L’Encyclopédie/1re édition/PYTHAGORISME

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PYTHAGORISME, ou Philosophie de Pythagore, (Histoire de la Philosophie.) voici la seconde tige de la philosophie sectaire de la Grece. Socrate avec la troupe de ses successeurs sortoit de l’école ïonique ; Héraclite, Epicure, & Pyrrhon sortirent de l’école éléatique italique.

L’école éléatique s’appella italique, de l’endroit de son premier établissement, la partie inférieure de l’Italie. Cette contrée & les îles voisines étoient peuplées de colonies grecques ; ainsi la secte italique est encore une secte grecque ; elle est née dans le pays qu’on appelloit la grande Grece ; & il s’écoula du tems avant qu’elle prît le nom de Pythagorique.

Pythagore fut élevé par Phérécide, dont le nom est célebre parmi les philosophes de la Grece ; Phérécide naquit à Syros, l’une des cyclades, dans la quarante-cinquieme olympiade. Il étudia la Théologie & la Philosophie en Egypte ; il est le premier qui ait entretenu les Grecs de l’immortalité de l’ame, & écrit en prose de la nature & des dieux jusqu’alors ; ce philosophe avoit été poëte. On montroit à Scyros une invention astronomique qui marquoit les solstices, les équinoxes, le lever & le coucher des étoiles, & qu’on attribuoit à Phérécide ; le reste de sa vie est un tissu de contes merveilleux. Si les peuples qu’il avoit éclairés ont cherché à honorer sa mémoire, les prêtres dont il avoit décrié la superstition & les mensonges, se sont occupés de leur côté à la flétrir. Mais en mettant quelque distinction entre les motifs qui ont animé les uns & les autres, il faut également rejetter le bien & le mal qu’ils en ont dit. L’ouvrage de Phérécide sur l’origine des choses, commençoit par ces mots : Jupiter, le Tems & la Masse, étoient un ; mais la Masse s’appella Terre, lorsque Jupiter l’eût douée. Il pensoit que la cause universelle, ordinatrice & premiere, étoit bonne ; il étoit dans l’opinion de la métempsycose ; l’obscurité qui régnoit dans ses livres les a fait négliger, & ils se sont perdus. Nous avons cru devoir exposer ce que nous savions de Phérécide, avant que de passer à l’histoire de Pythagore son disciple.

Pythagore a vécu dans des tems reculés ; il n’admettoit pas dans son école indistinctement toutes sortes d’auditeurs ; il ne se communiquoit pas ; il exigeoit le silence & le secret ; il n’a point écrit ; il voiloit sa doctrine ; il y avoit près d’un siecle qu’il n’étoit plus, lorsqu’on recueillit ce que ses disciples avoient laissé transpirer de ses principes, & ce que le peuple, ami de la fable & du merveilleux, débitoit de sa vie : comment discerner la vérité au milieu de ces ténebres ?

On savoit en général que Pythagore avoit été un philosophe du premier ordre ; qu’il avoit reconnu l’existence d’un Dieu ; qu’il admettoit la métempsycose ; qu’il avoit été profondément versé dans l’étude de la Physique, de l’Histoire naturelle, des Mathématiques, & de la Musique ; qu’il s’étoit fait un système particulier de théologie ; qu’il avoit opéré des choses prodigieuses ; qu’il professoit la double doctrine ; qu’il rapportoit tout à la science des nombres. Lorsque les premiers ennemis du Christianisme lui supposerent des miracles, des livres, des voyages, des discours, & ne négligerent rien pour l’opposer avec avantage au fondateur de notre sainte religion ; voici quelle étoit la pensée scélérate & secrette d’Ammonius, de Jamblique, de Plotin, de Julien, & des autres. Ils disoient en eux-mêmes, ou l’on admettra indistinctement les prodiges de Jesus-Christ, d’Apollonius & de Pythagore ; ou l’on rejettera indistinctement les uns & les autres. Quel que soit le parti qu’on prenne, il nous convient ; en conséquence, ils répandirent que Pythagore étoit fils d’Apollon ; qu’un oracle avoit annoncé sa naissance ; que l’ame de Dieu étoit descendu du ciel, & n’avoit pas dédaigné d’animer son corps ; que l’Eternel l’avoit destiné à être le médiateur entre l’homme & lui ; qu’il avoit eu la connoissance de ce qui se passe dans l’univers ; qu’il avoit commandé aux élémens, aux tempêtes, aux eaux, à la mort & à la vie. En un mot, l’histoire véritable de Jesus-Christ n’offroit pas un evénement prodigieux, qu’ils n’eussent parodié dans l’histoire mensongere de Pythagore. Ils citerent en leur faveur la tradition des peuples, les monumens de toute espece, les ouvrages des anciens & des modernes ; & ils embarrasserent la question de tant de difficultés, que quelques-uns des premiers peres virent moins d’inconvéniens à admettre les miracles du paganisme qu’à les nier ; & se retrancherent à montrer la supériorité de la puissance de Jesus-Christ sur toute autre.

Pythagore naquit à Samos, entre la quarante-troisieme & la cinquante-troisieme olympiade ; il parcourut la Grece, l’Egypte, l’Italie ; il s’arrêta à Crotone, où il fit un séjour fort long. Il épousa Théano, qui présida dans son école après sa mort ; il eut d’elle Mnésarque & Thélauge, & plusieurs filles ; Astrée & Zamolxis le législateur des Grecs, furent deux de ses esclaves ; mais il paroît que Zamolxis est fort antérieur à Pythagore : ce philosophe mourut entre la soixante huitieme & la soixante & dix-septieme olympiade. Les peuples qui sont toujours stupides, jaloux, & méchans, offensés de la singularité de ses mœurs & de sa doctrine, lui rendirent la vie pénible & conspirerent l’extinction de son école. On dit que ces féroces Crotoniates qui l’égorgerent à l’âge de cent quatre ans, le placerent ensuite au rang des dieux, & firent un temple de sa maison. La condition de sage est bien dangereuse : il n’y a presque pas une nation qui ne se soit souillée du sang de quelques-uns de ceux qui l’ont professée. Que faire donc ? Faut-il être insensé avec les insensés ? Non ; mais il faut être sage en secret, c’est le plus sûr. Cependant si quelque homme a montré plus de courage que nous ne nous en sentons, & s’il a osé pratiquer ouvertement la sagesse, décrier les préjugés, prêcher la vérité au péril de sa vie, le blâmerons-nous ? Non ; nous conformerons des cet instant notre jugement à celui de la postérité, qui rejette toujours sur les peuples l’ignominie dont ils ont prétendu couvrir leurs philosophes. Vous lisez avec indignation la maniere avec laquelle les Athéniens en ont usé avec Socrate, les Crotoniates avec Pythagore ; & vous ne pensez pas que vous exciterez un jour la même indignation, si vous exercez contre leurs successeurs la même barbarie.

Pythagore professa la double doctrine, & il eut deux sortes de disciples ; il donna des leçons publiques, & il en donna de particulieres ; il enseigna dans les gymnases, dans les temples, & sur les places ; mais il enseigna aussi dans l’intérieur de sa maison. Il éprouvoit la discrétion, la pénétration, la docilité, le courage, la constance, le zele de ceux qu’il devoit un jour initier à ses connoissances secretes, s’ils le méritoient, par l’exercice des actions les plus pénibles ; il exigeoit qu’ils se réduisissent à une pauvreté spontanée ; il les obligeoit au secret par le serment ; il leur imposoit un silence de deux ans, de trois ans, de cinq, de sept, selon que le caractere de l’homme le demandoit. Un voile partageoit son école en deux espaces, & déroboit sa présence à une partie de son auditoire. Ceux qui étoient admis en-deçà du voile l’entendoient seulement ; les autres le voyoient & l’entendoient ; sa philosophie étoit énigmatique & symbolique pour les uns ; claire, expresse, & dépouillée d’obscurités & d’énigmes pour les autres. On passoit de l’étude des Mathématiques, à celle de la nature, & de l’étude de la nature à celle de la Théologie, qui ne se professoit que dans l’intérieur de l’école, au-delà du voile ; il y eut quelques femmes à qui ce sanctuaire fut ouvert ; les maîtres, les disciples, leurs femmes, & leurs enfans, vivoient en commun ; ils avoient une regle à laquelle ils étoient assujettis ; on pourroit regarder les Pythagoriciens comme une espece de moines payens d’une observance très-austere ; leur journée étoit partagée en diverses occupations ; ils se levoient avec le soleil ; ils se disposoient à la sérénité par la Musique & par la Danse ; ils chantoient, en s’accompagnant de la lyre ou d’un autre instrument, quelques vers d’Hésiode ou d’Homere ; ils étudioient ensuite ; ils se promenoient dans les bois, dans les temples, dans les lieux écartés & deserts ; par-tout où le silence, la solitude, les objets sacrés, imprimoient à l’ame le frémissement, la touchoient, l’élevoient, & l’inspiroient. Ils s’exerçoient à la course ; ils conféroient ensemble ; ils s’interrogeoient ; ils se répondoient ; ils s’oignoient ; ils se baignoient ; ils se rassembloient autour de tables servies de pain, de fruits, de miel, & d’eau ; jamais on n’y buvoit de vin ; le soir on faisoit des libations ; on lisoit, & l’on se retiroit en silence.

Un vrai pythagoricien s’interdisoit l’usage des viandes, des poissons, des œufs, des féves, & de quelques autres légumes ; & n’usoit de sa femme que très-modérément, & après des préparations relatives à la santé de l’enfant.

Il ne nous reste presque aucun monument de la doctrine de Pythagore ; Lysis & Archyppus, les seuls qui étoient absens de la maison, lorsque la faction cylonienne l’incendia, & fit périr par les flammes tous les autres disciples de Pythagore, n’en écrivirent que quelques lignes de réclame. La science se conserva dans la famille, se transmit des peres & meres aux enfans, mais ne se répandit point. Les commentaires abrégés de Lysis & d’Archyppus, furent supprimés & se perdirent ; il en restoit à peine un exemplaire au tems de Platon, qui l’acquit de Philolaüs. On attribua dans la suite des ouvrages & des opinions à Pythagore ; chacun interpreta comme il lui plut, le peu qu’il en savoit ; Platon & les autres philosophes corrompirent son système ; & ce système obscur par lui-même, mutilé, défiguré, s’avilit & fut oublié. Voici ce que des auteurs très-suspects nous ont transmis de la philosophie de Pythagore.

Principes généraux du Pythagorisme. Toi qui veux être philosophe, tu te proposeras de délivrer ton ame de tous les liens qui la contraignent ; sans ce premier soin, quelque usage que tu fasses de tes sens, tu ne sauras rien de vrai.

Lorsque ton ame sera libre, tu l’appliqueras utilement ; tu t’éleveras de connoissance en connoissance, depuis les objets les plus communs, jusqu’aux choses incorporelles & éternelles.

Arithmétique de Pythagore. L’objet des sciences mathématiques tient le milieu entre les choses corporelles & les incorporelles ; c’est un des degrés de l’échelle que tu as à parcourir.

Le mathématicien s’occupe ou du nombre, ou de la grandeur ; il n’y a que ces deux especes de quantité. La quantité numérique se considere ou en elle-même, ou dans un autre ; la quantité étendue est ou en repos ou en mouvement. La quantité numérique en elle-même est objet de l’Arithmétique, dans un autre ; comme le son, c’est l’objet de la Musique ; la quantité étendue en repos, est l’objet de la Géométrie ; en mouvement, de la Sphérique.

L’Arithmétique est la plus belle des connoissances humaines ; celui qui la sauroit parfaitement, posséderoit le souverain bien.

Les nombres sont ou intellectuels ou scientifiques.

Le nombre intellectuel subsistoit avant tout dans l’entendement divin ; il est la base de l’ordre universel, & le lien qui enchaîne les choses.

Le nombre scientifique est la cause génératrice de la multiplicité qui procede de l’unité & qui s’y résout.

Il faut distinguer l’unité de l’art ; l’unité appartient aux nombres ; l’art aux choses nombrables.

Le nombre scientifique est pair ou impair.

Il n’y a que le nombre pair qui souffre une infinité de divisions en parties toujours paires ; cependant l’impair est plus parfait.

L’unité est le symbole de l’identité, de l’égalité, de l’existence, de la conservation, & de l’harmonie générale.

Le nombre senaire est le symbole de la diversité, de l’inégalité, de la division, de la séparation, & des vicissitudes.

Chaque nombre, comme l’unité & le binaire, a ses propriétés qui lui donnent un caractere symbolique qui lui est particulier.

La monade ou l’unité est le dernier terme, le dernier état, le repos de l’état dans son décroissement.

Le ternaire est le premier des impairs ; le quaternaire le plus parfait, la racine des autres.

Pythagore procede ainsi jusqu’à dix, attachant à chaque nombre des qualités arithmétiques, physiques, théologiques & morales.

Le nombre denaire contient, selon lui, tous les rapports numériques & harmoniques, & forme ou plutôt termine son abaque ou sa table.

Il y a une liaison entre les dieux & les nombres, qui constitue l’espece de divination appellée arithmomantie.

Musique de Pythagore. La musique est un concert de plusieurs discordans.

Il ne faut pas borner son idée aux sons seulement. L’objet de l’harmonie est plus général.

L’harmonie a ses régles invariables.

Il y a deux sortes de voix, la continue & la brisée. L’une est le discours, l’autre le chant. Le chant indique les changemens qui s’operent dans les parties du corps sonore.

Le mouvement des orbites célestes, qui emportent les sept planetes, forme un concert parfait.

L’octave, la quinte & la quarte sont les bases de l’arithmétique harmonique.

La maniere dont on dit que Pythagore découvrit les rapports en nombre de ces intervalles de sons marque que ce fut un homme de génie.

Il entendit des forgerons qui travailloient. Les sons de leurs marteaux rendoient l’octave, la quarte & la quinte. Il entra dans leur attelier. Il fit peser leurs marteaux. De retour chez lui, il appliqua aux cordes tendues par des poids l’expérience qu’il avoit faite, & il forma la gamme du genre diatonique, d’où il déduisit ensuite celles des genres chromatiques & enharmoniques, & il dit :

Il y a trois genres de musique, le diatonique, le chromatique & l’enharmonique.

Chaque genre a son progrès & ses degrés. Le diatonique procéde du semi-ton au ton, &c.

C’est par les nombres & non par le sens qu’il faut estimer la sublimité de la musique. Etudiez le monocorde.

Il y a des chants propres à chaque passion, soit qu’il s’agisse de les tempérer, soit qu’il s’agisse de les exciter.

