Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/V/9

Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. 569-606).
LIVRE NEUVIÈME[1].


du crâne, de l’encéphale et des nerfs crâniens.


Chapitre premier. — Tout aliment renferme une portion nutritive et un résidu. — Conséquences fâcheuses qui résultent de l’arrêt du résidu dans l’intérieur des parties. — Précautions prises par la nature pour faciliter l’évacuation des superfluités. — Diversité des voies d’évacuation suivant la nature des parties, et celle des résidus. — L’encéphale trouve dans la structure du crâne et dans les sutures, le moyen le plus convenable de se purger de ses superfluités (voy. la Dissertation sur la physiologie).


Après avoir traité de toutes les parties de l’encéphale, et, en plusieurs cas, effleuré forcément dans notre discours ce qui regarde les parties avoisinantes, par suite du rapport physique que nous y trouvions, il convient d’exposer dans ce livre l’utilité des autres parties de la tête, en reprenant au point où s’est arrêté le livre précédent.

Une des préoccupations les plus constantes de la nature a été de purifier des superfluités de l’aliment toutes les parties du corps, surtout les parties importantes, comme l’encéphale. En effet, dans l’humeur qui y afflue, il y a une portion si utile, qu’elle s’assimile au corps nourri ; c’est là le véritable aliment. Tout le reste, qui est arrivé jusqu’au membre avec la portion utile et qui, cette dernière étant absorbée, s’est séparé d’elle, cherche des conduits propres à son excrétion ; s’il n’en trouve pas, en s’accumulant sur place, il commence par peser comme un fardeau, puis il s’oppose à l’introduction de nouvelles humeurs, dont il occupe les passages ; de cette façon il empêche le membre de recevoir l’aliment. Ce sont là les conséquences les moins fâcheuses.

Il en est deux autres plus graves, artisans de maladies auxquelles ne peuvent échapper les corps non purifiés (voy. Hippocrate, Aph. II, vi). De même que les animaux poussés par la faim dévorent une nourriture fangeuse ou quelque autre semblable, de même les membres, manquant d’aliments convenables, sous l’impulsion d’un besoin naturel, s’approprient ordinairement quelques particules des sucs malsains. C’est là la première conséquence fâcheuse.

La seconde, c’est que les matières entassées, pourrissant avec le temps et devenant ainsi plus âcres et plus chaudes, engendrent les phlegmasies, les érysipèles, les herpès, les anthrax, les fièvres et mille autres maladies.

Pour que rien de semblable n’arrive, surtout dans les parties importantes, la nature a pourvu avec grand soin à l’excrétion des superfluités. Comme celles-ci sont de deux sortes, les unes vaporeuses et fuligineuses, avec une tendance naturelle à monter, les autres aqueuses et chargées de matières qui sont portées d’elles-mêmes à descendre, la nature leur a ouvert des méats excrétoires de deux sortes : elle a placé dans le lieu le plus élevé ceux qui expulsent les superfluités légères, et établi en pente ceux qui expulsent les matières lourdes et qui tendent vers le bas. Pour ces derniers, outre qu’elle les a disposés en pente, elle les a faits encore suffisamment larges, attendu qu’ils sont destinés à servir de canaux à des humeurs abondantes et épaisses ; quant aux autres, elle ne les a percés que de trous étroits en rapport avec la ténuité des superfluités. Les méats en pente de l’encéphale, au moyen du palais et au moyen des fosses nasales, déversent dans la bouche par de larges et manifestes orifices des superfluités épaisses très-visibles.

Quant aux excrétions des superfluités vaporeuses, il n’est pas toujours possible de les distinguer nettement, ni celles qui s’opèrent dans le corps, ni celles de la tête ; car parfois leur ténuité les dérobe à nos yeux ; mais, dans les parties humides et molles du corps, il n’a pas même été assigné de voie spéciale pour aucune évacuation de ce genre, la nature de tous les corps humides et mous étant de céder promptement et d’ouvrir passage aux substances qui les traversent avec un élan assez rapide, puis, ces substances passées, de se rapprocher, de se resserrer à l’instant, en reprenant leur ancienne unité. Pour les corps durs, aucune substance ne peut les traverser si l’on n’a pas d’abord ménagé quelque chemin dans ces corps. Ainsi, dans l’encéphale même, dans les méninges et dans la peau de la tête, il n’était pas nécessaire qu’il existât des méats distincts pour l’évacuation des vapeurs, et, s’il y en avait, on ne pourrait les apercevoir avec les sens, attendu qu’ils se rétractent aussitôt que l’évacuation est opérée. Dans le crâne cependant (c’est le nom de l’os qui entoure l’encéphale, voy. VIII, ix, p. 555), la nature à ouvert des méats manifestes à ces superfluités vaporeuses et fuligineuses, non-seulement pour la cause énoncée, cause commune à toutes les parties, mais encore pour une cause spéciale, dérivant de sa position. En effet, la tête est placée au-dessus de toutes les parties du corps, comme un toit sur une maison chaude. Or, toutes les superfluités fuligineuses et vaporeuses des parties inférieures remontant, la tête qui les reçoit a besoin d’une évacuation plus abondante.

Mais comme il était nécessaire que l’encéphale fût protégé par un rempart solide et qu’en conséquence la nature, au lieu de confier sa défense à la peau seulement, comme elle a fait pour le ventre, l’a revêtu comme d’un casque, avec un os établi sous la peau, non-seulement l’encéphale ne serait pas pourvu de moyens d’évacuations plus abondants que les autres parties, mais elle n’en aurait pas même possédé de médiocres, si la nature ne lui eût ménagé une perspiration considérable en créant l’os de la tête caverneux, et aussi en l’articulant d’une façon variée au moyen de ce qu’on nomme sutures[2]. Quiconque les a vues et sait ce qu’elles sont, comprend déjà ce dont il s’agit ; pour qui ne les connaît pas, en voici la description.

Les deux os qui se rapprochent pour engendrer une suture présentent alternativement une proéminence et une anfractuosité. La proéminence ressemble beaucoup, pour la figure, aux ongles de la main ; l’anfractuosité est en harmonie avec une semblable figure. Chacun des os, recevant dans ses cavités les éminences de l’autre, offre donc dans l’ensemble de l’articulation une figure très-semblable à celle de deux scies qui se rapprocheraient par leurs dents exactement engrenées les unes dans les autres. Il est clair que ce mode d’articulation a été créé en vue de la sûreté, afin que le mouvement ne vînt pas parfois à écarter les sutures trop fortement. C’est encore ainsi que souvent des ouvriers unissant avec des chevilles nombreuses des machines, les adaptent de manière à ne pouvoir être séparées. C’est un second exemple d’ajustement qu’on peut ajouter à celui du rapprochement des scies. Vous n’auriez pas tort de comparer cette articulation à des vêtements composés de lambeaux cousus ensemble. C’est de là, je pense, que leur vient le nom de suture, que leur ont donné les anciens et qu’elles conservent encore maintenant.

Pourquoi donc la nature n’a-t-elle pas percé l’os de la tête, comme l’os du palais, d’ouvertures étroites semblables à de petites cavités ; ou pourquoi ne s’est-elle pas contentée des seules cavités de ce dernier os ? La raison en est que ces petites cavernes devaient aboutir nécessairement des deux côtés à la partie écailleuse, lisse et dense du crâne, attendu qu’elles devaient être par la face interne en contact avec les méninges, et par la face externe avec la membrane dite péricrânienne, et, qu’en vue d’une autre utilité, l’os de la tête devait se diviser en plusieurs-parties, ainsi qu’il a été démontré dans le livre précédent (chap. ix).

Si donc les trous, en demeurant découverts, pouvaient racler et blesser de leurs aspérités les corps voisins et s’il était inutile de percer l’écaille extérieure, puisque la nature devait diviser en plusieurs parties l’os de la tête, c’est avec raison qu’elle a fait servir les sutures à l’expiration ; car, ainsi qu’il a été souvent démontré (voy. par exemple IV, vii), il vaut mieux qu’un petit nombre d’organes servent à beaucoup de fonctions et d’utilités que de voir beaucoup d’organes servir à peu d’utilités et de fonctions. Aussi le livre précédent (chap. ix) a montré que la membrane péricrânienne devait être attachée à la dure-mère, d’où la nécessité des sutures. Ce livre-ci expose une seconde utilité des sutures.

Une troisième utilité concerne les vaisseaux ténus qui en sortent ; la nature leur eût donné, comme aux gros vaisseaux, des ouvertures propres à leur dimension si, voyant la nécessité de créer des sutures, elle ne les eût aussi employées à cette fin. La partie la plus épaisse des superfluités fuligineuses est donc expulsée uniquement par les sutures. Le crâne lui-même est perméable aux plus ténues ; il le serait aussi aux plus grossières, puisqu’il est caverneux, s’il n’avait fallu, comme il a été dit, que sa surface fût lisse et continue des deux côtés.

Chapitre ii. — Le crâne a dû être poreux pour être à la fois épais et léger. — Ces porosités ou cavernes que Galien regardait dans le chapitre précédent comme une voie d’excrétion, n’ont donc sous ce rapport qu’une utilité secondaire.


Quelqu’un s’imaginera peut-être que c’est inutilement que le crâne est creusé de cellules, les sutures n’ayant aucun besoin, vu leur nombre et leur étendue, d’un secours étranger pour servir à l’expiration. Il est donc nécessaire de montrer ici que le crâne a dû être créé tel, quand déjà je m’empressais de passer aux conduits excréteurs des superfluités épaisses, afin que le livre ne fût pas allongé à chaque instant par des digressions incidentes. Je n’ajoute donc plus qu’une observation, et je reviens à mon sujet.

Si la nature eût fait tout l’os supérieur dense et mince à la fois, les parties sous-jacentes n’y auraient pas trouvé un accroissement de sécurité, les corps capables de blesser cet os pouvant aisément pénétrer jusqu’à elles, vu la brièveté du chemin. Si elle l’eût créé épais et dense à la fois, c’eût été une charge pour l’animal tout entier. Ce serait comme si dans l’état actuel on s’attachait, pour ne jamais l’enlever un fardeau quelconque sur la tête. Restait donc encore un troisième moyen, c’était de ne le créer ni mince, ni dense, mais épais, poreux et creusé de cellules. De cette façon, il ne devait ni charger la tête, ni laisser passer dans l’encéphale par un court chemin les corps qui l’auraient blessé. Il a donc été créé tel pour les motifs ici énoncés, et jusqu’à un certain point pour l’expiration.


Chapitre iii. — Des voies d’excrétion de l’encéphale à travers le palais. — Description de tout l’appareil. — Détails particuliers sur l’infundibulum et sur le canal ou entonnoir.


