Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/Tome 1/041-050


Fascicules du tome 1
pages 031 à 040

Dictionnaire de Trévoux, 1771
Tome 1, pages 041 à 050

pages 051 à 060


ABSOLU, UE. adj. Souverain, indépendant. Cujus potestas summa. Prince absolu. Summus rerum Dominus. Commandement absolu. Il a obtenu cela d’autorité absolue.

Il signifie aussi, sans réserve, sans restriction. Les Ambassadeurs ont quelquefois un plein pouvoir, un pouvoir absolu. On dit qu’un homme est absolu, impérieux ; pour faire entendre qu’il veut être obéi, qu’il ne peut souffrir qu’on lui résiste, qu’il veut fortement ce qu’il ordonne. Imperiosus. On dit qu’un homme est absolu dans sa compagnie, pour dire, qu’il y fait tout ce qu’il veut, que personne ne lui résiste. Acad. Fr. On dit encore, parler d’un ton absolu ; pour dire, parler d’un ton impérieux, commander avec hauteur. Une conduite ouverte & familière gagne mieux les cœurs, qu’une autorité sèche & absolue.

On appelle Jeudi absolu, le Jeudi-Saint, à cause de la cérémonie de l’absoute qui se faisoit ce jour-là dans l’ancienne Eglise, jour auquel on absolvoit les pénitens publics. De-là vient que ce jour s’appelle dans les vieux titres, Absolutionis dies, jour de l’Absoute. Voyez Absoute. Le Pere Morin prétend néanmoins que ceci ne doit s’entendre que des Eglises d’Occident, & que dans les Eglises d’Orient, & même dans celles d’Espagne & de Milan, l’absolution ne se donnoit que le Vendredi-Saint, ou même le Samedi-Saint. M. Codeau a dit la même chose ; mais d’habiles Théologiens prétendent qu’ils se trompent.

En termes de Grammaire, un terme absolu, est un terme qui ne se rapporte à rien autre chose. Il est opposé à relatif. Un ablatif absolu, est une locution détachée & indépendante, qui ne régit rien, & qui n’est régie de rien. Dictio ab alia minimè pendens. C’est à l’imitation des Latins : Deleto exercitu : L’armée ayant été taillée en pièces. Tout bien considéré, en matière de Religion, le plus sûr est de s’en tenir aux décisions de l’Eglise. Port-R. En latin cette locution donne de la rapidité au style. En François, elle est rarement du style noble. Absolu, en termes de Philosophie signifie, ce qui ne porte ou ne renferme point l’idée d’une relation, ni de rapport à autre chose ; & il est opposé à relatif. Homme est un terme absolu ; au contraire, Créature, Pere, sont des termes relatifs, parce que l’un emporte un rapport au Créateur, & l’autre à des enfans.

En termes de Théologie, quelques Ecrivains, ou Catholiques ou Protestans, le prennent encore dans un autre sens, & l’opposent à déclaratoire. Ainsi dans la doctrine Catholique l’absolution du Prêtre est absolue ; il remet absolument les péchés ; mais dans la doctrine des Luthériens & des Anglicans, l’absolution du Prêtre n’est que déclaratoire & ministérielle. Absolu signifie encore, ce qui est sans condition. Une promesse, une proposition absolue, est opposée à une promesse, ou à une proposition conditionelle.

Nombre absolu. Terme d’Algèbre en matière d’équation. C’est ce que Viéte appelle Homogeneum comparationis, & qui fait toujours un côté ou une partie entière de l’équation, & est toujours une quantité connue. C’est encore le rectangle, ou le solide dont on cherche la racine inconnue. Ainsi dans cette équation a a + 16 a = 36. Le nombre absolu est 36, lequel est égal au produit des deux racines ou valeurs de l’a ; c’est-à-dire, à a multiplié par lui-même, plus a pris seize fois. Equation absolue, en termes d’Astronomie, est la somme de deux équations, de l’excentrique, & de l’optique. Harris. Voyez Équation.

ABSOLUMENT. adv. Souverainement, avec une autorité absolue. Summo jure. Il commande absolument dans la Province. Il signifie aussi impérieusement & décisivement. Superbè. Cet homme parle absolument, & en maître. Ce mot vient du Latin absolvere, en tant qu’il signifie, achever, parce que celui qui commande absolument, veut que la chose s’exécute sans trouver d’opposition.

Il signifie quelquefois, tout-à-fait, entièrement, sans réserve, & sans restriction. Prorsus, omninò. Il le nie absolument.

Il signifie encore, nécessairement, de nécessité absolue. Il faut partir absolument, & sans répliquer. On dit, vouloir absolument ; pour dire, vouloir déterminément, & à quelque prix que ce soit. Je n’en ferai absolument rien, & toutes vos remontrances ne m’y feront point consentir. La nature ne se laisse pas conduire au hasard, & n’est pas absolument ennemie de l’art & des règles. Boil.

On dit aussi en Grammaire, qu’un mot se dit absolument, quand il est sans régime. Par exemple : Il faut prier sans cesse : le verbe prier est mis là absolument, parce qu’il ne régit rien. En Philosophie & en Théologie, absolument, outre les significations déjà rapportées, signifie encore : 1.o De soi-même, par soi-même, sans rapport à aucun autre, indépendamment de tout autre, & il est opposé à relativement. L’homme pris ou considéré absolument, est un animal raisonnable. 2.o Sans addition, sans restriction, sans modification. Cela est bon absolument. En ce sens on y joint souvent simplement. Cela est simplement & absolument bon. Simpliciter & absolutè bonum. Absolument & simplement universel. 3.o Par une puissance, une vertu extraordinaire, au-dessus ou hors du cours ordinaire de la nature. Les accidens se peuvent absolument séparer de leur sujet. 4.o Quelquefois absolument en Morale veut dire, Souverainement. Dieu, la dernière fin de l’homme, est absolument bon. 5.o Absolument signifie, sans condition. Dieu ne promet point absolument le pardon, mais à condition qu’on sera véritablement repentant de ses péchés.

En Géométrie, absolument se prend encore pour entièrement, parfaitement. Ainsi on appelle absolument rond, ce qui l’est entièrement, parfaitement ; pour le distinguer de ce qui n’est que presque rond, comme la cycloïde & le sphéroïde.

Absolument, se dit encore d’une chose dont on parle en général, & sans entrer dans le détail. Universè, ou generaliter & absolutè. Cet ouvrage a quelques défauts, mais il est bon absolument parlant.

ABSOLUTION. s. f. Jugement juridique, par lequel un homme est absous & déclaré innocent du crime dont il étoit accusé. Absolutio. Les Juges balancent quelquefois entre l’absolution & la condamnation ; quand les opinions sont partagées entre la condamnation & l’absolution, on renvoie l’accusé absous ; cette Jurisprudence est fondée sur les Loix de la nature & sur le Droit Civil : c’est le sentiment de Faber sur la Loi 125. De div. reg. jur. de Ciceron pro Cluentio, de Quintilien declam. 254. de Strabon Liv. 9. On dit aussi, Absolution d’une demande civile, quand on en est déchargé.

On le dit de même des Jugemens prononcés par les Juges Ecclésiastiques.

Il y a deux sortes d’absolutions ; absolution des censures, & absolution des péchés.

Absolution des censures. C’est un acte judiciaire par lequel un Juge ecclésiastique ou son délégué remet dans la possession de certains biens spirituels, dont on avoit été privé par l’excommunication, la suspense, ou l’interdit. L’absolution des censures se donne au for intérieur, c’est-à-dire, au tribunal de la pénitence, ou au for extérieur. Quand les censures sont secrètes, & qu’elles n’ont pas été déduites aux tribunaux de justice, l’absolution s’en donne au for de la pénitence par un Prêtre ; autrement elle se donne dans le for extérieur par un Ecclésiastique qui a la juridiction ordinaire ou déléguée, pourvu qu’il ne soit pas excommunié ou suspens dénoncé. Quant aux censures à jure, dont l’absolution n’est pas réservée, tout Prêtre approuvé pour entendre les confessions, peut en absoudre dans le tribunal de la pénitence. La formule dont il doit se servir est celle-ci : Ego te absolvo ab omni vinculo excommunicationis, suspensionis & interdicti in quantum possum, & tu indiges. Si l’absolution de la censure est réservée à certain Supérieur, il n’y a que celui à qui la réserve en est faite, ou son Supérieur, ou celui à qui il en auroit donné un pouvoir spécial, qui en puisse absoudre. Pour les censures ab homine, comme elles sont toutes réservées, il n’y a que celui à qui elles sont réservées, ou son Supérieur, en cas d’appel, (il en faut excepter le temps de la visite de l’Archevêque dans les diocèses de ses suffragans) ou celui à qui il en a donné un pouvoir spécial qui puisse en donner l’absolution. Pour recevoir l’absolution des censures, il n’est pas nécessaire d’être présent, ni même de la vouloir. L’absolution des censures doit toujours précéder l’absolution des péchés. On peut recevoir l’absolution d’une censure, & demeurer lié par une autre. Tout Prêtre, en péril de mort, peut donner l’absolution de toutes sortes de censures & de cas réservés. On ne peut être délié des censures que par l’absolution.

Il y a une absolution des censures qu’on nomme à cautèle, ou à caution, ad cautelam ; & une autre qu’on appelle Absolution cum reincidentiâ.

L’absolution à cautèle ou par précaution, se donne dans l’ordre judiciaire, & dans le for de la pénitence. Dans l’ordre judiciaire, c’est une sentence du Juge supérieur ecclésiastique, au tribunal duquel on appelle de la sentence d’excommunication, qu’un Juge ecclésiastique inférieur a portée contre quelqu’un, qui rend capable de se défendre en justice ou d’ester à droit. Le Roi Louis XIV l’a ainsi déclaré sur la demande de l’assemblée générale du Clergé, dans sa déclaration du mois d’Avril de l’an 1666, & dans l’article 4e de l’édit de 1695, concernant la juridiction ecclésiastique. Aujourd hui l’absolution à cautèle n’a point d’autre effet ; & elle ne suspend point, comme autrefois, la sentence d’excommunication.

Dans le sacrement de pénitence, c’est un acte judiciaire du prêtre qui délie des censures dont on pouvoit être lié sans le savoir, afin qu’on soit en état de profiter de l’absolution sacramentelle. Les Papes ont aussi coutume de donner l’absolution ad cautelam, pour rendre un impétrant capable de jouir de la grâce que le Saint-Siége lui accorde par un rescrit. Dans cette vue on a soin, à Rome, d’insérer dans la provision des bénéfices cette clause : Cum absolutione à censuris ad effectum, &c.

