L’Encyclopédie/1re édition/CARDINAL

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 680-682).

CARDINAL, terme qui sert à exprimer la relation ou qualité de premier, principal, ou plus considérable.

Ce mot vient de cardo, terme Latin qui signifie un gond ; parce qu’en effet il semble que sur les points principaux, portent & roulent pour ainsi dire toutes les autres choses de même nature.

Ainsi la justice, la prudence, la tempérance, & la force, sont nommées les quatre vertus cardinales, comme étant la base de toutes les autres. Voy. Vertu.

Points cardinaux, en Cosmographie, sont les quatre intersections de l’horison, avec le méridien & le premier vertical. Voyez Point.

Il y en a deux, savoir, les intersections de l’horison & du méridien, qu’on nomme nord & sud, ou nord & midy par rapport aux poles vers lesquels ils se dirigent. Voyez Nord, Sud, Midy.

Quant à la maniere de déterminer ces points. Voy. Ligne méridienne.

Les deux autres, savoir, les intersections de l’horison & du premier vertical, s’appellent est & ouest, ou levant & couchant, ou orient & occident. V. ces mots.

Les points cardinaux coincident donc avec les quatre regions cardinales des cieux, & sont éloignées de quatre-vingts dix degrés les uns des autres.

Les points intermédiaires s’appellent points collatéraux. Voyez Points collatéraux.

Points cardinaux du ciel, se dit aussi quelquefois, mais plus rarement, du lever & du coucher du soleil, du zénith & du nadir. Voyez Lever, Coucher, Zénith & Nadir.

Cardinaux (vents), sont ceux qui soufflent des points cardinaux. Voyez Vent.

Cardinaux (signes), adj. pl. en Astronomie. On désigne ainsi les signes du zodiaque, qui sont les premiers où le soleil est censé entrer au commencement de chaque saison ; savoir, le bélier, le cancer, la balance & le capricorne. Voy. Signe & Précession. (O)

Cardinaux (nombres), en Grammaire, ce sont les nombres 1, 2, 3, &c. qui sont indéclinables par opposition aux nombres ordinaux, premier, second, troisieme, &c. Voyez Nombre.

Cardinal, s. m. (Hist. ecclés.) se dit plus particulierement d’un prince ecclésiastique, qui a voix active & passive dans le conclave, lors de l’élection du pape. Voyez Conclave.

Quelques auteurs disent que le mot cardinal vient du Latin incardinatio, qui signifie l’adoption que faisoit un église d’un prêtre d’une église étrangere, d’où il avoit été éloigné par quelques malheurs ; que l’usage de ce mot a commencé à Rome & à Ravenne, parce que les églises de ces deux villes étant les plus riches, les prêtres malheureux s’y retiroient ordinairement.

Les cardinaux composent le conseil & le sénat du pape. Il y a dans le vatican une constitution du pape Jean, qui regle le droit & les titres des cardinaux, & qui porte que comme le pape représente Moyse, ainsi les cardinaux représentent les soixante-dix anciens, qui sous l’autorité pontificale jugent & terminent les différends particuliers.

Les cardinaux dans leur premiere institution, n’étoient autre chose que les prêtres principaux ou les curés des paroisses de Rome. Dans la primitive église le prêtre principal d’une paroisse, qui suivoit immédiatement l’évêque, fut appellé presbyter cardinalis. On les distinguoit par-là des autres prêtres moins relevés en dignité, qui n’avoient ni église, ni emploi. Ce mot a commencé environ l’an 150 ; d’autres tiennent que ce fut sous le pape Sylvestre l’an 300 : ces prêtres cardinaux étoient les seuls qui pouvoient baptiser & administrer les sacremens. Autrefois les prêtres cardinaux étant faits évêques, leur cardinalat vaquoit, parce qu’ils croyoient être élevés à une plus grande dignité. S. Grégoire se sert souvent de ce mot pour exprimer une grande dignité. Sous le pape Gregoire les cardinaux prêtres & les cardinaux diacres n’étoient autre chose que les prêtres ou les diacres qui avoient une église ou une chapelle à desservir. C’est-là ce que le mot signifioit selon l’ancienne & véritable interprétation. Leon IV. les nomme dans le concile de Rome, tenu en 853, presbyteros sui cardinis, & leurs églises parochias cardinales.

Les cardinaux demeurerent sur le même pié jusqu’au XIe. siecle : mais la grandeur du pape s’étant depuis extrèmement accrue, il voulut avoir un conseil de cardinaux, plus élevés en dignité que les anciens prêtres. Il est vrai que l’ancien nom est demeuré : mais ce qu’il exprimoit n’est plus. Il se passa un assez long tems sans qu’ils prissent le pas sur les évêques, ou qu’ils se fussent rendus les maîtres de l’élection du pape : mais dès qu’une fois ils ont été en possession de ces priviléges, ils ont eu bientôt après le chapeau rouge & la pourpre ; en sorte que croissant toûjours en grandeur, ils se sont enfin élevés au-dessus des évêques par la seule dignité de cardinal.