La flûte est molle. Le philosophe prendra la lyre ; il en jouera le matin & le soir.

Géométrie de Pythagore. En géométrie, l’unité représentera le point ; le nombre binaire la ligne ; le ternaire la surface, & le quaternaire le solide.

Le point est l’unité donnée de position.

Le nombre binaire représente la ligne, parce qu’elle est la premiere dimension, engendrée d’un mouvement indivisible.

Le nombre ternaire représente la surface, parce qu’il n’y a point de surface qui ne puisse se réduire à des élemens de trois limites.

Le cercle, la plus parfaite des figures curvilignes, contient le triangle d’une maniere cachée ; & ce triangle est formé par le centre & un portion indéterminée de la circonférence.

Toute surface étant réductible au triangle, il est le principe de la génération & de la formation des corps. Les élemens sont triangulaires.

Le quarré est le symbole de l’essence divine.

Il n’y a point d’espace autour d’un point donné, qu’on ne puisse égaler à un triangle, à un quarré ou à un cercle.

Les trois angles internes d’un triangle sont égaux à deux angles droits.

Dans un triangle rectangle, le quarré du côté opposé à l’angle droit est égal au quarré des deux autres côtés.

On dit que Pythagore immola aux muses une hécatombe, pour les remercier de la découverte de ce dernier théoreme, ce qui prouve qu’il en connut toute la fécondité.

Astronomie de Pythagore. Il y a dans le ciel la sphere fixe ou le firmament ; la distance du firmament à la lune, & la distance de la lune à la terre. Ces trois espaces constituent l’univers.

Il y a dix spheres celestes. Nous n’en voyons que neuf, celles des étoiles fixes, des sept planetes & de la terre. La dixieme, qui se dérobe à nos yeux, est opposée à notre terre.

Pythagore appelle cette derniere l’anthictone.

Le feu occupe le centre du monde. Le reste se meut autour.

La terre n’est point immobile. Elle n’est point au centre. Elle est suspendue dans son lieu. Elle se meut sur elle-même. Ce mouvement est la cause du jour & de la nuit.

La révolution de Saturne est la grande année du monde ; elle s’acheve en trente ans. Celle de Jupiter en vingt. Celle de Mars en deux. Celle du Soleil en un. La révolution de Mercure, de Vénus & de la Lune est d’un mois.

Les planetes se meuvent de mouvemens qui sont entr’eux, comme les intervalles harmoniques.

Vénus, Hesper & Phosphorus sont un même astre.

La Lune & les autres planetes sont habitables.

Il y a des antipodes.

De la philosophie de Pythagore en général. La sagesse & la Philosophie sont deux choses fort différentes.

La sagesse est la science réelle.

La science réelle est celle des choses immortelles, éternelles, efficientes par elles-mêmes.

Les êtres qui participent seulement de ces premiers, qui ne sont appellés êtres qu’en conséquence de cette participation, qui sont matériels, corporels, sujets à génération & à corruption, ne sont pas proprement des êtres, ne peuvent être ni bien connus, ni bien définis, parce qu’ils sont infinis & momentanés dans leurs états, & il n’y a point de sagesse relative à eux.

La science des êtres réels entraîne nécessairement la science des êtres équivoques. Celui qui travaille à acquérir la premiere, s’appellera philosophe.

Le philosophe n’est pas celui qui est sage, mais celui qui est ami de la sagesse.

La Philosophie s’occupe donc de la connoissance de tous les êtres, entre lesquels les uns s’observent en tout & partout ; les autres souvent, certains seulement en des cas particuliers. Les premiers sont l’objet de la science générale ou philosophie premiere ; les seconds sont l’objet des sciences particulieres.

Celui qui sait résoudre tous les êtres en un seul & même principe, & tirer alternativement de ce principe un & seul, tout ce qui est, est le vrai sage, le sage par excellence.

La fin de la Philosophie est d’élever l’ame de la terre vers le ciel, de connoître Dieu, & de lui ressembler.

On parvient à cette fin par la vérité, ou l’étude des êtres éternels, vrais & immuables.

Elle exige encore que l’ame soit affranchie & purgée, qu’elle s’amende, qu’elle aspire aux choses utiles & divines, que la jouissance lui en soit accordée, qu’elle ne craigne point la dissolution du corps, que l’éclat des incorporels ne l’éblouisse pas, qu’elle n’en détourne pas sa vue, qu’elle ne se laisse pas enchaîner par les liens des passions, qu’elle lutte contre tout ce qui tend à la déprimer, & à la ramener vers les choses corruptibles & de néant, & qu’elle soit infatigable & immuable dans sa lutte.

On n’obtiendra ce degré de perfection que par la mort philosophique, ou la cessation du commerce de l’ame avec le corps, état qui suppose qu’on se connoit soi-même, qu’on est convaincu que l’esprit est détenu dans une demeure qui lui est étrangere, que sa demeure & lui sont des êtres distincts, qu’il est d’une nature tout-à-fait diverse ; qu’on s’exerce à se recueillir, ou à séparer son ame de son corps, à l’affranchir de ses affections & de ses sensations, à l’élever au-dessus de la douleur, de la colere, de la crainte, de la cupidité, des besoins, des appetits, & à l’accoutumer tellement aux choses analogues à sa nature, qu’elle agisse, pour ainsi dire, séparément du corps, l’ame étant toute à son objet, & le corps se portant d’un mouvement automate & méchanique sans la participation de l’ame ; l’ame ne consentant ni ne se refusant à aucun de ses mouvemens vers les choses qui lui sont propres.

Cette mort philosophique n’est point une chimere. Les hommes accoutumés à une forte contemplation l’éprouvent pendant des intervalles assez longs. Alors ils ne sentent point l’existence de leur corps ; ils peuvent être blessés sans s’en appercevoir ; ils ont bû & mangé sans le savoir ; ils ont vécu dans un oubli profond de leur corps & de tout ce qui l’environnoit, & qui l’eût affecté dans une situation diverse.

L’ame affranchie par cet exercice habituel existera en elle ; elle s’élevera vers Dieu ; elle sera toute à la contemplation des choses éternelles & divines.

Il paroît par cet axiome que Pythagore, Socrate, & les autres contemplateurs anciens, comparoient le géometre, le moraliste, le philosophe profondement occupé de ses idées, &, pour ainsi dire, hors de ce monde, à Dieu dans son immensité ; avec cette seule différence, que les concepts du philosophe s’éteignoient en lui, & que ceux de Dieu se réalisoient hors de lui.

On ne s’éleve point au-dessus de soi, sans le secours de Dieu & des bons génies.

Il faut les prier ; il faut les invoquer, sur-tout son génie tutélaire.

Celui qu’ils auront exaucé ne s’étonnera de rien ; il aura remonté jusque aux formes & aux causes essentielles des choses.

Le philosophe s’occupe ou des vérités à découvrir, ou des actions à faire, & sa science est ou théorique, ou pratique.

Il faut commencer par la pratique des vertus. L’action doit précéder la contemplation.

La contemplation suppose l’oubli & l’abstraction parfaite des choses de la terre.

Le philosophe ne se déterminera pas inconsidérément à se mêler des affaires civiles.

La Philosophie considerée relativement à ses éleves est ou exotérique, ou esotérique : L’exotérique propose les vérités sous des symboles, les enveloppe, ne les démontre point. L’ésotérique les dépouille du voile, & les montre nues à ceux dont les yeux ont été disposés à les regarder.

Philosophie pratique de Pythagore. Il y a deux sortes de vertus. Des vertus privées qui sont relatives à nous-mêmes ; des vertus publiques qui sont relatives aux autres.

Ainsi, la Philosophie morale est pédeutique ou politique.

La pédeutique forme l’homme à la vertu, par l’étude, le silence, l’abstinence des viandes, le courage, la tempérance & la sagacité.

L’occupation véritable de l’homme est la perfection de la nature humaine en lui.

Il se perfectionne par la raison, la force & le conseil ; la raison voit & juge ; la force retient & modere ; le conseil éclaire, avertit.

L’énumération des vertus & la connoissance de la vertu en général dépendent de l’étude de l’homme. L’homme a deux facultés principales ; par l’une il connoît, par l’autre il desire. Ces facultés sont souvent opposées. C’est l’excès ou le défaut qui excite & entretient la contradiction.

Lorsque la partie qui raisonne commande & modere, la patience & la continence naissent. Lorsqu’elle obéit, la fureur & l’impatience s’élevent. Si elles sont d’accord, l’homme est vertueux & heureux.

Il faut considerer la vertu sous le même point de vue que les facultés de l’ame. L’ame a une partie raisonnable & une partie concupiscible. De-là naissent la colere & le desir. Nous nous vengeons, & nous nous défendons. Nous nous portons aux choses qui sont convenables à nos aises ou à notre conservation.

La raison fait la connoissance ; la colere dispose de la force ; le desir conduit l’appétit. Si l’harmonie s’établit entre ces choses, & que l’ame soit une, il y a vertu & bon sens. S’il y a discorde, & que l’ame soit double, il y a vice & malheur.

Si la raison domine les appétits, qu’il y ait tolérance & continence, on sera constant dans la peine, modéré dans le plaisir.

Si la raison domine les appétits, & qu’il y ait tempérance & courage, on sera borné dans son ressentiment.

S’il y a vertu ou harmonie en tout, il y aura justice.

La justice discerne les vertus & les vices. C’est par elle que l’ame est une, ou que l’homme est parfait & content.

Il ne faut se pallier le vice ni à soi-même, ni aux autres. Il faut le gourmander par-tout où il se montre, sans ménagement.

L’homme a ses âges, & chaque âge a ses qualités & ses défauts.

L’éducation de l’enfant doit se diriger à la probité, à la sobriété & à la force. Il faut en attendre les deux premieres vertus dans son enfance. Il montrera la seconde dans son adolescence & son état viril.

On ne permettra point à l’homme de faire tout ce qui lui plaît.

Il faut qu’il ait à côté de lui quelqu’un qui le commande, & à qui il obéisse, de-là la nécessité d’une puissance légitime & décente qui soumette tout citoyen.

Le philosophe ne se promettra aucun de ces biens qui peuvent arriver à l’homme, mais qui ne sont point à sa discrétion. Il apprendra à s’en passer.

Il est défendu de quitter son poste sans la volonté de celui qui commande. Le poste de l’homme est la vie.

Il faut éviter l’intempérance dans les choses nécessaires à la conservation ; l’excès en tout.

La tempérance est la force de l’ame ; l’empire sur les passions fait sa lumiere. Avoir la continence, c’est être riche & puissant.

La continence s’étend aux besoins du corps & à ses voluptés, aux alimens & à l’usage des femmes. Réprimez tous les appétits vains & superflus.

L’homme est mort dans l’ivresse du vin. Il est furieux dans l’ivresse de l’amour.

Il faut s’occuper de la propagation de l’espece en hiver ou au printems. Cette fonction est funeste en été, & nuisible en tout tems.

Quand l’homme doit-il approcher de la femme ? Lorsqu’il s’ennuyera d’être fort.

La volupté est la plus dangereuse des enchanteresses. Lorsqu’elle nous sollicite, voyons d’abord si la chose est bonne & honnête ; voyons ensuite si elle est utile & commode. Cet examen suppose un jugement qui n’est pas commun.

Il faut exercer l’homme dans son enfance à fuir ce qu’il devra toujours éviter, à pratiquer ce qu’il aura toujours à faire, à desirer ce qu’il devra toujours aimer, à mépriser ce qui le rendra en tout tems malheureux & ridicule.

Il y a deux voluptés, l’une commune, basse, vile & générale ; l’autre grande, honnête & vertueuse. L’une a pour objet les choses du corps ; l’autre les choses de l’ame.

L’homme n’est en sûreté que sous le bouclier de la sagesse, & il n’est heureux que quand il est en sûreté.

Les points les plus importans de la politique se réduisent au commerce général des hommes entr’eux, à l’amitié, au culte des dieux, à la piété envers les morts, & à la législation.

Le commerce d’un homme avec un autre est ou agréable, ou fâcheux, selon la diversité de l’âge, de l’état, de la fortune, du mérite, & de tout ce qui différentie.

Qu’un jeune homme ne s’irrite jamais contre un vieillard. Qu’il ne le menace jamais.

Qu’aucun n’oublie la distinction que les dignités mettent entre lui & son semblable.

Mais comment prescrire les régles relatives à cette variété infinie d’actions de la vie ? Qui est-ce qui peut définir l’urbanité, la bienséance, la décence & les autres vertus de détail.

Il y a une amitié de tous envers tous.

Il faut bannir toute prétention de l’amitié, surtout de celle que nous devons à nos parens, aux vieillards, aux bienfaiteurs.

Ne souffrons pas qu’il y ait une cicatrice dans l’ame de notre ami.

Il n’y aura ni blessure, ni cicatrice dans l’ame de notre ami, si nous savons lui céder à-propos.

Que le plus jeune le céde toujours au plus âgé.

Que le vieillard n’use du droit de reprendre la jeunesse qu’avec ménagement & douceur. Qu’on voye de l’intérêt & de l’affection dans sa remontrance. C’est-là ce qui la rendra décente, honnête, utile & douce.

La fidélité que vous devez à votre ami est une chose sacrée, qui ne souffre pas même la plaisanterie.

Que l’infortune ne vous éloigne point de votre ami.

Une méchanceté sans ressource est le seul motif pardonnable de rupture. Il ne faut garder de haine invincible que pour les méchans. La haine qu’on porte au méchant doit perséverer autant que sa méchanceté.

Ne vous en rapportez point de la conversion du méchant à ses discours ; mais seulement à ses actions.

Evitez la discorde. Prévenez-en les sujets.

Une amitié qui doit être durable suppose des lois, des conventions, des égards, des qualités, de l’intelligence, de la décence, de la droiture, de l’ordre, de la bienfaisance, de la fermeté, de la fidélité, de la pudeur, de la circonspection.

Fuyez les amitiés étrangeres.

Aimez votre ami jusqu’au tombeau.

Rapportez les devoirs de l’amitié aux lois de la nature divine, & de la liaison de Dieu & de l’homme.

Toute la morale se rapporte à Dieu. La vie de l’homme est de l’imiter.

Il est un Dieu qui commande à tout. Demandez-lui le bien. Il l’accorde à ceux qu’il aime.

Croyez qu’il est, qu’il veille sur l’homme, & qu’un animal enclin au mal a besoin de sa verge & de son frein.

Un être qui sent la vicissitude de sa nature, cherchera à établir quelque principe de constance en lui-même, en se proposant l’être immuable pour modele.