Absolution, en matière de religion, est un acte juridique, par lequel un prêtre approuvé, comme juge, & en vertu du pouvoir qu’il a reçu de J. C. remet les péchés au pénitent, qui est dans les dispositions nécessaires. Ménage prétend qu’il faut dire absolution sacramentelle, plutôt que sacramentale. L’usage paroît autoriser l’un & l’autre. Ceux qui, par l’absolution sacramentelle eussent été en la grâce de Dieu. God. Les Luthériens ont retenu l’absolution sacramentale. Boss. L’absolution qu’Hincmar envoya par lettre à Hildebold, Evêque de Soissons, n’étoit qu’une espèce d’indulgence & de bénédiction, & non une absolution sacramentelle, puisqu’il suppose d’ailleurs que l’on doit se confesser au prêtre en détail ; & que non-seulement il le suppose, mais qu’il avertit Hildebold de le faire. Fleury. De plus, dit-il, je vous avertis par précaution, ne doutant point que vous ne l’ayez déja fait, qu’outre cette confession générale, vous ayez soin de confesser en détail à Dieu, & à un prêtre, tout ce que vous reconnoissez avoir commis depuis le commencement de votre vie jusqu’à présent.

Le Pere Amelote de l’Oratoire, au liv. 9, ch. 3 de son Abrégé de Théologie, dit en parlant du sacrement de la pénitence : La principale force du sacrement, ce qui en est comme l’ame, & où réside principalement l’influence & la vertu de Jesus-Christ jugé pour nous, c’est dans le sacrement d’absolution que le prêtre prononce par ces paroles : Je t’absous de tes péchés. L’absolution, ou les paroles de l’absolution, sont la forme du sacrement de pénitence, ainsi que l’enseignent le Concile de Florence dans le Décret ad Armenos, & le Concile de Trente Sess. xiv, c. 3. Cette forme est absolue dans l’Eglise Latine, & déprécatoire dans l’Eglise Grecque, ainsi que l’on peut voir dans l’Eucologe des Grecs, imprimé à Venise en 1638 ; dans la censure de la Confession d’Ausbourg, faite par Jérémie, Patriarche de Constantinople ; & dans l’Instruction de Clément VIII, sur les Rits des Grecs, imprimée en 1595. Arcudius prétend néanmoins que la forme de ce sacrement est absolue chez les Grecs, aussi-bien que chez les Latins, & que ce sont ces mots : Mea mediocritas habet te veniâ donatum. Mais les exemples qu’il en apporte, ou ne sont point des formules d’absolution, ou sont des formules d’absolution d’une excommunication ; mais non pas de l’absolution sacramentelle. D’ailleurs, Arcudius avoue lui-même que plusieurs prêtres ne disent point la formule qu’il rapporte. Enfin, il faut juger du Rit Grec plutôt par les Eucologes, que par les passages de Gabriel de Philadelphie, & des autres particuliers que cite Arcudius. L’absolution sacramentelle n’est pas déclaratoire seulement ; elle remet véritablement les péchés. Le P. Seguenot de l’Oratoire ayant dit dans ses Remarques sur le livre de la sainte Virginité de S. Augustin : Qui diroit que l’absolution n’est autre chose qu’un acte judiciaire, par lequel le prêtre déclare, non simplement, mais avec autorité, & de la part de Jesus-Christ, que les péchés sont remis, & en prononce l’arrêt juridiquement, celui-là n’avanceroit rien, à mon avis, ni contre le Concile de Trente, qui semble même avoir donné lieu à cette interprétation, lorsqu’il s’est expliqué sur cela plus nettement, ni contre les anciens Théologiens, je dis même Scholastiques, que la plûpart des nouveaux ont quitté en cette matière, comme on les quitte maintenant eux-mêmes ; Dieu veuille qu’ils nous le pardonnent, comme on leur pardonne : Toute cette remarque fut justement censurée par les Théologiens de la Faculté de Paris. Cette doctrine est Luthérienne, contraire aux paroles précises de Jesus-Christ en S. Jean Ch. xx, v. 23. Ceux dont vous aurez remis les péchés, leurs péchés leur seront remis ; condamnée par le saint Concile de Trente Sess. xiv. Ch. vi, & Can. 9, & contraire à la Tradition. Voyez Tertull. de Pudic. S. Cyprien de Laps. & la troisième lettre de Pacien. Voyez le mot de Contrition.

Le Jésuite Dandini traite fort mal les Grecs sur la manière dont ils donnent l’absolution aux pénitens. Un homme, dit-il, au chap. 7 de son voyage du Mont Liban, s’étant confessé d’un péché commun & ordinaire, fut renvoyé par le Confesseur, qui lui refusa de l’absoudre, à moins qu’il n’appellât sept autres Prêtres. Ceux-ci ayant été attirés par quelqu’argent, firent étendre à terre le pénitent, comme s’il eût été mort, & ils lui donnerent enfin l’absolution, en récitant de certaines prières. Ils ont accoûtumé de demander de l’argent pour l’absolution, & de la refuser quand on ne leur en donne point. Car ils prétendent qu’il leur est dû quatre ou cinq écus & davantage pour les péchés communs & ordinaires. La pénitence qu’ils donnent pour les gros péchés, c’est de défendre la Communion pour quatre ou cinq ans. Peut-être font-ils cela par mépris, & par l’aversion qu’ils ont pour l’Eglise Latine, qui l’ordonne tous les ans.

M. Simon, dans ses Remarques sur le voyage du Mont Liban, imprimé à Paris, justifie la pratique des Grecs dans le Sacrement de Pénitence. Si les Grecs, dit-il, différent de donner l’absolution aux pénitens, ils suivent en cela l’usage de leur Eglise, qui est très-ancien : ils ont leurs livres pénitentiaux qui les règlent, & ce n’est point leur caprice qui leur fait imposer une pénitence plutôt qu’une autre : mais ils suivent les Canons, & ils appellent faire le Canon, ce que nous appelons ordinairement faire la pénitence. Ils éloignent souvent leurs Pénitens de la Communion pour un an, pour deux ans, & même pour davantage, suivant en cela les anciens Canons. Si les Grecs ne passent point leur Canon, ou leurs anciens livres pénitentiaux, M. Simon a raison ; mais il est certain qu’ils y ajoutent souvent beaucoup, & qu’il se glisse parmi eux bien des abus dans l’administration de ce sacrement.

On ne doit pas aussi traiter les Grecs d’ignorans & de superstitieux, parce qu’un Confesseur refuse de donner l’absolution à un pécheur, s’il n’a auparavant fait venir sept Prêtres qui donnent tous ensemble l’absolution. Cette façon paroît étrange à ceux qui ne consultent que l’usage présent : mais si l’on remonte jusqu’aux anciens temps, on trouvera que cela s’observoit même dans Rome. Le Pape Corneille assembla les Prêtres & les Evêques qui étoient alors dans Rome, pour délibérer de la Pénitence qu’on devoit donner à quelques Schismatiques qui rentroient dans l’Eglise. Il n’est donc pas surprenant qu’un Papas ou Prêtre Grec, délibère avec plusieurs de ses Confrères, touchant la Pénitence qu’il doit donner à un homme, qui étant engagé au service d’un Latin, étoit tous les jours dans des occasions prochaines de pécher contre les cérémonies de sa Religion.

On ne doit point aussi tourner en ridicule les Prêtres Grecs, sous prétexte qu’ils font coucher par terre le pénitent, & qu’en cet état ils récitent sur lui des prières en forme d’absolution ; car les Grecs se confessent d’ordinaire assis. Ils se contentent de se prosterner deux fois, savoir, au commencement, quand ils demandent la bénédiction du Prêtre, qui invoque sur eux la grâce du S. Esprit ; & à la fin, quand ce même Prêtre prie Dieu qu’ils puissent accomplir la pénitence qu’il leur impose. En un mot, il ne faut point condamner tout ce qui est conforme à leurs anciens livres pénitentiaux, & ce que Clément VIII n’a point blâmé dans son Instruction sur les Rits des Grecs.

C’est une erreur de dire que dans l’ancienne Eglise, on n’accordoit l’absolution aux pénitens qu’après une satisfaction publique. Il n’y avoit qu’un petit nombre de crimes énormes & publics que l’Eglise soumit à la pénitence publique, comme l’idolâtrie, l’homicide, & l’adultère. C’est encore une erreur de dire que jusqu’au vi siècle de l’Eglise on n’a accordé l’absolution qu’une fois. C’est la pénitence publique qu’on n’accordoit qu’une fois, & non pas l’absolution en général. Il n’y a jamais eu que Novat qui ait porté les choses à cet excès. Les Novatiens & les Montanistes n’alloient point jusque-là. Ils accordoient la pénitence à tous les péchés légers & médiocres. Il n’y avoit que les grands péchés que Tertullien appelle des monstres, auxquels ils prétendoient que l’Eglise ne pouvoit, ou ne devoit point accorder l’absolution après le Baptême. Cela est évident par Tertullien l. de Pudic. & par Origène, l. de Orat. qui tous deux étoient infectés de l’erreur des Montanistes, & par ceux qui ont combattu les Novatiens, comme S. Ambroise, l. de Pœnit. & S. Pacien de Barcelonne, ep. 3, &c. Quelquefois même, dans la pénitence publique, on accordoit l’absolution & l’Eucharistie avant que la pénitence fût accomplie. Pour les péchés qui n’étoient point soumis à la pénitence publique, M. Godeau, qui croit que l’absolution se donnoit régulièrement quand la satisfaction étoit achevée, avoue pourtant que souvent, & pour des raisons assez légères, elle se donnoit immédiatement après la confession.

L’Absolution cum reincidentiâ, ou avec rechute, est une absolution qu’on donne à un homme lié des censures avec modification ou limitation ; ce qui peut se faire en deux manières. 1.o En suspendant l’effet de la censure pour un certain temps, durant lequel celui qui en avoit été frappé, peut recevoir les sacremens, assister aux offices divins, & communiquer avec les fidèles. Mais ce temps-là expiré, il retombe dans l’excommunication sans autre sentence. 2.o En donnant cette absolution à certaines charges ou conditions qui, n’étant pas accomplies, font renaître la censure ; par exemple, à la charge qu’on satisfera la partie offensée, qu’on fera quelque bonne œuvre dans un certain temps, après lequel, si la chose n’est pas exécutée, on retombe dans la censure. Il n’y a que les Evêques, leurs grands Vicaires, leurs Officiaux, ou ceux à qui ils en donnent un pouvoir spécial, qui puissent donner l’absolution ad reincidentiam, parce que pour donner cette sorte d’absolution, il faut avoir juridiction au for extérieur ; ainsi les Curés & les simples Prêtres n’ont pas ce pouvoir, même dans le temps du Jubilé. Ils ne peuvent donner que l’absolution simple, tout le pouvoir étant renfermé dans le for du sacrement de la pénitence. En France on croit communément, que celui qui en péril de mort a été absous par un simple Prêtre d’une censure réservée, ne retombe pas dans la censure, quoiqu’après être revenu en santé, il ne se présente pas devant celui à qui elle étoit réservée.