Retournons donc à l’autre espèce de conduits qui purifient l’encéphale et montrons en eux l’art de la nature. Pour les deux méats qui aboutissent aux narines, nous en avons traité dans le livre précédent (chap. vi, p. 547 et suiv.). Quant aux deux autres qui aboutissent au palais (parties antér. et postér.de l’étage inférieur du ventricule moyen ? — voy. Dissertation sur l’anatomie pour ce qui regarde ce canal en partie factice), l’un sortant du ventricule moyen de l’encéphale descend par une pente droite, l’autre naît du canal (voy. p. 566, note 1) qui rattache l’encéphale au cervelet et se dirige obliquement vers le premier en descendant. Au moment où ils se rencontrent, ils sont reçus tous deux dans une région commune, creuse et inclinée (infundibulum). Le bord supérieur de cette cavité est un cercle parfait. De là, se rétrécissant toujours davantage, elle aboutit à une glande inférieure, semblable à une sphère aplatie (glande pituitaire) et ayant elle aussi une cavité manifeste (voy. Dissert,sur l’anat.). À la suite vient un os (ethmoïde) qui ressemble à un crible et se termine au palais. Tel est le chemin des superfluités épaisses.

L’utilité de chacun des organes qui s’y trouvent est déjà évidente, même si je ne l’énonce pas, mais j’en parlerai pour qu’il n’y ait pas de lacune dans le discours. La cavité infundibulum à laquelle aboutissent les méats, cavité que les uns nomment bassin à cause de sa figure, les autres entonnoir à cause de son utilité qui consiste à remplir l’office d’un réservoir à sa partie supérieure ; à sa partie inférieure, comme l’indique son nom, il représente un entonnoir. En effet, son ouverture descend jusqu’à la cavité de la glande. Comme cette partie devait à son extrémité supérieure se rattacher en haut à l’encéphale et en bas aboutir à la glande, elle a été nécessairement créée membraneuse ; et si une membrane mince, la membrane choroïde (prolong. de la pie-mère) entoure l’encéphale même, il était hors de propos de lui chercher un autre lien avec l’encéphale. C’est donc, comme il le fallait, une partie de cette membrane qui en s’étendant constitue le corps du bassin.

Quant à l’utilité de la glande à laquelle aboutit l’entonnoir, il est manifeste qu’elle filtre les superfluités ; ce fait est connu des anatomistes, et ce n’est pas une grande preuve de leur habileté. Mais pourquoi de l’entonnoir les superfluités ne tombent-elles pas immédiatement par les ouvertures du palais ? Cette question digne d’examen est omise par les anatomistes aussi bien que celle qui regarde les os ethmoïdes du nez ; en effet, ils n’expliquent pas non plus dans quel but ces os ont été créés ; ils se contentent de dire qu’ils servent à filtrer les superfluités, et croient que cela suffit. Ils négligent complètement d’expliquer qu’il était mieux que ces superfluités fussent filtrées et qu’elles ne tombassent pas immédiatement. Cette remarque même nous l’avons ajoutée et nous avons montré (VIII, vii) qu’il valait mieux appeler ces os spongoïdes qu’ethmoïdes, et que cette comparaison [avec des éponges] venait d’Hippocrate. Donc les fosses nasales exposées aux lésions sont protégées par ces grands remparts osseux d’une étendue considérable.

Pour le palais, comme les ouvertures aboutissent à la bouche et que de plus elles doivent être recouvertes intérieurement par une membrane épaisse, il n’était pas besoin de grande protection, mais il suffisait de ces trois choses, la glande, l’os et la membrane. Maintenant que la glande soit en dehors de la dure-mère, je pense que cela est évident, même si je ne le disais pas, comme aussi que la distance de l’os palatin à la membrane égale la profondeur de la glande.

Il serait convenable à présent de dire quelle partie la nature a établie dans cette région. Il est évident qu’entre toutes celles du corps, c’est la mieux garantie, étant recouverte à sa partie supérieure par tout l’encéphale et par le crâne, et à sa partie inférieure par l’os palatin et par la bouche. Aussi l’animal pourrait mourir plusieurs fois si cela était possible avant que ces parties fussent atteintes par le choc d’un corps extérieur.


Chapitre iv. — Disposition admirable du plexus réticulé ; il sert à élaborer le pneuma psychique, comme les réseaux tortueux des vaisseaux spermatiques servent à élaborer le sperme. — Analogies et différences dans la manière dont les vaisseaux se comportent avec le canal intestinal et avec l’encéphale. — Que tout est disposé dans l’encéphale pour la présente élaboration et distribution du pneuma et pour l’alimentation du viscère.


Le plexus dit réticulé[3] par les anatomistes, plexus qui embrasse la glande même et se déroule en arrière à une grande distance, est le plus merveilleux des corps établis dans cette région. En effet, peu s’en faut qu’il ne s’étende sous toute la base de l’encéphale. Ce réseau n’est pas simple ; on dirait plusieurs filets de pêcheurs tendus les uns sur les autres. Mais ce filet naturel a ceci de particulier que toujours les mailles de l’un sont attachées à celles de l’autre et qu’on ne saurait prendre l’un des filets sans l’autre. Si l’on en prend un, tous viennent à la suite parce que tous se tiennent entre eux et sont attachés les uns aux autres. Mais, ni pour la délicatesse de la composition, ni pour la densité du lacis, vous ne pourriez leur comparer aucun des filets travaillés par la main des hommes. Ce n’est pas non plus d’une matière commune qu’il est formé : la plus grande partie des artères (carotides primitives — voy. Dissert. sur l’anat.) remontant du cœur à la tête a été employée par la nature à cet admirable réseau. De ces artères se sont détachées de petites ramifications sur le cou, la face et les parties externes de la tête. Tout le reste qui de sa source s’était élevé en ligne droite, montant vers la tête par le thorax et le cou, est accueilli avec faveur dans cette région du crâne qui, percée de trous, la fait passer sans danger dans l’intérieur de la tête.

Vous pensez peut-être que la dure-mère les a aussi revêtus [immédiatement] et qu’elle a été traversée en ligne droite par le courant des vaisseaux ; et, après tout cela, on pouvait croire que ces artères s’empresseraient d’arriver à l’encéphale ; mais il n’en est pas ainsi : dépassant le crâne dans la région située entre celui-ci et la dure-mère, elles se divisent d’abord en un grand nombre de branches très-petites et déliées. Alors se portant, les unes à la partie antérieure de la tête, les autres à la partie postérieure, celles-ci au côté gauche, celles-là au côté droit, et s’entrelaçant, elles font croire qu’elles oublient la route de l’encéphale. Mais cela non plus n’est pas exact. En effet, toutes ces nombreuses artères venant de nouveau à se réunir, comme des racines en un tronc, engendrent une autre paire d’artères semblable à celle qui a déjà donné naissance au réseau ; ces artères pénètrent alors dans l’encéphale par les trous de la dure-mère.

Mais quelle est cette disposition merveilleuse et pourquoi a-t-elle été créée par la nature, qui ne fait rien sans but ? Si vous vous rappelez ce que nous avons dit et démontré lorsque nous expliquions les dogmes d’Hippocrate et de Platon (VII, iii et suiv.), vous puiserez dans ces souvenirs une nouvelle confirmation de nos observations actuelles, et vous découvrirez aisément l’utilité de ce plexus. En effet, quand la nature veut élaborer parfaitement une matière, elle lui ménage un long séjour dans les organes de coction. Nous avons déjà démontré ce fait en maints endroits ; pour le moment, citons les circonvolutions variqueuses [du cordon spermatique] où elle prépare le sang et le pneuma propre à la production du sperme : cet exemple nous suffira à expliquer le cas actuel. Les veines et les artères forment dans ce canal mille replis variés ; elles contiennent un sang pur à la naissance des replis, mais à leur extrémité voisine des testicules il n’est plus exactement rouge : le suc qu’elles renferment est déjà plus blanc, ayant encore besoin, pour devenir la substance parfaite du sperme, d’une petite élaboration qu’il empruntera aux testicules eux-mêmes. Mais autant le pneuma psychique de l’encéphale exigeait une élaboration plus parfaite que le sperme, autant le plexus réticulé a été créé plus entrelacé que les vaisseaux spermatiques. Nous avons donc démontré avec raison dans les Commentaires [sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon, VII, iii] que le pneuma psychique de l’encéphale trouve une origine matérielle convenable dans le pneuma vital qui vient [du cœur] à travers les artères.

Nous répéterons maintenant encore une observation faite dès le début de tout l’ouvrage (I, viii et xvi), c’est qu’il n’est pas possible de découvrir convenablement aucune utilité d’aucune partie, si d’abord l’on n’est familiarisé parfaitement avec la fonction de tout l’organe. Ainsi nous avons démontré, dans les Commentaires précités (voy. aussi V, vii et VI, ii), que l’âme raisonnable habite dans l’encéphale ; que nous raisonnons au moyen de ce viscère ; que la plus grande partie du pneuma psychique y est renfermée, enfin que ce pneuma acquiert sa propriété spéciale par l’élaboration qu’il y subit (voy. Dissert. sur la phys.).

Remarquons ici que la structure du plexus réticulé, non moins que les autres particularités de celle de l’encéphale, concordent merveilleusement avec nos exactes démonstrations. En effet, l’encéphale tout entier est entrelacé par ces artères, qui présentent des ramifications variées ; beaucoup d’entre elles aboutissent aux ventricules, ainsi qu’une grande partie des veines qui descendent du sommet de la tête. Venant de régions opposées, elles rencontrent les artères, se distribuent comme elles dans toutes les parties de l’encéphale, aussi bien dans les ventricules mêmes que dans les autres parties. De même que, dans l’estomac et les intestins, descendent un grand nombre de veines et d’artères qui déversent de la bile, de la pituite et d’autres humeurs analogues dans la cavité extérieure [par rapport aux artères ; c’est-à-dire dans le canal intestinal], et retiennent en elles le sang et le pneuma vital, de même les veines déversent leurs superfluités, d’une façon semblable, dans les ventricules de l’encéphale et retiennent le sang, tandis que les artères exhalent principalement le pneuma psychique. Celles-ci, en effet, remontent des parties inférieures ; les veines, au contraire, descendent d’en haut dans l’encéphale.

La nature a pourvu admirablement à ce que les substances qui tombent de leurs orifices traversent l’encéphale tout entier. En effet, tant qu’elles sont renfermées dans les vaisseaux mêmes, elles circulent avec ceux-ci dans toutes les parties du corps ; mais une fois qu’elles en sont sorties, chacune se dirige selon son impulsion naturelle : la substance légère et déliée monte ; la substance épaisse et lourde descend. Les artères qui aboutissent au canal intestinal ayant une position déclive, ne fournissent pas de pneuma au canal sur lequel elles se terminent, si ce n’est celui qui parfois est projeté par l’action des vaisseaux mêmes. Mais les artères de l’encéphale, dont la direction est ascendante, laissent toujours échapper le pneuma, parfaitement élaboré, dans le plexus réticulé, d’où il est emporté par les artères de l’encéphale en aussi grande quantité qu’il afflue dans le plexus. En effet, il ne peut traverser promptement les artères du plexus : il est retenu dans tous leurs détours, en haut, en bas, de côté, errant dans tous leurs circuits si nombreux et si variés ; de sorte que, faisant un long trajet dans le plexus, il achève de s’élaborer. Une fois élaboré, il tombe à l’instant dans les ventricules de l’encéphale ; car il ne fallait, ni que le pneuma séjournât trop longtemps dans les plexus, ni qu’il s’échappât encore mal élaboré.