Du Cange observe qu’originairement il y avoit trois sortes d’églises ; que les vraies églises s’appelloient proprement paroisses : les secondes, diaconies, qui étoient jointes à des hôpitaux desservis par des diacres : les troisiemes de simples oratoires, où on disoit des messes particulieres, & qui étoient desservis par des chapelains locaux & résidens ; & que pour distinguer les églises principales ou les paroisses, des chapelles ou des oratoires, on leur donna le nom de cardinales. Les églises paroissiales donnerent en conséquence les titres aux cardinaux prêtres, & quelques chapelles donnerent ensuite le titre aux cardinaux diacres. Voy. Église.

Tous les cardinaux furent distribués sous cinq églises patriarchales : savoir, de S. Jean de Latran, de Sainte Marie-majeure, de S. Pierre du Vatican, de S. Paul, de S. Laurent. L’église de S. Jean de Latran avoit sept cardinaux évêques que l’on appelloit collatéraux ou hebdomadaires, parce qu’ils étoient assistans du pape, & faisoient en sa place le service divin chacun leur semaine. Ce sont les évêques d’Ostie, de Porto, de Sylva Candida ou Sainte Rufine, d’Albano, de Sabine, de Frescati, & de Palestrine.

L’évêché de Sainte Rufine est maintenant uni à celui de Porto. L’église de Sainte Marie-majeure avoit aussi sept cardinaux prêtres, savoir, ceux de S. Philippe & S. Jacques, de S. Cyriace, de S. Eusebe, de Sainte Prudentienne, de S. Vital, des SS. Pierre & Marcellin, & de S. Clement. L’église patriarchale de S. Pierre avoit les cardinaux prêtres de Sainte Marie de-là le Tibre, de S. Chrysogone, de Sainte Cécile, de Sainte Anastasie, de S. Laurent in Damaso, de S. Marc, & des SS. Martin & Sylvestre. L’église de S. Paul avoit les cardinaux de Sainte Sabine, de S. Prisce, de Sainte Balbine, des SS. Nerée & Achillée, de S. Xiste, de S. Marcel, & de Sainte Susanne. L’église patriarchale de S. Laurent hors les murs, avoit sept cardinaux, ceux de Sainte Praxede, de S. Pierre-aux-liens, de S. Laurent in Lucinâ, des SS. Jean & Paul, des SS. quatre couronnés, de S. Etienne au mont Celio, & de S. Quirice. Baronius sur l’année 1057, cite un rituel ou cérémonial extrait de la bibliotheque du Vatican, qui contient ce denombrement des cardinaux.

D’autres observent qu’on appelloit cardinaux, non seulement les prêtres, mais les évêques, les prêtres & les diacres titulaires, & attachés à une certaine église ; à la différence de ceux qui ne les servoient qu’en passant & par commission. Les églises titulaires où les titres étoient des especes de paroisses, c’est-à-dire, des églises attribuées chacune à un prêtre cardinal, avec un quartier fixé & déterminé qui en dépendoit, & des fonts pour administrer le baptême dans le cas où il ne pouvoit pas être administré par l’évêque. Ces cardinaux étoient subordonnés aux évêques. C’est pour cela que dans les conciles, par exemple, dans celui de Rome tenu l’an 868, ils ne souscrivent qu’après les évêques. Ce n’étoit pas seulement à Rome qu’ils portoient ce nom : on trouve des prêtres cardinaux en France. Ainsi le curé de la paroisse de S. Jean des Vignes est nommé cardinal de cette paroisse dans une charte de Thibault, évêque de Soissons, où ce prélat confirmant la fondation de l’abbaye de S. Jean des Vignes, faite par Hugue, seigneur de Château-Thierry, exige que le prêtre cardinal du lieu, presbyter cardinalis illius loci, soit tenu de rendre raison du soin qu’il aura eu de ses paroissiens à l’évêque de Soissons, ou à son archidiacre, comme il faisoit auparavant. Les mêmes termes se trouvent employés, & dans le même sens, dans la charte du roi Philippe I. en 1076. portant confirmation de la fondation de S. Jean des Vignes.

On a donné aussi ce titre à quelques évêques, en tant qu’évêques. Par exemple, à ceux de Mayence & de Milan. D’anciens écrits appellent l’archevêque de Bourges cardinal, & l’église de Bourges église cardinale. L’abbé de Vendôme prend le titre de cardinal né.

Les cardinaux sont divisés en trois ordres : six évêques, cinquante prêtres, & quatorze diacres, faisant en tout soixante-dix, qu’on appelle le sacré-college. V. College.

