Cours d’agriculture (Rozier)/OLIVE. OLIVIER. OLIVETTE.

Hôtel Serpente (Tome septièmep. 189-275).


OLIVE. OLIVIER. OLIVETTE. Le premier est le fruit ; le second, l’arbre ; le troisième, le champ planté d’oliviers.

Tournefort place l’olivier dans la seconde section de la vingtième classe destinée aux arbres à fleurs d’une seule pièce, dont le pistil devient une baie remplie d’une semence osseuse, & il l’appelle olea sativa. Von-Linné le classe dans la diandrie monogynie, & le nomme olea Europæa.

Plan du travail.
CHAPITRE PREMIER. De l’olivier et de ses espèces,
Page 190
Sect. I. De l’olivier sauvage,
ibid.
Sect. II. Des espèces jardinières ou cultivées,
191
CHAP. II. Du climat & du sol convenable à l’olivier,
202
CHAP. III. De la végétation de l’olivier,
207
CHAP. IV. De la manière de multiplier les oliviers et de ses pépinières,
211
Sect. I. Du sol des pépinières,
ibid.
Sect. II. De la multiplication des oliviers,
212
§. I. Par semis,
ibid.
§. II. Par les branches,
214
§. III. Par les rejetons,
215
§. IV. Par les racines,
216
§. V. Par la suppression du tronc,
217
CHAP. V. De l’éducation des oliviers en pépinières,
ibid.
CHAP. VI. Du manuel de la transplantation,
220
Sect. I. De la transplantation,
ibid.
Sect. II. De la forme & de la grandeur des trous,
223
Sect. III. De la manière et de l’époque de planter,
224
CHAP. VII. De la conduite de l’olivier après sa plantation,
230
Sect. I. Du soin des fosses,
ibid.
Sect. II. Des travaux au pied de l’arbre,
231
Sect. III. De l’époque à laquelle on doit semer,
233
CHAP. VIII. De la taille de l’olivier,
239
Sect. I. D’après quels principes doit-on tailler,
240
Sect. II. À quelle époque doit-on tailler,
244
§. I. Doit-on tailler tous les ans ou tous les deux ou trois ans,
ibid.
§. II. Dans quelle saison de l’année doit-on tailler,
248
Sect. III. Comment doit-on tailler,
249
CHAP. IX. De la greffe des oliviers,
254
CHAP. X. De la récolte des olives,
256
CHAP. XI. Observations sur les parties du fruit qui fournissent de l’huile,
259
CHAP. XII. Des insectes qui attaquent les oliviers,
263
CHAP. XIII. Existe-t-il des moyens de détruire ces insectes,
273


CHAPITRE PREMIER.

De l’olivier & de ses espèces.


Il est inutile de faire l’éloge de cet arbre précieux ; olea prima omnium arborum est, disoit avec raison Columelle. Aucune huile ne peut être comparée à celle de son fruit ; le marc qu’on en retire engraisse les oiseaux de basse-cour ; l’émondage de ses rameaux nourrit les troupeaux ; ses branches, son tronc brûlent très-bien, quoique verts ; cet arbre se multiplie de lui-même par les pousses qui s’élancent de ses racines, de leur collet, & de son tronc ; mais il craint les grands froids.

Je le crois originaire d’Égypte, d’où il a été transporté en Grèce, & la colonie des Phocéens qui s’établit à Marseille, enrichit son territoire d’un arbre qui y étoit inconnu avant eux. Marseille envoya ensuite une colonie bâtir la ville d’Agde ; & il y a beaucoup d’apparence que ces nouveaux colons transportèrent avec eux les oliviers en Languedoc. Quoi qu’il en soit, on ne peut à cet égard, établir que des conjectures ; mais la preuve la plus claire que cet arbre précieux n’est pas naturel à ces provinces, c’est qu’il y souffre dès que les froids y sont rigoureux, & l’hiver de 1709 y fit mourir presque tous les oliviers.

Section Première.

De l’olivier sauvage, en latin oleaster.

Je le regarde comme le type de tous les autres oliviers, l’espèce primitive à laquelle reviennent toutes les espèces cultivées lorsque l’on prend la peine d’en semer les noyaux, ou lorsque les oiseaux, après avoir dévoré la chair du fruit, laissent tomber son noyau sur la terre, ou lorsqu’ils le rendent avec leurs excrémens. Tel est l’arbre venu de semences que l’on trouve dans les lieux incultes, il se multiplie dans les maquis de Corse, & dans plusieurs lieux incultes de Provence & de Languedoc, &c. Les corses sont dans la ferme persuasion qu’il est inutile de multiplier cet arbre, & que c’est le travail des oiseaux. Passe encore s’ils prenoient la peine de le nettoyer, de l’élever parmi les broussailles, de le transporter ensuite dans un champ cultivé, & enfin de l’y greffer. Les oiseaux seroient les pourvoyeurs, & eux, en qualité de cultivateurs, en auroient tout le bénéfice. C’est l’olea silvestris, Gouan.

Fleur blanche petite, d’une seule pièce : le tube cylindrique, de la longueur du calice ; la corolle plane, divisée en quatre découpures presque ovales & un peu concaves ; deux étamines opposées, appuyées sur la corolle, garnies d’anthères jaunes ; un seul pistil s’élance du fond du calice, & son stigmate est divisé en deux à son sommet : le calice est d’une seule pièce, petit, en tube, divisé en quatre.

Fruit charnu, à noyau, à une seule loge, à écorce lisse ; d’abord vert, ensuite rougeâtre, brun-violet & noirâtre, suivant les différens degrés de maturité ; le bois du noyau est très-dur, & il renferme une amande douce.

Feuilles simples, entières, en forme de fer de lance, épaisses, dures, d’un vert pâle obscur en dessus, blanchâtres en dessous, garnies d’une nervure saillante en dessous, & sur toute leur longueur.

Racines pivotantes quand le sol leur convient, ordinairement horizontales, très-alongées, chargées par-ci par-là de chevelus. Son écorce est d’un jaune brun, parsemée de taches rondes proéminentes & d’une couleur moins foncée. La naissance des racines ou collet est pour l’ordinaire hors de terre lorsque l’arbre a acquis une certaine grosseur. Est-ce le collet qui s’élève naturellement, ou bien est-ce le niveau de la terre qui s’est affaissé ou qui a été entraîné par une cause ou par une autre ? Je crois cette dernière proposition plus probable que la première. Les collets de terre sont très-communs sur les coteaux, & je n’en ai presque jamais vu dans les plaines qui ne sont pas sujettes aux inondations, & où la superficie du sol ne peut pas être entraînée par les pluies.

Port ; arbre de moyenne grandeur, à tige droite pour l’ordinaire, à écorce lisse quand il est jeune, raboteuse, gercée & écailleuse quand il est vieux. Le bouton à fleur s’annonce de bonne heure, souvent en avril, toujours en mai, & il épanouit à la fin de mai ou en juin, suivant les climats. Les espèces jardinières (voyez ce mot) dont il sera question ci après, varient beaucoup pour l’époque de fleuraison ; les fleurs naissent des aisselles des feuilles, disposées en épis ou grappes, portées sur un pédoncule commun ; elles sont quelquefois, mais rarement, solitaires ; les feuilles sont opposées.

Von Linné décrit encore deux espèces premières d’olivier. L’une est l’olivier du Cap. Olea Capensis, dont les feuilles sont ovales, & l’autre est l’olivier de la Caroline, olea Americana, dont les feuilles sont lancéolées-elliptiques, à fruit violet & à baies pourprées. Comme ces deux espèces ne sont pas intéressantes pour le cultivateur, il est inutile d’entrer à leur sujet dans un plus grand détail. Je les cite pour qu’on ne dise pas que je les ai oubliées.

Section II.

Des espèces jardinières[1].

Il y auroit un moyen sûr de parvenir à une bonne classification de ces espèces jardinières. Il faudroit qu’un particulier fût assez riche pour faire le sacrifice d’un champ, & assez jeune pour être en état de suivre son entreprise. Alors il feroit venir des principaux cantons de la Provence, du Comtat d’Avignon, du bas-Dauphiné, & du Languedoc, les différentes espèces d’oliviers qu’on y cultive. Il les planteroit par ordre dans ce champ, & lorsque les arbres commenceroient à fleurir & à fructifier, il compareroit les espèces & établiroit une synonymie sûre. Il est étonnant que les états de Provence & de Languedoc n’aient pas encore tenté cette opération ! La protection, il est vrai, pourroit la faire échouer par le choix de la personne à laquelle on la confieroit, mais si trois ou quatre particuliers dans des cantons différens de la province, en étoient chargés, alors l’émulation & l’intérêt concourroient à la faire réussir. Sans une synonymie exacte, comment pouvoir se faire entendre d’un bout de la province à l’autre ? Dès-lors il faut se contenter d’écrire des généralités, & les généralités sont peu instructives. J’ai vainement tenté de faire cette collection ; à prix d’argent il ne m’a pas été possible de me procurer des sujets, & personne n’a voulu m’aider.

Un second avantage résulteroit de cette opération ; elle apprendroit à connoître l’espèce qui réussiroit le mieux dans le canton, soit par rapport à la quantité de fruit dont l’arbre se charge habituellement, soit pour la qualité de l’huile de chaque espèce, soit enfin pour l’espèce d’olivier qui résiste le plus aux rigueurs des hivers. Si on avoit eu cette précaution & ces connoissances préliminaires, plusieurs cantons du Languedoc & de la Provence, ne seroient pas aujourd’hui dépeuplés d’oliviers. Cet arbre précieux devient actuellement si rare, les sujets sont si peu multipliés, qu’un froid semblable à celui du grand hiver est peut-être à désirer ; ce n’est point un paradoxe. Le tronc périroit, mais au moins on éléveroit de chaque souche quatre à six bons sujets qui repeupleroient les campagnes. Les troupeaux ont déjà détruit tous les bois ; dans peu ils auront consommé la dévastation de tous les rejets d’oliviers. N’est-il pas bien singulier que dans toutes les provinces du royaume on ait établi des pépinières d’ormeaux, de mûriers, de peupliers, d’arbres fruitiers, tandis que dans celles qui ont, par leur position, le privilège exclusif d’élever l’olivier, l’administration n’ait pas encore songé ou voulu en établir de semblables pour un arbre dont le produit constitue un revenu qu’aucun autre canton du royaume ne peut lui enlever ? Il faut convenir cependant que l’on connoît dans chaque district l’espèce d’olivier qui rend le plus, parmi les espèces que l’on y cultive ; mais on n’y connoît que les arbres de son canton ; mais personne n’a fait l’essai d’y transporter les espèces des autres cantons. Il faut donc conclure que les lumières que l’on a sur l’olivier, sont purement locales de village à village, & qu’il n’y a point d’ensemble pour la généralité d’une province ; preuve sans réplique de la nécessité d’établir une nomenclature, afin que les cultivateurs puissent s’entendre ; savoir, par l’expérience, quelle espèce de position, quel grain de terre convient le mieux à telle ou telle espèce d’olivier, soit pour la quantité du fruit, soit pour la quantité de l’huile, soit enfin pour le degré de froid que l’arbre peut supporter sans périr. Je le répète, ce dernier point est de la plus grande conséquence depuis que, par des défrichemens trop multipliés & trop mal entendus, les abris ont si considérablement diminué. (Voyez ces mots) Combien de cantons n’ont pas déjà perdu la superbe prérogative de posséder des oliviers. Tout est terminé pour eux ; leur réussite tenoit à l’abri qu’ils n’ont plus, & qu’ils ne pourront jamais se procurer, même à prix d’argent. (Voyez le mot Agriculture)

I. L’olivier Franc. Olea Europæa. Lin. C’est l’arbre sauvage perfectionné par la culture : ses branches, ses rameaux, ont plus de consistance ; ses feuilles plus de largeur, de longueur, mieux nourries, & ses fruits plus gros, plus charnus, & plus succulens que ceux de l’oleaster. L’huile que l’on en retire, ainsi que des olives des autres espèces, est moins fine, moins délicate que celle fournie par l’olive sauvage. Par-tout où l’on trouve des oliviers sauvages, on peut les convertir en oliviers francs ; en les transplantant, en les cultivant avec soin, ils donneront ensuite des fruits plus gros & en plus grande quantité. Le second avantage qui résulte de leur transplantation, c’est d’avoir une espèce déjà acclimatée, dont l’éducation a été dure. Ils craignent moins les rigueurs des hivers que les oliviers élevés en pépinières, & de nature plus frileuse : considération très-essentielle pour les cantons où les abris commencent à s’abaisser, & où les arbres souffrent dès que le froid est un peu piquant.

II. L’olivière[2] ou Galiningue ou Oulivière. Olea angulosa Gouan. Le célèbre von-Linné a regardé les variétés des plantes & des arbres comme des objets qui devoient peu occuper les botanistes, & il a eu raison jusques à un certain point, mais il n’en est pas ainsi pour le cultivateur. Ces variétés ou ces espèces jardinières sont la base de ses plantations & de ses produits. Il est donc essentiel de les distinguer & de les lui faire connoître. Tournefort, Magnol, Garridel avoient déjà établi une synonymie botanique des espèces d’oliviers cultivés dans les environs d’Aix & de Montpellier. M. Gouan, célèbre botaniste, & professeur de l’université de cette dernière ville, a adopté la méthode de von-Linné, & a assigné des noms triviaux aux espèces jardinières, auxquelles sont jointes les phrases de Tournefort. On peut consulter l’hortus Monspelliensis & le flora Monspeliaca de M. Gouan, d’où je tire cette synonymie, pour les espèces cultivées dans le Languedoc, & citées dans ses ouvrages. Magnol la décrit ainsi : olea media oblonga angulosa. M. Amoreux, auteur d’un très-bon traité de l’olivier, imprimé en 1784 à Montpellier, & dont je ferai un très-grand usage, pense qu’on peut rapporter cette espèce à celle de Tournefort, olea fructu majusculo & oblongo ou à celle du même auteur, désignée par ces mots ; olea fructu oblongo atro-virente ; ce qu’il y a de très-certain, c’est qu’il est très-difficile, pour ne pas dire impossible, d’assigner des caractères fixes à ces espèces jardinières, puisque dans un même territoire on trouve de grandes différences, soit entre les fruits, soit entre les feuilles de l’olivière ou galiningue ; & cependant elle conserve la même dénomination.

