Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/V/16

Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 158-200).
LIVRE SEIZIÈME.


des nerfs, des artères et des veines.


Chapitre premier. — Considérations générales. Admirable justice distributive apportée par la nature dans la répartition des nerfs, des artères et des veines.


Déjà précédemment, il a été question plus d’une fois, en expliquant les parties, des organes communs à tout le corps (cf. II, xix ; III, ix, t. I, p. 214, 248), artère, veine et nerf. Il m’a paru préférable de n’en pas parler seulement par fragments, mais de rassembler, sous un même coup d’œil, tout le sujet, et d’ajouter ce qui manque à nos explications antérieures. Il est évident qu’ici encore mon exposition aura pour base les points préalablement démontrés : que l’encéphale est le principe des nerfs, le cœur celui des artères et le foie celui des veines. Comme ces organes doivent se distribuer dans tout le corps, apportez un esprit attentif pour suivre avec moi l’équitable répartition qui en a été faite. S’il apparaît clairement qu’il en a été donné plus à certaines parties, moins à d’autres, selon la valeur de chacune d’elles, et si l’on constate que cette règle est observée dans tout le corps, nous louerons Hippocrate de ce qu’il a appelé la nature juste (cf. I, xxii, p. 163 et note 1). Si l’on voit ces organes se diriger vers chaque partie en toute sécurité, nous proclamerons la nature, non pas seulement juste, mais encore ingénieuse et habile. Il n’importe donc en rien que l’on commence l’exposition par l’encéphale, ou par le cœur, ou par le foie. En effet, les observations communes aux trois principes doivent être énoncées nécessairement en même temps, la nature des choses ne permettant pas d’agir autrement, quand même on le désirerait, puisque les observations propres à chacun d’eux ne sauraient évidemment venir, comme l’on voudrait, s’ajouter aux observations communes.

Quelles sont ces observations communes aux trois principes ? Le but était de mener à chaque partie une artère, une veine et un nerf ; mais comme quelques parties sont éloignées des principes, il convenait de ne pas créer un nombre de principes aussi considérable que celui des parties, de n’en pas même créer un grand nombre, mais plutôt de faire sortir de chaque principe un seul organe très-volumineux qui devait être comme un tronc, et, de ce tronc, au fur et à mesure qu’il s’avance, on devait tirer des espèces de rejetons pour les distribuer aux parties voisines. C’est ainsi que les gens habiles opèrent la conduite et la distribution des eaux potables dans les villes, quand ils ont adapté un conduit à la prise d’eau ; parfois ils distribuent cette eau dans différents endroits avant qu’elle arrive à la ville, ou, s’ils s’en tiennent à la ville seule, ils la partagent dans tous les quartiers de façon qu’aucun ne manque d’eau. De même que nous réservons nos éloges surtout à ceux qui, non-seulement distribuent l’eau dans toutes les parties, mais encore en opèrent la distribution la plus équitable, de même aussi nous louerons la nature, si nous la trouvons équitable en tous points. S’il y a deux justices, l’une connue du vulgaire, l’autre propre aux artistes d’élite, et si évidemment la nature a choisi la dernière, nous la louerons bien plus encore. Si vous voulez savoir en quoi consiste cette justice, écoutez le divin Platon (Lois, VI, p. 757), disant que le chef et l’artiste véritablement justes doivent observer l’égalité eu égard au mérite. De même pour l’eau des villes, il n’en est pas distribué un volume ni un poids égal dans tous les quartiers. Les bains publics, certains bois consacrés aux dieux, en reçoivent une grande quantité ; les fontaines des carrefours et les bains particuliers en reçoivent moins.


Chapitre ii. — Suite du même sujet. — Des parties qui ont des nerfs, et des parties qui n’en ont pas. — De celles qui ont des nerfs mous, et de celles qui ont des nerfs durs.


Mais il est temps d’examiner l’habileté primitivement déployée par la nature dans cette répartition chez les animaux. Il naît du cœur une artère considérable (aorte) qui, semblable à un tronc, se divise en branches et en rameaux nombreux. La veine appelée creuse (veine cave), à cause de son diamètre, partant de la région convexe du foie et se dirigeant en haut et en bas, ressemble à un tronc double ; puisque, dans le corps de l’homme, l’un est au-dessus du foie et l’autre au-dessous. De même pour l’artère issue du cœur, on la voit à l’instant se partager en deux branches inégales : l’une, plus considérable, se dirige vers le bas, parce que cette partie du corps est plus forte ; l’autre, moins considérable, se distribue dans les parties situées au-dessus du cœur. Autre tronc analogue à ceux que nous venons de citer, la moelle épinière qui dérive de l’encéphale, envoie des nerfs à toutes les parties situées au-dessous de la tête. Il serait étonnant qu’on ne vît ni artère, ni veine, ni nerf revenir à leurs propres principes. Mais voici qui est plus étonnant encore : beaucoup de rameaux de chaque espèce (c. à. d. de nerfs, de veines et d’artères) se détachent de leur principe pour se distribuer au loin, comme nous l’avons dit ; cependant il arrive à un très-petit nombre de vaisseaux ou de nerfs de faire une courbe et de revenir sur leurs pas, comme les coureurs dans le double stade (cf. VII, xiv, t. I, p. 497 et plus loin chap. iv, p. 165) ; quand cela a lieu, ce n’est ni sans dessein, ni au hasard, mais en vue d’une utilité admirable. En effet, lorsqu’une partie entre toutes, dans un but utile, est douée d’une structure manifestement différente de celle des autres, la nature, qui use d’une équité et d’une prévoyance suprêmes, y montre avec éclat sa sagesse et le souvenir intelligent qu’elle a de chaque particularité. Je trouve encore une très-grande preuve de l’habileté de la nature dans ce fait : que c’est seulement à l’origine des nerfs qu’il existe des embranchements latéraux, et cela en vue d’une nécessité absolue.

Une autre preuve, non médiocre non plus, c’est que bien que les nerfs aillent dans toutes les parties du corps, cependant on n’en voit aucun s’insérer, ni sur un os, ni sur un cartilage, ni sur un ligament, ni sur toutes les glandes, car il y a deux espèces de glandes (voy. plus bas p. 161, l. 4). En effet, la substance des os est disposée, en maints endroits, comme un soutien, une base pour les autres parties, en maints autres endroits, comme un mur et un rempart ; ce sont là les deux utilités mêmes des os. Les cartilages lubrifient certaines parties des os, par exemple, les articulations pour les rendre polies ; la nature s’en sert parfois aussi comme de corps modérément élastiques. En conséquence, il était superflu de douer les os et les cartilages de sensation et de mouvement volontaires. Les ligaments, sorte de liens qui rattachent certaines parties aux os et ces os à d’autres parties comme des cordes, n’avaient non plus nul besoin de sensation et de mouvement volontaires. Les nerfs sont inutiles aussi à la graisse, étendue comme une huile onctueuse sur les parties membraneuses et nerveuses (fibreuses) de l’animal. Voici son origine et son utilité : produite par la partie graisseuse du sang, versée par des vaisseaux ténus, elle se répand sur les corps secs et minces, pour humecter continuellement, d’une humeur onctueuse naturelle, ces corps sujets à se dessécher et à se durcir rapidement par suite d’une abstinence prolongée de travaux violents ou par de fortes chaleurs. La substance des glandes qui sert à consolider les vaisseaux, là où les ramifications se séparent (cf. VI, iv ; t. I, p. 392), n’a pour cet usage aucun besoin de nerfs, non plus que de sensation ou de mouvement volontaire. Mais les glandes destinées à produire des humeurs utiles à l’animal, pourvues de veines et d’artères visibles et parfois grandes, reçoivent aussi des nerfs de la même façon que toutes les parties que je vais examiner.

La nature a disposé chez les animaux pour le mouvement volontaire un genre d’organes qu’on nomme muscles. Aussi, bien que tous les nerfs soient doués des deux facultés (je veux dire la sensation et le mouvement), aucune des autres parties qui reçoivent des nerfs ne se meut, elles ne font que sentir ; tels sont, par exemple, la peau, les membranes, les tuniques, les artères, les veines, les intestins et la matrice, la vessie et l’estomac, tous les viscères et l’une des espèces de glandes. Qu’est-il besoin de dire aussi que les organes des sens réclamaient des nerfs pour sentir ? Nous l’avons déjà dit précédemment à propos de tous ces organes dans les livres qui les concernent (voy. liv. VIII, ix et x).

Il est nécessaire maintenant de rappeler aussi que sur aucune des parties la nature n’a inséré inutilement un nerf, qu’elle les a insérés sur celles qui avaient besoin de sensation seulement ou de mouvement volontaire, et que loin de les distribuer au hasard, elle a donné à celles qui devaient être douées d’une sensation exacte tous les nerfs mous, à celles qui devaient jouir du mouvement volontaire tous les nerfs durs, à celles qui devaient posséder l’un et l’autre les deux sortes de nerfs ; la nature, dans sa prévoyance, ayant ménagé, ce me semble, pour la sensation, un nerf plus propre à recevoir l’impression, et pour le mouvement un nerf plus capable d’action. Aussi tous les organes qui ne sont pas simplement doués du mouvement volontaire, mais qui possèdent encore une sensation supérieure à la sensation commune à toutes les parties, c’est-à-dire au tact, comme les yeux, les oreilles, la langue (voy. Hoffm., l. l., p. 349) ; ces organes sont pourvus de la double espèce de nerfs, c’est-à-dire des mous et des durs. Les nerfs mous s’insèrent sur la partie qui est l’instrument propre de la sensation, les nerfs durs vont aux muscles. Il existe encore des nerfs mous à l’estomac, au foie, dans tous les intestins et les viscères, comme aussi dans les dents, seuls os où l’on en trouve[1], attendu qu’elles sont exposées nues à la rencontre des corps, et qu’elles devaient avec la langue sentir et apprécier les saveurs comme toutes les autres parties de la bouche (cf. XI, vii-xi). En effet, nous avons démontré dans les livres précédents (cf. V, ix ; t. I, p. 361) que la nature a attribué une perception supérieure aux parties destinées à rencontrer continuellement des corps qui coupent, qui brisent, qui rongent, qui échauffent, qui refroidissent fortement, ou qui altèrent d’une façon quelconque, afin qu’averti par la douleur, l’animal puisse se défendre et écarter l’objet nuisible avant que la partie soit lésée. C’est pour cela que des nerfs mous s’insèrent aux dents et que le derme tout entier reçoit des fibrilles dérivées des nerfs de chaque partie. En effet, tandis qu’il vient un nerf à chacun des muscles, le derme ne reçoit pas un nerf spécial et isolé, mais des parties sous jacentes il y arrive des fibres nerveuses qui, en même temps qu’elles le rattachent à ces parties, servent d’organes de sensation. Telles sont les remarques communes applicables à tous les nerfs.


Chapitre iii. — Plus les parties sont douées de sensibilité, plus les nerfs sont volumineux et mous ; au contraire, plus leurs mouvements sont nombreux et violents, plus les nerfs doivent être volumineux et durs. — Exemples tirés des yeux, de la langue, des oreilles, du nez (cf. VIII, vi). — Considérations particulières sur l’origine et la structure des nerfs optiques. — Que toutes les parties situées au-dessous de la tête devant recevoir des nerfs de la moelle et non du cerveau, il n’y a d’exception que pour les viscères et pour les organes de la voix.


Maintenant il convient d’entrer avec vous dans les détails. Comme il existe une grande variété dans la nature, la situation et les fonctions des parties, le mieux était que les parties destinées nécessairement à être plus sensibles que les autres reçussent de l’encéphale un nerf à la fois plus volumineux et plus mou ; tandis que les parties destinées à des mouvements nombreux et violents, exigeaient aussi un nerf plus volumineux, mais plus dur. C’est pourquoi la nature paraît observer si scrupuleusement cette loi dans toutes les parties, que jamais elle n’aurait ni un nerf petit ou dur à la partie qui doit être le siége d’une sensation plus parfaite, ni un grand nerf à celle qui n’a pas plus besoin de sensations que de mouvements énergiques, ni un nerf mou à celles dont l’utilité réside dans la vigueur du mouvement.

