature, & forme ce que l’on appelle l’émail.

Les dents antérieures du cheval different de celles de l’homme, en ce que cette petite vessie, qui dans nous est close & fermée en-dessus, est au contraire ouverte dans l’animal, ce qui fait que la cavité de la dent qui ne paroît point dans l’homme, parce qu’elle est intérieure, paroît au-dehors dans le cheval. C’est cette même cavité qui s’efface avec l’âge, dans laquelle on apperçoit, tant que l’animal est jeune, une espece de tache noire que l’on nomme germe de feve, & que les maquignons veulent imiter en contre-marquant l’animal.

L’origine de ce germe de féve ne peut être ignorée : la cavité de la dent est remplie par l’extrémité des vaisseaux qui lui appartiennent ; or dès que l’air aura pénétré dans cette cavité, il desséchera la superficie de ces mêmes extrémités ; il la réduira, il la noircira, & delà cette sorte de tache connue sous le nom de germe de feve.

Prenons à présent un poulain dès sa naissance : il n’a point de dents. Quelques jours après qu’il est né, il en perce quatre sur le devant de la mâchoire, deux dessus & deux dessous ; peu de tems ensuite, il en pousse quatre autres situées à chaque côté des premieres qui lui sont venues, deux dessus & deux dessous ; enfin à trois ou quatre mois, il lui en pousse quatre autres situées à chaque côté des huit premieres, deux dessus & deux dessous ; de façon qu’alors on apperçoit douze dents de lait à la partie intérieure de la bouche du cheval.

On les distingue des dents du cheval fait, en ce que celles-ci sont larges, plates, & rayées sur-tout depuis leur sortie des alvéoles, c’est-à-dire depuis le cou de la dent jusqu’à la table, tandis que les autres sont petites, courtes, & blanches. M. de Soleysel, & presque tous les auteurs, leur ont supposé une marque plus sensible & plus distincte : ils ont prétendu qu’elles n’ont point de cavité : ce fait est absolument faux ; elles en ont une comme celles du cheval, & cette erreur seroit très-capable d’égarer ceux qui chercheront à apprendre la connoissance de l’âge d’après leur système, puisqu’il s’ensuivroit qu’en considerant la bouche d’un poulain, toutes les dents étant creuses, ils s’imagineroient que l’animal auroit cinq ans, tandis qu’il n’en auroit pas trois.

Ces douze dents de lait subsistent sans aucun changement, jusqu’à ce que le poulain ait atteint l’âge de deux ans & demi ou trois ans. Pendant cet espace de tems, on ne peut donc distinguer par la dentition le poulain d’un an, d’avec celui qui en aura deux.

On ne sauroit trop se récrier sur la négligence que l’on a apporté jusqu’à présent, même à l’égard des choses qui pouvoient nous conduire aux connoissances les plus triviales & les plus simples. Celles de dents ne demandoient que des yeux, des observations de fait, & non une étude pénible, abstraite & sérieuse. On s’est cependant contenté d’une inspection legere, d’un examen peu refléchi ; ensorte que l’on voit très-communément des écuyers qui s’honorent du titre de connoisseurs, ne se rapporter en aucune façon les uns & les autres sur l’âge de l’animal, & qu’il nous est totalement impossible de discerner avec certitude & avec précision, un poulain d’une année, dont la constitution sera sorte & bonne, d’avec un poulain de deux années, dont la constitution seroit foible & délicate.

Il est vrai qu’on a eu recours à cet effet aux poils & aux crins, mais & ces objets & ces guides sont peu sûrs. Le poulain d’un an, dit-on, a toûjours le poil comme de la bourre ; il est frisé comme celui d’un barbet. Ses crins, soit de l’encolure, soit de la queue, ressemblent à de la filasse, tandis que les crins & le poil du poulain de deux ans, ne different point de ceux du cheval : or comment s’appuyer & s’étayer sur cette remarque, qui ne détermine d’ailleurs rien de fixe & de juste, sur-tout si nous considérons que les crins d’un cheval de cinq, six, sept, huit années, plus ou moins, seront tels qu’on nous les dépeint dans le poulain d’un an, si l’animal travaille continuellement à l’ardeur du Soleil, comme les chevaux de riviere, & s’il est mal soigné, mal nourri, mal pansé, mal peigné ?

