Cours d’agriculture (Rozier)/LIN COMMUN

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 270-289).


LIN COMMUN. Von Linné le classe dans la pentandrie pentagynie, & il le nomme Linum usitatissimum. Tournefort le place dans la première section de la huitième classe des fleurs en œillet, dont le pistil devient le fruit ; il l’appelle Linum sativum.

Fleur. Presqu’en entonnoir, composée de cinq grands pétales, larges, crénelées à leur sommet, le calice formé de cinq pièces droites & aiguës, les étamines & les pistils au nombre de cinq.

Fruit. Capsule ronde, à cinq côtés, à dix loges, à cinq valvules, dix semences lisses, luisantes, pointues.

Feuilles. En forme de fer de lance, adhérentes aux tiges, simples, très entières.

Porc. Tiges ordinairement de la hauteur d’un pied & demi, cylindriques, grêles, lisses ; les fleurs, d’une jolie couleur bleu-clair, naissent au sommet en pannicules lâches ; les feuilles sont alternativement placées sur les tiges.

Lieu. On ignore son pays natal, mais il est aujourd’hui cultivé depuis le nord jusqu’au midi de l’Europe, & il est annuel.


Lin Vivace. Linum perenne. Lin. Il diffère du précédent, que je prends ici pour tipe de ce genre, par sa tige deux fois plus élevée & plus rameuse, par ses fleurs plus grandes, à corolles très-entières, par les folioles de leur calice plus obtuses, ainsi que la capsule qui renferme les graines, & surtout par sa racine qui est vivace ; les tiges meurent chaque année ; il est indigène dans les pays du nord, & sur-tout dans la Sibérie, ce qui lui a fait donner le nom de lin de Sibérie.

Von Linné compte vingt-deux espèces de lin, dont il est inutile de donner l’énumération, puisqu’il, ne s’agit pas ici d’un dictionnaire botanique ; d’ailleurs, ces espèces ne fsnt d’aucune utilité réelle, & ne peuvent même pas servir à la décoration des jardins. Il y a cependant l’espèce que Von Linné appelle Linum Narbonense, ou lin de Narbonne, parce qu’il croît dans le bas Languedoc & dans la Provence. Il diffère des deux précédens par sa tige cylindrique, rameuse à sa base, par ses feuilles dispersées sur les tiges, raboteuses, pointues ; par ses fleurs très-grandes, ainsi que leur calice membraneux sur les côtés, très-pointus à leur base, & terminés au sommet par une pointe. J’en ai trouvé quelques pieds que j’ai fait rouir comme ceux du lin commun, & donc j’ai retiré une écorce ou filasse à-peu-près semblable à celle du lin ; mais l’expérience n’a pas été faite assez exactement, ni assez en grand, pour décider ici d’une manière positive de son degré d’utilité. Comme la racine de cette plante est vivace, elle seroit d’un grand secours dans nos provinces vraiment méridionales par leurs abris, (Voyez ce mot) puisqu’elle ne craindroit pas les chaleurs & la sécheresse de l’été. Il seroit absurde d’y tenter la culture du chanvre ; sur vingt années il y réussiroit tout au plus une fois, & quelques cantons, en petit nombre & très abrités, peuvent recevoir la culture du lin commun, puisqu’il faut le semer de bonne heure, comme il sera dit ci-après. Je tâcherai de me procurer de la graine du lin de Narbonne, & je verrai s’il est possible d’en tirer un bon parti.

Je n’ai jamais cultivé ni vu cultiver le lin vivace ou de Sibérie ; ce que je vais dire est copié mot pour mot de l’ouvrage intitulé : Histoire universelle du règne végétal, publié par M. Buchoz ; il n’indique pas la source de laquelle il a tiré cet article. Je passerai ensuite à la culture du lin commun, pratiquée soit au midi, soit au nord du royaume de France.


§. I. De la culture du lin de Sibérie.


Ce lin s’élève à une très-belle hauteur ; on n’en connoît même point parmi les autres lins, qui monte aussi haut. Les frimats de l’hiver ne lui sont pas préjudiciables ses nouveaux rejets qui reparaissent, après qu’on la coupé, dans le mois d’août, se conservent parfaitement bien pendant l’hiver ; ils sont aussi verds sous la neige & sous la glace, que dans les beaux jours d’été. Von Linné est le premier qui a découvert ce lin, & qui en a donné la description dans son ouvrage, intitulé Hortus Upsaliensis. Il ne l’a pas plutôt fait connoître, que M. Dielke, grand cultivateur de Suède, & vrai amateur, en a introduit la culture dans ce royaume, où cette plante réussit parfaitement. On a fait l’essai de sa culture dans l’électorat d’Hannovre, où elle a eu le même succès qu’en Suède.

Pour cultiver ce lin, il faut commencer par choisir un terrein mêlé de sable : on prépare ensuite la terre par deux bons labours, après quoi on sème, à la volée, ce lin au mois d’avril, en observant d’employer un tiers de semence de moins que si on semoit le lin ordinaire. On passe ensuite légèrement la herse sur la terre ; après quoi on la retourne, & on l’y repasse de nouveau. Ce lin reste en terre environ trois semaines avant de lever quand il commence à croître, il faut sarcler rigoureusement les mauvaises herbes, de même que pour le lin ordinaire. Voilà toute la façon qu’il exige au temps de sa maturité. Pour lors, quand il est bien mûr : ce que l’on reconnoît facilement par sa tige qui jaunit, & par ses feuilles qui commencent à tomber, on le coupe à la faulx, au lieu de l’arracher. Il repousse du pied pour l’année suivante. On réitère pour lors dans cette année le même sarclage, qui n’est pas à beaucoup près aussi difficile que celui de la précédente, parce que le lin devient assez fort pour prédominer sur les autres plantes. Ce lin n’exige pas d’autre culture dans cette année & pendant les suivantes : il faut sur-tout prendre garde que la terre où on l’a semé soit bien meuble, sans aucune motte ou gazon que l’on brisera s’il s’en trouve. Si la terre est absolument sèche & maigre, on pourra y mettre du fumier, mais en petite quantité.

Pour mieux faire concevoir l’avantage que procure cette plante, il suffit d’en faire le parallèle avec le lin ordinaire. Celui-ci se seme pendant deux mois, avril & mai. La première semence est sujette à être gâtée pendant le mois de mai : il ne reste qu’onze jours en terre avant de lever ; celui de Sibérie peut être semé dès la fin de mars ; il ne lève qu’au commencement de la huitième semaine[1], & on n’a pas à redouter pour lui les gelées printanières. On n’a pas besoin, pour en avoir, d’en semer du nouveau, comme le lin annuel, qui peut être totalement gelé.

Le lin annuel demande une bonne terre grasse & bien fumée. Le lin vivace, au contraire, vient dans une terre sablonneuse & presque sans fumier, & il faut moins de semences. La racine du lin annuel est simple & ne porte qu’une seule tige ; celle du lin vivace, au contraire, produit toutes les années de nouveaux jets. Il est plus facile de sarcler le lin de Sibérie que l’autre, sans craindre de l’arracher.

Les tiges des feuilles du lin vivace sont d’un verd foncé ; celles du lin commun, venu dans un terrein sabloneux, sont d’un verd-clair, & dans un terrein gras, d’un verd plus foncé ; mais moins cependant que celui de Sibérie. Quand la plante de lin commun est vigoureuse, & lorsqu’elle a les feuilles bien larges, on a tout lieu de s’attendre à une bonne récolte ; c’est le même indice dans le lin de Sibérie ; il passe d’un tiers en hauteur le plus beau lin commun. Ils mûrissent tous deux dans la onzième ou douzième semaine, à compter de la germination. La filasse de l’un & de l’autre a une égale blancheur.