En Chancellerie Apostolique, on appelle absolution à sævis, une grâce accordée par une signature particulière, à celui qui a assisté à quelque jugement de mort, ou qui a commis quelque cas qui rend irrégulier & incapable de posséder un bénéfice.

C’est une maxime que l’excommunié par sentence demeure en état d’excommunication, nonobstant son appel : ainsi, pour éviter les inconvéniens qui pourroient arriver, l’on demande au Juge l’absolution que les Docteurs appellent ad cautelam, laquelle n’a d’effet que pendant l’appel, & ne se doit accorder qu’avec beaucoup de circonspection. Cette absolution ne se donne qu’après que le condamné affirme par serment qu’il exécutera le jugement qui sera rendu. Voyez Eveillon, Traité des excommunications. Quelques-uns croient que l’absolution ad cautelam ne se donne que par provision à celui qui a été excommunié, dans la crainte qu’il ne meure subitement, ou par quelque accident, avant qu’il ait pu se faire absoudre. Mais ce n’est point par cette raison ; car elle se donne moins en faveur de celui qui a été excommunié, qu’en faveur de ceux qui, par une conscience timorée, feroient scrupule de fréquenter l’excommunié : or cette absolution leur sert de précaution, pour les assurer qu’ils ne participent point à l’excommunication. Bouchel. On dit aussi, Absolution à caution, & tous ces mots se trouvent dans les bons Livres. La première fois que l’on trouve qu’il est fait mention de l’absolution à cautèle, ad cautelam, c’est dans une lettre du Pape Célestin écrite en 1195, à l’Evêque de Lincoln, où il lui ordonne de publier une suspense par tout le Diocèse d’Yorck, & à Geoffroy qui en étoit Archevêque, en l’avertissant cependant d’absoudre ces personnes ad majorem cautelam.

Absolution, en termes de Bréviaire, est une courte prière que dit celui qui officie à chaque nocturne des Matines avant les bénédictions & les leçons. On appelle aussi absolution, les encensemens & aspersions d’eau-benite qu’on fait sur les corps des Princes & des Prélats qu’on enterre avec grande cérémonie.

Absolution, pardon, remission, ne sont point synonymes. L’absolution se donne à un accusé. Voyez les autres mots.

Ce mot vient du latin absolutio, qui signifie la même chose, & vient du latin solvere, délier.

ABSOLUTOIRE. adj. de t. g. Qui porte absolution. Absolutorius. Sentence absolutoire. Bref absolutoire.

ABSORBANT. s. m. Terme de Médecine, qui est tantôt adjectif, tantôt substantif. Medicamina ad absumendum nata. On appelle absorbans, des médicamens terrestres & poreux, qui s’imbibent aisément de sels acides & alkalis, & qui boivent les substances aqueuses ou sulfureuses. Les os calcinés, la corne de cerf préparée, l’ivoire brûlé, le corail, les yeux d’écrevisse, &c. sont des véritables absorbans. On a confondu quelque temps les absorbans avec les sels alkalis, sans doute à cause de leurs effets & de leurs propriétés ; les alkalis absorbant les acides en amortissent l’activité. Le quinquina est une sorte d’absorbant qui guérit les fièvres intermittentes.

ABSORBANT, TE. adj. On emploie des poudres absorbantes, quand il regne sur les superficies une fluidité qui les feroit s’attacher. M. l’Abbé Nollet, Phys. expér. t. I, p.17. Pores absorbans. Voyez Pore. Vaisseaux absorbans. Voyez Vaisseau.

ABSORBÉ, ÉE. part. On dit d’un homme profondément appliqué à quelque chose, qu’il y est absorbé. Acad. Fr.

On dit d’un homme continuellement occupé de l’idée de Dieu, qu’il est absorbé en Dieu.

ABSORBER. v. a. Engloutir. Absumere. Consumer en détail, & par une action successive, les différentes parties d’un tout. Engloutir marque un effet plus rapide, qui fait disparoître tout d’un coup. Le feu absorbe, l’eau engloutit. Les terres arides absorbent l’eau qui tombe. Le Rhin, à la fin de son cours, se perd dans les sables qui l’absorbent.

On le dit par extension, des couleurs, des sons, des odeurs, des saveurs. Le noir absorbe toutes les autres couleurs. Les instrumens absorbent une voix foible. La voix est absorbée dans les voûtes, elle s’y perd. Une odeur forte absorbe les autres.

En Chimie, on dit que les alkalis absorbent les acides ; pour dire, qu’ils en émoussent la pointe, qu’ils en tempèrent l’activité. Voyez Acide, Alkali & Fermentation.

Absorber, se dit en jardinage, des branches gourmandes qui naissent sur les arbres fruitiers, & qui ôtent aux autres branches la plus grande partie de la nourriture dont elles ont besoin. Il faut avoir soin de retrancher les branches gourmandes, de peur qu’elles n’absorbent la substance nécessaire pour nourrir le reste du corps de l’arbre. Cependant si ces branches sont nécessaires pour la figure de l’arbre, comme il arrive souvent à ceux qui sont en espalier, il ne faut point les couper ; mais employer les moyens les plus propres pour les empêcher de tirer tant de sucs. Voyez au mot Gourmand.

Absorber, est également employé dans le sens figuré, où il présente la même idée que dans le sens propre. On ne le dit que des biens, des richesses, très-souvent en mauvaise part. Ce dissipateur a absorbé tout son patrimoine. Les procès absorbent tout le bien des plaideurs. Les frais du scellé ont absorbé une partie de la succession. Le jeu absorbe les plus grandes fortunes.

Absorber, se dit aussi avec le pronom personnel. Les pluies s’absorbent dans les sables. Comme tout passe & s’absorbe pour jamais dans l’éternité de Dieu, les choses périssables ne valent pas la peine d’être considérées.

ABSORPTION, s. f. Action d’absorber, engloutissement. M. Descartes ne nous fait-il pas appréhender que notre tourbillon, infiniment plus grand que la sphère du feu, ne soit absorbé quelque jour, lorsqu’on y pensera le moins ? Et quand par cette absorption le soleil sera devenu terre, & que peut-être en même temps la matière subtile, qui est enfermée dans le centre de notre terre, ayant forcé & rompu les croûtes qui la couvrent, saura soit devenir soleil ; si les livres de M. Descartes subsistoient dans quelque autre tourbillon, où il y eût des hommes, ne regarderoient-ils pas comme des fables tout ce qu’il dit de notre monde ? Voyage du Monde de Descartes. Ce mot est rude, & ne peut s’employer que dans le style dogmatique, où tous les termes expressifs sont bons.

Absorption, dans l’économie animale, est une action par laquelle les orifices ouverts des vaisseaux pompent les liqueurs qui se trouvent dans les cavités du corps.

Tous ces mots viennent du latin absorbeo, qui signifie la même chose.

ABSOUDRE. v. a. Décharger d’une accusation, déclarer par un jugement juridique, un homme innocent du crime dont il étoit acculé. J’absous, tu absous, il absout, nous absolvons, vous absolvez, ils absolvent. Imparf. J’absolvois. Pret. J’ai absous. Fut. J’absoudrai. Subj. que j’absolve. Part. act. absolvant. Part. pas. absous. Absolvere. Dans le doute, il est plus expédient d’absoudre un criminel, que de condamner un innocent. Court. On l’a absous à pur & à plein.

Absoudre, en droit Ecclésiastique, c’est en vertu du pouvoir accordé par J. C. remettre les péchés dans le tribunal de la pénitence. Tout prêtre a le pouvoir d’absoudre en cas de mort. Tous les Prêtres ne peuvent pas absoudre des cas réservés. Voyez toutes les acceptions de ce mot, au mot Absolution.

Ce mot vient d’absolvere d’où l’on a fait absoulre, absouldre, absoudre.

ABSOUS, OUTE. part. Il a les significations de son verbe.

Absous, se dit aussi en matière civile. Un défendeur conclut toujours à être renvoyé quitte & absous de la demande qu’on lui a faite.

☞ Le Juge absout un accusé. L’offensé pardonne une offense. Le Souverain fait grâce au coupable.

ABSOUTE. s. f. Absolution publique & solennelle qui se donne au peuple. Absolutio. L’Evêque en fait la cérémonie le Jeudi-Saint, ou le Mercredi au soir dans les Cathédrales. L’absoute se fait aussi par les Curés dans les Paroisses le jour de Pâques.

On donne aussi ce nom au discours qui se fait pour préparer le peuple à l’absolution générale, qui se nomme Absoute.

ABSTÈME. f. m. Terme dogmatique. Qui ne boit point de vin. Abstemius. Pline dit, Vini abstemius, L. xxii. Et Apulée a fait Invinius. On s’en sert en Théologie, pour parler de ceux qui dans la Communion ne pourroient prendre les espèces du vin, à cause de l’aversion naturelle qu’ils ont pour cette liqueur. M. de Meaux s’est servi de l’exemple des abstèmes, pour défendre le retranchement de la Coupe. Les Dames Romaines dans les premiers temps étoient abstèmes ; & afin qu’on pût s’appercevoir si elles buvoient du vin, les Loix de la Civilité Romaine étoient qu’elles donnassent le baiser à leurs parens, quand elles les abordoient. Plin.l. 22. c. 24. Aulu-Gele. l. 10. c. 22. On a vu un célèbre abstème dans les commencemens du Christianisme : ce fut Appollonius de Thyane. Eméric, fils de saint Etienne, roi de Hongrie, fut abstème ; mais peut-être plutôt par mortification que par aversion pour le vin. Nous avons vu dans le dernier siècle le fameux jurisconsulte Tiraqueau & le célèbre Voiture, qui ont été de véritables abstèmes.

Ce mot est formé de la préposition abs, & tementum, ancien mot, qui signifioit du vin. Cependant à l’endroit de Pline, que nous avons cité, & dans Horace, L. 1. Ep. 12. Abstemius semble être pris pour un homme qui s’abstient de quelque boisson, ou même de quelque mets que ce soit.

ABSTENIR. v. n. qui ne se dit qu’avec le pronom personnel. Se défendre l’usage, se contenir à l’égard de quelque chose, se priver de quelque plaisir. Abstinere, temperare. Conjuguez : Je m’abstiens ; je m’abstenois ; je m’abstins ; je me suis abstenu ; je m’abstiendrai ; je m’abstiendrois, &c. Ils sentent, à chaque péché qu’ils commettent, un avertissement intérieur de s’en abstenir. Pasc. Il faut se garder, & s’abstenir de se mettre en colère. Ils disoient qu’Auguste s’étoit abstenu de la qualité de Dictateur. Ablanc. Il faut s’abstenir du vin pendant la fièvre. Les Chrétiens ne s’abstenoient de viande pendant leurs jeûnes, que pour mortifier les sens. Du Pin. Les Juifs étoient obligés de s’abstenir de leurs femmes pendant certains temps. On le dit quelquefois absolument. Il est plus aisé de s’abstenir, que de se contenir.

