Cours d’agriculture (Rozier)/TABAC

Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 331-344).


TABAC. Plante originaire de l’Amérique, où elle porte le nom de petun. Les Espagnols la découvrirent les premiers dans l’isle de Tabago près du Mexique, & ils l’appelèrent tabac. M. Nicot, ambassadeur de France en Portugal, en 1560, la fit parvenir en France, où elle reçut le nom de Nicotiane ou d’herbe à la Reine, parce qu’il la présenta à la reine Catherine de Médicis ; enfin la dénomination Espagnole a prévalu sur toutes les autres. Les botanistes comptent neuf à dix espèces de tabac ; deux seules méritent, comme plantes utiles au commerce, de trouver ici leur place.

I. TABAC ou nicotiane. Tournefort le place dans la première section de la seconde classe des herbes à fleur d’une seule pièce en entonnoir, dont le pistil devient le fruit, & il l’appelle nicotiana major latifolis. Von-Linné le classe dans la pentandrie-monogynie, & le nomme nicotiana tabacum.

Fleur en forme d’entonnoir, le tube plus long que le calice, le limbe ouvert, divisé & replié en cinq parties ; la corolle rougeâtre.

Fruit. Capsule ovale à deux loges, s’ouvrant par son sommet, remplie d’un si grand nombre de petites semences ovales, qu’on en a compté jusqu’à mille dans une seule capsule ; & qu’au rapport de Rai, un seul pied a produit trente-six mille graines.

Feuilles. Grandes, larges, en forme de fer de lance, avec de fortes nervures, velues, un peu glutineuses, adhérentes aux tiges par leur base qui se prolonge.

Racine. Rameuse, très-fibreuse, blanche.

Port. La tige s’élève depuis trois jusqu’à cinq pieds, grosse d’un pouce, ronde, velue, branchue, remplie de moelle ; les fleurs naissent au sommet rassemblées en bouquet ; les feuilles sont alternativement placées sur les tiges.

Lieu. L’Amérique ; aujourd’hui naturalisée dans une grande partie de l’Europe, où la plante est vivace si on la préserve des gelées ; fleurit pendant tout l’été.

2. NICOTIANE ou HERBE À LA REINE, Nicotiana minor. Tourn. Nicotiana rustica. Lin..

Fleur. Beaucoup plus petite que la précédente, & d’une couleur jaune-pâle.

Fruit. Plus globuleux, plus arrondi ; semences plus menues, plus rondes.

Feuilles. Moins grandes & plus épaisses que les premières, arrondies par le bout, portées par de courts pétioles, plus glutineuses que les précédentes, couvertes d’un duvet très-fin.

Racine. Quelquefois simple & grosse comme le doigt, quelquefois fibreuse, & toujours blanche.

Port. La tige s’élève à la hauteur de deux pieds, ronde, velue, solide, glutineuse ; les fleurs naissent, au sommet, disposées en manière de tête

Culture. La première est réellement la seule qui mérite d’être cultivée, parce que la seconde fournît une qualité de tabac des plus inférieures. Grâces soient rendues aux sages loix de notre nouvelle constitution ; le propriétaire est enfin le maître de son champ ; enfin il va lui être permis d’en disposer ainsi qu’il le juge à propos ; enfin le règne absurde des prohibitions fiscales va être anéanti. Peuples de la campagne, bénissez nos législateurs, bénissez ce roi citoyen qui s’est déclaré le chef d’une constitution qui ramène dans vos champs l’aisance qui en étoit bannie depuis si long-temps : un nouveau jour s’élève pour vous ; que ce ne soit pas celui de l’anarchie ; car on ne peut être tranquille & heureux qu’en obéissant aux loix.

On ne manquera pas d’objecter que l’amour de la nouveauté, que le génie peu réfléchi des François, les porteront à sacrifier aux récoltes du tabac celles du bled ; que le tabac effrite les terres, &c. La devise d’un sage gouvernement est celle-ci : protection & liberté. Le cultivateur connoît mieux ses intérêts particuliers que les législateurs, & sur-tout que la fiscalité ne les connoissoit. Celui qui aura fait une fausse spéculation n’y reviendra pas à deux fois ; & l’utile leçon donnée par l’expérience instruit plus radicalement que tous les livres & les beaux discours.

Cultivera-t-on avantageusement le tabac dans toute la France ? C’est le vrai point de la difficulté. Hasardons quelques idées sur ce sujet.

1°. Si la culture y devient si étendue que le produit surpasse la consommation & l’exportation, bientôt elle sera négligée & enfin abandonnée, parce que personne ne veut perdre ; mais la France arrivera-t-elle jamais à ce point ? Je ne le crois pas, parce qu’effectivement la culture des bleds souffriroit d’une si grande généralité ; si l’entrée des tabacs étrangers étoit prohibée, peut-être le prix du tabac se soutiendroit assez dans le royaume pour lui donner un bénéfice réel & au-dessus de celui du prix du bled. Dans ce cas, avec son tabac, le cultivateur achèteroit du bled, & le bénéfice seroit encore pour lui. Si au contraire le prix est égal, le cultivateur préférera le bled, parce qu’une fois récolté, il n’exige aucune main-d’œuvre, ni aucun travail préparatoire avant de le vendre. Le tabac, au contraire, une fois récolté, n’est presque rien ; ce sont les préparations pour le mettre en bâton qui doublent la valeur de sa première vente. Ces considérations détermineront donc peu à peu l’étendue de terrain qu’un propriétaire peut raisonnablement sacrifier à la nouvelle culture. Il n’aura cette certitude qu’après deux ou trois ans d’exercice ; jusqu’à cette époque, il doit, s’il est prudent, ne pas s’y livrer tout entier, & ne pas abandonner ses autres cultures. Un vieux proverbe dit : un tien, tu le tiens, vaut mieux que deux tu l’auras ; & ce proverbe est d’un grand poids en agriculture.