Cet arbre est fort commun dans le territoire de Beziers, moins dans celui de Montpellier où il ne jouit pas de la même considération ; la différence du sol en seroit-elle la cause ? En général, l’huile de son olive n’est pas très-délicate, & elle fait beaucoup de dépôt, & ce dépôt augmente ou diminue en raison du grain de terre ; c’est-à-dire, qu’il est plus considérable lorsque l’arbre est planté dans un terrain gras, ou substantiel ou vigoureusement fumé, & qu’il est moins fort, l’huile plus délicate dans un sol sablonneux, graveleux & caillouteux. L’olivière est une des espèces qui résiste le mieux au froid. Le fruit tient à un long pédoncule, il est gros, sa peau rougeâtre, piquetée de points moins colorés, sa chair molle, ses feuilles peu nombreuses, proportion gardée avec les espèces suivantes ; elles sont longues, ordinairement pointues, quelquefois arrondies par le bout ; l’arbre devient gros, & il travaille beaucoup en branches & en rameaux. Dans quelques endroits on nomme son fruit laurine, & on le confit.

III. L’amandier, ou Amellou, ou Amellingue, ou Plant d’Aix. Olea amygdalina, Gouan. Olea major angulosa amygdali formâ. Tourn. Il est commun dans plusieurs cantons de Provence & de Languedoc : la forme de son fruit, imitant une amande, lui a donné son nom. Je pense avec M. Amoreux que c’est une variété de l’olivière : son fruit est ovoïde, noirâtre, piqueté, renflé d’un côté, arrondi à la base, pointu à son sommet ; le pédoncule court ; le noyau peu sillonné, la suture longitudinale passablement exprimée ; ce noyau est petit, proportion gardée avec le fruit, alongé, très-pointu à son sommet, tronqué à sa base ; la feuille courtement pétiolée, fort large, courte, arrondie à son sommet, & terminée par une petite pointe. N’est-ce pas de la peau que la chair du fruit tire sa couleur ? puisque son intensité diminue à mesure qu’elle approche du noyau.

L’huile de ces piquetures ou vésicules est-elle strictement la même que celle de la pulpe ? Je ne le pense pas. J’ai oublié de vérifier ce fait dans le temps, & je ne le puis aujourd’hui. Le fruit est plus employé à confire qu’à faire l’huile qui est cependant très-douce : l’arbre exige un sol substantiel, puisque son grand mérite est de produire de grosses olives. Gignac en Languedoc & St. Chamas en Provence sont les deux endroits où l’on les prépare le mieux. L’amellou a l’avantage de charger beaucoup, & dans plusieurs cantons on le cultive uniquement pour l’huile. On doit préférer, pour sa culture, les terrains caillouteux, si on veut avoir une huile de bonne qualité.

IV. L’Olivier à Fruit de Cornouiller, ou le Courmau, Corniau, Courgnale ou Plant de Salon. Olea cranio-morpha. Gouan. Olea media, oblonga, fructu corni. Tourn. La forme de son fruit a déterminé son nom. Il est petit, ordinairement arqué, alongé, noir comme le raisin nommé morillon, terminé en pointe ; son noyau plus aplati d’un côté que de l’autre, pointu dans ses deux extrémités est marqué des deux côtés par une suture, qui part d’une pointe à une autre ; il est irrégulièrement ridé ; le pédoncule est court, souvent il ne s’implante pas dans le milieu du fruit ; les feuilles, en petite quantité, grêles, pointues, quoique arrondies a leur sommet ; il est aisé de distinguer cet arbre par le port de ses branches & sur-tout de ses rameaux inférieurs qui s’inclinent contre terre, à peu près comme ceux du saule de Babylone, ou saule pleureur. (Voyez ce mot) Le tronc de cet olivier prend beaucoup de consistance, donne une huile très-fine, se charge de fruit annuellement, & il est commun en Provence & en Languedoc.

On cultive dans le territoire du St. Esprit, une espèce que les habitans appellent Le Cournaud, & qu’ils distinguent du Courniaud. Elle me paroît cependant s’en rapprocher : son fruit est plus arrondi que celui du précédent ; le noyau est beaucoup plus court, mais également renflé des deux côtés ; les feuilles très-alongées ; la couleur de la partie supérieure de la feuille est d’un vert pâle, celle de l’inférieure est très-blanche. L’arbre devient très-gros, & on le regarde comme le plus productif de tous les oliviers.

V. L’olivier à Fruit presque rond, ou Ampoullau, ou Barralenque. Olea sphærica. Gouan. Olea major subrotunda. Magnol. Cet arbre est très-multiplié en Provence, en Languedoc ; son huile est très délicate & très-fine. (Voyez N°. 9)

VI. La Picholine ou Saurine. Olea oblonga. Gouan. Olea fructu oblongo minore. Tourn. Le nom de picholine a été donné à cette espèce d’olivier, dont le fruit est destiné à être confit en vert, parce qu’on est redevable de cette invention à M. Picholini. Les descendans de cette famille sont établis à St. Chamas, en Provence, où ils font un très grand commerce des olives ainsi préparées. Picholine veut aussi dire petit poisson, & les barils d’olives qui sortent de leur fabrique sont marqués d’un petit poisson. On cultive plus volontiers cet olivier, pour en confire les olives, que pour retirer l’huile de leurs fruits ; cependant l’huile en est douce ; son olive confite est de toutes les espèces, la plus délicate au goût.

On confit également plusieurs espèces d’olives plus grosses & plus charnues, telles que celles de l’amandier, N°. 3 ; l’olive d’Espagne, N°. 13 ; la marbrée, N°. 11 ; l’olive presque ronde, N°. 5 ; la luque, N°. 12 ; celle-ci se conserve peu, & elle est fort délicate ; le fruit est alongé par les deux bouts, renflé dans son milieu : sa couleur, d’un noir rougeâtre lorsqu’il est mûr ; le noyau est petit, sillonné, un peu plus bombé d’un côté que d’un autre ; la feuille est grande, large, terminée en pointe au sommet, & alongée par sa base : dans quelques endroits de la Provence on confond cette espèce avec la mourette, N°. 8, & on a tort, elle a des caractères bien différens. Cet arbre charge beaucoup, il aime beaucoup le fumier ; l’huile de son fruit est très-bonne. Dans les environs de Pézenas, on nomme piquette ou picholine celle dont le fruit est presque cylindrique, plus alongé que le précédent, ainsi que le noyau, mais terminé en pointe mousse par les deux bouts ; les feuilles sont courtes & très-étroites.

Dans les environs de Pézenas, de Beziers, &c., on cultive une autre picholine, dont le fruit est presque rond, un peu pointu à son sommet, d’une couleur très-noire, & sa pulpe fortement colorée. Son noyau est lisse, les sutures ne sont presque pas prononcées, il est de la forme du fruit. La grosseur de la chair & du noyau est de six lignes environ de longueur sur cinq de largeur ; sa feuille est très-étroite, très-alongée ; l’arbre vient facilement par-tout, ; charge beaucoup & donne une huile très-fine. Cette espèce ne seroit-elle pas le premier perfectionnement de l’espèce sauvage ? Je crois que cette petite espèce est la même que celle nommée en Province petite mourette.

VII. La Verdale ou Verdau. Olea viridula. Gouan. Olea media, rotunda viridior. Tourn. Je n’ai point trouvé cette espèce dans les territoires d’Aix, de Marseille, de Toulon, Nice, &c. : cet arbre est très-commun en Languedoc, par exemple, au Pont-du-St.-Esprit, à Montpellier, à Beziers, &c. la verdale est ainsi nommée à cause de son fruit qui reste vert pendant long-temps, ou du moins il rougit peu, & sa couleur ressemble à celle du fruit du prunelier lorsqu’il commence à mûrir. Le pédoncule est long ; le fruit, de forme ovoïde & un peu pointu à l’extrémité supérieure, & tronqué à sa base. Le noyau est garni de deux sutures longitudinales, de forme ovoïde alongée & terminée par une pointe ; les feuilles sont longues, renflées dans le milieu, alongées aux deux extrémités ; leur couleur est blanchâtre en-dessous, & d’un vert assez clair en-dessus.

M. Amoreux, dans l’ouvrage déjà cité, s’explique ainsi au sujet de cette espèce d’olivier… La verdale sort d’un arbre qui a plus d’apparence que de bonté. L’olive ne paroît jamais mûre, elle reste long-temps verte & d’un vert de pomme, ou jaune verdâtre ; elle se pourrit même en mûrissant, ce qui lui a fait donner, par quelques-uns, le nom de pourridale. C’est une pauvre espèce d’olivier qui a toutes sortes de mauvaises qualités ; il craint le froid & le chaud, est sujet aux vers, est stérile dans les terrains maigres, donne peu d’huile, & de qualité inférieure. Les Provençaux le méprisent ; en Languedoc, on ne le multiplie que pour avoir des sujets propres à être greffés, parce qu’il ne forme pas un gros arbre, ce qui est à rechercher dans quelques cantons.

Je ne doute pas que M. Amoreux n’ait très-fort raison, relativement au territoire de Montpellier ; mais la matière de juger cet arbre par les cultivateurs des environs du St.-Esprit, est diamétralement opposée à la sienne. Cet arbre y donne régulièrement de deux années l’une, & quelquefois il charge à l’excès. L’huile que l’on retire de son fruit est une des plus estimées du pays ; il est reconnu dans les environs de Cassan, de Pézenas, que cet arbre vient à peu près dans toutes les expositions convenables aux oliviers, qu’il se charge convenablement de fruit ; mais l’huile n’en est pas délicate. Je puis certifier que l’espèce de verdale du St.-Esprit, de Montpellier, de Pézenas & de Beziers sont spécifiquement les mêmes ; j’ai, de ces différens endroits, des échantillons chargés de fruits, & après les avoir rigoureusement examinés, je n’y vois aucune différence : ce contraste singulier d’opinions prouve que nous sommes encore dans l’enfance sur la culture de l’olivier, & que tout ce que l’on fait, est purement local ; c’est-à-dire, que l’expérience a prouvé que dans tel ou tel canton une espèce y réussiroit bien ; mais on ignore si telle autre espèce n’y réussiroit pas encore mieux.

VIII. Le Moureau, ou la Mourette, ou la Mourescale, ou Négrette. Olea præcox. Gouan. Olea media rotunda præcox. Tourn. Cet arbre est généralement reconnu pour un de ceux qui donne la meilleure huile, & on le cultive dans presque tous les cantons de la Provence & du Languedoc. Sa dénomination vient de la couleur de son fruit qui paroît noir sur l’arbre en mûrissant, & dont la pulpe est d’une couleur vineuse très-foncée : la couleur du fruit rougit un peu lorsqu’il se sèche, ou lorsqu’on le laisse fermenter en tas ; il est de forme ovale & courte, arrondie à ses deux extrémités ; le noyau est très-petit, relativement au fruit, ordinairement très-renflé d’un côté & presque aplati de l’autre, tronqué à sa partie inférieure, renflé dans le milieu, & alongé & pointu dans la supérieure ; son bois est presque lisse, les sutures presqu’insensibles ; le fruit est porté par un court pédoncule. Les feuilles blanchâtres par-dessous, d’un vert foncé par-dessus, tombent & se renouvellent facilement ; elles sont épaisses, larges, nombreuses, terminées en pointes par les deux bouts. L’arbre aime à pousser des rameaux droits & en assez grand nombre. C’est l’olivier qui porte le plus d’ombre, & qui demande par conséquent à être le plus espacé dans un champ destiné à fournir du grain. Cet arbre craint le froid, charge bien, son fruit mûrit en deux temps ; souvent les premières olives sont tombées, lorsque les autres sont mûres ; heureusement que c’est la plus petite quantité qui tombe. Il convient d’abriter cet arbre contre les coups de vent, parce que le fruit se détache aisément de son pédoncule.

On connoît plusieurs variétés, ou sous-espèces de cet arbre, mais nous ne parlerons que des deux principales, au St.-Esprit. On appelle la première la morellette ou la more : son fruit est plus noir que celui de la précédente, & rougit moins en se desséchant ou en fermentant : il est de moitié plus petit, d’une forme ovoïde assez exacte, longuement pédunculé ; son noyau en forme de carène, sillonné, tronqué à sa base, pointu à son extrémité ; la suture longitudinale presqu’imperceptible. Cette espèce donne beaucoup de fruit, mais peu d’huile à cause de la grosseur du noyau ; l’huile est bonne, & l’arbre est peu multiplié dans le pays.

Dans les cantons où les moulins sont banaux, & où ils ne sont ouverts qu’à une époque fixe ou très-tard, c’est un abus de cultiver cet arbre, si on se pique de faire de bonne huile, parce que le moureau étant mûr le premier, les olives relient amoncelées jusqu’au jour où l’on doit presser, elles s’échauffent, mûrissent trop & ne donnent plus que de mauvaise huile : cependant c’est grand dommage.

Dans les environs de Montpellier on cultive une espèce d’olivier qui, je crois, peut être rapprochée du moureau ; on la nomme l’amende de Castres, dénomination tirée du village de Castries, près de cette ville, où cet arbre est commun ; le fruit est un peu plus gros que celui du moureau, & de même forme ; son noyau semblable à celui de la variété ci-dessus, mais pointu par ses deux extrémités ; les feuilles moins larges, moins longues que celles du moureau.

Il y a encore des moureaux de plusieurs espèces à gros fruits ; mais en vérité, je ne sais à quelle espèce les rapporter ; le plus ou moins de grosseur des fruits, de longueur & largeur des feuilles ne tiendroient-elles pas uniquement au climat & au sol ? Je le crois ainsi.