Abstenir, se dit aussi en matière de récusation de Juges, & quand la Cour la trouve bien fondée, elle dit, pour adoucir l’expression, que le Juge s’abstiendra, c’est-à-dire, de rapporter le procès, ou d’y opiner.

Abstenir, se dit aussi d’un juge qui se désiste de la connoissance & du jugement d’une affaire, à cause de la parenté ou de l’alliance au degré prohibé, qui est entre l’une des parties & lui.

Abstenir, en matière de succession, se dit d’un héritier en collatérale qui s’abstient & ne fait point acte d’héritier du défunt. Au lieu que le présomptif héritier en ligne directe, pour n’être point héritier de celui dont la succession lui est déférée, est obligé de faire un acte authentique, par lequel il renonce à cette succession.

L’opposé de s’abstenir, c’est s’immiscer.

☞ ABSTENSION, étoit chez les Romains, un bénéfice que les enfans obtenoient du prêteur, en vertu duquel ils abandonnoient les biens de leur pere, dont ils étoient réputés propriétaires par le droit civil ; de sorte que par le moyen de l’abstention, ils n’étoient nullement censés hériter, du moins par le droit Prétorien.

Parmi nous, on entend par abstention, l’omission que fait un héritier en collatérale. Ainsi la succession en directe doit se répudier par une renonciation expresse ; mais la seule abstention suffit pour la succession en collatérale.

ABSTERGENT. s. m. Terme de Médecine, qui se dit comme absorbant, émollient, &c. Abstersif, propre à nettoyer. Abstergens. Les abstergens sont les remèdes dont on se sert pour nettoyer la peau, ou les parties superficielles d’un corps, des ordures qui s’y sont amassées, & qui bouchent les pores. Harris.

☞ ABSTERGER. v. a. Terme de Médecine & de Chirurgie, synonyme de nettoyer, en parlant des plaies, des ulcères. Abstergere.

☞ ABSTERSIF, IVE. adj. qui convient aux remèdes propres à nettoyer. Smecticus. Smegmaticus.

ABSTERSION. s. f. Terme de Médecine, qui exprime l’action des abstergens sur les corps. Abstersio. L’action d’absterger. En ce sens il se prend activement. Il se prend aussi passivement ; & alors c’est, dit M. Harris, l’effet produit par les abstergens, & en général tout nettoyement, si l’on peut parler ainsi.

ABSTINENCE, s. f. Vertu morale par laquelle on s’abstient de certaines choses, en vertu d’un précepte moral, ou d’une institution cérémonielle. Abstinentia. C’est une espèce de la tempérance, & elle se confond quelquefois avec la sobriété. Le grand jeûne, dit S. Augustin, est l’abstinence des vices. Les Athlètes, pour se rendre plus robustes, vivoient dans une abstinence générale de tous les plaisirs. Dac. L’Eglise a enjoint aux Ecclésiastiques l’abstinence des femmes : elle a marqué aussi certains jours de jeûne & d’abstinence. Il se dit aussi de la modération dans l’usage des alimens. On fait des abstinences par un pur régime comme de vin, de salines. La diète & l’abstinence sont nécessaires, pour rétablir l’estomac affoibli par la débauche.

Abstinence, signifie quelquefois une simple privation de manger de la chair. Abstinentia à carnibus. L’abstinence des viandes, assaisonnée de dévotion, & accompagnée de la prière, est un des moyens les plus efficaces pour avancer notre sanctification. Boss. L’Eglise ordonne simplement l’abstinence le jour de S. Marc, & non pas le jeûne. Les mercredis sont des jours d’abstinence chez plusieurs Religieux. Les dévots font aussi des abstinences, & des macérations volontaires.

ABSTINENT, ENTE, adj. Modéré dans le boire & le manger. Sobrius. Les peuples du Midi sont plus abstinens que ceux du Septentrion.

ABSTINENT. s. m. Nom qu’on donna à certains Hérétiques, qui s’élevèrent dans les Gaules & en Espagne au 3e siècle, pendant la persécution de Dioclétien & de Maximien, parce qu’ils blâmoient le mariage. Les abstinens étoient les mêmes que les Hiéraclites, selon Baronius ; & selon d’autres, c’étoient des Encratites, nom Grec qui signifie la même chose à peu-près qu’Abstinent. Quoiqu’il en soit, tout le monde convient que les Abstinens étoient une branche des Gnostiques & des Manichéens. Ils faisoient aussi profession de ne point manger de viande, comme étant de foi mauvaise, & ayant été créée par Satan. Voyez Philastrius, hær. 83. Ces Hérétiques furent nommés Abstinens, à cause qu’ils s’abstenoient de l’usage du vin & de plusieurs viandes. God.

ABSTRACT, ACTE. Terme de Philosophie, barbare en François. Voyez Abstrait & Abstraction.

☞ ABSTRACTION, s. f. Terme didactique. action de l’esprit, par laquelle on sépare les choses réellement inséparables, pour les considérer à part indépendamment les unes des autres. En quoi l’abstraction diffère de la précision qui sépare les choses véritablement distinctes, pour empêcher la confusion qui naît du mélange des idées.

Il me semble, dit M. l’Abbé Girard, que la précision a plus de rapport aux choses qu’on peut non seulement considérer à part, mais qu’on peut aussi concevoir être l’une sans l’autre, telles que seroient, par exemple, l’aumône & l’esprit de charité. Il me paroît que l’abstraction regarde plus particulièrement les choses qu’on peut à la vérité considérer à part, mais qu’on ne sauroit concevoir être l’une sans l’autre ; telles que sont, par exemple, le corps & l’étendue. Ainsi le but de la précision est de ne point sortir du sujet, en éloignant tout ce qui lui est étranger ; & celui de l’abstraction est de ne pas entrer dans toute l’étendue du sujet, en n’en prenant qu’une partie, sans aucun égard à l’autre. Voyez Précision.

L’abstraction est l’action ou l’exercice d’une faculté, ou puissance propre & particulière à l’esprit de l’homme, & qui distingue entièrement & essentiellement son ame de celles des bêtes ; faculté qui consiste en ce que l’homme peut, en élevant ses idées au-dessus des Etres particuliers, en faire des représentations générales du tout de la même espèce, auquel tous les Philosophes donnent le nom d’Universel. Actio animi speciem aliquam abstrahentis. On considère par abstraction, lorsque dans un mobile, par exemple, on considère le mouvement, sans faire attention au corps mû. Si mon œil me représente de la blancheur sur une muraille, je puis par abstraction considérer cette qualité de blancheur en elle-même, & en faire un attribut général de plusieurs autres choses différentes, comme de la neige, du lait, &c. Cette qualité, quelle qu’elle soit, considérée ainsi à part & dans le concret, ou le sujet auquel elle est inhérente, est une qualité considérée par abstraction. Harris. Ce sont les Mathématiciens qui, considérant la quantité sans matière, supposent dans leur empire d’abstraction des indivisibles sans parties : mais il n’est pas permis aux Physiciens de faire ces sortes d’abstractions, ni de sortir des bornes de la matière. Bern. La Métaphysique considère aussi les Êtres par abstraction, & c’est proprement son objet.

Abstraction. Dans une acception moins stricte, mais assez ordinaire, se prend pour une opération de l’esprit, par laquelle on considère une chose sous un certain apport que l’on exprime, sans faire attention à d’autres qualités dont l’énumération n’est pas nécessaire pour le jugement qu’on porte. Un tel, abstraction faite de telle & telle chose, est un grand homme.

Ce mot est souvent employé au pluriel, pour marquer la disposition d’esprit d’une personne tellement occupée de ses propres idées, qu’elle ne prête aucune attention aux choses dont on lui parle, ou qu’on lui présente. On dit qu’un homme est dans des abstractions continuelles, pour dire, qu’il rêve continuellement, qu’il est appliqué à toute autre chose qu’à celle dont on parle, ou qu’il a sous les yeux. Voyez Abstrait.

☞ ABSTRACTIVEMENT. adv. peu usité. Par abstraction, d’une manière abstraite. Considérer abstractivement les propriétés de la matière.

ABSTRAIRE. v. a. faire une abstraction. Détacher par la pensée une qualité, une propriété, de toutes les autres, pour la considérer séparément, en particulier. Abstrahere. J’abstrais, tu abstrais, il abstrait ; nous abstrayons, vous abstrayez, ils abstraient. Quand on raisonne en Algèbre, on abstrait la quantité, le nombre de toutes sortes de matières & de sujets. Il y a plusieurs temps de ce verbe qui ne sont point usités, comme l’imparfait, le prétérit indéfini, &c. D’autres sont fort durs à l’oreille. Alors on dit mieux, faire abstraction.

☞ ABSTRAIT, AITE. part. & adj. Abstractus, homme qui ne pense à aucun objet présent, ni à rien de ce qu’on dit : qui est si fortement occupé de ses propres idées intérieures, qu’elles l’empêchent d’être attentif à autre chose qu’à ce qu’elles lui représentent. En quoi l’homme abstrait différe de l’homme distrait, qui n’est tel que parce qu’un nouvel objet extérieur attire son attention ; de façon qu’il l’a détourne de celui à qui il la doit. Les personnes qui font de profondes études, & celles qui ont de grandes affaires, ou de fortes passions, sont plus sujètes que les autres à avoir des abstractions. Les Distractions sont le partage ordinaire des jeunes gens. La rêverie produit des abstractions, & la curiosité cause des distractions. Voyez Distrait.

Abstrait. Terme didactique. Terme Abstrait, qui se dit d’une qualité considérée toute seule & détachée du sujet. Ainsi la rondeur, la blancheur, la bonté, sont des Termes Abstraits. Concret est le terme opposé. Il exprime la substance revêtue de sa qualité.

Abstrait, est aussi subit. L’Abstrait & le Concret, termes de l’Ecole. La rondeur est un abstrait, le rond est un Concret.

En matière de sciences, abstrait se dit des choses difficiles à concevoir, éloignées des idées communes, trop métaphysiques, trop recherchées.

On dit, des raisonnemens abstraits ; pour exprimer qu’ils sont trop subtils. Argumenta tenui filo diducta. Ces idées sont abstraites, & ne tombent point sous l’imagination. Malb. C’est une Philosophie abstraite & chimérique. Port-R. pour dire, une Philosophie trop dégagée des choses sensibles, trop métaphysique & trop difficile à pénétrer. On ne doit pas confondre la définition d’une idée abstraite & arbitraire, avec la définition des choses qui existent réellement. Le Cl.

