L’Encyclopédie/1re édition/CONSERVATION

CONSERVATION, subst. f. (Métaphysiq.) La conservation du monde a été de tout tems un grand objet de méditation & de dispute parmi les Philosophes. On voit bien que toute créature a besoin d’être conservée. Mais la grande difficulté, c’est d’expliquer en quoi consiste l’action de Dieu dans la conservation.

Plusieurs, après Descartes, soûtiennent qu’elle n’est autre chose qu’une création continuée. Ils croient que nous dépendons de Dieu, non-seulement parce qu’il nous a donné l’existence, mais encore parce qu’il la renouvelle à chaque instant. Cette même action créatrice se continue toûjours, avec cette seule différence que dans la création elle a tiré notre existence du néant, & que dans la conservation elle soûtient cette existence, afin qu’elle ne rentre pas dans le néant. Une comparaison va rendre la chose sensible. Nous formons des images dans notre imagination : leur présence dépend d’une certaine opération de notre ame, qu’on peut comparer, en quelque façon, à la création. Pendant que cette opération dure, l’image reste présente : mais sitôt qu’elle cesse, l’image cesse aussi d’exister. De même pendant que l’opération créatrice de Dieu dure, l’existence des choses créées dure aussi : mais aussi-tôt que l’autre cesse, celle-ci cesse aussi.

Pour prouver leur sentiment, les Cartésiens se servent de plusieurs raisonnemens assez spécieux. Ils disent que chaque chose ayant été dépendante dans le premier moment de son existence, elle ne peut pas devenir indépendante dans les suivans. Il faut donc qu’elle garde, tous le tems qu’elle existe, la même dépendance qu’elle a eu dans le premier moment de sa création. Ils ajoûtent à cela, qu’il paroît même impossible de créer des êtres finis qui puissent exister d’eux-mêmes ; tout être fini étant indifférent à l’existence & à la non-existence, comme la matiere en elle-même est indifférente au mouvement & au repos.

Ce système a des avantages à quelques égards. Il donne une grande idée du domaine que Dieu a sur ses créatures. Il met l’homme dans la plus grande dépendance où il puisse être par rapport à Dieu. Nous ne sommes rien de nous-mêmes. Dieu est tout. C’est en lui que nous voyons, que nous nous mouvons, que nous agissons. Si Dieu cessoit un moment de nous conserver, nous rentrerions dans le néant dont il nous a tiré. Nous avons besoin à chaque moment, non d’une simple permission qu’il nous donne d’exister, mais d’une opération efficace, réelle, & continuelle qui nous préserve de l’anéantissement. Toutes ces refléxions sont assûrement très-belles : mais d’un autre côté les conséquences qu’on tire de ce système ne font pas moins effrayantes.

Voici les conséquences odieuses dont il est impossible de se défaire dans ce système ; conséquences que M. Bayle a exposées en détail dans différens articles de son dictionnaire. Dans l’article de Pyrrhon il dit, que si Dieu renouvelle à chaque moment l’existence de notre ame, nous n’avons aucune certitude que Dieu n’ait pas laissé retomber dans le néant l’ame qu’il avoit continué de créer jusqu’à ce moment, pour y substituer une autre ame modifiée comme la nôtre. Dans l’article des Pauliciens, il dit que nous ne pouvons concevoir que l’être créé soit un principe d’action, & que recevant dans tous les momens de sa durée son existence, il crée en lui-même des modalités par une vertu qui lui soit propre ; d’où il conclut qu’il est impossible de comprendre que Dieu n’ait fait que permettre le peché. « Nous ne pouvons avoir, dit-il, dans l’article des Manichéens, aucune idée distincte qui nous apprenne comment un être qui n’existe point par lui-même, agit par lui-même. Enfin il dit encore dans l’article de Sennart : les scholastiques demandent si les actes libres de l’ame sont distincts de l’ame : s’ils n’en sont pas distincts, l’ame de l’homme en tant qu’elle veut le crime, est créée : ce n’est donc point elle qui se forme cet acte de volonté ; car puisqu’il n’est pas distinct de la substance de l’ame, & qu’elle ne sauroit se donner à elle-même son existence, il s’ensuit manifestement qu’elle ne peut se donner aucune pensée. Elle n’est pas plus responsable de ce qu’elle veut le crime hîc & nunc, que de ce qu’elle existe hîc & nunc ». Ceci doit nous apprendre combien les philosophes chrétiens doivent être circonspects à ne jamais rien hasarder dont on puisse abuser, & qu’il faille ensuite révoquer par diverses limitations pour en prévenir les fâcheuses conséquences.