Quand le lin de Sibérie est coupé, & qu’il a été un peu de temps sur le terrein, pour le faire sécher, on le ramasse par petites poignées ; on sépare la graine de la tige avec un peigne de fer nommé communément gruge. Lorsque cette opération est faite, on ramasse la graine sur de gros draps pour la faire sécher ; ensuite on la bat, on la vanne, & on la met dans le lieu qu’on lui destine, ayant cependant soin de la remuer souvent, de peur qu’elle ne moisisse & qu’elle ne s’échauffe ; ce qui pourroit arriver si elle n’étoit pas bien sèche. Quant à la tige, on la fait de nouveau sécher au soleil ; & lorsqu’elle est bien sèche, on la met en botte : on prend sur-tout garde de mettre toutes les parties supérieures des tiges du même côté. On transporte ainsi ces tiges dans les endroits où on veut les faire rouir. (Voyez ce mot & ce qui a été dit à l’article Chanvre) Comme elles sont extrêmement sèches, elles rouissent facilement. On les met dans l’eau pendant quelques jours, & on choisit la plus claire ; celle de fontaine est préférée. Lorsque les tiges sont assez rouies, on les retire de l’eau, & on les met en tas pendant trois jours, avec des planches par-dessus, pour achever le rouissement. Ensuite on les fait sécher, & on les prépare pour les mettre en filasse, comme le lin ordinaire, comme le chanvre. Si on ne veut pas faire rouir à l’eau, le rouissement s’exécute aussi bien au soleil ; il suffit de retourner de temps en temps les paquets comme ceux du chanvre.

Le fil & la toile qu’on retire du lin de Sibérie sont moins fins que ceux du lin ordinaire. Voilà en quoi il en diffère, & son seul côté désavantageux. Peut-être que si on le naturalisoit en France, le changement de climat, la nature du sol changeroient & amélioreroient sa texture. C’est à l’expérience à décider la question.


§. II. De la culture du lin ordinaire.

I. Du sol qui lui convient. Pour bien connoître la qualité de la terre nécessaire à cette culture, on doit distinguer non-seulement les climats, mais encore si on se propose d’avoir une graine bonne, & en quantité ; ou bien si l’on désire du lin haut en tige, & qui donne beaucoup de filasse ; ou enfin, si on veut se procurer du lin à tiges moyennes & à filasse fine.

Lorsque la graine est ce qu’on se propose sur-tout de recueillir, soit pour la vendre, comme les Hollandois, soit pour en extraire l’huile ; un sol un peu argilleux, bien substantiel, ou naturellement, ou par des engrais, & sur-tout bien préparés & emietté par des labours, donne une graine parfaite. Dans un semblable sol & avec des soins convenables, nous aurions en France de très-bonnes graines pour semer, sans être obligés d’avoir recours aux Hollandois, qui nous fournissent celle de la province de Zélande, & qu’ils vendent pour celle de Riga.

Plus la terre est légère, moins la tige s’élève, & plus la filasse est fine. L’époque des semailles contribue encore beaucoup à cette précieuse qualité, ainsi que nous le dirons tout-à-l’heure. Il ne faut pas que la terre conserve l’eau, ni qu’elle la laisse trop promptement filtrer. Ces deux extrêmes sont très à redouter, suivant les climats le premier, dans les provinces du nord ; & le second, dans celles du midi : le meilleur sol est celui qui retient une humidité convenable, & peu d’aquosité.

II. Des labours & des engrais. Dans quelque pays que ce soit, on ne sauroit trop les multiplier, ainsi que les engrais ; le point essentiel est de rendre la terre meuble, bien menuisée & sans motte, afin que la semence ne soit pas étouffée par-dessous, qu’elle germe, qu’elle lève & enfonce promptement sa racine pivotante.

Dans les provinces méridionales, où il pleut rarement pendant l’été, labourer la terre après la récolte des bleds, c’est la soulever avec peine & en gros morceaux : autant vaut-il la laisser telle qu’elle est ; mais, au contraire, si en septembre, ou dans les premiers jours d’octobre, il survient une pluie favorable, on doit alors labourer coup sur coup, jusqu’à ce que les molécules terreuses soient bien divisées, & prêtes à recevoir la semence. Les lins qu’on doit semer après l’hiver, laissent le temps & le choix des circonstances propres aux labours. (Voyez ced mot)

Toute espèce d’engrais convient au lin, pourvu qu’il soit bien consommé. L’engrais encore pailleux, & nouvellement fait, est bien peu utile, & souvent il s’oppose à la herse qui doit unir la surface du champ. D’ailleurs la combinaison savonneuse des principes graisseux, huileux & salins de l’engrais, n’est pas établie, & ne peut qu’à la longue s’établir avec les principes du sol, tandis que le lin exige une prompte & succulente nourriture. Pour juger de la nécessité de cette combinaison savonneuse, lisez les articles Amendemens, Engrais. Si on a le choix des engrais, les excrémens humains, les urines conservées dans des marres, sont à préférer à tous les autres. Au défaut de ceux-ci, ceux de moutons, de chèvres, tiennent le second rang, & après eux, celui du cheval, du mulet ; enfin, celui de vache. La colombine, réduite en poussière, & semée à la volée sur le champ, est excellente : on peut même la réserver pour la semer sur les lins hivernaux, en janvier ou en février, lorsque le temps est disposé à la pluie.

La chaux, la marne, les cendres, les deux premiers sur-tout, fournissent de bons amendemens dans les terres fortes, tenaces ; le sable, dans ce cas, n’est pas à négliger. La chaux & la marne doivent être jetées en terre avant le premier labour d’hiver, afin qu’il enterre ces substances ; afin que les pluies les dissolvent ; enfin, pour que la combinaison savonneuse soit faite au moment où l’on confie la semence à la terre. Les effets de la marne sont plus tardifs que ceux de la chaux.

J’insiste fortement sur la nécessité des engrais ; mais les meilleurs & les plus abondans produiront peu d’effets, si le sol n’est profondément défoncé avant de semer. Combien doit-on donner de labours ? Il n’est pas possible d’en prescrire le nombre ; c’est la ténacité du grain de terre qui le décide. Il faut que la terre soit émiettée comme celle d’un jardin. Cela seul doit décider du nombre des labours. Ceux qu’on donnera avant l’hiver, pour les lins à semer au printemps, prépareront cette division, & amélioreront le sol. (Voyez l’article Labour)

Les Flamands, les Artésiens sont dans l’habitude de diviser leurs champs par tables, & tout autour d’ouvrir une espèce de petit fossé ; la terre qu’ils en retirent est rejetée sur le sol de ces tables. Ces fossés servent à deux fins ; à écouler l’eau lorsqu’elle est trop abondante, ou à la retenir, en fermant la bouche du fossé, après les pluies du printemps ou de l’été. De cette manière il se trouve toujours assez d’humidité pour les racines. Cette méthode peut être très-utile dans les provinces du centre du royaume, & défectueuse dans celles du midi, puisque les pluies y sont excessivement rares depuis le mois de mai jusqu’à l’automne.

III. Du choix de la graine. L’expérience la plus constante a démontré que la graine de lin, semée trois fois de suite dans le même sol, ou dans le même canton, dégénère ; enfin, qu’il est indispensable de la renouveller. Les habitans des côtes maritimes s’en procurent facilement par le moyen des Hollandois qui la transportent dans tous nos ports. La Zélande leur en fournit beaucoup, & ils la mêlent avec celle qu’ils tirent de Riga en Livonie, ou de Liban en Courlande. Quand elle est bien choisie, qu’importe le pays où elle a été récoltée. Cela est si vrai, que nos graines de lin de France servent à régénérer l’espèce de celles du nord de l’Europe, & qu’elle réussit aussi bien en Livonie, &c. que celle de Livonie dans notre pays. Le point essentiel est la qualité de la semence, & sa transplantation d’un pays dans un autre. Il est à présumer que cette graine nous est fournie par une compagnie qui s’est appropriée ce commerce exclusivement dans le nord. Si les hommes étoient moins esclaves de l’habitude, s’ils sçavoient ou vouloient s’écarter des sentiers battus, nous aurions en France de quoi satisfaire nos besoins sans recourir à l’étranger. La Provence, le Languedoc fourniroient, à peu de frais, la Normandie, la Bretagne & toutes nos côtes de l’Océan ; celles-ci l’intérieur du royaume, & l’échange de semence d’une province à une autre, suffiroit pour l’amélioration du lin. Cette manière de voir s’éloigne des idées reçues ; malgré cela, j’ose avancer que la graine récoltée au midi, & semée au nord, doit y prospérer plus que celle du nord semée au midi. L’expérience a prouvé que le lin a très-bien réussi au Sénégal & en Amérique, il ne redoute donc pas les grandes chaleurs, pourvu que l’on donne à la terre le degré d’humidité qui lui est nécessaire. Le lin craint l’effet des grandes gelées d’hiver ; les gelées tardives du printemps lui sont funestes : donc, il y a lieu de présumer qu’il est originaire des pays chauds. Si la plante étoit indigène à nos provinces, son tissu ne seroit pas détruit par la gelée.