2°. La culture du tabac étoit ci-devant avantageuse dans les provinces de Lorraine, d’Alsace, de la Flandre Française, &c. parce que dans l’intérieur du Royaume le prix du tabac étoit fixé pour le moins au double de sa valeur, & celui de ces provinces y étoit versé en contrebande. Le bénéfice de ce genre de culture étoit assuré ; mais lorsqu’elle sera aussi libre que celle du bled, les choses doivent nécessairement pour elles, changer de face, puisqu’elles auront supporter la concurrence, & du tabac des autres provinces, & de celui de l’étranger ; en un mot, il s’établira de lui-même un équilibre général dans les prix, en raison de la quantité des productions ; je crains que cette quantité ne soit prodigieuse par cette manie française qu’inspirent la nouveauté & la liberté. On ne voit encore que l’ancien prix, tandis qu’il aura beaucoup à rabattre après les premières années.

3°. Lorsque les Français auront le choix des qualités, alors le prix variera suivant ces qualités. Il en sera d’elles comme du vin ; l’expérience apprendra à distinguer le canton où le tabac sera le meilleur ; alors le prix sera en raison de la qualité, comme il l’est pour le vin ; avec cette différence cependant, que le vin une fois fait ne peut être amélioré, tandis que la fabrication & la sauce, pour se servir du mot technique des manufactures, concourent beaucoup à donner de la valeur au tabac en bâton. La qualité de la feuille est réellement la base de la bonté ; mais la fabrication la réhausse. De ces points de fait, il résultera nécessairement que l’on préférera celui de tel canton & celui de telle ou de telle fabrique.

4°. Abstraction faite de l’amélioration due à la manière de préparer le tabac, la grande question est de savoir si tous les départemens de France fourniront des tabacs égaux en qualité. Je suis autorisé à dire, non : je pourrois citer quelques-unes de mes expériences, faites-en petit à la vérité, soit au nord, soit au centre, soit au midi du royaume. Elles m’ont complettement donné la solution du problème ; cependant comme il m’étoit impossible de travailler en grand sans courir les hasards les plus fâcheux alors pour un galant homme, je n’ose pas conclure à la rigueur. Des essais prouvent pour moi, & ne prouvent pas assez pour les autres. Considérons donc l’objet par de grandes comparaisons. Le tabac est originaire de l’Amérique & de ses isles, où la chaleur est forte & soutenue. Elles nous fournissent les tabacs si renommés & connus sous les noms de Virginie, de la Havanne, de Saint-Domingue, &c. Leur qualité tient au climat ; plus la plante s’en éloigne, plus elle perd de sa qualité. L’expérience la plus constante démontre cette détérioration dans toutes les plantes, dans tous les fruits. Le fruit de l’ananas venu dans le climat factice de nos serres chaudes, ne peut être comparé ni pour sa grosseur, ni pour sa saveur & parfum, à celui de la plante cultivée sous le ciel brûlant d’Amérique. Or, si l’art ne peut approcher des effets de la nature, la culture en grand du tabac dans nos provinces ne donnera donc pas à cette plante la qualité qui tient au climat. Les soins seuls qu’on est obligé de prendre pour les semis de sa graine, démontrent rigoureusement mon assertion. La plante est vivace en Amérique, annuelle en France, parce qu’elle ne peut supporter la rigueur du froid de nos climats, & la température de l’hiver dans nos provinces les plus méridionales, assure très-rarement son existence pour deux ans. On aura beau multiplier les soins, le tabac de France ne sera jamais aussi bon que celui de l’Amérique. Les vins de nos départemens du Nord n’auront jamais autant de principes spiritueux que ceux du midi. Il résulte de ce qui vient d’être dit que les tabacs cultivés dans les départemens méridionaux de France, seront supérieurs pour la qualité à ceux du centre ; ceux-ci à ceux du nord, enfin que la progression en bonté tient à la plus grande intensité de chaleur du climat. Mes expériences, quoique faites en petit, m’ont prouvé, je le répète, ces vérités, qui dans peu seront portées par la liberté de culture à la plus grande évidence. On cultivoit librement autrefois le tabac dans le canton d’Avignon ; il étoit recherché & préféré à tous égards à celui de Hollande, de Flandre, &c. Ce fait que personne ne peut nier, confirme mes assertions.