Voyons maintenant l’opinion de Poiret. Suivant ce philosophe Dieu a donné à chaque être, dès la création même, la faculté de continuer son existence. Il suffisoit de commencer. Ils sont formés de telle façon qu’ils se soûtiennent eux-mêmes. Tout ce que le Créateur a maintenant à faire, c’est de les laisser exister & de ne pas les détruire par un acte aussi positif que celui de la création. Le monde est une horloge, qui étant une fois montée continue aussi long-tems que Dieu s’est proposé de la laisser aller.

On appuie principalement ce sentiment sur la puissance infinie de Dieu. Dieu, dit-on, n’auroit-il pas un pouvoir suffisant pour créer des êtres qui puissent d’eux-mêmes continuer leur existence ? Sa seule volonté ne suffit-elle pas pour les faire de telle sorte qu’ils n’ayent pas besoin d’un soutien continuel & d’une création réitérée sans cesse ? N’a-t-il pû leur donner une force permanente, en vertu de laquelle ils ne cesseront d’exister que quand il trouvera à-propos de les détruire ?

Ce sentiment ne donne pas seulement une grande idée de la puissance divine, mais il a encore des avantages qu’aucun des autres systèmes ne présente pour décider des questions, qui depuis long-tems embarrassent les philosophes. La liberté de l’homme n’est nulle part aussi bien établie que dans cette opinion. L’homme n’est dépendant qu’entant qu’il est créature, & qu’il a en Dieu la raison suffisante de son existence. Du-reste il agit de son propre fond. Il est créateur de ses actions. Il peut les diriger comme il veut. De cette liberté suit naturellement un autre avantage non moins important. Aucun système ne nous offre une apologie plus parfaite de Dieu touchant le mal moral. L’homme fait tout. Il est l’auteur de tout le mal & de tout le bien qui se trouve dans ses actions. Il en est seul responsable. Tout doit lui être imputé. Dieu ne lui a donné que l’existence & les facultés qu’il doit avoir nécessairement, c’est à lui à s’en servir suivant les lois prescrites : s’il les observe, il en a le mérite ; s’il ne les observe pas, il en est seul coupable.

Mais il ne faut pas dissimuler les difficultés qui se trouvent dans ce système. Il est vrai que d’un côté on éleve la puissance créatrice de Dieu : mais aussi de l’autre côté on anéantit presqu’entierement sa providence. Les créatures se soutenant d’elles-mêmes, Dieu n’influe plus sur elles qu’indirectement. Tout ce qu’il a à faire, c’est de ne pas les détruire. Pour le reste il est dans un parfait repos, excepté quand il trouve nécessaire de se faire sentir aux hommes par un miracle extraordinaire. Et enfin, pour bien établir ce sentiment, il faudroit démontrer avant toutes choses, que ce n’eût pas été une contradiction que d’être fini & d’être indépendant dans la continuation de son existence. Tout ce que nous pouvons dire sur cette matiere bien épineuse, se réduit à ceci : pour que les créatures continuent à exister, il faut que Dieu veuille leur existence. Cette volonté n’étant pas une simple velléité, mais un acte & une volonté efficace, il est sûr que Dieu influe sur la continuation de leur existence très-efficacement, & avec une opération directe. Article de M. Formey.

C’est ainsi que dans les questions métaphysiques fort élevées, on se retrouve après bien des détours au même point d’où l’on étoit parti, & où on auroit dû rester.