Si on n’est pas à portée de renouveller ses semences, on peut conserver celles de la dernière récolte, mêlée dans des sacs, avec de la paille hachée très-menu, & le tout mêlé intimement : les sacs doivent être tenus dans un lieu sec où il y ait peu de courant d’air. On garde ainsi la graine pendant un an ou deux, & par ce moyen elle reprend un peu de qualité. Cet expédient n’équivaut pourtant pas au changement de semences.

Il y a plusieurs manières de juger de la qualité des graines. L’habitude de les voir & de les comparer est la meilleure, & un Hollandois ne s’y trompe jamais. On prend une poignée, c’est-à-dire autant que la main peut en contenir, en serrant les doigts ; à mesure qu’on les serre, les graines s’échappent par en-haut & par les pointes. Si elles sont pointues & minces, la graine est pareillement mince & maigre ; si, au contraire elles sont arrondies & bien fournies, toute la graine a la même qualité. Elle doit aussi être ferme & unie. Si ses bords sont rudes, inégaux ou rongés, la graine est défectueuse. Si sa couleur n’est pas bien foncée & luisante, c’est une preuve que la graine est peu nourrie. Si on jette une petite poignée de graines dans un vase rempli d’eau, les bonnes iront à fond, & les mauvaises surnageront. Pour juger de la quantité d’huile qu’elles contiennent, il suffit de jeter une poignée de graine sur des charbons ardens, la bonne pétille & s’enflamme aussitôt. De la qualité de la graine, dépend en très-grande partie l’abondance de la récolte.

IV. De la quantité de semence à répandre sur un espace donné. Elle dépend du but que se propose le cultivateur. S’il désire avoir un lin long, fort, vigoureux, & qui produise de bonne graine, il sème moitié moins que lorsqu’il s’attache à la finesse, & à la qualité dont doit être la filasse. Le proverbe dit : Lin semé clair fait graine de commerce, & toile de ménage ; semé dru fait linge fin. Cette règle générale souffre peu d’exception ; cependant la nature du sol mérite d’être comptée pour quelque chose. Vingt-cinq livres, poids de marc, suffisent pour semer un champ de dix mille pieds de superficie, (on parle ici du pied-roi) & cinquante livres, si on veut avoir un lin bien fin. Chacun peut faire l’application de ces mesures à ses champs, parce qu’il sçait combien un arpent ou une septerée, ou une bicherée, &c. contiennent de pieds, tandis que le nom de ces mesures est inconnu à plus des deux tiers des habitans du royaume.

Dans plusieurs cantons, à la seconde, ou à la troisième récolte de lin, la coutume est établie de semer dans le même temps, c’est-à-dire au printemps, la graine de lin mêlée avec celle du grand treffle. Comme cette dernière plante prend très-peu d’accroissement, tandis que l’autre est sur pied, elle nuit bien peu à sa végétation. Cette ressource est interdite a nos provinces vraiment méridionales, & deviendroit aussi utile à celles du centre du royaume, qu’elle l’est pour les provinces du nord.

V. Des époques de semailles. On les divise en deux principales. On appelle, lin d’hiver, celui qui a été semé en septembre ou en octobre ; lin d’été, lorsqu’il a été semé en mars ou en avril, même en mai ou en juin, suivant le climat & la saison.

Plus le lin reste longtemps en terre, & plus sa filasse est fine, & meilleure en sera la graine. Ces avantages méritent une grande considération relativement à l’époque des semailles. Ni fête de saint, ni telle autre époque de la rubrique des cultivateurs ne doivent la déterminer. Cependant les semailles d’été ont lieu en général dans le courant de mars ou d’avril, au plus tard, & il est bien certain qu’en mars ou avril de l’année 1785, les semailles n’ont pu avoir lieu, à cause de la durée excessive des gelées.

Il vaut mieux différer le moment des semailles, lorsque la terre est trop humide & : le temps pluvieux. La terre seroit paîtrie par la charrue, comprimée par les herses ou par les rouleaux que l’on passe & repasse sur les sillons, après avoir semé, soit pour enterrer la graine, soit pour niveler la surface du champ. Il faut donc, autant qu’on le peut, choisir un temps sec.

Dans les provinces du midi, où l’on sème en septembre ou en octobre, on ne craint pas la trop grande humidité ; mais, en revanche, on a à redouter la sécheresse & à lutter contre la dureté de la terre, qui a été soulevée en mottes par la charrue. Le parti à prendre dans ce cas, est de faire suivre la charrue par des femmes ou par des enfans, armés d’un petit maillet de bois, longuement emmanché, avec lequel ils briseront les mottes, & les réduiront en poussière.

Un autre moyen est de labourer près-à-près, c’est-à-dire que celui qui conduit la charrue, doit lever très-peu de terre à la fois ; alors les bêtes auront moins de peine, pourront labourer plus profondément, & il y aura moins de grumeaux ; mais il y en aura toujours assez pour nécessiter l’opération du maillet.

Le champ bien labouré, avant de semer, il ne reste plus qu’à le diviser en planches d’une longueur indéterminée, sur une largeur de six à huit pieds, pour qu’on puisse les sarcler avec facilité, & ramer le lin au besoin, comme il sera dit ci-après.

Dès que les grandes chaleurs sont venues, le lin cesse de croître. Alors tous les sucs se portent à la formation & à la nourriture de la graine. Ce point de fait doit servir de règle dans chaque pays, & par conséquent fixer à-peu-près à quelle époque doivent être faites les semailles. C’est un grand avantage de semer de bonne heure, lorsque le climat & la saison le permettent.

Lorsque le grain est jeté en terre, on herse plusieurs fois de suite, les dents en bas, & on retourne la herse sur son plat, afin de mieux régaler & applanir la surface.

Plusieurs particuliers conservent une certaine quantité de paille hachée très-menu, & ils la répandent légèrement sur la terre nouvellement semée. Le but de cette opération est d’empêcher que la première pluie qui surviendra ne frappe trop la terre. Cette précaution, peu dispendieuse & peu gênante, est très-bonne, elle assure à la plante la facilité de plonger promptement le pivot de sa racine à une certaine profondeur ; ce qui la met dans le cas de moins craindre la sécheresse dans la suite, & ce qui prouve l’avantage d’avoir donné de profonds labours. En Suède on couvre la linière, nouvellement semée, avec de jeunes branches de sapin, afin de ménager la paille, & produire le même effet.

J’ai dit plus haut, qu’on pourroit semer le même champ pendant deux à trois années consécutives ; mais cela n’a lieu que pour les terreins nouvellement défrichés & dans les bons fonds de terre. Dans tout autre cas, il vaut beaucoup mieux ne semer en lin le même champ que dans un intervalle de cinq ou six ans. Une terre alternée, (Voyez ce mot) par des prairies naturelles ou artificielles, par des bleds, &c. gagne beaucoup, & devient par ce mélange de culture, très-propre à celle du lin.