Ne prétez point votre ressemblance aux dieux. Ne leur attachez point de figures. Regardez-les comme des puissances diffuses, présentes à tout, & n’ayant d’autre limite que l’univers.

Honorez-les par des initiations & des lustrations, par la pureté de l’ame, du corps & des vêtemens.

Chantez des hymnes à leur gloire, cherchez leur volonté dans les divinations, les sorts & toutes sortes de présages que le hasard vous offrira.

Vous n’immolerez point d’animaux.

Posez sur leurs autels de l’encens, de la farine & du miel.

La piété envers les dieux & la religion sont dans le cœur.

Vous n’égalerez point dans votre hommage les héros aux dieux.

Purifiez-vous par les expiations, les lustrations, les aspersions & les abstinences prescrites par ceux qui président aux mysteres.

Le serment est une chose juste & sacrée. Il y a un Jupiter jurateur.

Soyez lent à faire le serment, soyez prompt à l’accomplir.

Ne brûlez point les corps des morts.

Après Dieu & les génies, que personne ne vous soit plus respectable sous le ciel que vos parens ; que votre obéissance soit de cœur & non d’apparence.

Soyez attaché aux lois & aux coutumes de votre pays. Ce n’est pas l’utilité publique que les innovateurs ont en vue.

Philosophie théorétique de Pythagore. La fin de la philosophie théorétique est de remonter aux causes, aux idées premieres, à la grande unité, & de ne rien admirer : l’admiration naît de l’imbécillité & de l’ignorance.

La philosophie théorétique s’occupe ou de Dieu ou de son ouvrage.

Théologie de Pythagore. Il est difficile d’entretenir le peuple de la divinité, il y a du danger, c’est un composé de préjugés & de superstitions ; ne profanons point les mysteres par un discours vulgaire.

Dieu est un esprit diffus dans toutes les parties de la matiere qu’il pénétre, auxquelles il est présent, c’est la vie de tous les animaux.

La nature des choses ou Dieu, c’est la même chose ; c’est la cause premiere du mouvement dans tout ce qui se meut par soi. C’est l’automatisme de tout.

Dieu, quant à son être corporel, ne se peut comparer qu’à la lumiere ; quant à son être immatériel, qu’à la vérité.

Il est le principe de tout ; il est impassible, invisible, incorruptible ; il n’y a que l’entendement qui le saisisse.

Au-dessous de Dieu, il y a des puissances subalternes divines, des génies & des héros.

Ces substances intelligibles subordonnées sont bonnes & méchantes, elles émanent du premier être, de la monade universelle ; c’est d’elle qu’elles tiennent leur immutabilité, leur simplicité.

L’air est habité de génies & de héros.

Ce sont eux qui versent sur nous les songes, les signes, la santé, les maladies, les biens & les maux ; on peut les appaiser.

La cause premiere réside principalement dans les orbes des cieux ; à mesure que les êtres s’en éloignent, ils perdent de leur perfection ; l’harmonie subsiste jusqu’à la lune ; au dessous de la région sublunaire, elle s’éteint & tout est abandonné au désordre.

Le mal est assis sur la terre, elle en est le réceptacle.

Ce qui est au-dessus de la terre est enchaîné par les lois immuables de l’ordre, & s’exécute selon la volonté, la prévoyance & la sagesse de Dieu.

Ce qui est au-dessous de la lune est un conflict de quatre causes ; Dieu, le destin, l’homme & la fortune.

L’homme est un abregé de l’univers, il a la raison par laquelle il tient à Dieu ; une puissance végétative, nutritive, réproductrice, par laquelle il tient aux animaux ; une substance inerte qui lui est commune avec la terre.

Il y a une divination, ou un art de connoître la volonté des dieux. Celui qui admet la divination, admet aussi l’existence des dieux ; celui qui la nie, nie aussi l’existence des dieux. La divination & l’existence des dieux sont à ses yeux deux folies.

Ce qui paroît résulte de ce qui n’est pas apparent.

Ce qui est composé n’est pas principe.

Le principe est le simple qui constitue le composé.

Il faut qu’il soit éternel. L’atome n’est donc pas le premier principe, car il ne suffit pas de dire qu’il est éternel ; il faut apporter la raison de son éternité.

Le nombre est avant tout, l’unité est avant tout nombre ; l’unité est donc le premier principe.

L’unité a tout produit par son extension.

C’est l’ordre qui regne dans l’universalité des choses, qui les a fait comprendre sous un même point de vue & qui a fait inventer le nom d’univers.

Dieu a produit le monde, non dans le tems, mais par la pensée.

Le monde est périssable, mais la providence divine le conservera.

Il a commencé par le feu & par un cinquieme élément.

La terre est cubique ; le feu, pyramidal ; l’air, octaëdre ; la sphere universelle, dodecaëdre.

Le monde est animé, intelligent, sphérique ; au delà du monde est le vuide dans lequel & par lequel le monde respire.

Le monde a sa droite & sa gauche ; sa droite ou son orient d’où le monde a commencé & se continue vers sa gauche ou son occident.

Le destin est la cause de l’ordre universel & de l’ordre de toutes ses parties.

L’harmonie du monde & celle de la musique ne different pas.

La cause premiere occupe la sphere suprème & la perfection, l’ordre & la constance des choses sont en raison inverse de leur distance à cette sphere.

L’air ambiant de la terre est immobile & mal-sain ; tout ce qu’il environne est périssable. L’air supérieur est pur & sain ; tout ce qu’il environne est immortel & divin.

Le soleil, la lune & les autres astres sont des dieux.

Qu’est-ce qu’un astre ? Un monde placé dans l’æther infini qui embrasse le tout.

Le soleil est sphérique, c’est l’interposition de la lune qui l’éclipse pour nous.

La lune est une terre habitée par des animaux plus beaux & plus parfaits, dix fois plus grands, exempts des excrétions naturelles.

La comete est un astre qui disparoît en s’éloignant de nous, mais qui a sa révolution fixée.

L’arc-en-ciel est une image du soleil.

Au-dessous des spheres célestes & de l’orbe de la lune est celui du feu ; au dessous du feu est la région de l’air ; au dessous de celui-ci celle de l’eau ; la plus basse est la terre.

La masse de tous les élémens est ronde, il n’y a que le feu qui soit conique.

Il y a génération & corruption, ou résolution d’un être en ses élémens.

La lumiere & les ténebres, le froid & le chaud, le sec & l’humide sont en quantité égales dans le monde. Où le chaud prédomine, il y a été ; hiver, si c’est le froid ; printems, si c’est balance égale du froid & du chaud ; automne, si le froid prédomine. Le jour même a ses saisons ; le matin est le printems du jour ; le soir en est l’automne, il est moins salubre.

Le rayon s’élance du soleil, traverse l’æther froid & aride, pénetre les profondeurs & vivifie toutes choses entant qu’elles participent de sa chaleur ; mais non entant qu’animées. L’ame est un extrait de l’æther chaud & froid ; elle différe de la vie ; elle est immortelle, parce qu’elle émane d’un principe immortel.

Il ne s’engendre rien de la terre ; les animaux ont leurs semences, le moyen de leur propagation.

L’espece humaine a toujours été & ne cessera jamais.

L’ame est un nombre, elle se meut d’elle-même.

L’ame se divise en raisonnable & irraisonnable ; l’irraisonnable est irascible & concupiscible ; la partie raisonnable est émanée de l’ame du monde, les deux autres sont composées des élemens.

Tous les animaux ont une ame raisonnable ; si elle ne se manifeste pas dans les actions des brutes, c’est par défaut de conformation & de langue.

Le progrès de l’ame se fait du cœur au cerveau ; elle est la cause des sensations ; sa partie raisonnable est immortelle ; les autres parties périssent ; elle se nourrit de sang ; les esprits produisent ses facultés.

L’ame & ses puissances sont invisibles, & l’æther ne s’apperçoit pas ; les nerfs, les veines & les artères sont ses liens.

L’intelligence descend dans l’ame, c’est une particule divine qui lui vient du dehors, c’est la base de son immortalité.

L’ame renferme en elle le nombre quaternaire.

Si les veines sont les liens de l’ame, le corps est sa prison.

Il y a huit organes de la connoissance ; le sens, l’imagination, l’art, l’opinion, la prudence, la science, la sagesse, l’intelligence ; les quatre derniers sont communs à l’homme & aux dieux ; les deux précédens, à l’homme & aux bêtes ; l’opinion lui est propre.

L’ame jettée sur la terre est vagabonde dans l’air, elle est sous la figure d’un corps.

Aucune ame ne périt ; mais après un certain nombre de révolutions, elle anime de nouveaux corps, & de transmigrations en transmigrations, elle redevient ce qu’elle a été.

La doctrine de Pythagore sur la transmigration des ames, a été bien connue & bien exposée par Ovide qui introduit ce philosophe, liv. XV. de ses Métamorphoses, parlant ainsi :

Morte carent animoe, semperque priore relictâ
Sede, novis domibus habitant, vivuntque recepta.
Omnia mutantur ; nihil interit, errat & illinc,
Huc venit, huic illuc & quoslibet occupat artus
Spiritus, èque feris humana in corpora transit,
Neque feras noster, nec tempore deperit ullo,
Ut que novis fragilis signatur cera figuris,
Nec manet, ut fuerat, nec formas servat easdem,
Sed tamen ipsa eadem est ; animam sic semper eandem
Esse, sed in varias doceo migrare figuras.

Il n’y a qu’un certain nombre d’ames, elles ont été tirées de l’Esprit divin ; elles sont renfermées dans des corps qu’elles vivifient en certains tems ; le corps périt, & l’ame libre s’éleve aux régions supérieures ; c’est la région des manes, elle y séjourne, elle s’y purge ; delà, selon qu’elle est bonne, mauvaise ou détestable, elle se rejoint à son origine, ou elle vient animer le corps d’un homme ou d’un animal. C’est ainsi qu’elle satis fait à la justice divine.

De la médecine de Pythagore. La conservation de la santé consiste dans une juste proportion du travail, du repos & de la diete.

Il faut s’interdire les alimens flateurs, préférer ceux qui resserrent & fortifient l’habitude du corps.

Il faut s’interdire les alimens abjects aux yeux des dieux parce qu’ils en sont alienés.

Il faut s’interdire les mets sacrés, parce que c’est une marque de respect qu’on doit aux êtres auxquels ils sont destinés, que de les soustraire à l’usage commun des hommes.

Il faut s’interdire les mets qui suspendent la divination, qui nuisent à la pureté de l’ame, à la chasteté, à la sobrieté, à l’habitude de la vertu, à la sainteté, & qui mettent le desordre dans les images qui nous sont offertes en songe.

Il faut s’interdire le vin & les viandes.

Il ne faut se nourrir ni du cœur, ni de la cervelle, ni de la mauve, de la mûre, de la fêve, &c.

Il ne faut point manger de poissons.

Le pain & le miel, le pain de millet avec le chou crud ou cuit, voila la nourriture du pythagoricien.

Il n’y a point de meilleur préservatif que le vinaigre.

On lui attribue l’observation des années climactériques & des jours critiques.

Il eut aussi sa pharmacie.

Il eut ses symboles. En voici quelques-uns.

Si tu vas adorer au temple, dans cet intervalle ne fais ni ne dis rien qui soit relatif à la vie.

Adore & sacrifie les piés nuds.

Laisse les grands chemins, sois les sentiers.

Adore l’haleine des vents.

Ne remue point le feu avec l’épée.

Ne fais point cuire le chevreau dans le lait de sa mere.

Prête l’épaule à celui qui est chargé.

Ne saute point par-dessus le joug.

Ne pisse point le visage tourné au soleil.

Nourris le coq, mais ne l’immole pas.

Ne coupe point de bois sur les chemins.

Ne reçois point d’hirondelles sous ton toît.

Plante la mauve dans ton jardin, mais ne la mange pas.

Touche la terre quand il tonne.

Prie à haute voix. &c.....

Il suit de ce qui précéde que Pythagore fut un des plus grand hommes de l’antiquité, & qu’il est difficille d’entendre sa définition de la musique, & de nier que les anciens n’aient connu le concert à plusieurs parties différentes.

Des disciples & des sectateurs de Pythagore. Aristée succéda dans l’école à Pythagore ; ce fut un homme très-versé dans les mathématiques, il professa trente-neuf ans & vêcut environ cent ans. Mnésarque, fils de Pythagore, succéda à Aristée ; Bulagoras à Mnésarque ; Tydas à Bulagoras ; Aresas à Tydas ; Diodore d’Aspende à Aresas ; Archytas à Diodore. Platon fut un des auditeurs d’Archytas. Outre ces pythagoriciens, il y en avoit d’autres dispersés dans la Sicile & l’Italie, entre lesquels on nomme Clinias, Philolaüs, Theorides, Euritus, Architas, Timée, & plusieurs femmes. On fait honneur à la même secte d’Hypodame, d’Euriphame, d’Hyparque, de Theages, de Métope, de Criton, de Diotogène, de Callicratidas, de Charondas, d’Empedocle, d’Epicarme, d’Ocellus, d’Ecphante, de Hypon, & autres.

Ecphante prétendit que l’homme ne pouvoit obtenir une vraie notion des choses ; que les vicissitudes perpétuelles de la matiere s’y opposoient ; que les premiers principes étoient de petits corps individuels, dont la grandeur, la forme & la puissance constituoient les différences ; que le nombre en étoit infini ; qu’il y avoit du vuide ; que les corps n’y descendirent ni par leur nature, ni par leur poids, ni par une impulsion, mais par un effort divin de l’esprit ; que le monde formé d’atomes étoit administré par un être prévoyant ; qu’il étoit animé ; qu’il étoit intelligent ; que la terre étoit au centre ; dent. & qu’il tournoit sur elle-même d’orient en occident.

Hippon de Rhegium regarda le froid ou l’eau & la chaleur ou le feu comme les premiers principes. Selon lui, le feu émana de l’eau & forma le monde ; l’ame fut produite par l’humide, son germe distillant du cerveau ; tout, sans exception, périssoit ; il étoit incertain qu’il y eût quelques natures soustraites à cette loi.