Il n’importait pas seulement aux ventricules mêmes qu’il en fût ainsi ; l’encéphale tout entier y était intéressé, et l’intérêt pour lui n’était pas moindre. Toutes les parties de l’encéphale en contact avec la membrane qui les enveloppe puisent, en effet, dans les vaisseaux mêmes de celle-ci l’aliment qui leur est propre. Pour celles qui en sont plus éloignées, elles trouvent un secours dans le courant des matières ; car toutes les parties du corps ont la faculté d’attirer leur aliment propre ; mais elles ne peuvent opérer cette attraction ni de loin, ni à une longue distance, si elles n’empruntent un secours étranger. Ce secours a été ménagé avec soin par la nature, surtout dans l’encéphale : d’abord, parce qu’il est le plus important de tous les organes ; ensuite, parce qu’il est séparé des vaisseaux par de grands intervalles ; en troisième lieu, parce que, vu sa mollesse et sa température modérée, il était moins capable d’attirer. Les corps qui attirent doivent en effet posséder plus de ressort et de chaleur.


Chapitre v. — Que dans toutes les parties les artères et les veines marchent parallèlement et procèdent du même point — Dans l’encéphale seul, les artères marchent de bas en haut, et les veines de haut en bas (cf. Dissert, sur l’anat., et Hoffmann l. l., p. 210). — Cette disposition a été prise pour que la dure-mère servît à la fois de route pour les veines (sinus) et de séparation pour le cerveau et le cervelet.


Il convient ici, interrompant un instant le discours, de nous rappeler, à propos de toutes les veines et artères du corps, comment elles s’insèrent dans toutes les parties qui ont besoin des deux espèces de vaisseaux ; comment parfois elles sont si proches et si voisines les unes des autres qu’elles sont en contact dans l’estomac, le jéjunum, dans tout l’intestin grêle et le colon. Rappelons-nous ces vaisseaux d’abord ; puis ceux du foie, du poumon, des reins, de la vessie, de l’utérus, de la rate et du cœur même ; enfin ceux des épaules, du thorax, des mains et des jambes ; souvenons-nous que dans toutes ces régions on ne voit pas naître des parties inférieures la veine, et des parties supérieures l’artère ; ni du côté droit une espèce de vaisseau, et du côté gauche l’autre espèce ; ni l’artère en avant et la veine en arrière, et qu’en naissant des mêmes parties, loin d’être fort éloignés l’un de l’autre, ces vaisseaux sont au contraire, dans toutes ces parties, si voisins qu’ils se touchent, et que toujours la veine est placée sur l’artère.

Mais si, pour l’encéphale, il était préférable que les vaisseaux y pénétrassent de lieux différents, ou mieux tout à fait opposés, n’admirerons-nous pas la prévoyance du Créateur, qui du cœur amène jusqu’à la tête, à travers le thorax et tout le cou, les artères en même temps que les veines, et de là fait remonter, d’une part les artères dans le plexus réticulé, de l’autre les veines jusqu’au sommet de la tête, dirigeant, non pas au hasard, mais avec beaucoup de circonspection, les veines si importantes pour l’animal. Or, c’est sur l’importance des parties nourries que l’on juge de l’excellence des veines qui les nourrissent. Si donc le Créateur eût conduit, par la région externe du crâne, jusqu’au sommet de la tête, les veines recouvertes seulement par la peau, il n’eût pas reconnu, ce me semble, leur importance. S’il les eût conduites intérieurement, mais en leur faisant traverser immédiatement la dure-mère, leur trajet était ainsi, il est vrai, assuré contre les lésions des corps externes ; mais d’un autre côté il n’était pas garanti ; dépourvues, en effet, de ligaments, elles ne pouvaient remonter sans danger, portées seulement par l’encéphale même, corps de forme périphérique et de consistance molle ; or, pour des veines si considérables, la pie-mère n’était pas un ligament suffisant. Il ne fallait pas non plus, c’était un troisième et dernier moyen, leur faire traverser la cavité du crâne, en les conduisant au sommet de la tête par la région intermédiaire entre l’os et la dure-mère ; car elles auraient souffert dans leurs mouvements, en se heurtant contre le crâne, ou bien il aurait fallu disposer entre elles et le crâne une tunique dure, telle qu’on en voit dans tous les trous des os. Nécessairement, si la nature n’avait trouvé pour elles une garantie plus ingénieuse, elle aurait eu recours à ce moyen, comme on le conjecture d’après ceux qu’elle a imaginés pour les vaisseaux qui traversent les os.

Mais la plus grande marque de l’habileté d’un Créateur, c’est, avons-nous déjà dit souvent (voy. p. 526), de faire servir à d’autres utilités des parties créées dans quelque but spécial, et de ne pas s’ingénier à créer une partie propre pour chacune de ces utilités. La dure-mère existant donc en cet endroit, la nature n’a pas pensé qu’il fallût disposer une autre tunique, puisque celle-ci pouvait se replier et donner asile aux veines entre ses replis.

Est-ce le seul expédient ingénieusement inventé ? Ou n’est-ce pas une chose encore plus ingénieuse de voir que cette duplicature même n’offre pas cette seule utilité ; en effet, l’encéphale devant être séparé du cervelet, comme il a été démontré dans le livre précédent (chap. vi), le Créateur a placé la duplicature (tente du cervelet, sinus de la dure-mère) justement dans cet endroit, pour qu’elle servît à la fois de route aux vaisseaux (sinus droit ?), et d’enveloppe, d’un côté à l’encéphale, et de l’autre au cervelet.

Voulez-vous connaître encore une troisième disposition ingénieuse imaginée en outre par le Créateur pour ce repli ? Comme la dure-mère devait être rattachée au crâne, ainsi qu’il a été démontré dans le livre précédent (chap. ix), il était beaucoup mieux pour la sécurité de la membrane elle-même, et des parties sous-jacentes qu’à l’endroit où elle devient plus épaisse en se doublant, elle engendrât des ligaments. Et comme il fallait que ces ligaments sortissent par les sutures, ce point aussi a été démontré (VIII, ix), la nature a conséquemment établi en cet endroit la suture dite lambdoïde.


Chapitre vi. — Des sinus de la dure-mère et des veines qui en partent. — Ces veines servent à la fois à nourrir et à soutenir l’encéphale.


Quand ces dispositions eurent été prises, la nature, créant pour le passage du sang un grand nombre de routes (sinus) dans la dure-mère, en fit sortir des veines les unes petites, les autres grandes, dirigées soit en haut vers le diploé du crâne, et vers la membrane péricrànienne avoisinante, soit en bas vers la pie-mère sous-jacente. Ces veines ont été créées, non en vue d’une seule utilité (voy. p. 526), mais à la fois pour nourrir, ce qui est la fonction propre et spéciale de toute veine, et pour servir à rattacher tous les corps voisins avec la dure-mère.

Les replis de la dure-mère qui amènent le sang se réunissent au sommet de la tête dans une région vide comme un réservoir, et que pour cette raison Hérophile appelle ordinairement pressoir[4]. De là, comme d’une source élevée, elles envoient des ramifications à toutes les parties inférieures.

On ne saurait calculer le nombre des courants sanguins, parce qu’on ne peut non plus compter la quantité des parties qui sont nourries. Il est des veines qui coulent de la région centrale (pressoir) même dans tout le cervelet (veines cérébelleuses), divisées et ramifiées tout à fait comme les sillons d’un jardin potager. D’autres (sinus longit. supér. et infér. ?) dérivent de la partie antérieure, laquelle aboutit au pressoir, et vous diriez un ruisseau de sang que la nature a fait ingénieusement jaillir de la dure-mère. Car les canaux de la dure-mère (sinus latéraux ?) qui amènent le sang, venant confluer au pressoir, et l’une d’elles étant dirigée sur les corps sous-jacents, la nature ne confie plus désormais le sang à une seule veine ; mais des parties de la dure-mère prolongées en avant, elle forme le conduit sanguin (sinus droit ?), et de ce conduit elle détache dans tout son parcours des ramifications très-nombreuses.

Chapitre vii. — Suite de la description des sinus de la dure-mère et des veines qui en partent. — Utilité des prolongements de la dure-mère.


Ensuite lorsqu’en avançant, ce conduit (sinus droit) s’est rapproché déjà du ventricule moyen, et devait engendrer de grandes veines (v. de Galien) destinées à se distribuer dans les plexus choroïdes, la nature ne s’est plus fiée à la seule pie-mère pour relier de telles veines ; elle lui a créé la glande [pinéale] pour soutien, et fixant cette glande au centre des veines descendantes, elle l’établit ainsi au milieu de la pie-mère, et l’enveloppe circulairement des veines réunies par la membrane, afin que la glande remonte avec ces veines aussi longtemps qu’elles sont suspendues ; mais quand elles s’implantent sur l’encéphale, alors la glande s’affermit par sa base circulaire sur la convexité de l’encéphale. De cette façon, les veines (veines choroïdiennes) qui se détachent autour de la glande se rendent par le ventricule moyen aux ventricules antérieurs (ventricules latéraux), où elles s’entrelacent avec les artères remontantes, lesquelles composent les plexus choroïdes.

L’autre partie de la dure-mère (faux du cerveau), celle qui se dirige suivant la longueur du cerveau, et que nous avons dit (chap. vi) être une espèce de conduit sanguin (sinus longit. supér.), prolonge très-loin, comme dès le principe, son cours en avant ; dans ce trajet, elle engendre beaucoup de veines qui se distribuent dans l’encéphale entier. Telle est l’habileté que la nature a mise en évidence dans le parcours des veines.

Cette dure-mère qui donne naissance au conduit sanguin dont nous venons de parler, ne devait pas non plus pour ce seul office s’étendre si loin ; la nature, en effet, a, dans cet endroit, établi une suture qui du sommet du crâne se porte droit au front par le centre de la tête (suture bipariétale). Il était nécessaire aussi que l’encéphale fût double. Elle a fait servir à cet usage, ainsi qu’il a été dit précédemment (VIII, ix), la dure-mère en étendant jusqu’au front une partie de celle-ci (faux du cerveau) pour diviser l’encéphale.

La partie de cette membrane la plus près de son origine, située entre la glande pinéale et le pressoir, est placée perpendiculairement sur le canal (voy. p. 566, note 1) qui rattache l’encéphale au cervelet, et sur l’épiphyse vermiculaire, de sorte que ramenant à elle les corps voisins, elle les empêche de peser sur l’épiphyse du canal, disposition très-avantageuse pour cette épiphyse ; si l’on se rappelle ce que nous avons dit dans le livre précédent (chap. xiv) touchant sa fonction, on n’aura plus besoin d’aucune nouvelle confirmation.

C’est ainsi que la membrane de la suture lambdoïde tend les corps placés sur le ventricule postérieur (4e ventricule). C’est encore ainsi que la troisième suture dite coronale, placée transversalement au milieu des ventricules antérieurs, en relevant la partie de l’encéphale, située entre elle et les ventricules, partie très-considérable, affranchit de la compression les ventricules qui auraient été complétement affaissés, surchargés, resserrés sans la suture établie dans cette région de la tête. En effet, si les ventricules du cœur, vu la dureté de leur enveloppe, demeurent exempts de compression, n’ayant besoin pour ce résultat d’aucun secours étranger, il n’en pouvait être ainsi de ceux de l’encéphale, corps si mou ; ses ventricules ne sauraient échapper à la compression sans quelque secours étranger. Mais tout ce qui nous reste à dire encore au sujet des sutures sera développé dans la suite.