VI. Des espèces jardinières du lin. On en compte trois : le lin chaud, nommé têtard dans plusieurs de nos provinces. Son caractère est de végéter rapidement, mais de s’arrêter bientôt après. Il est nommé têtard, à cause de la multitude de ses têtes. Il est plus branchu que les autres lins. Comme il graine beaucoup, on devroit le semer quand on se propose de récolter de la graine destinée à fournir de l’huile. Ce lin & les suivans sont des espèces (Voyez ce mot) jardinières du premier ordre, puisqu’elles se reproduisent les mêmes par les semis, & ne varient point ou du moins très-peu. Le lin têtard reste plus bas que les autres, il est bien difficile de le travailler sans casser ses rameaux ; alors il se rabougrit. Ce lin mûrit le premier.

Le lin froid, ou le grand lin, est, à ce que je crois, l’espèce naturelle, ou première, d’où dérive l’espèce jardinière du lin têtard & du suivant. Sa végétation est très-lente dans le commencement, mais elle est rapide dans les suites ; ses tiges sont hautes, peu chargées de semences. Ce lin mûrit plus tard que les autres lins.

Le lin moyen mûrit le second, ne croît pas si vîte que le lin chaud, mais plus vite que le lin froid ; il est peu chargé de graine ; il s’élève plus que le premier, & moins que le second.

Par un abus impardonnable, toutes les graines de ces trois espèces sont communément confondues & semées ensemble. Dès-lors le lin têtard nuit à la végétation du lin moyen, & à celle du lin élevé ; tout comme celle-ci dérange celle du têtard. Il vaudroit beaucoup mieux les séparer exactement, lors de la cueillette, pour les semer ensuite dans des champs séparés. Les vues du cultivateur seroient remplies, puisque dans une partie du champ il auroit le lin dont la graine est destinée à l’extraction de l’huile ; dans l’autre, le lin propre à la toile fine, & dans la dernière, le lin consacré à la fabrication des toiles de ménage. On dira, peut-être, qu’on sépare les pieds de ces lins, suivant l’ordre de leur maturité. Mais, peut-on lever de terre une plante mûre, sans nuire à la voisine qui ne l’est pas, sur-tout dans les lins semés épais ? C’est beaucoup détériorer sa récolte, & multiplier le travail en pure perte. Il est difficile de ne pas être réduit à cette fâcheuse extrémité, lorsqu’on achète la graine telle qu’elle est apportée par les Hollandois. Ne seroit-il pas possible qu’un cultivateur Flamand, par exemple, s’entendît avec un cultivateur Provençal, Languedocien, &c. ; & qu’après avoir, l’un & l’autre, séparé leurs graines, ils fissent un échange. Je le répéte, il est inutile de recourir à la graine de Livonie, lorsqu’on peut s’en procurer d’aussi bonne dans le royaume, & sur-tout sans mélange.

VII. De la conduite du lin semé, jusqu’à sa maturité. Les mauvaises herbes causent la destruction du lin. C’est afin d’avoir la facilité de les arracher, que le champ a dû être divisé en planches de six pieds de largeur, sur une longueur quelconque.

Le sarclage est l’occupation des femmes & des enfans, & il est important de choisir, pour cette opération, le jour qui suit la pluie ; l’herbe est mieux arrachée, & le lin renversé pendant le sarclage se relève plus facilement. Ce travail exige d’être répété aussi souvent que le besoin l’exige, sur-tout dans le commencement. Lorsque le lin est parvenu à une certaine hauteur, il ne permet plus la sortie des mauvaises plantes.

Si on a semé dru, dans l’intention de se procurer de la filasse longue & fine, il est à craindre que les plantes ne se soutiennent contre les efforts des vents ou de la pluie, sans verser. Le rapprochement des tiges les obligé à s’élancer, à devenir fluettes, à avoir peu de consistance ; enfin, à fléchir, à se couder & à se plier sur la terre ; dès lors la plante ne se relève plus, finit tristement sa végétation, & la filasse se réduit ensuite presque toute en étoupe. Afin de prévenir ces fâcheux inconvéniens, on rame les lins, non pas comme les pois, les haricots, &c, mais en croisant les tasseaux. Voici la manière d’opérer.

La finesse & le rapprochement des pieds les uns contre les autres, décident du nombre de rames dont chaque table doit être pourvue. Il vaudroit mieux les trop multiplier que d’en mettre trop peu. L’habitude de voir, de juger de la saison, instruisent le cultivateur de la hauteur à laquelle la plante s’élèvera, à peu de chose près. Il se procurera un grand nombre de petits piquets, de dix-huit à vingt pouces de hauteur, sur six, huit, dix à douze lignes d’épaisseur, & il les enfoncera en terre, à la profondeur de quatre à six pouces.

Supposons qu’une table ou planche ait six pieds de largeur, il faudra sept piquets, à la distance d’un pied les uns des autres, & il en plantera de semblables sur la même ligne que les premiers, à la distance de deux à trois pieds, en suivant la longueur de la planche. Le nombre des tasseaux, ou traverses de bois léger & mince, doit être proportionné aux besoins. Chaque tasseau sera assujetti contre tous les piquets qu’il rencontre dans son étendue, de manière qu’ils semblent former autant de petites allées, de petites séparations, de petites pallissades, qu’il y a de piquets à la tête & au bout de la planche. Voilà le lin assuré sur cette direction mais ce n’est pas encore assez. Il faut ensuite placer de nouveaux tasseaux en sens contraire des premiers, & à angles droits, de manière que lorsqu’ils seront attachés ils présenteront de petits quarrés. Ainsi les tasseaux & les piquets seront multipliés en raison de l’impétuosité des vents ou des pluies qu’on a à craindre dans le pays que l’on habite. Les ligatures seront faites avec des joncs, ou avec de la paille, ou avec de l’osier.

Les lins semés clair, ou pour la graine, ou pour la toile de ménage, n’ont pas besoin de ces secours. La finesse de la filasse du lin semé dru, dédommage des peines que l’on prend pour la rendre parfaite. Si on a la facilité de conduire l’eau sur la linière, on doit en profiter suivant le besoin ; mais jamais lorsque le lin est en fleur, lorsque l’on vise à la graine. C’est le contraire pour le lin fin & le grossier, la tige profite de la substance qui auroit servi à la formation de la graine. L’arrosement empêche les fleurs de nouer.

VIII. De l’époque à laquelle on doit arracher le lin. Chaque pays a, pour ainsi dire, une coutume différente ; il est à présumer qu’elle est fondée sur l’expérience & sur l’observation ; mais il reste le droit de demander si on a fait des expériences comparatives, afin de déterminer la méthode d’une manière précise ? Les coutumes, en général, tiennent plus à la routine qu’au discernement. Ne seroit-ce pas une des causes qui rend le lin de tel canton inférieur à tel autre, ou dont la filasse donne plus ou moins d’étoupes. Je sçais du moins que ces variations tiennent beaucoup à la culture, à la manière d’être des saisons, au grain de terre, &c. ; mais ces causes ne sont pas uniques.

On dit communément que le lin doit être arraché lorsque les tiges ont acquis une couleur jaune. Ce point de couleur est bien vague car du jaune foncé, ou du jaune tirant sur le verd ou sur la paille, combien n’existe-t-il pas de nuances intermédiaires ? Le lin qui a végété sur un sol naturellement humide, est couleur de paille dans sa maturité, & il acquiert cette couleur beaucoup plus vite que le lin provenant d’un bon fonds, & non trop humide, quoiqu’il ne soit pas encore bien mûr. Dans ce cas, la couleur paille est l’indice d’une végétation qui a été languissante. La couleur n’est donc pas un indicateur rigoureux, mais seulement elle met sur la voie de juger.