On pourroit ajouter à ces philosophes Xénophane, fondateur de la secte éléatique & instituteur de Telauge, fils de Pythagore. La secte ne dura pas au-delà du tems d’Alexandre le Grand. Alors parurent Xénophile, Phanton, Echecrate, Dioclès & Polymneste, disciples de Phliasius, de Philolaus & d’Euryte, que Platon visita à Tarente. Le Pythagorisme fut professé deux cens ans de suite. La hardiesse de ses principes, l’affectation de législateurs & de réformateurs des peuples dans ses sectateurs, le secret qui se gardoit entr’eux & qui rendit leurs sentimens suspects, le mépris des autres hommes qu’ils appelloient les morts, la haine de ceux qu’on excluoit de leurs assemblées, la jalousie des autres hommes, furent les causes principales de son extinction. Ajoutez la desertion générale, qui se fit au tems de Socrate, de toutes les écoles de Philosophie pour s’attacher à ce trop célebre & trop malheureux philosophe.

Empédocle naquit à Agrigente. Il fleurit dans la lxxxiv. olympiade : il se livra à la philosophie pythagoricienne ; cependant il ne crut pas devoir s’éloigner des affaires publiques. Il détermina ses concitoyens à l’égalité civile : il eût pû se rendre souverain, il dédaigna ce titre. Il employa son patrimoine à marier plusieurs filles qui manquoient de dot : il fut profondément versé dans la Poésie, l’art oratoire, la connoissance de la nature, & la Médecine. Il fit des choses surprenantes en elles-mêmes, auxquelles la tradition & la fiction qui corrompent tout donnerent un caractere merveilleux, tel que celui que les gestes d’Orphée, de Linus, de Musée, de Mélampe, d’Epiménide en avoient reçus. On dit qu’il commandoit aux vents nuisibles, parce que s’étant apperçu que celui qui passoit à-travers les fentes des montagnes & leurs cavernes ouvertes étoit mal-sain pour les contrées qui y étoient exposées, il les fit fermer. On dit qu’il changeoit la nature des eaux, parce qu’ayant conjecturé que la peste qui dévastoit une province, étoit occasionnée par les exhalaisons funestes d’une riviere dormante & bourbeuse, il lui donna de la rapidité & de la limpidité, en y conduisant deux rivieres voisines. On dit qu’il commandoit aux passions des hommes, parce qu’il excelloit dans l’art de la Musique, qui fut si puissant dans ces premiers tems. On dit qu’il ressuscitoit les morts, parce qu’il dissipa la léthargie d’une femme attaquée d’une suffocation utérine. La méchanceté des peuples s’acharne à tourmenter les grands hommes pendant leur vie ; après leur mort, elle croit réparer son injustice en exagérant leurs bienfaits ; & cette sottise ternit leur mémoire tantôt en faisant douter de leur existence, tantôt en les faisant passer pour des imposteurs. Empédocle brûla la plûpart de ses compositions poétiques. On dit qu’il avoit été enlevé au ciel, parce qu’à l’exemple des philosophes de son tems, il avoit disparu, soit pour se livrer tout entier à la méditation dans quelque lieu desert, soit pour parcourir les contrées éloignées & conférer avec les hommes, qui y jouissoient de quelque réputation. On croit qu’attiré sur le mont Etna par une curiosité dangereuse, mais bien digne d’un naturaliste, il périt dans les flammes qu’il vomissoit. Ce dernier trait de sa vie tant raconté par les anciens, & tant répété par les modernes, n’est peut-être qu’une fable. On prétend, & avec juste raison, que le peuple aime le merveilleux ; je crois cette maxime d’une vérité beaucoup plus générale, & que l’homme aime le merveilleux. Moi-même, je me surprends à tout moment sur le point de m’y livrer. Lorsqu’un fait aggrandit la nature humaine à mes yeux, lorsqu’il m’offre l’occasion de faire un éloge sublime de l’espece dont je suis un individu, je me soucie peu de le discuter ; il semble que j’aie une crainte secrette de le trouver faux ; je ne m’y détermine que quand on s’en sert comme d’une autorité contre ma raison, & ma liberté de penser. Alors je m’indigne, & tombant d’un excès dans un autre, je mets en œuvre tous les ressorts de la dialectique, de la critique & du pyrrhonisme : & trop peu scrupuleux, je frappe à tort & à-travers d’une arme également propre à écarter le mensonge & à blesser la vérité. Aussi pourquoi me révolter ? pourquoi vouloir m’entraîner & me pousser par cette violence à me roidir contre le penchant qui me porte naturellement à croire de mes semblables les choses les plus extraordinaires ? Abandonne-moi à moi même ; laisse-là ta menace, & j’irai tomber sans effort au pié de tes statues. Si tu fais gronder la foudre de Jupiter au-dessus de ma tête, je crierai à tous les peuples que Jupiter fut enterré dans la Crete, & j’indiquerai les tombeaux de ceux que tu places au haut des cieux.

Empédocle disoit qu’il faut juger des choses par la raison & non par les sens ; que c’est à elle à discuter leur témoignage ; qu’il y a deux principes, l’un actif ou la monade, l’autre passif ou la matiere ; que la monade est un feu intelligent ; que tout en émane & s’y résout ; que l’air est habité par des génies ; qu’il y a quelqu’union entre Dieu & nous, & même entre Dieu & les animaux ; qu’il est un esprit un, universel, présent à toutes les particules de l’univers qu’il anime, une ame commune qui les lie ; qu’il faut s’abstenir de la chair des animaux qui ont avec nous une affinité divine ; que le monde est un ; qu’il n’est pas tout ; qu’il n’est qu’une molécule d’une masse énorme, informe & inerte qui se développe sans cesse ; que ce développement a été & sera dans toute l’éternité l’ouvrage de l’esprit universel & un ; qu’il y a quatre élémens ; qu’ils ne sont pas simples, mais des fragmens d’une matiere antérieure ; que leurs qualités premieres sont l’antipathie & la concorde, l’antipathie qui sépare les uns, la concorde qui combine des autres ; que le mouvement qui les agite est de l’esprit universel, de la monade divine ; qu’ils ne sont pas seulement similaires, mais ronds & éternels ; que la nature n’est que l’union & la division des élémens ; qu’il y a quatre élémens, l’eau, la terre, l’air & le feu, ou Jupiter, Junon, Pluton & Nestis ; que la sphere solaire corrompt le monde ; que dans le développement premier l’éther parut d’abord, puis le feu, puis la terre qui bouillit, puis l’eau qui s’éleva, puis l’air qui se sépara de l’eau, puis les êtres particuliers se formerent ; que l’air cédant à l’effort du soleil, il y eut déclinaison dans les contrées septentrionales, élévation dans les contrées voisines, & affaissement dans les contrées australes, & que l’univers entier suivit cette loi ; que le monde a sa droite & sa gauche, sa droite au tropique du cancer, sa gauche au tropique du capricorne ; que le ciel est un corps solide, formé d’air & condensé en crystal par le feu ; que sa nature est aërienne & ignée dans l’un & l’autre hémisphere ; que les astres sont de ce feu qui se sépara originairement de la masse ; que les étoiles fixes sont attachées au firmament ; que les planetes sont errantes ; que le soleil est un globe de feu plus grand que la lune ; qu’il y a deux soleils, le feu primitif & l’astre du jour qui nous éclaire ; que la lune n’est qu’un disque deux fois plus éloigné du soleil que de la terre ; que l’homme a deux ames, l’une immortelle, divine, particule de l’ame universelle, renfermée dans la prison du corps pour l’expiation de quelque faute ; l’autre sensitive, périssable, composée d’élémens unis & séparables ; qu’un homme n’est qu’un génie châtié.

Fata jubent, stant hæc decreta antiqua deorum ;
Si quid peccando longoevi dæmones errant ;
Quisque luit pænas, cæloque extorris ab alto
Trigenta horarum per terras millia oberrat,
Sic & ego nunc ipse vagor, divinitùs exul.

Que tous les animaux, toutes les plantes ont des ames ; que ces ames sont dans des transmigrations perpétuelles ; qu’elles errent & erreront jusqu’à ce que, restituées dans leur pureté originelle & premiere, elles rentreront dans le sein de la divinité, divines elles-mêmes.

Nam memini, fueram quandam puer atque puella,
Plantaque, & ignitus piscis, pernixque volucris.

Qu’il avoit été, & qu’il s’en souvenoit bien, jeune garçon, jeune fille, plante immobile, poisson phosphorique, oiseau léger, puis philosophe Empédocle.

Que les animaux n’ont pas toujours eu l’unité de conformation qu’on y remarque ; qu’ils ont eu les deux sexes ; qu’ils étoient un assemblage informe de membres & d’organes d’especes différentes, & qu’il reste encore dans quelques-uns des vestiges de ce desordre premier, dont les monstres sont apparemment des individus plus caractérisés.

Multa genus duplex referunt animalia membris
Pectore, vel capite, aut alis, sic ut videatur,
Ante viri retroque boris forma aut vice versâ,
In pecore humanæ quondam vestigia formæ.

Le monstre est l’homme d’autrefois.

Que la mer est une sueur que l’ardeur du soleil exprime sans cesse de la terre ; qu’il émane des corps des especes visibles par la lumiere du soleil qui les éclaire en s’y unissant ; que le son n’est qu’un ébranlement de l’air porté dans l’oreille où il y a un battant, & où le reste s’exécute comme dans une cloche ; que la semence du mâle contient certaines parties du corps organique à former, la semence de la femelle d’autres, & que de-là naît la pente des deux sexes, effet dans l’un & l’autre des molécules qui tendent à réformer un tout épars & séparé ; que l’action de la respiration commence dans la matrice l’air s’y portant à mesure que l’humidité disparoît, la chaleur le repoussant à son tour, & l’air y retournant ; que la chair est un égal composé des quatre élémens ; qu’il en est des graines comme de la semence des animaux ; que la terre est une matrice où elles tombent, sont reçues & éclosent ; que la loi de nature est une loi éternelle, à laquelle il faut toujours obéir, &c

Celui qui méditera avec attention cet abrégé de la vie & de la doctrine d’Empédocle, ne le regardera pas comme un homme ordinaire : il y remarquera des connoissances physiques, anatomiques, des vûes, de l’imagination, de la subtilité, de l’esprit, & une destination bien caractérisée à accélerer les progrès de l’esprit humain. Pour éclairer les hommes, il ne s’agit pas toujours de rencontrer la vérité, mais bien de les mettre en train de méditer par une tentative heureuse ou malheureuse. L’homme de génie est celui que la nature porte à s’occuper d’un sujet sur lequel le reste de l’espece est assoupi & aveugle.

Epicarme de Cos fut porté dans sa premiere enfance en Sicile : il y étudioit le Pythagorisme ; mais le peuple sot, comme en tout tems & par-tout, y étoit déchaîne contre la Philosophie, & la tyrannie toujours ennemie de la liberté de penser, parce qu’elle s’avoue secrettement à elle-même, qu’elle n’a pas de moyen plus sûr de maîtriser les hommes qu’en les réduisant à la condition des brutes, y fomentoit la haine du peuple, il se livra donc au genre théâtral. Il écrivit des comédies où quelques principes de sagesse pythagorique échappés par hasard, acheverent de rendre cette philosophie odieuse ; il fut versé dans la Morale, l’Histoire naturelle & la Médecine : il atteignit l’âge de 99 ans, & les brigands qui l’avoient persécuté lui éleverent une statue après sa mort. Son ombre ne fut-elle pas bien vaine de cet hommage ? Ces hommes étoient-ils meilleurs quand ils l’honoroient par un monument, que quand ils égorgerent son maître, & qu’ils brûlerent tous ses disciples. Epicarme disoit :

Il est impossible que quelque chose se soit fait de rien.

Donc il n’y a rien qui soit un premier être, rien qui soit un second être.

Les dieux ont toujours été, & n’ont jamais cessé d’être.

Le chaos a été le premier des dieux engendré : il se fait donc un changement dans la matiere.

Ce changement s’exécute incessamment. La matiere est à chaque instant diverse d’elle-même. Nous ne sommes point aujourd’hui ce que nous étions hier ; & demain, nous ne serons pas ce que nous sommes aujourd’hui.

La mort nous est étrangere : elle ne nous touche en rien ; pourquoi la craindre ?

Chaque homme a son caractere : c’est son génie bon ou mauvais.

L’homme de bien est noble, sa mere fût-elle étiopienne.

Ocellus fut-il péripatéticien ou pythagoricien ? L’ouvrage de universo qu’on nous a transmis sous son nom est-il ou n’est-il pas de lui ? C’est ce dont on jugera par les principes de sa doctrine. Selon Ocellus,

L’instinct de la nature nous instruit de plusieurs choses, dont la raison ne nous fournit que des preuves légeres. Il y a donc la certitude du sentiment, & la conjecture de la raison.

L’univers a toujours été, & sera toujours.

C’est l’ordre qu’on y remarque qui l’a fait nommer univers.

Il y a une collection de toutes les natures, un enchaînement qui lie & les choses qui sont & celles qui surviennent : il n’y a rien hors de-là.

Les essences, les principes des choses ne se saisissent point par les sens ; elles sont absolues, énergiques par elles-mêmes, & parfaites.

Rien de ce qui est n’a été de rien, & ne se résout en rien.

Il n’y a rien hors de l’univers, aucune cause extérieure qui puisse le détruire.

La succession & la mort sont des choses accidentelles, & non des parties premieres.

Les premiers mobiles se meuvent d’eux-mêmes de la même maniere, & selon ce qu’ils sont.

Leur mouvement est circulaire.

Condensez le feu, & vous aurez de l’air ; l’air, & vous aurez l’eau ; l’eau, & vous aurez la terre ; & la terre se résout en feu. L’homme se dissout, mais il ne revient pas. C’est un être accidentel ; le tout reste, mais les accidens passent.

Le monde est un globe : il se meut d’un mouvement analogue à sa figure. La durée est infinie ; la substance universelle ne peut être ni augmentée, ni diminuée, ni amendée, ni détériorée.

Il y a deux choses dans l’univers, la génération & sa cause.

La génération est le changement d’une chose en une autre. Il y a génération de celle-ci. La cause de la génération est la raison du changement ou de la production. La cause est efficiente & active. Le sujet est récipient & passif.

Le destin a voulu que ce monde fût divisé en deux régions que l’orbe de la lune distinguât ; & que la région qui est au-dessus de l’orbe lunaire fût celle de l’immutabilité & de l’impassibilité ; & celle qui est au-dessous, le séjour de la discorde, de la génération.

Il y a trois choses, le corps palpable, ou le récipient, ou le sujet passif des choses à venir, comme l’air qui doit engendrer le son, la couleur, les ténébres & la lumiere ; la contradiction sans laquelle les mutations ne se feroient pas. Les substances contraires, comme le feu, l’eau, l’air & la terre.

Il y a quatre qualités générales contraires, le froid & le chaud, causes efficientes ; le sec & l’humide, causes passives ; la matiere qui reçoit tout est un suppôt commun.