Abstrait, se dit aussi en Mathématiques. Les nombres abstraits sont ceux que l’on considère précisément comme nombres, sans les appliquer à aucun sujet. 3 est un nombre abstrait, tant qu’il n’est pas appliqué à quelque chose. Si on dit 3 pieds, par exemple, 3 devient un nombre concret.

Les Mathématiques abstraites ou pures ; sont celles qui considèrent la grandeur ou la quantité absolument & en général, sans se borner à aucune espèce particulière, comme la Géométrie & l’Arithmétique. Dans ce sens elles sont opposées aux Mathématiques mixtes.

ABSTRUS, USE. adj. qui est caché & inconnu au commun du monde, qui demande une extrême application pour être entendu. Abstrusus. L’Algèbre, les Sections Coniques, sont des Sciences, des matières fort abstruses, où peu de personnes peuvent pénétrer. Afin que le peuple Juif, qui étoit encore aux rudimens, ne pouvant bien entendre les sens abstrus & cachés des écrits, se contentât de les admirer. Goerée. On ne le dit qu’en matière de Sciences.

ABSURDE, adj. m. & f. Ce qui choque le sens commun, qui est évidemment contraire à la raison. Absurdus. Proposition absurde. Quand on suppose une chose absurde, on en tire mille conséquences absurdes. Il prouve une chose absurde, par une chose plus absurde.

ABSURDEMENT. adv. d’une manière absurde. Absurdè. C’est conclure absurdement, que de dire, &c.

☞ ABSURDITÉ, s. f. vice, défaut de ce qui est absurde. Chose qui choque le bon sens, la raison. L’absurdité d’un discours. On le dit aussi de la chose absurde. Il s’ensuivroit de grandes absurdités d’une telle supposition. Abfurditas. Abfurdè dictum aut factum.

ABSUS. s. m. Herbe qui croit en Egypte, à la hauteur de quelques doigts. Ses feuilles ressemblent à celles du triolet ; & ses fleurs blanches, & d’un jaune pâle, produisent une semence noire, renfermée dans de petites cellules. Cette description est tirée de P. Alpin. On doit ranger cette plante parmi les Casses, & la nommer, Cassia sylvestris, Ægyptiaca, tetraphyllos. Bauhin l’appelle loto affinis Ægyptiaca. Pin. 332.

ABSYNTHE, ou ABSINTE. s. m. & f. Selon Malherbe ; & selon Vaugelas, toujours masculin, aujourd’hui toujours féminin. Ménage veut qu’on écrive apsynthe par un p, sans doute à cause de l’étymologie. Absynthium ou Absinthium. Plante médécinale. Les Botanistes anciens ne faisoient mention que de quatre espèces d’absynthe ; savoir, la vulgaire ou romaine, la menue ou pontique, la marine, & la santonique ; mais les Modernes en distinguent plus de trente espèces. Voyez Bauhin, Plukenet & Barrelier. L’absynthe vulgaire, grande absynthe, ou absynthe romaine, a ses racines branchues, chevelues, & éparpillées. De ses racines s’élèvent ordinairement plusieurs tiges, hautes de trois à quatre pieds, blanches & garnies de feuilles semblables à celles de l’armoise, branchues des deux côtés. Ses fleurs naissent à l’extrémité des branches & des tiges, & sont disposées en épi assez long, blanchâtre, & garni de petites feuilles qui soutiennent les fleurs. Chaque fleur est un bouton composé de plusieurs fleurons dorés, & renfermés dans un calice écailleux. Ces fleurons sont portés sur des embryons, qui deviennent des semences menues, oblongues & nues. Cette absynthe vulgaire est la plus en usage dans la Médecine. Plusieurs croient que c’est la barbotine qu’on appelle semen sanctum ; mais Mathiole dit que c’est une plante bien différente. Quelques-uns prétendent que l’absynthe est l’aurone femelle. L’absynthe menue, petite absynthe, ou absynthe pontique, est beaucoup plus basse ; ses tiges sont plus menues ; ses feuilles plus petites, plus finement découpées & moins blanches. Ses fleurs ont la même structure & le même arrangement que celles de la vulgaire ; mais elles sont un peu plus petites. Son amertume & son odeur ne sont pas si insupportables que celles de la vulgaire. La marine se distingue de la pontique par ses feuilles plus épaisses, moins découpées, & par son goût salin. A l’égard de la santonique, on a confondu sous ce nom diverses plantes, Voyez Barbotine.

L’absynthe est stomacale, apéritive, fébrifuge, bonne contre les vers & pour les vapeurs, les coliques, la jaunisse & les pâles couleurs. On la prend en infusion dans du vin ; c’est ce qu’on appelle vinum absynthites, en extrait, extracyum absynthii ; en sirop, syrupus de absynthio. On l’emploie dans les fomentations & dans les cataplasmes, pour arrêter les progrès de la gangrène. On ne se sert que des feuilles & des sommités de cette plante. Et de l’eau d’absynthe, aqua absynthites. On a aussi donné à l’absynthe le nom d’alvine, ou alvyne. Voyez ce mot.

Absynthe, figurément, signifie douleur, amertume, déplaisir. Dolor animi. Mais je ne voudrois pas l’employer au pluriel comme Malherbe, qui a dit, adoucir toutes nos absynthes. Il n’est pas même d’usage au singulier.

Ce mot vient d’α, particule privative en Grec, & πίνθιον ; c’est-à-dire, impotabile, non potable ; & les Comiques Grecs la nomment en effet ᾶπίνθιον, parce que c’est une plante si amère, qu’on a de la peine à boire une liqueur dans laquelle elle aura trempé. Quelques-uns le font venir du Grec ἅπτω, toucher, ἅψισθον, ᾶψεσθαι & veulent que ce nom ait été donné à cette plante par antiphrase, parce que nul animal n’en peut goûter, ni la toucher, à cause de son amertume. Cette étymologie n’est pas vraisemblable, & il est étonnant que d’habiles gens aient pu la hasarder ; ἅπτω est aspiré, & absynthium ne l’est pas : on dit ἀψίνθιον & non ἅψιστον ; l’un a un θ, & l’autre un τ, & le premier n’a pu se former du second, ni de ἅψεσθαι. D’autres le font venir d’ἀψίνθιον, qui veut dire désagréable, indelectabile, & qui s’est formé de l’α privatif, & de ψίνθος, plaisir, delectatio, à cause de l’amertume qui rend cette plante désagréable. Cette étymologie paroît plus juste, & justifie en même temps l’orthographe d’absinthe, sans y.

ABSYRTIDES. Voyez ABSIRTIDES.

ABU.

ABUCCO, ABOCCO ou ABOCCHI. s m. Poids dont on se sert dans le royaume de Pégu. Un abucco est de douze Teccalis & demi. Deux abuccos font l’Agiro, qu’on nomme aussi Giro. Deux Giri font une demi-Biza, & la Biza pese cent Teccalis, c’est-à-dire, deux livres cinq onces poids fort, ou trois livres neuf onces poids léger de Venise.

ABUDIACOM. Ancienne ville de la Vindélicie. Abudiacum. Selon quelques Auteurs, Abudiacom est le village d’Apping, en Bavière ; & selon d’autres, celui d’Abach, dans le même Duché.

ABUHINAN. Petit village & château du Bilédulgérid, en Afrique. Abuhinanum. Il est sur la rivière de Géhir.

ABUIA. Nom de deux Îles Philippines. Abuya, Abaca. L’une est près de l’île de Cébu, entre celles de Luçon & de Mindanas : l’autre n’en est pas loin, entre Bohol & Cubarao.

ABUKESB. s. m. C’est la valeur du Daalder, ou écu de Hollande ; il se nomme ainsi par les Arabes & les Turcs du Caire, & parmi tous les négocians des villes maritimes d’Egypte. Mais à Smyrne & à Constantinople, on n’appelle point le daalder de Hollande de ce nom ; on l’appelle Aslani. C’est le nom dont on se sert aussi dans les Echelles du Levant. La raison de cette diverse dénomination vient de deux noms ; du nom Aslani, qui, en langue Turque, signifie lion, parce que l’on voit l’empreinte d’un lion sur chaque côté de ces pièces d’argent, que les Arabes ont pris pour un chien, qui, en leur langue est nommé abukesb.

ABUNA, ou ABOUNA. s. m. Terme Arabe, qui se trouve dans les Relations, & qui signifie proprement, Notre Père. L’on s’en sert en parlant des Religieux Chrétiens Arabes. Ainsi ils disent, Abouna Ephrem ; c’est-à-dire, Notre Père Ephrem, qui est la même chose que si nous disions, Le Père Ephrem, en parlant d’un Religieux de ce nom, ou Père Ephrem, en parlant à lui même. Selon Portel, il faut dire Abana, אבאנא, & l’interprète Arabe l’écrit ainsi, Matth VI. 9. On dit cependant, Abouna, אבונא

ABURRA. Vallée du nouveau royaume de Grenade, dans l’Amérique méridionale. Aburra.

ABUS. s. m. Ce mot, dans l’acception la plus étendue, signifie l’usage irrégulier d’une chose ; l’introduction d’une chose contraire à l’intention que l’on avoit eue en l’admettant : tout ce qui est contre l’ordre établi ou contre l’usage. Abusus. Il y avoit des abus dans tous les ordres de l’état, qui ont été réformés par Louis le Grand. C’est le grand Constantin, qui, en introduisant les richesses dans l’Eglise, y a introduit en même temps les abus, & le relâchement de la discipline. Port-R. Ce Ministre a réformé les abus des Finances ; ce Président, les abus de la Justice.

Abus, signifie aussi, mauvais usage d’une chose. On commet bien des abus dans la distribution des aumônes. Les abus qu’on fait de l’Ecriture, ne naissent pas de la lecture innocente du peuple. Gomber. Le Concile de Trente a défendu les abus qu’on fait de l’Ecriture, c’est-à-dire, les mauvais usages, les applications qu’on en pourroit faire à des choses profanes, mauvaises, criminelles.

Abus, signifie aussi, erreur, mécompte, tromperie. Error. Si vous croyez que cela soit, c’est un abus ; c’est-à-dire, c’est une erreur, un mécompte ; vous vous trompez. C’est un abus que d’exhorter un jeune libertin à songer à la mort ; pour dire, cela est inutile, on n’y gagne rien. C’est dans ce dernier sens, que M. de la Fontaine a dit fort élégamment dans ses fables :

Alléguer l’impossible aux Rois, c’est un abus.

c’est-à-dire, que quand un Roi veut quelque chose, il faut lui obéir, quand même la chose seroit très-difficile, & paroîtroit impossible. Les Mahométans vivent dans l’abus ; ils suivent les abus de leur faux prophète. Dans ce dernier exemple, il signifie tromperie, & se prend activement. Il se dit plus ordinairement dans l’autre sens, qui est passif. En Arithmétique, quand la preuve ne se trouve pas bonne, on connoît qu’il y a de l’abus dans le calcul.