Il importeroit néanmoins beaucoup de connoître l’âge du poulain depuis sa naissance jusqu’à deux ans & demi, trois ans ; la raison du non-usage que l’on en fait dans cet intervalle de tems, ne sauroit autoriser notre ignorance sur ce point. Premierement, on peut vendre un poulain d’une année, qui aura bien profité, pour un poulain de deux ans. Secondement, qu’un maquignon de mauvaise foi arrache à un poulain de cette espece huit dents de lait, les dents de cheval, qui doivent leur succéder, se montreront bientôt, & on prendra ce poulain d’un un & demi, deux ans, pour un poulain de quatre ans. Si l’on avoit attention au contraire à la marque des dents de lait, celles du coin subsistant toûjours, nous sauveroit de l’erreur dans la quelle on veut nous induire, & du piége que notre impéritie occasionne & favorise. On objectera peut-être qu’il n’est pas possible d’y tomber, & d’acheter un poulain d’un an & demi ou deux ans, pour un poulain de quatre années, parce que dès-lors les crochets de dessous devroient avoir poussé ; mais il sera facile de répondre, en premier lieu, s’il s’agit d’une jument, qui ordinairement n’a pas de crochets, comment se garantir de la fraude ? En second lieu, il est des chevaux qui n’en ont point : il est vrai que le cas est rare. En troisieme lieu, les crochets poussent à trois ans & demi, quatre ans, & la dent de quatre ans peut les devancer. Enfin, ne voit-on pas des marchands de chevaux frapper adroitement la gencive à l’endroit où le crochet doit percer ; de maniere qu’à la suite des petits coups qu’ils ont donnés, il survient une dureté qu’ils présentent comme une preuve que le crochet est prêt à sortir. Il faudroit donc nécessairement, pour éviter d’être trompé, suivre les dents de lait comme nous suivons celles du cheval : elles sont creuses, elles ont le germe de féve ; & par les remarques que l’on feroit, on se mettroit à l’abri de toute surprise & de tout détour. J’avois prié quelques inspecteurs des haras de se livrer à des observations aussi faciles, je ne sai quel a été le résultat de leurs recherches ; on ne sauroit trop les inviter à en faire part au public.

Quoi qu’il en soit, si l’on fait attention au tems de la chûte de ces dents, on verra qu’à l’âge de deux ans & demi, trois ans, celles qui sont situées à la partie antérieure de la bouche, deux dessus & deux dessous, font place à quatre autres que l’on nomme les pinces ; ainsi à deux ans & demi, trois ans, le poulain a quatre dents de cheval & huit dents de lait.

A trois ans & demi, quatre ans, les quatre dents de lait placées à chaque côté des pinces, deux dessus & deux dessous, tombent, & font place à quatre autres qui se nomment les mitoyennes, parce qu’elles sont situées entre les pinces & les coins ; de façon qu’à trois ans & demi, quatre ans, le poulain a huit dents de cheval & quatre dents de lait.

Enfin à quatre ans & demi, cinq ans, les quatre dents de lait qui lui restoient, deux dessus & deux dessous, à chaque côté des mitoyennes, tombent encore, & font place à quatre autres que l’on appelle les coins ; ensorte qu’à quatre ans & demi, cinq ans, l’animal a tout mis, c’est-à-dire les pinces, les mitoyennes, & les coins ; & perdant dès-lors le nom de poulain, il prend celui de cheval. Du reste, je ne fixe point d’époque certaine & de tems absolument fixe ; je ne me fonde que sur un terme indécis d’une année ou d’une demi-année, parce que ce changement n’a pas lieu dans un espace déterminément limité. Il est des chevaux qui mettent les dents plûtôt, d’autres plûtard ; les premiers auront eu une nourriture dure, solide & ferme, telle que la paille, le foin, &c. les autres en auront une molle, telle que l’herbe : il est cependant assûré, en général, qu’à deux ans & demi l’animal met les pinces.

Les douze dents antérieures ne sont pas les seuls indices de son âge, les crochets nous l’annoncent aussi ; ils ne sont précédés d’aucune dent, & ne succedent par conséquent à aucune autre. Ceux de la mâchoire inférieure percent à trois ans & demi, quatre ans ; ceux de la mâchoire supérieure, à quatre ans, quatre ans & demi. Dès qu’ils percent, ils sont aigus, ils sont tranchans ; & à mesure qu’ils croissent, on apperçoit deux cannelures dans la partie qui est du côté du dedans de la bouche ; cannelure qui s’efface dans la suite, & qui ne subsiste pas toûjours. Il arrive quelquefois cependant que les crochets de la mâchoire supérieure précedent ceux de la mâchoire inférieure. Rien n’est au surplus moins certain que la forme & le tems de l’éruption de ces dents. Quoiqu’on prétende qu’une connoissance parfaite de la dentition à cet égard soit presque la seule qu’on doive chercher à acquérir, je peux certifier que j’ai vû nombre de chevaux qui n’étoient âgés que de cinq ans, & dont néanmoins les crochets étoient ronds & émoussés.