À chacun des yeux s’insère un nerf plus gros qu’à aucune des parties les plus volumineuses. On ne saurait non plus voir ailleurs un nerf plus mou, attendu que les yeux seuls, bien que ce soient des organes très-petits, exigeaient, vu l’importance de leur utilité, les nerfs les plus considérables et les plus mous. En effet, de tous les sens l’œil est le plus subtil et le plus parfait ; il apprécie de loin la plupart et les plus importantes des qualités inhérentes aux corps, la couleur et la grandeur, la forme, le mouvement, la situation, et en même temps la distance qui les sépare de l’œil du spectateur. Supposez des grains de millet répandus à terre en grand nombre, ou quelque autre corps plus petit encore, si vous pouvez d’abord distinguer exactement la position de chacun d’eux, puis les autres circonstances énumérées plus haut, vous admirerez, je pense, la perfection de ce sens, et la multitude de services qu’il rend aux animaux. En effet, supprimez ce sens et vous ne pouvez plus ni compter les grains de millet, ni distinguer leur couleur ou leur substance. Il discerne parmi les corps éloignés ceux qui se meuvent et ceux qui sont fixes, comment ils sont attachés entre eux ou écartés les uns des autres. Comme la sensation consiste dans l’affection (ἐκ τῷ πάσχειν, l’impression éprouvée), et le mouvement qui meut les nerfs avec les muscles dans l’action (ἐκ τῷ ποιεῖν), c’est avec raison que le nerf mou a été inséré dans l’œil, premier organe de la vision, et le nerf dur aux muscles qui le meuvent. — De la même façon la langue, partie également petite, a reçu de la nature les deux espèces de nerfs, le mou pour apprécier les saveurs, le dur parce qu’elle doit exécuter des mouvements nombreux et variés. — La nature a conduit à chaque oreille (oreille interne) un nerf mou, et elle a amené aussi des nerfs durs à ces mêmes oreilles (pavillon) destinées à se mouvoir. — Le nez a reçu des nerfs mous ainsi que les dents et tout le palais. En effet, ces parties avaient besoin d’une sensibilité exquise.

Mais si vous comparez ces nerfs mous à ceux de l’œil, ils vous paraîtront tout à fait durs et petits. En effet, outre toutes leurs propriétés déjà énoncées, les nerfs de la vision ont encore des conduits visibles, et c’est en vue de ces conduits qu’ils ont été créés épais. Mais vous ne pouvez dignement admirer la nature en ce qui concerne la structure de ces nerfs, si vous ignorez comment nous voyons. Si donc vous voulez à loisir vérifier les démonstrations que j’ai données ailleurs dans le treizième livre du traité De la démonstration[2], livre dans lequel j’ai prouvé que l’organe de la vision renferme un pneuma lumineux qui émane continuellement de l’encéphale, vous admirerez la structure des nerfs optiques intérieurement creux pour recevoir ce pneuma, et, par le même motif, remontant jusqu’à la cavité même de l’encéphale (cf. VIII, vi ; t. I, p. 544). En effet les nerfs optiques naissent à l’endroit où les deux ventricules antérieurs se terminent sur les côtés, et c’est à cause de ces nerfs qu’existe cette espèce de couche des ventricules. Les anatomistes ont méconnu cette œuvre admirable de la nature parce qu’ils n’ont ni examiné les extrémités des ventricules, ni distingué pourquoi ils avaient été ainsi conformés, ni vu que les origines des nerfs optiques se rattachent aux extrémités des ventricules (voy. VIII, vi, et Dissert. sur l’anat.). C’est pour ce motif que les nerfs des yeux sont à la fois creux, très-grands et très-mous, tandis que les autres sens ont aussi des nerfs grands et mous.

Les mains et les pieds diffèrent complétement des susdites parties pour la fonction, la substance et la manière d’être ; en effet, leurs actions s’exécutent avec force et vigueur, leur substance est dure ; ils sont très-éloignés de la tête. Aussi l’encéphale n’envoie pas de nerfs aux parties que nous venons de nommer, non plus qu’aux membres tout entiers ; c’est de la moelle épinière seule que les bras et les jambes reçoivent des nerfs durs. Toutes les autres parties situées au-dessous de la face reçoivent leurs nerfs de la moelle épinière, excepté les intestins et les viscères, excepté aussi les organes de la voix, quelques-uns de tous ces organes devant être entièrement rattachés à l’encéphale ; d’autres encore qui avaient uniquement besoin de sensation ont participé aux mêmes nerfs, parce qu’ils étaient situés dans leur voisinage. Il était nécessaire, en effet, qu’il vînt des nerfs au cœur et au foie, puisqu’il fallait absolument que les principes des facultés qui régissent l’animal fussent rattachés ensemble, ainsi que nous l’avons démontré dans notre traité Sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon (voy. Dissert. sur la physiol.). Il en fallait à l’estomac et surtout à son orifice, parce qu’il avait besoin, nous l’avons démontré (VI, vi ; IX, xi, t. 1, p. 397, 591 ; cf. aussi IV, vii, p. 286 suiv.), d’une sensation plus précise.

La voix étant la plus importante de toutes les opérations psychiques, puisqu’elle énonce les pensées de l’âme rationnelle, il fallait qu’elle aussi fût produite par des organes qui reçoivent des nerfs de l’encéphale. C’est pour ces organes surtout que des nerfs issus de l’encéphale se prolongent loin de leur principe (cf. VII, xiv ; t. I, p. 497). Avec eux, comme nous l’avons dit, de petites ramifications se distribuent sur les intestins, les reins, la rate, le poumon et l’œsophage. Nous parlerons de ces nerfs un peu plus loin (chap. v, p. 171).


Chapitre iv. — Origine et insertion des nerfs qui se distribuent aux muscles du larynx. — Des nerfs récurrents en particulier, de leur origine, de leurs rapports, avec les vaisseaux. — Nouvelles extases de Galien sur la flexion de ces nerfs.


Parlons maintenant des parties pour lesquelles les nerfs descendent particulièrement de l’encéphale, en commençant par les organes de la voix. Ici le raisonnement a pour base notre traité Sur la voix (voy. p. 380, note 2 ; cf. aussi VII, v, xi à xv). Au commencement du présent ouvrage (voy. I, viii ; t. I, p. 122) nous avons prouvé qu’on ne peut déterminer l’utilité d’aucune partie avant de connaître la fonction de tout l’organe. Ainsi, puisque le larynx, le premier et le plus important organe de la voix (cf. VII, v, p. 465), est composé de trois cartilages, qu’il a à son centre l’épiglotte et qu’il possède vingt muscles pour le faire fonctionner, vous devez examiner comment la nature a distribué à tous ces muscles des nerfs issus de l’encéphale. De ces muscles les uns ont une position plutôt transversale, d’autres une position oblique, ceux-ci une position rectiligne, et parmi ces derniers tous n’ont même pas une position semblable (voy. VII, xi, xii). Les uns, dérivant des parties supérieures, mettent en mouvement par leurs extrémités inférieures quelques-unes des parties du larynx ; d’autres, en sens inverse, ont leur origine au-dessous du larynx et agissent par leurs extrémités supérieures. Il était juste, je pense, qu’un nerf vînt d’en haut aux muscles qui descendent, que les muscles qui remontent des parties inférieures y trouvassent aussi le principe de leurs nerfs, enfin qu’aux muscles transverses ou obliques il fût attribué un principe de nerfs en rapport avec leur position. Du reste, dans notre traité Sur la voix, nous avons démontré que les muscles qui viennent de l’os hyoïde pour aboutir au cartilage thyréoïde , ainsi que ceux qui des deux cartilages (cricoïde et thyréoïde) vont au sternum sont des muscles descendants, et qu’au contraire les muscles moteurs de l’aryténoïde sont des muscles remontants. Nous disions donc qu’il y avait précisément quatre muscles droits, deux muscles inclinés obliquement, et que les muscles rattachant les extrémités inférieures du cartilage thyréoïde au cartilage innommé (cricoïde) étaient légèrement obliques. Nous disions de plus que les muscles qui rattachent à l’œsophage le plus grand des trois cartilages (thyréoïde) ont les fibres transverses inclinées obliquement, les unes plus, les autres moins.

À ces muscles (rien ne nous empêche de commencer par là) la nature envoie de la sixième paire de nerfs (9e, 10e, 11e des mod.) deux rameaux ; l’un aboutit au sommet du cartilage thyréoïde et pénètre dans l’intérieur même du larynx ; l’autre va aux muscles obliques et latéraux (crico-thyréoïdiens) et envoie aussi des filets terminaux dans les muscles qui s’étendent jusqu’au sternum (sterno-thyréoïdiens). Ce sont donc deux paires de nerfs communs (laryngés supérieurs[3] fournis par le pneumo-gastrique) dirigés obliquement. Une troisième paire de nerfs qui aboutit aux muscles releveurs du cartilage thyréoïde (hyo-thyréoïdiens) avait besoin d’un point de départ plus élevé ; aussi n’était-il pas possible de prendre ce point de départ sur la sixième paire quand elle se rend à l’estomac. Mais la nature a trouvé le moyen d’insérer sur ces muscles un nerf qui descend directement de haut en bas de l’encéphale.

Ces nerfs se dispersent de chaque côté sur tout le larynx, l’un à droite, l’autre à gauche. De plus, l’extrémité de ces nerfs s’insère sur les muscles qui de l’os hyoïde descendent au sternum (sterno-hyoidiens) ; parfois même elle s’étend aux muscles moins élevés qui, disions-nous, dérivent du cartilage thyréoïde (sterno-thyréoïdiens), comme aussi parfois des nerfs de la sixième paire s’insèrent sur les muscles plus élevés (sterno-hyoïdiens). Chez tous les animaux ces muscles reçoivent leurs nerfs de ces paires seulement, parce qu’ils ont besoin de nerfs qui en descendant de l’encéphale aient une position déclive et servent à la voix. Telles sont les dispositions équitables et ingénieuses prises par la nature.

Pour les trois autres paires de muscles du larynx (thyréo-arytènoïdiens, crico-aryténoïdiens et aryténoïdiens), très-nécessaires, nous l’avons démontré (voy. VII, xii ; t. I, p. 491), à la production de la voix, et ayant une position droite telle que leurs têtes sont en bas et leurs extrémités en haut, il fallait leur envoyer des nerfs de la partie inférieure. Or, l’encéphale n’existant pas dans cette partie, il eût fallu leur envoyer des nerfs tirés de la moelle du dos et encore des parties inférieures, de telle sorte que la nature, si équitable, aurait été contrainte de commettre une injustice envers les seuls organes si importants de la voix, en ne leur fournissant des nerfs, ni de l’encéphale, ni au moins des premières parties de la moelle. Voyons donc comment elle a parfaitement pourvu à ces deux résultats : obtenir ce qui était nécessaire à l’action, et ne pas porter préjudice aux muscles en leur fournissant des nerfs d’un rang moins élevé qu’il ne fallait. Elle a en conséquence décidé de leur fournir des nerfs issus de l’encéphale, comme le sont les autres nerfs précités, et elle les a tirés de la sixième paire, laquelle devait fournir des rameaux au cœur, à l’estomac et au foie ; mais elle leur a fait exécuter la double course (le diaule, δίαυλον), en les amenant d’abord aux parties situées au-dessous du larynx, puis en les faisant remonter à leurs muscles principaux (nerfs laryngés récurrents, voy. VII, xiv et xv, et les fig., pp. 501 et 505). Or ces nerfs ne pouvaient revenir sur leurs pas sans faire une courbe. La nature a donc dû chercher pour eux une sorte de borne autour de laquelle elle les enroulât, les arrêtant dans leur marche vers les parties inférieures et faisant de cette borne le point de départ de leur retour au larynx. Il fallait, en conséquence, qu’il existât quelque part un corps solide dans une position transversale ou tout au moins oblique ; car, les nerfs marchant d’abord de haut en bas, ne pouvaient revenir sur leurs pas sans se replier autour d’un semblable corps. Mais, comme il n’en existait aucun de ce genre dans tout le cou, la nature a été obligée d’amener au thorax la paire de nerfs, et là d’y chercher le moyen de flexion. Aussitôt qu’elle l’eut trouvé, elle fit passer les paires de nerfs autour de cette borne et les ramena le long du cou au larynx. Elle n’a pas, il est vrai, donné la même flexion à chacune des deux paires, et elle semblerait avoir oublié l’équité en donnant à des nerfs égaux une position inégale. Il est, en effet, une des deux paires qu’elle a fait descendre dans le thorax à une distance considérable, tandis qu’elle ramenait l’autre presque immédiatement au cou (à gauche, le récurrent embrasse la crosse de l’aorte, à droite l’artère sous-clavière). Quelle est la cause de cette distinction ? Ce n’est pas la différence des nerfs, puisqu’ils sont égaux de tout point, mais la structure même des régions qu’ils traversent : dans la cavité gauche du thorax, la grande artère, qui, disions-nous (VI, v et xiv ; t. I, pp. 394 et 431), sort du cœur comme un vaste tronc, remonte d’abord obliquement (crosse de l’aorte), puis se divisant tout à coup, s’appuie par sa partie la plus volumineuse sur le rachis (aorte descendante) ; par l’autre, la moins considérable, elle se dirige vers la clavicule (aorte ascendante) ; là, d’une part elle distribue une de ses branches dans l’épaule, le bras, la portion gauche du cou, et dans toutes les autres parties situées de ce côté ; d’une autre part, elle remonte vers le sternum et là se partage de nouveau en deux branches inégales : l’une à gauche, moindre, qui forme l’artère carotide gauche ; l’autre à droite (tronc brachio-céphalique), plus forte, remonte obliquement et produit, après s’être avancée un peu, de nombreuses ramifications. En effet, une artère se porte vers les parties élevées du thorax (artère intercostale infér.). Une autre, le long du sternum, descend à la mamelle droite (mammaire interne) ; avant celles-ci la carotide droite se détache en remontant, puis le reste de l’artère, se dirigeant obliquement vers la naissance de la première côte, se distribue dans l’épaule, le bras et les parties droites du cou (artère sous-clavière droite).