☞ Ce mot se dit quelquefois absolument, pour rejeter ce qu’un autre a dit. Vous croyez réussir par-là, abus ; vous n’en viendrez jamais à bout.

Abus, s’écria-t-il, hé ! devenez dévote.

☞ Abus d’un mot en grammaire ; le prendre dans un sens abusif, c’est en faire une mauvaise application, en pervertir le sens,

☞ Abus, dans un sens plus particulier, est toute contravention commise par les Juges & Supérieurs Ecclésiastiques en matière de droit.

Appel comme d’abus. In abusu dicendi juris ad Regium superius Tribunal provocatio. C’est un appel qu’on interjette au Parlement, des sentences des Juges ecclésiastiques, quand ils entreprennent sur la Puissance séculière ; quand ils jugent des choses qui ne sont point de leur juridiction, ou quand ils jugent contre les saints Canons & la Discipline de l’Eglise. Les appels comme d’abus ont été introduits, autant pour s’opposer aux entreprises de la Juridiction ecclésiastique sur la Juridiction temporelle, que pour mettre ordre aux attentats de la Cour de Rome sur les libertés de l’Eglise Gallicane. Il est certain en effet que l’entreprise des Evêques alla si loin, qu’ils se rendirent les maîtres de toutes les affaires civiles sous des prétextes de piété, & qu’ils dépouillèrent presqu’entièrement la Juridiction séculière. On ne peut point déterminer tous les cas où l’on peut appeler comme d’abus, parce qu’on ne peut pas limiter toutes les contraventions dont les Ecclésiastiques sont capables pour relever leur autorité. Bouchel. L’abus ne se couvre point par quelque sentence, par quelque possession, ou prescription que ce soit. Quand l’Official juge du possessoire des dixmes inféodées, du possessoire des bénéfices, il y a abus. On appelle comme d’abus, des unions des bénéfices, des Rescrits de Cour de Rome, des fulminations des Bulles d’excommunication, quand elles sont contre les loix de l’Eglise reçues en France. Alors la Cour prononce qu’il y a abus. Quelquefois l’on convertit l’appel comme d’abus en appel comme de grief. L’appel comme d’abus a commencé d’être en usage du temps de Philippe de Valois, lorsque Pierre de Cugières, son Avocat-Général, se plaignit des entreprises que faisoient les Ecclésiastiques sur les personnes & la Justice séculières. Au lieu d’appeler des usurpations, des entreprises du Juge épiscopal, on se servit du terme d’abus, comme le moins dur, pour exprimer qu’il abusoit de son autorité. Pour se venger de Pierre de Cugnières, les Chanoines de Notre-Dame firent mettre au côté du chœur un petit marmot, que par dérision ils appelèrent Pierre de Cugnet. Le Clergé étoit alors si redoutable, que les laïques n’eurent pas tout d’un coup la hardiesse de reprendre leurs droits. Enfin, François I par son ordonnance de 1539, sapa les fondemens de la Jurisdiction ecclésiastique ; & le remède des appels comme d’abus a été si fréquemment mis en usage, que la puissance royale se trouve rétablie dans tout son lustre, & remise en possession de toute son autorité. Voyez Pasquier dans toutes ses Recherches, Liv. 3, C. 33. Févret, Avocat de Dijon, a fait un fort beau volume de l’appel comme d’abus. Les appellations comme d’abus ne se relevent qu’au Parlement, et ne se plaident qu’à la Grand’Chambre, suivant l’édit de 1606 & 1610 : les appels comme d’abus devroient être scellés au grand Sceau ; mais en conséquence d’un renvoi de M. le Chancelier le Tellier en 1678, on les prend au petit Sceau, en y attachant une consultation de trois Avocats. On appelle comme d’abus de l’exécution du Rescrit du Pape, & non du Rescrit même, pour ne blâmer que l’Impétrant ; mais on appelle comme d’abus de l’octroi d’un Evêque, ou de la sentence d’un Official. Quand on dit, Le Parlement a jugé qu’il y avoit abus ; cela signifie que le Parlement a jugé que l’appel comme d’abus a été bien interjeté, & que le juge a excédé son pouvoir Acad. Fr.

ABUSAÏD. Montagne d’Afrique, dans la province de Ténez, & de la dépendance de la ville de ce nom.

ABUSÉ, ÉE. part. Falsus, deceptus, corruptus, vitiatus, compressus.

ABUSER. V. n. Faire un mauvais usage de quelque chose. Abuti. Il ne faut pas abuser des sacremens ; abuser de la bonté de Dieu. Il n’y a rien de si saint, dont la malice des hommes ne puisse abuser. Port-R. Ce Magistrat abuse de sa charge, de son pouvoir, de son Autorité, quand il en use pour ses intérêts particuliers.

Abuser, signifie encore, Interpréter mal la pensée de quelqu’un, & y donner un mauvais sens. Vous abusez de quelques paroles ambiguës qui sont dans ses lettres. Pasc. Les hérétiques abusent de l’Ecriture, ils en corrompent le sens. C’est aussi en faire de mauvaises applications.

Abuser, v. a. Signifie aussi, tromper, séduire. Fallere, decipere. Les faux prophètes, les charlatans, abusent les peuples. Notre amour propre nous abuse, nous fait suivre nos passions, qui nous abusent, qui nous trompent.

Il conçoit le néant des objets qui l’abusent :
Il gémit sous sa chaîne, & n’ose la briser. Breb.

Quand l’amour est ardent, aisément il s’abuse.
Il croit ce qu’il souhaite & prend tout pour excuse. Corn.

Abuser, a. signifie plus particulièrement, suborner une femme, corrompre, séduire une fille, lui arracher les dernières faveurs, Vitiare, comprimere. Il faut être bien malhonnête homme pour abuser de la femme de son ami, pour abuser de la fille de son hôte. Etoit-il juste d’emprunter mon nom & ma ressemblance, pour abuser de ma maîtresse. Ablanc. On s’en sert aussi dans un cas encore plus odieux. On dit que Néron avoit abusé plusieurs fois de Britannicus. Ablanc.

Abuser, avec le pronom personnel. S’abuser, se tromper. Decipi : il s’est abusé.

ABUSEUR. s. m. Qui abuse, qui séduit, qui trompe, trompeur. Deceptor, veterator. Mahomet a été un grand abuseur de peuples. Ce terme ne peut être employé que dans le discours familier.

ABUSIF, IVE. adj. Où il y a de l’abus. Abusivus, Errori obnoxius. On le dit particulièrement des entreprises, procédures & jugemens des Ecclésiastiques où il y a abus, c’est-à-dire, infraction des Canons ou des ordonnances. Une union de bénéfice sans cause véritable & importante est abusive. Un jugement d’Official contre un laïque, & pour cause profane, est abusif. En termes de Grammaire, prendre un mot dans un sens abusif, c’est le placer mal ; c’est en faire une mauvaise application ; c’est le prendre improprement, impropriè, contra usum & loquendi consuetudinem, abusivè.

ABUSION. s. f. Vieux mot. Abus, erreur, fausse démarche, mauvaise conduite. Abusus, error, allucinatio.

ABUSIVEMENT. adv. d’une manière abusive. Abusivè, per abusum. La Cour, en infirmant les sentences des juges de l’Eglise, prononce : Mal, nullement, & abusivement jugé. Il y a plusieurs mots de la langue qu’on prend quelquefois abusivement, qu’on dit improprement.

ABUTER. v. n. Terme de joueur de quilles. C’est tirer à qui jouera le premier, en jetant chacun une quille vers la boule, en sorte que celui dont la quille est la plus proche de la boule, ait l’avantage de jouer le premier. Sortiri, experiri quis prior ludat. On abute avant que de jouer aux quilles. On a abuté, & je suis le premier. On abute de même au jeu de palets & autres.

Ce mot est formé de la préposition Françoise à, qui, dans la composition, se met souvent pour la préposition Latine ad, & a sa signification, & du mot François but, tirer au but.

ABUTILLON, s. m. ou guimauve de Théophraste, s. f. Abutilon. Plante annuelle qui s’éleve depuis deux pieds jusqu’à cinq. Ses tiges sont droites, rondes, revêtues de duvet, branchues & garnies de feuilles drapées, blanchâtres, taillées en forme de cœur, semblables, par leur figure, à celle du tilleul ; mais bien plus grandes, & portées sur des pédicules qui ont quelquefois plus de demi-pied de longueur. Ses fleurs sont semblables à celles de la guimauve ordinaire, mais elles sont jaunes. Son fruit est une tête aplatie ordinairement par-dessus, cannelée & composée de plusieurs graines membraneuses, assemblées autour d’un poinçon. Chaque graine, en s’entr’ouvrant, laisse tomber des semences taillées en forme de rein. Ces semences sont adoucissantes, & recommandées pour la gravelle. L’écorce des tiges sert aux Îles de l’Amérique pour faire des cordages.

ABY.

ABYDE, ou ABYDOS. Abydus & Abydon. Ville maritime de Phrygie, vis-à-vis de Sestos, dont elle n’est éloignée que de sept stades ; c’est-à dire d’environ une bonne demi-lieue. Si l’on en croit Virgile, on y pêchoit des huîtres. I. Georg. V. 207. C’étoit la patrie de Léandre. Les habitans d’Abydos étoient mous & efféminés. On disoit proverbialement : Ne touchez pas sans précaution à Abydos, pour signifier, qu’il faut éviter la compagnie des gens débauchés.

On disoit encore en proverbe, un banquet d’Abyde ; pour marquer un festin fâcheux ; parce que c’étoit une coutume parmi les habitans d’Abydos de porter leurs enfans autour de la table, quand ils faisoient un festin, afin qu’on les baisât. Abydos a eu un Evêque suffragant de l’Archevêque de Lampsaque. Abydos & Sestos sont aujourd’hui ce que nous appelons les Dardanelles dans le détroit de Gallipoli. On l’appelle encore aujourd’hui Avido & Aveo. Mais M. Wéler assure qu’on ne voit point de marque d’antiquité près de ce château, & que les ruines d’Abyde se trouvent à une lieue de- du côté du nord, où est effectivement l’endroit le plus resserré du détroit ; & il juge, avec quelques Auteurs, que le vieux château de Natolie est bâti sur les ruines de l’ancien Dardanum, ou Dardana, d’où est venu le nom de Dardanelles que porte ce château, conjointement avec celui de Romanie, qui lui répond. Maty & M. Corneille, disent Abydos & Abyde ; d’autres disent seulement Abydos. Xerxès fit un pont sur l’Hellespont qui joignoit Abydos & Sestos.