IX. Le Bouteillau, ou Boutiniane, ou Olivier à Fruit. Rassemblé en bouquets, ou la Ribière, ou Rapugete. Olea minor rotunda racemosa. Tourn. Garidel, dans son Histoire des plantes de Provence, dit : « j’ai cru pendant long-temps que c’étoit ici une espèce particulière, mais j’ai observé dans plusieurs oliviers de ma métairie, que ce n’étoit qu’un jeu de la nature, car ces mêmes oliviers qui avoient porté ces olives en grappes, en portoient les années suivantes de rondes, & tout à-fait semblables à la barralenque, (voyez N°. 5, à la grosseur près) »

Il est constant que, dans des espèces qui ne sont déjà par elles-mêmes que des variétés, la manière d’être varie de temps à autre. D’ailleurs, Garidel, quoique bon observateur, ne dit pas si, dans les années où les fruits n’ont pas été rassemblés en bouquet, le froid, les pluies ou telles autres intempéries des saisons n’avoient pas fait couler la majeure partie des fleurs, ou tomber quelques-uns des fruits encore tendres, qui devoient former le bouquet.

La fleuraison, la forme & la grosseur du fruit des barralenques, prouve que leurs espèces ou variétés n’ont rien de commun avec le bouteilleau. Il dit : ces trois espèces (le corniau, N°. 4, l’ampoulleau, N°. 5, le moureau, N°. 8), qui sont très-communes dans notre territoire, sont connues du vulgaire sous le nom d’aulivo barralenquo. À laquelle des trois espèces rapporteroit-il donc l’olivier à bouquet ? Je les compare les uns avec les autres, & je n’y trouve aucune ressemblance : j’ai cueilli des échantillons d’oliviers chargés de fruits mûrs dans tous les principaux lieux par où j’ai passé, & enfin arrivé à Aix, des particuliers ont eu la complaisance de rassembler les meilleurs & les plus instruits cultivateurs du pays ; ils ont pris pour barralenque, l’olive appelée au St. Esprit la filoche, dont le fruit est vraiment semblable à celui de l’olivier à bouquet, mais du double plus gros, & il ne donne pas des fruits rassemblés en bouquet. L’olive rose de Cassan, & à feuilles très-étroites, à fruit moins gros & moins rond que la filoche, le vrai bouteille au de Montpellier, pour la petite mourette ; la pointue du St.-Esprit, pour la barralenque &c. Je ne finirois pas, si je rapportois toutes les espèces ou variétés regardées comme des barralenques. Malgré ces contradictions, il est très-vrai qu’en Provence il y a confusion d’idées sur les barralenques, que le bouteilleau est une espèce à part, qu’il a plus d’affinité avec la mourette qu’avec aucune autre espèce, mais qu’il en diffère essentiellement par la forme de son fruit arrondi, de couleur moins noire ; par son noyau court, renflé, peu aplati d’un côté, terminé en pointe dans sa partie supérieure, & sillonné de tous les côtés par ses feuilles moins grandes, moins larges, & en général plus arrondies à leur sommet.

Cet arbre vient par-tout, craint moins le froid que les autres oliviers ; l’huile en est bonne, elle fait beaucoup de dépôt ; il ne charge pas souvent, & quand il charge, c’est à outrance.

X. Sayerne, ou Sagerne, ou Salierne. Olea atro-rubens. GOuan. Olea minor rotunda rubro-nigricans. Tourn. Peu connue en Provence, où on la classe encore avec les barralenques. Elle tire sa dénomination de la couleur violette & noire de son fruit. Cette olive fournit une huile des plus fines : son écorce est duvetée comme celle des prunes (ce qu’on nomme la fleur) ; sa forme est arrondie, pointue par le haut, élargie par le bas ; son noyau est petit, sillonné, alongé, arrondi à sa base, terminé par une pointe vive à son sommet : les feuilles sont petites, terminées en pointes des deux côtés, leur plus grande largeur est au-delà du milieu. L’arbre ne devient jamais bien gros, il se coiffe bien, craint le froid, il aime les terrains caillouteux & les roches ; le fruit tombe facilement de l’arbre.

XI. La Marbrée, ou Tiquetée, ou la Pigale, ou le Pigau. Olea variegata. Gouan. Olea minor, rotundo ex rubro & nigro variegata. Tourn. Cette espèce varie beaucoup, même à peu de distance d’un lieu à un autre, soit pour la grosseur, soit pour la forme du fruit ; mais ces variétés le rapprochent par sa couleur. L’olive passe de la couleur verte à la rouge, de celle-ci au violet très-foncé, & dans cet état sa pellicule est tiquetée de points blancs. La grosse & la petite espèce, sont en général, assez arrondies, mais pas autant que celle du bouteillau, N°. 9. Le noyau de la grosse espèce est petit, proportion gardée avec le fruit ; il est sillonné de tous les côtés, & ses deux extrémités sont arrondies ; celui de la petite espèce est plus gros que l’autre, plus renflé à sa base & plus pointu à ses deux extrémités. Les feuilles de la première sont larges & courtes ; celles de la seconde, pointues & étroites.

L’espèce nommée pigale à Nismes, ainsi que la petite espèce précédente, sont mises au rang des mourettes en Provence. L’espèce de Nismes a son fruit plus alongé, plus pointu, plus petit ; son noyau a les mêmes formes que celui de la petite espèce, mais il est plus petit qu’aucun des deux autres, & la base est tronquée.

XII. L’odorante, ou la Luquoise, ou la Luques. Olea odorata. Roz. Olea minor Lucensis, fructu odorato. Tourn. Olive odorante, très-longue, proportionnée à sa grosseur, dont la coupe ressemble à celle d’un bateau ponté, c’est-à-dire, qu’elle est courbée d’un bout à l’autre, pointue & relevée des deux côtés, mais en général, plus du côté de sa base ; le noyau est long, étroit, sa courbure imite celle du fruit ; lorsqu’il est décharné & bruni par l’air, on le prendroit pour la chrysalide de quelque insecte, & sa pointe supérieure est plus aiguë que celle de la base ; la peau du fruit est long-temps verte, & lors de sa maturité, elle est rougeâtre, piquetée ; la pulpe de couleur vineuse ; les feuilles larges, nombreuses, peu pointues au sommet, & la pointe plus alongée vers la base ; l’huile de cette olive est fort douce ; l’arbre demande un bon sol, charge beaucoup, quand il donne, & craint moins le froid que beaucoup d’autres oliviers. On commence à le multiplier pour confire son fruit ; c’est le plus exquis pour les préparations, mais il ne se conserve pas autant que celui des autres oliviers.

XIII. L’Olive d’Espagne, ou l’Espagnole, ou plant d’Eiguieres de la grosse Espece. Olea hispanica. Roz. Olea fructu maximo. Tourn. C’est la plus grosse espèce d’olive connue en France, mais dont la grosseur n’approche pas de l’olive de Lima qui, sans exagération, est grosse comme un petit œuf de poule. Celle d’Espagne est excellente pour confire, & c’est presque le seul usage auquel on la destine, puisque son huile est amère : elle est commune en Espagne, on la trouve en Provence en petite quantité ; elle est très-rare en Languedoc. Celle qu’on nomme coiasse à Nismes n’en approcheroit-elle pas ? Son fruit est arrondi à sa base, un peu pointu à son sommet, très-renflé dans son milieu ; la moitié se jette quelque fois de côté, c’est-à-dire qu’elle est plus grosse que l’autre partie. Son noyau a beaucoup de ressemblance avec celui de l’odorante, N°. 12 ; mais il est encore plus long & plus arrondi à sa base ; les feuilles sont courtes, à peu près également alongées par les deux extrémités ; cet arbre est celui qui acquiert plus de volume, soit pour le tronc, soit pour les branches, qu’aucun de ceux que l’on cultive en France. On croit que cette espèce est l’orchites des anciens.

XIV. L’olive Royale, ou la Triparde. Olea regia. Roz. Olea fructu majori, carne crassâ, Tourn. Elle est bonne à confire ; son huile a peu de qualité, & fait beaucoup de crasse. Son fruit moins gros que celui du N°. 13, est charnu, pulpeux ; son noyau en tout semblable à celui du précédent ; ses feuilles plus petites à la vérité, étroites, alongées.

XV. La Pointue, ou la Punchude. Olea atro-virens. Roz. Olea fructu oblongo atro-virente. Tourn. Si l’application de la phrase de Tournefort est juste & convient à cette espèce, il est clair qu’elle a plusieurs variétés ; au moins pour la couleur du fruit, ou pour sa forme & celle de ses feuilles, elles se ressemblent assez bien. Le fruit est par-tout alongé, pointu par les deux bouts, & sur-tout par le supérieur. Le noyau suit ou donne la forme du fruit, une pointe très-vive le termine par le haut, sa base l’est beaucoup moins. Ici, la couleur du fruit est d’un vert noirâtre ou vineux, & le noyau gros, proportion gardée avec le fruit, qui donne une huile fine, quoiqu’elle fasse beaucoup de dépôt ; là, le fruit dans sa maturité a une couleur rouge qui approche de celle de la jujube (voyez ce mot), quoique moins vive, & la plus grande maturité ne le noircit jamais, d’où lui a été donné le nom de Rougette[3]. Son noyau, quoique de même forme que le précédent, est moins gros, il occupe moins la place de la pulpe, & donne par conséquent plus d’huile, qui est estimée. Cette espèce assez commune au St.-Esprit, y a été apportée de Provence, & commence à se multiplier dans le Languedoc. Elle n’y grossit pas beaucoup, mais elle donne chaque année. Les feuilles de ces deux espèces sont très-étroites & très-alongées.

On connoit encore une variété de la dernière, sous la dénomination de Rougette Bâtarde, dont la feuille est plus large & moins alongée par les deux bouts. L’arbre n’est pas délicat sur le choix du terrain, il charge beaucoup ; son huile est bonne & d’une belle couleur dorée.

XVI. L’olive Blanche, ou la Blancane, ou la Vierge. Olea alba. Roz. Olea latiore folio, fructu albo. Tourn. Très-rare en Languedoc, plus commune dans les environs de Nice, fruit très-petit, ovale, tronqué par les deux bouts ; sa grosseur n’excède pas celle d’un haricot de la petite espèce ; la couleur blanche de l’écorce ressemble assez à de la cire ; le fruit est peu charnu ; le noyau très-gros, proportion gardée, alongé, pointu des deux bouts, la pointe du sommet plus aiguë ; le bois n’est marqué d’aucun sillon. Les feuilles courtes, très-larges, pointues aux deux extrémités ; les rameaux déliés sans beaucoup de consistance. Cette espèce d’olivier est plus curieuse qu’utile, & c’est peut-être la seule espèce d’olive qui ne noircisse pas ; son huile est douce, mais fade, & en petite quantité.

Voilà un assez grand nombre d’espèces jardinières, décrites de manière à être reconnues pour peu qu’on prenne la peine de confronter les caractères de celles que l’on cultive dans chaque canton, avec ceux qu’on vient d’établir. Mais ai-je indiqué toutes les espèces connues en France ? Je ne le crois pas : la chose ne sera possible que lorsque le travail général & préliminaire, dont j’ai parlé dans le commencement de cette section, aura été exécuté par une personne accoutumée à voir & à bien voir. Des circonstances particulières, & auxquelles je ne devois pas m’attendre, me forcent à aller continuer mes travaux dans un autre pays, où je ne serai malheureusement plus à portée de suivre les expériences relatives à cet objet, & que j’avois entreprises à Beziers.

Les espèces d’Espagne, d’Italie, de Grèce, & celles qui étoient connues des Romains, sous les dénominations de pausia, d’algiana, laciniana, sergia, nevia, culminia, orchis, regia, circites, murtea., &c. sont-elles les mêmes que celles qui sont cultivées en France ? Il se peut que quelques-unes se soient conservées, mais Columelle & les autres écrivains n’ont établi aucun caractère propre à les distinguer ; & ils ne les ont point décrites : il ne reste tout au plus que des apperçus, d’ailleurs le grand point n’est pas de savoir si, dans tel canton, les espèces ont été transmises par les Grecs ou par les Romains ; & sous quels noms ils les connoissoient : c’est aux Littérateurs à suivre ces discussions ; mais le cultivateur a besoin d’être assuré par l’expérience que telle ou telle espèce résiste mieux au froid que telle autre, que l’une donne beaucoup de fruit, & ce fruit une huile de bonne qualité, enfin quel est le grain de terre propre à ces différentes espèces. Voilà le travail à faire. Un très-grand nombre d’obstacles s’opposent, dans cette province, à la réussite des tentatives qu’on pourroit faire à cet égard : l’administration peut seule les lever toutes. Malgré cela, il faut espérer que dans une des provinces méridionales les plus fertiles, il se trouvera un particulier assez généreux pour faire les sacrifices nécessaires, & qu’il continuera ses épreuves pendant 15 à 20 années, afin de donner au tardif olivier le temps de croître & d’être assez en rapport pour tirer de ces expériences les résultats les plus avantageux.


CHAPITRE II.

Du climat & du sol convenable à l’olivier.


Le choix du sol est, en général, très indifférent pour cet arbre ; puisqu’on le voit croître dans les terrains sablonneux, rocailleux, caillouteux, volcaniques ; c’est même dans ceux-là qu’il donne l’huile la plus fine. Il végète également & avec une vigueur considérable dans les terres fortes, substantielles, & quoique le fond soit argileux, il subsiste moins bien à la vérité dans celui-ci, parce qu’il étend ses racines sur la superficie, & qu’il pénètre dans les gerçures de l’argile, dès qu’il en rencontre. Le plus ou le moins de prospérité dans sa végétation est le seul résultat des différens sols ainsi que la délicatesse de l’huile, abstraction faite de celle qui tient aux différentes espèces d’olives. Ce n’est donc pas le grain de terre que l’on doit considérer, lorsqu’il s’agit de l’examen de sa simple existence comme arbre. Il est donc clair que cette existence tient à autre chose.

