L’Encyclopédie/1re édition/CHANTER

CHANTER, c’est faire différentes inflexions de voix agréables à l’oreille, & toûjours correspondantes aux intervalles admis dans la Musique, & aux notes qui les expriment.

La premiere chose qu’on fait en apprenant à chanter, est de parcourir une gamme en montant par les degrés diatoniques jusqu’à l’octave, & ensuite en descendant par les mêmes notes. Après cela on monte & l’on descend par de plus grands intervalles, comme par tierces, par quartes, par quintes ; & l’on passe de cette maniere par toutes les notes, & par tous les différens intervalles. V. Échelle, Gamme, Octave.

Quelques-uns prétendent qu’on apprendroit plus facilement à chanter, si au lieu de parcourir d’abord les degrés diatoniques, on commençoit par les consonnances, dont les rapports plus simples sont plus aisés à entonner. C’est ainsi, disent-ils, que les intonnations les plus aisées de la trompette & du cor sont d’abord les octaves, les quintes, & les autres consonnances, & qu’elles deviennent plus difficiles pour les tons & sémi-tons. L’expérience ne paroît pas s’accorder à ce raisonnement ; car il est constant qu’un commençant entonne plus aisément l’intervalle d’un ton que celui d’une octave, quoique le rapport en soit bien plus composé : c’est que, si d’un côté le rapport est plus simple, de l’autre la modification de l’organe est moins grande. Chacun voit que si l’ouverture de la glotte, la longueur ou la tension des cordes gutturales est comme 8, il s’y fait un moindre changement pour les rendre comme 9, que pour les rendre comme 16.

Mais on ne sauroit disconvenir qu’il n’y ait dans les degrés de l’octave, en commençant par ut, une difficulté d’intonnation dans les trois tons de suite, qui se trouvent du fa au si, laquelle donne la torture aux éleves, & retarde la formation de leur oreille. Voyez Octave & Solfier. Il seroit aisé de prévenir cet inconvénient en commençant par une autre note, comme seroit sol ou la, ou bien en faisant le fa diéze, ou le si bémol. (S)

On a fait un art du chant ; c’est-à-dire que des observations sur des voix sonores qui chantoient le plus agréablement, on a composé des regles pour faciliter & perfectionner l’usage de ce don naturel, Voy. Maître à chanter ; mais il paroît par ce qui précede, qu’il y a encore bien des découvertes à faire sur la maniere la plus facile & la plus sûre d’acquérir cet art.

Sans son secours, tous les hommes chantent, bien ou mal, & il n’y en a point qui en donnant une suite d’inflexions différentes de la voix, ne chante ; parce que quelque mauvais que soit l’organe, ou quelque peu agréable que soit le chant qu’il forme, l’action qui en résulte alors est toûjours un chant.

On chante sans articuler des mots, sans dessein formé, sans idée fixe, dans une distraction, pour dissiper l’ennui, pour adoucir les fatigues ; c’est de toutes les actions de l’homme celle qui lui est la plus familiere, & à laquelle une volonté déterminée a le moins de part.

Un muet donne des sons, & forme par conséquent des chants : ce qui prouve que le chant est une expression distincte de la parole. Les sons que peut former un muet peuvent exprimer les sensations de douleur ou de plaisir. De-là il est évident que le chant a son expression propre, indépendante de celle de l’articulation des paroles. Voyez Expression.

La voix d’ailleurs est un instrument musical dont tous les hommes peuvent se servir sans le secours de maîtres, de principes ou de regles. Une voix sans agrément & mal conduite distrait autant de son propre ennui la personne qui chante, qu’une voix sonore & brillante, formée par l’art & le goût. Voyez Voix. Mais il y a des personnes qui par leur état sont obligées à exceller dans la maniere de se servir de cet organe. Sur ce point, comme dans tous les autres arts agréables, la médiocrité, dont les oreilles peu délicates se contentent, est insupportable à celles que l’expérience & le goût ont formées. Tous les chanteurs & chanteuses qui composent l’académie royale de Musique sont dans cette position.

L’opéra est le lieu d’où la médiocrité, dans la maniere de chanter, devroit être bannie ; parce que c’est le lieu où on ne devroit trouver que des modeles dans les différens genres de l’art. Tel est le but de son établissement, & le motif de son érection en académie royale de Musique.

Tous les sujets qui composent cette académie devroient donc exceller dans le chant, & nous ne devrions trouver entr’eux d’autres différences que celles que la nature a pû répandre sur leurs divers organes. Que l’art est cependant loin encore de cette perfection ! Il n’y a à l’opéra que très-peu de sujets qui chantent d’une maniere parfaite ; tous les autres, par le défaut d’adresse, laissent dans leur maniere de chanter une infinité de choses à desirer & à reprendre. Presque jamais les sons ne sont donnés ni avec la justesse, ni avec l’aisance, ni avec les agrémens dont ils sont susceptibles. On voit par-tout l’effort ; & toutes les fois que l’effort se montre, l’agrément disparoît. Voyez Chant, Chanteur, Maître à chanter, Voix.

Le poëme entier d’un opéra doit être chanté ; il faut donc que les vers, le fond, la coupe d’un ouvrage de ce genre, soient lyriques. Voyez Coupe, Lyrique, Opéra. (B)