La différence entre la partie droite et la partie gauche du thorax étant telle, rappelons-nous qu’avec les artères carotides descendent l’un et l’autre nerf (pneumo-gastriques), maintenus fortement en place par les parties voisines et par des membranes communes. Il était donc nécessaire d’amener l’un et l’autre nerf à l’endroit où naissent d’abord l’une et l’autre artère dont j’ai parlé tout à l’heure, puis de ces nerfs d’en détacher une partie qui devait revenir au larynx ; mais comme il faut que les nerfs changent leur direction descendante contre une direction ascendante, ils ont nécessairement besoin de flexion.

Quel est donc pour l’un et l’autre nerf le meilleur mode de flexion ? Le nerf gauche ne pouvait se replier à l’endroit où naît la carotide ; car la partie de la grande artère qui remonte vers le sternum et de laquelle se détache la carotide, est à peu près perpendiculaire ou n’a qu’une légère inclinaison vers la droite du thorax. L’autre branche de l’artère ascendante, branche qui se porte vers l’épaule gauche et le bras (sous-clavière), a aussi une position presque semblable ; car elle est à peu près entièrement perpendiculaire, ne faisant que pencher légèrement vers la gauche. Il ne reste donc plus au nerf d’autre moyen de flexion que le tronc même de la grande artère, admirablement disposé, non-seulement par sa grandeur, mais encore par sa force et sa position, pour l’utilité du nerf. C’est donc cette artère que la nature a choisie, et enroulant à sa base le rameau de la sixième paire, elle l’applique pendant son ascension sur la trachée-artère, en sorte que, porté sur celle-ci, il remonte en toute sécurité vers le larynx. Dans les parties droites du thorax il n’y avait aucun moyen semblable de flexion. Ne cherchez donc point une flexion qui n’existe pas, et n’accusez pas la nature qui a imaginé pour l’un et pour l’autre nerf des flexions différentes ; mais examinez s’il était possible de trouver dans la partie gauche du thorax une flexion préférable à celle que nous indiquons. Vous n’en trouverez pas une autre qui lui soit préférable, de même que vous ne pourrez découvrir dans la partie droite une autre préférable à celle qu’a imaginée la nature.

Quel est donc à droite ce mode de flexion ? Il est difficile d’expliquer par des mots un art si prodigieux. On ne saurait se faire une idée des moyens ingénieux créés par la nature pour arriver à cette flexion, et, sans le témoignage des yeux, on croirait que celui qui l’explique est dans la fiction plutôt que dans la réalité. Cependant, comme j’ai exposé les autres questions à l’aide de la parole, je ne veux pas reculer devant cette explication.

Rappelez-vous cette artère de la cavité droite du thorax dont je parlais plus haut (tronc brachio-céphalique) : sa position est oblique, elle engendre d’abord la carotide qui a une direction ascendante ; puis elle arrive obliquement par son autre partie à la première côte ; considérez alors si pour la flexion du nerf droit descendu à travers le cou tout entier et adhérant à la carotide jusqu à l’endroit où elle se détache du tronc, vous pouvez indiquer une région préférable à celle que la nature a trouvée. En effet, à l’endroit où, après la naissance de la carotide, l’artère (sous-clavière) se détache et marche obliquement, à cet endroit seulement il était possible, et nécessaire, bien qu’il y eût du danger à cela, de replier le nerf ; car s’il existait une autre région préférable à celle-ci, la nature eût mieux fait de s’adresser à elle en délaissant la première. En réalité, comme il n’y en a aucune autre, et que dans la partie droite du thorax la flexion dont il s’agit n’est possible que là où nous avons dit, la nature, il est vrai, en reconnaît les dangers, mais contrainte par la nécessité, elle a mis en œuvre tous les moyens capables d’assurer au nerf le degré de sécurité qu’il était possible de lui donner. D’abord elle a détaché du grand nerf (pneumo-gastrique) le nerf récurrent à l’endroit où il touche l’artère droite (sous-clavière droite), puis le plaçant sur le dos de cette artère, elle l’a fléchi au niveau de l’angle qui se produit à la naissance de la carotide ; car elle a conduit ce nerf à la partie externe de ce vaisseau, puis l’enroulant autour du tronc le plus volumineux (tronc brachio-céphalique), à l’angle que font les deux vaisseaux, elle commence à le faire remonter de cet endroit le long des parties internes de la carotide, le plaçant sur le côté droit de la trachée-artère. Quand il remonte après la flexion, la nature lui offre, comme une main pour le soutenir, une ramification de la sixième paire, ramification qui, en le rattachant au grand nerf, lui procure sécurité à la fois dans sa flexion et dans son ascension. De chaque coté, à droite et à gauche, la flexion est protégée par des ramifications de la sixième paire, celles-là même qu’elle détache dans cette région (? — nerfs cardiaques, — voy, t. I, p. 507-8). De retour dans le larynx lui-même, les nerfs dont il est question dans tout ce discours se mêlent aux nerfs dont j’ai parlé plus haut (nerfs laryngés inférieurs), lesquels issus, disions-nous, de la sixième paire, vont au fond du larynx. Il y a rencontre des nerfs récurrents avec ces derniers chez tous les animaux que j’ai observés ; c’est ce qu’on peut voir de la manière la plus manifeste chez les ours, les chiens, les bœufs et autres animaux semblables, la nature prêtant force et vigueur aux deux espèces de nerfs par leur union mutuelle. Nous avons déjà dit précédemment que l’entrelacement[4] des corps faibles entre eux contribue à leur force (cf. IX, xi, t. I, p. 591-2).


Chapitre v. — Des nerfs fournis aux viscères par le pneumo-gastrique et par le grand sympathique. — Mention des ganglions nerveux.


Nous avons précédemment (IV, vii, xiii ; V, viii-x ; VI, iii, vi ; VII, viii ; IX, xi ; t. I, pp. 287, 313, 359 suiv., 385, 397, 446, 589) dit quelque chose des nerfs qui arrivent aux viscères et aux intestins ; mais il faut ajouter ce qui manque à nos explications. Les intestins reçoivent une portion des nerfs de l’encéphale, petite dans toutes les autres parties, considérable à l’orifice de l’estomac, parce que la nature en a fait l’organe d’appétence des aliments (cf. IX, xi ; t. I, p. 591), attendu qu’il est pour ainsi dire préposé à la porte (cf. IV, ii ; t. I, p. 280) de tous les organes disposés par elle pour la distribution des aliments. Elle a donc fait descendre des régions supérieures ce nerf pur et exempt de mélange avec un autre nerf dur, distribuant chemin faisant une faible portion de ce nerf à l’œsophage, au poumon et à la trachée-artère. Elle a, pour les raisons précédemment énoncées, tiré de la même paire des nerfs purs destinés au foie et au cœur. Tous les autres organes situés au-dessous du diaphragme dans l’intérieur du péritoine, reçoivent aussi une partie de ces nerfs, non plus pure, mais mêlée à ceux de la moelle[5]. En effet, les nerfs qui longent les racines des côtes en reçoivent aussi de la moelle épinière thoracique, et après le thorax des deux ou trois [premières] vertèbres [lombaires].

Ces nerfs, en avançant, se mêlent avec le reste de ceux qui descendent au ventre (pneumo-gastrique), lesquels aussi s’unissent, de leur côté, à des nerfs venus de la moelle. Ce mélange fournit des nerfs à presque tous les organes situés à l’intérieur du péritoine, lesquels tirent force et vigueur du mélange des nerfs venus de l’épine, et, des nerfs venus de l’encéphale, une sensation exquise, supérieure à celle des autres parties.

Il existe encore une autre disposition admirable de la nature, que ne connaissent pas les anatomistes. Quand elle doit conduire un nerf par un long trajet, ou l’employer au violent mouvement d’un muscle, elle entrecoupe sa substance d’un corps plus épais, mais, du reste, semblable. Vous croiriez, en effet, voir un nerf s’enrouler sur lui-même ; il vous semblera, au premier aspect, surajouté et développé autour de ces nerfs ; puis, en disséquant et en examinant avec soin, vous trouverez que ce n’est pas un corps surajouté ni développé autour du nerf, mais une certaine substance semblable aux nerfs, unie de tout point et parfaitement identique à la partie du nerf qui vient à elle et qui lui fait suite. Cette substance, semblable à ce qu’on appelle ganglion[6], a pour but de renforcer, d’épaissir les cordons nerveux, en sorte que la portion du nerf qui lui fait suite paraît évidemment d’un diamètre supérieur à celui qui la précède. Vous verrez que cette substance existe dans certaines autres parties, et, dans ces nerfs descendus de l’encéphale, vous la rencontrerez, non pas une fois ou deux, mais six fois : la première dans le cou, un peu au-dessus du larynx (ganglion cervical supérieur) ; la deuxième, quand ces nerfs entrent dans le thorax (ganglion cervical inférieur), pour aller aux racines des côtes ; en troisième lieu, au moment où ils sortent du thorax (ganglion semi-lunaire). Puisqu’un corps semblable se trouve trois fois dans l’un et l’autre côté de l’animal, c’est-à-dire à droite et à gauche, nous avons dit avec raison qu’on l’y rencontrait six fois. Nous avons suffisamment parlé de ces nerfs.


Chapitre vi. — Du nerf spinal et du nerf glosso-pharyngien. — Des nerfs de la partie postérieure du cou, de la tête, des oreilles, du temporal et du peaucier dans les diverses classes d’animaux. — Admirables dispositions prises par la nature pour la distribution de tous ces nerfs, et particulièrement pour ceux du peaucier à la région cervicale. — Que la nature a toujours établi un rapport entre le trajet des nerfs et les mouvements des muscles.


Continuons de suivre la distribution des autres nerfs qui sortent de l’encéphale et qui descendent au cou et aux épaules. La nature aurait pu employer la moelle du cou à produire tous les nerfs de cette région ; et ce n’est pas par oubli qu’elle les a fait inutilement venir de loin (c’est-à-dire du cerveau) ; mais elle les insère sur ceux des muscles qui, à la fois, ont une position élevée et tirent l’omoplate du côté de la tête. C’est donc sur les premiers muscles déjà mentionnés de l’omoplate, muscles larges qui commencent à l’occiput et se terminent à l’épine de l’omoplate (trapèze), que s’insère un nerf considérable (spinal), naissant de l’encéphale avec tous ceux qui, disions-nous (IX, xi, t. I, p. 589), font partie de la sixième paire. Ces nerfs (les deux nerfs spinaux) descendent vers le même point pour diverses utilités que je viens de signaler. Ils se portent vers les côtés du cou, se dirigeant, suspendus dans cette région, jusqu’au muscle vers lequel ils tendaient dès l’origine. Ces muscles, en effet, recoivent un nerf très-fort, non-seulement à cause de leur grandeur, mais aussi à cause de la puissance de leur action, puisqu’ils tirent en haut l’omoplate. Après ces muscles, des nerfs importants ont été donnés par la nature aux muscles issus de la première vertèbre et insérés sur la partie élevée de l’omoplate (voy. XII, viii, p. 24 et note 1) ; car ces muscles ont un mouvement puissant. Les muscles qui impriment à la tête un mouvement de rotation, muscles dont les extrémités aboutissent au sternum et à la clavicule (sterno-cléido-mastoïdiens), sont pourvus de plusieurs principes [de nerfs], attendu que leur mouvement est composé et s’accomplit par des fibres droites placées à la suite les unes des autres. C’est pourquoi, dès leur sortie du crâne, les nerfs (rameaux de la branche externe du spinal) qui se rendent aux grands muscles de l’une et l’autre omoplate (trapèzes), envoient des rameaux dans ces muscles (sterno-cléido-mastoïdiens) ; puis il vient d’autres rameaux à travers les vertèbres du cou (rameaux des 2e et 3e paires cervicales), afin que chacun des principes tirant à lui, le muscle exécute tour à tour un mouvement varié. Il arrive ainsi nécessairement que les muscles situés obliquement ont les principes de leurs mouvements établis dans des régions différentes. C’est encore pour cette raison que les parties supérieures de ces muscles reçoivent quelques ramifications des nerfs venus d’en haut. C’est ainsi enfin que les deux muscles voisins des amygdales (voy. Dissertation sur l’anatomie), que, chez les animaux doués d’une forte voix, les muscles insérés sur le bord inférieur de l’os hyoïde (sterno-hyoïdiens), et que les muscles qui, chez certains animaux, se fixent aux parties supérieures des côtes (cornes) du premier cartilage (thyréoide, — voy. même dissertation), reçoivent un nerf de l’encéphale parce qu’ils servent à la formation de la voix. De plus, une autre paire de nerfs minces (glosso-pharyngiens), vient à la racine de la langue, nerfs très-visibles chez les animaux chez lesquels les muscles indiqués plus haut sont très-petits[7]. Cette paire de nerfs se détache au niveau de la paire désignée comme la sixième par Marinus ; elle existe chez tous les animaux voisins de l’homme, mais elle s’y comporte différemment, comme nous l’avons dit. En effet, chez les animaux doués d’une forte voix ou destinés à mordre, les susdits nerfs, vu la grandeur des muscles attachés à l’os hyoïde, vont se perdre dans ces muscles ; dans les autres, ils s’épuisent plutôt au pharynx ou à la racine de la langue.

