Cours d’agriculture (Rozier)/OSERAIE

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 342-345).


OSERAIE, lieu planté d’Osiers.

L’osier est une espèce de saule. Nous aurions pu renvoyer à ce mot ; mais comme sa culture & ses usages sont différens de ceux du saule, il vaut mieux en faire un article séparé.

Tournefort place l’osier dans la sixième section de la dix-neuvième classe des arbres à fleurs mâles séparées des fleurs femelles, & sur des pieds différens ; & il l’appelle salix sativa lutea folio crenato. Von-Linné le nomme salix vittelina, & le classe dans la diœcie diandrie. Cette espèce est connue en plusieurs endroits sous le nom d’amarine.

Fleur, à chatons mâles ou femelles sur des pieds différens ; les fleurs mâles composées de deux étamines insérées sur un nectaire en forme de glande cylindrique & tronquée ; chaque fleur disposée le long d’un chaton écailleux, sous une écaille oblongue ; les fleurs femelles rassemblées sur un chaton semblable, & composées d’un pistil dont le stigmate est divisé en deux.

Fruit ; capsule ovale, terminée tu pointe, à une seule loge, à deux valvules, s’ouvrant par le haut & se recourbant des deux côtés ; elle renferme plusieurs petites semences ovales, couronnées d’une aigrette simple & hérissée ; qu’on appelle coton.

Feuilles ; dentées en manière de scie, ovales, aiguës, lisses, les dentelures cartilagineuses, & les pétioles qui les soutiennent sont parsemés de petits points calleux.

Racine ; ligneuse, rameuse, à fibres jaunes.

Port. L’osier s’élèveroit en petit arbre, si on élaguoit ses branches inférieures ; mais on le tient communément ravalé à un pied près de terre, afin qu’il forme une souche & produise beaucoup de rameaux. L’écorce des tiges est jaune dans cette espèce, & rouge dans une de ses variétés. Au mot saule il sera question des espèces de saule que l’on confond mal à propos avec l’osier.

Dans les pays de vignobles, & surtout dans ceux où la vigne est attachée à des échalas ou à un treillage, l’osier est très-recherché par les vignerons & par les tonneliers. Les vignerons profitent des journées pluvieuses de l’hiver & des soirées pour refendre les osiers & les rendre propres à attacher la vigne, ou les cerceaux des tonneaux. Avec un couteau ils font une incision en croix sur le gros bout de la tige, s’il est gros, ou une seule incision, s’il est foible : de la main gauche ils tiennent deux morceaux de fer ou de bois dur & tranchant ; l’inférieur placé entre le doigt index, le pouce & le doigt du milieu ; le supérieur porte sur l’inférieur, & il est retenu d’un côté par le pouce, & de l’autre il appuie contre les trois premiers doigts. La partie en croix de ces deux morceaux correspond aux quatre ouvertures béantes du bout de la tige ; alors il les saisit avec la main droite & les deux mains tirent, la droite en haut & la gauche en bas, ce qui divise la tige en quatre ; si les morceaux sont encore trop gros, on les soudivise en deux. Les plus longs sont destinés pour les grands treillages, & mis dans des paquets séparés ; les moyens pour les tonneliers, & les plus petits pour les vignes à petits échalas : de cette manière rien n’est perdu, & presque jusqu’aux plus petits rameaux de l’osier tout est employé utilement. Le débit en est prodigieux dans les ports de mer, parce que la majeure partie des marchandises de mer est expédiée dans des tonneaux. On fait même des pacotilles d’osier pour nos îles, afin de ne pas être obligé d’y employer les lianes du pays qui ne durent point assez & qui lient mal. Enfin, les Hollandais qui ne rejettent aucune branche du commerce, en apportent dans les ports de nos provinces méridionales. Le Proverbe dit qu’un pied d’osier vaut mieux que deux pieds de vignes, & qu’année commune il rend plus que trois ceps. Les vanniers en consomment beaucoup, ils emploient l’osier avec son écorce pour es corbeilles communes quand ils n’ont pas d’autres rameaux de saule ; l’osier écorcé sert aux ouvrages plus délicats. Ils disposent en bottes les osiers coupés, & la botte est liée & tenue dans un endroit humide, dans une cave, jusqu’à ce que les osiers poussent des feuilles & soient en sève. Alors passant chaque brin dans une mâchoire de bois, & à plusieurs reprises, l’écorce est enlevée ; il faut auparavant avoir séparé tous les petits rameaux des tiges : après cette opération, les tiges sont bottelées de nouveau, & serrées par trois liens à des hauteurs différentes, afin qu’elles ne se déjettent pas. Lorsque l’on veut s’en servir, on les met tremper dans l’eau.

Plusieurs écrivains ont avancé que le sol de l’oseraie devoit être perpétuellement humide ; l’expérience dément cette assertion, & prouve, au contraire, qu’un terrain trop humide nuit à la végétation de l’osier, & lui donne la qualité de gras & de mal liant, dénomination employée par les tonneliers & par les vignerons. La meilleure oseraie est celle dont le sol qui approche des racines est toujours un peu humide, mais non pas aqueux. L’osier ne végète pas mal dans les terres fortes & substantielles ; elles retiennent assez d’humidité. Il prospère dans la terre des jardins lorsqu’il est arrosé au besoin. Il réussit très-mal dans les provinces du midi, à moins qu’il ne soit planté près d’une fontaine, d’un ruisseau, ou dans un bas-fond un peu humide.