Chapitre viii. — Origine et trajet crânien des 1re, 2e, 3e p. de nerfs (2e, 3e et5e des mod.[5]).


Revenons à l’encéphale et parlons de ses autres prolongements ; mais d’abord rappelons succinctement ce que nous avons dit précédemment sur ce sujet (VIII, vi) : Les prolongements les plus considérables sont, comme nous l’avons exposé, ceux des narines (nerfs olfactifs ; 1re paire des mod.). De chaque côté de ceux-ci se trouvent les conduits des yeux (nerfs optiques ; 1re paire de Gal. ; 2e des mod.), et près de ces derniers, les prolongements qui meuvent leurs muscles (oculo-moteurs communs et externes ? ; 2e p. de Gal., 3e et 6e des mod.). Les nerfs optiques se rencontrent en un même point avant de sortir de la dure-mère (chiasma des nerfs optiques), et se divisent ensuite ; derrière leur commissure est la fosse pituitaire ; les artères sont de chaque côté en contact avec eux. Ces parties sont en dedans de la dure-mère. Celles que recouvrent la dure-mère elle-même et la portion de l’encéphale qui y correspond, sont la glande pituitaire, le plexus réticulé, et le conduit du palais (voy. Dissert, sur l’anat.). On voit très-clairement si l’on examine par ses yeux, moins clairement si l’on s’en tient à une simple description, que ni à la partie antérieure de la tête, ni à la base, il ne reste une place pour le prolongement des nerfs sensitifs vers la langue (nerf lingual ; portion de la 3e paire de Gal., de la 5e des mod.). En effet, à la partie antérieure, sont les prolongements vers le nez et vers les yeux (n. olfactifs et n. optiques), à la base se trouvent la glande pituitaire et le plexus réticulé.

Ainsi, la partie antérieure même de l’encéphale étant déjà traversée par des prolongements, et la base n’offrant plus de chemin libre, il fallait chercher une troisième place pour les nerfs du goût (voy. p. 585, l. 15-16). Les parties postérieures de l’encéphale étant dures ne pouvaient engendrer de semblables nerfs ; les parties supérieures ne donnant naissance à aucun nerf d’aucune partie, n’en devaient pas non plus fournir à la langue. Or, nous avons montré mille fois avec quel soin la nature a pourvu à la sûreté des parties, surtout des parties importantes. Quand leur mollesse les expose à être blessées par toute espèce de corps, c’est alors surtout qu’elle cache ces parties et les défend de tous côtés. Si elle eût engendré des parties latérales de l’encéphale qui répondent aux yeux, les nerfs de la langue, leur trajet même dans ce cas n’eût pas été aussi sûr que s’ils provenaient de la base. Si donc il était mieux que ces nerfs dérivassent de la base et pour leur sûreté, et parce qu’au bas était placée la langue, et si d’un autre côté toute la partie antérieure était déjà occupée par les corps énumérés, il était nécessaire d’établir leur origine aux parties postérieures vacantes (protubér. annulaire). C’est ainsi qu’il fut fait, puisque de cette façon seulement ils pouvaient se produire convenablement ; et c’est là qu’est établi le double point de départ des nerfs sensitifs de la langue. En effet, ce sens était double comme les autres, ayant une partie droite complétement identique à la partie gauche (voy. VIII, x, p. 557). Mais comme il devait concourir à la mastication et à la déglutition, et être un organe de la parole, pour ce motif, ses parties se sont réunies et ont formé un tout géminé. La nature a donc eu raison de détacher dès le principe un nerf spécial sur chacune des moitiés de la langue.

Comme il était mieux de communiquer des mêmes régions à toutes les parties de la bouche la faculté du goût, la nature créant pour celles-ci les prolongements des nerfs, et les rattachant tous ensemble, a dirigé séparément ceux des parties droites sur les parties droites de la base, et ceux des parties gauches séparément sur les parties gauches ; elle les a prolongés ainsi en les faisant accompagner par la membrane choroïde capable à la fois de les nourrir et de les protéger (voy. X, ii). Elle a percé et creusé la dure-mère pour recevoir les prolongements ; mais elle ne l’a pas percée [directement], elle l’a creusée comme un canal et a conduit ces prolongements jusqu’aux os antérieurs (sphénoïde) à travers lesquels il était temps qu’ils s’échappassent ; en cet endroit elle a percé les os de trous (?) et avec les deux membranes elle a inséré les nerfs, ceux-ci à la langue, ceux-là à la mâchoire supérieure, les autres à la mâchoire inférieure (branches et rameaux du trifacial : maxillaires supérieur et inférieur ; lingual ; buccal ?).

Mais avant de distribuer ces nerfs dans ces parties, la nature a, comme par surcroît, produit un autre nerf ; puis l’ayant comprimé, condensé et rendu plus dur que les nerfs qui aboutissent à la bouche, elle l’a inséré sur le muscle temporal (nerf temporal profond fourni par le maxill. infér.Voy. p. 594). Celui-ci, en effet, était destiné à mouvoir ; ceux-là devaient percevoir les saveurs.

Tous les nerfs qui s’insèrent à la mâchoire inférieure et à la langue y arrivent naturellement par des chemins en pente ; cela résulte de la position même des parties qui les reçoivent. Pour ceux qui se portaient à la mâchoire supérieure, la nature leur a ouvert une autre voie convenable. Et d’abord elle les a dirigés en avant et les a menés près des cavités des yeux, puis là elle a employé un des trous (?) qu’on y rencontre, à travers lequel elle avait déjà fait passer les nerfs qui s’insèrent sur les muscles des yeux (voy. p. 583, chap. viii, l. 8). On ne saurait concevoir une autre route meilleure, ni dans les orbites eux-mêmes, ni en dehors de ces cavités. En effet, les parties qui font suite aux petits angles des yeux étaient réservées aux muscles temporaux, et de plus offraient un parcours long et peu sûr ; quant aux parties qui touchent aux grands angles, les conduits du nez (canal lacrymal) les avaient déjà occupées. Comme, d’un autre côté, il existe deux trous dans les orbites (?), qu’il doit y en avoir un troisième (trou orbit. int.) vers le grand angle, ainsi que je le montrerai dans la suite du discours (voy. chap xvi) ; le Créateur, en ajoutant un quatrième trou à ceux-ci, eût été coupable de négligence envers ces os, qu’il aurait alors mal garantis contre les lésions. En effet, plus on eût augmenté le nombre de trous rapprochés les uns des autres, plus les parties intermédiaires de l’os eussent été, par leur ténuité, exposées aux lésions.

Aussi, d’après ces calculs, le Créateur s’est gardé de percer l’os en un quatrième point ; mais se bornant à choisir entre les trois qui existaient déjà, il a adopté le chemin où passent les nerfs qui résistent le mieux aux lésions, et il l’a fait traverser par ceux de la mâchoire supérieure. Les nerfs optiques, en effet, non-seulement sont beaucoup plus mous que les nerfs moteurs, mais encore beaucoup plus importants. Aussi c’est pour eux que tout l’œil a été fait, et toute l’essence de la vision réside en eux ; de plus encore les trous par lesquels ils passent ne sont pas plus grands que ces nerfs eux-mêmes. La nature a donc avec raison renoncé à accoler les nerfs de la mâchoire aux nerfs optiques, attendu que ces derniers passent par des trous (trous optiques) qui sont déjà grands [et qu’il ne fallait pas élargir encore], et qu’ils sont eux-mêmes beaucoup plus importants et plus mous que les nerfs de la mâchoire ; elle a donc fait passer les nerfs de la mâchoire supérieure en compagnie de nerfs à la fois plus durs, moins importants et pénétrant par des trous plus étroits (voy. p. 583, chap. viii, l. 8), sachant qu’ils ne seraient pas incommodés par le voisinage d’autres nerfs et que la grandeur de ce trou ne dépasserait pas celle du trou des nerfs optiques. En effet, ce trou est allongé et n’est pas exactement rond comme l’autre. On croirait peut-être que son périmètre est plus étendu que celui du trou des nerfs optiques, mais en le comparant dans son ensemble avec l’ensemble de ce dernier, on ne le trouverait guère plus grand. Ce trou devait nécessairement être allongé et non pas arrondi comme celui des nerfs sensitifs parce qu’il devait contenir deux nerfs disposés l’un à côté de l’autre, et non pas un seul. Chacun d’eux, il est vrai, est multiple ; nous traiterons bientôt plus en détail de la nature de tous ces nerfs (voy. chap. XI, p. 592).

Présentement rien n’empêche, pour éclaircir l’explication, de dire qu’un nerf se distribue dans les muscles des yeux, qu’un autre allant à la mâchoire supérieure, sortant du trou [commun] (voy. p. 585) avec le premier, arrive dans l’orbite, se dirige droit à la partie nommée la joue, les os placés sous les yeux (maxill. supér.) étant percés à cet endroit et lui donnant passage (trou sous-orbit.). En effet, ils devaient passer sans toucher les muscles, sans les gêner, ni en être gênés ; car il était mieux que le mouvement de ces muscles fût conservé intact, et que les nerfs cheminassent en toute sécurité, sans participer aucunement à un mouvement étranger, et dont ils n’avaient nul besoin. Dans cette prévision donc, le Créateur a établi immédiatement sous les yeux un autre trou (trou sous-orbitaire) qui fait suite au premier trou commun aux deux nerfs (voy. p. 585), lequel se termine vers le cerveau même. En cette région, les nerfs et leurs conduits sont recouverts par une mince écaille de l’os (?) ; mais dans la région dite malaire, comme cette région est élevée, les nerfs sont recouverts par des os épais et pénètrent dans la profondeur de l’os qui leur est contigu, comme si cet os [n’]avait [pas] été créé en vue d’une autre utilité que celle des nerfs.

La nature n’a pas négligé non plus, à l’égard de tous les vaisseaux qui traversent ces os, de les revêtir de dures tuniques, et de creuser dans les os mêmes certains méats dont les parois sont polies et poreuses, surtout quand les os percés sont d’une substance dure. Mais cela ne s’observe pas pour tous les nerfs, toutes les artères et toutes les veines, avec une rigueur telle que la nature ne puisse paraître un peu en défaut aux yeux de ceux qui écoutent avec négligence et distraction, ou plutôt qui comprennent mal. Toutefois, pour celui qui prête un esprit attentif à nos paroles et qui tire de la dissection même une preuve convaincante, il suffit de lui montrer la prévoyance et à la fois l’art admirable du Créateur.

Quand nous exposerons, dans un des livres suivants (XI, vii), la structure des parties de la bouche et de la face, nous expliquerons de quelle façon ces nerfs qui descendent sous les yeux pour aller aux os malaires, comment ceux qui sont nommés auparavant et ceux qui traversent les parties inférieures forment des plexus à la langue, à la bouche, à toutes les parties de la face. En effet, dans le discours actuel, on s’est proposé seulement d’énoncer les utilités des prolongements issus de l’encéphale qui se terminent à l’os dont il est revêtu (crâne). Arrêtons-nous donc à cette limite, et comme nous avons à suivre le nerf jusqu’au dehors du crâne, retournons à l’encéphale pour n’omettre aucune de ses productions intérieures, et n’insistons pas davantage sur la partie de ces productions qui se trouve au dehors.