* Conservation, sub. f. (Morale.) La loi de conservation est une des lois principales de la nature : elle est par rapport aux autres lois, ce que l’existence est par rapport aux autres qualités ; l’existence cessant, toutes les autres qualités cessent ; la loi de conservation étant enfreinte, le fondement des autres lois est ébranlé. Se détruire, de quelque maniere que ce soit, c’est se rendre coupable de suicide. Il faut exister le plus long-tems qu’il est possible pour soi, pour ses amis, pour ses parens, pour la société, pour le genre humain ; toutes les relations qui sont honnêtes & qui sont douces nous y convient. Celui qui peche contre la loi de conservation les foule aux piés ; c’est comme s’il disoit à ceux qui l’environnent : Je ne veux plus être votre pere, votre frere, votre époux, votre ami, votre fils, votre concitoyen, votre semblable. Nous avons contracté librement quelques-uns de ces rapports, il ne dépend plus de nous de les dissoudre sans injustice. C’est un pacte où nous n’avons été ni forcés ni surpris ; nous ne pouvons le rompre de notre propre autorité ; nous avons besoin du consentement de ceux avec qui nous avons contracté. Les conditions de ce traité nous sont devenues onéreuses ; mais rien ne nous empêchoit de le prévoir ; elles pouvoient le devenir aux autres & à la société ; dans ce cas on ne nous eût point abandonné. Demeurons donc. Il n’y a moralement personne sur la surface de la terre d’assez inutile & d’assez isolé, pour partir sans prendre congé que de soi-même : l’injustice d’un pareil procédé sera plus ou moins grande ; mais il y aura toûjours de l’injustice. Fais ensorte que toutes tes actions tendent à la conservation de toi-même, & à la conservation des autres ; c’est le cri de la nature : mais sois par-dessus tout honnête homme. Il n’y a pas à choisir entre l’existence & la vertu.

Conservation des Arts, Maîtrise, et Jurande, (Jurisprud.) est une jurisdiction de police pour les arts & métiers : il y en a dans plusieurs villes qui sont établies sous ce titre de conservation ; par exemple, à Nantes, le tribunal de la police & voirie qui se tient à l’hôtel-de-ville, a aussi le titre de conservation des arts, maîtrises & jurandes. Il est composé du lieutenant général de police, du président présidial-sénéchal-maire, des six échevins, du procureur du Roi syndic, d’un autre procureur du Roi, un greffier, cinq commissaires de police, & deux huissiers. A Lyon le consulat a aussi une direction & une jurisdiction contentieuse sur tous les arts & métiers de la ville, dans chacun desquels il choisit tous les ans deux maîtres & gardes pour veiller aux contraventions qui se font aux statuts & reglemens, & en faire leur rapport à celui de MM. les échevins qui est particulierement préposé pour le fait des contraventions, sur lesquelles il donne ses décisions, & regle les parties à l’amiable ; sinon il les renvoye au consulat, dont les ordonnances s’exécutent en dernier ressort jusqu’à la somme de 150 l. & au-dessous. L’appel va au parlement. Mais l’on n’a pas donné à cette jurisdiction le titre de conservation, sans doute à cause que ce nom est donné au tribunal qui connoît des matieres de commerce ; on l’appelle simplement la jurisdiction des arts & métiers. A Paris, c’est le procureur du Roi du châtelet qui connoît de tout ce qui concerne le corps des marchands, arts & métiers, maîtrises, réceptions de maîtres, & jurandes. Il donne ses jugemens qu’il qualifie d’avis ; il faut ensuite faire confirmer ces avis par le lieutenant général de police, qui les confirme ou infirme. Lorsqu’il y a appel d’un avis, on le releve au parlement. (A)

Conservation de Lyon, qu’on appelle aussi souvent la conservation simplement, est une jurisdiction établie en la ville de Lyon pour la conservation des priviléges des foires de Lyon, & généralement pour le fait du commerce qui se fait en cette ville, & pour décider des contestations entre les marchands & négocians qui ont contracté sous le scel des foires de Lyon, ou dont l’un s’est obligé en payement, c’est-à-dire de payer à l’un des quatre termes ou échéances des foires de Lyon.