Il y a plusieurs manières de planter l’osier. Ln première est d’ouvrir des fossés de deux pieds de profondeur sur autant de largeur, & d’y placer à trois ou quatre pieds de distance les tiges, de manière que l’extrémité inférieure de la tige touche un des côtés du fossé, qu’une partie soit couchée sur le fond, & que l’autre soit redressée contre la partie opposée du fossé, & la surmonte de douze à dix-huit pouces. Dès que la tige est ainsi disposée, on remplit la fosse de terre, en observant de ne pas déranger la disposition de la couche. Dans peu la partie horizontale du fond de la fosse se garnira de chevelus. Suivant la grandeur qu’on désire à l’oseraie, on proportionne le nombre des fossés de manière qu’il se trouve au moins trois pieds de distance, encore mieux quatre pieds, entre chaque tige plantée en quinconce. Cette méthode est dispendieuse, j’en conviens, mais dans peu d’années, elle dédommage amplement des avances. La plante trouve une terre bien remuée, les racines pullulent & s’étendent sans peine, & la végétation des branches est proportionnée à la vigueur des racines.

La seconde méthode, plus simple, plus expéditive, & infiniment moins coûteuse, consiste à ouvrir un trou de deux pieds de profondeur, ou avec un piquet pointu, en y frappant dessus, ou avec une barre de fer, & on élargit ce trou autant qu’on le peut, en tournant sur elle-même la barre de fer. Ce trou, plus large au sommet qu’à la base, facilite le placement de l’osier & l’introduction d’une terre fine jusqu’à son fond ; ensuite, avec la même barre de fer on serre cette terre contre le pied de l’arbrisseau jusqu’à ce que l’on soit parvenu à combler le trou jusqu’à l’orifice : s’il reste en dedans des cavités, des espaces sans terre, la reprise sera difficile.

Les plantations ont lieu depuis le commencement de novembre jusqu’à la fin du même mois, & on fait très-bien d’attendre que les feuilles soient tombées. Si on plantoit plutôt, le bois ne seroit pas assez mûr ; lorsqu’on plante après l’hiver, comme on quelquefois obligé, la reprise n’est y est pas assurée, les pluies d’hiver tassent la terre contre le pied, & la végétation des racines commence là où le froid ne pénètre pas. Consultez au mot Amandier, les belles expériences de M. Duhamel.

Si le sol est assez mou, on peut avec la main, enfoncer l’osier à la profondeur de deux pieds ; mais il est à craindre d’endommager l’écorce.

La tige d’osier que l’on plante d’une manière ou d’une autre, doit avoir un demi-pouce de grosseur par le bas, & être bien saine : on la coupe à un pied au dessus du sol, quelques-uns lui laissent deux pieds ; je n’en vois pas la raison.

Si on ne veut pas endommager le pied, on ne commencera la première coupe des rameaux qu’après la seconde & même après la troisième année de sa plantation : cependant, si pendant cet intervalle, un rameau prenoit une croissance trop forte, trop rapide, s’il affamoit tous les rameaux voisins, il conviendroit de le ravaler à la fin de l’année près du tronc, afin de le forcer à jeter des rameaux latéraux & en grand nombre.

Après la seconde ou troisième année, on commence, aussi-tôt que les feuilles sont tombées, à couper, avec une serpette, les rameaux un à un, & le plus près du tronc qu’il est possible, afin de le forcer à faire souche. La plaie se recouvre au printemps suivant, par l’extension nouvelle de l’écorce qui forme bourrelet, (voy. ce mot) & de ce bourrelet s’élancent les nouveaux rameaux. Cette opération se répète chaque année, avec le même soin & à la même époque.

Pour entretenir une oseraie est bon état, la terre demande à être travaillée aussi souvent que celle de la vigne, c’est-à-dire, au moins trois fois dans l’année, & à être sarclée rigoureusement, sur-tout au printemps. Pendant le reste de la saison, l’ombre de ses rameaux détruit les mauvaises plantes.

Si un pied vient à périr dans l’oseraie, on fait un provin (voyez ce mot) avec un rameau le mieux placé & le mieux venant, & on ne le sépare du tronc qu’après la seconde année ou après la première, si on est assuré qu’il ait poussé des racines en nombre suffisant pour le nourrir. On perpétue de cette manière les oseraies, & chaque provin demande du fumier.

Il est facile de former des haies avec des osiers, sur-tout si le sol leur convient : ces haies sont très productives. Après avoir planté, on ne laisse sur chaque pied pousser que deux rameaux, le même nombre l’année suivante, & on les conduit ainsi qu’il a été expliqué au mot haie. Lorsqu’elles une certaine hauteur, elle ne présente plus qu’une tapisserie de rameaux qui sortent de toutes parts. Les jardiniers les dirigent de la même manière en portiques, dont l’effet est assez pittoresque.