Les écrivains anciens ont dit que l’olivier ne pouvoit subsister à plus de trente lieues éloigné de la mer. Cette assertion peut être vraie relativement à la France, mais je la crois très-fausse relativement à toute autre contrée, lorsque cet arbre se trouve dans les circonstances qui lui conviennent, quoique à des distances très-considérables de la mer.

Un éloignement de trente lieues, suppose déjà une élévation du sol au-dessus du niveau de la mer, & par conséquent une diminution dans la hauteur de l’abri ; de-là une diminution dans la température du canton.

Si on se rappelle ce qui a été dit au mot agriculture, dans les chapitres des bassins formés par les rivières, & des abris, on trouvera aussitôt la solution du problème, puisque l’on voit dans le bailliage de l’Aigle en Suisse, le grenadier, l’amandier, la vigne réussir en pleine terre, & jouir de la température des provinces presque les plus méridionales, tandis que dans la partie supérieure de ce même bailliage on trouve presque la température de la Suède. Bayonne est au quarante-quatrième degré, Carcassonne, Beziers, Montpellier, Marseille, Aix, Toulon, Nice, sont au même degré ; cependant l’olivier ne réussira jamais dans le territoire de Bayone, parce que les abris lui manquent, & sans les abris cet arbre ne trouve plus la température qui lui convient : la chaîne des montagnes qui traverse le Languedoc de l’est à l’ouest, n’est éloignée de la ville de Beziers, que de six à sept lieues. Le pied de ces montagnes est chargé d’oliviers, mais si on les traverse, ce qui forme un espace de deux à trois lieues au plus, on ne trouve plus de l’autre côté les mêmes abris contre le nord, dès-lors plus d’oliviers ; cependant cet intervalle ne présente qu’une distance de dix à douze lieues de la mer. L’existence de L’olivier ne tient donc pas au plus ou moins de rapprochement de la mer, mais aux abris ; tout le monde a vu dans le jardin du Roi, à Paris, des oliviers végéter en pleine terre, mais ils étoient placés contre le mur des serres, & dans la partie la plus chaude & la mieux abritée : on conclueroit peut-être, de cet exemple cité, que si l’olivier passe les hivers dans ce jardin, il subsisteroit également ailleurs ; oui, si les circonstances étoient égales ; mais végéter, subsister tristement, ne pas périr, est bien différent de végéter pour produire des récoltes & d’être mis en culture réglée. C’est comme si l’on prétendoit qu’en Languedoc où l’on ne cultive des orangers que dans quelques jardins particuliers, le climat étoit aussi propre à cette culture que celui de Nice, d’Hières, de Toulon, du bas-Roussillon, & des environ de Perpignan, où ces arbres croissent en pleine terre. Des exceptions ne détruisent pas la loi générale ; & ces exceptions même tiennent à la qualité, à l’élévation & au rapprochement de l’abri. L’oranger cultivé dans les territoires déjà cités, végète au pied des montagnes très-élevées, & pour ainsi dire, coupées à pic du côté du midi ; mais à mesure que l’abri s’éloigne, l’oranger ou l’olivier ne peuvent plus se soutenir, & voilà la véritable raison pour laquelle ce dernier ne croît pas au-delà de Montelimar, en gagnant dans l’intérieur des terres, ni au-delà de Carcassonne, en suivant la chaîne des montagnes du bas Languedoc.

L’olivier demande donc à être abrité contre le nord, indépendamment de la position géographique du lieu au midi du royaume ; cela est si vrai que, dans plusieurs cantons de Provence & de Languedoc où les oliviers sont le plus multipliés, il y a des places considérables où cet arbre ne sauroit se soutenir. Il y a plusieurs tenemens où cet arbre dépérit visiblement chaque année, parce que les défrichemens ont dminué la hauteur des abris, & ont permis aux vents du nord de souffler leur air glacial sur des arbres qui ne l’éprouvoient pas auparavant. Ce n’est donc pas le rapprochement de la mer qui fait subsister l’olivier, mais ce sont les abris qui diminuent les fâcheux effets des vents du nord.

Cette cause n’est pas la seule qui contribue à leur prospérité, il faut encore une masse de chaleur constante ou presque constante. Elle dépend encore, en sens contraire, des abris, je m’explique : depuis Nice jusqu’à Carcassonne, l’abri nord est fort élevé & fort rapproché, & toute cette lisière du royaume a en face la mer & l’Afrique. C’est de-là que lui vient la chaleur qui vivifie l’olivier ; elle y est, pour ainsi dire, concentrée & retenue par l’abri du nord, d’où résulte une intensité beaucoup plus considérable que si elle ne rencontroit point d’obstacle pour gagner le nord. Les Pyrénées offrent une preuve sans réplique du sentiment que j’avance : si on tire une ligne droite d’Afrique, qu’elle traverse au pied des Pyrénées, & qu’elle s’étende au nord du royaume, on verra que c’est là précisément que le règne des oliviers finit, parce que le pays qui a les Pyrénées au sud, quoiqu’il soit abrité du nord par les montagnes, n’a plus la même intensité de chaleur, puisqu’il ne reçoit plus les vents d’Afrique, ou s’il les reçoit, c’est après que la chaleur s’est décomposée, en passant sur les sommets des Pyrénées chargés de neige, pendant neuf à dix mois de l’année. Cette chaleur africaine fait sentir son influence jusqu’à Montelimar, en remontant le rhône, les montagnes, depuis la mer jusqu’à cette ville, ne sont pas assez hautes ; assez contiguës pour décomposer cette chaleur, ni pour s’opposer à son passage ; mais au-delà de Montelimar, & vis-à-vis, de l’autre côté du rhône, on trouve une chaîne de montagnes qui produit, dans la partie du nord, respectivement à elle, le même effet que les Pyrénées, lorsqu’on a dépassé Carcassonne pour aller à Toulouse.

Il me paroît démontré que la prospérité de l’olivier tient en France à ces circonstances, & que si cet arbre réussit beaucoup mieux dans d’autres climats d’autres royaumes, on doit l’attribuer à des circonstances plus heureuses encore, soit par rapport au rapprochement du midi, soit à celui des abris. L’olivier craint le froid, mais jusqu’à quel point aime-t-il la chaleur ? l’expérience n’a encore rien prononcé à ce sujet. Cependant l’on sait que les espagnols ont transporté à Lima l’espèce d’olivier, N°. 13, dont le fruit est déjà très-gros & plus gros qu’en France, mais il a doublé & même triplé de volume dans le nouveau monde. On m’a assuré que, dans la Caroline méridionale, les plantations d’oliviers avoient déjà réussi ; d’où l’on doit conclure qu’il ne tient plus qu’aux habitans des climats chauds de l’Amérique d’y multiplier ces arbres.

M. Barthez, dans son Recueil de Mémoires d’Agriculture pour les côtes de la méditerranée du Royaume, fait espérer que cet arbre pourra être multiplié dans l’intérieur de la France. Je forme de grand cœur le même vœu que ce célèbre cultivateur, mais je doute très-fort du succès. Admettons que, dans l’intérieur de nos provinces, on trouve des expositions heureuses, de grands & majestueux abris : malgré cela, aura-t-on la chaleur qui nous vient d’Afrique, & qui se décompose en passant sur les montagnes ? Le vent méridional produira deux effets opposés, suivant l’état d’humidité ou de sécheresse, où la montagne se trouvera lors de son passage. Prenons les Pyrénées pour exemple, & de dégradation en dégradation venons-en aux montagnes moins élevées. Si cette chaîne est chargée de neige, le vent du midi n’est plus chaud, il devient même très-froid : l’expérience journalière prouve cette assertion. Si cette chaîne est dépouillée de neige, si elle est encore humide, le vent du midi opère l’évaporation de cette humidité, & l’évaporation le rend froid ; si au contraire il n’a pas plu depuis long-temps sur ces montagnes ; en un mot, si le terrain en est sec, alors la chaleur devient dévorante, au point souvent de flétrir, & même de griller les feuilles des arbres, des vignes, &c. Les mêmes phénomènes ont lieu, relativement à la chaîne qui traverse le Languedoc. Les villes, maritimes qui sont au midi de cette chaîne, n’éprouvent-elles pas de grandes & très-grandes chaleurs, quoique le vent du nord règne, lorsqu’il passe par dessus, & lorsqu’il les trouve sèches. Si elles sont humides, la fraîcheur n’est-elle pas subitement ramenée dans l’air ? Quant aux habitans au-delà de cette chaîne, c’est-à dire à son nord, ne ressentent-ils pas les mêmes variétés, moindres à la vérité que les habitans placés au nord des Pyrénées ? C’est ce que l’on éprouve chaque année. Il en est ainsi en remontant du midi au nord du royaume, & en suivant l’ordre & la disposition des montagnes ; mais plus l’on approche du nord, plus l’élévation des bases augmente, & les vents chauds ont intrinsèquement moins d’activité, puisqu’ils la perdent en passant successivement de montagnes en montagnes. On dira peut-être que la chaleur devroit augmenter, puisque le vent traverse sur des montagnes sèches. Cette supposition est très-gratuite, il n’en est pas de l’intérieur du royaume comme des provinces du midi, où le ciel est sans nuages pendant l’été, & où il y pleut très-rarement. Au contraire, dans l’intérieur du royaume il y pleut souvent, & chaque pluie introduit la fraîcheur dans l’atmosphère, à cause de l’évaporation qui survient. Dès-lors il n’y a plus cette continuité de chaleur, ni son intensité si nécessaire à la bonne végétation de l’olivier. Pendant les hivers rigoureux, les vignes des cantons les plus abrités de l’intérieur, souffrent du froid ; plusieurs périssent : quel seroit donc le sort de l’olivier ? Malgré les abris, cet arbre ne fleurit en Languedoc & en Provence que dans la fin de mai ou de juin ; son fruit n’est mûr qu’en novembre ou en décembre ; ce qui suppose que l’intensité de chaleur, même dans ces climats de prédilection, est tout au plus à la mesure qui lui convient, puisque dès que l’abri manque, & quoique dans le voisinage, l’olivier devient la victime du froid. Toutes les eaux du royaume s’écoutent dans la méditerranée ou dans l’océan ; l’intérieur est donc plus élevé que ses bords, il y a donc nécessairement moins de chaleur, quelques circonstances heureuses que l’on veuille rassembler ; il n’y aura donc pas assez de chaleur pour la bonne végétation de l’olivier. Voyons actuellement quel degré de froid il peut supporter sans souffrir ou périr.

Je ne sais pas positivement si le résultat que je vais présenter sera le même pour tous les pays à oliviers en France, puisque je n’ai pu étudier les effets du froid dans chaque canton ; mais je réponds de leur certitude dans les environs de Beziers, au moins pendant les sept années que j’y ai resté.

1°. Les froids qui se font sentir pendant les mois de janvier, toutes circonstances égales, nuisent moins aux oliviers que ceux qui surviennent dans le courant de février, & sur-tout vers la fin de ce mois, & au commencement de mars. Il gèle peu souvent, les gelées durent de huit a quinze jours, & rarement davantage dans le mois de janvier, & il ne gèle souvent point du tout. Dès que le froid cesse, ou pendant ses intervalles, la masse ordinaire de chaleur est de quatre à six degrés du thermomètre de Réaumur pendant le jour, & de trois à quatre ou à cinq pendant la nuit. Ces quatre à six degrés indiqués sont le terme moyen ; car la chaleur est parfois de huit & même de dix degrés lorsque les vents du sud règnent. Il ne gèle ici que par le vent du nord qui prend la direction du nord nord-ouest ; direction qu’il acquiert en frappant Contre la chaîne des montagnes noires. Comme ces montagnes sont chargées de neige, ainsi que celles en face de Beziers, qui sont une continuation de la grande chaîne de l’est à l’ouest du Languedoc, le nord se charge du froid de la neige, en dévore la superficie, l’entraîne avec lui, (voyez le mot Neige) & porte le froid dans notre canton, où il ne gèle pas tant que ces montagnes ne sont pas chargées de neige.

2°. Si le froid ne se fait pas sentir en janvier, la campagne avance beaucoup, les sureaux & plusieurs autres arbustes précoces sont chargés de feuilles, les violettes sont en fleur, &c. ; la végétation se renouvelle, & les amandiers même fleurissent. Elle se renouvelle également dans l’olivier, & elle y seroit en vigueur pendant toute l’année, si elle n’étoit pas interrompue. Sous la différence de la température de l’air ambiant, (v. au mot Amandier, Tome I, page 458) la terre, ou du moins sa superficie, a conservé un reste de chaleur, & tout concourt à maintenir en partie le mouvement de la sève.

3°. Si le froid survient en février, si ce froid acquiert une certaine intensité, s’il est accompagné par un grand courant d’air, ou par des raffales, alors il attaque l’olivier avec plus de violence.

4°. Si le froid est sans courant d’air, il fait peu de mal, parce qu’alors il cause peu d’évaporation.

5°. S’il survient après une pluie, s’il est accompagné de neige, il est terrible quant à ses effets ; & plus terrible encore s’il règne un grand vent. Dans ces circonstances, l’olivier est comme l’homme sur le bras duquel on feroit agir le vent d’un soufflet que l’on humecteroit perpétuellement avec de l’éther (voyez ce mot) ; ce bras seroit bientôt glacé, roide même dans la canicule. Le courant d’air cause l’évaporation de l’humidité qui recouvre l’arbre, & cette évaporation ajoute pour l’arbre, à l’intensité du froid de l’atmosphère.

6°. Les froids de six à sept degrés que l’on éprouve dans les mois de décembre ou de janvier, (cas très-rare) & sur-tout s’ils sont secs, produisent peu d’effets ; mais si la même intensité de froid survient en février, les vieux oliviers, ceux qui sont mal tenus, souffrent beaucoup, & tous en général souffrent plus, si la neige ou la pluie ont devancé le froid. Ce n’est pas le cas d’examiner ici si le fumier qu’on met aux pieds des arbres est nuisible ou avantageux ; on l’examinera en parlant de la culture.