Je vois en grand deux climats bien décidés en France ; j’en trouve la démarcation tracée par la main des hommes, & ils l’ont faite sans s’en douter. Si on tire une ligne de l’est à l’ouest du royaume, en passant par Tournu & par Châtelleraud, on voit dans ces deux villes & sur toute cette ligne, que les toits des maisons ont deux caractères bien significatifs, les uns sont à pentes rapides, semblables à ceux des villes du nord, & la pente des autres n’est que d’un pied par toise de longueur ; c’est-à-dire, que les maisons bâties sur cette ligne de plus de cent lieues de longueur, sont sur les confins du climat où il tombe beaucoup de neige, & du climat où il en tombe beaucoup moins. En effet, hors de cette ligne la toiture est la même dans l’un ou dans l’autre climat. Outre cet exemple, on convient que les climats en-dessus de la ligne ou en-dessous, sont différens, & que la différence augmente de l’une & l’autre part, en raison de l’éloignement. Je ne parle pas de quelques positions particulières qui rendent un canton ou plus chaud ou plus froid que le canton voisin ; les exceptions ne sont d’aucun poids, quand il convient de considérer l’objet en grand. Ce que j’ai dit de cette ligne de démarcation, s’applique de lui-même à la qualité qui sera inhérente à la plante de tabac cultivée dans l’un ou l’autre climat ; enfin, qualité proportionnée à l’éloignement de la ligne de démarcation. Le climat sera au tabac ce qu’il est pour le vin. Plus le pays sera méridional, plus sa qualité acquerra de valeur.

5°. La qualité dépendra encore de la nature du sol. J’en suis moralement convaincu, quoique l’expérience ne m’ait donné aucune certitude sur ce point. Je considère la manière d’être de la racine du tabac ; je la trouve très-chevelue ; je lui connois une forte végétation ; je la vois déployer de larges & longues feuilles : j’ai donc le droit de conclure que cette plante aime les terrains légers, mais nourris, mais substantiels, & qu’elle doit effriter la terre, si on ne répare pas ensuite sa perte en principes par d’abondans fumiers. La culture du tabac, dit-on, engraisse les terres. Cette assertion me paroît difficile à croire, parce que la racine est peu pivotante & très-fibreuse ; les débris de la plante que l’on laisse sur le champ ne sont pas assez considérables pour lui rendre en principes autant que la récolte en a enlevés. Cependant si on le contente de cueillir un petit nombre de feuilles, & si ensuite on enfouit dans la terre tout ce qui reste de la plante, cette précaution équivaudra à un nouvel engrais ; alors, & dans ce sens, le tabac engraissera la terre. Au contraire, si l’ardeur de récolter engage à cueillir toutes les feuilles, à ne laisser que la tige desséchée, je ne crains pas de dire que cette culture appauvrira le sol. D’ailleurs, la qualité du tabac ne dépendra pas uniquement de la nature du sol, l’exposition y contribuera encore plus. La plus méridionale, toutes circonstances égales, sera la meilleure, & l’exposition au nord, la plus mauvaise. Le temps & l’expérience instruiront sur la pratique de la culture, & la concurrence, jusqu’à quel point son produit sera avantageux.

J’ai étudie & suivi avec soin ce genre de culture à Armesford. Cette ville de Hollande est le grand entrepôt de son produit ; c’est de là que MM. Grand & compagnie, successeurs de MM. Horneca, expédioient pour la France tout le tabac que la Ferme tiroit de Hollande. Depuis plus de quarante ans, ces MM. étoient chargés des envois. On compte que les seules provinces d’Utreck & de Gueldres produisent annuellement onze millions de livres de tabac, & la Ferme en tiroit trois millions de livres. En 1777, la Ferme générale ne put pas tirer de Virginie ses provisions accoutumées ; MM. Horneca lui en expédièrent six millions de livres. Avant la guerre des États-Unis d’Amérique contre l’Angleterre, le quintal du tabac en feuilles ne coûtoit que seize à dix-sept florins (le florin vaut environ quarante sols, monnoie de France). En 1777 il monta à plus de quarante florins. Les fermiers ne tiroient alors de Hollande que le tabac de la meilleure qualité. C’est une justice qu’on doit leur rendre. Les prix, avant la guerre dont on vient de parler, varioient suivant les qualités des feuilles. Le quintal des feuilles radicales, appelées terriènes à cause qu’elles sont les plus près de la terre, & souvent chargées de sable, coûtoit huit a neuf florins. Les premières feuilles des tiges formoient une classe supérieure à celle des terriènes, & valoient dix à douze florins. Les troisièmes feuilles, de douze à quatorze ; enfin, les quatrièmes feuilles, de quatorze à dix-sept. Les fermiers ne prenoient que ces deux dernières. Je cite ces faits, afin d’avoir une époque fixe de valeur, & qu’on puisse un jour faire la comparaison du point où la culture libre du tabac, en France, soutiendra son prix.

Culture des environs d’Armesford. Des semis. On a de grandes couches en bois de dix pieds de largeur, sur une longueur indéterminée. Elles sont environnées à l’extérieur par une masse de fumier de litière de cochon & de mouton ; & ce fumier est à la hauteur des planches de la couche, ordinairement de trois pieds ; l’intérieur est garni du même fumier à la hauteur de deux pieds, & d’un pied de terre fine, meuble & bien fumée. Le terreau, formé par la décomposition du fumier extérieur employé l’année précédente, sert à faire, avec quelque addition de terre fine, le terreau pour l’année suivante. C’est sur cette terre qu’on sème la graine ; mais comme elle est très-fine, on la mêle avec une farine quelconque ; de sorte qu’en la semant sur la couche, la blancheur de la farine indique l’endroit qui est semé. Cette opération a lieu à la fin de février ou au commencement de mars ; la saison la décide. La couche est recouverte par des chassis garnis de papiers huilés, à la place de vitres. On les ouvre & on les ferme suivant les besoins & les circonstances. Elles sont communément placées derrière les étendoirs ou séchoirs qui les abrite du vent du nord. Si le froid survient, si la chaleur nécessaire à la couche diminue, on la renouvelle en changeant les réchauds. (Consultez l’article COUCHE) Si la chaleur se soutient, la terre se sèche, on arrose au besoin.

