Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ABSOLUTION

Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 41-43).
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ABSOLUTION. s. f. Jugement juridique, par lequel un homme est absous & déclaré innocent du crime dont il étoit accusé. Absolutio. Les Juges balancent quelquefois entre l’absolution & la condamnation ; quand les opinions sont partagées entre la condamnation & l’absolution, on renvoie l’accusé absous ; cette Jurisprudence est fondée sur les Loix de la nature & sur le Droit Civil : c’est le sentiment de Faber sur la Loi 125. De div. reg. jur. de Ciceron pro Cluentio, de Quintilien declam. 254. de Strabon Liv. 9. On dit aussi, Absolution d’une demande civile, quand on en est déchargé.

On le dit de même des Jugemens prononcés par les Juges Ecclésiastiques.

Il y a deux sortes d’absolutions ; absolution des censures, & absolution des péchés.

Absolution des censures. C’est un acte judiciaire par lequel un Juge ecclésiastique ou son délégué remet dans la possession de certains biens spirituels, dont on avoit été privé par l’excommunication, la suspense, ou l’interdit. L’absolution des censures se donne au for intérieur, c’est-à-dire, au tribunal de la pénitence, ou au for extérieur. Quand les censures sont secrètes, & qu’elles n’ont pas été déduites aux tribunaux de justice, l’absolution s’en donne au for de la pénitence par un Prêtre ; autrement elle se donne dans le for extérieur par un Ecclésiastique qui a la juridiction ordinaire ou déléguée, pourvu qu’il ne soit pas excommunié ou suspens dénoncé. Quant aux censures à jure, dont l’absolution n’est pas réservée, tout Prêtre approuvé pour entendre les confessions, peut en absoudre dans le tribunal de la pénitence. La formule dont il doit se servir est celle-ci : Ego te absolvo ab omni vinculo excommunicationis, suspensionis & interdicti in quantum possum, & tu indiges. Si l’absolution de la censure est réservée à certain Supérieur, il n’y a que celui à qui la réserve en est faite, ou son Supérieur, ou celui à qui il en auroit donné un pouvoir spécial, qui en puisse absoudre. Pour les censures ab homine, comme elles sont toutes réservées, il n’y a que celui à qui elles sont réservées, ou son Supérieur, en cas d’appel, (il en faut excepter le temps de la visite de l’Archevêque dans les diocèses de ses suffragans) ou celui à qui il en a donné un pouvoir spécial qui puisse en donner l’absolution. Pour recevoir l’absolution des censures, il n’est pas nécessaire d’être présent, ni même de la vouloir. L’absolution des censures doit toujours précéder l’absolution des péchés. On peut recevoir l’absolution d’une censure, & demeurer lié par une autre. Tout Prêtre, en péril de mort, peut donner l’absolution de toutes sortes de censures & de cas réservés. On ne peut être délié des censures que par l’absolution.

Il y a une absolution des censures qu’on nomme à cautèle, ou à caution, ad cautelam ; & une autre qu’on appelle Absolution cum reincidentiâ.

L’absolution à cautèle ou par précaution, se donne dans l’ordre judiciaire, & dans le for de la pénitence. Dans l’ordre judiciaire, c’est une sentence du Juge supérieur ecclésiastique, au tribunal duquel on appelle de la sentence d’excommunication, qu’un Juge ecclésiastique inférieur a portée contre quelqu’un, qui rend capable de se défendre en justice ou d’ester à droit. Le Roi Louis XIV l’a ainsi déclaré sur la demande de l’assemblée générale du Clergé, dans sa déclaration du mois d’Avril de l’an 1666, & dans l’article 4e de l’édit de 1695, concernant la juridiction ecclésiastique. Aujourd hui l’absolution à cautèle n’a point d’autre effet ; & elle ne suspend point, comme autrefois, la sentence d’excommunication.

Dans le sacrement de pénitence, c’est un acte judiciaire du prêtre qui délie des censures dont on pouvoit être lié sans le savoir, afin qu’on soit en état de profiter de l’absolution sacramentelle. Les Papes ont aussi coutume de donner l’absolution ad cautelam, pour rendre un impétrant capable de jouir de la grâce que le Saint-Siége lui accorde par un rescrit. Dans cette vue on a soin, à Rome, d’insérer dans la provision des bénéfices cette clause : Cum absolutione à censuris ad effectum, &c.