Chapitre ix. — Récapitulation du chapitre précédent. — Des nerfs du palais (4e paire de Gal. ; partie de la 5e des mod. ; nerfs palatins ? — Voy. Dissert. sur l’anat.). — Origine et trajet crânien de ces nerfs.


Pour tenir cet engagement, après avoir ajouté aux remarques antérieures que de ces nerfs se détache, sur les muscles temporaux, un prolongement qui s’échappe à travers les os des tempes (nerf auriculo-temp. et son anastom. avec le facial ?), passons donc à un autre prolongement de l’encéphale. Il forme la quatrième paire de nerfs d’après le calcul des anatomistes habiles, qui ne comptent pas parmi elles le prolongement vers les narines, parce qu’il ne donne pas comme les autres naissance à des nerfs, et qu’il ne traverse pas les os (voy. VIII, vi, p. 543).

On compte comme première apophyse (paire) des nerfs, les nerfs mous des yeux (n. optiques) ; comme seconde, les nerfs moteurs des muscles de l’œil (oculo-moteurs communs et externes ?) ; comme troisième, celui dont je viens de parler (trifacial), lequel commence à l’endroit où la partie antérieure de l’encéphale s’unit à la partie postérieure ; puis traversant la dure-mère, il se divise [d’abord] en deux branches (maxillaires supérieur et inférieur) et se distribue de la façon indiquée.

La quatrième paire de nerfs (nerfs palatins, partie du trifacial ?) est établie un peu derrière ceux-ci ; elle naît de la base même de l’encéphale plus que les précédents, leurs origines étant placées les unes près des autres ; puis se joignant immédiatement aux nerfs de la troisième paire (trifacial), elle se prolonge ensuite très-loin, puis se divise et se distribue sur toute la tunique du palais.

Ces nerfs sont très-petits et un peu plus durs que ceux de la troisième paire, parce que la tunique qui tapisse la bouche est plus dure, non-seulement que la langue, mais encore que presque toutes les parties de la face. Aussi ces nerfs dérivent-ils de parties de l’encéphale un peu plus dures que celles d’où part la troisième paire. En effet, plus nous allons en arrière, plus dur nous trouvons l’encéphale ; les parties de la base sont aussi plus dures que les autres. Naturellement donc la quatrième paire de nerfs, pour qu’elle soit moins molle que la troisième, non-seulement dérive des parties postérieures, mais aussi de la base de l’encéphale plus encore que la troisième paire.


Chapitre x. — De la 5e paire de nerfs (7e de Willis ; 7e et 8e des modernes : nerf facial et nerf auditif). — Du trou borgne.


À la suite de ces nerfs existent, sur les parties latérales de la tête, des prolongements vers les os pétreux (rocher) ; c’est la cinquième paire de nerfs lesquels ne sont pas encore durs. Cette paire se divise en deux branches (portion dure et portion molle de la 7e paire de Willis ; 7e et 8e des mod.), pendant qu’elles traversent les os mêmes, l’une de ces branches pénètre dans le conduit acoustique, l’autre dans le trou appelé trou borgne (aqueduc de Fallope).

En réalité, ce trou n’est pas borgne comme on le dit ; mais les premiers, je pense, qui lui donnèrent ce nom, ayant insinué un jonc ou une soie de porc, et ne pouvant le faire traverser, s’imaginèrent que le trou se terminait en cet endroit. Si rien n’en sort, ce n’est pas qu’il soit borgne ; l’obliquité du conduit en est la seule cause. Si on coupe peu à peu tout l’os à l’entour et qu’on mette à nu le nerf, les détours qu’il suit apparaîtront à vos yeux et vous verrez le nerf sortir du côté de l’oreille (par le trou stylo-mastoïdien). Du reste, nous avons parlé précédemment de la nature des nerfs acoustiques (VIII, vi). Nous parlerons de ceux qui sortent du trou borgne en traitant des parties qui n’appartiennent pas au crâne (voy. plus loin, chap. xiii).


Chapitre xi. — De la 6e paire de nerfs (8e de Willis ; 9e, 10e, 11e des modernes : pneumogastrique, glosso-pharyngien, spinal). — Du degré de dureté de ces nerfs et de la raison de ce degré de dureté. — De la nature des nerfs qui naissent de la moelle. — Que les nerfs des viscères devaient provenir de l’encéphale puisqu’ils sont des nerfs de sensation et par conséquent mous. — Mode d’union des paires de nerfs et en particulier de la sixième et de la septième paire.


Il convient maintenant d’expliquer un autre prolongement de nerfs issus de l’encéphale. Ils forment la sixième paire de nerfs (voy. le sommaire) et naissent à la suite des précédents de la base de l’encéphale. Ils ne sont pas, eux non plus, précisément durs, mais ils sont d’autant plus durs que tous les nerfs précités, qu’ils se rapprochent davantage de la moelle épinière, laquelle est en effet la source des nerfs durs, parce qu’elle est elle-même beaucoup plus dure que l’encéphale. Il est très-facile d’expliquer la cause de cette dureté, si l’on se rappelle nos observations faites dans le livre précédent (chap vi), savoir que pour la perfection de la sensation, il faut un prolongement de l’encéphale plus mou, et pour l’énergie du mouvement un prolongement plus dur ; pour cette raison même, il est des parties de l’encéphale plus dures et d’autres plus molles, et ce viscère, à partir de la portion antérieure qui est molle, devient toujours de plus en plus dur, afin qu’il puisse se rattacher à la moelle épinière. Ce point de jonction est la plus dure de toutes ses parties, comme aussi en cet endroit la moelle épinière est plus molle que dans toutes ses autres parties. Peu à peu celle-ci, à mesure qu’elle descend, devient plus dure. En effet, la moelle épinière présente à l’animal cette utilité qu’elle est dans le corps le principe des nerfs durs, l’encéphale n’étant pas susceptible d’une telle dureté, pour la cause précédemment énoncée.

La nature ne montre pas moins clairement encore dans cette sixième paire de nerfs dont notre but est de parler, qu’il était impossible que la perfection dans les sensations dérivât de nerfs durs, et que les nerfs durs ne peuvent provenir de l’encéphale, ni les mous de la moelle épinière. En effet ceux que l’encéphale fournit descendent jusqu’à l’os large, se distribuant presque dans tous les intestins et les viscères, bien que la plupart de ces viscères soient placés sur l’épine dorsale, dont l’extrémité est l’os appelé sacrum par les uns, os large par les autres. C’est là où nous avons dit que les nerfs se terminent.

Il eût été préférable, si cela eût été possible, que des nerfs venant de la moelle épinière par un court chemin, se distribuassent avec toute sécurité dans les viscères qui occupent ces régions ; mais il n’est pas possible que la moelle épinière, étant dure elle-même, soit le principe des nerfs mous, ni que l’encéphale soit le principe des nerfs des membres, nerfs qui ont atteint le plus haut degré de dureté, tandis que lui-même est d’une excessive mollesse. En effet, il est d’une évidence frappante qu’il fallait des nerfs très durs aux membres qui servent à des actions combinées, fortes et violentes ; mais il n’est pas moins évident qu’il était bon pour les viscères d’avoir des nerfs mous. Expliquons-en cependant la raison pour qu’il n’y ait pas de lacune dans notre discours (cf. IV, xiii, et V, x).

D’abord aucun des viscères n’est doué de mouvement volontaire ; ils n’ont besoin de nerfs qu’en vue de la sensation : il était donc mieux de leur envoyer des nerfs sensitifs. Ensuite leur substance étant d’une consistance molle, devait plus facilement s’unir avec des nerfs mous, et les recevoir de manière qu’ils en fussent entrelacés de tous côtés. En troisième lieu il fallait que l’estomac eût une sensation très-exacte du besoin d’aliments solides et liquides. La plus grande partie des nerfs de ce viscère nous paraît donc se distribuer surtout à l’extrémité supérieure dite orifice, puis en continuant, dans toutes les parties, jusqu’au fond (voy. aussi IV, vii, p. 287-8). Une fois les nerfs descendus de l’encéphale en vue de l’estomac, il était préférable encore qu’ils se distribuassent dans toutes les autres parties de cette région, lors même qu’il ne devait pas en résulter pour elles une grande utilité. En effet l’estomac avait absolument besoin d’une faculté appétente des aliments et des boissons, faculté que devait nécessairement régir une certaine puissance de sensation des besoins.

Quelques médecins veulent que les parties attenantes à l’estomac éprouvent une sensation aussi précise, et prétendent en conséquence que l’appétence n’est pas moindre en elles que dans l’estomac (voy. aussi IV, vii, p. 287-8). Quant à moi il me semble que la sensation est faible dans ces parties, mais puissante dans l’estomac et à l’orifice même où paraît aboutir la plus grande partie des nerfs. Aussi cette partie de l’estomac est la plus sensible, et les personnes en proie à une faim violente sentent surtout en cet endroit des contractions et comme des tiraillements et des mordications ; mais elle ne serait pas sensible à ce point si elle ne recevait des nerfs mous. Il est donc évident d’après ces observations que toutes les autres parties du canal intestinal, et surtout l’estomac même ont besoin de nerfs de l’encéphale. On peut voir par les dissections avec quel soin de leur sûreté la nature a opéré la descente de ces nerfs, prévoyant qu’ils seraient exposés aux lésions attendu leur mollesse et la longueur de leur trajet. Revêtant donc ces nerfs de fortes membranes, elle les rattache aux corps voisins toutes les fois qu’elle en rencontre sur leur chemin.

Parfois la jonction est un avantage considérable pour ces nerfs mêmes, comme il arrive à leur sortie pour les nerfs qui dérivent de la septième paire, (grand hypoglosse ; 12e des mod.). En effet, elle les a réunis à ceux de la sixième, et aussitôt après leur sortie de l’os de la tête elle les a enveloppés et les a exactement défendus de toutes parts avec de fortes membranes, réalisant ainsi un avantage commun aux deux nerfs. De même, en effet, que des joncs simples et minces se cassent très-facilement, tandis que si plusieurs sont unis, ils acquièrent d’autant plus de puissance de résistance que leur nombre est plus considérable, de même les nerfs unis dans leur trajet, enlacés et serrés par des liens communs, sont bien plus à l’abri des lésions que les nerfs simples. Aussi lorsque beaucoup de nerfs doivent se porter dans plusieurs parties du corps voisines l’une de l’autre, la nature les mène réunis pendant tout le trajet jusqu’aux parties qui doivent les recevoir. Ceux qui examinent peu attentivement ne voient dans tous ces nerfs réunis qu’un seul nerf ; mais il n’y en a pas qu’un seul, il en existe autant dès le principe qu’il y a de parties où ils doivent s’insérer. S’il paraît n’y en avoir qu’un, c’est qu’ils sont enlacés les uns aux autres et que tous sont serrés ensemble par les membranes qui les enveloppent. C’est la remarque même que tout à l’heure (chap. viii) j’annonçais devoir faire sur la nature des nerfs.