Plusieurs auteurs annoncent qu’on ne doit arracher le lin que lorsque la capsule, qui renferme les semences, s’ouvre d’elle-même ; parce qu’alors la graine est mûre. D’autres prétendent qu’il faut arracher le lin encore verd ; quelques-uns enfin, annoncent la chute des feuilles comme un signe constant de la maturité de la graine. C’est la méthode de Livonie. Tous ont peut-être raison : il ne seroit pas bien difficile de concilier ces opinions.

Le premier point à examiner par le cultivateur, est la constitution de son climat, & la nature de son sol ; & s’il veut juger avec connoissance de cause, il doit, toute circonstance égale, cueillir son lin à plusieurs reprises, & examiner, 1°. lequel rouira le mieux & le plus vite ; 2°. lequel donnera la filasse la plus longue, la plus fine & la plus forte ; 3°. lequel de ces lins produira moins d’étoupes, ou moins de déchets, lorsqu’on passera la filasse par le peigne ; 4°. lequel fournira la meilleure toile & de plus grande durée. D’après un pareil examen il prononcera d’une manière assurée, sur-tout s’il répète ses expériences de comparaison pendant plusieurs années consécutives. Plusieurs lecteurs trouveront cette marche longue, ou ennuyeuse, & auroient peut-être mieux aimé que j’eusse désigné une époque fixe, un signe certain, &c. Je leur répondrai que toute assertion générale en ce genre est abusive, par cela seul qu’elle est générale, & que je l’induirais en erreur si je lui en donnois une. D’après cet aveu, il est aisé de conclure que ce que je vais dire ne présente que de simples apperçus, qui doivent varier suivant les circonstances & les climats.

Lorsque l’on travaille principalement pour la graine, c’est le cas de récolter le lin quand les capsules sont prêtes à s’ouvrir, sans attendre qu’elles soient ouvertes, parce qu’on perdroit la majeure partie des graines.

Si on travaille pour la toile de ménage & la graine, cette époque sera un peu devancée ; mais si on a pour but la filasse fine, on n’attendra pas l’époque à laquelle la capsule froissée dans les doigts, s’ouvre & répande sa graine.

Jetons encore un coup d’œil sur la plante. La seule partie utile du lin, la semence exceptée, est la filasse ; l’intérieur de la tige est un tissu ligneux dans son genre, comme celui du chanvre, & à fibres peu serrés, le tout revêtu par l’écorce ; & entre l’écorce & la partie ligneuse, on trouve un mucilage déposé par l’ascension & la d’ascension de la sève.

Dans toutes les plantes en général la sève est très-abondante jusqu’au moment où le fruit noue, Aoute. (Voyez ce mot) À mesure qu’il mûrit, la sève a moins d’aquosité, elle est moins abondante & plus élaborée ; enfin, lorsque le fruit est mûr, la plante annuelle se dessèche, & la plante vivace se conserve jusqu’à l’hiver, ne fait plus de progrès, & il est très-rare de la voir fleurir de nouveau, parce que le but de la nature est rempli ; c’étoit la reproduction de l’individu par ses semences.

D’après ces principes généraux, & qui ne peuvent être contestés par quelques exceptions particulières, il est clair que tant que la sève aqueuse, peu élaborée, montera avec abondance dans le lin, sa fibre sera molle, & aucune de ses parties n’aura encore la consistance que l’on demande ; enfin, que la filasse se désagrégera dans la suite en passant par le peigne, & qu’elle fournira une immense quantité d’étoupes.

Si on attend la maturité complète de la graine, la sève sera très-rare, très-visqueuse ou colante, & le mucilage liera si fort l’écorce contre la partie ligneuse ou chenevotte, que malgré le rouissage, la filasse cassera net avec la chenevotte.

Entre ces deux extrêmes il y a donc un terme moyen, celui où il reste une certaine aquosité dans la plante ; alors l’écorce tient moins au bois, dont la fibre est alors moins serrée & moins desséchée ; & après le rouissage cette écorce se détache, sans peine, d’un bout à l’autre, sans casser. Si une assertion pouvoit être générale en agriculture, celle-ci le seroit relativement au lin, & au moment auquel on doit l’arracher.

Cette espèce d’incertitude sur l’époque fixe à laquelle on doit arracher le lin, prouve, de la manière la plus claire, combien il est nécessaire de semer à part le lin qu’on destine à porter la graine, & de choisir à cet effet le meilleur sol & la meilleure exposition. Cette méthode est suivie dans le Levant, & la graine qu’on y récolte vaut, pour le moins, autant que celle de Riga, si vantée. La bonne qualité de la graine dépend de la bonne végétation de la plante, & d’une bonne maturité.

IX. De la manière d’arracher le lin. Dans la graine que l’on achète, les trois espèces jardinières de lin sont pour l’ordinaire confondues ensemble. De ce mélange il résulte plus de peine & plus d’embarras pour le cultivateur : une espèce s’élève plus que l’autre, ou mûrit plutôt il faut revenir à la cueillette à plusieurs reprises différentes ; il faut donc séparer le lin fin du lin grossier, &c. Ces opérations, cette perte de temps, seroient évitées si on avoit semé séparément chaque espèce, & dans un seul jour le champ entier auroit été récolté.

Les momens sont précieux pour cette récolte, quelques jours de pluies suffisent pour la retarder ou pour gâter le lin couché sur terre, lorsqu’il a été arraché. S’il est mouillé, s’il survient du soleil, les gouttes de pluies impriment au lin des taches noires qui ne s’effacent presque plus ; tandis qu’une des premières qualités du lin fin, est d’avoir une filasse d’une grande blancheur, quand elle a été peignée.

Il résulte encore du mélange du lin têtard & du moyen, l’inégalité dans la grosseur & la longueur des tiges, de manière que la chenevotte de l’une est plus écrasée au moulin, ou par le serançoir, que l’autre ; que la filasse longue & courte, débarrassée de la chenevotte, perd beaucoup en passant par le peigne, & qu’elle est plus difficile à être bien filée, que si les brins conservoient entr’eux une grandeur & une finesse à peu près égales. L’inégalité de maturité & de qualité obligent de récolter à plusieurs reprises différentes, lorsqu’on veut se procurer une belle & bonne filasse ; enfin, elle multiplie les frais, & fait perdre beaucoup de temps. Malgré cela, il vaut mieux faire ce sacrifice que de s’exposer à avoir un mauvais mélange & a cet effet on séparera les pieds suivant leur grosseur, leur longueur & leur maturité, si la récolte se fait tout-à-la-fois, ou bien on les récoltera chacune séparément, & à l’époque où elles devront l’être ; ce qui vaut beaucoup mieux.

La manière d’arracher le lin, est par poignées, que l’on étend sur le sol, écartées les unes des autres, les têtes du même côté, & tournées vers le midi, afin que la chaleur du soleil les frappe mieux. Si on peut se procurer facilement pour ce travail des enfans ou des femmes, on les chargera de retourner ces plantes chaque jour, & ils se serviront, pour cette opération, de fourches de bois, dont les fourchons soient rapprochés. Le but de cette opération est de dessécher également la plante des deux côtés, & de lui faire perdre une partie de sa couleur, par l’action du soleil qui agit sur l’écorce comme sur la cire lors de son blanchissage.

Cette méthode n’est pas suivie par-tout. Dans quelques-unes de nos provinces, on place un certain nombre de poignées de lin les unes contre les autres, les racines en en-bas & écartées, afin que la masse réunie forme une espèce de cône. Cette manière de dessécher est fort bonne, parce qu’il s’établit un courant d’air entre chaque pied de lin. Si la saison est favorable, il ne faut que trois ou quatre jours pour mettre les capsules dans le cas de s’ouvrir & de lâcher leurs graines ; mais des paquets trop épais, trop serrés, nuiroient à la dessication des plantes de l’intérieur. Si le pays est sujet à des coups de vents, à des raffales, il faut recourir à la première de ces méthodes, & abandonner celle-ci, parce que la moindre agitation de l’air renverseroit ces espèces de petites meules, & en raison de leur dessication, feroit répandre la graine sur le sol. Dans les provinces méridionales il vaut beaucoup mieux étendre sur terre & clair, les poignées que l’on vient d’arracher,

la chaleur est assez forte pour dissiper leur air & leur eau, surabondans de végétation & de composition. Dans celles du nord, l’opération est beaucoup plus longue, & le retournement fréquent des tiges beaucoup plus nécessaire.