Cette jurisdiction est la premiere des jurisdictions de commerce établies dans le royaume, par rapport à l’étendue de sa compétence & de ses priviléges.

Elle a succédé à la jurisdiction du juge-conservateur des foires de Brie & de Champagne, lesquelles, comme l’on sait, furent rétablies dans leur ancien état par Philippe de Valois le 6 Août 1349, pour le bien & le profit commun de toutes les provinces, tant du royaume qu’étrangeres. On leur donna pour juges & conservateurs de leurs priviléges deux gardes & un chancelier, qui prêtoient serment en la chambre des comptes. Tous les princes Chrétiens & mécréans, ce sont les termes des lettres, en considération des priviléges & franchises que le roi donnoit dans ces foires à leurs sujets, & de la liberté qu’ils avoient de négocier en toute sûreté dans le royaume, & de venir franchement à ces foires, donnerent leur consentement à leur création & établissement, & aux ordonnances & statuts d’icelles, & à ce que leurs sujets fussent soûmis à la jurisdiction de ces foires, & que même étant de retour en leur pays, ils fussent obligés de comparoir & plaider devant le juge conservateur des priviléges de ces foires, toutes fois & quantes ils y seroient appellés ; ce qui est encore si ponctuellement observé sous l’autorité de la conservation de Lyon qui a succédé au conservateur des foires de Brie & de Champagne, que les sentences & commissions de cette jurisdiction sont exécutées sans aucune difficulté dans tous les pays étrangers, du consentement de ceux qui en sont souverains.

Charles VII. n’étant encore que régent du royaume, sous le roi Charles VI. son pere, donna en cette qualité des lettres patentes le 4 Février 1419, portant établissement de deux foires franches à Lyon de six jours chacune, avec mêmes priviléges que celles de Champagne, Brie, & du Landi.

Ces priviléges furent encore augmentés par différentes lettres patentes & édits.

Louis XI. au mois de Mars 1462, accorda qu’il y auroit quatre foires par an de quinze jours chacune, & il établit pour conservateur & gardien de ces foires le bailli de Macon, qui étoit alors en cette qualité sénéchal de Lyon, ou son lieutenant présent & à venir ; il leur donna pouvoir de juger & de terminer sans long procès & figure de plaids, tous les débats qui se pourroient mouvoir entre les officiers du roi & les marchands fréquentans ces foires, & durant le tems d’icelles, ainsi qu’ils verroient être à faire par raison : il donna en même tems pouvoir aux conseillers de Lyon, c’est-à-dire aux échevins, d’établir deux grabeleurs pour lever les droits accoûtumés sur les marchandises d’épicerie qui se vendent à ces foires.

Dans d’autres lettres du 14 Novembre 1467, confirmatives des mêmes priviléges, il mande au bailli de Macon sénéchal de Lyon, qu’il qualifie de gardien conservateur desdites foires, & à tous autres juges, chacun en droit soi, de tenir la main à l’exécution de ces lettres.

Par un édit du mois de Juin 1494, Charles VIII. donna pouvoir aux conseillers de Lyon d’élire & commettre un prudhomme suffisant & idoine, toutes les fois qu’il seroit nécessaire, qui prendroit garde pendant les foires qu’aucun sergent ni autre officier ne fît aucune extorsion ou vexation aux marchands ; que ce garde commis appointeroit, c’est-à-dire regleroit toutes les questions & débats qui surviendroient entre les marchands durant les foires & à cause d’icelles ; qu’il les accorderoit amiablement, s’il étoit possible, sinon qu’il leur feroit élire deux marchands non suspects pour les regler ; & que si ceux-ci ne pouvoient y parvenir, ils renverroient les parties devant le juge auquel la connoissance en devoit appartenir, & certifieroient ce qui auroit été par eux fait.

Il donna pareillement pouvoir à ces mêmes conseillers de Lyon d’élire un prudhomme sur chaque espece de marchandise qui seroit vendue aux foires, pour connoître de tous les débats qui se pourroient mouvoir entre ces marchands durant les foires au sujet des marchandises que l’on prétendoit n’être pas de bonne qualité.