Plus tard (cf. livre XVI) nous compléterons ce qui reste à dire de leur fonction, nous en traiterons séparément au lieu de jeter comme maintenant une observation incidente en passant. Terminons d’abord ce qui regarde les nerfs qui vont à l’orifice de l’estomac (pneumo-gastr.) et dont nous commencions à parler. Comme il était nécessaire à l’œuvre de la nature qu’après un court trajet fait ensemble, les nerfs de la septième paire se séparassent pour se rendre à la langue, la nature a fait marcher ces nerfs [dans une même gaîne] avec les artères carotides qui les avoisinent ; elle leur a fait avec celles-ci, traverser tout le cou, en les rattachant à elles par des membranes communes ; dans le thorax, les artères étant rattachées au ventricule gauche du cœur, la nature en a séparé les nerfs et les a fixés de chaque côté de l’œsophage. Au moment où la nature allait les diviser dans l’estomac, elle a fait passer à gauche celui de droite, et à droite celui de gauche, pensant qu’il fallait d’abord leur donner une direction oblique, puis les diviser. Ils étaient de cette façon bien moins exposés aux lésions que si la séparation eût eu lieu quand ils se dirigeaient en ligne droite. Elle rassemble de même tous les autres nerfs qui se séparent de ceux-ci, les rattache aux corps voisins et les conduit de tous côtés, corrigeant et rectifiant par des secours étrangers leur facilité à être lésés qui résulte de leur mollesse. Mais nous avons déjà traité de leur distribution (IV, vii), et le reste sera dit dans la suite. (Voy. livre XVI.)


Chapitre xii. — De la 7e paire de nerfs (12e des modernes : grand hypoglosse). — Origine et trajet crânien.


Parlons maintenant de la septième paire des nerfs de l’encéphale. Nous venons de dire (p. 591-2) qu’elle s’unit immédiatement à la précédente, et que la nature, pourvoyant à la commune sûreté de ces deux prolongements, a imaginé leur jonction. Il faut dire d’où elle sort et où elle aboutit ; ce point est encore à expliquer en ce qui la concerne. Ces nerfs naissent à l’endroit où finit l’encéphale et où commence la moelle épinière (face antérieure du bulbe rachidien ; sillon qui sépare l’olive de la pyramide antérieure). Après avoir marché quelque temps avec ceux de la sixième paire (9e, 10e, 11e p. des mod.), ils s’en séparent ; la plus petite partie d’entre eux s’enlace sur les muscles droits du larynx (rameau thyréo-hyoïdien), la plus grande partie s’insère sur la langue. Ce sont les premiers nerfs qui soient précisément durs dans tout leur trajet ; car tous les nerfs précédemment cités sont plus ou moins mous, et aucun n’est aussi dur que ces derniers. De ces nerfs mêmes ceux qui s’insèrent sur les muscles sont évidemment plus durs que les autres.


Chapitre xiii. — Origine, trajet et lieu d’insertion des nerfs de la face, et, en particulier de ceux des muscles temporaux et de la langue. — Rameaux des 5e, 7e,8e et 12e paires des modernes ; 3e,5e et 7e de Galien.


Parmi les muscles de la face, les uns meuvent les yeux, les autres la mâchoire inférieure ; il en est d’autres encore pour les ailes du nez, les lèvres et les joues. Sur les muscles des yeux, tout petits qu’ils sont, s’insèrent des nerfs qui paraissent grands par leur volume, attendu qu’ils sont plus mous de consistance qu’il ne conviendrait a des nerfs moteurs. La nature compense par la grandeur ce qui leur manque à cause de la mollesse. Il en est de même des muscles temporaux. Sur chacun d’eux viennent s’insérer trois nerfs : deux de la troisième paire (5e des modernes : rameau temporal profond moyen, et n. auriculo-temp. et son anast. avec le facial, fournis par le maxillaire infér.), dont nous avons déjà parlé (chap. viii, p. 585 et 588), le troisième (rameaux temporaux du facial) plus dur, dont nous parlerons bientôt (p. 595-6). De sorte qu’ici la multitude des nerfs est pour ces muscles la source primitive de l’énergie dans les mouvements.

Les muscles des mâchoires, du nez et des lèvres reçoivent des prolongements de nerfs assez considérables et assez durs. En effet, comme ils traversent des os dans une grande partie de leur trajet, ces nerfs acquièrent leur dureté par la longueur du parcours, car le principe mou (c’est-à-dire l’encéphale) étant proche, la nature ne pouvait en tirer [immédiatement] un nerf dur ; néanmoins, en faisant avancer un nerf peu à peu par des détours, surtout quand elle lui fait traverser des os sur son passage, elle le rend dur par le temps qu’il met à faire ce long circuit. C’est ainsi que, pour la moelle épinière et pour l’encéphale mêmes, ce n’est pas brusquement, mais peu à peu, qu’elle les rend de plus en plus durs.

S’il en est ainsi, il est maintenant évident pour tous que les nerfs qui meuvent la langue (hypoglosses) ne pouvaient naître ailleurs d’une façon plus opportune, ni adopter une autre voie préférable à celle qu’ils suivent actuellement. En effet, à la partie antérieure, il ne restait plus de place libre, et c’est pour cette raison même que la nature a fait naître des parties postérieures la troisième et la quatrième paires (voy. p. 584 et 588). Elle ne pouvait donc, de ces mêmes régions, engendrer d’autres grands nerfs ; quand elle l’aurait pu, la place aurait manqué pour leur passage. En effet, si elle leur eût fait traverser la dure-mère en leur adjoignant les nerfs de la troisième (trifacial) et de la quatrième paires (voy. p. 588), ils auraient continué d’être aussi mous que ces derniers. Elle pouvait, d’un autre côté, les conduire à travers les os de la tête et les rendre assez durs en les menant par une telle voie, mais cela eût été inutile, puisqu’ils trouvent ailleurs une route plus commode ; en outre, il n’y avait plus de place dans le crâne au niveau de la racine de la langue, car il y avait déjà beaucoup de trous. C’est donc avec raison qu’à l’endroit où commence la moelle épinière et où l’encéphale est le plus dur, elle a fait naître cette paire de nerfs, et que, la rendant plus dure dans son trajet, elle l’a, dans cet état, distribué sur toute la langue.

Ne passez pas avec négligence sur cette remarque même, que les nerfs se ramifient sur toutes les parties de la langue ; c’est une grande preuve de la vérité de mes assertions et qui démontre l’art suprême du Créateur. En effet, les nerfs sensitifs s’aplatissant dès leur naissance forment des plexus sur la tunique externe de la langue et n’ont aucun contact avec les muscles sous-jacents. Dans cette région, les nerfs moteurs de la septième paire (hypogl.) se partagent en rameaux nombreux, tapissent avec raison tous les muscles de la langue ; les nerfs sensitifs étaient, en effet, sans utilité dans la profondeur de la langue qui devait, par ses parties externes, être en contact avec les objets sapides ; et les nerfs moteurs n’avaient aucune utilité pour les parties externes, attendu qu’ils sont incapables, vu leur dureté, de discerner les qualités des saveurs. La nature n’a donc fait, sans but ni sans raison, aucune de ces choses. Elle a créé les nerfs moteurs de la langue plus ténus, et ceux des yeux plus épais, bien qu’ils meuvent des muscles plus petits. Les premiers trouvaient dans leur dureté une force suffisante ; mais si les derniers n’étaient aidés par leur volume, ils seraient complétement incapables de mouvoir à cause de leur mollesse.

Pour les muscles temporaux, les nerfs de la troisième paire (5e des modernes. — Voy. p. 594), qui arrivent à eux, seraient encore plus incapables de les mouvoir. En effet, ces muscles sont volumineux, occupent la plus grande partie de toute la mâchoire inférieure et s’y insèrent par des tendons considérables. La nature a donc détaché de la cinquième paire un troisième nerf dur de chaque côté de ceux-ci (branche temporo-faciale du nerf facial, ou portion dure de la 7e paire). Ainsi, l’utilité résultant pour les muscles des yeux du volume des nerfs, dérive de leur nombre pour les muscles temporaux. Le susdit nerf apparaît plus nettement chez les animaux qui ont un grand temporal. C’est le moment de dire d’où ce nerf dur arrive aux muscles temporaux, puisque nous avons maintenant exposé toutes les origines des prolongements de l’encéphale.

Nous disions (chap. x), que la cinquième paire de nerfs naissant des parties latérales de la tête (de l’encéphale) se jette sur les os pétreux (rocher), que, partagée en deux branches, elle pénètre [à travers le trou auditif interne] dans deux ouvertures inégales, que, par la plus large des deux (lamelle criblée, située au-dessous de l’orifice de l’aqueduc de Fallope) la plus grosse branche se porte droit aux oreilles (nerf auditif, ou portion molle de la 7e paire), que l’autre branche (facial, ou portion dure de la 7e paire), s’engageant dans le trou plus étroit nommé trou borgne, sort à travers un trou établi près des oreilles (trou stylomastoïd.), et que, dans tout ce trajet (aqueduc de Fallope) depuis son extrémité interne jusqu’à son extrémité externe, cette branche fait des détours variés comme dans un labyrinthe. La nature n’a donc pas en vain créé ce labyrinthe ; mais, dans sa sollicitude pour les muscles temporaux, elle leur a détaché un nerf dur (voy. p. 595), et n’a pas fait moins pour les mâchoires. Ayant en cette région un os oisif (rocher) non percé et aussi dur que possible, elle s’en est servie pour durcir le nerf. En conséquence, si, plus chacun des nerfs s’éloigne de son principe, plus il est possible de le rendre dur, on trouvera qu’elle a très-habilement ménagé à ce nerf son trajet par l’os pétreux, car la longueur du trajet et la sécheresse du lieu devaient aisément donner à ce nerf dureté et sécheresse. En effet, là où le nerf est humecté par un fluide abondant, la longueur du trajet ne lui est d’aucun avantage, mais s’il traverse une région sèche, privée d’humidité, alors il devient aisément sec et par là même dur. Il tire encore de la position opportune de cet os pétreux l’avantage de la sécurité. La nature semble donc avoir réuni en même temps tout ce qui était nécessaire au nerf, au moyen du seul parcours tortueux, sécurité, longueur du trajet, sécheresse de la région. Ainsi ce nerf donc, par sa plus grande partie, tire le muscle large des mâchoires (masséter) ; mais une petite portion vient en aide aux nerfs qui, de la troisième paire (branches temporales du trifacial), aboutissent aux muscles temporaux. Ce qui manque à ces nerfs moins durs qu’il ne convient, pour la vigueur du mouvement, est suppléé par cette branche, surtout chez les animaux pourvus de forts muscles temporaux.

Pourquoi donc la nature a-t-elle fait dériver la force de ces muscles, non d’un seul grand nerf, mais de trois petits, et pourquoi cette force résulte-t-elle d’un seul grand nerf dans les muscles des yeux ? C’est que dans les régions des yeux (orbites) il était contraire à la raison de faire plusieurs trous au lieu d’un. En effet, il a été démontré précédemment (chap. viii, p. 586) qu’il n’était pas prudent de disposer un autre trou pour les nerfs qui aboutissent à la mâchoire supérieure, qu’il valait mieux employer celui qui sert aux muscles. Pour les os des tempes, beaucoup plus forts que ceux des yeux, mais dépourvus de trous, je ne dis pas nombreux et rapprochés comme dans les orbites, mais de trous petits et rares, il était mieux que la nature, pratiquant de petites ouvertures, détachât des branches du nerf de la troisième paire (trifacial, 5e des mod.), puisque le trou de l’os pétreux ne pouvait être large. Évidemment en effet, ses nombreux replis auraient disparu si l’os avait été envahi d’abord par les cavités des trous. Si donc un nerf dur ne pouvait être épais, et s’il ne pouvait se détacher une plus grande quantité de branches de prolongements simples qui devaient eux-mêmes se distribuer dans un grand nombre d’autres parties, évidemment aussi la nature a eu raison de ne pas se borner à une seule espèce de nerfs. De plus, l’existence de plusieurs principes de mouvement était la seule condition qui permît que si l’un d’eux venait à être lésé, les autres du moins remplissent sa fonction.