Après l’exsication, il vaut beaucoup mieux égrainer les tiges sur le lieu même, que les transporter entières, ou à la métairie, ou près du rouissoir, afin d’éviter la perte de celles qui tomberoient en chemin. À cet effet, on étend de grands draps sur le sol, & sur ces draps on place une espèce de banc d’une longueur proportionnée au nombre des ouvriers destinés à séparer les graines : c’est encore l’ouvrage des femmes & des enfans. De la main gauche ils saisissent une poignée de lin, du côté des racines, ils posent les têtes de la plante sur le banc, & avec un battoir de blanchissage, ils frappent sur les capsules, qui s’ouvrent & laissent tomber leurs graines sur les draps. D’autres femmes, ou d’autres enfans présentent de nouvelles poignées aux batteurs, & ceux-ci rendent les poignées battues à d’autres qui les rassemblent & les lient en bottes, de manière qu’on peut tout de suite les porter au rouissoir. L’opération, ou la journée finie, on vanne la graine, afin de la séparer des débris des capsules, & on la porte aussitôt sur les lieux où elle doit être conservée. Il est prudent, suivant les cantons, d’exposer les tiges pendant quelques jours à l’ardeur du gros soleil, afin de dissiper un reste d’humidité qui feroit fermenter le monceau, & nuiroit beaucoup à la qualité de la graine. Chaque soir on la renferme, afin de la soustraire à l’humidité de la nuit ; au serein, à la rosée, &c.

Si la saison s’oppose au dessèchement des tiges & à la séparation des graines, on transporte au logis les plantes, après les avoir bottelées ; là on les délie, on les arrange en petites meules, comme il a été dit plus haut ; en un mot, on cherche les expédiens les plus propres à accélérer leur dessication. Dans d’autres cantons, on porte sous des hangards les tiges avec leurs capsules, sans les battre, elles y achèvent leur dessication, quoique amoncelées jusqu’à un certain point. On prétend dans ces pays, que la graine & que la filasse se perfectionne sous ces hangards ; ce qui me paroît douteux. S’il reste un peu trop d’humidité, la fermentation s’excite, fait réagir le mucilage, il s’échauffe, & cette chaleur diminue la quantité de l’huile contenue dans la graine, & en détériore singulièrement la qualité. (Voyez ce qui a été dit au mot Huile) Ces monceaux de lin, non égrainés, attirent les rats, & ils y accourent en foule. Après avoir dévoré la graine, ils attaquent l’écorce, la rongent, la brisent en petits morceaux, & ces débris leur servent à former leurs nids. J’ai vu plus de demi-aune de toile suffire à peine à la texture d’un nid artistement & commodément rangé. Que l’on juge donc du dégât que les rats & les souris doivent causer dans un pareil monceau !

X. Du rouissage. En traitant du chanvre, j’ai rapporté les différentes méthodes employées à cet effet, & j’ai fait voir combien elles étoient disparâtes & fautives enfin, qu’aucune n’étoit fondée sur un principe constant & uniforme. Une circonstance particulière m’a mis dans le cas de tenter de nouvelles expériences à ce sujet, dont je rendrai compte aux mots Rouir, rouissage, rouioir.

XI. Des soins que demande le lin au sortir du rouioir. On connoît que la plante est assez rouie, lorsqu’après avoir pris plusieurs brins de différentes bottes, on essaie de les casser vers l’endroit où étoient les graines. Si la chenevotte se casse sec, si la filasse se détache aisément, depuis la racine jusqu’au sommet de la plante, c’est une preuve que le chanvre est assez roui.

Après l’avoir tiré de la fosse, il demande à être lavé à grande eau courante, afin de détacher & entraîner la portion du mucilage, dissoute par l’eau de la fosse, & qui resteroit collée contre l’écorce, sans cette précaution. Si l’eau de la fosse n’est pas courante, si elle ne se renouvelle pas perpétuellement en grande quantité, le poisson meurt, parce que l’eau se charge du mucilage qu’elle dissout, elle devient gluante, & le poisson ne peut plus respirer. On le voit alors venir à la surface chercher à respirer l’air de l’atmosphère, tandis qu’auparavant l’air contenu dans l’eau suffisoit à sa respiration.

Après ce fort lavage, on étend le lin sur terre, on le laisse exposé à toute l’ardeur du soleil, & on le retourne de temps à autre. Sa dessication est plus ou moins prompte, suivant le climat, suivant la saison, & sa manière d’être à cette époque. Dans les provinces du midi, l’opération est promptement achevée. Il n’en est pas ainsi dans celles du nord, où l’art doit venir au secours de la nature ; on y est souvent forcé de porter le lin au halloir.

Le halloir est un lieu voûté, dans lequel on a pratiqué une cheminée, afin d’attirer la fumée, & pour l’empêcher de noircir les lins. On fait dans ce halloir un feu clair, avec le bois le plus sec, ou avec des chenevottes, qui donnent peu de fumée. Les lins y sont placés sur claies, & on les en retire dès qu’ils sont bien secs, pour leur en substituer de mouillés.

Dès que le lin est sec, on le porte dans des greniers bien airés, si on est dans l’intention de réserver pour l’hiver un genre d’occupation aux femmes & aux enfans, sinon, l’on travaille tout de suite à séparer la filasse de la chenevotte.

On teille le chanvre ; mais il seroit très-difficile de teiller le lin, à cause de l’exiguïté de ses tiges. Les méthodes de séparer les chenevottes de l’écorce ou de la filasse, varient suivant les cantons.

Dans quelques endroits on se sert d’un banc de bois, bien lisse & bien uni, sur lequel on étend le lin que l’on tient de la main gauche, & de la main droite on frappe avec un battoir de blanchisseuse, afin de briser la chenevotte. Lorsqu’elle l’est au point convenable, l’ouvrier met sur le banc la partie qu’il tenoit dans la main, & la bat également. Ensuite, saisissant avec ses deux mains les extrémités de la filasse, il la passe & repasse sur l’angle du banc qui achève de briser la chenevotte, & il secoue la filasse, ne la tenant que d’une main, & les restes des chenevottes tombent sur la terre.

Dans d’autres cantons on employe une broye. (Voyez figure 11, planche VII.) Cet instrument est beaucoup plus expéditif que le premier, & mérite la préférence si l’ouvrier sçait bien le conduire. Il a l’inconvénient de casser les fils : cela est vrai, lorsque les bois ne sont pas bien unis, & lorsque leurs arrêtes sont trop vives. Ici, au lieu du battoir dont on a parlé plus haut, on se sert d’un couteau de bois arrondi, nommé espadon, avec lequel on frappe sur le lin ; il a un pouce d’épaisseur. Là, cet espadon est de trois pouces d’épaisseur. Toutes ces méthodes ne me paroissent pas aussi utiles que celle dont on se sert en Livonie, & dont je vais tirer la description des mémoires de la Société d’Agriculture de Bretagne. On doit à M. Dubois de Donilac de nous l’avoir fait connoître.

La broye des Livoniens est semblable à la nôtre, (Voyez figure 11) depuis l’axe jusqu’à la longueur des mâchoires ; l’autre moitié de la longueur, depuis l’axe jusqu’au manche, est pleine & taillée en goutières correspondantes, ensorte que la mâchoire de dessus s’applique sur celle de dessous, & qu’elles se touchent dans toutes leurs parties, parce que les angles saillans des goutières d’une des mâchoires, répondent aux angles rentrans de l’autre. Ces angles sont à-peu-près de soixante degrés, & l’arrête en est mousse.

