Histoire naturelle des cétacées/Le Physétère mular

LE PHYSÉTÈRE MULAR[1].



La nageoire qui s’élève sur le dos de ce physétère, est si droite, si pointue et si longue, que Sibbald et d’autres auteurs l’ont comparée à un mât de navire, et ont dit qu’elle paroissoit au-dessus du corps du mular, comme un mât de misaine au-dessus d’un vaisseau. Cette comparaison est sans doute exagérée ; mais elle prouve la grande hauteur de cet organe, qui seule a pu en faire naître l’idée.

Mais, indépendamment de cette nageoire si élevée, on voit sur le dos et au-delà de cette éminence, trois bosses dont la première a souvent un demi-mètre de hauteur, la seconde près de deux décimètres, et la troisième un décimètre.

Ces traits seuls feroient distinguer facilement le mular du microps et de l’orthodon ; mais d’ailleurs les dents du mular ont une forme différente de celles de l’orthodon et de celles du microps.

Elles ne sont pas très-courbées, comme les dents du microps, ni droites, comme celles de l’orthodon ; et leur sommet, au lieu d’être aigu, est très-émoussé ou presque plat.

De plus, les dents du mular sont inégales : les plus grandes sont placées vers le bout du museau ; elles peuvent avoir vingt-un centimètres de longueur, sur vingt-quatre de circonférence, à l’endroit où elles ont le plus de grosseur : les moins grandes ne sont longues alors que de seize centimètres. Toutes ces dents ne renferment pas une cavité.

On découvre une dent très-aplatie dans plusieurs des intervalles qui séparent l’un de l’autre les alvéoles de la mâchoire supérieure.

Les deux évents aboutissent à un seul orifice.

Les mulars vont par troupes très-nombreuses. Le plus grand et le plus fort de ces physétères réunis leur donne, pour ainsi dire, l’exemple de l’audace ou de la prudence, de l’attaque ou de la retraite. Il paroît, d’après les relations des marins, comme le conducteur de la légion, et, suivant un navigateur cité par Andersen, il lui donne, par un cri terrible, et dont la surface de la mer propage au loin le frémissement, le signal de la victoire ou d’une fuite précipitée.

On a vu des mulars si énormes, que leur longueur étoit de plus de trente-trois mètres. On ne leur donne cependant la chasse que très-rarement, parce que leur caractère farouche et sauvage rend leur rencontre peu fréquente, et leur approche pénible ou dangereuse. D’ailleurs, on ne peut faire pénétrer aisément le harpon dans leur corps, qu’en le lançant dans un petit espace que l’on voit au-dessus du bras ; et leur graisse fournit très-peu d’huile.

On a reconnu néanmoins que la cavité située dans la partie antérieure de leur tête contenoit beaucoup d’adipocire ; que cette cavité étoit divisée en vingt-huit cellules remplies de cette substance blanche ; que presque toute la graisse du physétère étoit mêlée avec cet adipocire ; et qu’on découvroit plusieurs dépôts particuliers de ce blanc dans différentes parties du corps de ce cétacée.

Nous pouvons donc assurer maintenant que cet adipocire se trouve en très-grande quantité, distingué par les mêmes qualités et disséminé de la même manière, dans toutes les espèces connues du genre des cachalots, de celui des physales et de celui des physétères[2].

On a écrit que lorsque le mular vouloit plonger dans la mer, il commençoit par se coucher sur le côté droit ; et les mêmes auteurs ont ajouté que ce cétacée pouvoit rester sous l’eau pendant plus de temps que la baleine franche.

On l’a rencontré dans l’Océan atlantique septentrional, ainsi que dans l’Océan glacial arctique, et particulièrement dans la mer du Groenland, dans les environs du cap Nord, et auprès des îles Orcades.


  1. Physeter mular.
    Physeter tursio. Linné, édition de Gmelin.
    Cachalot mular. Bonnaterre, planches de l’Encyclopédie méthodique.
    Physeter dorsi pinnâ altissimâ, apice dentium plano. Artedi, gen. 74, syn. 104.
    Cetus tripinnis, dentibus in planum desinentibus. Brisson, Regn. anim. p. 364, n. 7.
    Balæna macrocephala tripinnis, quæ in mandibulâ inferiore dentes habet minùs inflexos et in planum desinentes. Sibbald.
    id. Raj. Pisc. p. 16.
    Mular Nierembergii. Klein, Misc. pisc. 2, p. 15.
    Anderson, Histoire d’Islande, etc. 2. p. 118.
    Le mular. R. R. Castel, nouvelle édition de Bloch.
  2. Voyez l’article du cachalot macrocéphale.