Absolution, en matière de religion, est un acte juridique, par lequel un prêtre approuvé, comme juge, & en vertu du pouvoir qu’il a reçu de J. C. remet les péchés au pénitent, qui est dans les dispositions nécessaires. Ménage prétend qu’il faut dire absolution sacramentelle, plutôt que sacramentale. L’usage paroît autoriser l’un & l’autre. Ceux qui, par l’absolution sacramentelle eussent été en la grâce de Dieu. God. Les Luthériens ont retenu l’absolution sacramentale. Boss. L’absolution qu’Hincmar envoya par lettre à Hildebold, Evêque de Soissons, n’étoit qu’une espèce d’indulgence & de bénédiction, & non une absolution sacramentelle, puisqu’il suppose d’ailleurs que l’on doit se confesser au prêtre en détail ; & que non-seulement il le suppose, mais qu’il avertit Hildebold de le faire. Fleury. De plus, dit-il, je vous avertis par précaution, ne doutant point que vous ne l’ayez déja fait, qu’outre cette confession générale, vous ayez soin de confesser en détail à Dieu, & à un prêtre, tout ce que vous reconnoissez avoir commis depuis le commencement de votre vie jusqu’à présent.

Le Pere Amelote de l’Oratoire, au liv. 9, ch. 3 de son Abrégé de Théologie, dit en parlant du sacrement de la pénitence : La principale force du sacrement, ce qui en est comme l’ame, & où réside principalement l’influence & la vertu de Jesus-Christ jugé pour nous, c’est dans le sacrement d’absolution que le prêtre prononce par ces paroles : Je t’absous de tes péchés. L’absolution, ou les paroles de l’absolution, sont la forme du sacrement de pénitence, ainsi que l’enseignent le Concile de Florence dans le Décret ad Armenos, & le Concile de Trente Sess. xiv, c. 3. Cette forme est absolue dans l’Eglise Latine, & déprécatoire dans l’Eglise Grecque, ainsi que l’on peut voir dans l’Eucologe des Grecs, imprimé à Venise en 1638 ; dans la censure de la Confession d’Ausbourg, faite par Jérémie, Patriarche de Constantinople ; & dans l’Instruction de Clément VIII, sur les Rits des Grecs, imprimée en 1595. Arcudius prétend néanmoins que la forme de ce sacrement est absolue chez les Grecs, aussi-bien que chez les Latins, & que ce sont ces mots : Mea mediocritas habet te veniâ donatum. Mais les exemples qu’il en apporte, ou ne sont point des formules d’absolution, ou sont des formules d’absolution d’une excommunication ; mais non pas de l’absolution sacramentelle. D’ailleurs, Arcudius avoue lui-même que plusieurs prêtres ne disent point la formule qu’il rapporte. Enfin, il faut juger du Rit Grec plutôt par les Eucologes, que par les passages de Gabriel de Philadelphie, & des autres particuliers que cite Arcudius. L’absolution sacramentelle n’est pas déclaratoire seulement ; elle remet véritablement les péchés. Le P. Seguenot de l’Oratoire ayant dit dans ses Remarques sur le livre de la sainte Virginité de S. Augustin : Qui diroit que l’absolution n’est autre chose qu’un acte judiciaire, par lequel le prêtre déclare, non simplement, mais avec autorité, & de la part de Jesus-Christ, que les péchés sont remis, & en prononce l’arrêt juridiquement, celui-là n’avanceroit rien, à mon avis, ni contre le Concile de Trente, qui semble même avoir donné lieu à cette interprétation, lorsqu’il s’est expliqué sur cela plus nettement, ni contre les anciens Théologiens, je dis même Scholastiques, que la plûpart des nouveaux ont quitté en cette matière, comme on les quitte maintenant eux-mêmes ; Dieu veuille qu’ils nous le pardonnent, comme on leur pardonne : Toute cette remarque fut justement censurée par les Théologiens de la Faculté de Paris. Cette doctrine est Luthérienne, contraire aux paroles précises de Jesus-Christ en S. Jean Ch. xx, v. 23. Ceux dont vous aurez remis les péchés, leurs péchés leur seront remis ; condamnée par le saint Concile de Trente Sess. xiv. Ch. vi, & Can. 9, & contraire à la Tradition. Voyez Tertull. de Pudic. S. Cyprien de Laps. & la troisième lettre de Pacien. Voyez le mot de Contrition.