Pendant que la graine germe, que la plante végète & se fortifie sur cette couche, on en prépare d’autres dans le voisinage, & d’un génie différent. On creuse le terrain à quelques pouces de profondeur, pour faire ces couches ; & un sentier de six à huit pouces de largeur, les sépare les unes des autres ; leurs bases est de deux pieds & demi, leur hauteur de deux pieds, leur talus de trois pouces ; de sorte que dans le haut il n’y a que deux pieds de largeur, sur une longueur indéterminée, & à peu de chose près de l’étendue du local. Leur direction est du nord au midi. À six ou huit pouces de hauteur, au-dessus du niveau du fossé, on met un rang d’un pouce & demi d’épaisseur, de fumier de mouton très-fin & très-menu ; par-dessus, six pouces de terre bien fumée, & ainsi de suite, lits par lits, jusqu’à la hauteur désignée. Ce fumier provient des moutons qu’on a nourris dans des étables pendant l’hiver avec de grosses fèves hachées : c’est le plus cher, le meilleur & le plus recherché.

Lorsque tout est prêt, les jeunes plançons sont levés à la fin d’avril ou au commencement de mai, suivant la saison, de dessus la première couche, & sont transportés sur les couches nouvelles. On les plante sur deux rangs, à trois pouces des bords, & à la distance d’un pied l’un de l’autre. On a grand soin de sarcler souvent les couches & les sentiers. Ces sentiers ont deux avantages ; le premier de conduire les eaux, & le second de procurer la commodité de sarcler. On choisit, pour replanter les plançons, un jour couvert & un peu pluvieux.

Quand les quatre premières bonnes feuilles sont venues, on coupe la tige au-dessus, & on l’appelle couronne, & on a grand soin d’arracher les jets qui poussent des aisselles des feuilles supérieures, dès qu’ils paroissent. Ces jets qu’on appelle larons, empêcheroient la grande poussée, & priveroient de nourriture les bonnes feuilles.

Les champs plantés en tabac sont environnés de haies très-élevées, ou par des plantations d’aunes ou vernes (consultez ce mot) : c’est sans doute pour garantir les plantes des coups de vent. Tous les champs ainsi environnés, ont la forme d’un parallélogramme du nord au midi.

La récolte des feuilles est l’ouvrage des femmes ; elles les cassent avec les doigts de la main droite, & elles les jettent sur le bras gauche sans les froisser. Lorsqu’elles en ont un paquet, il est remis à l’homme qui les suit. Lorsqu’il en a une forte brassée, il les met dans un panier où il les arrange paquet par paquet, sans les froisser : les feuilles, sont ainsi portées au séchoir ; les feuilles inférieures forment des paquets à part.

Le séchoir, (consultez planche XIII, fig, 1 l’article Taille des arbres, pag. 350) est un long & vaste bâtiment en bois quelquefois simplement recouvert en planches, & quelquefois avec des tuiles portées sur des chevrons. La figure 1 le présente vu de côté, se dans sa coupe intérieure ; & la fig. 2, vu en face, & sur sa forme extérieure. D’une poutre à l’autre B, sont placées des traverses C, sur lesquelles on place des bâtons d’un pouce de diamètre, qui traversent, fig. 3, dans la queue de la feuille, après que les femmes y ont fait une incision convenable à sa longueur avec la lame d’un couteau. Les feuilles sont ainsi mises les unes auprès des autres, sans qu’elles se touchent, & les bâtons sont portés sur des traverses, & rangés successivement sur toute la longueur, largeur & hauteur du séchoir.

L’extérieur du séchoir est revêtu de planches, comme il a été dit ; l’une est clouée à demeure contre les poutres, & retient les gonds qui supportent les pentures de la planche voisine, au moyen desquels on l’ouvre, ou on la ferme à volonté. C’est ainsi que sont pratiquées toutes les ouvertures de la partie supérieure du séchoir. Dans le bas, sur une hauteur de quatre à six pieds environ, les planches C fixes & les mouvantes sont placées sur la ligne horisontale, au lieu que celles du dessus, le sont perpendiculairement. Dans quelques endroits, les planches d’en bas s’ouvrent par une double brisure.

Lorsque le soleil est dans sa grande activité, on ferme toutes les ouvertures, parce que les feuilles se dessécheroient trop vite, & on les ouvre plus ou moins, suivant la chaleur du jour. Les planches inférieures ne touchent pas la terre ; il reste un vide de cinq ou six pouces, qui entretient un grand courant d’air frais, lorsque le tout est fermé.

J’ai vu, près de la campagne du Stathouder, le séchoir d’un simple cultivateur, moins coûteux que celui que je viens de décrire ; au lieu de planches, il garnissoit l’extérieur avec des fagots de fougère, traversés du haut en bas par des perches : le tout formoit les parois du séchoir. Vouloit-il augmenter le courant d’air ? il passoit entre chaque fagot un morceau de bois, de six pouces environ d’épaisseur, qui le soulevoit. Craignoit-il la trop grande dessiccation ? il serroit les fagots les uns contre les autres, & garnissoit avec de nouveaux fagots la partie qui restoit vide.