Entre les qualités & différences des corps, il y en a de premieres & de secondaires qui émanent des premieres. Les premieres sont le froid & la chaleur, la sécheresse & l’humidité. Les secondaires sont la pesanteur & la légereté, la rareté & la densité ; la dureté & la mollesse ; l’uni & l’inégalité ; la grosseur & la ténuité ; l’aigu & l’obtus.

Entre les élémens, le feu & la terre sont les extrèmes, l’air & l’eau les moyens. Le feu est chaud & sec ; l’air chaud & humide ; l’eau humide & froide ; la terre froide & seche.

Les élémens se convertissent sans cesse les uns dans les autres ; l’un naît d’un autre. Dans cette décomposition, la qualité de l’élément qui passe, contraire à celle de l’élément qui naît, est détruite, la qualité commune reste, & c’est ainsi que cette sorte de génération s’exécute.

Entre les causes efficientes, il y en a une placée dans la région haute du monde, le soleil dont la distance variable altere incessamment la constitution de l’air ; d’où naissent toutes les vicissitudes qui s’observent sur la terre. Cette bande oblique, demeure des signes, séjour passager du soleil, ornement de l’univers, qu’on appelle zodiaque, donne au soleil même la puissance, ou d’engendrer, ou de souffrir.

Le monde étant de toute éternité, ce qui fait sa beauté & son harmonie est aussi éternel ; le monde a toujours été, & chacune de ses parties ; la raison des générations & des corruptions, des vicissitudes, n’a point changé & ne change point.

Chaque partie du monde a toujours eu son animal ; les dieux ont été au ciel, les démons dans l’air, les hommes sur la terre. L’espece humaine n’a pas commencé.

Les parties de la terre sont sujettes à des vicissitudes & passent, mais la terre reste.

C’est la conservation de l’espece humaine, & non la volupté qu’il faut se proposer dans la production de l’homme.

Dieu a voulu que la suite des générations diverses fût infinie, afin que l’homme s’approchât nécessaireme de la divinité.

L’homme est sur la terre, comme un hôte dans sa maison, un citoyen dans sa ville ; c’en est la partie la plus importante.

L’homme est le plus traitable des animaux ; aussi ses fonctions sont en vicissitude & variables.

La vie contient les corps ; l’ame est la cause de la vie ; l’harmonie contient le monde : Dieu est la cause de l’harmonie ; la concorde contient les familles & les cités ; la loi est la cause de la concorde.

Ce qui meut toujours, commande ; ce qui souffre toujours est commandé. Ce qui meut est antérieur à ce qui souffre ; l’un est divin, raisonnable, intelligent ; l’autre engendré, brute & périssable.

Timée le locrien, se distingua par la connoissance astronomique & par ses idées générales sur l’univers. Il nous reste de lui un ouvrage intitulé. de l’ame du monde, où il admet deux causes génerales, éternelles, Dieu ou l’esprit ; la nécessité ou la matiere source des corps. Si l’on compare son système avec le dialogue de Platon, on verra que le philosophe Athénien a souvent corrompu la physiologie du locrien.

Architas naquit à Tarente ; il fut contemporain de Platon qu’il initia au Pythagorisme. Celui-ci qu’on peut appeller le jeune, ne vit point Pythagore ; car il y a eu un Architas l’ancien qui étudia sous ce maître commun de tant d’hommes célébres. Celui de Tarente eut pour disciples, outre Platon, Philolaüs & Eudoxe ; il fleurit dans la quatre-vingt-seizieme olympiade ; ce fut un géometre de la premiere force, ainsi qu’il paroît par l’analyse de quelques problèmes que Laerce & Vitruve nous ont laissés de lui. Il s’immortalisa dans la méchanique ; il en posa le premier les principes rationels qu’il appliqua en même tems à la pratique par l’invention des moufles, des vis, des leviers & d’autres machines. Il fit une colombe qui voloit. Il eut encore les qualités qui constituent le grand homme d’état. Ses concitoyens lui conférerent sept fois le gouvernement de leur ville. Il commanda à l’armée avec des succès qui ne se démentirent point. L’envie qui le persécutoit le détermina à abdiquer toutes ses dignités ; mais les événemens malheureux ne tarderent pas à punir ses concitoyens de leur injustice ; le trouble s’éleva dans leur ville, & leurs armées furent défaites. A ses talens personnels, & à ses vertus publiques, ajoutez toutes les vertus domestiques, l’humanité, la modestie, la pudeur, la bienfaisance, l’hospitalité, & vous aurez le caractere d’Architas ; il périt dans un naufrage sur les rivages de la Calabre ; c’est entre ce philosophe & un matelot, qu’Horace a institué ce beau dialogue qui commence par ces mots :

Le matelot

Te maris & terræ, numeroque carentis arena
Mensoram cohibent, Archita,
Pulveris exigui, prope littus, parva, matinum
Munera ; nec quicquam tibi prodest
Aerias tentasse domos, animoque rotundum
Percurrisse polum, morituro.

Voyez le reste de l’ode ; rien n’est plus beau que la réponse d’Architas ; lisez-la, & apprenez à mourir & à honorer la cendre de ceux qui ne sont plus.

Architas pensoit que le tems étoit un nombre, un mouvement, où l’ordre de la nature entiere, que le mouvement universel se distribuoit en tout, selon une certaine mesure ; que le bonheur n’étoit pas toujours la récompense immédiate de la vertu ; qu’il n’y avoit d’heureux que l’homme de bien ; que Dieu possedoit dans son ouvrage une tranquillité & y introduisoit une magnificence qu’il n’étoit pas donné à l’homme d’atteindre ; qu’il y avoit des biens desirables par eux-mêmes ; des biens desirables pour d’autres, & des biens desirables sous l’un & l’autre aspect ; que l’homme de bien est celui qui se montre vertueux dans la prospérité, dans l’adversité, & dans l’état moyen ; que le bonheur n’étoit pas seulement d’une partie de l’homme, mais du tout, & qu’il étoit relatif à l’ame & au corps ; que la vertu ne pouvoit pécher par excès ; que le danger de la prospérité étoit encore plus grand que celui de l’adversité ; que le sage par excellence étoit celui, qui, dans l’explication des phenomenes remontoit à un seul principe général, & redescendoit de ce principe général aux choses particulieres ; que Dieu étoit le principe & le moyen, & la fin de tout ; que de toutes les sortes de contagions, la volupté étoit la principale, &c.

Alcmeon avoit entendu Pythagore sur la fin de sa vie. Il se fit un nom dans la suite par l’étude de la nature, & la pratique de la Médecine. Il est le premier qui ait disséqué des animaux. Il admit les principes opposés ; la divinité des astres, & l’immortalité de l’ame. Il attribua les éclipses à la révolution de la lune, qui nous présentoit une face tantôt concave, tantôt convexe. Il croyoit que les planetes se mouvoient d’un mouvement contraire à celui des étoiles fixes ; que le son étoit un retentissement de l’air dans la cavité de l’oreille ; que la tiédeur & l’humidité de la langue étoient les causes de la saveur ; que l’ame résidoit principalement dans le cerveau ; que dans le développement de l’embryon, la tête se formoit la premiere ; qu’il ressembloit à une éponge qui se nourrissoit par une suction diffuse dans toute sa masse ; que le mouvement du sang étoit le principe de la vie, sa stagnation dans les veines celui du sommeil, & son expansion celui de la veille ; que la santé consistoit dans la tempérie des qualités ; que s’il arrivoit au chaud, à l’humide, au sec, au doux ou à l’amer, de prédominer, l’animal étoit malade, &c.

Hypase dit que le feu étoit dieu, & le premier principe ; que l’ame en étoit une particule ; qu’en s’éteignant il formoit l’air, qui formoit l’eau en s’épaississant, qui formoit la terre en se condensant ; que l’univers finiroit par une déflagration générale ; qu’il avoit différentes périodes à remplir avant ce dernier événement ; qu’il étoit fini & toujours un.

Ce fut Philolaüs qui divulgua la doctrine de Pythagore. Il convenoit que la raison jugeoit sainement des choses, mais la raison cultivée. Il établissoit entr’elle & l’univers une sorte de similitude par laquelle l’entendement étoit applicable aux objets. Il admettoit l’infini & le fini dans la nature, le résultat de leur combinaison. Un de ses principes les plus singuliers, c’est que rien de ce qui peut être connu, n’est un principe. Le nombre étoit selon lui, comme selon tous les Pythagoriciens, la cause de l’ordre & de sa durée. Il expliquoit tout par l’unité & son extension. Il distinguoit différentes régions dans le monde, un milieu, une région haute & une région basse, un lieu de désordre, un lieu d’harmonie. Il plaçoit le feu au centre ; c’étoient-là les lois de l’univers, l’autel des dieux, le domicile de Jupiter, le balancier de la nature. Il regardoit la nécessité & l’harmonie comme les causes de tout. Il enseignoit deux grands derniers événemens ; l’un par un feu tombant du ciel, l’autre par un déluge d’eau versée de la lune. Il faisoit mouvoir la terre sur elle-même & au-tour du feu, d’un mouvement oblique. Il regardoit le soleil comme un miroir qui réflechissoit la lumiere universelle.

Eudoxe de Cnide, astronome, géometre, médecin & législateur, fut le dernier des anciens pythagoriciens. Il se livra à l’étude de la nature avec un tel enthousiasme, qu’il consentoit d’être consumé comme Phaëton, pourvû qu’il lui fût accordé de voir le soleil d’assez près pour le connoître. Il apprit la Géométrie d’Architas, & la Médecine de Philistion. Il alla à Athènes entendre Platon. Il avoit alors vingt-trois ans. L’extrème indigence le réduisit à faire alternativement le métier de philosophe & d’ouvrier sur les ports. Il voyagea avec le médecin Chrisippe. Agésilas le recommanda au roi Nectanebe. Il fréquenta les temples de l’Egypte. Il parcourut la Propontide & la Carie. Il vit Mausole & Denis le jeune. Il perfectionna l’Astronomie. On lui attribue l’invention de l’hipothese des cercles sur lesquels on a fait si long-tems mouvoir les corps célestes, les uns concentriques, les autres excentriques. Il mourut à l’âge de 53 ans, & la premiere ere de l’école de pythagore finit avec lui.

Du Pythagorisme renouvellé. Le Pythagorisme sortit de l’oubli où il étoit tombé sous les empereurs romains. Ce n’est pas qu’il eût des écoles, comme il en avoit eu autrefois ; aucune secte ne fit cette espece de fortune dans Rome. On n’y alloit guere entendre les Philosophes que les jours qu’il n’y avoit ni jeux, ni spectacles, ou qu’il faisoit mauvais tems, cum ludi intercalantur, cum aliquis pluvius intervenit dies. Mais quelques citoyens professerent quelques-uns des principes de Pythagore ; d’autres embrasserent ses mœurs & son genre de vie. Il y en eut qui portant dans les sciences l’esprit d’Eclectisme, se firent des systèmes melés de Pythagorisme, de Platonisme, de Péripatéticisme & de Stoicisme. On nomme parmi cette sorte de restaurateurs de la philosophie dont il s’agit ici, Anaxilaüs de Larisse, Quintus Sextius, Sotion d’Alexandrie, Moderatus de Gades, Euxenus d’Héraclée, Apollonius de Thyane, Secondus d’Athenes & Nicomaque le gérasénien. Comme ces hommes n’ont pas été sans réputation, nous ne pouvons nous dispenser d’en dire un mot.

Anaxilaüs de Larisse vécut sous Auguste. Il se disoit pythagoriste, sur l’opinion commune dans ces tems que le philosophe de Samos ne s’étoit appliqué à l’étude de la nature que pour en déduire l’art d’opérer des choses merveilleuses. On en raconte plusieurs d’Anaxilaüs. Il ne tint pas à lui qu’on ne le prît pour sorcier. Il y réussit même au-delà de ses prétentions, puisqu’il se fit exiler par Auguste qui n’étoit ni un petit esprit, ni un homme ennemi des savans. Anaxilaüs lui parut apparemment un charlatan dangereux.

Quintus Sextius fut un autre homme. Appellé par sa naissance & par la considération dont il jouissoit, aux premieres dignités civiles, soit qu’il dédaignât d’administrer dans un état avili par la perte de la liberté, soit que la terre fumât encore du sang dont elle avoit été arrosée sous le triumvirat, & qu’il en fut effrayé, soit qu’il ne vît que du péril dans les dignités qu’on lui offroit, il les refusa, se livra à l’étude de la Philosophie, & fonda une secte nouvelle, qui ne fut ni Stoïcisme, ni Pythagorisme, mais un composé de l’un & de l’autre. Voici la maniere dont Séneque en parle. J’ai lû l’ouvrage de Sextius ; c’est un homme de la premiere force, & stoïcien quoi qu’on en dise. Quelle vigueur ! quelle ame ! Cela est d’une trempe qui n’est pas ordinaire même entre les Philosophes. Je ne vois que de grands noms & de petits livres. Ce n’est pas ici la même chose. Les autres instituent, disputent, plaisantent ; mais ils ne nous donnent point de chaleur, parce qu’ils n’en ont point. Mais lisez Sextius, & vous vous direz à vous-même, que suis je devenu ? J’étois froid, & je me sens animé ; j’étois foible, & je me sens fort ; j’étois pusillanime, & je me sens du courage. Pour moi, en quelque situation d’esprit que je me trouve, à peine l’ai-je ouvert, que je puis défier tous les évenemens ; que je m’écrierois volontiers : ô sort, que fais-tu ? que ne viens-tu sur moi ? arrive avec toutes tes terreurs. Je vous attends. Je prends l’ame de cet auteur : elle passe en moi. Je brûle de m’exercer contre l’infortune. Je m’indigne que l’occasion de montrer de la vertu ne se présente pas. Ce Sextius a cela d’admirable, que sans vous pallier l’importance & la difficulté d’obtenir le bonheur & le repos de la vie, il ne vous en ôte pas l’espoir. Il met la chose haut, mais non si haut qu’avec de la résolution on n’y puisse atteindre. Il vous montre la vertu sous un point-de-vûe qui vous étonne, mais qui vous enflamme. Sextius assied le sage à côté de Jupiter. La nuit, lorsqu’il étoit retiré, & que tout étoit en silence autour de lui, il s’interrogeoit & se disoit : de quel vice t’es-tu corrigé ? quel bien as-tu fait ? en quoi es-tu devenu meilleur ? Il avoit eu le pythagoricien Sotion pour instituteur. Celui-ci l’avoit déterminé à l’abstinence de la chair. En effet, n’y a t-il pas assez d’autres alimens, sans user du sang ? N’est-ce pas encourager les hommes à la cruauté, que de leur permettre d’enfoncer le couteau dans la gorge des animaux ? Cependant ce régime austere étant devenu une espece de scandale sous le regne de Tibere, & ceux qui s’y conformerent se rendant suspects d’hétérodoxie, le pere de Sextius conseilla à son fils de mieux souper à l’avenir, s’il ne vouloit pas s’exposer à quelque affaire sérieuse. La tâche que Sextius s’étoit imposée, lui parut si forte à lui-même, que ne pouvant ni l’abandonner, ni y satisfaire, il fut quelquefois sur le point de se précipiter dans la mer. Il eut pour disciples Flavianus, Lucius Crassitius de Tarente, surnommé Paside, Pansa & Julius Antonius, fils du triumvir.