Mon but, en rapportant ces observations, est de prouver que l’olivier ne pourroit pas subsister dans l’intérieur du royaume, qu’il est inutile de songer à l’y cultiver, puisqu’il n’y existe peut-être pas un seul canton où l’on n’éprouve dans l’espace de cinq à six années un froid de dix degrés devancé par la pluie & par la neige. J’ai donc eu raison d’avancer que la Provence, le Languedoc & une partie du bas-Dauphiné ont reçu des mains de la nature un privilège que les autres provinces du royaume peuvent envier, mais qu’elles n’obtiendront jamais. La conclusion à tirer de tout ceci, est que les états de Provence & de Languedoc doivent essentiellement s’occuper de multiplier les oliviers dans tous les territoires de leurs jurisdictions, susceptibles de cette culture ; enfin, que le seul moyen de réparer les pertes immenses de ces arbres précieux, est d’établir des pépinières, de les multiplier & d’en confier la régie, non à des protégés, mais à des cultivateurs instruits.

On ne cesse de répéter que l’olivier se plaît sur les coteaux ; la proposition est vraie en général, parce que l’inclinaison du sol augmente la réfraction des rayons du soleil, & par conséquent la chaleur ; mais si la plaine est bien abritée, comme elle l’est presque par-tout, depuis Nice jusqu’à Toulon, l’olivier y réussira beaucoup mieux que sur les coteaux, parce qu’il y trouvera généralement par-tout beaucoup plus de fond de terre, & un sol bien plus chargé de matières végétales & animales, puisque ce sol est formé des débris de celui des coteaux qui ont été entraînés par les eaux pluviales. Le grand point est l’abri, & quoi encore, l’abri qui augmente, conserve & retient la plus forte intensité de chaleur. Le sol ne contribue par lui-même qu’à la plus grande beauté de l’arbre, ou qu’à la qualité de l’huile relativement aux espèces d’olives, & au grain de terre. C’est l’abri qui assure la durée de l’olivier, & qui le défend contre le froid son plus cruel ennemi, & son seul destructeur : car sans le froid on pourroit donner le nom d’immortel à cet arbre. L’on voit encore depuis Toulon jusqu’à Nice, des oliviers de la plus grande force, de la plus belle hauteur, qui ont été respectés par le fatal hiver de 1709 : qui peut donc fixer quelle sera l’époque de leur destruction ?

Pourquoi l’olivier réussit-il mieux dans les terrains caillouteux, rocailleux, sablonneux ; pourquoi l’huile qu’on retire de leurs fruits, est-elle plus délicate, plus fine que celle des oliviers plantés dans des sols argileux, ou tenaces. Je ne parle pas des fonds aqueux, humides, marécageux où l’olivier réussit très-mal, c’est que les cailloux, les rochers, les sables frappés des rayons du soleil, acquièrent plus de chaleur & la conservent plus long-temps que les terres argileuses, crayeuses, &c. ; c’est que la sève qui monte des racines aux branches, est moins abondante, plus épurée & plus raffinée, par la même raison que les plantes aromatiques ont plus de parfums, lorsqu’elles sont cultivées dans les premiers terrains que dans les seconds. Il en est de même des vins, & par-tout où pénètre une sève trop abondante, ou une sève grossière, les fruits & leurs produits ont peu de qualité. Voilà à quoi tient toute la théorie de l’effet du grain de terre sur la qualité des fruits. Ainsi il en est de l’olivier comme de tous les autres arbres, & j’oserois presque dire comme de tous les légumes.


CHAPITRE III.

De la végétation de l’olivier.


Cet article est important à bien saisir, si l’on veut gouverner cet arbre d’après des principes fondés sur sa nature.

L’olivier tel que nous le cultivons, n’est pas l’arbre naturel ; l’éducation a changé sa manière d’être ; l’arbre venu de semence pivote perpendiculairement. Si le sol lui convient, alors il n’a point ou presque point de protubérance au-dessous du collet des racines qui en sortent : si au contraire, la nature du sol s’oppose au prolongement de son pivot, alors ce pivot se courbe, & il se forme une souche d’où partent les racines latérales. L’arbre cultivé, & qu’on a obtenu, ainsi qu’il sera dit ci-après, a nécessairement une souche d’où s’élancent les mères-racines, & elles s’enfoncent aussi perpendiculairement qu’elles le peuvent dès que le terrain n’y oppose aucun obstacle. De ces mères-racines il part des racines secondaires qui deviennent plus traçantes, & de celles-ci, de plus petites & plus traçantes encore ; mais toutes deviennent traçantes, lorsque la couche inférieure de terre est mauvaise ou imperméable aux racines. On doit encore observer qu’en supposant deux couches de terre, dont la supérieure de bonne qualité aura trois pieds d’épaisseur, & dont l’inférieure sera mauvaise, les racines s’étendront le plus qu’elles pourront dans la couche supérieure. Si au dessous de l’inférieure le sol est bon, elles traverseront la couche mitoyenne pour venir jouir des avantages que leur offre la dernière ; on est sûr alors d’avoir de très-beaux arbres. Si à une certaine distance on a pratiqué un fossé, ou s’il se trouve un plan incliné, une balme, &c. la chaleur directe que reçoivent ces parties, attire les racines de leur côté ; si au contraire l’arbre est planté sur le bord du fossé ou de la balme, les racines, après en avoir tapissé toute la superficie, se replongeront du côté du sol, afin d’y trouver une nourriture convenable. Et pour peu qu’on ne fasse pas attention à ces racines extérieures, elles se chargeront de rameaux par toutes les protubérances dont on a parlé en décrivant cet arbre. On doit regarder ces rameaux & ces bourgeons comme des plantes parasites qui affament l’arbre ; il convient donc de les détruire, à moins qu’on n’ait l’intention d’élever en arbres un ou deux de ces rejetons, ou d’en tirer des sujets, propres aux pépinières ; c’est ce que l’on examinera ci-après.

Comme la superficie du champ diminue chaque année, à moins qu’on ne répare ces pertes par l’addition des engrais, ou par les transports de terres nouvelles, le collet des racines & la souche paroissent s’élever, se déchausser. Dès-lors la partie qui n’est plus enterrée autant qu’elle devoit l’être, fournit des bourgeons, & ce sont ceux-là qu’on garde par préférence pour les pépinières, lorsqu’ils ne sont pas dévorés par les troupeaux.

Le tronc s’élèveroit à la hauteur de vingt pieds & peut-être plus, s’il étoit émondé de ses branches inférieures à mesure qu’il grossit & grandit : mais plus l’arbre est élevé, toutes circonstances égales, & moins le fruit mûrit, parce que trop éloigné de la terre, il ne reçoit plus le degré de chaleur nécessaire ; d’ailleurs la récolte du fruit devient trop pénible, & souvent dangereuse pour le cueilleur. La raison & le besoin forcent donc à tenir le tronc plus ou moins bas, suivant le canton où souvent tout est habitude, & suivant la nature de l’abri, ce qui vaut encore mieux. En France, l’olivier de pépinière se presse de jeter des rameaux par le bas, & ces rameaux absorbent la sève de la partie supérieure si on ne les retranche pas peu à peu : dans les pays plus méridionaux, l’élancement du tronc est plus rapide, plus considérable, & il devient plus haut ; cependant dans tous les cas, si on ne secouroit pas le jeune arbre, il deviendroit un buisson plus ou moins renforcé & élevé. De cet élancement des bourgeons sur le bas de la tige, on doit conclure, pour la France, que l’olivier ne peut pas avoir naturellement un tronc fort élevé, & même qu’on doit fixer sa hauteur, puisque son sommet se développe de lui-même en branches nécessaires pour former la tête. Plus le pays est sujet aux coups de vents & aux froidures, plus l’arbre doit être tenu bas.

L’écorce du tronc lui reste unie tant que l’arbre est jeune ; ensuite ou plutôt ou plus tard, suivant l’espèce d’olivier, cette écorce extérieure se ride, se dessèche, se lève par écailles, & petit à petit les écailles inférieures font détacher & tomber les supérieures. Ce ne sera pas perdre sa peine que d’enlever ces écailles en ratissant l’arbre. Les cavités qu’elles recouvrent, servent de repaire aux insectes pendant l’hiver, mais le grand mal qu’elles causent, c’est de retenir beaucoup d’humidité, & cette humidité rend l’arbre beaucoup plus sensible au froid.

L’intérieur du tronc de l’olivier est sujet à pourrir, & la pourriture gagne insensiblement du sommet jusqu’aux racines, de manière que souvent il est percé à jour. On attribue ce vice considérable au froid, aux gelées, & à mille autres causes extérieures, tandis qu’il dépend originairement de la mal-adresse du cultivateur, ainsi qu’il sera dit en parlant de la taille de cet arbre.

En supposant l’arbre couronné, ou avec sa tige naturelle, il pousse dans le premier cas des bourgeons qui sortent de son écorce ; suivant la force de leur végétation, dans la même année ou pendant l’année suivante, ces bourgeons en poussent de nouveaux opposés les uns aux autres ; par exemple, un du côté du midi & l’autre du côté du nord ; un peu au-dessus se placent deux autres bourgeons, l’un à l’est & l’autre à l’ouest, & ainsi de suite. Enfin celui qui a été le premier bourgeon devient insensiblement mère-branche, les autres branches secondaires deviennent rameaux, & les feuilles conservent le même ordre entr’elles. Il n’y a donc aucune différence dans la manière d’être de la branche-mère & celle des rameaux, sinon que les premières branches & les secondaires sont dépouillées de feuilles ; mais il s’y forme de nouveaux bourgeons lorsqu’on les rabaisse. Au surplus, cet ordre symétrique varie quelquefois.

Une partie des feuilles tombe chaque année après avoir jauni, mais au moins la même feuille tient sur l’arbre, pendant deux & souvent pendant trois années. Elle tombe lorsque la séve se dessèche à sa base, & qu’elle est désarticulée de l’endroit où elle étoit implantée. (Voyez le mot Feuille)

La feuille ne sert pas de simple ornement à l’arbre, elle est la nourrice du bouton, du germe qui paroît à sa base, & d’où sortiront de nouvelles pousses. D’après une utilité si réelle & si démontrée au mot feuille, on doit appercevoir combien il est absurde de gauler les oliviers, afin d’en abattre le fruit. Autant de feuilles l’on brise, l’on détache, autant de germes l’on tue, & cependant c’étoit de ces germes que devoit naître l’abondance.

Les bourgeons en naissant ont une forme presque quarrée, & ils s’arrondissent à mesure qu’ils augmentent. L’olivier a cette forme commune avec plusieurs arbres.

Les feuilles nourrissent encore par leur base, nommée aisselle, (voyez ce mot) outre le germe ou bouton à bois, le germe à fruit ; ces boutons sont donc pendant deux années en nourrice, si je puis m’exprimer ainsi, & ils ne sont sevrés qu’à la seconde, c’est-à-dire qu’ils épanouissent seulement à cette époque, d’où il est essentiel de conclure & de remarquer que la fleur n’épanouit jamais sur le rameau de la même année, mais sur celui de l’année précédente. Cette loi de végétation si constante dans nos provinces, est-elle la même, par exemple, à Lima ? Je n’ose l’affirmer. Ne tiendroit-elle pas, relativement à l’olivier, au peu de chaleur qu’il éprouve dans nos cantons. Je crois avoir observé que si deux années froides, toujours relativement à cet arbre, se succèdent, la frondescence est bien moindre, & le développement des germes plus imparfait. Au surplus je ne donne ceci que comme un simple apperçu, & ce que je dis sur l’effet de la plus grande intensité de chaleur du Pérou, que comme un doute qui mérite cependant d’être vérifié.

La prompte apparition des fleurs non encore développées, mais renfermées dans leurs calices, confirmeroit ce que je viens d’indiquer, puisqu’il n’est aucun arbre en France dont la fleur reste si long-temps à s’épanouir. Dans le courant d’avril les grappes de fleurs commencent à paroître, & l’arbre n’est en pleine fleur que dans le mois de juin. Un petit nombre d’espèces plus hâtives fait une légère exception à cette règle & le climat peut encore y contribuer.

Il est rare que l’olivier ne soit pas chargé de fleurs, mais le moment de leur épanouissement & le temps de leur durée, sont des époques rigoureuses qui tiennent dans la plus grande inquiétude le cultivateur, puisque c’est du bon aoûtement de la fleur que dépend la récolte. S’il survient une pluie, un vent froid, la fleur périt sans nouer ; si jusqu’à la fin de juin, il s’élève des brouillards, tout ou presque tout est perdu ; la fleur, le fruit tombent, & il ne reste plus sur l’arbre que les fruits des boutons tardifs qui n’étoient pas encore développés. Ces brouillards sont malheureusement très-communs dans les vallons, près des rivières & dans les endroits marécageux. Ils paroissent toujours quand il y a deux vents opposés dans l’atmosphère, & sur-tout lorsque les vents du sud veulent régner ; alors les rosées sont très-abondantes & l’humidité forte ; le soleil survient avec force, convertit le tout en brouillards, & les dissipe à la fin. Le seul moyen de prévenir ces désastreux effets, c’est de placer de la paille un peu mouillée du côté d’où le vent souffle, d’y mettre le feu, d’entretenir une fumée épaisse qui se répande sur tout le champ, enlève l’humidité surabondante des fleurs, & les préserve de la trop forte action du soleil. En été c’est un brouillard ; en automne ou au printemps, ç’auroit été une gelée blanche.

Pendant l’été la sécheresse & les grands coups de vent font tomber beaucoup de fruits quoique verts ; mais si la fleuraison a été bonne, on s’appercevra peu de cette perte, parce que les arbres resteront chargés de fruits. Aucune récolte n’est plus casuelle que celle de l’olive. L’arbre redoute les rigueurs de l’hiver, & il s’en ressent souvent jusqu’à la troisième année ; la bonne fleuraison est très-incertaine, & la conservation du fruit aoûté n’est pas toujours décidée. Je ne parle pas encore du tort que lui font les insectes.


CHAPITRE IV.

De la manière de multiplier les oliviers, & de leurs pépinières.


Section Première

Du sol de la pépinière.