Lorsqu’une quantité de feuilles est sèche, on la met en paquets, liés par la queue des feuilles. Les feuilles mauvaises & de qualité inférieure sont roulées en manière de cordes, & forment les liens avec lesquels on serre les paquets. Ces paquets sont ensuite mis en piles de trois ou quatre pieds de hauteur, sur des claies ou planches, élevées au-dessus du sol, afin qu’elles ne contractent aucune humidité. Chaque qualité de feuilles est ainsi séparée & non confondue, jusqu’au moment du départ : alors on prend de grands panniers faits avec des osiers communs, dont le fond est garni avec des nattes de jonc, que l’on tire de Moscovie : on emballe & on presse les paquets les uns, contre les autres ; on les couvre avec une natte semblable à celle du fond ; enfin, on assujettit le couvercle. Chaque pannier pèse ordinairement six cents net, sans la terre des nattes & du pannier.

Dans la Flandre Française, la culture est différente ; elle exige un peu moins de soins, parce que le climat diffère de celui de Hollande. On se sert de couches pour les semis. Elles sont abritées dans des cours ou contre des maisons. Le fumier est encaissé, battu, serré, ainsi qu’il a été dit à l’article couche, à la hauteur de deux pieds, & ensuite recouvert d’un pied de terre de jardin, mêlée avec les débris des vieilles couches. Ces encaissemens sont couronnés par des châssis mobiles qu’on ouvre & ferme à volonté. Du papier huilé & colé sur les cadres, tient lieu de verre. Dans plusieurs endroits de la Flandre, le tan est commun ; on le mêle avec le fumier, & en quelques endroits, le tan seul tient lieu de fumier, que l’on conserve avec soin, & qu’on emploie avec intelligence, dans la culture des champs. Peu de nos provinces de France peuvent comparer leur culture avec celle des Flamands ; d’autres se contentent de ranger de gros en gros une certaine quantité du monceau de fumier de la basse-cour, sur lequel ils jettent environ six à dix pouces de terre fine qui, lorsqu’elle est ravalée, sert à recevoir la graine. Une once de graine suffit pour la plantation de douze cents arpens de Paris en carré. Comme elle est extrêmement fine, on a la coutume de la mêler avec du sable que l’on répand le plus également que l’on peut, sur toute la couche. Alors on râtelle légèrement par-dessus, afin d’un peu l’enterrer : si elle l’est trop, elle ne lève pas. Quelques cultivateurs, afin de s’assurer de la germination, placent leurs graines entre deux couvertures de laine mouillées & déposées dans un lieu chaud. Lorsque le germe est bien prononcé, ils secouent cette graine sur la terre, en tenant soulevé parallèlement sur la surface de la terre, le côté de la couverture garni de graines, & frappent avec de petites baguettes & à petits coups, sur le côté qui regarde le ciel. C’est ainsi que la graine se détache de la couverture, & tombe doucement sur la couche, sans endommager le germe : alors on se hâte de couvrir le tout avec du terreau très-fin, & par une couche d’une ligne d’épaisseur. Le germe ne tarde pas à sortir de terre. Si l’on craint ces pluies battantes ou des gelées tardives, la couche est recouverte avec de la paille longue qui prévient leurs mauvais effets. Quelques cultivateurs ont des paillassons faits exprès. Ceux qui n’ont pas de couches en règle, garnissent tout le tour des leurs avec beaucoup de fagots d’épines, afin d’empêcher que les poules n’aillent les gratter. Si le sol de la couche est sec, on arrose très-légèrement & à plusieurs reprises, de la même manière que le feroit un aspersoir. Afin que ces premiers arrosemens ne tassent pas trop la terre, on la recouvre avec un peu de fumier pailleux & bien brisé ; il retient le cours de l’eau. Ceux qui ont des arrosoirs à grilles fines, semblables à celles des fleuristes, s’en servent avec succès. On sème vers la fin de février & pendant le mois de mars : on sarcle souvent.

Il est très-avantageux que ces semis soient hâtifs, parce qu’on peut plutôt commencer les replantations ; alors la plante profite des grosses chaleurs de l’été & acquiert de la qualité. Si les plançons sont trop tendres ou trop forts, leur reprise est plus difficile. Communément on saisit le point où la plante est garnie de quelques feuilles, & haute environ de deux à trois pouces hors de terre. C’est à-peu-près en mai que l’on replante ; époque à laquelle on ne craint ordinairement plus les gelées tardives. La veille ou l’avant-veille de lever les plançons, on donne une forte mouillure qui serre la terre contre les racines. Lorsqu’on lève les semis, on commence par un bout de la couche, & toujours attenant jusqu’à l’autre extrémité. Il faut se servir de la houlette, & encore mieux d’un petit piochon avec lequel on fait tomber la terre du bord sur une profondeur de six pouces, ce qui facilite les moyens de creuser au-dessous des racines, & d’enlever rang par rang les plantes, sans briser aucunes des racines, objet des plus importans. On les range ainsi dans des baies plates, en leur conservant la terre qui est restée adhérente aux racines. Le tout est recouvert d’une toile ou avec de la paille, & porté sur le sol destiné à recevoir les plantes.