Nous avons conduit l’animal jusqu’à l’âge de quatre ans & demi, cinq ans, cherchons à étendre nos découvertes ; mais voyons auparavant si celles dont les auteurs nous ont fait part, ne portent point avec elles un caractere d’incertitude, source de la diversité de nos opinions.

Dès que les pinces & les mitoyennes sont déchaussées ou hors de leurs alvéoles, elles font leur crue en quinze jours ; il n’en est pas de même des coins, & c’est à cette différence à laquelle on s’est attaché. On a crû en effet que la dent de coin & les crochets devoient uniquement fixer nos regards depuis l’âge de quatre ans & demi, cinq ans, c’est-à-dire dès que le cheval a tout mis ; & comme les coins sont les dernieres dents qui rasent, on s’est contenté de s’arrêter à l’examen du plus ou moins de progrès que faisoit, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, le remplissage de la dent, pour décider si le cheval a cinq & demi, six ans ou sept ans ; car dès que la cavité cesse de paroître, on dit qu’il a rasé, ce qu’il fait environ à huit années. Il suffit d’exposer le système de M. de Soleysel sur ce point, système généralement reçû, pour être convaincu que rien n’est plus équivoque que ce qui résulte de ses principes.

Premierement, il avance que les coins de dessus percent avant ceux de dessous ; mais cette regle n’est pas invariable : car souvent les coins de la mâchoire inférieure devancent & précedent ceux de la mâchoire supérieure. D’ailleurs, comment s’en rapporter sérieusement aux observations suivantes ?

Dès que la dent de coin paroît, dit-il, elle borde seulement la gencive, le dedans & le dehors sont garnis de chair jusqu’à cinq ans ; ainsi la dent de coin dans cet état fait présumer que le cheval mange dans ces cinq ans, & qu’il ne les a pas encore à cinq ans faits, la chair que l’on apperçoit dans cette dent est entierement retirée : de cinq ans à cinq ans & demi, la dent demeure creuse : de cinq ans & demi à six ans, ce creux qui paroissoit occupe le milieu de la dent, qui dès-lors est égale au-dehors & au-dedans : à sept ans cette cavité diminue & se remplit : à huit ans elle est effacée, c’est-à-dire que le cheval a rasé. En un mot, continue-t-il, le coin dès sa naissance est de l’épaisseur d’un écu ; à cinq ans, cinq ans & demi, de l’épaisseur de deux écus ; à six ans, de l’épaisseur du petit doigt ; à sept ans, de l’épaisseur du second ; à huit ans, de l’épaisseur du troisieme.

Il est singulier que M. de Soleysel ait pû croire que la nature s’assujettissoit toûjours exactement à ces dimensions & à ces mesures ; sa remarque, juste par hasard sur la bouche d’un cheval, n’aura pas lieu, si l’on fait attention aux coins placés dans la bouche de cent autres. Ajoûtons que tels chevaux, en qui les coins bordent seulement la gencive, sont âgés de sept ans ; & d’ailleurs seroit-il bien possible de juger précisément & sainement du point de diminution de la cavité, pour distinguer parfaitement l’âge de six ou sept années ? J’ose me flater que la voie & la méthode que j’indiquerai, seront & plus sûres & plus faciles.

La même regle qui a été suivie dans la pousse des dents, subsiste dans leur changement & dans leur forme.

Les premieres dents qui ont paru sont tombées le premieres, & ont fait place aux pinces : le poulain a eu alors deux ans & demi, trois ans. Les secondes sont tombées les secondes, & ont fait place aux mitoyennes : l’animal a eu dès-lors trois ans & demi, quatre ans. La chûte des troisiemes enfin a fait place aux coins, & le poulain est parvenu à quatre ans & demi, cinq ans. Les pinces raseront donc les premieres, & leur cavité remplie ; l’animal aura six ans : les mitoyennes raseront ensuite, l’animal aura sept ans : enfin les coins étant rasés, le cheval en aura huit.