Chapitre xiv. — Digression sur ce qu’on doit entendre par nerfs durs et par nerfs mous. — Conditions générales qui donnent aux nerfs un degré plus ou moins grand de dureté et de mollesse. — Exemples tirés des diverses paires de nerfs. — Cf. VIII, vi.


Interrompons ici un moment le fil du discours, et disons quelques mots sur les qualifications que nous avons employées et que nous emploierons dans la suite de l’ouvrage. Imaginez deux nerfs, le plus dur et le plus mou de tous ceux du corps, puis imaginez-en un troisième tenant le milieu entre ceux-ci, à une distance exactement égale des deux extrêmes. On peut qualifier de durs tous les nerfs situés entre le nerf du milieu et le plus dur, et de mous tous les autres qu’on trouve jusqu’au plus mou ; on doit croire que les nerfs durs ont été disposés comme les meilleurs pour les mouvements et les moins propres pour les sensations ; qu’au contraire il existe dans les nerfs mous aptitude pour la perfection de la sensation et incapacité pour la vigueur du mouvement. Tous ceux qui sont parfaitement mous sont absolument impropres au mouvement, ceux qui sont moins mous et qui déjà se rapprochent des nerfs moyens sont aussi des nerfs moteurs, mais sont bien inférieurs pour l’action aux nerfs durs. Sachez donc bien que la moelle épinière est le principe de tous les nerfs durs, que son extrémité inférieure est le principe des nerfs excessivement durs, que l’encéphale est le principe de tous les nerfs mous, que le centre de sa partie antérieure est assigné aux plus mous, que l’endroit où se rattachent l’encéphale et la moelle épinière est le principe de la substance des nerfs moyens.

Quand donc un nerf mou sort de l’encéphale, il est incapable d’être immédiatement nerf moteur, néanmoins, en s’allongeant et en s’avançant, s’il devient plus sec et plus dur qu’il n’était, il sera complètement nerf moteur. Comme, dès l’origine même, les uns sont plus mous, les autres moins mous, et qu’en avançant les uns se dessèchent plus vite, les autres plus lentement, il en résulte nécessairement que ceux-là deviennent nerfs moteurs, étant peu éloignés de leur principe et ceux-ci plus éloignés. Quelques nerfs cependant paraissent conserver très-longtemps leur nature primitive, par exemple les nerfs qui descendent à l’estomac demeurent pendant tout le trajet à peu près ce qu’ils sont à la naissance. Ils devaient continuer à être toujours nerfs sensitifs.

Parmi les nerfs de la troisième paire qui se rendent à la bouche, ceux qui s’insèrent immédiatement sur la langue (lingual) sont si mous qu’ils n’ont rien d’un nerf moteur. Ceux qui vont aux os de la mâchoire inférieure (dentaire fourni par le nerf maxill. infér.), dépassent les grosses dents, se sont desséchés dans le trajet même [du canal dentaire] et sont devenus plus durs ; ils aboutissent en dehors [par le trou mentonnier], au niveau des dents dites canines et se distribuent sur les muscles des lèvres. De même ceux qui, par les régions des yeux, arrivent aux os malaires (rameaux sous-orbitaires du maxill. super.) sont devenus si durs dans ce trajet que, bien que petits, ils sont capables de mouvoir [certains] muscles de la mâchoire supérieure et les ailes du nez.

Toutes ces observations s’accordent avec ce que nous avons dit précédemment et entre elles. Elles prouvent la force des nerfs durs et la faiblesse des nerfs mous, elles montrent que les uns sont utiles pour agir, les autres pour sentir, et que chacun dérive avec raison des parties énoncées de l’encéphale. que nul d’entre eux, en aucune région, n’a été créé inutilement, que chacun existe en vue d’un organe et qu’il est d’une grandeur et d’une substance telle qu’il convient à la nature de la partie destinée à le recevoir. Ainsi j’ai déjà presque démontré qu’aucune des parties de la tête et du visage n’est dépourvue de nerfs. En effet, nous avons parlé des yeux, des oreilles, de la langue, de la membrane qui tapisse toute la bouche et toutes les parties des lèvres et de la mâchoire supérieure. S’il a été omis quelque point qui exige un éclaircissement, on le trouvera dans ce livre.


Chapitre xv. — Des nerfs fournis aux diverses parties de la face par la 3e paire (trifacial, 5e des modernes).- Intrication de la peau et des muscles aux lèvres (voy. XI, vii). Conséquences qui en résultent par l’insertion des deux espèces de nerfs mous et durs. — Cf. aussi VIII, v et vi.


Les chairs fixées autour des dents, que l’on nomme gencives, toutes les dents elles-mêmes, toute la peau de la face et la tunique du nez qui le tapisse intérieurement reçoivent des ramifications de la troisième paire de nerfs (5e, ou trifacial). Elles arrivent par l’os de la mâchoire, comme nous l’indiquions tout à l’heure (chap. viii et xiii) ; les molaires reçoivent des ramifications grandes et visibles (filets du nerf dent. supér.), les gencives en reçoivent les unes moins les autres plus (filets gengivaux du même nerf), mais toutes en reçoivent, comme aussi les dents canines, de fines et de peu visibles (rameau incisif).

La même voie (orbite et canal sous-orbitaire) qui conduit les nerfs [maxillaires superieurs] à la joue en amène presque à toutes les parties en rapport avec la mâchoire supérieure, aux dents dites molaires et aux gencives supérieures.

Les molaires reçoivent des ramifications grandes et visibles ; les gencives, ainsi que les autres dents incisives, des ramifications ténues et difficiles à voir.

Les nerfs (branche ophthalmique du trifacial, ou 5e paire ; 3e de Galien) qui, de la région des yeux, montent aux muscles temporaux fournissent des rameaux aux paupières, à toutes les parties voisines des sourcils et à tout le front. Le nerf (facial, portion dure de la 7e paire) qui sort des trous borgnes et qui envoie aux muscles temporaux un petit filet (anast. de la br. temporo-faciale avec l’auriculo-temp. ?), détache des ramifications sur les glandes, sur les autres parties voisines des oreilles et sur les parties minces des joues. La plus grande portion de ce nerf opère le mouvement latéral des mâchoires au moyen du large muscle [masséter] dont il sera parlé plus tard (XI, iv-vi).

La peau, même couverte de cheveux, reçoit des parties sous-jacentes en vue de la sensation seule, comme tout le reste de la peau de l’animal, des filets petits, minces, rares, difficiles à voir, semblables aux fils d’une toile d’araignée. Mais la peau du front, qui participe au mouvement volontaire, possède avec raison des fibres de nerfs sensibles et visibles (rameaux fournis par la 5e et la 7e paires). Elle repose en effet sur une couche musculeuse mince qui reçoit en elle de nombreux filets nerveux. On ne peut en arracher le derme comme dans le reste du corps ; partout il est uni avec elles ; tous les deux, muscles et peau, n’ont qu’un mouvement capable de relever les sourcils.

Une chose plus admirable encore c’est l’union de la peau aux muscles de la lèvre. Car ici vous ne pouvez pas dire que les muscles sont placés en dessous et la peau à leur surface, comme pour le front, pour beaucoup de parties des deux joues, de la paume des mains et de la plante des pieds. Là nous pouvons séparer et limiter nettement l’endroit où finit le muscle, où commence la peau. Mais dans la peau des lèvres il s’opère un mélange si intime, une telle union et une absorption réciproque si complète que vous ne pouvez appeler ni muscle ni peau le résultat de ce mélange pris dans son ensemble ou divisé en parties ; vous appelleriez à bon droit les lèvres des animaux ou muscles peauciers ou peau musculeuse. Cette bizarrerie, cette singularité de composition sont motivées par la spécialité de leur action. En effet, il était utile pour les lèvres de se rapprocher exactement, de se séparer, de se tourner en tous sens. Aucun de ces mouvements ne s’effectuerait à la fois avec force et aisance, ni comme il s’opère dans l’état actuel, si leur substance n’eût été composée de cette façon. — Voy. XI, xv.

Chapitre xvi. — Des nerfs (branches de la troisième paire) de la tunique qui tapissent les narines. — Du mode d’union de la dure-mère avec les os du crâne ; des différents replis de cette membrane. Voy. Dissert. sur l’anat.


Comme nous avons dit (voy. chap. viii et xv ; cf. XI, vii) que la tunique qui tapisse intérieurement les narines reçoit la partie des nerfs (branche ophthalm. ?) qui vont à la région des yeux (orbites), sans parler de la route qu’ils suivent, il convient de l’exposer maintenant afin qu’il n’y ait pas de lacune dans le discours. On peut voir au grand angle de chacun des yeux, l’os commun aux narines et aux yeux, os dont les ouvertures donnent dans les cavités des narines (trous orbitaires internes de l’ethmoïde ?) ; on peut voir aussi pénétrer par chacun de ces trous un nerf assez fort (nerf nasal fourni par la branche ophthalm. ?) qui se détache de la région des yeux aussitôt que les nerfs de la troisième paire (5e des modernes) y sont arrivés ; ce nerf ne paraît pas se distribuer sur la seule membrane du nez, mais il pénètre jusqu’au palais ; car cette tunique est une et commune au nez et à la bouche, ayant cette communauté et cette continuité par les ouvertures qui aboutissent au même point et au moyen desquelles nous respirons (?). En effet, cette tunique dérive de la dure-mère, détachant des apophyses membraneuses sur le nez par les trous des os ethmoïdes et sur la bouche par les trous de la glande pituitaire, laquelle est située près de l’entonnoir (infundibulum), en sorte que la dure-mère se rattache à l’os de la tête par ces parties et par les membranes qui traversent les sutures et qui engendrent le péricrâne, ainsi qu’il a été dit précédemment (cf. IX, i et vii).

Il convient aussi maintenant de parler des autres ligaments de la dure-mère, d’enseigner pourquoi elle s’attache au crâne fortement dans beaucoup de cas, faiblement dans quelques-uns, avec une force moyenne dans certaines parties, et nullement dans un grand nombre. Un fait déjà mille fois démontré ressortira encore de là, c’est que la nature n’a rien omis et n’a rien entrepris de superflu. En effet, elle paraît rattacher fortement la dure-mère aux os par la suture lambdoïde et par celle qui se prolonge en ligne droite suivant la longueur de l’encéphale (sut. bi-pariét.), mais assez faiblement par la suture coronale. Elle insère encore d’autres ligaments nombreux et minces comme des fibres sur les parties supérieures et latérales du crâne qui servent, de concert avec les vaisseaux qui la touchent, à relever la dure-mère, laquelle est toujours proche des os et en contact avec eux.