Ce terrein est préparé à l’avance comme celui d’une chenevière ou d’une linière, (consultez le» mots chanvre, lin, ) c’est-à-dire, qu’il doit être bien émietté & bien fumé. Plus le sol est substantiel & divisé, & plus les feuilles du tabac acquièrent de grandeur. Les champs exigent plusieurs labours. Ceux faits avant l’hiver, sont les meilleurs ; & c’est à cette époque que je conseille de jeter le fumier. Je dis les meilleurs, parce que les fortes gelées divisent plus les molécules de la terre que ne le feroient dix labours à la charrue ; parce que les pluie d’hiver ont le temps de délayer les principes du fumier, de les amalgamer avec la terre, enfin, de favoriser leurs recombinaisons lors du renouvellement de la chaleur au printems. (Consultez les articles amendemens, engrais, &c.). Tous les labours faits depuis la fin de l’hiver jusqu’au moment de la transplantation, doivent être suivis d’un ou de plusieurs hersages qui diviseront & détruiront les mottes de terre. Règle générale, plus la terre est rendue meuble & plus la plante profite, parce que ses racines sont chevelues, & les racines chevelues ne s’étendent & ne s’allongent avec facilité, qu’en raison du peu de compacité du sol. C’est la nature du terrain qui indique l’espèce de fumier qui lui convient. (Consultez cet article) Un ou deux labours à la bêche, après l’hiver, vaudront mieux que les labours.

On laboure par sillons : la charrue est à large & long versoir. En allant d’un bout du champ à l’autre, elle jette la terre d’un côté ; revenant de ce côté à l’autre bout, elle relève la terre contre la première, & forme ce que l’on appelle un petit ados, un billon. (Consultez ces mots) Lorsque le champ est ainsi préparé, on plante sur ces ados ; chaque pied est espacé de son voisin de deux pieds & demi à trois pieds, & en échiquier, en raison des sillons voisins. Le trou est fait à l’aide d’un plantoir, & le plançon y est doucement descendu avec ses racines jusqu’à l’endroit marqué par la naissance des feuilles de la plante ; par un second & troisième coup du plantoir, la terre de la circonférence est rapprochée des racines, de manière qu’il ne reste aucun vuide dans le premier trou. Si on a de l’eau dans le voisinage, on arrose légèrement chaque pied ; si on en est privé, on attend un jour disposé à la pluie. Quelques jours après la plantation, on parcourt tout le champ, & on suit de l’œil toutes les plantes l’une après l’autre ; enfin, on remplace aussitôt celles qui manquent. Ensuite, sarcler souvent est un devoir essentiel, & bien plus essentiel encore, lorsque le climat est pluvieux & le sol fécond en mauvaises herbes.

Lorsque la plante a acquis la hauteur d’un pied & demi, on la butte, comme la pomme de terre, le maïs. (Consultez ces mots) Mais avant de butter, on donne un petit coup de pioche à toute la terre qu’il environne, en observant d’enfoncer davantage la pioche à mesure qu’on s’éloigne du tronc. Toute la terre étant ainsi remuée, la plante prospère à vue d’œil. Ici commence un nouveau genre de travail de la compétence des femmes & des enfans ; on l’appelle ètéter, pincer, rabattre.

Cette opération commence en Flandres lorsque la tige est chargée de plus de douze feuilles ; c’est cette partie que les Hollandois nomment couronne, & qui, plus modérés que les Flamands, suppriment toute la couronne au-dessus des quatre premiers rangs de feuilles, en comptant par le bas. Cette suppression fait refluer la sève dans les feuilles, & développe les boutons qui n’auroient percé que l’année d’après, si la plante eût été préservée de la gelée. La sortie & la végétation de ces boutons, que l’on appelle dans cette première année, fausse pousse, nuiroient essentiellement à la bonté des feuilles que l’on garde, & à la force de leur végétation, c’est pourquoi on les coupe avec l’ongle à mesure qu’ils paroissent ; sans cette précaution, ils seroient à la bonté de la feuille, ce qu’est la câpre qu’on laisse mûrir sur le câprier, (consultez ce mot) relativement a une grande suite de boutons à fleur dont elle anéantit la sortie. On recommence le pincement autant de fois qu’il est nécessaire. Les plantes destinées à produire de la graine, sont laissées végéter à leur aise sur la lisière du champ. À cet effet, on préfère toujours les plus beaux pieds, soit pour la hauteur, soit pour la vigueur de la végétation. Si, par une parcimonie mal-entendue, on les effeuille comme les autres, la graine est maigre & mal nourrie. Lorsque la graine est mûre, on coupe la sommité des têtes, on en lie plusieurs ensemble, & on les suspend au plancher. La graine se conserve beaucoup mieux dans sa capsule que lorsqu’on l’en retire.