Peu de positions réunissent toutes les circonstances qu’exige une bonne pépinière. Si de la disposition des abris dépend la prospérité de l’olivier dans les champs, à plus forte raison pour la pépinière, il faut garantir, autant qu’il est possible, les jeunes pousses des impressions rigoureuses du froid. La pépinière demande encore de ne pas être exposée aux raffales de vent, ni à un courant d’air trop rapide. Outre que les vents augmentent la froidure, qu’ils excitent une plus forte évaporation, & que souvent ils interrompent la transpiration insensible de l’arbre, d’où naît un reflux dangereux dans la circulation de la sève, il arrive que les rameaux battus des vents communiquent leur agitation à la tige, & de la tige aux racines qu’elles ébranlent & qu’elles déchaussent.

En admettant qu’on ait un abri par excellence, que la pépinière ne soit pas sujette à la dent meurtrière des lapins, des moutons, des bœufs, des mules, &c., il faut supposer que l’on a encore dans le voisinage assez d’eau & la facilité d’arroser au besoin. Pour peu qu’on ait de peine, pour peu que l’eau soit éloignée, le paysan différera d’arroser d’un jour à l’autre, & n’arrosera pas au besoin, à moins que le maître ne soit présent.

À la bonté de l’abri, à la facilité de l’irrigation, il faut encore réunir la qualité du sol. Si la terre est forte, compacte, tenace, argileuse, crayeuse, &c., les jeunes plants réussiront très-mal. Une bonne pépinière exige une couche au moins de trois à quatre pieds de profondeur d’une terre douce, légère, substantielle & un peu sablonneuse ; cette terre exigera, il est vrai, plus d’irrigations que les premières, mais les racines s’étendront sans peine, elles s’enfonceront plus avant, & les pousses seront en raison de celles des racines. D’ailleurs un semblable sol reçoit beaucoup plus d’impression de la chaleur que tous les autres ; la fraîcheur causée par les pluies se dissipe plus aisément, & l’eau y séjourne moins.

Il résultera de ce que l’on vient de dire, que la pépinière doit 1°. être placée contre un excellent abri ; 2°. Qu’elle doit être éloignée ou défendue contre la dent des animaux ; 3°. qu’il faut avoir de l’eau dans la proximité, & en quantité suffisante ; 4°. enfin, qu’il faut une couche épaisse d’une terre légère, douce & substantielle.

On objectera sans doute que l’olivier de pépinière doit un jour être replanté dans toute espèce de terrain, & qu’ainsi il ne doit pas être élevé délicatement : cela est vrai jusqu’à un certain point. Mais il faut observer que l’on met en terre un morceau de branche, de tronc, de racine, que ces individus ne peuvent végéter, croître & former des arbres qu’autant qu’ils formeront des racines ; qu’il ne s’agit pas ici d’élever l’olivier de sujets déjà enracinés, provenus de semis, & qui en naissant ont reçu de la nature des moyens d’accroissement. Aussi n’ai-je pas demandé que la terre fût enrichie par des engrais, par des labours multipliés, &c. ; mais j’ai demandé une terre légère afin de faciliter le développement & l’extension des racines substantielles, pour qu’elles pussent y trouver une bonne nourriture. En un mot, le terme pépinière ne peut pas être pris à la lettre ; on auroit dû dire l’assemblage d’un grand nombre de boutures dans un même lieu. Voilà à quoi se réduisent les pépinières d’oliviers.

Section II.

De la multiplication des oliviers.

§. I. Par semis.

Il a été dit & prouvé au mot espèce que les espèces jardinières ou du second ordre, dont on sème les graines, ne produisoient pas leurs semblables en perfection, mais qu’elles ne dégénéroient pas en la première espèce sauvage ou type ; c’est-à-dire que leurs graines produisoient des individus qui tenoient le milieu entre l’espèce sauvage & l’espèce perfectionnée, & se rapprochoient plus de l’une ou de l’autre, suivant le degré de perfection qu’ils avoient reçu. On ne doit donc pas s’attendre, en semant des noyaux d’olives, d’avoir des arbres francs ; mais ceux que l’on obtiendra auront déjà acquis un degré au dessus de l’olivier sauvage : d’ailleurs la culture dans la pépinière produira sur eux encore plus d’effet que sur ceux qui sont transportés des lieux incultes dans nos champs.

Par le semis des noyaux on obtient un grand avantage, celui d’avoir l’arbre naturel, l’arbre garni de son pivot & de toutes ses racines. J’ai insisté jusqu’ici sur la nécessité de ce pivot. (Voyez ce mot) La grande durée d’un arbre dépend de son existence ; Consultez les mots Abricotier, Châtaignier, Chêne, &c. Enfin par le semis on a tout à coup un nombre prodigieux de sujets prêts à être mis en pépinière.

Voilà le beau côté des semis, les points de vue sous lesquels on peut les présenter comme avantageux ; il s’agit actuellement de les considérer sous une face contraire.

Toute méthode quelconque de multiplier les oliviers, est beaucoup plus expéditive que celle des semis ; d’ailleurs cet arbre est si lent à croître, qu’on se dégoûte. L’imposition pèse, le sol rend peu ; l’on veut jouir, & on est pressé de jouir : telle est la solution du problème. Cependant ne sème-t-on pas des chênes, des châtaigniers, &c., arbres très-longs à la pousse ? Oui sans doute, c’est qu’on n’a pas de manières plus expéditives pour s’en procurer. Mais les semis d’oliviers donnent des arbres naturels, des arbres qui, toutes circonstances égales, deviendront plus beaux, seront moins délicats, & dureront beaucoup plus long-temps : n’est-on pas en droit de dire qu’il vaut mieux faire le sacrifice de quelques années de travail & d’attente, & se procurer ce qu’il y a de plus parfait. Quel est l’homme un peu à son aise qui ne puisse sacrifier un petit emplacement de son jardin, & supporter la dépense de cinq à six journées d’hommes chaque année ; ce qui suppose même une certaine étendue de terrain. Au surplus, je ne propose le semis de noyaux qu’aux amateurs. Je sais que plusieurs en ont fait l’essai, qu’ils se sont rebutés après un certain nombre d’années, que très-peu ont réussi ; malgré cela, que risque-t-on de tenter encore.

On ne voit jamais, ou presque jamais, les noyaux d’olives germer dans les champs, dans les basses cours, dans les jardins &c. ; la chaleur de nos climats n’est-elle pas assez forte pour opérer leur germination ? Je ne puis le décider ; mais je sais par expérience, que ces noyaux avalés par les moutons, les bœufs & les vaches, sont rejetés ensuite après leur rumination, & ne germent pas ; qu’avalés par des dindes, ils sont digérés, & ne paroissent plus dans leurs excrémens ; que si le fruit a été avalé par une chèvre, elle rend le noyau avec ses crottins ; & que ce noyau planté convenablement, germe, végète, prospère, &c. La poule aime l’olive mûre, elle mange le fruit, rejette quelquefois le noyau ; & si elle l’avale, elle le rend digéré. Les pies qui sont voraces & fort communes dans les pays chauds, avalent le fruit & le noyau, & rendent ce dernier, puisqu’on le trouve entier dans leurs excrémens ; je crois qu’elles sont les grandes pourvoyeuses des semences des oliviers sauvages. Cette digestion animale est-elle une condition nécessaire à la germination ? le problème n’est pas résolu : on le résoudra cependant si l’on veut, en faisant l’expérience suivante : établir une couche sous vitreaux, (voyez ce mot) en changer peu à peu le fumier dès qu’il a perdu la chaleur, lui en substituer du nouveau, ou entretenir sa chaleur par des réchauds ; (voyez le mot Couche) enfin suivre ce qui a été dit dans cet article ; avoir des pots remplis de bon terreau dans lesquels on aura placé trois à quatre noyaux des olives oubliées sur les arbres, & qu’on n’y cueillera qu’à la fin de février, ou de mars, ou même d’avril, si le vent ne les a pas encore abattues ; ou enfin les olives les plus mûres & les plus saines que l’on pourra trouver ; parce que tant que la pulpe subsiste, elle conserve & nourrit le noyau. Je crois que cette méthode est tout aussi expéditive & avantageuse à la germination, que l’est l’estomac de la chèvre & des oiseaux. L’on peut cependant répéter l’expérience en donnant une certaine quantité d’olives à manger à une chèvre, & en conservant ses crottins mêlés avec les noyaux, afin qu’ils les maintiennent dans un point de chaleur & d’humidité convenables jusqu’au moment où on voudra les semer dans des pots : la couche & les vitreaux faciliteront leur plus prompte germination, si on veut les employer. La plante une fois sortie de terre n’exige plus que les soins généraux, c’est-à-dire d’être sarclée & arrosée au besoin.

Comme je n’ai jamais élevé ni vu élever des oliviers venus de semence, je ne puis parler d’après l’expérience : cependant je crois qu’il est important de semer dans des pots, afin de mettre ces plantes, si délicates, à couvert des rigueurs du froid, au moins pendant les premières années ; que chaque année on doit leur donner des pots plus grands & plus profonds, afin de permettre au pivot de s’étendre, de s’alonger à son aise, & de l’empêcher de se replier dans la circonférence du pot. À chaque dépotement les racines trouveront une terre nouvelle, & la plante prospérera beaucoup plus. La grande durée de tout arbre tient à son pivot : je ne cesserai de répéter cette maxime.

Lorsque l’arbrisseau aura pris une certaine consistance, c’est alors le cas de le placer à demeure dans la pépinière, d’ouvrir une fosse proportionnée, & de le dépoter sans déranger aucune de ses racines, à moins qu’elles ne serpentent tout autour du pot ; alors on les détache doucement, & on les dispose dans la circonférence de la fosse, en observant que leur extrémité regarde toujours le fond. Si l’ouverture que l’on a faite n’est pas assez profonde, dans la supposition que le pivot eût serpenté au bas du pot, il est indispensable de creuser autant que le pivot l’exige, & même de foncer de la profondeur d’un fer de bêche, (voyez ce mot) afin que le premier prolongement de l’arbrisseau trouve une terre meuble.

§. II. Multiplication par les branches.

L’olivier a l’avantage inappréciable de prendre racine par toutes les parties qui le constituent, excepté par les feuilles. On pourroit dire que chacun des pores de son écorce est propre à produire un bourgeon, si cette écorce est exposée à l’air ; ou une racine, si elle est enterrée. Aucun arbre n’a une plus grande tendance à bourgeonner ; la nature veut sans doute le dédommager de la lente production des semis.

Plusieurs auteurs ont proposé de faire des ligatures sur les branches, afin que la sève descendant du sommet aux racines, trouvant un obstacle vers la ligature, y formât un bourrelet qui faciliteroit ensuite la sortie des nouvelles racines. J’ai coupé des branches sans bourrelet, (voyez ce mot) & avec bourrelet ; après les avoir plantées avec soin, les unes n’ont pas mieux réussi que les autres. Les racines ont poussé indifféremment de tous les côtés de la partie enterrée, & très-peu par le bourrelet.

Des branches plantées perpendiculairement, & dont les tiges avoient depuis un pouce hors de terre jusqu’à deux pieds, celles qui avoient le plus ravalé, toutes circonstances égales, ont le mieux réussi : les plus hautes se sont desséchées dans la partie exposée à l’air, & quelques-unes en petit nombre ont repoussé par le pied.

Des branches plantées avec leurs rameaux, dont les rameaux ont été mis en terre en manière de racines, quelques-unes ont réussi, & le plus grand nombre a péri, & ce nombre a été proportionné à la plus ou moins grande élévation de la branche hors de terre.

Des tronçons de branches, depuis huit, douze à dix-huit lignes de diamètre, en bois jeune & très-sain, ayant à peu près dix-huit pouces de longueur, plantés perpendiculairement à douze, dix & neuf pouces de profondeur, ont réussi en raison du peu de hauteur du tronçon, au-dessus du niveau du sol. Les tronçons de huit lignes de diamètre, & ceux de dix-huit ont eu le moins de succès ; ceux de dix à douze ont réussi le mieux. En total, j’en ai plus perdu que je n’en ai sauvé.

Des tronçons sur un pouce de diamètre, & de huit à douze pouces de longueur, également jeunes & sains, ont été couchés horizontalement, & recouverts de terre à des profondeurs inégales ; ceux couchés & enterrés à neuf pouces ont très-peu réussi ; ceux à six, un peu mieux, & presque tous ceux couchés & enterrés à quatre pouces ont très-bien végété. Cette méthode, quoique très-avantageuse, a le même défaut que celle par les racines dont il sera parlé ci-après. Toutes ces expériences ont été faites pendant les mois de mars & d’avril.

Conduire des boutures, (voyez ce mot) dans des pots percés, ainsi que le pratiquent les amateurs dans les provinces moins brûlantes que celles du midi, seroit un travail en pure perte dans celle-ci, à moins d’avoir de grands pots. Il faudroit à chaque instant avoir l’arrosoir à la main, & placer piquet sur piquet, afin de maintenir le pot dans une bonne position, & afin qu’il pût résister à la violence des coups de vents.

Des auteurs ont conseillé de faire des boutures en couchant les branches en terre. Ils ont raison s’ils trouvent des branches propres à cet effet ; mais, comme par rapport aux troupeaux, on tient les branches assez élevées pour qu’ils ne puissent pas y atteindre, il paroît presqu’impossible de suivre le conseil que ces auteurs donnent. Si les rejets partent des racines & en assez grand nombre pour en faire un buissonnier, alors on peut en coucher un certain nombre, & conserver la perpendiculaire aux autres tiges ; si le tronc a déjà été abattu, s’il reste sur pied, ces boutures multipliées l’affameroient.