Parmi les nerfs durs issus de l’encéphale, aucun autre ne descend plus bas que la face ; tous se distribuent, soit dans les muscles de la face, soit dans les organes des sens. Nous avons parlé précédemment de leur distribution (cf. les livres VIII, IX, X et XI). Il est superflu de la rappeler actuellement ; mieux vaut passer à la moelle du cou, en montrant de quelle façon la nature accomplit une distribution très-équitable des nerfs de cette région. Ainsi de même qu’elle a distribué à plusieurs parties, situées au-dessous de la face, une portion d’un nerf de l’encéphale, de même elle fait remonter, non pas en vain, mais pour les usages que j’ai indiqués plus haut, à la tête, une portion des nerfs issus de la moelle, portion considérable chez les animaux pourvus d’un temporal très-fort, d’oreilles grandes, ayant un mouvement facile et varié ; portion, au contraire, excessivement petite chez les animaux tels que l’homme et le singe qui n’ont rien de tout cela. Chez ceux-ci, en effet, le muscle temporal est peu développé et les oreilles passeront pour immobiles, si on ne tient pas compte d’un mouvement excessivement petit (voy. XI, xii, t. I, p. 682 et Hoffm., l. l., p. 351). C’est pour cela que, chez ces animaux, il ne remonte à la tête que de petits nerfs, deux aux parties postérieures, deux aux parties latérales, se distribuant au derme et à chacune des oreilles. Comme chez eux il n’existe autour de l’oreille que des linéaments de muscles, il n’arrive à cette région que des nerfs très-petits. Chez les animaux pourvus d’oreilles grandes et très-mobiles, cet organe étant en quelque sorte couronné circulairement de muscles nombreux, il l’est aussi de grands nerfs qui s’y distribuent. Ceux-ci se détachent de la seconde paire cervicale ; car les nerfs devant se rendre sur la tête même des muscles, il a fallu que ceux-ci s’élevassent d’une région inférieure.

C’est encore avec raison que sur le muscle temporal (la nature, en effet, a placé la tête de ce muscle près de la région occipitale chez les animaux où il est considérable) vient s’insérer une portion du nerf qui remonte du cou par la région occipitale. La tête du muscle temporal est ainsi disposée, surtout chez les animaux dits carnassiers, puis chez ceux qui ont une grande mâchoire. La nature, en effet, a créé le muscle temporal puissant chez ces animaux qui avaient besoin d’un muscle fort, les uns pour mordre vigoureusement, les autres pour supporter leur mâchoire.

Le muscle mince et large (peaucier, cf. IX, xv ; XI, xv ; t. I, p. 600 et 691) qui meut les joues avec les coins de la bouche, muscle que nos prédécesseurs détruisaient en l’enlevant avec le derme, manifeste aussi l’art admirable de la nature. Comme ce muscle a des principes nombreux, qu’il se termine aux joues et aux lèvres, et qu’il entr’ouvre la bouche aux coins, il a, en conséquence toutes ses fibres, et avec elles ses nerfs, dirigés vers ces parties. Ainsi donc, avec les fibres issues de l’épine des vertèbres du cou, les nerfs se dirigent à travers le cou jusqu’aux partes antérieures, nerfs transverses très-forts et nombreux, parce que le ligament membraneux (ligament et aponévrose cervicales ; cf. XII, xv ; XIII, iv, p. 61 et suiv.) qui renferme les fibres (c’est-à-dire d’où les fibres musculaires procèdent) dérive de l’épine, et que le principe le plus important du muscle se trouve dans cette région. Les nerfs de la partie du muscle qui remonte de l’omoplate et de la clavicule sont moins forts ; ils suivent, eux aussi, la même route que les fibres. Une seule branche de nerfs existant dans chacune des vertèbres du cou, et cette branche ayant sa racine dirigée transversalement, il est admirable de voir comment, sur toutes les fibres du muscle qui recouvre les parties situées en avant de l’origine de cette branche, vont s’insérer les nerfs, lesquels, dans leur marche ascendante, exécutent des courbes ingénieusement inventées par la nature, les unes autour de muscles, d’artères, de veines, d’autres à travers des membranes percées de trous étroits et égaux au diamètre des nerfs. Sur les fibres obliques, les nerfs obliques s’insèrent plus aisément. Pour celles qui naissent de l’épine à la partie postérieure, l’œuvre de la nature excite encore une plus vive admiration. En effet, ces nerfs devaient quitter l’épine de concert avec les fibres ; or c’est ce qui existe effectivement. En les examinant, on croirait qu’ils dérivent des os mêmes de l’épine, mais il n’en est pas ainsi, car la moelle cervicale est le principe de ces nerfs, qu’elle fait sortir par les trous communs des vertèbres, trous situés latéralement (trous de conjugaison) ; attendu que pour les nerfs issus de la moelle, il existe un point de départ de cette espèce de chacun des deux côtés de chaque vertèbre. La nature distribue merveilleusement ces nerfs, aussitôt leur sortie, le long des apophyses [transverses], ramenant les nerfs transverses à la partie antérieure et postérieure du cou, imprimant certaines flexions aux autres, qui sont droits, déclives ou obliques.

Cette variété se rencontre dans certaines productions de nerfs ; mais une dissection soigneuse la rend plus admirable encore et plus surprenante pour les nerfs issus du rachis : aussi cette œuvre, une des plus importantes de la nature, est inconnue de ceux qui paraissent les plus habiles à disséquer. En effet, ne connaissant pas du tout ce muscle (le peaucier), ils connaissent beaucoup moins encore les nerfs qui s’y insèrent. La nature prenant une ramification (branche postérieure) à chacune de toutes les paires de nerfs cervicales, la première et la seconde exceptées, elle dirige cette ramification transversalement par la région profonde jusqu’à la racine de l’épine (apophyses épineuses) ; de là elle l’élève à l’aide de cette épine jusqu’au ligament cité plus haut, mince et large comme une membrane (p. 176, l. 3 et suiv.) ; puis, perçant cette membrane mince de trous très-étroits en rapport avec le volume des nerfs, elle ramène ces nerfs à la partie antérieure à travers le cou. Enlevez les muscles intermédiaires, vous verrez que chaque branche de nerfs, immédiatement après être sortie de la moelle, se dirige d’abord transversalement en arrière sur les muscles profonds du cou, qu’elle revient en avant se placer superficiellement sous le derme, tout en conservant sa position transverse ; qu’elle chemine alors sur le ligament large (car la nature s’en sert pour toutes sortes d’offices), dont elle traverse les trous quand commence leur retour ; après cela ces nerfs adhèrent à cette membrane, sont portés et conduits par elle. Toutes les autres parties de ce muscle large et mince qui existe de chaque côté sont ainsi tapissées de nerfs. Les parties du peaucier qui, de la racine des oreilles vont par-dessus les joues portées sur le muscle masséter lui-même, se servent des nerfs issus du trou borgne (branches du facial) ; ces nerfs ont une direction semblable à celle que les fibres affectent dans cette partie, et un principe plus proche. Cette œuvre merveilleuse de la nature a été ignorée des anatomistes, comme beaucoup d’autres dispositions parfaites imaginées dans la structure de l’animal. Ainsi, les trois paires de muscles qui relèvent en arrière le cou et la tête, les quatre autres qui à l’articulation même de la tête avec la première et la deuxième vertèbre, meuvent en arrière la tête seule sans le cou (voy. XII, viii), et quelques autres situées de chaque côté, ont été ignorées des médecins.

La nature, comme je l’ai démontré, n’a fait inutilement aucune de ces choses ; elle a créé la moelle comme principe des nerfs qui meuvent tous les muscles cités, adaptant le trajet de chaque nerf aux mouvements des muscles. C’est une règle qu’elle observe également dans tout l’animal. De même, en effet, que pour les muscles du cou, le trajet s’opère de bas en haut, parce que ces muscles meuvent la tête en avant, de même aussi les deux muscles chargés de ramener en arrière l’omoplate du côté du dos ont des nerfs dont le principe est établi dans la région de l’épine du rachis, et qui s’avancent en se divisant jusqu’à l’omoplate. La nature conduit les nerfs de ces muscles à travers une région assez profonde ; elle les insère sur les têtes de ces musoles en suivant le même trajet, et les élève plus haut et les ramène en suivant une position transverse. De même encore pour le grand muscle (grand dorsal) qui leur fait suite, et qui, adhérant à l’extrémité (angle) inférieure de l’omoplate, tire cette omoplate en bas par ces attaches, puis, remontant à travers l’aisselle, tire aussi le bras ; vous trouverez que tous les rameaux nerveux ont la même direction que les fibres, principalement lorsque ce muscle s’élève le long des côtes vers l’aisselle. Si, enlevant toute la peau du thorax, vous voulez examiner la marche des nerfs, vous verrez que, loin d’être simple et une, elle est très-variée. Les nerfs qui descendent d’en haut se distribuent dans le derme et les membranes. Quant aux muscles sous-jacents eux-mêmes, quant au muscle dont il est question et qui est un des plus considérables (grand dorsal) ; enfin, quant au muscle mince (peaucier), lequel vient après eux, et que les anatomistes n’ont pas connu non plus, aucune ramification de ces nerfs ne va s’y insérer en commettant une erreur ; on peut voir les nerfs marchant parallèlement et se distribuant de chaque côté dans les parties qui leur sont propres.


Chapitre vii. — De l’art de la nature dans la production et la distribution des nerfs du thorax et de l’épaule[8].


Vous verrez beaucoup d’autres muscles, dans le thorax comme dans le cou, qui reçoivent des nerfs, les uns descendant, les autres remontant. Les nerfs viennent se distribuer en se portant vers les extrémités des muscles, à l’endroit où ces muscles meuvent les parties. Le muscle qui des fausses côtes et de la région mammaire (grand pectoral) remonte à l’articulation de l’épaule, est, on peut le voir, très-proche du muscle qui descend du cou et qui dilate les parties antérieures du thorax ( sterno-cléido-mastoïdien) ; il en est de même du muscle situé aux parties concaves des omoplates (sous-scapulaire) ; comme aussi ceux qui du sternum se portent aux bras (pectoraux), sont très-proches du muscle cité précédemment. Ces muscles ascendants reçoivent des nerfs qui sortent des espaces intercostaux, et d’autres qui viennent, par des flexions obliques, de la région la plus reculée du cou, près des aponévroses. La moelle cervicale envoie des nerfs aux muscles qui descendent du cou sur le thorax. Ayant exposé assez, longuement, dans le traité Des causes de la respiration (ouvrage perdu) et dans le Manuel des dissections (VIII, iv suiv. et partie inédite), le trajet des nerfs aux muscles intercostaux, je pense qu’il est inutile d’expliquer de nouveau ici l’art de la nature, comme aussi de parler du trajet des nerfs qui vont au diaphragme, et que j’ai décrits dans le livre treizième (chap. v et ix). Mais il est nécessaire peut-être de ne pas omettre ce dont il n’a pas encore été parlé précédemment, et ce qui n’a pas une structure semblable aux parties sur lesquelles je viens de discourir.

Les muscles du sommet de l’épaule (deltoïde), qui élèvent le bras tout entier, ont besoin d’un nerf fort, puisqu’ils sont chargés de soulever une partie très-grande, et il faut aussi que ce nerf s’insère à la partie supérieure du muscle. D’où conduirons-nous donc dans ce muscle un nerf ainsi élevé ? Ce n’est ni de l’air ambiant ni de la tête, attendu que les muscles du cou, étant superficiels, rendraient son trajet peu sûr. Il n’était pas possible non plus de faire venir du cou, à travers les parties superficielles, dans un muscle élevé, un nerf couché sous la peau et oblique dans son trajet. Il me semble donc que par le raisonnement nous ne pouvons former aucun nerf convenable pour le muscle du sommet de l’épaule ; mais cela a été facilement exécuté par la nature, qui a tiré un nerf de la moelle (nerf circonflexe), entre la quatrième et la cinquième vertèbre du cou, et l’a conduit à la région externe et supérieure du sommet de l’épaule assez profondément, pour qu’il ne paraisse ni vers le col de l’omoplate ni vers l’articulation ; elle a ménagé aux deux divisions de ce nerf (branches collatér. et branches terminales) un trajet dans la partie la plus profonde de cette région, en conduisant l’une sur la partie supérieure du col de l’omoplate, et en faisant passer l’autre sous cette partie ; ensuite elle les courbe l’un et l’autre pour les ramifier dans les muscles qui élèvent le bras. C’est avec la même prévoyance et le même art que la nature a distribué les nerfs dans tous les autres muscles de l’omoplate.