Le centon de maximes moitié pythagoriques, moitié stoïciennes & chrétiennes, qui portent le nom de Sextus ou de Sextius, n’est point de notre philosophe. C’est une de ces productions supposées, telles qu’il en parut tant pendant les premiers siecles de l’Eglise ; les Payens, les Chrétiens, les orthodoxes & les hérétiques, cherchant tous également à appuyer leurs sentimens de quelques grandes autorités.

Sotion parut sous les regnes d’Auguste & de Tibere. Il eut Séneque pour disciple. Sa doctrine fut pythagorico-stoïcienne, c’est-à-dire qu’il admit la métempsycose, & qu’il s’abstint du vin & de la chair des animaux.

Moderat vécut sous Néron. Il étoit de Gades, île de la mer Atlantique. Origene, Porphyre, Jamblique, & les autres philosophes de l’école d’Alexandrie, firent cas de ses ouvrages. Sa doctrine fut platonico-pythagorique.

On compte encore parmi les sectateurs ou Pythagorisme renouvellé, Alexicrate, Eugene, Arcas, précepteur d’Auguste, & quelques autres.

Nous voici enfin parvenus à un des noms les plus célebres parmi les hommes ; c’est celui d’Apollonius de Thyane. On peut écrire des volumes de la vie de ce philosophe, ou l’expédier en quelques lignes, selon le parti qu’on prend, ou d’exposer le détail infini des fables qu’on a débitées sur son compte, ou de s’en tenir au peu de vérités qu’on en sait. Les philosophes ecclectiques de l’école d’Alexandrie, les ennemis les plus violens que l’Eglise ait eu dans sa naissance, n’ont rien obmis pour l’opposer avec avantage à J. C. Il est né d’un dieu. Sa venue est annoncée par des prodiges. Il étoit destiné à être un jour le restaurateur du genre humain. Il paroît parmi les hommes. Son enfance, son adolescence, toute sa vie est marquée par des prodiges. Il a toutes les qualités possibles de l’ame & du corps. Il sait toutes les langues. Il parcourt toutes les contrées. Il est instruit de toutes les connoissances & de toute la sagesse des nations. Jamais on n’a fait tant de mensonges & si maladroitement. Peut-être Apollonius a-t-il en effet voyagé dans l’Orient, dans l’Inde, en Asie, dans les Gaules, dans l’Italie ; peut-être a-t-il vu & sçu beaucoup ; peut-être a-t-il été un grand philosophe, un génie très-extraordinaire. Mais on est parvenu à rendre tout également incroyable, par la puérilité, la sotise, les faussetés qui percent de toutes parts dans son histoire. On lui donne pour compagnon un certain Damis, le plus stupide personnage qu’on puisse imaginer ; & il a pour historien Philostrate, menteur d’une impudence qui ne se conçoit pas. Laissons donc là sa vie & ses prodiges, & parcourons rapidement quelques-uns des principes de sa philosophie. Appollonius disoit, à ce qu’on prétend, car il est plus facile encore de supposer à un homme des discours que des actions.

Le philosophe s’unira d’amitié avec le philosophe, il négligera le grammairien & le sophiste.

La vertu s’acquiert par l’exercice & par l’institution. La nature nous y dispose. Il faut tout entreprendre pour elle.

La connoissance de la vérité est la tâche du philosophe.

Le philosophe fuit les bains, sort peu, craint de souiller ses piés, cherche en tout la pureté, dans ses vêtemens mêmes, s’occupe de la divination, souffre les peines du corps, purge son ame du vice, mange seul, se tait volontiers, s’abstient du vin & de la chair des animaux, a peu de besoins, évite le méchant, a toujours un bon conseil à donner, sa bourse ouverte à ses amis, du sang à répandre pour sa patrie, & sa liberté à garder.

Comment ne mépriseroit-il pas la richesse ? tant d’autres l’ont fait par des motifs indignes de lui.

Il ne vendra point ses connoissances.

Il regardera l’univers comme sa patrie, & tous les hommes comme ses freres. Nous descendons tous de Dieu.

Qu’exigerez-vous du pythagoricien ? L’art de donner des lois aux peuples, la connoissance de la Géométrie, de l’Astronomie, de l’Arithmétique, de l’harmonie, de la Musique, de la Médecine, & de la Théurgie ? Vous en exigerez davantage encore, l’élévation de l’ame, la gravité, la constance, la bonne renommée, la vraie théologie, l’amitié sincere, l’assiduité, la frugalité, l’intégrité des sens, l’agilité, l’aisance, la tranquillité, la vertu, le bonheur.

Le magicien est le ministre des dieux. Celui qui ne croit point à la Magie est athée.

Ayez de la pudeur pour celui qui en manque, & voilez votre visage devant l’homme qui s’énorgueillit d’une sotise.

Qu’est-ce que la prudence, sans la force ? Qu’est-ce que la force, sans la prudence ?

L’ame ne se repose point.

Rien ne périt. Il n’y a que des apparences qui naissent & qui passent.

S’il y a passage de l’état d’essence à l’état de nature, il y a génération.

S’il y a passage de l’état de nature à l’état d’essence, il y a mort.

A proprement parler, il n’y a ni génération, ni corruption. Il y a succession d’états. Il y a apparence grossiere de nature, & ténuité d’essence. L’intervalle est occupé par ce qui change, paroît & disparoît. L’essence est toujours la même ; mais son mouvement & son repos different. Un tout se résout en parties. Des parties reforment un tout. Voilà l’automatisme général.

La matiere est contenue comme dans un vase éternel, où rien ne survient, & d’où rien ne s’échappe ; mais ou ce qui est sensible cesse de l’être, & ce qui ne l’étoit pas le devient, ou des choses tendent à la simplicité de l’unité, & d’autres se composent.

Entre les choses visibles, il n’y a nul mode commun à tous les individus, mais tout mode de ce qui est un, est mode d’une chose singuliere.

L’essence premiere, la seule qui fasse & souffre, qui est toute en tout, est le dieu éternel, qui perd son nom dans nos langues, par la multitude & la variété des êtres à désigner.

L’homme se divinise en mourant : il change de mode, mais non de nature & d’essence. Il est donc mal de pleurer la mort ; il faut la révérer, & abandonner à Dieu l’être qui est parvenu à ce terme.

Il y a de l’ordre dans l’univers : Dieu y préside : le sage ne fera donc aucune chose, il croira que ce qui lui arrive est bien.

Cet ordre est nécessaire : s’il a destiné à l’empire un homme, & que cet homme périsse, il ressuscitera pour regner.

Celui qui a étudié cette chaîne des destinées, prédira l’avenir.

Ce qui est ne périt point, ou parce qu’il est par lui-même, & qu’il doit durer sans fin, ou il faut remonter à quelque chose qui se fasse de rien ; mais rien n’aboutit jamais qu’à rien.

Tant que nous vivons, nous sommes châtiés.

Il faut réunir l’art de guérir l’ame à celui de guérir le corps, pour posséder la médecine par excellence. L’animal sera-t-il sain, tant que sa portion la plus estimable sera malade.

Les dieux n’ont pas besoin de victimes. Avoir l’ame pure, faire le bien à ceux qui le méritent ; voilà ce qui rend agréable aux yeux de l’Eternel. Il n’y a que cela que l’athée ne puisse pas présenter au ciel.

Vous avez de l’affinité avec les animaux, n’en sacrifiez donc point.

Tous les êtres ont leur jeunesse & leur caducité, leurs périodes & leur consommation.

La richesse est une source d’inquiétudes ; pourquoi les hommes veulent-ils être riches ?

Il faut dans l’indigence se montrer ferme, humain dans l’opulence.

L’indiscrétion a bien des inconvéniens : il est plus sûr de se taire.

Le sage se contente de peu : ce n’est pas qu’il ne sache distinguer une chose vile d’une chose précieuse, mais son étude est d’apprendre à se passer de celle-ci.

La colere est le germe de la folie ; si on ne prévient sa maturité, il n’y aura plus de remede.

N’être plus, ce n’est rien : être, c’est souffrir.

Il est doux d’avoir évalué les évenemens fâcheux, avant que d’avoir à les supporter.

Consolons-nous par la vue des miseres d’autrui.

Si nous commettons le crime, du moins n’accusons personne.

La vie est courte pour l’homme heureux ; l’infortune prolonge sa durée.

Il est impossible qu’Apollonius ait eu les maximes d’un sage & la vie d’un imposteur. Concluons donc qu’on l’a trop bien fait parler ou trop mal agir.

Secondus l’athénien, surnommé Epiurus ou la cheville de bois, de l’état de son pere, garda le silence du jour que sa mere trompée dans les desseins incesteux qu’elle avoit formés sur lui, mourut de tristesse & de honte. Il eut pour disciple Herodes Atticus. Le monde, disoit-il, est un assemblage incomprehensible, un édifice à contempler de l’esprit, une hauteur inaccessible à l’œil, un spectacle formé de lui-même, une configuration variée sous une infinité de formes, une terreur éternelle, un æther fécond, un esprit multiplié, un dédale infini, un soleil, une lumiere, un jour, une nuit, des ténebres, des étoiles, une terre, un feu, une eau, de l’air : Dieu, un bien originel, une image multiforme, une hauteur invisible, une effigie variée, une question difficile, un esprit immortel, un être présent à tous, un œil toujours ouvert, l’essence propre des choses, une puissance distinguée sous une multitude de dénominations, un bras tout-puissant, une lumiere intelligente, une puissance lumineuse : l’homme, un esprit revêtu de chair, un vase spirituel, un domicile sensible, un être d’un moment, une ame née pour la peine, un jouet du sort, une machine d’os, le jouet du tems, l’observateur de la vie, le transfuge de la lumiere, le dépôt de la terre : la terre, la base du ciel, une perspective sans fond, une racine aérienne, le gymnase de la vie, la veillée de la lune, un spectacle incompréhensible à la vue, le réservoir des pluies, la mere des fruits, le couvercle de l’enfer, la prison éternelle, l’espace de plusieurs souverainetés, la génération & le réservoir de toutes choses : la mort, un sommeil éternel, la dissolution du corps, le souhait du malheureux, la retraite de l’esprit, la fuite & l’abdication de la vie, la terreur du riche, le soulagement du pauvre, la résolution des membres, le pere du sommeil, le vrai terme fixe, la consommation de tout, & ainsi de plusieurs autres objets sur lesquels Secondus s’interroge & se répond. Nicomaque vêcut dans l’intervalle des regnes d’Auguste & des Antonins. Il écrivit de l’Arithmétique & de l’Harmonie. Ses ouvrages ne sont pas parvenus jusqu’à nous : il ferma la seconde ere de la philosophie pythagorique.

De la philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique. Cette secte parut vers le commencement du seizieme siecle. On commençoit à abandonner l’Aristotélisme ; on s’étoit retourné du côté de Platon ; la réputation que Pythagore avoit eue, s’étoit conservée ; on croyoit que cet ancien philosophe devoit aux Hébreux tout ce qu’il avoit enseigné de bonne doctrine. On fondit ces trois systèmes en un, & l’on fit ce monstre que nous appellons pythagoreo-platonico-cabaliste, & dont Pic de la Mirandole fut le pere. Pic eut pour disciple Capnion, & pour sectateurs Pierre Galatin, Paul Riccius & François de Georgiis, sans compter Corneille Agrippa. La pythagoreo-platonico cabale ne fut pas plûtôt désignée par ce nom, qu’elle fut avilie. Ce fut François Patricius qui la nomma. Nous allons parcourir rapidement l’histoire de ceux qui lui ont donné le peu de crédit dont elle a joui pendant sa courte duré. Jean Reuchlin se présente le premier.

