Grammaire de l’hébreu biblique/Morphologie/Verbe/Paragraphe 44

Paul Joüon
Institut biblique pontifical (p. 102-104).
§ 44. Flexion du futur qal.

a La flexion du futur qal (et des autres futurs) se fait au moyen de préformantes marquant la personne et (dans 5 cas) par des afformantes marquant le genre et le nombre. De même que le parfait peut être décrit morphologiquement « temps à afformantes », le futur peut être décrit « temps à préformantes ». Les préformantes א et נ des 1es personnes, ת des 2es personnes se retrouvent dans les pronoms correspondants ; par contre les préformantes י et ת des 3es personnes sont difficiles à expliquer. L’afformante וּ du plur. masc. 3e et 2e p. est la même que dans קָֽטְלוּ. Pour le fém. sing. on a l’afformante ◌ִי à la 2e pers. ; pour le fém. pluriel נָה aux 3e et 2e personnes.

Au contre du parfait, qui a un thème nominal et a l’aspect d’un adjectif ou d’un substantif « conjugué », le futur est formé sur un thème verbal (p. ex. קְטֹל) qui généralement se retrouve à l’impératif. Le futur est donc une forme essentiellement verbale, dès l’origine, comme l’impératif.

b 1re voyelle (voy. de la préformante). Dans la conjugaison actuelle du qal du verbe régulier, la voyelle est ◌ִ dans les verbes d’action et dans les verbes d’état, par exemple יִקְטֹל, יִתֵּן ; יִכְבַּד. Mais à l’origine, comme nous l’avons dit § 41 e, dans les verbes d’action la voyelle était probablement a. — À la 1re p. sg. on a אֶקְטֹל, אֶכְבַּד avec la voyelle [1].

c 2e voyelle. Comme nous l’avons vu (§ 41 a) la 2e voyelle dans les verbes d’action est généralement *u > ◌ֹ, quelquefois *i > ◌ֵ ; dans les verbes statifs (§ 41 b) toujours ◌ַ.

Ces voyelles, étant moyennes, peuvent tomber en syllabe ouverte et de fait tombent, p. ex. יִקְטְלוּ, יִתְּנוּ, יִכְבְּדוּ ; mais elles se maintiennent en pause : יִקְטֹ֑לוּ, יִתֵּ֑נוּ, יִכְבָּ֑דוּ (§ 32 d). L’o étant moyen, la graphie assez fréquente יִקְטוֹל avec ו doit être considérée comme abusive, sauf dans les cas où il y a allongement secondaire.

Doivent être considérées comme anormales ou fautives trois formes avec וּ : יִשְׁפּוּט֫וּ הֵ֑ם Ex 18, 26 ; לֹא תַֽעֲבוּרִ֫י מִזֶּ֑ה Ruth 2, 8 ; תִּשְׁמוּרֵ֑ם Pr 14, 3. Si ces formes sont authentiques, on pourrait p.-ê. les expliquer ainsi : en prépause et en pause on aura voulu avoir une voyelle pleine ; ici, avec labiale, on aura préféré ū à ọ̄.

d Remarques sur certaines personnes.

Au pluriel fém. la 3e p. et la 2e p. ont la même forme תִּקְטֹ֫לְנָה. Cette forme, comme 2e p., est très rare (de même la 2e pl. f. du parfait קְטַלְתֶּן). Dans תִּקְטֹ֫לְנָה 3e p. on a deux fois la marque du fém. Le ת est ici d’origine secondaire et provient du sing. 3e f. תִּקְטֹל. La forme primitive devait être *יִקְטֹ֫לְנָה (avec י comme en arabe, araméen occidental, etc.) ; elle ne se rencontre que trois fois : Gn 30, 38 ; 1 S 6, 12 ; Dn 8, 22.

Au lieu de la graphie ordinaire נָה on a souvent ןָ, surtout dans le Pentateuque et notamment après un waw inversif, p. ex. Gn 19, 33, 36.

e À l’afformante וּ de la 3e p. pl. m. et 2e pl. m. יִקְטְלוּ, תִּקְטְלוּ on ajoute souvent un ן appelé nun paragogique c.-à-d. ajouté. En réalité le ן appartient aux formes primitives et se trouve en arabe, en araméen, etc. Les 305 exemples sont dispersés un peu partout ; on en trouve surtout dans le Deutéronome (56), Isaïe (37), Job (23), dans le Psaume 104 (15)[2]. Les raisons qui expliquent la présence d’une forme en וּן peuvent être l’antiquité d’un texte, une recherche d’archaïsme, une influence araméenne, une raison métrique. Mais la raison ordinaire paraît être la préférence pour une forme plus pleine et plus emphatique. Ainsi s’explique qu’on trouve les formes en וּן surtout à la pause (en grande pause et en pause moyenne). En pause, la voyelle qui précède est maintenue et allongée secondairement, p. ex. יִקְטֹל֑וּן (cf. § 32 d) ; יִלְקֹט֑וּן Ps 104, 28, תִּדְבָּק֑וּן Dt 13, 5 ; יְלַמֵּד֑וּן Dt 4, 10. Mais ces formes se trouvent parfois aussi en contexte, p. ex. יִקְצֹרוּן֙ Ruth 2, 9 (pashṭa).

Quand le sens demande le jussif on a très rarement la forme en וּן[3], p. ex. יִכְרְעוּן Job 31, 10 ; בַּל־יֶֽחֱזָי֑וּן Is 26, 11.

f Semblablement, à l’afformante ◌ִי de la 2e p. sg. fém. on ajoute quelquefois un nun paragogique. Les exemples sont peu nombreux, p. ex. תַּֽעֲשִׂ֑ין Ruth 3, 4 ; תֵּדְעִ֔ין 3, 18 ; תִּדְבָּקִ֔ין ; 2, 21 ; תִּדְבָּקִ֖ין 2, 8 (ṭifḥa). Ce ן, qui est également primitif et qui se trouve en arabe et en araméen, est employé dans des conditions analogues au précédent, et doit être jugé de la même façon.

  1. L’explication de cet est douteuse. Si l’א, comme nous croyons, n’était plus prononcé, on aura préféré comme voyelle initiale, comme dans le cas de l’alef prosthétique (§ 17 a). Si יִקְטֹל a été prononcé iqṭọl (§ 26 e), la prononciation e̦qṭọl (א non prononcé) serait discriminante.
  2. Driver, Notes on the Books of Samuel2, in 1 S 2, 15 (p. 30).
  3. En araméen biblique où l’on a toujours וּן à l’indicatif, le ן est supprimé quand le sens demande le jussif.