Chapitre viii. — De la distribution des nerfs du bras, de l’avant-bras et de la main. — Différences que présentent sous ce rapport la jambe et le bras. — Considérations générales sur la protection que la nature a ménagée aux nerfs dans leur trajet à travers les membres.


Nous avons parlé plus haut (XIII, v, p. 63-7) des nerfs qui se rendent au bras ; nous avons dit d’où ils naissent et comment ils s’entrelacent. On a montré aussi que cet entrelacement existait en vue de la sûreté des nerfs, et que la nature le produit surtout pour les nerfs qui n’ont aucun soutien et qui parcourent un long trajet. On a dit encore (Manuel des dissections, III, v à vii ; Anatomie des vaisseaux, chap. iii, viii, ix) combien il était avantageux pour leur protection, aux artères, aux nerfs et aux veines qui se répandent dans les membres, de traverser la région intérieure de ces membres ; je serai donc bref sur la marche des nerfs dans le bras, et je reviendrai à la suite de mon discours. Les nerfs qui arrivent à la main sont en effet si habilement cachés, qu’ils ont échappé à la plupart des médecins ; ils cheminent à travers la région interne du bras pour se rendre à l’avant-bras, où ils sont profondément placés, en passant très-près de l’articulation du coude. Mais comme cette articulation est dépourvue de chairs et entièrement osseuse, ils couraient le danger, étant situés superficiellement sous la peau privée de muscles, d’avoir un trajet très-périlleux en s’appliquant sur les os, si la nature n’eût pas trouvé, comme elle l’a fait, pour les protéger, quelque sage moyen. Le nerf qui se distribue aux petits doigts (nerf cubital), elle l’a caché entre la tête interne de l’humérus, dont elle a augmenté le volume, et la gibbosité du coude ; le nerf qui va aux grands doigts (nerf médian), elle l’a logé au milieu de l’articulation, dans la partie la plus profonde, entre le radius et le cubitus. Ensuite, après les avoir enfouis tous deux sous les muscles internes (antérieurs) de l’avant-bras, muscles dont le volume est considérable, elle les fait arriver au carpe, et là elle commence à les diviser ; elle se sert des proéminences osseuses pour leur faire un abri ; elle les cache en même temps qu’elle les enroule autour de la base des os ; un troisième nerf (radial) a été dirigé sur les parties externes de l’avant-bras, où la nature se sert, pour le protéger, du muscle le plus charnu placé dans cette région (grand supinateur). C’est avec raison qu’elle a distribué les plus grands nerfs à la région interne, attendu que c’est là que se produisent toutes les fonctions les plus énergiques du bras.

La nature a déployé le même art pour les nerfs des jambes, en les cachant, tantôt derrière les proéminences osseuses, tantôt sous les grands muscles, envoyant la plus grande quantité de nerfs, soit aux grands muscles, soit à ceux qui sont chargés de fonctions énergiques, et une moindre quantité à ceux qui sont plus petits ou qui ont à remplir une fonction qui ne réclame aucune force. Telles sont les règles observées par la nature pour la construction des parties, non-seulement au bras, mais dans tout le reste du corps. Toutefois, la distribution des nerfs de la jambe dont je traite actuellement, diffère de celle des nerfs du bras, en ce que, pour le bras, les nerfs traversent tous la région interne du bras proprement dit, et que tous ne traversent pas la région interne pour la jambe ; car, à l’exception de quelques nerfs dont je parlerai plus loin, la totalité traverse les parties postérieures de la cuisse : et cela devait être nécessairement ainsi, à cause de la différence entre l’articulation de l’épaule et celle de la hanche. L’articulation de l’épaule est éloignée des vertèbres du cou, d’où procèdent les nerfs, tandis que celle de l’ischion est unie avec les vertèbres lombaires en même temps qu’avec l’os sacré, à travers lesquels les nerfs, groupés comme nous l’avons dit dans le Manuel des dissections (III, ix), se rendent dans les jambes. Comme, à la hanche, il n’existe aucune région intermédiaire analogue à ce qu’est l’aisselle pour le bras, la nature a été obligée de faire descendre aux jambes, par les parties postérieures de la cuisse, les nerfs issus des côtés de chacune des vertèbres. Trouvant à cet endroit des muscles considérables sous lesquels elle pouvait cacher les nerfs (plexus sacrégrand nerf sciatique) avant de les conduire à la jambe, c’est avec un art admirable qu’elle les fait passer entre la tête du fémur et l’os large, les cachant, soit sous cet os, soit sous le muscle qui recouvre en arrière l’articulation (grand fessier), et dont la situation et l’utilité ressemblent à celles du muscle de l’épaule (deltoïde). De là elle conduit avec sûreté les nerfs, par les régions profondes de la cuisse, jusqu’au jarret, distribuant un nerf à chacun des muscles de la cuisse, selon son importance. Puis, du jarret, par le mollet, qui est entièrement charnu, elle amène certains nerfs à la partie externe de la jambe (sciatique poplité externe), d’autres à la partie ipterne (sciat. popl. int.), distribuant encore d’autres branches par la région centrale aux muscles qui s’y trouvent (branches du popl. int.). Quant aux nerfs internes du mollet, elle les conduit, en les cachant le long du tibia et de l’astragale, jusqu’à la partie inférieure du pied (br. termin. du popl. int. : tibial post. et plantaires). Pour les nerfs externes, elle les conduit encore, le long du péroné et de l’astragale, aux parties antérieures et supérieures du pied (br. termin. du popl. ext. : musculo-cutané et tibial ant.). Si vous voulez vérifier notre énonciation par la dissection elle-même, le témoignage de vos yeux vous convaincra davantage et vous forcera d’admirer les œuvres de la nature (cf. II, vii, t. I, p. 185). [Vous verrez] pourquoi nulle part un nerf, s’il se dévie une seule fois de son chemin, n’ira pas se hasarder sur les aspérités du tibia ou du péroné, ou se porter sur les saillies de l’astragale et du talon, et comment, toujours caché sous les crêtes des os et s’enroulant à la base de leurs crêtes, il chemine sans danger. Jamais donc on ne trouve aucun nerf exposé, ni au coude, attendu que cette région est dépourvue de chair, ni au genou et aux parties antérieures du tibia ; mais partout vous les voyez situés profondément entre des remparts d’os, ou de cartilages, ou de ligaments, ou de chairs. Si j’envisageais sous ce rapport chaque nerf de chaque partie, je courrais risque de prolonger ce livre outre mesure. Il était donc suffisant de traiter ce sujet par catégories générales, surtout puisque, dans le Manuel des dissections, j’explique la structure de chacun des nerfs cités ; et loin d’empêcher l’ami de la vérité d’y recourir pour se rendre compte de chaque muscle et de chaque nerf, je l’y convie. De cette façon, il se convaincra davantage de la vérité de mes assertions.


Chapitre xi. — Suite du même sujet.


Il est temps d’arriver maintenant à ce qui nous reste à dire sur ce sujet. Les muscles issus des os du pubis (voy. XV, viii) ayant besoin de nerfs, il était nécessaire de leur en amener quelques-uns par les parties internes. Cela n’était pas possible pour tous, comme je l’ai dit un peu auparavant (chap. viii, p. 181), d’abord parce que la région d’où naissent les nerfs incline vers le côté externe ; secondement, et surtout, à cause de l’étroitesse du lieu. En effet, c’est entre la tête du fémur et les os du pubis que les nerfs descendus de la région supérieure (plexus lombaire) devaient effectuer leur trajet. Or, cette région est occupée par d’autres parties qui ne sauraient être transportées ailleurs. En effet, l’artère et la veine (artère et veine crurales) dérivées des grands vaisseaux lombaires (artère et veine iliaques) ne peuvent se diriger vers les jambes par un autre chemin ; en second lieu le muscle fléchisseur de l’articulation, lequel est inséré sur le petit trochanter (psoas-iliaque), et aussi, chez les mâles, le conduit (canal déférent) qui vient du péritoine avec son cortège de vaisseaux, doivent nécessairement s’acheminer par cette région. Puisque tous les nerfs ne pouvaient donc pas descendre dans les jambes à travers cette région, et que les muscles précités en avaient un besoin indispensable, tous ceux que réclament ces muscles seuls arrivent à leurs extrémités en traversant le grand trou de l’os pubis (nerf obturateur). À côté des vaisseaux descend aussi un nerf assez considérable (nerf crural) dans l’intérêt de ces vaisseaux et dans celui de la région qui s’étend jusqu’au genou et qui est très-éloignée du trajet des nerfs postérieurs. Ce nerf fournit des ramifications à tout le derme de cette région, comme les nerfs qui débouchent (plexus sacré et nerf sciatique) par les trous de l’os large (sacrum) en fournissent aux petits muscles de cette partie, à ceux de l’anus, de la vessie, des organes génitaux externes, aux membranes de cette région, à la vessie, à la matrice et au périnée. En effet, la nature aime, quand aucune autre utilité ne s’y oppose, à envoyer aux parties des nerfs, des veines et des artères tirés des régions voisines. Cette disposition même n’est pas moins digne de notre admiration. En effet, quand l’utilité l’exige, semblable à un bon ouvrier, elle n’hésite pas à les détacher de loin ; mais quand elle n’y rencontre aucun obstacle, elle les distribue aux organes en les tirant des parties les plus proches ; car elle a également soin de ne rien créer de défectueux ou de superflu. Si donc elle conduit par un long trajet seulement quatre artères et quatre veines (voy. p. 188 et 190) détachées d’autres régions, c’est en vue d’utilités indispensables que j’ai déjà exposées dans les livres précédents, et que je rappelle maintenant en reprenant l’exposition à son principe.


Chapitre x. — Origine, trajet et moyen de protection des artères sous-clavière et carotide primitive gauches, des artères intercostale inférieure, vertébrale et mammaire interne, de la veine cave, de la veine azygos, de l’œsophage. — Disposition des artères des viscères abdominaux et en particulier des reins ; artères spermatiques. — Branches postérieures de l’aorte descendante. — De la situation respective des artères et des veines dans la cavité abdominale et dans les jambes. — Des vaisseaux destinés aux organes génitaux, urinaires, intra et extra-pelviens. — Mention spéciale des vaisseaux épigastriques. — Que les grands vaisseaux sont toujours protégés par leur situation.


Après avoir donné sur les nerfs une explication assez longue, il est temps de passer à la distribution des vaisseaux ; et d’abord il faut parler des artères. Il existe un vaisseau considérable (aorte), comme je l’ai dit précédemment, qui naît de la cavité gauche du cœur et qui, semblable à un vaste tronc, se ramifie [dans tout le corps]. Ce vaisseau considérable, aussitôt après sa sortie, se divise en deux branches : l’une d’elles se détourne vers le rachis pour envoyer des artères à toutes les parties inférieures ; l’autre remonte à la tête et fournit des ramifications à toutes les parties situées au-dessus du cœur. Comme je le disais précédemment (chap. ii, p. 159-162), leur distribution s’est faite inégalement, parce qu’il existe dans l’animal au-dessous du cœur plus de parties qu’au-dessus. La portion descendante de l’artère dépasse d’autant la portion qui monte au cou que le nombre des parties inférieures dépasse celui des parties supérieures. Assurément ce sont là des œuvres qui témoignent d’une équité et d’un art non médiocre. Voici encore une disposition supérieure :

L’artère étant à son origine suspendue, et devant en conséquence traverser tout le thorax de haut en bas et de bas en haut sans appui, la nature a pourvu à sa sûreté en plaçant sous elle le poumon comme un soutien (cf. VI, iii, t. I, p. 386), en l’entourant de membranes qui tiennent lieu de ligament, en la conduisant par le plus court chemin vers les parties à la fois les plus fortifiées et les plus solides. En effet, la partie descendante de l’artère arrive [en marchant d’avant en arrière] à la région qui est opposée au lieu de sa naissance, n’inclinant d’aucun côté, mais allant par la route la plus directe et la plus courte à la cinquième vertèbre du thorax. L’autre (aorte ascendante), aussitôt après sa naissance, envoie à l’épaule et à l’aisselle gauche une portion d’elle-même, laquelle, portée sur le poumon et appuyée par des membranes (médiastins), remonte sans se diviser jusqu’à la première côte (artères sous-clavières) ; car il n’était pas prudent de la diviser aussi longtemps qu’elle est suspendue. De là elle envoie une portion d’elle-même aux premiers espaces intercostaux (artère intercostale supér.) ; puis une autre branche étendue derrière le sternum arrive à l’hypocondre (voy. t. I, p. 392, note 3 et Dissert. sur l’anat.) et à la mamelle (artère mammaire interne) ; une troisième, destinée à la moelle cervicale (artère vertébrale), traverse les trous des six vertèbres (cf. p. 194, note 2), et sur son trajet envoie des ramifications aux muscles voisins. La continuation de cette artère se divise dans tout le bras gauche et dans l’épaule (a. axillaire). L’autre branche (carotide primitive), la plus considérable de toute l’artère ascendante, remonte directement de l’endroit où elle se détache vers la fossette sus-sternale (σφαγή) et se rattache aussitôt que possible à la partie médiane du sternum. Ne considérez pas seulement cette particularité dans ces diverses branches artérielles, mais examinez encore attentivement la région où chaque branche de la grande artère (crosse de l’aorte) commence à s’avancer sur les os, vous verrez que non-seulement l’os a été disposé comme un rempart et un appui pour chacune d’elles, mais que de plus sous l’un des vaisseaux (artère sous-clavière) il a été établi une membrane (médiastin) et le cartilage qui lubrifie les parties internes des vertèbres (cf. XIII, viii, p. 71), cartilage qui devient pour lui une sorte de coussin moelleux, et que sous l’autre vaisseau qui monte au cou, une glande très-considérable et très-molle (thymus, cf. VI, vi ; t. I, p. 389) a été placée en guise de tapis.