Qu’ils pourroient pareillement élire & nommer au bailli de Macon sénéchal de Lyon, ou son lieutenant, les courtiers qu’il conviendroit d’élire pour la facilité des négociations dans ces foires ; que le bailli de Macon sénéchal de Lyon ou son lieutenant seroit tenu de les confirmer.

On a vû ci-devant que la garde & conservation des priviléges des foires de Lyon avoit été confiée au bailli de Macon sénéchal de Lyon ; & suivant des lettres de François I. du 11 Février 1524, il paroît que c’étoit toûjours le sénéchal de Lyon qui en cette qualité étoit conservateur des priviléges des foires : mais il fut depuis établi un tribunal particulier qu’on appella la conservation, & le juge créé pour y rendre la justice fut appellé juge-conservateur. On ne trouve point l’époque précise de cette création ; on connoît seulement qu’elle doit avoir été faite peu de tems après les lettres de 1524 : car l’édit du mois de Février 1535, donné pour regler la compétence de ce juge-conservateur, en fait mention comme d’un établissement qui étoit antérieur de plusieurs années à cet édit. Ce tribunal y est qualifié de cour de la conservation, titre dont elle est encore en possession, & dans lequel elle paroît avoir été confirmée par l’édit de 1569 dont on parlera ci-après, qui lui donne pouvoir de juger souverainement jusqu’à cinq cents livres, & lui attribue à cet effet toute cour, jurisdiction, &c.

Le même édit de 1535 attribue au juge-conservateur, le droit de connoître de toutes les affaires faites à Lyon en tems de foire, ou qui y ont rapport, & l’autorise à procéder contre les débiteurs, leurs facteurs & négociateurs, jusqu’à sentence & exécution de garnison, & consignation desdites dettes, à quelques sommes qu’elles montent, & ce par prise de corps & de biens ; & que les sentences provisionnelles de garnison ou interlocutoires s’exécuteront par tout le royaume, sans visa ni pareatis.

La jurisdiction du juge-conservateur fut confirmée, aussi-bien que les priviléges des foires de Lyon, par divers édits & autres reglemens, notamment par un arrêt du conseil privé tenu à Lyon, du 15 Septembre 1542 ; par deux édits d’Henri II. d’Octobre 1547 & Novembre 1550 ; par François II. en 1559, & par Charles IX en 1569 ; par Henri III. le 18 Février 1578 ; par Henri IV. le 2 Décembre 1602, Louis XIII. le 8 Avril 1621, & par Louis XIV. le 6 Décembre 1643.

En 1655, les prevôt des marchands & échevins de la ville de Lyon ayant acquis l’office de juge-conservateur des priviléges royaux des foires de la même ville, l’office de lieutenant, & ceux des deux avocats du roi & du greffier héréditaire des présentations, ils en obtinrent la réunion au corps consulaire par édit du mois de Mai de la même année, qui porte que la conservation sera composée du prevôt des marchands, des quatre échevins, & de six juges, de deux desquels le roi se reserve la nomination ; on les appelle pour cette raison hommes du Roi. Il est aussi ordonné qu’il y ait toûjours deux gradués dans la jurisdiction ; qu’ils ne prendront épices, salaires, ni vacations ; qu’ils jugeront au nombre de cinq en matiere civile, & de sept en matiere criminelle.

Enfin au mois de Juillet 1669, Louis XIV. donna encore un édit célebre portant reglement pour la jurisdiction civile & criminelle de la conservation.

Cet édit lui attribue le droit de connoître, privativement à la sénéchaussée & présidial de Lyon & a tous juges, de tous procès mûs & à mouvoir pour le fait du négoce & commerce de marchandises, circonstances & dépendances, soit en tems de foire ou hors foire, en matiere civile & criminelle ; de toutes les négociations faites pour raison desdites foires & marchandises, circonstances & dépendances ; de toutes sociétés, commissions, trocs, changes, rechanges, viremens de partie, courtages, promesses, obligations, lettres de change, & toutes autres affaires entre marchands & négocians en gros & en détail, manufacture de choses servant au négoce, & autres de quelque qualité & condition qu’ils soient, pourvû que l’une des parties soit marchand ou négociant, & que ce soit pour fait de négoce, marchandise, ou manufacture.