Autrefois du Persan l’étonnant appareil,
Sur les eaux d’Hellespont fit un chemin pareil,
Joignit Abyde à Sest, & l’Europe à l’Asie. Breb.

Il y avoit encore une ville de ce nom en Egypte.

Aujourd’hui Abydos est un des châteaux des Dardanelles, dont l’entrée est toujours interdite aux Chrétiens & à toutes sortes de personnes, une heure avant que le soleil se couche, & durant la nuit. La porte de ce château est entre le levant & le septentrion. Son plan est carré : il y a dans le milieu une grosse tour faite en manière de donjon. Les fossés qui l’environnent, sont tellement comblés en certains endroits, qu’on peut dire qu’il n’y en a plus vers le couchant ; le marais que fait le fleuve Simoïs à son embouchure, pourroit lui en servir, s’il y avoit plus d’eau, mais nous y étions à pied-sec. Duloir. Voyag. de Lev. p. 209. 210. Abydos est plus fort que Sestos, étant bâti au bord d’une plaine d’une grande étendue, qui rend sa situation bien plus avantageuse & plus forte ; les grands vaisseaux y peuvent aborder des deux côtés, & y demeurer à l’ancre, ce qu’ils ne peuvent pas faire à Sestos. Le paysage en est aussi bien plus beau ; mais le séjour y est mal sain. Id. p. 211.

ABYLA. Abyla, æ. Nom de montagne & de ville. Abyla étoit dans le détroit de Gibraltar sur la côte de Mauritanie. C’étoit une des colonnes d’Hercule, & Calpe l’autre, sur la côte d’Espagne. Quelques-uns ont cru qu’Abyla ville, étoit Alcudia, & qu’Abyla montagne, étoit celle que les Espagnols nomment aujourd’hui Sierra de la Ximera. D’autres plus vraisemblablement veulent qu’Abyla ville, soit Ceuta, Septa, évêché dépendant de l’Archevêque d’Évora, & que la Montagne de même nom soit une haute montagne proche de Ceuta, que nos François appellent le mont des singes, & les Hollandois Scheminckelberg.

ABYLA, est aussi le nom d’une ville de la Cœlésyrie, qui donnoit son nom à une petite contrée dont elle étoit capitale. Cette ville étoit au pied du mont Liban, du côté du septentrion. Elle s’appeloit aussi Abyla de Lysanias. La contrée d’Abyla étoit enfermée de l’Antiliban au couchant & au midi, du fleuve Abana du côté de l’orient, & elle avoit au nord la Chalcide. Cette contrée s’appeloit Abylène, ou Abiline, ou Abilène. Il en est parlé en S. Luc, c. 3. v. i. où il est dit que Lysanias étoit Tétrarque de la contrée d’Abyla, ainsi qu’a traduit le P. Bouhours. Monsieur Simon a mis le pays d’Abyla. Le Port-Royal a mis Abylène. Le P. Lubin prétend que la ville d’Abyla étoit celle qui s’appelle aujourd’hui Betines ou Bellines.

ABYLÈNE. Contrée de Syrie. Abylina, Abylena. Elle étoit près de la Trachonitide & de la Pérée. Vers l’an quinzième de l’empire de Tibère, trentième de Jesus-Christ, elle avoit titre de Tétrarchie. Lysanias en étoit Tétrarque. Luc. III. i. Joseph. Antiq. Jud. L. XX. c. 18. Après la mort de Lysanias, elle fut attribuée à la Syrie. L’an 52. de J. C. l’empereur Claude la donna à Agrippa II. & Néron la lui confirma. Joseph. Bello Jud. II. c. XII. §. 8. XIII. §. 2. Elle tiroit son nom d’Abyla, ville de son territoire. Quelques-uns l’appellent la contrée d’Abyla. Voyez Abyla.

L’Abylène étoit une région de la Cœlésyrie, & avoit l’Antiliban au midi & au couchant, la Chalcide au septentrion, & la rivière Abana à l’orient. P. Lubin.

ABYME ou ABÎME, mieux qu’ABYSME. s. m. Gouffre profond où l’on se perd, d’où l’on ne peut sortir. Gurges, vorago. Ce mot, dit M. l’Abbé Girard, emporte avec lui l’idée d’une profondeur immense, jusqu’où l’on ne sauroit parvenir, & où l’on perd également de vue le point d’où l’on est parti, & celui où l’on vouloit aller. Voyez aux articles Précipice & Gouffre, la signification propre de ces mots, & les nuances qui les distinguent. On est englouti par le gouffre. On tombe dans le précipice. On se perd dans l’Abyme. Il y a d’horribles abymes dans ces montagnes, dans ces mers.

Le ciel suspend ses coups ; la terre, les enfers,
N’offrent point à mes pas leurs abymes ouverts.

Ce mot vient du Grec ἄβυσσος, qui signifie la même chose, & qui est formé de l’α privatif, & de δυω, entrer, pénétrer, en changeant le δ en β ; ou plutôt de βύω, βώσω, βιβυϰα, βέβυσμαι, βέβυσαι, d’où est venu βυσος. De sorte qu’ἄβυσσος signifie ce que l’on ne peut pénétrer, ce qui n’a point de fond. Dans l’Ecriture il se prend pour les eaux que Dieu créa au commencement avec la terre, & qui l’environnoient de toutes parts, dont il est dit, Gen. i. 2. Les ténebres étoient sur la surface de l’abyme. Il se prend encore pour les cavernes immenses de la terre, où Dieu rassembla toutes ces eaux le troisième jour, & que Moyse appelle le grand abyme. Gen. vii. 11. C’est encore en ce sens que ce mot est pris en beaucoup d’autres endroits, comme Job. xviii. 14. xxxviii. 16. Psalm. xxxiii. 7. &c. Le Docteur Woodward, savant Anglois, dans son Histoire naturelle de la terre, prétend qu’une partie des eaux est enfermée dans les entrailles de la terre, & qu’elles forment un grand globe dans son centre ; que sur la surface de ses eaux est étendue une couche de la terre ; que c’est là ce que Moyse a appelé le grand abyme. Et il prouve ce système par un grand nombre d’observations. Il dit que ces eaux de l’abyme, ont communication avec celles de l’Océan, par des canaux qui aboutissent au fond de la mer. Il suppose que ces eaux de l’abyme, & celles de l’Océan, ont un centre commun, autour duquel elles sont placées ; que cependant la surface de l’abyme n’est point de niveau avec celle de l’Océan, ni en égale distance de leur centre commun, parce que celles de l’abyme sont la plûpart pressées par la terre, qui les arrête & qui pese dessus ; mais que partout où cette couche de terre qui les enveloppe, est percée, ou poreuse, ces eaux y pénétrent, y montent & remplissent toutes ces fentes, qui leur donnent issue, tous les vides, tous les pores de la terre, de la pierre, & de toutes les autres matières qui sont autour du globe de la terre, jusqu’à ce qu’elles soient arrivées au niveau de l’Océan.

Dans le langage de l’écriture, abyme se dit pour signifier l’enfer. Dieu précipita les Anges rébelles dans l’abyme. Voyez aussi l’art. précédent.

Abyme, se dit aussi figurément des choses impénétrables à l’esprit humain, où il se perd à force de raisonner. Les jugemens de Dieu, les mystères de la religion sont des abymes dont on ne peut sonder la profondeur. Le passé est un abyme qui engloutit toutes choses, & l’avenir est un autre abyme impénétrable. Nicol.

On le dit de même des sciences très-difficiles, & qui demandent une extrême application. La Physique est un abyme. L’Algèbre est un abyme où l’on se perd. Souvent la raison du Philosophe, à force de chercher de l’évidence en tout, ne fait que se creuser un abyme de ténebres.

Abyme, se dit aussi des choses qui demandent, & qui consument des sommes excessives, dont on ne peut juger avec certitude. On ne sauroit fixer, déterminer la dépense de la marine, c’est un abyme. La dépense de cette maison est excessive, c’est un abyme. On dit en proverbe, qu’un abyme attire l’autre, quand d’un mal on tombe dans un plus grand.

On dit figurément un abyme de malheur, un abyme de misère ; pour signifier un extrême malheur, une extrême misère. Il est tombé dans un abyme de misère.

On dit d’un homme très-savant, que c’est un abyme de science.

Abyme, terme de Blason. C’est le centre, ou le milieu de l’écu, en sorte que la pièce qu’on y met, ne touche & ne charge aucune autre pièce. Scuti centrum, scuti pars media, ou partium aliquot scuti medium. Ainsi on dit d’un petit écu, qui est au milieu d’un grand, qu’il est mis en abyme. Et tout autant de fois qu’on commence par toute autre figure que par celle du milieu, on dit que celle qui est au milieu est en abyme, comme si on vouloit dire, que les autres grandes pièces étant relevées en relief, celle-là paroît petite, & comme cachée & abymée. Il porte trois besans d’or, avec une fleur de lis en abyme. Ainsi ce terme ne signifie pas simplement le milieu de l’écu : car il est relatif, & suppose d’autres pièces, au milieu desquelles une plus petite est abymée.

Abyme. s. m. Terme de Chandeliers. C’est le vaisseau de bois dans lequel ils mettent le suif fondu, où ils trempent leur mèche pour fabriquer leur chandelle. Ce vaisseau est de forme triangulaire, & posé sur un des angles ; ensorte qu’il y a une ouverture de près d’un pied par en haut, ce qui fait une espèce de prisme renversé.

☞ ABYMER. v. a. Dans le sens propre, jeter, précipiter dans un abyme. Voyez ce mot. Mergere, demergere. Les ouragans abyment les vaisseaux. Les cinq villes que Dieu abyma. Les tremblemens de terres abyment des villes entières. Dans ce sens il présente l’idée de destruction, ruine.

Abymer, dans un sens figuré, signifie ruiner entièrement. Evertere, pessumdare. Les gros intérêts ont abymé ce Marchand. Ce chicaneur a abymé sa partie, il l’a ruinée de fond en comble. Cet homme est puissant & vindicatif, il vous abymera. Les dépenses excessives ont abymé cet homme.

On dit en matière de dispute & de raisonnement, qu’un homme a été abymé par son adversaire, qu’il a été réduit à ne rien répondre.

Abymer. v. n. Tomber dans un abyme. Hauriri, absorberi. Cette ville abymera un jour à cause des abominations qui s’y commettent. Lisbonne abyma dans un tremblement de terre.

Au figuré, il signifie la même chose que périr. Ce méchant abymera avec tout son bien.