S’il n’y avait dans le thorax aucun autre vaisseau, ni aucune branche ascendante ou descendante qui eût besoin du même secours, le rachis en arrière, en avant le sternum suffiraient pour fournir aux seules branches de la grande artère l’utile protection que nous signalions. Mais, comme on y trouve la veine cave qui remonte, l’œsophage qui descend (cf. VI, iv et v ; t. I, p. 387 suiv.), ainsi que la veine qui alimente le thorax (azygos), il n’était pas convenable de négliger leur sûreté ; il fallait les recouvrir, les rattacher, les appuyer, les protéger, et aussi leur faire un rempart au moyen des os. Ces dispositions existent réellement, le Créateur des animaux n’ayant pas commis à cet égard même la plus petite négligence. D’abord, pouvant rattacher l’œsophage au sternum et la veine cave au rachis, il a fait le contraire. En effet, le rachis est plus près de l’œsophage que le sternum, et le sternum plus près de la veine cave que le rachis ; car, du sommet du cou descend l’œsophage appuyé sur les vertèbres, tandis que le vaisseau qui remonte de l’oreillette droite du cœur et qui étant la continuation de la veine cave (abdominale ou ascendante), est, à cause de cela, nommé aussi veine cave (veine cave thoracique ou descendante) par beaucoup de médecins, est voisin du sternum : or, donner pour rempart à chacun d’eux l’os voisin était mieux que de prendre l’os éloigné, et de mener ainsi à la partie opposée le vaisseau suspendu dans la vaste cavité du thorax. De plus, il résultait d’une telle disposition un autre avantage pour tous les deux : l’œsophage, couché sur le rachis, va en droite ligne déboucher dans l’estomac sans être obligé de traverser le centre du diaphragme déjà nécessairement percé d’un trou qui donne passage à la veine cave. Quant à la veine, lorsqu’elle arrive au niveau de la fossette sous-claviculaire, et qu’elle rencontre l’artère issue du cœur (crosse de l’aorte), elle se trouve dans une position favorable. Cela maintient aussi l’artère dans une disposition telle qu’après s’être divisées pour monter à travers le cou, les branches de cette artère sont situées profondément, tandis que les veines reposent sur elles.

Les dispositions si heureuses prises par la nature ne consistent pas seulement à avoir établi sur le rachis l’œsophage, l’artère et la veine nourricière de la partie inférieure du thorax (azygos), et à avoir fixé la veine cave sous le sternum, mais encore à ne pas avoir mis sur le même plan l’œsophage, l’artère et la veine ; elles ne consistent pas seulement non plus à n’avoir pas placé l’œsophage au milieu, l’artère sur les côtés, mais encore à avoir appuyé celle-ci sur la région centrale (corps) des vertèbres et en même temps à avoir étendu l’œsophage sur le côté parallèlement à l’artère. En effet, si l’artère importe plus à la vie que l’œsophage, elle a aussi une situation plus sûre. Une preuve non médiocre de mon assertion, c’est que l’œsophage longe la partie centrale de toutes les vertèbres du cou et des quatre premières du thorax. Il ne convenait pas en effet, ni quand il repose seul sur les vertèbres, qu’il délaissât la voie plus sûre pour en suivre une plus dangereuse, ni quand il rencontre un organe plus important, qu’il ne lui cédât pas la place. Mais comme la veine qui nourrit les huit espaces intercostaux inférieurs de chaque côté du thorax est plus petite que l’artère, elle est couchée auprès de celle-ci. Nous en parlerons un peu plus loin (chap. xiv, p. 197), quand nous traiterons des veines : revenons à l’artère.

Quant à la plus grande de toutes les artères dont je parlais, celle qui descend à travers les parties inférieures du thorax, elle envoie de chaque côté des ramifications aux muscles intercostaux (artères intercostales aortiques). La plus grande partie de ces ramifications se distribue dans ces muscles, un assez grand nombre se rend dans ceux qui recouvrent le thorax ; car on ne pouvait d’une autre région envoyer par une voie plus sûre et plus courte des artères à ces muscles, et aussi au diaphragme, ni les tirer d’une autre artère ou d’une autre partie de cette artère ; c’était cette artère même et cette partie de l’artère qui traverse le diaphragme d’où il fallait les faire venir.

Il ne convenait pas non plus que l’estomac, la rate et le foie reçussent des artères d’une autre région ; ils devaient les emprunter à cette artère seule, au moment où elle arrive au-dessus du diaphragme (tronc cœliaque). C’est encore de cette même région que se détache l’artère qui se distribue dans tous les intestins ; en effet, comme le sommet du mésentère était situé tout proche, il était nécessaire que non-seulement l’artère (mésentériques infér. et sup. ; coliques) qui part de ce point, mais encore la veine et le nerf se partageassent dans toutes les circonvolutions intestinales. Les reins étant disposés à la suite , il vient s’y insérer une paire très-considérable d’artères (artères rénales). Mais nous avons parlé de leur grandeur dans le livre où il est question des reins (V, v ; t. I, p. 350). Nous dirons dans celui-ci pourquoi elles ne sont pas nées d’une autre partie de l’artère. La nature paraît se servir des plus gros vaisseaux comme d’aqueducs ; dans toutes les régions qu’ils traversent, elle détache sur les parties voisines comme des ruisseaux et des canaux variables de grandeur selon l’importance et l’utilité de ces parties ; et tous sont amenés par l’intervalle le plus court. C’est pourquoi la partie de l’artère qui pénètre dans le rein droit naît plus haut que celle qui se rend au rein gauche, parce que, nous l’avons démontré précédemment (V, vi ; t. I, p. 353), la position des reins eux-mêmes était inégale. Il n’est donc pas étonnant que les artères qui vont au thorax, la gauche comme la droite, naissent au même endroit, et que la branche destinée au rein droit soit plus élevée que celle destinée au rein gauche, conformément à la place de chacun des organes qui devaient les recevoir.

Ce qui est plus digne de remarque, c’est qu’après les artères qui vont aux reins se trouvent les artères qui vont aux testicules (artères spermatiques) : l’une, issue du côté gauche, emprunte toujours quelque chose à l’artère qui va aux reins (c’est-à-dire reçoit une branche anastomotique), parfois même elle vient exclusivement de l’artère rénale, tandis que l’artère du côté droit, toujours issue de la grande artère elle-même, reçoit parfois un rameau de l’artère qui va aux reins. La nécessité pour ces artères de se charger d’une matière impure et séreuse a été démontrée dans le quatorzième livre (chap. vii, p. 104 suiv.). Quand elles approchent des testicules, elles forment mille circuits variés : c’est un fait déjà énoncé dans ce même livre (chap. x, p. 114), et qu’il n’est pas inutile de rappeler ici, afin qu’un principe, disions-nous plus haut (chap. ix, p. 183) ; observé constamment par la nature dans toutes les parties de l’animal ne paraisse pas avoir été parfois violé faute d’une explication convenable. La nature, qui, disais-je, amène à toutes les parties par le plus court chemin des artères et des veines, en amène aux testicules et aux mamelles (ce sont les seules parties qui soient dans ce cas), non des vaisseaux les plus proches, mais de ceux qui sont éloignés ; ce n’est pas qu’elle oublie son but primitif, c’est qu’elle en adopte un autre préférable. En effet, le lait et le sperme sont produits par un sang parfaitement élaboré. Cette élaboration parfaite résulte de leur séjour prolongé dans le vaisseau qui les apporte. Or, ce séjour est nécessairement prolongé dans les plus longs vaisseaux, et les plus longs sont toujours ceux qui viennent de loin. C’est donc avec raison que dans les testicules et les mamelles la nature amène le sang et le pneuma, non des vaisseaux proches, mais en mettant la plus grande distance possible entre le point de départ et celui d’arrivée. Et cependant si le sperme a besoin d’une élaboration plus parfaite, le seul éloignement du point de départ ne devait pas lui suffire comme au lait. Autrement le nature eût été injuste en attribuant à des choses inégales et différentes des conditions d’existence égales et semblables de tous points. Aussi, non-seulement elle amène de loin aux testicules comme aux mamelles les artères et les veines, mais elle les replie de mille façons avant de les y insérer, prolongeant par là, je pense, le séjour des matières dans le vaisseau qui les apporte. Les veines se replient en cet endroit seulement, les artères s’y replient également comme les veines, mais leurs replis sont plus nombreux dans ce qu’on nomme le plexus réticulé (cf. IX, iv ; t. I, p. 575) ; [dans l’une et l’autre partie, cette disposition existe] en vue de la même utilité (voy. Dissert. sur l’anat.). En effet, ces artères nourrissent le pneuma psychique de l’encéphale, si différent par sa nature de tous les autres pneuma (cf. IX, iv ; t. I, p. 576) ; il n’est donc pas étonnant qu’il réclame un aliment amené par de longs circuits, élaboré d’avance et complétement transformé. Vous ne trouveriez ailleurs ni artères ni veines allant de loin à quelque partie ; toutes y vont par le plus court chemin en se détachant des gros vaisseaux ; mais nous traiterons des veines un peu plus bas.

La grande artère fournit encore, à la suite des ramifications précédentes, d’autres ramifications allant aux muscles de l’épigastre (rameaux antér. des branches aortiques postér.). En effet, il n’était pas possible d’amener d’une autre région à ces muscles des vaisseaux par le plus court chemin. En outre, sur tout le trajet que parcourt la grande artère sur le rachis, à partir de la cinquième vertèbre thoracique, d’autres petits vaisseaux (rameaux dorsaux des branches postér. de l’aorte) vont se distribuer dans la moelle ; ils se bifurquent et envoient en arrière aux muscles du rachis une partie non médiocre d’eux-mêmes. Ils pénètrent dans le canal vertébral au niveau des articulations des vertèbres (cf. XIII, ix, p. 73), à l’endroit où sortent les nerfs ; il existe deux branches à chaque articulation, parce qu’il y a un double trou, l’un à la partie droite du rachis, l’autre a la partie gauche. Toutes ces nombreuses paires de petites artères existent dans tout le rachis, égalant en nombre les nerfs issus de la moelle, et elles pénètrent avec les veines dans la membrane mince ( pie-mère) qui enveloppe la moelle. À chacune des ramifications, l’artère aorte qui en est comme le tronc, et qui s’étend sur la région moyenne du rachis, diminue de volume comme font les troncs des arbres après avoir poussé leurs rameaux, et comme font aussi les courants des fleuves, au fur et à mesure que les canaux s’en échappent. En conséquence, si vous comparez la dimension de l’artère au niveau de la cinquième vertèbre du thorax avec celle qu’elle présente à la dernière vertèbre de l’épine, vous trouverez qu’elle est devenue beaucoup moindre. De plus, dans toute cette région, la veine cave étendue sur le rachis est plus élevée que l’artère, et se dirige de haut en bas à côté d’elle. L’une et l’autre, en effet, devaient conserver la position qu’elles avaient dès le principe, aucune cause ne les forçant d’en changer ; il était également convenable que le plus mince vaisseau cheminât sur le plus épais. Quand les vaisseaux sont arrivés au bas des lombes et qu’ils vont se distribuer dans les jambes, il était mieux que dans ces parties, comme dans l’animal tout entier, les veines fussent situées sur les artères, et que la nature, pourvoyant à leur sûreté, ne changeât pas leur position en vue de leur trajet à travers les jambes (voy. Dissert. sur l’anat. et Hoffm., l. l., p. 353).