Suivant ce même édit, tous ceux qui vendent des marchandises & qui en achetent pour les revendre, qui portent bilan & tiennent livre de marchand, ou qui stipulent des payemens en tems de foire, sont justiciables de la conservation pour raison desdits faits de marchandises & de foires ou payemens.

La conservation connoît aussi privativement à la sénéchaussée & présidial, & à tous autres juges, des voitures des marchandises & denrées dont les marchands font commerce seulement.

Elle connoît pareillement de toutes lettres de répi, banqueroutes, faillites, & déconfitures de marchands, négocians, & manufacturiers ; ce qui a lieu quoique les faillis demeurent hors la ville de Lyon ; des choses servant au négoce, de quelque nature qu’elles soient ; & en cas de fraude elle peut seule procéder extraordinairement contre les faillis & leurs complices, mettre le scellé, faire inventaire & vente judiciaire des meubles & effets, même de leurs immeubles, par saisies, criées, vente & adjudication par decret, & distribution des deniers en provenans, sans qu’aucune des parties puisse se pourvoir ailleurs, sous prétexte de committimus, incompétence, ni autrement, à peine de trois mille livres d’amende, & de tous dépens, dommages & intérêts ; à la charge seulement que les criées seront certifiées par les officiers de la sénéchaussée.

La conservation connoît de toutes ces matieres souverainement & en dernier ressort, jusqu’à la somme de cinq cents livres ; & pour les sommes excédentes cinq cents livres, les sentences sont exécutées par provision.

Toutes les sentences de ce tribunal, soit provisionnelles ou définitives, sont exécutées dans toute l’étendue du royaume sans visa ni pareatis, comme si elles étoient scellées du grand sceau.

Il est défendu à la sénéchaussée & siége présidial de Lyon de prononcer par contrainte par corps & exécution provisionnelle de leurs ordonnances & jugemens, conformément aux rigueurs de la conservation, à peine de nullité, cassation, &c. la faculté de prononcer ainsi étant reservée à la conservation.

L’édit du mois d’Août 1714 a encore expliqué que les contraintes par corps émanées de la conservation s’exécutent par tout le royaume.

Ce tribunal est donc composé du prevôt des marchands & échevins, & de six autres juges bourgeois ou marchands, dont le premier est toûjours un avocat ancien échevin ; les second & troisieme sont les deux hommes du Roi. Les gens du Roi du bureau de la ville servent aussi à la conservation, & le secrétaire de la ville y exerce en cette qualité les droits & fonctions de greffier en chef ; il a sous lui un commis greffier. Il y a aussi pour le service de ce tribunal deux huissiers audienciers & jurés crieurs, & un juré trompette.

Les avocats ès cours de Lyon avoient été admis à plaider à la conservation dès 1689, par un arrêt du 23 Avril de ladite année ; ils avoient néanmoins négligé pendant un certain tems de fréquenter ce tribunal, d’où les procureurs se prétendoient en droit de les en exclure : mais par arrêt du 20 Août 1738, enregistré au siége le 24 Novembre suivant, les avocats ont été confirmés dans le droit de plaider à la conservation, comme ils font depuis cet arrêt.