Abymer, se dit au figuré avec le pronom personnel dans des acceptions différentes.

s’Abymer dans l’étude des Mathématiques, dans la contemplation des merveilles de Dieu, dans sa douleur, dans ses pensées, &c. c’est s’y livrer, s’y abandonner entièrement, sans aucune réserve, en sorte qu’on ne soit plus occupé d’aucune autre chose. C’est un voluptueux qui s’abyme dans les plaisirs.

s’Abymer, est quelquefois synonyme avec se ruiner. Bonis everti. Ce jeune homme s’est abymé par le luxe, par le jeu, par la débauche.

On dit, s’abymer devant Dieu; pour dire, s’humilier profondément, reconnoître son néant devant lui. deprimere se, minuere.

☞ ABYMÉ, ÉE. Au propre, une ville abymée par un tremblement de terre. Un homme abymé dans la mer. Demersus. Au figuré, un joueur, un plaideur, un Marchand abymé de dettes. Bonis eversus. On dit un homme abymé, un homme qui a perdu son crédit, sa réputation, ses biens, &c. Une femme abymée dans la douleur.

On dit abymé dans la douleur, dans la tristesse, &c. parce qu’on y peut ajouter l’épithète de profonde. Mais on ne peut pas dire, comme Corneille, dans Sertorius,

Tandis qu’en esclavage un autre hymen l’abyme,
parce qu’un esclavage n’est point profond : on ne sauroit y être abymé. Il y a, dit Voltaire, une infinité d’expressions louches, qui font peine au Lecteur ; on en sent rarement la raison, on ne la cherche pas même ; mais il y en a toujours une ; & ceux qui veulent se former le style, doivent la chercher.

ABYSO. Rivière de la vallée de Noto, en Sicile. Abysus. Elle a sa source à Cérétano, & se décharge dans la mer d’Ionie, au lieu où étoit autrefois la ville d’Elorus, d’où vient qu’on l’appelle en latin Abysus Elorum. Elle porte aujourd’hui le nom d’Acellaro ou Atellaro.

ABYSSIN, ou ABISSIN. ou plutôt Abassin ou Hhabassin, comme prononcent les Arabes, qui appellent un Abyssin חבש, Hhabasch, ou חבשי, Hhabaschi, & le pays qu’ils habitent חבשת, Hhabaschath. Ainsi ce nom ne vient point de la côte d’Aben, qui est la côte occidentale de la mer Rouge, le long de laquelle ils habitent ; ou si c’est le même nom, ce sont ces peuples qui ont donné ce nom à cette côte, au lieu de l’avoir pris d’elle.

Les principaux auteurs sur les Abyssins sont Jean de Léon & Marmol, Description de l’Afrique. Franc. Alvarez, Balthasar Tellez, d’Alméida Jésuit. Hist. de la haute-Eth. Ludolf. L’Hist. de la Comp. de Jes. T. i. L. 15. T. ii. L. 1. T. iv. L. 5. T. v. L. 22. Louis de Urreta Dominicain, Hist. de l’Ethiopie en Espagnol. Marmol. L. xc. 23. Joan. Nicol. Pechlin a fait un Livre De habitu & colore Æthiopum, imprimé à Francfort en 1684. Le P. Urreta, Dominicain, rapporte d’autres étymologies dans son Histoire d’Ethiopie, p. 3. Strabon dit, L. xvii. qu’Abassie signifie en Egyptien, un pays inhabitable entouré de déserts & de montagnes impraticables, de l’α privatif, & de βατος, qui vient de βαίνω, je vais, comme qui diroit, un pays où l’on ne peut aller ni pénétrer. D’autres disent qu’Abassie signifie une terre puissante, abondante en hommes, en fruits de la terre, en mines & en richesses. Mais cet auteur rejette avec raison ces opinions, & s’en tient à celle que nous avons rapportée d’abord. Ce sont les peuples de l’Ethiopie, qui est aujourd’hui nommée Abassie. Ce sont les Arabes qui leur ont donné ce nom, que les Abyssins ont rejeté long-temps comme injurieux, & qu’ils ne prennent point encore dans leurs Livres, parce qu’en Arabe il signifie un mélange, un assemblage de plusieurs Nations. Ils s’appellent Ethiopiens, Itiopiavian, & leur pays Mangesta-Itiopia, Royaume d’Ethiopie, ou d’un nom plus particulier encore, Geez, ou Beera Agazi, Pays de liberté, ou medera Agazian, la terre des Libres, ou des Francs ; car ils se donnent le nom de Agasi, Libre, Franc, & au pluriel Agasian, Libres, Francs, ou bien Gens qui ont décampé, qui sont venus d’un endroit éloigné, de sorte qu’ils s’appellent ainsi, ou pour se vanter d’être libres, ou pour marquer qu’ils ont passé de l’Arabie heureuse, où est l’ancienne Ethiopie, dans le pays qu’ils occupent, & dans lequel ils passerent pendant la servitude des Israëlites en Egypte, si l’on en croit Eusèbe, ou vers le temps de Josué & des Juges, selon Syncellus, p. 151. Ludolf croit que ce sont des Homérites, ou Sabéens, appelés autrement par les Grecs Axumites, ou pour le moins une colonie de ces peuples qui passa la mer Rouge, & vint s’établir dans l’Afrique. Etienne le Géographe appelle Abesins, Αβήσινος, un peuple de l’Arabie ; & son Commentateur croit que c’est le peuple qui a passé en Afrique. Si cela est, ce nom est très ancien, & ne leur a pas été donné à cause de leur passage. Les Abyssins sont Mores, Olivâtres, ou noirs selon les diverses provinces qu’ils habitent. Maty.

Les Abyssins qui dominent aujourd’hui dans l’Ethiopie, ne s’en emparerent que plusieurs siècles après l’invasion des Ethiopiens. On ignore le temps précis de leur conquête : on sait seulement qu’elle a précédé la fin de l’empire de Constantin. Ils sont originairement de l’Arabie heureuse, du Royaume d’Yémen, c’est-à-dire, du midi, dont Saba étoit la capitale. Le peuple portoit le nom d’Homérites. La Reine qui vint voir Salomon, régnoit sur eux ; & si l’on en croit la tradition ancienne, & constante de ce peuple, elle eut de Salomon un fils nommé Mevilehec. La Reine & le peuple embrasserent la religion Juive. Les Empereurs d’Ethiopie prétendent descendre de ce fils de Salomon.

Les Abyssins, pour le temporel, sont gouvernés par un Prince qu’ils appellent Négus ; titre qui répond à celui de Roi, & qui peut paroître, avec probabilité, très-ancien, puisque nous trouvons dans l’Ecriture un Roi d’Egypte nommé Pharaon Nécao, & dans Hérodote Νεϰυς Necus. Linschot dit qu’il se nomme aussi Belgian, que Bel signifie très-haut & très-parfait ; Gian, Prince ou Seigneur ; que le nom de David est un surnom, tel que celui de César, que les Empereurs Romains portent ; & que les Ethiopiens le nomment Talac, ou Avia Négous. Il se dit être de la Tribu de Juda, & s’appelle fils de David & de Salomon, dont ils prétendent que la Reine de Saba eut un fils duquel ils descendent, si l’on veut en croire leurs fables. Ils prétendent encore avoir été convertis à la foi Chrétienne par l’Eunuque de la Reine Candace, baptisé par S. Philippe, Act. III, 27. Pour le spirituel ils sont gouvernés par un Evêque, ou Métropolitain, que leur envoie le Patriarche Cophte d’Alexandrie, qui réside au Caire ; de sorte qu’ils suivent en toutes choses la Religion des Cophtes, à la réserve de quelques cérémonies qui leur sont particulières. Le Canon 42. du Concile de Nicée, dans la Collection Arabe & Ethiopienne, dit en termes formels, qu’il est défendu aux Abyssins de se faire un Métropolitain de leurs Savans ou Docteurs, à leur façon & selon leur bon plaisir, parce que leur Métropolitain dépend du Patriarche d’Alexandrie, auquel il appartient de leur donner un Catholique, ou Métropolitain. Le P. Vanslèbe qui a rapporté ce Canon dans son Histoire de l’Eglise d’Alexandrie, Chap. 9. a remarqué en même temps qu’en 1670, les Abyssins comptoient cent seize Métropolitains, qu’ils ont reçus des Patriarches d’Alexandrie, depuis Frumentius leur premier Evêque, qui leur fut envoyé par S. Athanase.

Ces Peuples ont témoigné en plusieurs rencontres, vouloir se réunir avec l’Eglise Romaine. David, qui prend la qualité d’Empereur de la grande & haute Ethiopie, & de quelques autres Royaumes, écrivit à Clément VII une lettre pleine de soumission ; mais il est constant que les Ethiopiens, ou abyssins, n’ont eu recours à Rome & aux Portugais, que lorsque leurs affaires ont été en désordre, comme on le voit dans les Histoires des Portugais. Jean Bermudes fut fait Patriarche d’Ethiopie, & consacré à Rome à la sollicitation des Abyssins. Ils feignirent même de ne vouloir plus avoir d’autres Métropolitains à l’avenir, que ceux qui leur seroient envoyés de Rome. Mais aussitôt que leurs affaires furent en meilleur état, ils rejeterent ces sortes de Patriarches, & envoyerent au Caire pour avoir un Métropolitain de la main du Patriarche des Cophtes.

Alexis Menesès, de l’Ordre de S. Augustin, ayant été fait Archevêque de Goa, prit la qualité de Primat de l’Orient ; & en cette qualité de Primat des Indes, il prétendit étendre sa juridiction jusque dans l’Ethiopie : il y envoya des Missionnaires avec des lettres pour les Portugais qui étoient en ce pays-là, & il écrivit en même temps au Métropolitain des Abyssins. L’Histoire de ce que Menesès a fait dans les Indes pour la Religion, a été imprimée à Bruxelles en 1609, et elle mérite d’être lue.

Cet Archevêque & plusieurs autres Missionnaires se sont trompés, quand ils ont accusé les Ethiopiens de judaïser, parce qu’il y en a plusieurs parmi eux qui se font circoncire. La circoncision des Ethiopiens est fort différente de celle des Juifs qui la regardent comme un précepte, au lieu que les premiers ne la considerent que comme une coutume qui n’appartient point à la Religion, comme le témoigne Claude, Roi d’Ethiopie dans sa confession. L’on circoncit même parmi eux les filles, en coupant une certaine superfluité qu’ils croient nuire à la conception. Voyez Urreta Dominicain, Histoire d’Ethiopie, Liv. ii. Ch. 6. Les Cophtes observent la même chose. Il y a bien de l’apparence que cet usage de la circoncision, qui est fort ancien chez ces peuples, n’y a été introduit que pour rendre les parties qu’on circoncit plus propres à la génération. Marmol assure néanmoins qu’ils observent la circoncision comme un sacrement, &