L époque de la récolte est marquée par le changement de couleur des feuilles ; c’est lorsque leur couleur verte prend la teinte jaune ; mais comme le mot teinte, plus ou moins foncée, ne porte pas avec lui un caractère assez tranchant, le cultivateur se règle, lorsqu’il voit la pointe des feuilles s’incliner contre terre, & une odeur assez agréable s’exhaler de ces feuilles ; alors il casse le long des tiges avec les doigts, les feuilles qui sont mûres & il les sépare en paquets suivant leur qualité, ainsi qu’il a été dit dans la description du travail de Hollande. Leur dessiccation s’exécute, à peu de chose près, comme chez la nation voisine ; mais comme les séchoirs des Flamands ne sont pas aussi bien entendus que ceux des Hollandois, on est quelquefois forcé dans les saisons pluvieuses d’y faire du feu, ayant l’attention la plus scrupuleuse que la fumée ne pénètre pas dans l’attelier. On a déja observé que si les feuilles sèchent avec trop de rapidité, elles perdent de leur parfum. Les tiges qui restent sur le sol sont arrachées & enfouies aussitôt après la récolte par un fort coup de charrue, de la même manière que dans les provinces du centre du royaume, on enterre les lupins ; (consultez ce mot) c’est le seul engrais qu’elles rendent à la terre. Il faut encore y ajouter celui des débris qu’on a enlevés à la plante par le couronnement.

En Amérique, la culture & la récolte diffèrent peu des précédentes, avec cette différence cependant qu’on coupe toute la plante par le pied lors de sa maturité. On attend que la rosée de la nuit soit dissipée, & que le soleil ait desséché toute l’humidité qu’elle avoit répandue sur les feuilles. Ces plantes restent ainsi coupées & sur place pendant le reste du jour ; on a soin de les retourner deux à trois fois, afin que le soleil les échauffe de tous les côtés, qu’il consomme une partie de leur humidité, & qu’il commence à exciter une fermentation nécessaire pour mettre leur suc en mouvement. Avant que le soleil se couche on les transporte dans la case préparée à leur réception, sans jamais laisser passer la nuit aux plantes coupées & découvert, parce que la rosée, qui est très-abondante dans ces climats chauds, rempliroit leurs pores ouverts par la chaleur du jour précédent, & arrêtant le mouvement de la fermentation déjà commencée, elle disposeroit la plante à la corruption & à la pourriture.

C’est pour augmenter cette fermentation, que les plantes coupées & apportées dans la case, sont étendues les unes sur les autres, & couvertes de feuilles de balisier amorties, ou de quelques nates, avec des planches par-dessus, & des pierres pour les tenir en sujétion. C’est ainsi qu’on les laisse pendant trois ou quatre jours ; ou, pour parler comme aux îles Françoises, elles refluent, après quoi on les fait sécher dans les cases ou sueries, à peu près de la même manière qu’en Flandres ou en Hollande.

Les expériences que j’ai faites dans le Bas-Languedoc sur la culture du tabac, ne suffisent pas pour établir un corps de doctrine sur ce point, mais elles mettront le cultivateur sur la voie. Je semai, au commencement de février, dans un terrain bien ameubli, léger & substantiel, la graine, avec les précautions déjà indiquées. La saison étoit belle & chaude. La graine germa avec beaucoup de facilité ; des matinées fraîches & prévues survinrent ; une p mie des plantes non couvertes avec de la paille, furent légèrement endommagées, les autres n’éprouvèrent aucun accident. Vers le 10 avril, je levai de la pépinière six des plantons les plus forts, & je les plantai à une très-grande distance les uns des autres, dans mon jardin potager, où ils furent livrés à eux-même ; quelques pieds des plus beaux, choisis entre les plançons endommagés, furent plantés dans divers coins des champ ; qui environnoient mon domicile, ils n’ont jamais prospéré autant que les premiers. Deux circonstances ont servi sans doute à établir cette différence. La terre du champ n’étoit pas aussi bonne que celle de mon jardin, & la plante se ressentit jusqu’à la fin, de la maladie de sa première jeunesse. Quoi qu’il en soit, mes feuilles desséchées restèrent gluantes : je leur fis une sauce dont je les aspergeai avant de les lier en corde, d’après la manipulation que j’avois étudiée dans la manufacture de la ville de Cette, & j’eus du tabac très-parfumé & bien gras. Les feuilles des plantes cultivées dans mes champs furent inférieures pour la qualité, quoique traitées avec la même sauce.

J’estime que ceux qui voudront se livrer à cette culture en Provence & en Languedoc, doivent, 1°. donner aux semis les mêmes attentions qu’à ceux des aubergines, (consultez ce mot) & que ces soins sont suffisans ; 2°. que les champs destinés aux plantations, demandent à être travaillés comme ceux destinés aux fromens, ainsi qu’il a déjà été dit ; 3°. largement fumés avant l’hiver & non après, crainte que la chaleur, & sur-tout les sécheresses trop habituelles dans ces climats, ne le rendît plus nuisible qu’utile ; 4°. que la transplantation doit être faite, autant qu’il sera possible, dans la fin de mars ou au commencement d’avril, & par un jour pluvieux, afin d’assurer la reprise de la plante. On sait que passé ces époques, le ciel y devient d’airain, que si par hasard, il pleut dans le pays, c’est par orage. La replantation me paroît le point critique de l’opération dans ces deux provinces.

Qu’il me soit permis de hasarder quelques idées sur une culture qui deviendra si nouvelle pour la France. Je crois que dans les provinces du midi on pourroit à la rigueur semer le tabac à la volée & très-clair, sur un champ parfaitement divisé, & on passeroit ensuite la herse à plusieurs reprises différentes ; ce qui éviteroit le très-long travail de la replantation : on semeroit à la fin de février ou au commencement de mars. Voilà une première économie. Comme la graine germera très-bien, & par conséquent les plançons seront très-épais, il faudra sarcler souvent, soit pour détruire les mauvaises herbes, soit pour détruire les plançons surnuméraires. Ces herbes laissées sur le sol y produiront un double effet, 1°. de s’opposer à la trop forte évaporation de l’humidité du sol : 2°. de devenir ensuite un bon engrais par leur décomposition, & qui rendra à la terre plus de principes qu’elle ne lui en aura fournis. (Consultez le mot amendement) Ainsi à force de sarclages, travail des femmes & des enfans, on parviendroit successivement à ne laisser sur le champ que le nombre de plantes nécessaires, éloignées de trois pieds les unes des autres : c’est une méthode à essayer.