La différence de la broye des Livoniens d’avec la nôtre, n’auroit-elle pas pour but deux opérations séparées ? La première consiste à broyer la filasse lorsqu’elle tient encore à la chenevotte, & la partie des deux mâchoires, qui est vuide, paroît destinée à cet usage. Comme cette opération demande évidemment plus de force que celles qui suivent, aussi la partie qui lui est destinée, est-elle du côté de l’axe qui réunit les deux mâchoires ; c’est là qu’avec un moindre effort la pression a infiniment plus de puissance, & que le coup qui pourroit détruire le filament, en a infiniment moins. C’est donc là qu’il faut engager le lin, dans le temps où l’on veut briser la chénevotte, sans que le filament soit attaqué.

Lorsque la chenevotte est brisée, & que la filasse en est presqu’entièrement séparée, il reste à l’en purger tout-à-fait, & à l’assouplir. Pour cet effet, on engage la filasse entre les goutières correspondantes des mâchoires inférieures & supérieures ; elle ne peut y éprouver qu’un frottement assez léger, puisqu’alors elle est près du manche que tient l’ouvrier, & loin de l’axe. Ainsi, en la faisant glisser entre les goutières, tandis que les mâchoires sont un peu pressées l’une contre l’autre, la filasse doit être assouplie dans toute sa longueur, sans être exposée à ces ruptures continuelles qu’elle éprouve lorsqu’on l’assouplit d’une autre manière, ou par la broyé ordinaire.

La Livonie est d’une si grande étendue, qu’il n’est pas surprenant qu’on y employé des moyens différens pour la préparation des lins & des chanvres. M. Dubois de Donilac y a vu exécuter, en très-peu de temps, un travail qui est très-long & très-dispendieux en France. Ce sont des moulins qui broyent le lin & les chanvres, & on prétend que les lins & chanvres préparés par eux, se vendent quinze à vingt pour cent plus chers que ceux qui ont été broyés ou teillés. Ces machines, ou en bois ou en pierre, & plus souvent en pierres, sont mues ou par l’eau, ou par le vent, ou par un cheval ; ainsi on peut en faire usage dans toutes les positions. C’est en général une aire circulaire, terminée par un rebord de dix-huit pouces de hauteur. Cette aire est un plan incliné d’environ six pouces du centre à la circonférence ; une pierre un peu élevée & percée dans son milieu occupe le centre ; elle est destinée à recevoir une pièce de bois posée verticalement. On assemble à cette pièce de bois une barre de fer, qui traverse une pierre qui a la forme d’un cône tronqué ; cette pierre doit être non-seulement unie, mais adoucie, afin qu’en brisant par son poids la chenevotte sur laquelle on la fait rouler, la filasse ne soit ni coupée, ni altérée par les angles multipliés d’une surface raboteuse. Le chanvre ou le lin est étendu sur l’aire circulaire, en plaçant le gros bout des tiges du côté de la circonférence, & le petit bout du côté du centre. Si c’est du lin qu’on veut broyer, on en étend deux rangs l’un au bout de l’autre, afin que toute la surface de l’aire en soit couverte. Une épaisseur de trois, quatre ou cinq pouces suffit d’abord. On fait tourner la pierre, qu’on peut regarder ici comme une meule. Après une douzaine de tours, la couche de chanvre ou de lin s’affaisse sensiblement ; on arrête le moulin pour mettre une seconde couche sur la première, & enfin une troisième.

Pendant l’affaissement qui se fait à chaque couche, un ouvrier, armé d’une fourche à trois branches, suit la meule, & retourne les brins de lin ou de chanvre. L’opération de tourner & de retourner se continue jusqu’à ce que la chenevotte soit brisée, & que les particules qui en restent soient peu adhérentes au filament. On les retire alors de dessus l’aire, & il suffit de les secouer par poignées d’une médiocre grosseur, pour faire tomber toute la chenevotte.

La filasse dans cet état n’a besoin que d’être peignée pour être portée à sa perfection. Il est d’usage en Livonie de la faire un peu sécher dans le four, pour que le travail du peigne n’en diminue pas la longueur. Il est essentiel de ne l’exposer qu’à une chaleur très-douce. On arrange la filasse dans le four sur des claies de bois, & à plat.

L’usage des Livoniens est de commencer à broyer à cinq heures du matin & de finir à minuit. Pendant ce temps on broye ordinairement, dans un moulin qu’un cheval peut mouvoir, quatre ou cinq pierres de chanvre ou de ljn, M. de Donilac pense que chaque pierre répond à-peu-près à trois cens livres de France, poids de marc. Ce travail ne demande chaque jour que deux à trois chevaux, qui sont successivement attelés. Deux hommes suffisent pour gouverner la machine ; ils s’employent alternativement à retourner le lin & à faire marcher le cheval.

Il est aisé de sentir quelle épargne on feroit sur la main d’œuvre avec ces moulins ; nos meilleurs ouvriers broyent & broyent mal environ douze livres de chanvre par jour ; ainsi il faudroit en employer cent douze pour que leur travail fournît treize cens cinquante livres de filasse, qui sont la quantité moyenne entre douze & quinze cent livres pesant, que broyent les moulins des Livoniens.

J’ai vu dans plusieurs endroits du royaume, par exemple, à Vienne en Dauphine, des moulins à-peu-près semblables ; mais on ne s’en sert que pour broyer le chanvre après qu’il a été teillé. Ce broiement fait élever une poussière très fine, qui se répand dans tout le moulin, qui cause de violens picotemens à la gorge & à la poitrine : dans ce cas, il y a donc une opération de trop dans cette méthode, celle de teiller le chanvre & de broyer le lin avec la broye ordinaire, ou avec l’espadon ou le battant sur une pièce de bois.

Pour mieux connoître les détails des préparations du lin après qu’il a été roui, Voyez la Planche VII, page 284, que j’ai prise dans la première édition de l’Encyclopédie.

Cette planche représente l’atelier des espadeurs, dont le mur du fond est supposé abbatu, pour laisser voir dans le lointain les premières préparations, fig. 1. Routoir Q où l’on a mis le chanvre ou le lin. Plusieurs hommes sont occupés à le couvrir de planches & à charger ces planches de pierres, pour tenir le chanvre au fond de l’eau & l’empêcher de surnager.

2. Ouvrier qui passe le lin sur l’égrugeoir R, pour détacher le grain qui y reste attaché.

3. Le haloir T. C’est une espèce de cabanne, où l’on fait sécher le chanvre en le posant sur des bâtons au-dessus d’un feu de chenevottes. Comme la blancheur du lin est un de ses principaux mérites, on doit préférer le haloir dont nous avons parlé.

4. Une femme S qui teille le chanvre, c’est-à-dire qui, en rompant le brin, sépare l’écorce du bois.

5. Ouvrier qui rompt la chenevotte avec les deux mâchoires de la broye U.

6. Ouvrier qui espade, c’est-à-dire, qui frappe avec l’espadon Z sur la poignée de chanvre ou de lin N qu’il tient dans l’entaille demi-circulaire de la planche verticale du chevalet Y.

7. Ouvrier qui, pour faire tomber les chenevottes, secoue contre la planche M du chevalet la poignée de lin qu’il a espadée.

8. Autre espadeur qui fait la même opération sur l’autre planche verticale du chevalet.

9. Bas de la Planche. L’égrugeoir dont se sert l’ouvrier de la figure 1 ; l’extrémité de cet instrument, qui pose à terre, est chargée de pierres pour l’empêcher de se renverser.

10. Mâchoire supérieure de la broye, vue par-dessous. On voit qu’elle est fendue dans toute sa longueur pour recevoir la languette du milieu de la machoire inférieure, & former avec celle-ci deux languettes ou tranchans mouises, propres à rompre & à briser la chenevotte.

11. La broye toute montée ; la mâchoire supérieure est retenue dans l’inférieure par une cheville qui traverse tous les tranchans.

12. Chevalet simple X, le même que celui cotté X dans la vignette.

13. Chevalet double Y Y, le même que ceux cottés M Y dans la vignette.

14. Élévation d’une des planches du chevalet, soit simple, soit double.