Reuchlin naquit à Pforzen en Suisse, en 1455. La nature lui ayant donné un bel organe, on l’appliqua d’abord à la musique, ensuite à la grammaire. Il vint à Paris ; il y fréquenta les écoles les plus connues, & les hommes les plus célebres ; il se livra à l’érudition, & y fit de grands progrès ; il étudia la langue grecque, & il en peignoit si parfaitement les caracteres, que cette occupation lucrative suffisoit à tous ses besoins. De la connoissance du grec il passa à celle du latin ; il méprisa tous ces misérables commentateurs d’un philosophe qu’ils n’étoient pas en état de lire ; & il puisa la doctrine d’Aristote dans ses propres ouvrages ; il ne négligea ni l’art oratoire, ni la théologie. Il n’avoit pas vingt ans, qu’il y avoit peu d’hommes dans l’université de Paris qu’on pût lui comparer. Ce fut alors qu’il revint dans sa patrie. Il s’établit à Basle ; mais le dessein de s’instruire en la jurisprudence le ramena en France. Il fit quelque séjour à Orléans ; il revint en Allemagne. Eberard Barbatus se l’attacha, & le conduisit à sa suite en Italie où il fit connoissance avec Démétrius Chalcondile, Christophe Landinus, Marsile Ficin, Ange Politien, Pic de la Mirandole, & Laurent de Médicis qu’il falloit nommer le premier. Ce fut Hermolaüs Barbarus qui changea son nom de Reuchlin en celui de Capnion ; de retour de son voyage d’Italie, il parut à la cour de l’empereur Fréderic, où le juif jehiel Loans lui inspira le goût de la langue hébraique. Mais à la mort d’Eberhard, premier duc de Wirtemberg, qui l’avoit comblé d’honneurs, sa fortune changea ; accusé de la mauvaise administration du successeur d’Eberhard, & menacé de la perte de sa liberté, il échappa à la poursuite de l’empereur Maximilien, & trouva un asile & des amis à la cour palatine. Reuchlin ou Capnion, comme on voudra l’appeller, avoit de l’esprit & de la gaieté : il étoit jeune : il ignoroit encore les persécutions qu’on se prépare, en offensant les gens d’église : il ne s’en tint pas à mépriser leurs mœurs dissolues, leur ignorance & leur barbarie, il eut l’imprudence d’en faire une peinture très-vive dans une comédie, dont le ridicule principal tomboit sur les moines. Cet ouvrage parut, & devint la source des peines qui commencerent à ce moment, & qui durerent autant que sa vie. Cela ne l’empêcha pas d’être envoyé à Rome, à l’occasion du mariage du prince Rupert & de la fille de George, duc de Baviere. Ce fut dans ce second voyage qu’il acheva de se consommer dans la connoissance des lettres grecques & latines ; il parut dans l’école d’Argyropule, qui frappé de l’élégance & de la facilité avec laquelle Capnion interprétoit, se tourna vers ses auditeurs, & leur dit : ecce Græcia nostro exilio transvolavit alpes. Il prit des leçons d’hébreu du juif Obadias ben Jacob Sporno, qu’il n’étoit pas donné à tout le monde d’entendre, tant il se faisoit payer cherement. Le tems de sa députation écoulé, il revint en Allemagne ; il quitta la cour, & pressé de jouir du fruit de ses études, il chercha la retraite. Il fut cependant appellé dans les transactions les plus importantes de son tems. Or il arriva qu’un juif renegat s’efforçoit de persuader aux puissances séculieres & à l’empereur de brûler les livres des Juifs. Il s’étoit fait écouter : on avoit ramassé le plus d’ouvrages hébreux que l’on avoit pu : l’édit de Maximilien étoit prêt, & l’exécution alloit se faire à Francfort, lorsque les Juifs se plaignirent : l’empereur les écouta, & leur donna pour commissaire Reuchlen. Reuchlen distingue : il abandonne au sort qui leur étoit destiné, tous les auteurs impies ; mais il insiste sur la conservation des grammairiens, des médecins, des historiens, de tous ceux qui avoient traité des sciences & des arts, & qui pouvoient servir à l’intelligence d’une langue aussi essentielle à la religion chrétienne. Pfefferkorn (c’est le nom du juif) entre en fureur : il ameute les moines : on écrit contre Reuchlin : on s’assemble : on délibere : on le condamne ; il est appellé à la cour de l’empereur, & à celle du souverain pontife. Erasme & d’autres savans prennent sa défense. On revient sur le projet barbare d’anéantir en un jour les monumens les plus précieux de l’église chrétienne. On absout Reuchlin ; & l’ignorance & la superstition confondues n’en sont que plus violemment irritées. Cependant l’hérésie de Luther s’éleve : les peuples s’arment : le sang se répand : des villes se désertent, & Reuchlin perd son état, sa fortune, ses livres, tombe dans l’indigence, & est réduit à enseigner les langues pour vivre. Les troubles de sa vie derangerent sa santé ; il devint languissant, & il mourut à Stutgard, âgé de soixante-sept ans. Il faut écrire son nom parmi les premiers restaurateurs des lettres dans nos contrées. Les erreurs dont l’Eglise étoit infectée, ne lui échapperent point ; il s’en expliqua quelquefois assez librement ; cependant il ne se sépara point de notre communion. Il professa la Philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique, ainsi qu’il paroit par l’ouvrage qu’il a intitulé de arte cabalisticâ, & par celui qu’il a publié de verbo mirifico. Il dit ailleurs : Marsile Ficin a relevé la statue de Platon en Italie ; Faber celle d’Aristote en France ; il m’étoit réservé de restituer celle de Pythagore. Mais ce philosophe instruit par les Chaldéens, ne pouvoit être entendu sans l’étude de la cabale. C’est la clé de sa doctrine : je l’ai cherchée, & je l’ai trouvée. Qu’avoit-il découvert à l’aide de cette merveilleuse clé, & d’une application de vingt ans ? Que Baruch renfermoit l’explication de tous les noms ineffables, qu’ils s’appliquoient à Jesus-Christ sans exception, & que ces quatre lettres J, E, S, V étoient le grand tétragramme pythagorien. Reuchlin n’est pas le centieme d’entre les philosophes qui se sont livrés à des travaux incroyables pour illustrer un certain genre de folie. Celui-ci étudia la doctrine chaldaïque, égyptienne, thrace, hermétique, orphique & hébraique ; mais l’école d’Alexandrie avoit tout corrompu. Reuchlin s’en rapporta au témoignage de Pic, & Pic ne distinguant rien, s’étoit confié indistinctement, & aux livres des anciens auteurs, & à ceux qui leur avoient été supposés. Qu’est-ce qu’il y avoit après cela de surprenant, lorsqu’il découvroit de tout côté des vestiges du christianisme, que son imagination excitée multiplia ensuite à l’infini ? d’où il arriva qu’il ne connut bien, ni le pythagorisme, ni le platonisme, ni la cabale, ni le christianisme.

François George le vénitien vivoit encore en 1532 ; ce fut un philosophe très-subtil, mais dont l’imagination égaroit le jugement. Il a laissé deux ouvrages : l’un, sur l’harmonie du monde : l’autre, sur des problèmes relatifs à l’intelligence de quelques points de l’Ecriture. C’est un mélange de doctrine chrétienne & d’opinions rabbiniques, qui fut proscrit. Voici quelques-uns de ses principes.

Les nombres sont la cause de l’ordre universel ; ils s’élevent de la terre aux cieux, & redescendent des cieux à la terre, formant une chaîne d’émanations, par laquelle des natures diverses & des accidens opposés sont liés.

C’est aux hommes que Dieu a éclairés de son esprit, à nous instruire sur le monde. Entre ces hommes, il faut s’attacher particuliere ment aux hébreux, à ceux des autres nations qui ont connu le messie, Paul, Jean, Origene, d’un côté ; de l’autre, Platon, Pythagore, &c.

Il est un Dieu. La fécondité des êtres nous démontre la fécondité de Dieu : un Dieu réfléchisseur sur lui-même, a produit son fils ; le Saint Esprit, ou l’amour qui unit le pere & le fils, a procédé de l’un & de l’autre ; & le monde est émané de tous les trois.

Il y avoit si peu d’hommes purs & saints, dignes de connoître la vérité toute nue, qu’il a fallu la voiler d’énigmes, de symboles & d’emblèmes.

Quelque diversité d’opinions qu’il y ait entre les philosophes, on peut rapprocher d’un même système tous ceux qui admettront l’existence & la liberté d’un être seul créateur.

Les sages s’accordent à mesurer le tems de la création, & le renfermer dans l’espace de six jours, auquel on a ajouté un septiame jour de repos. En effet, le nombre six est très-parfait. Six fois un font six, trois fois deux font six, un, deux, trois font six, &c.

Je n’ai pas le courage de suivre cet auteur dans le détail de ses extravagances ; c’est une arithmétique corrompue, des propriétés de nombre imaginaires & mal vûes, appliquées au système des émanations.

Ce que j’y trouve de plus singulier, c’est que le méchant est animé de deux esprits, son ame & un mauvais génie qui est entré dans son corps au moment de la dépravation. Voilà de quoi étendre le système du P. Bougeant. Les mauvais anges ne seront pas seulement occupés à animer les animaux, mais encore à doubler, tripler, quadrupler les ames des méchans. On trouvera même dans l’Ecriture des passages favorables à cette opinion. Ainsi les Guignards, les Oldecorn, les Malagrida, les Damiens, & tous ceux qui ont été coupables ou qui sont suspects de monarchomachie, sont possédés d’une légion de mauvais génies qui se sont associés à leurs ames à mesure que leur dépravation s’accroissoit ; ensorte qu’on peut les regarder comme des sortes d’enfers ambulans. Les diables sont établis dans les corps des hommes ; ils y entrent, ils en sortent, selon qu’on amande ou qu’on empire.

Agrippa naquit à Nettesheym, dans le territoire de Cologne, à-peu-près en 1463. Il professa toutes sortes de conditions, soldat, politique, homme de lettres, philosophe, théologien, alchimiste, pyrrhonien, charlatan, voyageur, médecin, érudit, astrologue, riche, pauvre, méprisé, considéré ; que sais-je quoi encore ? Il n’est pas trop de notre objet de suivre cet homme divers sans toutes ses formes ; nous remarquerons seulement ici qu’il eut de commun avec la plûpart des philosophes, de connoître l’ignorance, l’hypocrisie, & la méchanceté des prêtres, de s’en expliquer quelquefois trop librement, & d’avoir par cette indiscrétion empoisonné toute sa vie. Un inquisiteur s’étoit emparé d’une pauvre femme qu’il avoit résolu de perdre ; Agrippa osa prendre sa défense, & le voilà lui-même accusé d’hérésie, & forcé de pourvoir à sa sureté. Il erre, mais par-tout il trouve des moines, par-tout il les déchire, & par-tout il en est persécuté. Il met lui-même le comble à son infortune, par son ouvrage de la vanité des sciences. Cette misérable production aliéna tous les esprits. Il tomba dans l’indigence : il emprunta ; ses créanciers le poursuivirent, & le firent emprisonner à Bruxelles. Il ne sortit des prisons de Bruxelles que pour tomber dans celles de Lyon. La cour de France, qu’il avoit irritée par des expressions peu ménagées sur la mere du roi régnant, crut devoir l’en châtier ; ce fut la derniere de ses peines. Il mourut en 1536, après avoir beaucoup couru, beaucoup étudié, beaucoup invectivé, beaucoup souffert, & peu vécu. Nous allons exposer quelques-uns des principes de cette philosophie qu’Agrippa & d’autres ont professée sous le nom d’occulte. Ils disoient :

Il y a trois mondes, l’élémentaire, le céleste & l’intellectuel.

Chaque monde subordonné est régi par le monde qui lui est supérieur.

Il n’est pas impossible de passer de la connoissance de l’un à la connoissance de l’autre, & de remonter jusqu’à l’archétype. C’est cette échelle qu’on appelle la magie.

La magie est une contemplation profonde qui embrasse la nature, la puissance, la qualité, la substance, les vertus, les similitudes, les différences, l’art d’unir, de séparer, de composer ; en un mot, le travail entier de l’univers.

Il y a quatre élémens, principes de la composition & de la décomposition, l’air, le feu, l’eau & la terre.

Ils sont triples chacun.

Le feu & la terre, l’un principe actif, l’autre principe passif, suffisent à la production des merveilles de la nature.

Le feu par lui-même, isolé de toute matiere à laquelle il soit uni, & qui serve à manifester sa présence & son action, est immense, invisible, mobile, destructeur, restaurateur, porté vers tout ce qui l’avoisine, flambeau de la nature, dont il éclaire les secrets. Les mauvais démons le fuient, les bons le cherchent ; ils s’en nourrissent.

La terre est le suppôt des élémens, le réservoir de toutes les influences célestes ; elle a en elle tous les germes & la raison de toutes les productions : les vertus d’en haut la fécondent.

Les germes de tous les animaux sont dans l’eau.

L’air est un esprit vital qui pénetre les êtres, & leur donne la consistence & la vie, unissant, agitant, remplissant tout : il reçoit immédiatement les influences qu’il transmet.

Il s’échappe des corps des simulacres spirituels & naturels qui frappent nos sens.

Il y a un moyen de peindre des images, des lettres qui portées à-travers l’espace immense, peuvent être lûes sur le disque de la lune qui les éclaire, par quelqu’un qui sait & qui est prévenu.

Dans le monde archétype tout est en tout ; proportion gardée, c’est la même chose dans celui-ci.

Les élémens dans les mondes inférieurs, sont des formes grossieres, des amas immenses de matiere. Au ciel, il sont d’une nature plus énergique, plus subtile, plus active, vertus dans les intelligences ; idées dans l’archétype.

Outre les qualités élémentaires que nous connoissons, les êtres en ont de particulieres, d’inconnues, d’innées, dont les effets nous étonnent : ce sont ces dernieres que nous appellons occultes.

Les vertus occultes émanent de Dieu, unes en lui, multiples dans l’ame du monde, infuses dans les esprits, unies ou séparées des corps, foibles ou fortes, selon la distance de l’être à l’archétype.

Les idées sont les causes de l’existence & de la spécification ; c’est d’elles que naissent les qualités qui passent dans la matiere en raison de son aptitude à les recevoir.

Dieu est la source des vertus ; il les confie aux anges ses ministres ; les anges les versent sur les cieux & les astres ; les astres les répandent sur les hommes, les plantes, les animaux, la terre, les élémens.

Voici donc l’ordre d’émanation des vertus : les idées, les intelligences, les cieux, les élémens, les êtres.

Aucun être n’est content de sa nature, s’il est privé de tout secours divin.

Les idées sont les causes premieres de la forme & des vertus.

Les vertus ne passent point des êtres supérieurs aux inférieurs sans l’intermede de l’ame du monde, qui est une cinquieme essence.

Il n’y a pas une molécule dans l’univers à laquelle une particule de cette ame du monde, ou de cet esprit universel ne soit présente.

Distribuée en tout & par-tout, elle ne l’est pas également. Il y a des êtres qui en prennent les uns plus, les autres moins.

Il y a antipathie & sympathie en tout : de-là une infinité de rapports, d’unions & d’aversions secrettes.

Les êtres en qui la vertu, la particule divine est moins embarrassée de matiere, ne cessent pas de produire des effets étonnans après leurs destructions.

Les choses inférieures sont dominées par les supérieures. Les mœurs des hommes dépendent des astres.

Le monde sublunaire est gouverné par les planetes, & le monde planétaire par celui des fixes.

Chaque astre a sa nature, sa propriété, sa condition, ses rayons qui vont imprimer sur les êtres un caractere, une signature distincte & particuliere.

Quelquefois les influences se confondent dans un même être ; elles y entrent selon des rapports déterminés par un grand nombre de causes, entre lesquelles la possession est une des principales.

Il y a une liaison continue de l’ame du monde à la matiere ; c’est en conséquence de cette liaison que l’ame du monde agit sur tout ce qui est.

On peut remonter des choses d’ici bas aux astres, des astres aux intelligences, des intelligences à l’archétype. C’est une corde qui touchée à un bout frémit à l’autre ; & la magie consiste à juger de la correspondance de ces mouvemens qui s’exécutent à des distances si éloignées. C’est une oreille fine qui saisit des résonnances fugitives, imperceptibles aux hommes ordinaires. L’homme ordinaire n’entend que dans un point. Celui qui a la science occulte, entend sur la terre, au ciel & dans l’intervalle.

Il y a de bons & de mauvais génies.

On s’unit aux bons génies par la priere & les sacrifices ; aux mauvais par des arts illicites.