Les expériences que j’avois jadis faites à Lyon, eurent lieu dans des pots à fleur, & ne prouvent rien pour la culture en grand. Elles n’ont servi qu’à me démontrer que la qualité des feuilles réduites en carotte, étoit supérieure au tabac fait avec des feuilles de tabac, de Flandres & de Hollande prises sur les lieux.

Je présume qu’il seroit important pour nos provinces méridionales, de mettre en pratique la suerie, en usage dans nos îles d’Amérique, attendu que la fermentation développe naturellement les principes contenus dans les feuilles, tandis qu’en France, en Flandres & en Hollande, la fermentation ne s’établit réellement que lorsque les feuilles sont réduites en carotte, & par le séjour de ces carottes amoncelées les unes sur les autres pendant plusieurs mois dans les magasins de la ferme. Ainsi les tabacs, ainsi préparés, ont toujours une odeur de verd, en comparaison des tabacs fabriqués avec les seules feuilles tirées d’Amérique.

La conversion des feuilles de tabac en carotte, les préparations & main d’œuvre qu’elles doivent subir, sont des objets étrangers au Cours d’Agriculture. On trouvera sur ce sujet de très-bons détails, & une explication bien faite dans le dictionnaire Encyclopédique.

Propriétés du tabac. Feuilles sèches, pulvérisées & inspirées par le nez, font éternuer avec plus ou moins de force, ceux qui ne sont pas habitués à cette poudre. L’usage immodéré, ou trop long-temps continué des feuilles prises sous cette forme, cause des vertiges, diminue la sensibilité de l’odorat jusques même à le rendre incapable de distinguer les espèces d’odeur ; il affaiblit la mémoire & diminue la vivacité de l’imagination ; il augmente le penchant vers l’apoplexie sanguine ; il nuit aux tempéramens bilieux & sanguins… Le Tabac réduit en poudre, est indiqué dans la douleur de tête, par des humeurs pituiteuses, dans la migraine causée par des humeurs séreuses, dans la disposition à l’apoplexie séreuse & pituiteuse, le larmoyement par l’abondance des humeurs séreuses & pituiteuses.

Les feuilles sèches, mâchées, rendent la sécrétion de la salive plus abondante, & en détermine l’excrcétion ; elles conviennent sous cette forme, dans la disposition à l’apoplexie pituiteuse, dans la paralysie par la suppression d’une humeur nécessaire, la paralysie de la langue, la paralysie pituiteuse, la douleur rhumatismale des dents, l’enchifrenement habituel, la surdité catarrale, la goutte sereine par suppression d’un écoulement naturel ou habituel ; elle causent des nausées, & souvent produisent le vomissement, lorsqu’il en passe dans l’estomac : elles nettoient, les dents, en préviennent la carie, raffermissent les gencives relâchées, & peu disposées à s’enflammer.

La fumée des feuilles, reçue dans la bouche, au moyen d’une pipe, est recommandée dans les mêmes espèces de maladies où la mastication de ces feuilles est utile : ses inconvéniens sont les mêmes, & peut-être plus nombreux. Elle fait rejeter une grande quantité de salive Utile pour la digestion ; elle diminue la sensibilité des organes du goût ; elle procure une sécheresse dans la bouche, l’arrière-bouche & les bronches pulmonaires ; elle donne lieu l’évacuation des humeurs muqueuses, qui viennent des amygdales & autres parties de l’arrière-bouche ; humeurs dont l’évaporation est rarement essentielle… La fumigation des feuilles, introduite dans l’anus, calme les coliques metteuses, convient dans l’apoplexie pituiteuse, la léthargie pituiteuse, l’asphixie histérique, l’asphixie des noyés, la tympanite sans inflammation ni disposition inflammatoire ; elle favorise l’expulsion des matières fécales.

L’infusion des feuilles, en lavement, est indiquée dans les mêmes espèces de maladies, lorsque la fumigation n’a été d’aucun secours. Elle produit une évacuation beaucoup plus abondante des matières fécales, elle irrite davantage l’intestin rectum.

L’infusion aqueuse, en boisson, fait vomir, donne des coliques, purge, & cause une espèce d’ivresse de plus ou moins longue durée. Ce dernier accident est plus grave lorsque l’infusion est vineuse ou spiritueuse. On doit abandonner l’usage interne de ces deux espèces d’infusions ; il est dangereux.

Le suc exprimé des feuilles récentes, appliqué sur les ulcères putrides, fameux & peu sensibles, est rarement accompagné d’un succès heureux… L’infusion des feuilles sèches, dans de l’eau-de-vie, prescrite en lotion, n’est pas plus utile pour détruire la rache, la gale, les espèces de dartres récentes qui ne tiennent d’aucun virus. Le sirop de tabac est aussi dangereux que l’infusion des feuilles. L’huile distillée du tabac est un poison très-violent.