Pour connoître & distinguer son âge, lorsqu’il ne marque plus, on a eu recours à une observation non moins fautive que les autres. On a pensé que selon que les crochets sont plus ou moins arrondis, & que les cannelures sont effacées, il doit être déclaré plus ou moins vieux. Il faut partir d’un principe plus constant : ayez égard aux marques des dents antérieures de la mâchoire supérieure ; car quoique les inférieures ayent rasé, les supérieures marquent encore ; & s’attachant au tems où elles cesseront de marquer, & où leur cavité s’effacera, on pourra suivre sûrement l’âge de l’animal, après qu’il aura atteint celui de huit années. Les pinces de la mâchoire supérieure rasent en effet à huit ans & demi, neuf ans ; les mitoyennes, à neuf ans & demi, dix ans ; & les dents de coin, à dix ans & demi, onze ans, & quelquefois à douze.

Je ne prétends pas que cette loi ne souffre aucune exception, la nature varie toûjours dans ses opérations ; il est cependant des points dans lesquels sa marche est plus uniforme que dans d’autres. J’avois observé avant l’impression de mes élémens d’Hippiatrique, ce fait sur plus de deux cents chevaux, & je n’en avois trouvé que quatre dont les dents supérieures déposent contre sa certitude ; elle a été confirmée depuis par l’aveu de tous ceux qui ont cherché à s’en assûrer, & je ne pense pas que quelques preuves très-rares du contraire suffisent pour anéantir cette regle : car il seroit absolument impossible alors d’en reconnoître une seule qui fût fixe & invariable. On ne seroit pas plus autorisé en effet à la contester à la vûe de quelques cas qui peuvent la démentir, que l’on seroit fondé à soûtenir que les chevaux marquent toûjours, parce que l’on en trouve qui ne rasent point, & dont le germe de féve ne s’efface jamais.

Ceux-ci sont nommés en général chevaux beguts ; les jumens & les chevaux hongres sont plus sujets à l’être que les chevaux entiers ; les polonois, les cravates, les transsylvains, le sont presque tous.

J’en distingue trois especes : la premiere comprend ceux qui marquent toûjours, & à toutes les dents : la seconde est composée de ceux qui ne marquent qu’aux mitoyennes & aux coins : la troisieme enfin est formée par ceux dans lesquels le germe de féve subsiste toûjours, & je nomme ces derniers faux-beguts.

Nous avons déjà dit qu’un cheval a cinq ans faits, lorsqu’on apperçoit une cavité dans les pinces, les mitoyennes & les coins. Nous sommes encore convenus que les coins ne croissent que peu-à-peu & par succession de tems : or si nous appercevons que la dent de coin est égale au-dedans & au-dehors, & que la cavité que l’on y remarque soit assez diminuée pour que l’animal soit parvenu à sa sixieme année, la dent de pince doit avoir rasé ; & que si elle n’est pas entierement pleine, l’animal est begut. Ajoûtez à cet indice la preuve qui suit ; car dans ce cas la cavité des dents n’est pas telle qu’elle doit être, puisqu’elles sont toutes également creuses. Or vous savez que lorsque l’animal approche de cinq ans & demi, & qu’il a cinq ans faits, les pinces qui doivent raser les premieres, ont une moindre cavité que les mitoyennes ; ainsi dès que cette cavité sera égale dans les pinces, dans les mitoyennes & dans les coins, & que celles ci ne seront pas plus creuses que les pinces, l’animal sera incontestablement begut.

Celui qui ne marque qu’aux mitoyennes & aux coins, c’est-à-dire dans lequel la dent de pince a rasé, quoiqu’il soit begut, sera facilement reconnu, si l’on compare, ainsi que je viens de l’expliquer, la cavité des mitoyennes & des coins ; mais l’embarras le plus grand est de discerner l’animal begut d’un cheval de sept ans faits, lorsque la dent de coin seulement ne doit jamais raser. C’est alors qu’il faut avoir recours aux crochets, & à tous les signes qui indiquent la vieillesse, d’autant plus qu’on ne peut espérer de tirer aucune connoissance des dents supérieures, parce que tout cheval begut l’est par ces dents comme par les dents inférieures.