La nature n’a pas oublié non plus les organes situés sur l’os large (cavité du bassin), mais elle leur a distribué des artères et des veines en proportion de leurs dimensions et de leurs utilités. En effet, elle a inséré sur la vessie de petits vaisseaux et sur la matrice des vaisseaux grands et doubles, attendu qu’ils sont destinés à nourrir non pas seulement les matrices elles-mêmes, mais encore le fœtus qu’elles doivent renfermer. Les vaisseaux qui vont des régions des reins jusqu’aux testicules (vaisseaux spermatiques) s’y ramifient jusqu’à leur extrémité ; ceux qui vont au col des matrices et aux parties situées au-dessous des testicules (ovaires), naissent au même lieu, c’est-à-dire à la région lombaire, des vaisseaux qui se dirigent vers les jambes (artères et veines hypogastriques) ; de ce même endroit, chez les mâles, se détachent des vaisseaux (artères et veines honteuses internes) qui pénètrent dans la verge et qui proviennent des vaisseaux des lombes. En sens inverse, de ces mêmes régions, remontent des vaisseaux veineux (vaisseaux épigastriques ou mammaires externes), qui rejoignent, pour se réunir à eux, en vue d’une mutuelle communication, les vaisseaux descendus des mamelles (vaisseaux mammaires internes) dont nous avons parlé dans le quatorzième livre (chap. viii, p. 110). Ces vaisseaux se rencontrent dans les régions, profondes ; mais il y en a d’autres à la surface externe, à l’extrémité des muscles hypogastriques, non loin de l’aine. De ces régions une paire de petits vaisseaux va aux parties génitales (vaisseaux honteux externes), l’autre paire, commune aux mamelles, au thorax (vaisseaux épigastriques), et aux parties génitales, rencontre des veines qui descendent superficiellement de la région des mamelles.

Nous avons déjà dit précédemment (chap. viii, p. 180), à propos du trajet des vaisseaux dans les jambes, qu’il a lieu par la voie la plus sûre, puisqu’ils descendent à travers la région interne ; en effet, quand ils avancent dans cette région, ils devaient trouver pour rempart, à la partie antérieure et externe, le membre tout entier, et au côté interne les muscles les plus forts ; c’est sous ces muscles et à travers ces muscles qu’ils passent. À l’aine la nature établit aussi, pour servir de support, des glandes là où les vaisseaux se bifurquent ; elle les recouvre aussi de ces glandes pour les protéger contre les chocs du dehors (cf. IV, ii ; VI, iv ; t. I, p. 338 et 392). En aucun endroit des membres, ni aux pieds, ni aux bras il n’existe donc de grands vaisseaux à la superficie, mais, comme il a été dit, ils avancent cachés dans les parties profondes, et plus encore les artères que les veines, attendu qu’elles sont plus importantes et qu’elles font courir de plus grands risques pour l’hémorrhagie, si elles viennent à être coupées. Parmi les petits vaisseaux, quelques-uns arrivent nécessairement jusqu’à la peau pour fournir un aliment aux parties qui en sont voisines. Je voudrais bien maintenant dire un mot de leur distribution dans chaque muscle, mais je prévois que l’explication serait trop longue. Il me paraît donc préférable, après avoir indiqué le but que la nature se propose dans leur disposition, de renvoyer l’examen spécial sur chacun d’eux à mon Manuel des dissections, où beaucoup d’autres points, omis ici par moi, seront traités complétement. Autrefois j’ai rédigé ce Manuel en deux livres, mais je suis décidé aujourd’hui d’en faire un traité plus long exposant toutes les questions en détail (voy. Hist. littér. de Galien).

Chapitre xi. — Distribution et moyens de protection des vaisseaux qui se rendent au cou, à la face, au cerveau et au membre thoracique ; tronc et branches terminales. — Mention spéciale de l’artère vertébrale et des vaisseaux qui se rendent à l’épaule et au bras.


Je reviens maintenant à l’autre artère (aorte ascendante et crosse de l’aorte), que l’on voit sortir du cœur, pour se ramifier au cou, aux épaules, aux bras, à la face et dans toute la tête. En traversant le thorax, elle envoie de la même façon que le fait l’artère descendante (aorte thoracique) des ramifications aux muscles intercostaux, à la moelle épinière et aux parties situées en dehors du thorax ; elle fournit aussi celles qui vont aux mamelles et de l’utilité desquelles nous avons précédemment parlé (XIV, vii et viii ; cf. aussi p. 190-1), et, de plus encore, celles des épaules et des bras (artères axillaire, scapulaire et humérale). Ce qui reste de ces ramifications forme une artère qui remonte de chaque côté vers la tête (carotides). Les ramifications de ces vaisseaux forment des réseaux dans toutes les parties de la face et du cou. Les muscles spinaux reçoivent leurs ramifications des vaisseaux qui se distribuent aux épaules. De ces mêmes vaisseaux, à l’instant où, sortant du thorax, ils s’élèvent dans le cou, partent des ramifications qui, par les trous transversaux (canal de l’artère vertébrale) de chacune des six [premières] vertèbres, montent jusqu’à la tête (artère vertébralevoy. p. 185). L’artère, en effet, ne s’étend plus sur ces vertèbres de la même façon que sur le rachis tout entier ; car les muscles qui tirent en avant la tête étaient nécessairement situés en cet endroit et ne pouvaient être transportés ailleurs. De plus, l’œsophage y était placé, et en outre, la trachée-artère avait au-devant de lui sa position nécessaire, comme nous l’avons démontré dans les livres où il est traité spécialement de ces organes (VI, v, et VII, vii ; t. I, pp. 393, 469). Il n’était donc pas possible de faire arriver ici des artères à la moelle épinière de la même façon que dans le reste du rachis (voy. plus haut, même chap., p. 185, 189).

Le travail admirable de la nature en cette occasion me paraît analogue à celui qu’exécutent parfois les artistes qui cisèlent, perforent et polissent leur œuvre de manière à lui donner une beauté et un fini achevés. En effet, la nature qui pouvait en cet endroit, se servant des apophyses latérales comme d’un rempart pour les artères, faire monter le long de ces apophyses jusqu’à la tête celles qui doivent se rendre à la moelle épinière, n’a cependant pas agi de cette façon et ne s’est pas contentée de la seule protection que nous venons d’indiquer ; mais ayant creusé chaque apophyse à la fois symétriquement et circulairement, elle a fait de la rangée des trous un passage pour ces vaisseaux. Comme les apophyses sont disposées les unes à la suite des autres, il n’existe entre les trous qu’un intervalle étroit, à travers lequel sortent les nerfs issus de la moelle épinière. C’est aussi par là qu’une petite ramification de l’artère pénètre dans la moelle épinière (branches spinales). La nature, en effet, s’est ici encore servie du trou du nerf pour porter les vaisseaux dans le canal rachidien, faisant passer, non pas seulement l’artère, mais aussi la veine avec l’artère.

Les vaisseaux (artères vertébrales) qui remontent jusqu’à la tête, après avoir franchi la première vertèbre, se divisent à leur extrémité en deux branches, dont l’une (portion intra-crânienne de la vertébrale) se dirige intérieurement vers l’encéphale postérieur (cervelet) tandis que l’autre se ramifie sur les muscles qui environnent l’articulation de la tête, se rattachant aux extrémités des vaisseaux établis dans la mince membrane (voy. Dissert. sur l’anat.).

Les ramifications des vaisseaux des épaules forment des plexus aux muscles superficiels et à la peau. Car, en aucun endroit du corps on ne saurait voir un muscle manquant de veine et d’artère ; mais, sur tous les muscles, il en arrive des régions voisines qui s’y rendent de la façon la plus sûre et par le plus court intervalle. La nature n’a point exposé à nu et superficiellement la paire de vaisseaux qui se portent aux bras, mais elle l’a placée, autant que possible, dans les parties les plus profondes ; à l’aisselle où ils se divisent d’abord pour se rendre aux muscles voisins, elle a inséré entre leurs divisions, en haut et en bas, de fortes glandes qui leur servent de soutien (voy. chap. ii, p. 161) ; à l’extérieur, elle a placé aussi des glandes qui servent à les recouvrir et à les protéger ; elle leur fait suivre la même marche qu’aux vaisseaux des aines ; ainsi elle les distribue à tous les muscles du bras en leur faisant longer, la partie interne de l’humérus ; de là, elle les disperse dans tout le reste du membre, après les avoir conduits avec sûreté à l’avant-bras, à travers la région interne et moyenne du pli du coude ; elle n’oublie aucun muscle, mais ménage à chacun d’eux une artère dont la grandeur répond à l’importance et au volume du muscle. Je traite de ces vaisseaux et de ceux des jambes dans le Manuel des dissections (III, viii).


Chapitre xii. — Distribution et moyen de protection des artères carotides interne et externe. — Digression sur le plexus rétiforme. — La nature a soin d’anastomoser fréquemment les artères aux artères et aux veines, et les veines aux veines et aux artères, et d’entrelacer les vaisseaux avec les nerfs. — Les vaisseaux ne se distribuent pas seulement à des organes limités, mais aux parties voisines.


J’indiquerai brièvement dans le présent livre l’autre paire d’artères, dont le nom depuis les temps anciens est carotides[9] ; elle remonte droit à la tête étant cachée dans la profondeur du cou. Sur le passage de ces artères se détachent des ramifications très-fines aux muscles de cette région, aux glandes et aux veines, comme aussi à la moelle épinière elle-même. Car, non-seulement les artères se divisent, mais encore les veines situées près d’elles profondément à l’endroit où s’unissent la sixième et la septième vertèbre ; une partie de ces artères passe directement à travers les trous des apophyses latérales de chacune des six premières vertèbres[10], comme il a été dit dans le Manuel des dissections (partie inédite), et l’autre partie est portée obliquement sur la sixième vertèbre seule. Aussi, cette vertèbre a-t-elle été créée plus grande que les autres. Chacune des artères carotides se divise en deux branches, l’une marche plutôt en arrière (carotide interne), et l’autre en avant (carot. externe). Chacune de ces branches à son tour se divise en deux parties. Une des branches de l’artère qui marche en avant va à la langue (a. linguale) et aux muscles internes de la mâchoire inférieure (rameaux sus-hyoïdiens) ; l’autre située plus à la surface que celle-ci, et cependant protégée, elle aussi, par des glandes considérables (parotide), monte en avant des oreilles jusqu’au muscle temporal (a. temporale superficielle). Là, elle se divise, et des parties postérieures elle s’élève jusqu’au sommet ; là aussi se réunissent en plusieurs endroits les extrémités des vaisseaux du côté gauche de la tête avec celles de l’autre côté et les extrémités des vaisseaux internes avec celles des vaisseaux externes.

L’autre branche (carot. interne) de l’artère carotide qui, disions-nous, se porte plutôt en arrière, se divise d’abord, elle aussi [dans l’intérieur du crâne], en deux parties considérables, mais de grandeur inégale ; la moins volumineuse remonte en arrière plutôt vers la base du parencéphale (cervelet) ; elle est reçue dans un trou grand et allongé qui se trouve à l’extrémité inférieure de la suture lambdoïde (sinus caverneux). L’autre, venant des parties antérieures par le trou (canal carotidien) qui existe dans l’os pétreux (rocher), remonte au plexus rétiforme, qui s’étend, avons-nous dit précédemment (IX, iv ; t. I, p. 575), sous presque toute la base de l’encéphale ; engendré par les artères dont nous venons de parler, ce plexus présente une utilité non pas médiocre, mais très-importante, si même une autre partie peut en offrir une aussi grande. C’est pourquoi la nature l’a établi dans la partie la plus sûre de toutes. Il n’y a aucune nécessité actuellement d’entrer dans plus de détails à ce sujet. J’en ai parlé précédemment en exposant les parties de l’encéphale. Il suffit seulement d’ajouter un point et j’aurai terminé la digression actuelle sur le plexus rétiforme. À l’encéphale même remonte une paire non médiocre d’artères (carotides internes) qui engendre [par les artères choroïdiennes] dans les ventricules du cerveau le plexus choroïde et l’entrelace en cet endroit avec les veines qui forment la texture de la mince membrane ; d’autres petites artères se portent en avant et en arrière, celles-ci au cervelet et à la naissance de la moelle épinière (cérébelleuses) ; celles-là aux orbites des yeux (artères ophthalmiques) avec les nerfs optiques qui s’y rendent ; les extrémités des vaisseaux postérieurs s’unissent à ceux qui remontent par les trous des vertèbres cervicales (artères vertébrales), comme je l’ai dit un peu auparavant (chap. x et xi, pp. 189 et 192), et les extrémités des vaisseaux qui vont aux yeux s’unissent à ceux de la face et du nez.