Il y a des moyens d’attacher un esprit à un corps.

Il y a des suffumigations analogues à des influences, soit qu’il s’agisse de les attirer, soit qu’il s’agisse de les écarter.

La lumiere est un acte simple, une image divine imprimée dans tous les êtres, émanée du pere au fils, du fils à l’esprit saint, de l’esprit saint aux anges, des anges aux astres, des astres à la terre, aux hommes, aux plantes, aux animaux. Elle affecte le sens & l’imagination de l’homme.

L’imagination violemment émue peut changer le corps, lui donner de l’empire, de l’action & de la passion, l’approprier à certaines maladies, à certaines impressions, &c.

La contention violente de l’ame humaine, l’éleve, l’unit aux intelligences, l’éclaire, l’inspire, porte dans ses actions & ses concepts quelque chose de divin & de surnaturel.

L’ame humaine a en elle la vertu de changer, d’approcher, d’éloigner, de lier ; elle peut dominer & les choses & les esprits, par une énergie particuliere de sa vertu ou de ses passions.

Les noms des choses ont aussi leur pouvoir. L’art magique a sa langue ; cette langue a ses vertus ; c’est une image des signatures. De-là l’effet des invocations, évocations, adjurations, conjurations, & autres formules.

Il paroît que le nombre est la raison premiere de l’enchaînement des choses.

Les nombres ont leur vertu, leur efficacité bien ou malfaisante.

L’unité est le principe & la fin de tout ; elle n’a ni fin ni principe.

Le nombre binaire est mauvais. Le dualisme est un démon malfaisant, ou il y a multitude matérielle.

Le ternaire représente Dieu, l’ame du monde, l’esprit de l’homme.

Le quaternaire est la base de tous les nombres.

Le quinaire a une force particuliere dans les expiations sacrées. Il est tout. Il arrête l’effet des venins. Il est redoutable aux mauvais génies.

Le septenaire est très-puissant, soit en bien soit en mal.

Dieu est la monade. Avant qu’elle ne s’étendît hors d’elle, & ne produisît les êtres, elle engendra en elle le nombre ternaire.

Le nombre denaire est la mesure de tout.

Les caracteres des mots ne sont pas sans vertu. On en peut tenir la connoissance des propriétés & des événemens.

L’harmonie analogue au concert des cieux, en provoque merveilleusement l’influence.

L’homme a tout en lui, le nombre, la mesure, le poids, le mouvement, les élémens, l’harmonie.

Il y a une cause sublime, secrette & nécessaire du sort. Il peut conduire à la vérité.

Le monde, les cieux, les astres ont des ames ; ces ames ne sont pas sans affinité avec la nôtre.

Le monde vit ; il a ses organes ; il a ses sens.

L’ame du monde a ses opérations intellectuelles ; elle tient de la nature divine.

Les imprécations ont leurs efficacités. Elles s’attachent sur les êtres, & les modifient.

La liaison universelle des choses constate la réalité & la certitude de la magie.

La magie est un art sacré qu’il ne faut pas divulguer.

Elle suppose une suspension du commerce de l’ame avec le corps, une absence entiere de toutes distractions, une union intime avec les intelligences. On l’obtient par les cérémonies religieuses, les expiations, les sacrifices, la priere, les consécrations, &c.

Il faut avoir sur-tout la foi, l’espérance & la charité : ce sont ces vertus qui levent le voile qui couvre le miroir divin, & qui permettent à l’œil de l’homme de recevoir par réflexion la connoissance des états, des effets & des causes.

Quoique Dieu soit tout dans l’union essentielle des trois personnes, on peut cependant y considérer encore quelques qualités divines, quelques intelligences réelles que les philosophes des nations ont appellées divinités, les Hébreux sephiroth, & que nous appellons attributs.

Les différens noms de Dieu ne désignent point des essences divines, mais des propriétés analogues à ses bienfaits, à ses châtimens.

Dieu est le maître ; mais il a des ministres bien & malfaisans. Les astres sont aussi des instrumens de sa puissance : elle a encore d’autres canaux.

L’intelligence de Dieu est incorruptible, immortelle, insensible, présente à tout, influant sur tout.

Il y a trois classes de démons ; des esprits célestes, intelligens, sans corps. Leur fonction unique est de transmettre la lumiere de Dieu. Des esprits qui président à ce monde, & qui résident dans les astres. Des esprits qui nous sont attachés. Ils sont dans l’air, dans l’eau, dans le feu, dans la terre. Ils ont des corps ; ils sont susceptibles de passions. Leurs corps ne sont pas sensibles.

L’aspect des planetes au moment de la naissance de l’homme, indiquera la nature de son génie tutélaire.

L’homme est abandonné à trois démons ; l’un est divin, il préside à son ame ; l’autre est ou bien ou malfaisant, il domine à sa naissance ; le troisieme décide de son sort.

Les caracteres des esprits & leurs signatures, ne sont pas intelligibles à tous les yeux : c’est une lecture réservée à quelques hommes privilégiés.

On enchaîne les démons, & on leur commande par des moyens empruntés ou du monde élémentaire, ou du monde céleste, ou du monde intellectuel & divin.

Voici l’ordre des êtres animés. Dieu, les intelligences, les démons, les héros, les semi-dieux, les dieux mortels, les dieux terrestres, les hommes, les animaux.

L’esprit humain est corporel, mais sa substance est très-subtile, & d’une union facile avec la particule qui est en nous.

Le mal nait de la mauvaise disposition de ce qui reçoit, & non de la dépravation de ce qui influe.

L’ame qui sera souillée dans ce monde, sera punie après la dissolution du corps, par son union avec un autre corps formé de vapeurs élémentaires, où elle subira toute la gêne d’une prison.

Ces ames punies se précipitent quelquefois dans les corps des animaux, les tourmentent & les obsedent ; leur présence y opere à l’instar des démons.

Elles se plaisent à errer autour des cadavres ; elles en aiment la vapeur ; c’est un moyen de les évoquer. De-là la nécromantie.

Il y a dans l’homme le corps, l’esprit, la raison & l’idole. Ces trois derniers constituent l’ame qui est une. L’esprit éclaire la raison ; la raison s’occupe de l’idole ; l’idole vient des objets.

L’ame qui est de Dieu, ou qui émane du monde intelligible, est immortelle & éternelle.

Celui qui attend un oracle se disposera à le recevoir par la pureté, l’abstinence, les jeûnes, la continence, la solitude, la tranquillité, le silence & l’élévation.

La pénitence & l’aumône sont les deux grands moyens expiatoires.

Qui croiroit que des hommes instruits aient donné sérieusement dans ce tissu indigeste & ridicule de suppositions ? Qui croiroit que dans ce siecle même où l’esprit humain a fait de si grands progrès en tout genre, il y ait encore des gens qui n’en sont pas détrompés ? Le fait cependant n’est que trop vrai. C’est le désordre de l’imagination qui invente ces systèmes ; c’est la nouveauté qui les accrédite ; c’est l’intérêt qui les perpétue. S’il faut croire au diable, s’il faut s’y donner pour obtenir une dignité, jouir d’une femme, exterminer une rivale, connoître l’avenir, posséder un trésor, on y croira, on s’y donnera. Des femmes titrées, à l’entrée de la nuit, monteront dans leurs équipages, se feront conduire à l’extrémité d’un fauxbourg, grimperont à un cinquieme étage, & iront interroger, sous les tuiles, quelque vieille indigente à qui elles persuaderont elles-mêmes que le présent, l’avenir & le passé sont ouverts à ses yeux, & qu’elle possede le livre du destin. Il n’y a aucun excès auquel les gens à sabbats ne puissent se porter ; ils ne seront effrayés ni du meurtre, ni du vol, ni du sacrilege. C’est en encourageant la philosophie qu’on réussira à éteindre dans un état toute confiance dans les arts occultes. Les prestidigitateurs redoutent l’œil du philosophe. Déja ces femmes qui se font aujourd’hui piétiner, donner des coups d’épée, crucifier, frapper à coups de buches, étendre sur des brasiers, ont exclu de leurs assemblées théurgiques les beaux esprits, les physiciens, les académiciens, les prêtres mêmes ; elles disent que ces gens retardent par leur présence l’opération de Dieu, & que leurs merveilles ne s’operent qu’en faveur des libertins, des gens du monde & des juifs ; ce sont en effet les seuls qu’elles admettent, & ceux dont les lumieres ne sont pas fort à craindre pour elles.

Le mot philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique n’étoit pas plus odieux sous François Patrice, que le mot encyclopédie aujourd’hui, que le mot philosophie dans tous les tems. Que fit cet homme ? il coupa à ce monstre deux de ses têtes. Il réduisit le système au Platonisme pur, & s’occupa sérieusement à connoître cette doctrine, & à la répandre. Combien l’érudition, la critique, l’histoire, la philosophie, les lettres n’auroient-elles pas dû à Patrice, si sa vie n’avoit pas été pleine de distractions & de troubles ! L’Aristotélisme n’eut pas d’ennemi plus redoutable & plus adroit. Il l’attaqua sous cent formes diverses. Son nom est encore célebre dans l’histoire littéraire, quoiqu’il ait professé le Platonisme de l’école d’Alexandrie, qu’il ait cherché à concilier la doctrine de l’académie avec celle de l’Eglise, & qu’il ait prétendu que le philosophe athénien avoit connu la résurrection des morts, entrevu nos mysteres, & prédit la venue de Jesus-Christ. Il ne soupçonna pas la supposition de tous ces livres qui avoient été publiés dans les premiers tems du Christianisme sous les noms d’Hermès, d’Orphée, de Zoroastre, de Pythagore & d’autres ; il recuillit le poëmandre, le discours sacré, la clef, le discours à son fils, le discours à Asclépius, la Minerve du monde, & s’en fit éditeur ; il tenta même de rapprocher Aristote, Jesus-Christ & Platon. Voici le titre du plus rare de ses ouvrages : Nova de universis philosophia libri IV. comprêhensa, in qua Aristotelem methodo non per motum, sed per lucem & lumina ad primam causam ascenditur ; deinde nova quædam & peculiari methodo Platonica rerum universitas à Deo deducitur, autore Francisco Patricio, philosopho eminentissimo, & in celeberrimo romano gymnasio summa cum laude eandem philosophiam publicè interpretata. Quibus poslremo sunt adjecta Zoroast… oracula cccxx. ex Platonicis collecta, Hermetis Tremegisti libellis & fragmenta quotcumque reperiuntur, ordine scientifico disposita. Asclepii discipuli tres libelli, mystica Ægyptiorum à Platone dictata, ab Aristotele excepta & perempta philosophia. Platonicorum dialogorum novus penitus à Francisco Patricio inventus ordo scientificus. Capita demum multa in quibus Plato concors, Aristoteles vero catholicæ fidei adversarius ostenditur. Telesius renouvelloit alors la philosophie parménidiene, & Patricius profita de ses idées. Il dit, l’unité étoit avant tout ; tout procede de l’unité. L’unité est Dieu. Dieu est l’auteur des premieres monades ; les premieres monades, des autres monades ; celles-ci des essences ; les essences, des vies ; les vies, des intelligences ; les intelligences, des esprits ; les esprits, des natures ; les natures, des propriétés ; les propriétés, des especes ; les especes, des corps. Tout est dans l’espace, la chaleur & la lumiere. L’objet de la philosophie est de s’élever à Dieu. La sensation est le premier principe de la connoissance. La lumiere céleste est l’image de Dieu. Dieu est la lumiere primitive. La lumiere est présente à tout, vivifie tout, informe tout, &c... Il crut donner à toutes ces imaginations télésiennes, parménidienes & platoniciennes du relief par des expressions nouvelles ; mais le tems qui apprécie tout, a réduit son travail à rien, & nous regrettons qu’un homme aussi laborieux, aussi pénétrant, qui sut tant de choses, qui eut tant de talens, soit né dans des circonstances si malheureuses, qu’il étoit presque impossible qu’il en tirât un grand avantage. Il naquit en 1529 & vécut cinquante-un ans. Il eut une amie du premier mérite ; c’est la célebre Tarquinia Molza. Cette femme sut les langues grecque, latine & étrusque. Elle lisoit les historiens, les poëtes, les orateurs, les philosophes anciens comme s’ils avoient écrit dans son idiome maternel. Aristote, Pindare, Sophocle & Platon lui étoient familiers. Elle avoit étudié la logique. La morale, la physique & l’astrologie même ne lui étoient point étrangeres. Elle étoit musicienne jusqu’à étonner les premiers maîtres de l’Italie. Il y a peut-être plus de femmes qui se sont illustrées, que d’hommes qui se sont fait un nom, eu égard au petit nombre de celles qu’on éleve, & qu’on destine aux choses importantes. Quant à l’énergie de l’ame, elle a une mesure donnée dans la plus grande des terreurs, celle de la mort. Or combien ne compte-t-on pas de femmes qui ont bravé la mort. Tout être qui sait braver la mort, l’attendre sans se troubler, la voir sans pâlir, la souffrir sans murmurer, a la plus grande force d’ame, peut concevoir les idées les plus hautes, est capable du plus violent enthousiasme, & il n’y a rien qu’on n’en doive attendre, soit qu’il parle, soit qu’il agisse, sur-tout si une éducation convenable a ajouté aux qualités naturelles ce qu’elles ont coutume d’en recevoir.

Le Pythagoreo-platonico-cabalisme fit aussi quelques progrès en Angleterre. On y peut compter parmi ses sectateurs Théophile Gallé, Radulphe Cudworth & Henri Morus.

Gallé se fit un système théosophique, cartésien, platonicien, aristotélicien, mosaïque & rationnel. Confondant tout, il corrompit tout.

Cudworth fut atomiste & plastique en philosophie naturelle, & platonicien, selon l’école d’Alexandrie, en métaphysique & morale.

Morus passa successivement de l’aristotélisme au platonisme, du platonisme au scepticisme, du scepticisme au quiétisme, & du quiétisme à la théosophie & à la cabale.

Il suit de ce qui précede que ces derniers philosophes se sont tourmentés long-tems & inutilement pour restituer une philosophie dont il ne restoit aucune trace certaine ; qu’ils ont pris les visions de l’école d’Alexandrie pour la doctrine de Platon ; qu’ils ont méconnu la supposition des ouvrages attribués à Pythagore & à d’autres anciens philosophes ; qu’ils se sont perdus dans les ténébres de la cabale des Hébreux ; qu’ils ont fait le plus mauvais usage qu’il étoit possible des connoissances incroyables qu’ils avoient acquises, & qu’ils n’ont presque servi de rien au progrès de la véritable philosophie.