Quant aux chevaux que l’ai nommés faux-beguts, c’est-à-dire quant à ceux dans lesquels le germe de féve ne s’efface jamais, on pourroit les diviser en deux classes, dont la premiere comprendroit l’animal dans lequel le germe de féve subsiste toûjours, & à toutes les dents ; & la seconde, celui dont le germe de féve effacé dans les pinces, ne seroit visible que dans les mitoyennes & les coins, ou que dans les coins seuls : mais comme ce germe de féve, dès qu’il n’y a plus de cavité dans la dent, n’est d’aucun présage, & que la cavité est la seule marque que nous consultions, il importe peu qu’il paroisse toûjours.

Les signes caractéristiques de la vieillesse de l’animal sont très-nombreux, si l’on adopte tous ceux qui ont été décrits par les auteurs, & auxquels ils se sont attachés pour reconnoître l’âge du cheval, les huit années étant expirées.

On peut en décider, 1°. selon eux, par les nœuds de la queue ; ils prétendent qu’à dix ou douze ans il descend un nœud de plus, & qu’à quatorze ans il en paroît un autre : 2°. par les salieres qui sont creuses, par les cils qui sont blancs, par le palais décharné, & dont les sillons ne sont plus sensibles ; par la levre supérieure, qui étant relevée, fait autant de plis que le cheval a d’années ; par l’os de la ganache, qui est extrèmement tranchant à quatre doigts au-dessus de la barbe ; par la peau de l’épaule & de la ganache, qui étant pincée, conserve le pli qui y a été fait, & ne se remet point à sa place ; par la longueur des dents, par leur décharnement, par la crasse jaunâtre qu’on y apperçoit ; enfin par les crochets usés, & par la blancheur du cheval, qui, de gris qu’il étoit, est entierement devenu blanc.

Tous ces prétendus témoignages sont très-équivoques ; on doit rejetter comme une absurdité des plus grossieres, celui que l’on voudroit tirer des nœuds de la queue, & celui qui résulte des salieres creuses, & de l’animal qui a cillé : car il est des chevaux très-vieux dont les salieres sont très-pleines, & de jeunes chevaux dont les cils sont très-blancs. Il faut encore abandonner toutes les conséquences que l’on déduit du décharnement du palais, des plis comptés de la levre supérieure, du tranchant de l’os de la ganache, de la peau de l’épaule, de la longueur des dents, puisque les chevaux beguts les ont très courtes, & de la crasse jaunâtre que l’on y apperçoit. Les signes vraiment décisifs sont la situation des dents ; si elles sont comme avancées sur le devant de la bouche, & qu’elles ne portent pour ainsi dire plus à-plomb les unes sur les autres, croyez que l’animal est très-vieux. D’ailleurs, quoique la forme des crochets varie quelquefois, voyez si ceux de dessous sont usés, s’ils sont arrondis, émoussés ; si ceux de dessus ont perdu toute leur cannelure, s’ils sont aussi ronds en-dedans qu’en-dehors : de-là vous pouvez conjecturer plus sûrement que l’animal n’est pas jeune.

La raison pour laquelle la cavité de la dent ne s’efface jamais dans le cheval begut, se présente naturellement à l’esprit, lorsqu’on se rappelle d’où naît le germe de féve. Il n’est formé que par la superficie des vaisseaux qui, frappés par l’air, ont été desséchés, durcis & noircis ; or si l’air les a d’abord trop resserrés, ou que la matiere qui sert de nourriture à la dent, ait été par sa propre nature plus susceptible de desséchement, le corps de la dent sera plûtôt compact ; & les sucs destinés à sa végétation ne pouvant pénétrer avec la même activité, dès-lors la cavité subsistera. Une preuve de cette vérité nous est fournie par l’expérience, qui nous montre & qui nous a appris que la dent du cheval begut est plus dure que celle de celui qui ne l’est pas.

Le germe de féve subsiste toûjours dans le faux-begut, quoique la cavité s’efface & se remplisse, parce que la partie extérieure de la dent aura végeté plûtôt que sa partie intérieure ; c’est-à-dire que l’humeur tenace qui entouroit la vessie membraneuse dont nous avons parlé, aura acquis plûtôt un degré de solidité, que cette vessie renfermée dans la cavité : dès-lors les petits vaisseaux noircis & durcis par l’air, ayant été resserrés & comprimés par les parois résultantes de l’humeur muqueuse destinée dès son origine à la formation de l’émail, ils n’auront pû être poussés au-dehors, & le germe de féve paroîtra toûjours, quoique la dent soit remplie.