Pour le dire en un mot, à la face et dans toute la tête, la nature abouche beaucoup d’artères aux artères, et de veines aux veines, les amenant de droite à gauche et de gauche à droite, d’avant en arrière et réciproquement d’arrière en avant, des parties externes aux parties internes, et des parties internes aux parties externes. On peut voir, en effet, à travers les os de la tête, un grand nombre d’artères petites comme des fibrilles, sortir de la dure-mère et d’autres y arriver des parties externes pour s’unir les unes aux autres dans le diploé des os. Les artères se mêlent aux veines, les veines aux artères, les deux espèces de vaisseaux s’entrelaçant avec les nerfs et les nerfs avec ces vaisseaux dans tout le corps de l’animal ; ces dispositions se révèlent nettement en beaucoup d’endroits quand on dissèque avec soin. En effet, l’exiguïté des vaisseaux les laisse facilement passer inaperçus, si l’on ne prête une attention entière et si l’on n’est expert en dissection. Cependant l’utilité indispensable de tout cet entrelacement est manifeste, puisqu’il est nécessaire à toutes les parties du corps d’être nourries, de sentir et de conserver une chaleur naturelle également répartie. Ainsi donc, dans chaque organe, les artères et les veines deviennent complétement insensibles, que l’on vienne à les brûler, à les couper, ou même encore à les écraser, du moins si l’on a isolé avec des liens les nerfs qui s’y rendent.

Il faut aussi être au courant de cette particularité, que l’on constate dans presque toutes les artères et les veines, c’est qu’en s’insérant sur un muscle, sur un viscère ou sur quelque autre partie, elles envoient toujours certaines ramifications ténues aux corps environnants. Les veines en envoient parfois de très-nombreuses et d’un volume considérable ; les artères en envoient de moins nombreuses, et qui, le plus souvent aussi, sont d’une dimension inférieure ; néanmoins elles en envoient également. La cause en est que la nourriture est nécessaire à toutes les parties chaudes et froides, dures et molles ; mais toutes n’exigent pas une exacte mesure dans la conservation de la chaleur naturelle. En effet, les parties froides, par leur tempérament naturel, descendues même au dernier degré de refroidissement, le supportent néanmoins, vivent et se réchauffent de nouveau sans inconvénient. Tout cela a été démontré ailleurs, et en particulier dans les traités Sur l’utilité de la respiration et du pouls, et comme nous l’avons dit au début même de ce livre (I, viii), il ne faut pas chercher dans cet ouvrage la démonstration d’aucune action naturelle. En effet, la connaissance des fonctions doit précéder la recherche des utilités ; c’est donc après avoir acquis une connaissance approfondie des fonctions que nous écrivons l’ouvrage actuel basé sur ces notions, et qui témoigne à son tour de la justesse de nos démonstrations.


Chapitre iv. — La correspondance des artères et des veines se déduit non pas de leur voisinage, mais de la similitude de leur utilité.


Vous trouverez donc certaines veines sans artères, mais vous ne trouverez aucune artère sans une veine conjointe. Par artère conjointe, il faut entendre non pas celle qui touche la veine ou qui lui est unie par des membranes (or, c’est le cas le plus ordinaire), mais celle qui a été engendrée en vue de la même utilité. Comprenez plus nettement ce que je veux dire par la suite du raisonnement : de même, en effet, que l’artère issue du ventricule gauche du cœur (aorte) est comme le tronc des artères de tout l’animal, car toutes les artères en dérivent, ainsi que nous l’avons démontré, de même, c’est de la veine cave que sont engendrées les veines de tout l’animal, comme des rameaux d’un tronc. Aux artères qui, semblables au chevelu des plantes, partent du cœur pour se ramifier dans le poumon, correspondent les veines de l’estomac, de la rate et du mésentère ; aux artères mêmes du cœur correspondent les veines du foie ; des parties de la veine cave, celle qui descend sur le rachis (veine cave ascendante) correspond à la portion descendante de l’aorte, portion la plus considérable, et celle qui remonte vers le cou (v. cave descendante) répond à la partie la plus petite [de cette grande artère] ; toute cette distribution des veines, parallèle à celle des artères, se fait avec le même art que je viens d’exposer à propos des artères ; quant à la distribution des veines qui marchent parfois seules, elle s’opère suivant le même genre d’art et avec le même but que celle des artères ; mais elle s’en distingue par certaines utilités spéciales que je vais exposer actuellement.


Chapitre xiv. — Que la nature a distribué les veines aux parties, en tenant compte du besoin plus ou moins grand que ces parties ont d’aliment, eu égard à leur nature propre.


La nature a distribué avec une éminente équité les veines de chacune des parties : à celles de même espèce, d’après les seules différences [secondaires] de l’espèce ; à celles d’espèce différente, d’après la quantité de substance qui se dissipe à travers les canaux d’écoulement et par suite de quoi les corps des animaux ont besoin d’aliments. En effet, si rien ne s’écoulait et n’était évacué, et si l’habitude du corps restait toujours la même, quelle serait l’utilité de la nourriture, quelle crainte aurait-on de la vieillesse et de la mort ? Puis donc que nous avons besoin d’aliments parce que nous perdons par l’évacuation, il faut que l’alimentation soit égale à la quantité de substance perdue. Or, il s’en écoule davantage des corps chauds, mous et assujettis à un mouvement perpétuel ou violent, et très-peu des corps froids, durs et soumis à une action modérée. En effet [eu égard aux qualités élémentaires], le froid condense, contracte, resserre les corps et empêche les déperditions ; la chaleur, au contraire, les raréfie, les fond, les exténue, les pousse à la sécrétion. Eu égard à la substance même, une partie dure et pierreuse est fixe, et n’est pas facilement mise en mouvement (mouvement organique) ; une partie humide et molle est promptement réduite en vapeur par la chaleur : elle se dissipe et s’exhale promptement. Ainsi, dans le poumon tout est prédisposé à l’évacuation, car il est très-mou, très-chaud et agité d’un mouvement continuel. Au contraire, les os se trouvent dans une condition entièrement opposée, car ils sont durs, froids, et la plupart du temps exempts de mouvement. Aussi leur substance est fixe et se résout difficilement. Ne vous étonnez donc pas si la nature a distribué à ces os des veines si petites qu’elles ne se distinguent pas nettement, même quand on les cherche sur un gros animal, ni si une très-grande veine (artère pulmonaire) qui part du cœur s’insère sur le poumon. La nature, équitable dans les autres dispositions, ne l’est pas moins dans celle-ci, envoyant aux unes et aux autres autant de parties de nourriture qu’elles se trouvaient en avoir besoin.

Je viens de mettre en regard deux parties ayant besoin, l’une d’aliments abondants, l’autre de très-peu d’aliments. Dans l’intervalle se placent toutes les autres parties, perdant par l’évacuation et ayant besoin de se nourrir les unes plus, les autres moins que ces dernières. Quelques-unes, en effet, bien que plus dures de substance, comme le cœur, consomment plus d’aliments par suite de leur température élevée ; d’autres, bien que plus molles, comme l’encéphale, ont moins d’évaporation à cause de leur défaut de chaleur. Donc, la plus grande de toutes les veines de l’animal se porte du foie vers les deux moitiés supérieures et inférieures du corps (veines caves ascend. et descend.). Près du foie, des veines larges et courtes se détachent vers les reins, non pas qu’ils aient besoin d’aliments abondants, mais parce que ces veines, comme nous l’avons démontré (V, v, t. I, p. 350, et XIV, vii, p. 106 suiv.), font office de canaux (στομάχοι) attractifs qui servent dans les reins à attirer les superfluités séreuses. Après la naissance de ces veines [émulgentes], tout le reste de la distribution, le long du rachis entier et dans les jambes, a lieu de la même façon que pour les artères. Nulle part, en effet, l’artère ne marche sans la veine, mais partout où vous voyez un vaisseau artériel, nécessairement là aussi se trouve une veine. Des veines, en petit nombre, vont cependant se ramifier dans les parties voisines du derme sans être accompagnées d’artères. Cette particularité existe aux jambes et aux mains, surtout aux parties externes et antérieures, parce que celles-ci ont une position moins importante que les parties internes, comme il arrive dans tout le corps. En outre, la distribution des veines dans les intestins, à partir de la porte du foie, a également lieu conjointement avec les artères, une seule veine (veine mésaraïque) se divisant dans toutes ces parties ; au sortir du foie elle commence à se ramifier en même temps que se ramifient les artères issues de la grande artère quand elle a dépassé le diaphragme.

Toutes ces dispositions manifestent la prévoyance de la nature, qui paraît aussi avoir distribué très-opportunément dans le thorax les veines issues de la veine cave. En effet, à l’endroit où elle monte, à partir de la convexité du foie, elle envoie au diaphragme de grandes ramifications. Puis, quand déjà elle touche le cœur, elle en détache une branche qui nourrit les huit côtes des deux côtés (v. azygos). Si vous voyez comment, suspendue pour ainsi dire, cette veine arrive des régions élevées jusqu’au rachis, s’appuyant solidement sur les corps voisins, je suis persuadé que la prévoyance et l’habileté de la nature à cet égard ne vous paraîtront pas médiocres.

Nous avons parlé dans les livres précédents (livres VI et VII) des vaisseaux du cœur et du poumon et de tout ce qui les concerne ; nous avons aussi parlé des vaisseaux des mamelles et des testicules, là où nous traitons simultanément de ces organes (livre XIV), et, pour ces parties, nous avons là encore réuni ce qui regarde les artères et les veines, attendu qu’elles offraient une utilité commune ; nous avons également traité en même temps, comme cela était nécessaire, des veines et artères qui vont au bras. La nature, ici comme dans les jambes, envoie à la surface des parties externes et internes du bras des veines spéciales sans artères. J’ai annoncé que je traiterais dans le Manuel des dissections (cf. III, iii) de leur distribution dans chaque partie, et aussi de leur trajet dans le membre tout entier. De même qu’ici le membre a une veine en plus (v. saphène externe), de même à la surface du cou il existe une seconde veine jugulaire (jugul. externe) sans-artère ; il n’existe qu’une artère de chaque côté, à gauche et à droite. Les veines jugulaires, situées dans la profondeur de cette région, se divisent de la même façon que les artères, à cette seule exception près que, nous l’avons dit quand nous traitions spécialement ce sujet (cf. chap. xii, le traité Sur l’anatomie des artères et des veines et la Dissert. sur l’anatomie), la grande artère remonte, par le trou de l’os pétreux (trou carotidien), au plexus rétiforme, tandis que par le trou qui donne issue à la sixième paire de nerfs (trou déchiré post.), toute la portion restante des veines jugulaires, situées profondément, remonte à l’encéphale. Nous avons aussi parlé des vaisseaux de l’encéphale lui-même en exposant les utilités des parties qu’il renferme (cf. IX, iv et suiv., t. I, p. 575). Il est donc temps de terminer ce livre.





  1. C’est là une erreur théorique grossière qu’il n’est pas besoin de réfuter.
  2. Ouvrage perdu. Voy. p. 145, note 1 et l’Histoire littéraire de Galien.
  3. Voy. Dissert. sur l’anat. pour quelques erreurs commises par Galien au sujet des nerfs laryngés supérieurs.
  4. Ici j’ai suivi le texte de B., au lieu de celui de vulg. : ὃτι αἱ ἀποφύσεις τῶν ἀσθενῶν σωμάτων πρὸς τὴν ἰσχὺν συμφέρει. Ὃτι αἱ συμπλοκαὶ… ἀμφοτέροις ῥώμην συντελοῦσι B. Ce texte est confirmé par la traduction latine.
  5. Ici et dans la phrase suivante il faut voir une mention du grand sympathique que Galien regarde évidemment comme une dépendance de sa sixième paire. Voyez du reste Dissert. sur l’anat.
  6. Pour les anciens médecins le mot ganglion désignait plus spécialement les tumeurs qui se forment sur le trajet des tendons. Voy. du reste pour l’histoire des ganglions nerveux, la Dissert. sur l’anat.
  7. Les mots ἐλάχιστοι παντελῶς qui manquent dans vulg., sont donnés par B et par la traduction latine.
  8. Ce chapitre et les suivants sont très-corrompus dans les éditions. Le manuscrit B et la traduction latine qui dérive d’un bon texte, m’ont fourni d’excellentes restitutions que j’ai mises à profit dans ma traduction.
  9. Voy. Dissert. sur les termes anatomiques. — Dans la Dissert. sur l’anat. je traiterai des particularités que présentent la vertébrale et les carotides dans leur marche et leur division chez les vertébrés et surtout chez les singes.
  10. Disposition propre aux singes ; chez eux l’apophyse transverse de la 7e cervicale n’est pas percée. Voy. Cuvier, Anat. compar., t. I, p. 193.