Outre la jurisdiction principale de la conservation, il y a aussi dans l’enclave du même tribunal la jurisdiction du parquet, qui fait partie de la cour de la conservation. Par arrêt du conseil d’état du Roi & lettres patentes en forme d’édit enregistré au parlement, les charges d’avocat & de procureur général de la ville de Lyon ont été réunies à celle de procureur du Roi en la conservation, & c’est en cette derniere qualité que le procureur général de la ville juge gratuitement & en dernier ressort jusqu’à la somme de cent livres de principal. Ses sentences sont aussi exécutoires par corps. (A)

Conservation ou Bailliage du Chatelet de Paris, voyez au mot Chatelet, à la subdivision Bailliage ; & ci-devant au mot Conservateur, à la subdivision Conservateur des Priviléges royaux de l’Université. (A)

Conservation, (Pharmacie.) La conservation est une partie essentielle de la Pharmacie, qui consiste à préserver d’une altération nuisible à la perfection du médicament toutes les drogues, soit simples, soit composées, que l’apothicaire est obligé de garder dans sa boutique, & qu’il lui seroit ou impossible ou peu commode de se procurer chaque jour.

L’humidité & la chaleur sont les deux grands instrumens de la corruption des substances médicales qui sont les sujets de la conservation pharmaceutique ; c’est donc à prévenir l’action destructive de ces deux agens, que doivent tendre tous les moyens qu’on y employe.

C’est à l’une ou à l’autre de ces causes que se rapportent principalement la plûpart des effets qu’on attribue vaguement au contact de l’air, ou à la communication avec l’air libre. Il est pourtant quelques-uns de ces effets qui ne pourroient pas y être rapportés avec assez d’exactitude : telle est la dissipation de certaines substances très-volatiles, qui quoiqu’elles soient à-peu-près proportionnelles au degré de chaleur du milieu dans lequel ces substances sont gardées, a pourtant lieu dans la température de ce milieu qu’on appelle froid. On ne prévient cette dissipation qu’en interrompant exactement toute communication entre ces substances & l’air.

C’est pour cela que la conservation des eaux aromatiques distillées, des eaux spiritueuses, des huiles essentielles, dépend moins de ce qu’on les tient dans un lieu frais, que de ce qu’on a soin de boucher exactement le vaisseau qui les contient. On conserve plus sûrement encore ces dernieres substances, on prévient ou on retarde leur épaississement en les conservant sous l’eau, lorsqu’elles sont spécifiquement plus pesantes que ce dernier liquide, ou sur l’eau dans des bouteilles renversées, lorsqu’elles sont plus legeres.

Il est une exception assez singuliere à la regle de boucher exactement les vaisseaux qui contiennent des substances volatiles aromatiques ; le degré de parfum qui fait la sensation agréable ne se trouve dans quelques-unes de ces substances, qu’après qu’elles ont perdu une partie de leur odeur. Le fait est sensible dans l’eau de fleurs d’oranges. Aussi les bons Apothicaires ne couvrent-ils que d’un papier la bouteille à l’eau de fleurs d’oranges qui sert actuellement au détail de la boutique.

On ne sait pas non plus assez distinctement quelle autre vue on pourroit avoir en supprimant toute communication entre l’air & certains sucs qu’on conserve sous l’huile, que l’exclusion même de cette communication. L’observation nous a appris qu’ils moisissoient à leur surface, & qu’ils se corrompoient facilement lorsqu’on ne prenoit pas la précaution de les couvrir d’un peu d’huile ; & cette observation suffit sans doute pour autoriser cette méthode.

Nous revenons aux deux principaux instrumens de la corruption des médicamens officinaux, & premierement à l’humidité ou à l’eau. Ce principe nuisible à leur conservation, doit être considéré ou dans les matieres mêmes, ou dans l’atmosphere.

On prévient l’effet de l’eau inhérente aux matieres mêmes, ou par la dessiccation (Voyez Dessiccation), ou par une espece d’assaisonnement qui occupe cette eau, qui la fixe, qui la rend inactive. C’est principalement le sucre ou le miel que l’on employe à cet assaisonnement, qui fournit les boutiques des syrops, des conserves, des électuaires, &c. Voyez Sirop, Conserve, Electuaire, &c. Aussi l’unique regle pour rendre ces préparations durables, consiste-t-elle à les priver de toute eau libre, ou à les réduire par la cuite en une consistance qui constitue leur état durable, & qui doit varier selon que ces préparations doivent être gardées plus ou moins long-tems, conservées dans un lieu convenable, ou transportées plus ou moins loin, & dans différens climats, &c.