Les parties antérieures et postérieures n’engendrent aucune membrane analogue à la membrane péricranienne des parties supérieures ; mais elles offrent les prolongements du nez et du palais, ligaments petits et faibles ; elles possèdent donc avec raison dans ces parties ces ligaments minces et beaucoup de ligaments plus forts, afin que ceux-ci établissent une compensation, tandis que la base même en présente de peu nombreux et faibles qui, en bien des endroits, paraissent même complètement manquer. En cet endroit, en effet, il était superflu, la dure-mère inclinant toujours en bas par son poids, de la rattacher aux os par de forts ligaments ; mais, dans toutes les autres parties, pour laisser une large place aux dilatations et aux contractions de l’encéphale, elle s’éloigne avec raison le plus possible de lui et se relève du coté du crâne. Elle est aussi et avec raison plus épaisse à sa partie inférieure, afin que l’encéphale, devant s’appuyer sur elle, ne ressentit ni douleur, ni impression fâcheuse de la dureté des os sous-jacents ; tandis qu’au niveau du plexus réticulé, la nature l’a faite, non pas seulement plus épaisse, mais plus dure, afin qu’établie comme un os sous l’encéphale, lequel présente à cet endroit une si grande surface, elle ne fut pas déprimée vers la partie inférieure, ne resserrât et n’écrasât pas les artères.

J’oubliais presque de dire que la dure-mère, prolongeant une partie d’elle-même, s’étendait sous le plexus réticulé qui, lui aussi, demandait à n’être pas pressé contre les os inférieurs. Que ce fait encore témoigne hautement de la prévision du Créateur.


Chapitre xvii. — De la direction des sutures et des diverses figures qu’elles constituent suivant la forme de la tête. — Galien déclare impossible la forme qui consisterait en ce que la tête serait plus large (d’une oreille à l’autre) que longue (du front à l’occiput). — Il approuve la description qu’Hippocrate a donnée des sutures. — Voy. Dissert. sur l’anatomie.


De même, au sujet des sutures, reprenons ce qui manque encore aux précédentes observations, et nous terminerons ainsi convenablement le présent livre. Nous avons dit plus haut (voy. IX, i et vii) que les sutures ont été utilement disposées pour la transpiration des superfluités fuligineuses, pour que la dure-mère fut rattachée par elles à l’os de la tête, pour que les vaisseaux descendissent les uns en dedans les autres en dehors, enfin pour la production du péricrâne. Maintenant, ajoutant ce qui manque encore touchant leur utilité, nous allons parler de leur position et de leur nombre. Une raison pour laquelle il est encore utile que le crâne soit composé d’os nombreux, c’est, s’il vient à être fracturé (de tels accidents sont fréquents), pour que la fracture ne s’étende pas sur tout le crâne, mais pour qu’elle s’arrête et se termine à l’endroit où finit l’os atteint. Telles sont les utilités des sutures.

Qu’il existe avec raison une suture droite qui traverse le milieu de la tête (sut.-sagittale, ou bi-pariét.) et deux sutures transverses (sut. coronale et lambdoïde), cela n’exige pas de longues explications, si l’on se rappelle ce que nous avons dit précédemment (IX, i). En effet, la tête ressemblant à une sphère allongée, la suture droite s’étend avec raison par le milieu de la tête de la partie postérieure à la partie antérieure. Deux sutures transversales (sut. lambd. et coron.) la coupent, et la figure des trois sutures devient semblable à la lettre êta (Η), car l’ensemble de la tête étant allongé dans un sens et comprimé au niveau des deux oreilles, il était juste que le nombre des sutures fût inégal dans la longueur et dans la largeur de la tête, autrement Hippocrate aurait eu tort de qualifier de juste (cf. I, xxii, p. 163) la nature si elle attribuait l’égalité à des choses inégales. Mais il n’en est pas ainsi : l’équitable nature n’a fait qu’une suture droite dirigée suivant la longueur de la tête, les parties latérales droite et gauche devant être proportionnelles à la largeur. Elle a fait doubles les sutures transversales, l’une postérieure, comme il a été dit, nommée lambdoïde, l’autre antérieure dite coronale, en sorte que l’os de la tête, situé entre ces sutures, est égal aux os placés de chaque côté de celle du milieu (voy. Dissert. sur l’anat.).

La plus grande démonstration de la justice de la nature se trouve dans les sutures des têtes pointues. Toutes leurs formes se réduisent à trois : l’une complètement contraire à la figure habituelle, dont nous venons de parler, quand la tête a perdu ses deux éminences de l’occiput et du front, unie de toutes parts et semblable à une sphère parfaite, les deux autres où manque seulement soit l’éminence du front, soit celle de l’occiput.

Les sutures de la tête sphérique ressemblent au chi (Χ), deux sutures seules se coupent, la suture transversale (coronale) allant de l’une des oreilles à l’autre, la seconde, la droite (sagittale), s’étendant par le milieu du sommet de la tête au milieu du front. De même en effet que quand une partie de la tête dépasse l’autre en longueur, il était juste que la partie plus longue eût plus de sutures, de même lorsqu’elles sont égales l’une à l’autre, la nature en a assigné un nombre égal.

Si la tête n’a pas l’éminence occipitale, les sutures droite et coronale subsistent, la suture lambdoïde disparaît. Celle-ci en effet était proche de l’éminence absente. Ces deux sutures ont donc une figure semblable à la lettre tau (Τ). De même, si c’est l’éminence du front qui n’existe pas sur la tête, avec elle disparaît aussi la suture coronale, il ne reste que la suture droite rencontrant la lambdoïde, avec laquelle elle forme encore une figure semblable à la lettre tau (Τ).

On peut encore imaginer une quatrième forme de tête pointue qui, en réalité, ne peut pas exister, celle où la tête serait plus proéminente aux deux oreilles qu’au front et à l’occiput (c’est-à-dire, plus large que longue). Et si cette figure pouvait exister, c’est d’elle et non de la figure sphérique qu’on dirait qu’elle est contraire à la figure naturelle, toute la longueur étant transportée à la largeur. Actuellement un tel renversement de l’état naturel ne pouvait se produire. Ce ne serait plus en effet une figure pointue, mais un monstre incapable de vivre. La cause en est évidente, pour ceux du moins qui n’ont pas prêté une oreille complétement inattentive aux observations que j’ai faites précédemment. En effet, le cervelet étant placé en arrière du cerveau, et les prolongements des yeux (nerfs optiques) et ceux du nez (nerfs olfactifs) en avant, la tête, dans son état naturel, ressemble à une sphère allongée, et si elle peut perdre l’éminence, soit antérieure, soit postérieure, soit même toutes les deux, le retranchement ne saurait aller au point qu’une partie de l’encéphale même soit anéantie. Or il est impossible que la distance entre les oreilles surpasse la longueur de la tête si cela n’avait lieu. Mais cela est impossible, une semblable figure de la tête n’existe donc pas, c’est pourquoi Hippocrate (Plaies de tête, § 1, t. III, p. 182) a décrit les quatre figures et les sutures de chacune comme nous venons de le faire à l’instant, sans mentionner en aucun endroit de ses écrits une cinquième figure de la tête. Ce sont là les seules sutures de la tête et la nature a assigné équitablement dans chaque figure leur position et leur nombre.


Chapitre xviii. — Des sutures que ni Hippocrate, ni les autres anatomistes n’ont connues, et en particulier des sutures écailleuses des os temporaux. — Voy. la Dissertation sur l’anatomie.


Ces articulations d’os ne sont pas les seules. Il en existe d’autres que ni Hippocrate ni aucun de ceux qui ont étudié avec soin la nature du corps n’ont cru devoir appeler sutures. Les sutures parallèles à celles du milieu, dirigées selon la longueur de la tête, établies à chacune des oreilles, me paraissent avec raison avoir été appelées soudures écailleuses (sutures écailleuses), chacun des os disposés ensemble s’amincissant peu à peu en une écaille étroite et sans profondeur, puis celui qui se dirige de haut en bas étant placé en dedans et en dessous, celui qui se dirige de bas en haut, placé en dehors et en dessus, les os n’empiétant plus mutuellement et alternativement l’un sur l’autre dans cette région comme dans les sutures, le mode d’union des os temporaux constitue encore une suture. Mais Hippocrate qui les regarde, ce me semble, comme une partie de la suture coronale, ne les a pas décrites particulièrement.

Les autres articulations des os de la mâchoire supérieure, si elles ne ressemblent pas à celles de la tête sont aussi du moins des sutures, et les anatomistes ont l’habitude de les nommer ainsi. Nous en parlerons à l’occasion de la mâchoire supérieure (XI, xviii-xx). Nous traiterons dans ce livre des sutures écailleuses.

Comme toutes les parties supérieures et latérales du crâne recouvrant la dure-mère devaient être poreuses et percées de trous, tandis que tout le reste devait être dur et dense, et surtout les os dits temporaux, ces extrémités squammeuses ont été, en conséquence, créées dans les os ; l’un, qui descend de la tête, est fixé en dedans pour être, par une grande surface, en contact avec la dure-mère, en vue d’une utilité que je dirai bientôt ; l’autre, celui qui remonte, est dur, pour servir au crâne comme de rempart. En effet, tous les ligaments établis entre la dure-mère et le crâne aboutissent aux cavités de ces derniers. Si donc il était aussi dense et aussi dur que l’os inférieur, ces ligaments ne pourraient pas s’insérer sur lui, comme ils ne le peuvent pas non plus à la partie inférieure. Mais, à cette place, de semblables ligaments n’avaient pas d’utilité, ainsi que nous le disions un peu plus haut (p. 602). À l’endroit où ils étaient utiles, c’est-à-dire aux parties supérieures et latérales, là, nécessairement, le crâne était spongieux et percé de trous, et un semblable os ne pouvait absolument pas s’unir à un os dur et dense.

Nous en parlerons plus longuement dans la suite (XI, xviii ; XII, xvi), quand nous traiterons de ce mode d’union des os. Voila quelle est la cause de la production des os cartilagineux. Nous exposerons dans un des livres suivants (XI, xix et xx) les autres sutures par lesquelles la tête s’attache à la mâchoire supérieure, et les sutures propres à cette mâchoire. Maintenant nous terminons ici le présent livre, qui a déjà une longueur suffisante.



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  1. Voy. la première note du livre VIII.
  2. Rufus, De partibus corp. hum., p. 34, éd. Clinch, nous apprend que les noms propres de chaque suture ne sont pas anciens, et qu’ils ont été imaginés par certains médecins égyptiens mal habiles dans la langue grecque. On ne trouve, en effet, ces noms ni dans Hippocrate ni dans Aristote. — Voy. aussi la Dissertation sur les termes anatomiques.
  3. Le rets admirable n’existe pas chez l’homme, mais seulement chez les grands mammifères. Voy. Dissert. sur l’anatomie, et Hoffmann, l. l., p. 208 et suiv.
  4. Voy. la Dissertation sur les termes anatomiques, et la Dissert. sur l’anatomie pour la détermination des sinus.
  5. Ce chapitre et le xvie offrent de telles difficultés, qu’il serait impossible, sans discussion et sans figures, de déterminer quelques-unes des parties dont parle Galien ; je marque donc d’un ? les passages obscurs, et je renvoie à la Diss. sur l’anat.