Le Jésuite Dandini traite fort mal les Grecs sur la manière dont ils donnent l’absolution aux pénitens. Un homme, dit-il, au chap. 7 de son voyage du Mont Liban, s’étant confessé d’un péché commun & ordinaire, fut renvoyé par le Confesseur, qui lui refusa de l’absoudre, à moins qu’il n’appellât sept autres Prêtres. Ceux-ci ayant été attirés par quelqu’argent, firent étendre à terre le pénitent, comme s’il eût été mort, & ils lui donnerent enfin l’absolution, en récitant de certaines prières. Ils ont accoûtumé de demander de l’argent pour l’absolution, & de la refuser quand on ne leur en donne point. Car ils prétendent qu’il leur est dû quatre ou cinq écus & davantage pour les péchés communs & ordinaires. La pénitence qu’ils donnent pour les gros péchés, c’est de défendre la Communion pour quatre ou cinq ans. Peut-être font-ils cela par mépris, & par l’aversion qu’ils ont pour l’Eglise Latine, qui l’ordonne tous les ans.

M. Simon, dans ses Remarques sur le voyage du Mont Liban, imprimé à Paris, justifie la pratique des Grecs dans le Sacrement de Pénitence. Si les Grecs, dit-il, différent de donner l’absolution aux pénitens, ils suivent en cela l’usage de leur Eglise, qui est très-ancien : ils ont leurs livres pénitentiaux qui les règlent, & ce n’est point leur caprice qui leur fait imposer une pénitence plutôt qu’une autre : mais ils suivent les Canons, & ils appellent faire le Canon, ce que nous appelons ordinairement faire la pénitence. Ils éloignent souvent leurs Pénitens de la Communion pour un an, pour deux ans, & même pour davantage, suivant en cela les anciens Canons. Si les Grecs ne passent point leur Canon, ou leurs anciens livres pénitentiaux, M. Simon a raison ; mais il est certain qu’ils y ajoutent souvent beaucoup, & qu’il se glisse parmi eux bien des abus dans l’administration de ce sacrement.

On ne doit pas aussi traiter les Grecs d’ignorans & de superstitieux, parce qu’un Confesseur refuse de donner l’absolution à un pécheur, s’il n’a auparavant fait venir sept Prêtres qui donnent tous ensemble l’absolution. Cette façon paroît étrange à ceux qui ne consultent que l’usage présent : mais si l’on remonte jusqu’aux anciens temps, on trouvera que cela s’observoit même dans Rome. Le Pape Corneille assembla les Prêtres & les Evêques qui étoient alors dans Rome, pour délibérer de la Pénitence qu’on devoit donner à quelques Schismatiques qui rentroient dans l’Eglise. Il n’est donc pas surprenant qu’un Papas ou Prêtre Grec, délibère avec plusieurs de ses Confrères, touchant la Pénitence qu’il doit donner à un homme, qui étant engagé au service d’un Latin, étoit tous les jours dans des occasions prochaines de pécher contre les cérémonies de sa Religion.

On ne doit point aussi tourner en ridicule les Prêtres Grecs, sous prétexte qu’ils font coucher par terre le pénitent, & qu’en cet état ils récitent sur lui des prières en forme d’absolution ; car les Grecs se confessent d’ordinaire assis. Ils se contentent de se prosterner deux fois, savoir, au commencement, quand ils demandent la bénédiction du Prêtre, qui invoque sur eux la grâce du S. Esprit ; & à la fin, quand ce même Prêtre prie Dieu qu’ils puissent accomplir la pénitence qu’il leur impose. En un mot, il ne faut point condamner tout ce qui est conforme à leurs anciens livres pénitentiaux, & ce que Clément VIII n’a point blâmé dans son Instruction sur les Rits des Grecs.

C’est une erreur de dire que dans l’ancienne Eglise, on n’accordoit l’absolution aux pénitens qu’après une satisfaction publique. Il n’y avoit qu’un petit nombre de crimes énormes & publics que l’Eglise soumit à la pénitence publique, comme l’idolâtrie, l’homicide, & l’adultère. C’est encore une erreur de dire que jusqu’au vi siècle de l’Eglise on n’a accordé l’absolution qu’une fois. C’est la pénitence publique qu’on n’accordoit qu’une fois, & non pas l’absolution en général. Il n’y a jamais eu que Novat qui ait porté les choses à cet excès. Les Novatiens & les Montanistes n’alloient point jusque-là. Ils accordoient la pénitence à tous les péchés légers & médiocres. Il n’y avoit que les grands péchés que Tertullien appelle des monstres, auxquels ils prétendoient que l’Eglise ne pouvoit, ou ne devoit point accorder l’absolution après le Baptême. Cela est évident par Tertullien l. de Pudic. & par Origène, l. de Orat. qui tous deux étoient infectés de l’erreur des Montanistes, & par ceux qui ont combattu les Novatiens, comme S. Ambroise, l. de Pœnit. & S. Pacien de Barcelonne, ep. 3, &c. Quelquefois même, dans la pénitence publique, on accordoit l’absolution & l’Eucharistie avant que la pénitence fût accomplie. Pour les péchés qui n’étoient point soumis à la pénitence publique, M. Godeau, qui croit que l’absolution se donnoit régulièrement quand la satisfaction étoit achevée, avoue pourtant que souvent, & pour des raisons assez légères, elle se donnoit immédiatement après la confession.