15. Élévation & profil d’un espadon, vu de face en A & de côté en B.

Au mot Chanvre, j’ai donné le procédé du prince de Saint-Sévère pour le préparer & le rendre aussi beau que celui de Perse ; je crois qu’on pourroit faire usage de ce procédé pour le lin ; cependant j’avoue que je ne l’ai pas essayé. On trouve dans les Mémoires de l’Académie de Stockolm un procédé pour rendre le lin aussi beau que le coton ; je vais le rapporter, il est de M. Palmquist, & il revient à-peu-près, quant au fond, à celui du prince de Saint-Sévère.

On prend une chaudière de fer fondu ou de cuivre étamé, on y met un peu d’eau de mer ; on répand sur le fond de la chaudière parties égales de chaux & de cendres de bouleau ou d’aune. (Toute autre cendre de bois qui n’aura pas floté sera aussi bonne) Après avoir bien tamisé chacune de ces matières, on étend par-dessus une couche de lin, qui couvrira tout le fond de la chaudière. On mettra par-dessus assez de chaux & de cendres pour que le lin soit entièrement couvert ; on fera une nouvelle couche de lin, & on continuera de faire ces couches alternatives jusqu’à ce que la chaudière soit remplie à un pied près, pour que le tout puisse bouillonner. Alors on mettra le feu sous la chaudière, on y remettra de nouvelle eau de mer, & on fera bouillir le mélange pendant dix heures, sans cependant qu’il sèche ; c’est pourquoi on y remettra de nouvelle eau de mer à mesure qu’elle s’évaporera. Lorsque la cuisson sera achevée, on portera le lin ainsi préparé à la mer, & on le lavera dans un panier, où on le remuera avec un bâton de bois bien uni & bien lisse. Lorsque le tout sera refroidi au point de pouvoir le toucher avec la main, on savonnera ce lin doucement, comme on fait pour laver le linge ordinaire, & on l’exposera à l’air pour qu’il se sèche, en observant de le mouiller & de le retourner souvent, sur-tout lorsque le temps est sec : on le battra, on le lavera de nouveau, & on le fera sécher. Alors on le cardera avec précaution, comme cela se pratique pour le coton, ensuite on le mettra en presse entre deux planches, sur lesquelles on placera des pierres pesantes. Au bout de deux fois vingt quatre heures, ce lin sera propre à être employé comme du coton.


§. III. De la graine de lin, relativement au commerce.


On a vu, par ce qui a été dit, comment la graine de lin devient un objet intéressant pour le commerce ; comme on l’a fait circuler du nord au midi & du midi au nord, par rapport à la nécessité où l’on est de changer les semences destinées à semer. Quoique cet objet soit très-important, on peut se passer du secours intéressé des Hollandois, en échangeant les semences d’une de nos provinces du midi avec celles d’une de nos provinces du nord, & ainsi tour-à-tour ; il ne s’agit dans chaque endroit que de bien cultiver la linière destinée à la graine.

Le second objet de commerce est l’huile qu’on retire du lin, objet bien plus important que le premier, & dont la préparation semble être presque confinée dans nos provinces de Flandres & d’Artois. Les Hollandois achettent la graine dans nos provinces maritimes, en retirent l’huile chez eux, & nous revendent ensuite cette huile. D’où peut provenir sur ce sujet une pareille indifférence de notre part ?

J’en ai cherché pendant long-temps les motifs, & j’ai cru appercevoir que ce vice anti-économique tenoit au peu de force, au peu d’énergie des machines que nous employons pour extraire l’huile des graines. En effet, si on compare nos pressoirs, nos moulins à ceux des Hollandois, il est facile de voir que d’une masse donnée de graine, les Artésiens, les Flamands & les Hollandois sur-tout, retireront une plus grande quantité d’huile, & à beaucoup moins de frais ; dès-lors notre main d’œuvre n’a pu soutenir la concurrence, & nous avons mieux aimé leur vendre nos graines, que de songer à perfectionner nos machines. À l’article Moulin, je donnerai la description de celui employé par les Hollandois, bien plus expressif & expéditif que celui des Flamands & des Artésiens.

Je ne répéterai pas ici ce que j’ai déjà dit sur la fabrication de l’huile. (Voyez ce mot) Je me contente de remarquer que la coutume de la retirer au moyen de deux plaques échauffées par l’eau bouillante, est vicieuse, & que cette chaleur fait réagir sur l’huile grasse l’huile essentielle ; enfin qu’elle contracte promptement une odeur & un goût forts. Cette qualité défectueuse est indifférente lorsque l’huile doit être employée dans les arts, mais il n’en est pas ainsi lorsqu’elle doit servir aux apprêts des alimens. La difficulté d’extraire l’huile avec de mauvais pressoirs, fait recourir à l’usage des plaques chaudes.

La graine de lin ne doit être renfermée dans des sacs, ou amoncelée, que lorsqu’elle est parfaitement sèche ; elle demande encore à être tenue dans un lieu bien sec & exposé à un courant d’air. Si on la ferme humide, elle fermente, s’échauffe, & l’huile qu’elle renferme se vicie, (Voyez le mot Huile) & diminue en quantité. L’écorce qui revêt l’amande de la graine est remplie de mucilage ; on peut s’en convaincre en jetant quelques graines dans l’eau, & on verra bientôt se former tout autour une espèce de gelée, & si l’on met beaucoup de graines, l’eau deviendra mucilagineuse & gluante. Or, si l’eau a la faculté de détruire ce mucilage, l’humidité de l’atmosphère a donc en partie sur lui la même action ; de-là résulte la nécessité de tenir la graine dans un lieu sec & exposé à un courant d’air qui dissipe l’humidité. D’ailleurs, l’état alternatif de siccité & d’humidité qu’éprouveroit la graine, nuit à sa conservation, à la qualité & à la quantité de l’huile.


§. IV. De la graine de lin, relativement à la médecine.


La graine est la seule partie du lin, employée en médecine ; elle donne une huile, un suc gluant, mucilagineux & fade ; elle est émolliente par excellence, béchique, antiphlogistique.

La décoction des semences diminue sensiblement l’ardeur d’urine quelquefois occasionnée par l’application des mouches cantharides ; & le pissement de sang, causé par les mouches cantharides prises intérieurement ; l’ardeur d’urine par l’inflammation du col de la vessie ou de l’urètre ; l’ardeur d’urine par âcreté des urines ; elle augmente le cours de ce fluide, suspendu par un état inflammatoire. Le mucilage des semences soulage quelquefois dans la phtisie pulmonaire essentielle, dans l’asthme convulsif & la toux catarrhale : plusieurs médecins préférent la décoction édulcorée avec le miel blanc… Extérieurement, le mucilage appaise les douleurs hémorroïdales ; il est nuisible sur les tumeurs inflammatoires & sur les brûlures récentes. L’huile de lin par expression, en onction, relâche les tégumens, mais elle ne guérit point les douleurs des articulations, les mouvemens convulsifs, ni les taches de la peau… Intérieurement, elle fait quelquefois mourir les vers ascarides, cucurbitins & lombricaux ; elle calme les coliques causées par des substances vénéneuses, comme la plupart des huiles par expression.

On prescrit les semences du lin depuis demi-dragme jusqu’à demi-once, en décoction dans huit onces d’eau ; l’huile se prend intérieurement depuis deux jusqu’à quatre onces, & en lavement à la dose de huit onces. Il est très-essentiel de se servir de l’huile tirée tout récemment.

Pour l’animal, la dose de l’huile de lin est de quatre onces ; celle des graines est d’une à deux onces par trois livres de décoction ou de boisson, La graine moulue & réduite en farine est émolliente & macération, & on s’en sert pour les cataplasmes.


  1. Note de l’Éditeur. Ceci paroît contradictoire avec ce qui est dit plus haut sur le temps de sa germination.