En Espagne, près de Séville, on prend une branche d’olivier jeune, saine & grosse comme le bras. On partage en quatre son extrémité inférieure & en manière de croix, sur une longueur de six à huit pouces, & afin que ces quatre morceaux ne se rejoignent pas, on place dans le milieu une petite pierre qui les empêche de se réunir. Cette branche est plantée à la profondeur de deux pieds. On s’est imaginé que la pourriture s’établissoit dans la partie supérieure de la fente, entre les quatre divisions de la branche ; que cette pourriture montoit & gagnoit insensiblement le haut & tout le tronc ; enfin que la cavité des arbres auxquels il ne reste souvent que l’écorce, étoit une suite nécessaire de la division de la branche par le bas. Si on avoit pris la peine de déchausser ces jeunes pieds la troisième ou quatrième année après leur reprise, on auroit vu que l’écorce recouvroit entièrement chaque division, & qu’elle s’étoit portée de devant en arrière pour en faire le tour ; enfin on auroit trouvé qu’à la réunion de l’enfourchement, l’écorce avoit fait bourrelet, & qu’il ne restoit plus de parties ligneuses à nu. La pourriture intérieure des branches, du tronc, &c. est uniquement due à la taille ; ce qui sera prouvé ci-après.

§. III. Multiplication par les rejetons.

J’appelle ici rejetons les bourgeons qui s’élancent du tronc de l’arbre, mais plus particulièrement encore ceux qui partent des racines ou de leur collet.

Des bourgeons du tronc. Si par hasard un bourgeon s’est élancé du milieu du tronc, on se hâte de l’abattre dès qu’on s’en apperçoit. Si cette branche n’a pas été coupée très-ras, l’écorce qui se régénère recouvre la coupure, y forme une proéminence, enfin un bourrelet. Il est rare que dans la suite il n’en sorte pas de nouveaux bourgeons qui, abattus à leur tour, & la plaie recouverte par la nouvelle écorce, augmentent le diamètre du bourrelet, & multiplient les yeux des nouvelles pousses. Lassé de couper sans cesse, j’ai fait enlever cette continuité de bourrelets, & recouvrir la plaie avec l’onguent de saint Fiacre. (voyez ce mot) Ces excroissances enterrées à six pouces, ont produit un nombre prodigieux de rameaux. À la seconde année je n’en ai conservé qu’un ou deux, & leur végétation a été rapide ; très-peu ont manqué.

Des bourgeons du collet. Les bourgeons qui naissent directement du collet, peuvent être employés utilement ; mais avec un ciseau il faut les détacher du collet & leur laisser une grande partie du bois de dessous recouverte de son écorce. On les plante perpendiculairement entre cinq & six pouces de profondeur. J’ai toujours observé que plus on laissoit la tige longue, & moins l’on étoit assuré de la réussite. Les tiges coupées à un pouce au-dessus du sol, & la coupure recouverte par l’onguent de saint Fiacre, ne sont point hâlées par le courant d’air.

Les bourgeons qui naissent éloignés du tronc, & qui, de la racine, s’élèvent à travers la terre, sont bien précieux. On peut en conserver au moins un & également deux, lorsque le sol est bon, régulièrement bien travaillé, bien fumé, sur-tout lorsque l’arbre est vigoureux. Ces bourgeons deviendront arbres, & lorsqu’ils auront deux à trois pouces de diamètre, il faudra les séparer, & couper les deux bouts de la grosse racine qui les porte, on aura alors un plant garni de bons chevelus. Plusieurs écrivains ont dit que ces rejetons nuisoient à l’arbre, qu’ils en absorboient la sève ; & que l’olivier donnoit alors moins de fruit. Ils peuvent avoir raison si cet arbre est mal tenu, mal fumé, & dans un champ mal travaillé. J’ai suivi avec la plus grande attention la manière d’exister de ces rejets & de leur père, & je puis dire avec confiance que s’ils lui sont nuisibles, cela ne paroît pas. Ce qui est le plus à redouter pour eux, c’est la dent des troupeaux. La soustraction de ces nouveaux pieds est la même que pour les premiers, avec cette différence cependant qu’il faut laisser à celui-ci tout le tronçon de la racine avec ses chevelus sur une longueur de cinq à six pouces de chaque côté.

§. IV. Multiplication par les racines.

Les racines, ainsi qu’on l’a déjà dit, sont couvertes, d’espace en espace, de protubérances plus blanches que celles du reste de l’écorce. Elles ne sont pas, comme quelques uns l’ont pensé, occasionnées par des piqûres d’insectes, des plaies, des galles, &c. Elles sont naturelles à la racine, & ce sont autant de placemens pour les racines nouvelles qu’elles produiront dans la suite ; ce sont de vrais boutons qui n’attendent que le moment de s’ouvrir. On en voit, de semblables sur les jeunes branches qui poussent sous l’écorce, & que l’on ne doit pas confondre avec les galles creuses qui sont l’ouvrage de l’insecte, & qui lui servent de demeure ; les premières indiquent la vigueur, & les secondes concourent à l’épuisement.

Lorsque l’on arrache, lorsque l’on déplante un olivier, on a la barbare coutume de ne lui laisser que sa souche, & d’en séparer toutes les racines. (cet objet sera pris en considération par la suite) Ces morceaux déracinés doivent être conservés avec soin, afin de former des pépinières. On les divise sur une longueur de neuf à douze pouces, & on les enterre à la profondeur de quatre à cinq.

Aucune espèce de boutures, aucune méthode n’a eu chez moi un succès plus décidé que celle-ci : je la conseille donc d’après ma propre expérience. Il est peut-être possible cependant qu’elle ne réussisse pas par-tout également, mais pour espérer de réussir, il faut être aussi soigneux que je l’ai été.

§. V. Multiplication par la suppression du tronc.

Lorsque l’on voit un tronc caverneux, percé à jour, intérieurement pourri, lorsque la séve monte difficilement dans les branches, enfin lorsque l’arbre est sur le retour, il est temps de l’abattre ; alors on le coupe proprement à fleur de terre, & on recouvre la plaie d’un à deux pouces de terre fine & bonne. L’écorce forme peu à peu le bourrelet, & recouvre une portion de la plaie & sur toute sa circonférence : du bourrelet partent des rameaux dont on supprime la plus grande partie à la seconde & troisième année ; enfin on laisse jusqu’à cinq ou six rameaux des plus vigoureux ; leur nombre doit être proportionné à la bonté du sol. C’est de cette manière qu’après le désastreux hiver de 1709, on repeupla les campagnes.

Ce que l’on vient de dire sur la multiplication de l’olivier, prouve que toutes ses parties servent à renouveler la masse des individus ; qu’absolument parlant toutes les méthodes sont bonnes du plus au moins ; que d’après mon expérience il est prouvé au moins, quant à ma position, mon climat, &c, que les tronçons des branches & des racines plantés horizontalement, donnent plus promptement des pieds, & que ces méthodes sont les moins casuelles.


CHAPITRE V.

De l’éducation des oliviers en pépinières.


Le point essentiel est que les boutures, de quelque genre qu’elles soient, prennent promptement racine, & qu’elles poussent beaucoup. La terre doit donc être tenue meuble par des serfouissages souvent répétés, par un sarclage rigoureux, & par de légères irrigations au besoin. Si dans le courant de l’été on est assez heureux d’avoir trois ou quatre bonnes pluies dans les temps opportuns, l’irrigation (voyez ce mot) devient inutile, à moins que la chaleur & l’évaporation ne soient trop fortes. Les bonnes & les plus salutaires irrigations sont celles qui se font en mai & en août. L’olivier craint la grande humidité, parce qu’elle s’oppose à la concentration de la chaleur : il suffit que la terre soit moîte, ou légèrement humide. Ce sont les circonstances qui déterminent le nombre des irrigations, il n’est pas possible de le prescrire. Il est à propos, le lendemain ou le surlendemain de chaque arrosement, de serfouir la terre afin de lui rendre cette souplesse, cette mollesse que l’eau lui a fait perdre. Avec de tels soins il est impossible que chaque bouture ne reprenne pas & ne donne de beaux bourgeons.

J’ai livré à elles-mêmes de semblables boutures, c’est-à-dire que je les ai plantées dans un terrain qui ne pouvoit être arrosé que par les eaux pluviales, et il étoit naturellement assez sec, cependant un assez bon nombre de boutures a réussi ; mais il faut convenir que les saisons leur furent assez favorables.

L’observation m’a également appris que la succès d’une pépinière dépendoit presque toujours de la première année ; que les boutures qui ne sont pas mortes, et qui ne poussent qu’à la seconde ou à la troisième année, restent chétives et languissantes, occupent en pure perte un terrain précieux, et demandent malgré cela le même soin que les bons plants.

On ne risque rien de planter près les uns des autres les tronçons horizontaux, soit des branches, soit des racines ; c’est-à-dire de ne laisser que trois à quatre pouces entre chaque extrémité. Supposons que chaque tronçon pousse des bourgeons, et que chaque tronçon ait un pied de longueur, il est clair qu’à la seconde année ils se trouveront trop serrés, qu’ils le seront encore plus à la troisième, etc. À la seconde année on enlèvera un de ces tronçons avec ses racines pour le replanter ailleurs ; le tronçon voisin à la troisième, de manière que chaque souche restante se trouvera, à cette époque, séparée de sa voisine à une distance de trois pieds, espace suffisant pour continuer l’éducation de l’arbre. Si les tronçons sont trop peu enracinés, on ne peut commencer cette opération qu’après la seconde année révolue.

Les pousses de la première année sont tendres, délicates, et pour ainsi dire herbacées. Dans cet état elles sont très-sensibles aux impressions du froid ; la prudence dicte de les couvrir avec de la paille longue, et encore mieux avec les balles du blé, de l’orge, etc., lorsque l’hiver commence à exercer son empire. La paille a le défaut de se laisser pénétrer par l’eau de la pluie qui s’y glace, se colle contre la jeune pousse et la fait périr. La balle de blé au contraire n’est pas perméable à l’eau, et empêche supérieurement que la terre ne soit gelée. Cependant les jeunes pousses privées de la lumière, blanchiroient sur cette enveloppe, deviendroient plus délicates si elles restoient couvertes pendant long-temps. Afin de parer à cet inconvénient, on commence, à l’entrée de l’hiver, à faire avec ces balles, une espèce de rempart tout autour de la pousse ; c’est un abri qu’on lui donne, et dès que la gelée survient, on réunit la balle par le sommet ; le jeune pied en est entièrement recouvert, et il se trouve à l’abri du froid, de la pluie, de la neige, etc. Comme les froids ne sont pas de longue durée dans les climats à oliviers, on donne de l’air dès qu’ils sont passés jusqu’à ce qu’il en survienne de nouveaux ; et ainsi de suite jusqu’à l’époque où l’on n’a plus rien à craindre. Il est très-utile, pendant les premières années, de couvrir de la même manière seulement tous les pieds de la pépinière. Si le froid est trop considérable, on ne perdra que la partie de la tige qui n’aura pas été recouverte, et cette perte sera bientôt réparée par la vigueur des jets qui s’élanceront de la partie restée saine. Si l’on est assez heureux pour habiter un pays ou l’on ne craigne pas les effets des gelées, les précautions indiquées deviennent inutiles.

Voilà, dira-t-on, beaucoup de soins pour un arbre qui doit ensuite être livré à lui-même, planté dans toutes sortes de terrains, &c. : j’en conviens, & quoiqu’ils ne soient pas bien considérables, & que dans une matinée ou une soirée un homme puisse couvrir plus de mille pieds, ces soins sont cependant nécessaires parce qu’il ne s’agit pas ici d’un arbre provenu de semence & déjà garni de racines pivotantes, & dont les bourgeons sont déjà ligneux ; mais il s’agit de boutures dont les racines sont foibles & les tiges délicates, herbacées : d’ailleurs, que sont trois ou quatre journées de plus, ajoutées aux frais d’une pépinière de mille à douze cents pieds ? Ces soins rigoureux ne s’étendent pas au-delà de la première ou de la seconde année, tout au plus.

Si les pousses après la première année sont bien établies, bien sûres, on n’en laissera qu’une ou deux, suivant leur force, afin que les surnuméraires ne dévorent ou ne partagent pas leur subsistance. La seconde est conservée sur pied, dans le cas que l’une ou l’autre vînt à périr par un accident quelconque ; mais des qu’il s’en trouve une bien assurée, la seconde devient inutile, & doit être supprimée au commencement ou à la fin de la seconde année. Si dans la première année les tiges restent confuses, foibles, imparfaites, il vaut mieux attendre la fin de la seconde pour procéder à la suppression des tiges surnuméraires. La force des sujets décide l’époque de la soustraction & du déplacement des tronçons voisins & inutiles. Sur cet objet toute règle trop générale est absurde.

On croit avancer beaucoup en élançant les tiges, en les élaguant des rameaux inférieurs : c’est de tous les abus le plus contraire aux règles de l’art, sur-tout à celles de la nature. On obtient, il est vrai, par ce procédé, & promptement, des tiges longues, minces, fluettes & hautes dès la seconde ou dès la troisième année ; mais il ne reste plus de proportion entre les rameaux qui naissent, & que l’on conserve à leur sommet, & la grosseur de la tige. Ils ont besoin de tuteurs, il faut raccourcir les branches du haut ; cependant le tronc n’en a pas moins filé, il reste sans force, épuisé, & il ne prend jamais une grosseur convenable. Qu’arrive-t-il enfin ; c’est que l’expédient le plus court & le meilleur est de le receper ensuite par le pied, afin de lui faire pousser une nouvelle tige qui acquiert la grosseur convenable, si elle est ménagée comme il convient.