C’est à la foiblesse des fibres de la jument, qui sont sans doute, comme celles de toutes les femelles des animaux, comparées à celles des mâles, c’est-à-dire infiniment lâches, que nous attribuerons le nombre considérable des jumens begues. Les fibres du cœur étant par conséquent plus molles en elles, elles ne pousseront point avec la même force le fluide nécessaire à la végétation de la dent. La même cause peut être appliquée au cheval hongre, qui, dès qu’il a cessé d’être entier, perd beaucoup de son feu & de sa vigueur ; ce qui prouve évidemment que dans lui la circulation est extrèmement ralentie.

L’éruption des dents occasionne des douleurs & des maladies, principalement celles des crochets. Ils sont plus durs, plus tranchans & plus aigus que les autres, qui sont larges & émoussées. D’ailleurs n’étant précédés d’aucunes dents, comme les antérieures, leur protrusion ne peut être que très-sensible, puisqu’ils doivent nécessairement, en se faisant jour, rompre, irriter & déchirer les fibres des gencives : de-là ce flux de ventre, ces diarrhées considérables, cette espece de nuage qui semble obscurcir la cornée, attendu les spasmes qu’excite dans tout le corps la douleur violente. Les premieres voies en sont offensées, les digestions ne sauroient donc être bonnes ; & l’irritation suscitant des ébranlemens dans tout le système nerveux, l’obscurcissement des yeux ne présente rien qui doive surprendre.

Il est bon de faciliter cette éruption, en relâchant la gencive : il faut pour cet effet froter souvent cette partie avec du miel commun ; & si en usant de cette précaution on sent la pointe du crochet, on ne risque rien de presser la gencive, de maniere qu’elle soit percée sur le champ. On oint de nouveau avec du miel ; & la douleur passée, tous les maux qu’elle avoit fait naître disparoissent.

Si l’on remonte à la cause ordinaire de la carie, on conclura que les dents du cheval peuvent se carier ; cependant ce cas est extrèmement rare, attendu l’extrème compacticité qui en garantit la substance intérieure des impressions de l’air. Dès que la corruption est telle que l’animal a une peine extrème à manger, qu’il se tourmente, & que son inquiétude annonce la vivacité de la douleur qu’il ressent, il faut nécessairement le délivrer de la partie qui l’affecte ; c’est la voie la plus sûre, & l’on ne risque point dès-lors les inconvéniens qui peuvent arriver, comme des fistules, la carie de l’un ou de l’autre des os de la mâchoire. Voyez Surdent. Il en est de même des surdents, dents de loup. Voyez ibid.

Quant aux pointes & aux âpretés des dents molaires, pointes & âpretés qui viennent à celles de presque tous les vieux chevaux, & que quelques auteurs nomment très-mal à-propos surdents, on doit, non les abattre avec la gouge, ainsi que plusieurs maréchaux le pratiquent, mais faire mâcher une lime à l’animal : cette lime détruit les inégalités qui piquent la langue & les joues, de maniere à donner lieu à des ulceres, & qui de plus empêchent l’animal de manger & de broyer parfaitement les alimens. Il n’en tire que le suc ; des pelotons de foin mâché qui retombent à terre ou dans la mangeoire, se glissent même entre les joues & les dents : c’est ce que nous appellons faire grenier, faire magasin.

Enfin il est des dents qui vacillent dans leurs alvéoles ; en ce cas on recourra à des topiques astringens, pour les raffermir en resserrant la gencive, comme à la poudre d’alun, de bistorte, d’écorce de grenade, de cochléaria, de myrthe, de quinte-feuille, de sauge, de sumac, &c.

Je ne sai si ces lumieres seront suffisantes pour guider ceux qui seront assez sinceres pour convenir de bonne-foi qu’ils errent dans les ténebres ; mais les détails dans lesquels je suis entré relativement à la connoissance de l’âge, inspireront peut-être une juste défiance aux personnes qui croyent pouvoir puiser dans les écrits dont ils sont en possession, toutes les instructions dont ils ont besoin. Ils éclaireront d’ailleurs celles qui séduites par une aveugle crédulité, imaginent que l’on a fait tous les pas qui conduisent à la perfection de notre art, puisque notre ignorance sur un point aussi facile à approfondir, pourra leur faire présumer qu’à l’égard de ceux qui exigeroient toute la contention de l’esprit, elle est encore plus grande. (e)

Faux-Marqué, (Venerie.) il se dit d’une tête de cerf quand elle n’a que six cors d’un côté, & qu’elle en a sept de l’autre : on dit alors, le cerf porte quatorze faux-marqués, car le plus emporte le moins.