L’Encyclopédie/1re édition/SOLFIER
SOLFIER, v. n. en Musique, c’est prononcer les syllabes de la gamme ut, re, mi, &c. & entonner en même tems les sons qui leur conviennent ; & c’est un exercice par lequel on fait commencer ceux qui apprennent la musique, afin que l’idée de ces différentes syllabes s’unissant dans leur esprit à celle des intervalles qui s’y rapportent, ces syllabes leur aident à se rappeller ces intervalles.
Il y a diverses manieres de solfier. Plusieurs nations ont gardé l’ancienne méthode des six syllabes de l’Arétin. D’autres en ont encore retranché, comme les Anglois, qui solfient sur ces quatre syllabes seulement, mi, fa, sol, la. Les François au contraire ont ajouté la syllabe si, pour renfermer sous des noms différens tous les sept sons de l’octave.
Les inconvéniens de la méthode de l’Arétin sont considérables ; car faute d’avoir rendu complette la gamme de l’octave, les syllabes de cette gamme ne signifient ni des touches fixes du clavier, ni des degrés du ton, ni même des intervalles exactement déterminés : la, fa peut former un intervalle de tierce majeure en descendant, ou de tierce mineure en montant, ou d’un semi-ton encore en montant. Voyez Gamme, Muances. C’est encore pis par la méthode des Anglois : ils trouvent à chaque instant différens intervalles qu’ils ne peuvent exprimer que par les mêmes syllabes, & toutes les quartes portent toujours les mêmes noms, qui devroient être réservés aux seules octaves.
La maniere de solfier établie en France par l’addition du si est infiniment supérieure à tout cela ; car la gamme se trouvant complette, les muances deviennent inutiles, & l’analogie des octaves est parfaitement observée : mais les Musiciens ont encore gâté cette méthode par la bisarre imagination de rendre les noms des notes toujours fixes & déterminés sur les touches du clavier, & non pas sur les degrés du ton ; ce qui charge inutilement la mémoire de tous les dièses ou bémols de la clé ; ce qui ôte au nom des notes le rapport nécessaire avec les intervalles qui leur sont propres, & ce qui efface enfin, autant qu’il est en eux, toutes les traces de la modulation.
Ut ou ré ne sont point ou ne doivent point être telle ou telle touche du clavier, mais tel ou tel degré du ton ; quant aux touches fixes, c’est par des lettres de l’alphabet qu’elles doivent s’exprimer ; la touche que vous appellez ut, je l’appelle C ; celle que vous appellez re, je l’appelle D. Ce ne sont pas des signes que j’invente, ce sont des signes tout établis, & par lesquels je détermine très-nettement la fondamentale d’un ton : mais ce ton une fois fixé, dites-moi, je vous prie, à votre tour, comment vous en appellez la tonique que j’appelle ut, & la seconde note que j’appelle ré, & la médiante que j’appelle mi, &c. car c’est là le point essentiel. Qu’on y réfléchisse bien, & l’on trouvera que rien n’est moins naturel que ce que les Musiciens françois appellent solfier au naturel. Cette prétendue nature n’est du-moins connue chez nul autre peuple. (S)