L’Absolution cum reincidentiâ, ou avec rechute, est une absolution qu’on donne à un homme lié des censures avec modification ou limitation ; ce qui peut se faire en deux manières. 1.o En suspendant l’effet de la censure pour un certain temps, durant lequel celui qui en avoit été frappé, peut recevoir les sacremens, assister aux offices divins, & communiquer avec les fidèles. Mais ce temps-là expiré, il retombe dans l’excommunication sans autre sentence. 2.o En donnant cette absolution à certaines charges ou conditions qui, n’étant pas accomplies, font renaître la censure ; par exemple, à la charge qu’on satisfera la partie offensée, qu’on fera quelque bonne œuvre dans un certain temps, après lequel, si la chose n’est pas exécutée, on retombe dans la censure. Il n’y a que les Evêques, leurs grands Vicaires, leurs Officiaux, ou ceux à qui ils en donnent un pouvoir spécial, qui puissent donner l’absolution ad reincidentiam, parce que pour donner cette sorte d’absolution, il faut avoir juridiction au for extérieur ; ainsi les Curés & les simples Prêtres n’ont pas ce pouvoir, même dans le temps du Jubilé. Ils ne peuvent donner que l’absolution simple, tout le pouvoir étant renfermé dans le for du sacrement de la pénitence. En France on croit communément, que celui qui en péril de mort a été absous par un simple Prêtre d’une censure réservée, ne retombe pas dans la censure, quoiqu’après être revenu en santé, il ne se présente pas devant celui à qui elle étoit réservée.

En Chancellerie Apostolique, on appelle absolution à sævis, une grâce accordée par une signature particulière, à celui qui a assisté à quelque jugement de mort, ou qui a commis quelque cas qui rend irrégulier & incapable de posséder un bénéfice.

C’est une maxime que l’excommunié par sentence demeure en état d’excommunication, nonobstant son appel : ainsi, pour éviter les inconvéniens qui pourroient arriver, l’on demande au Juge l’absolution que les Docteurs appellent ad cautelam, laquelle n’a d’effet que pendant l’appel, & ne se doit accorder qu’avec beaucoup de circonspection. Cette absolution ne se donne qu’après que le condamné affirme par serment qu’il exécutera le jugement qui sera rendu. Voyez Eveillon, Traité des excommunications. Quelques-uns croient que l’absolution ad cautelam ne se donne que par provision à celui qui a été excommunié, dans la crainte qu’il ne meure subitement, ou par quelque accident, avant qu’il ait pu se faire absoudre. Mais ce n’est point par cette raison ; car elle se donne moins en faveur de celui qui a été excommunié, qu’en faveur de ceux qui, par une conscience timorée, feroient scrupule de fréquenter l’excommunié : or cette absolution leur sert de précaution, pour les assurer qu’ils ne participent point à l’excommunication. Bouchel. On dit aussi, Absolution à caution, & tous ces mots se trouvent dans les bons Livres. La première fois que l’on trouve qu’il est fait mention de l’absolution à cautèle, ad cautelam, c’est dans une lettre du Pape Célestin écrite en 1195, à l’Evêque de Lincoln, où il lui ordonne de publier une suspense par tout le Diocèse d’Yorck, & à Geoffroy qui en étoit Archevêque, en l’avertissant cependant d’absoudre ces personnes ad majorem cautelam.

Absolution, en termes de Bréviaire, est une courte prière que dit celui qui officie à chaque nocturne des Matines avant les bénédictions & les leçons. On appelle aussi absolution, les encensemens & aspersions d’eau-benite qu’on fait sur les corps des Princes & des Prélats qu’on enterre avec grande cérémonie.

Absolution, pardon, remission, ne sont point synonymes. L’absolution se donne à un accusé. Voyez les autres mots.

Ce mot vient du latin absolutio, qui signifie la même chose, & vient du latin solvere, délier.