C’est sur les mêmes vûes qu’est fondé l’assaisonnement avec l’esprit-de-vin, fort peu usité dans nos boutiques, & presque uniquement pour la teinture de Mars (Voyez Fer) ; & celui auquel on employe le sel marin, qui n’est point du tout en usage parmi nous, & dont on pourroit se servir, comme les Allemands, au lieu de la dessiccation pour conserver certaines fleurs, comme les roses. Voyez Rose.

La plûpart des matieres végétales & animales seches, comme feuilles, racines, viperes, & cloportes séchées, &c. les poudres, sont sur-tout exposées à cette altération, par la multiplicité des surfaces qu’elles présentent à l’air. On doit donc tenir toutes ces substances dans des lieux secs & dans des vaisseaux bien bouchés, ou des boîtes exactement fermées. L’importance de cette méthode est très-sensible, par la comparaison des plantes seches que les herboristes gardent en plein air dans leurs boutiques, & de celles qui ont été soigneusement serrées dans des boîtes ; les premieres, quelque exactement qu’elles ayent été desséchées, deviennent noires, molles, à demi-moisies ; les dernieres au contraire sont aussi vertes & aussi saines qu’au moment qu’on les a renfermées. On doit aussi principalement tenir dans un lieu sec certaines tablettes sujettes à se ramollir par l’humidité de l’air, comme celles de diacarthami, de citron, &c. & les poudres dans lesquelles il entre du sucre. Les sels déliquescens qu’on veut garder sous la forme seche, tels que la pierre à cautere, la terre foliée, &c. doivent être sur-tout scrupuleusement préservées de toute communication avec l’air, toûjours assez humide pour les faire tomber en liqueur.

La trop grande chaleur est sur-tout nuisible aux matieres molles ou liquides, dans lesquelles elle pourroit exciter un mouvement de fermentation, ou une espece de digestion toûjours nuisible : tels sont les syrops, les miels, les vins médicamenteux, les sucs, les eaux distillées, les huiles essentielles ; on doit tenir toutes ces matieres dans un lieu frais. Les Apothicaires les placent ordinairement dans leurs caves.

On doit aussi tenir dans un lieu frais, ou du moins à l’abri de l’action d’un air sec & chaud, les sels qui sont sujets à perdre par une legere chaleur l’eau de leur crystallisation, comme le vitriol de Mars, le sel de Glauber, le sel d’ebsom, lorsqu’on veut garder ces sels sous leur forme crystalline.

Outre la chaleur, l’humidité, & la communication avec l’air libre, qui sont les causes les plus générales de la corruption du médicament, il en est une plus particuliere, dont il est assez difficile de préserver certaines drogues ; savoir la vermoulure ou les vers : ce sont les fruits doux, comme les dattes, les figues, les jujubes, &c. qui y sont particulierement sujets. On prévient cet inconvénient, autant qu’il est possible, en tenant ces fruits auparavant bien séchés dans un lieu sec : mais le moyen le plus sûr c’est de les renouveller tous les ans, & heureusement ils se gardent assez bien d’une récolte à l’autre.

Il est aussi quelques racines, principalement celles de chardon rolland, de satyrium, qui sont singulierement sujettes aux vers, & qu’on garde pour cette raison sous la forme de confitures, qui les en met exactement à l’abri. La méthode de passer au four, ou d’exposer à un degré de chaleur capable de détruire les insectes & leurs œufs, les drogues particulierement sujettes aux vers, ne peut être que bien rarement employée en Pharmacie, parce que la plûpart de ces drogues seroient déparées par cette opération, & peut-être même réellement altérées : certaines racines dures & ligneuses, telles que la squine, pourroient pourtant y être soûmises sans danger, & on en tireroit même dans ce cas un avantage réel, qu’on a tort de négliger.

La plûpart des moyens de conservation que les Naturalistes ont imaginés, comme les vernis ou les enduits résineux, graisseux, &c. les différens mastics destinés à boucher exactement les vaisseaux, &c. sont trop parfaits pour pouvoir être de quelqu’usage dans un art. (b)