Les cardinaux évêques, qui sont comme les vicaires du pape, portent le titre des évêchés qui leur sont attribués. Pour les cardinaux, prêtres & diacres, ils ont tous des titres tels qu’ils leur sont assignés. Le nombre des cardinaux & des évêques est fixé : mais celui des cardinaux prêtres, & diacres, & par conséquent le nombre des membres du sacré-college, a toûjours varié jusqu’à l’année 1125. Le collége des cardinaux étoit de cinquante-deux ou cinquante-trois. Le concile de Constance fixa le nombre des cardinaux à vingt-quatre. Sixte IV. sans avoir égard au concile, en grossit le nombre, & le porta jusqu’à cinquante-trois ; ainsi comme le nombre des cardinaux étoit anciennement reglé à vingt-huit, il fallut établir de nouveaux titres à mesure que l’on créa de nouveaux cardinaux. A l’égard des diacres, ils n’étoient originairement que sept pour les quatorze quartiers de la ville de Rome. On les augmenta ensuite jusqu’à dix-neuf, après quoi le nombre en fut diminué de nouveau.

Selon Onuphre, ce fut le pape Pie IV. qui régla le premier en 1562, que le pape seroit seulement élu par le sénat des cardinaux, au lieu qu’il l’étoit auparavant par le clergé de Rome. D’autres disent que dès le tems d’Alexandre III. en 1160, les cardinaux étoient déja en possession d’élire le pape, à l’exclusion du clergé. On remonte encore même plus haut, & l’on croit que Nicolas II. ayant été élû à Sienne en 1058, par les seuls cardinaux, c’est à cette occasion qu’on ôta le droit d’élire le pape au clergé & au peuple Romain, qui n’eurent plus que celui de le confirmer ; en donnant leur consentement ; ce qui leur fut encore ôté dans la suite. Le P. Papebroch conjecture que c’est Honorius IV. qui a mis le premier des évêques dans le sacré-college, en y faisant entrer les évêques suffragans du pape, à qui de droit il appartient de le nommer, & en en faisant la premiere classe des cardinaux.

La constitution du conclave, pour l’élection du pape, fut faite au second concile de Lyon en 1274. Le decret du pape Urbain VIII. par lequel il est ordonné que les cardinaux seroient traités d’éminence, est de l’année 1630. Avant cela on les traitoit d’illustrissime.

Depuis ces nouvelles prérogatives, les cardinaux ont précédé les évêques ; cependant ces derniers, conservant leur prééminence, ont quelquefois pris le pas dans les assemblées & les cérémonies publiques en présence même du pape ; cela se voit dans l’acte de dédicace de l’église de Marmoutier par le pape Urbain II. l’an 1090, lorsqu’il vint en France tenir le fameux concile de Clermont ; car dans cette cérémonie, Hugues archevêque de Lyon, tenoit, après le pape, le premier rang ; les autres archevêques & évêques le suivoient ; & après eux venoient les cardinaux, prêtres & diacres qui avoient accompagné le pape dans ce voyage.

Quand le pape crée des cardinaux, il écrit le nom de ceux qu’il veut élever à cette dignité, & il les fait lire dans le consistoire, après avoir dit aux cardinaux, habetis fratres, c’est-à-dire, vous avez pour freres N N. Le cardinal patron envoye ensuite querir ceux qui se trouvent à Rome, & les mene à l’audience du pape pour recevoir de lui le bonnet rouge, & au premier consistoire sa sainteté leur donne le chapeau. Jusques-là ils demeurent incognito, & ne peuvent se trouver aux assemblées. A l’égard des absens, le pape leur dépêche un de ses cameriers d’honneur pour leur porter le bonnet : mais ils sont obligés d’aller recevoir le chapeau de la main de sa sainteté ; & quand ils entrent à Rome on les reçoit en cavalcade. Les habits des cardinaux sont la soûtane, le rochet, le mantelet, la mozette, & la chape papale sur le rochet dans les actions publiques & solennelles. La couleur de leur habit est différente selon le tems, ou de rouge, ou de rose seche, ou de violet : les cardinaux réguliers ne portent point de soie ou d’autre couleur que celle de leur religion, avec une doublure rouge ; mais le chapeau & le bonnet rouge sont communs à tous. Les cardinaux que le pape envoye aux princes souverains, sont décorés du titre de légats à latere ; & lorsqu’ils sont envoyés dans une ville de la domination du pape, leur gouvernement s’appelle légation. Il y a cinq légations, qui sont celles d’Avignon, de Ferrare, de Boulogne, de Perouse, & de Ravenne. Voyez Légat & Légation, traité de l’orig. des cardinaux. Du Cange, Gloss. Aubery, Hist. des cardinaux.

Cardinal se dit aussi d’offices séculiers : ainsi les premiers ministres de la cour de Theodose sont aussi appellés cardinaux. Et Cassiodore, liv. VII. form. 31. fait mention du prince cardinal de la ville de Rome. On trouve parmi les officiers du duc de Bretagne en 1447, un Raoul de Thorel, cardinal de Quillart, chancelier & serviteur du vicomte de Rohan ; ce qui montre que c’étoit un office subalterne. (G)