J’ai dit qu’il falloit planter presque bout à bout les tronçons, soit des branches, soit des racines, & séparer les surnuméraires à la seconde ou à la troisième année, & même à la quatrième suivant le besoin, afin d’en faire de nouvelles pépinières. Les tiges qui s’élanceront des uns & des autres, se garniront inférieurement de rameaux qui agiront ici comme ceux des forêts, c’est-à-dire qu’ils s’étendront également, & que le brin s’élèvera en proportion ; enfin, qu’il ne filera pas, mais conservera la grosseur convenable. Si à la seconde ou troisième année on supprime ces tronçons, alors les sujets se trouveront espacés de trois pieds, & les rameaux inférieurs ne tarderont pas à se réunir & à occuper les places vides. Si on se hâte de les supprimer, les tiges s’élanceront & deviendront foibles. L’effet de ces rameaux inférieurs est de modérer la sève, de l’empêcher de se porter à l’extrémité de la tige : il y a plus ; ils sembleront vivre au dépens de la partie supérieure. Le temps viendra où ils demanderont à être supprimés avec modération ; ce sera lorsque la tige, à l’endroit de leur insertion, aura un pouce environ de diamètre : l’année suivante on détruira le rang supérieur, & ainsi de suite. Le grand point, le point unique, essentiel, est de laisser grossir le tronc. L’amour-propre du cultivateur est flatté, lorsqu’il montre sa pépinière, de pouvoir dire ; voilà les pousses d’une, de deux, de trois années ; examinez comme elles sont hautes, droites, &c. : mais le connoisseur demandera quelle est leur force ? Cette jouissance que j’appelle d’amour-propre mal entendu, a été le fléau de presque toutes les pépinières que j’ai vues. Laissez donc pousser tous les rameaux de la seconde, & même de la troisième année, votre pépinière dût-elle ressembler à un taillis, à un buisson. Laissez dire ceux qui jugent sans connoître, & souvenez-vous que les racines seront toujours en raison de la force des tiges & des rameaux. On se convaincra de cette vérité, si l’on considère un érable, un ormeau, un oranger, &c. dont la tête est taillée en boule, & maintenue telle chaque année ; alors comme l’arbre a peu de bois à nourrir, les racines restent courtes ; mais livrez ces arbres à eux-mêmes, leurs racines se proportionneront à la force des rameaux : l’ormeau, le noyer, &c. en pousseront qui iront au-delà de trente à quarante pieds.

Lorsque la masse du tronc est parvenue à une grosseur suffisante, par exemple, à celle de deux à trois ou quatre pouces de diamètre par le bas, proportion gardée sur sa longueur ; c’est alors le moment d’arrêter à une hauteur convenable le sommet de la tige, afin de la forcer à donner naissance à de nouvelles branches qui mettent dans le cas de supprimer tous les rameaux inférieurs. Cette hauteur dépend du climat que l’on habite, & encore plus de la manière, de l’habitude d’y conduire les arbres & leur taille : Après que la tige est formée & proportionnée dans sa grosseur & sa hauteur, on peut alors tirer l’arbre de la pépinière, & le transplanter par-tout où l’on veut.


CHAPITRE VI.

Du manuel de la transplantation de l’olivier, de la grandeur & profondeur des fosses définies à le recevoir, & de sa plantation.


Section Première.

De la transplantation.

On doit distinguer trois genres de transplantations : le premier, des sujets élevés dans les pépinières ; le second, des sujets élevés aux pieds des arbres ; le dernier enfin, des arbres déjà formés qu’on arrache d’un endroit pour les transporter dans un autre.

I. Des sujets de pépinière. C’est la faute des propriétaires, s’ils ne réussissent pas après la transplantation, puisqu’au pivot près, ils ont toutes les qualités des arbres naturels, & qu’ils sont garnis d’un grand nombre de racines & de chevelus.

Il convient d’attaquer la pépinière par un de ses coins, d’y ouvrir une fosse au moins de trois pieds de profondeur, à mesure qu’on avance contre les oliviers ; & à cette profondeur on enlève la terre par-dessous autant qu’on le peut, en formant une espèce d’arc de voûte, & la partie supérieure s’éboule à proportion. De cette manière les racines sont mises à découvert, & nullement endommagées. L’ouvrier les conserve avec soin, il les range de côté, & après avoir enlevé avec la pelle le terrain tombé dans la fosse, il continue sa fouille jusqu’à ce qu’il parvienne au dessous du tronc de l’arbre. Voilà toutes ses racines déjà découvertes sur un de ses côtés, & nullement endommagées. Un enfant maintient l’arbre dans sa perpendicularité, & l’ouvrier continue à excaver par dessous, jusqu’à ce qu’il soit arrivé à l’extrémité des dernières racines : en suivant cette méthode, on sort l’arbre avec toutes ses racines, & on l’emporte dans cet état vers la fosse où il doit être placé à demeure.

On trouve souvent dans les pépinières des sujets foibles, & qui ne sont pas encore au point d’être transplantés ; on veut les ménager, & par cette condescendance mal entendue, on est forcé de mutiler une grande partie des quatre sujets de sa circonférence. Il vaut mieux différer la transplantation d’une & même de deux à trois années, afin que tous les pieds aient acquis la grosseur convenable, & alors débarrasser entièrement la pépinière. Les traînards d’ailleurs ne feront jamais de beaux arbres ; ils restent tels, parce qu’ils ont quelques vices essentiels de conformation. On peut, si l’on veut, les replanter à part dans un endroit séparé & quelquefois ce changement leur devient avantageux.

Si on doit transporter les arbres au loin, c’est le cas d’envelopper les racines avec du foin, ou avec de la paille, aussi-tôt qu’ils sont hors de terre, afin que le soleil, le hâle de l’air ne les endommage pas. La meilleure enveloppe est la mousse lorsqu’on peut s’en procurer ; elle conserve une précieuse humidité autour des racines.

Le propriétaire attentif, & qui procède méthodiquement, ne fait arracher de la pépinière, & pendant les premières heures du travail du matin, que le nombre de sujets qu’il peut planter dans la journée ; ou bien, ce qui est encore mieux, un certain nombre d’ouvriers déracine à mesure que les autres plantent.

Si des sujets restent pendant plusieurs jours, plusieurs semaines hors de terre, quoiqu’enveloppés de paille ou de foin, il est nécessaire de mettre les racines tremper dans l’eau pendant un jour ou deux jusqu’au dessus du collet des racines ; mais lorsqu’on les aura une fois sortis de l’eau, ils ne doivent plus y être plongés. On ne les sortira donc qu’à mesure qu’on en aura besoin. Nous verrons bientôt comment on doit planter.

II. Des sujets élevés aux pieds des arbres. On se contente, en général, de déchausser un peu la souche de l’arbre du côté où le jeune pied s’est formé ; alors, avec un ciseau ou avec la hache on sépare la bille par les deux bouts du reste de l’arbre. Ce sujet mis en terre pousse à la vérité, si pendant l’été il ne fait pas de sécheresse, & souvent il ne pousse qu’à la seconde année. Quoique cette méthode réussisse quelquefois, elle n’est ni la meilleure ni la plus sûre. Il vaut beaucoup mieux commencer l’excavation à quelques pas de là, suivre à une certaine distance la direction de la racine sur laquelle porte Le sujet, la déchausser sur une longueur de deux à trois pieds, en ménager les chevelus avec soin ; enfin, séparer le sujet & la partie de la racine dont on vient de parler ; alors on plantera véritablement un pied en racine, & dont la reprise sera assurée. On objectera sans doute que l’amputation de cette grosse racine nuira à l’arbre ; je réponds d’avance qu’il ne s’en ressentira pas, & je le prouverai dans la suite à l’article culture.

III. Du déplacement des vieux pieds. Cette opération, est en général ruineuse pour le propriétaire, puisque sur dix pieds replantés il en meurt pour l’ordinaire trois ou quatre. La manière de les transplanter en est presque toujours la cause ; on suppose l’arbre sain & nullement sur le retour : s’il n’est pas en bon état, c’est perdre son temps & son argent que de le transplanter.

À une toise franche au-delà du tronc on commencera à ouvrir une fosse circulaire de deux pieds de diamètre sur une profondeur de trois pieds, & on ira toujours en avant vers le tronc, ainsi qu’il a déjà été dit. Si au-dessous de la profondeur de trois pieds on trouve des racines pivotantes, on les coupera proprement avec la hache, & on travaillera toujours circulairement en se dirigeant contre le centre, de manière que l’arbre puisse être levé tout d’une pièce, & on conservera la plus grande étendue possible aux racines. Je multiplie, j’en conviens, la dépense & l’emploi du temps, mais exista-t-il jamais un arbre plus précieux, & dont la perte soit plus difficile à réparer ? Cette considération doit entrer pour beaucoup dans l’opération. La perte d’un bel olivier n’est-elle pas plus préjudiciable au propriétaire, que celle de quelque argent ? J’ai une suite d’expériences faites avec le plus grand soin, qui prouvent que moins on laisse de racines à un olivier, plus sa reprise est difficile, & moins promptement il donne des rameaux forts & vigoureux.

D’après la plus mauvaise de toutes les méthodes, on a la coutume de sacrifier toutes les racines, de ne laisser à l’arbre que sa souche décharnée. Pourquoi la nature lui avoit-elle donc donné des racines ? Si cette souche, pour l’existence & la subsistance du tronc, est obligée d’en pousser de nouvelles, à plus forte raison les anciennes lui sont nécessaires. Comme les raisonnemens ne détruiront jamais les préjugés du peuple, & combien de grands propriétaires ne sont-ils pas peuples à ce sujet ! J’invite à faire le sacrifice de deux arbres, dont l’un sera planté avec le plus grand nombre de racines, & l’autre avec la simple souche bien déchaussée, bien décharnée, bien mutilée, suivant la coutume, & on jugera à la troisième année lequel des deux arbres aura le mieux profité. J’ai été à même de faire un grand nombre de déplacemens semblables. J’ai laissé à mon maître valet la conduite d’un pied d’olivier bien dépourvu de racines latérales ; cet arbre est mort & la végétation des autres auxquels je n’ai rien retranché, est très-belle. Cependant on a donné à ces arbres les mêmes irrigations & les mêmes travaux ; enfin, ils ont été plantés dans le même champ. On ne me persuadera jamais que l’amputation des racines soit avantageuse. Si ce qu’on nomme un souquet, si un éclat de racine, si des tronçons, &c. poussent des racines & des bourgeons, si enfin il en résulte des arbres, à plus forte raison, un arbre planté avec ses racines aura plus de facilité à en pousser de nouvelles, & sa reprise sera bien plus sûre que celle de ces morceaux isolés. Un tel arbre sans racines végétera, au retour de la chaleur, à peu près comme un peuplier qu’on aura coupé pendant l’hiver, parce qu’il lui reste un peu de séve qui développe les boutons déjà formés ; mais lorsque ce reste est épuisé, lorsque la chaleur du mois d’août se fait sentir, les boutons se dessèchent & périssent. Il en est de même des oliviers, & si l’été a été sans pluie, chose fort commune, la terre desséchée, qui environne la souche, concourt encore à absorber le peu d’humidité qui lui reste, aussi voit-on à cette époque les premiers jets périr. On arrose, vous dit-on, de pareils arbres ; cela est vrai, mais la chose est-elle toujours possible, & souvent, & très-souvent cette précaution ne suffit pas pour sauver l’arbre, parce qu’il n’a pas encore les moyens de subsister par lui-même.

Section II.

De la forme & de la grandeur des trous.

La forme quarrée est préférable à la ronde, puisqu’elle a quatre angles qui dépassent, le cercle, & dont la terre est remuée. La largeur & la profondeur dépendent de la grosseur, de l’arbre, du volume de sa souche & de ses racines. La profondeur & la largeur sont des objets sur lesquels il convient le moins de lésiner. L’arbre dédommagera dans peu des avances qu’on aura faites. D’ailleurs, si, pour les arbres déjà formés, on a eu la précaution de les enlever avec beaucoup de racines, il est clair que le diamètre & la profondeur de la fosse doivent être bien plus considérables pour ceux-là, que pour les arbres de pépinières ; il n’y a donc point de règles fixes sur les fosses des gros arbres, à moins qu’on ne se contente de les lever seulement avec leur souche ; alors une fosse de six pieds sur trois, est suffisante. Elle l’est également pour les sujets tirés des pépinières, & encore mieux si on leur donne sept ou huit pieds sur quatre de profondeur.

La nature du sol doit encore être consultée. Plus il est maigre, caillouteux, argileux, crayeux, marneux, & plus les fosses doivent être grandes & profondes. Dans tous ces cas la terre doit être amendée par l’air & par les météores, & l’être long-temps à l’avance. Les terres compactes, argileuses ont encore plus besoin de cette opération que les autres. On ne peut trop les défoncer afin de faciliter l’extension des nouvelles racines qui ne s’étendent qu’avec la plus grande peine dans les argiles, les craies, &c. Comme ces terres retiennent l’eau, comme après de longues pluies, elles ressemblent à des bassins qui sont remplis d’eau, les cultivateurs attentifs donnent aux fosses un à deux pieds de plus en profondeur, & remplissent cette excavation avec des pierres ou avec de gros graviers ; alors l’eau filtre à travers, & ne pourrit plus les racines d’un arbre qui craint la trop grande humidité.

On devroit, aussitôt, que le grain est récolté, & dans l’endroit où l’on se propose de planter un olivier, faire ouvrir une fosse proportionnée au volume de l’arbre qu’on lui destine. Le soleil, pendant l’été, pénétrera le fond de la fosse de sa lumière & de sa chaleur, & les pluies de l’automne & de l’hiver y établiront un réservoir d’humidité, dont l’arbre pompera la quantité qui lui est nécessaire pendant l’été suivant. D’ailleurs la terre humectée pompera plus aisément les sels de l’atmosphère ; elle subira une espèce de fermentation, se bonifiera, & aura acquis l’état le plus favorable à la végétation.

Section III.

De la plantation de l’olivier.

Avant de planter l’arbre, on doit donner un fort coup de bêche (voyez ce mot) au fond de la fosse & tout autour, afin qu’il y ait plus de terre travaillée ; on jette ensuite sur ce fond des gazonnées, si on en trouve dans le voisinage, ou bien une couche de fumier très-consommé, afin qu’il attire vers lui les nouvelles racines, & les oblige à pivoter. La terre de la circonférence sera jetée peu à peu & à la hauteur que l’on croira nécessaire. Alors on mettra l’arbre en place, car on suppose qu’il a été couronné ou sur place ou dans la pépinière, afin de le manier avec plus de facilité dans la suite.

L’arbre mis en situation, le premier soin doit être d’étendre & de disperser uniformément ses racines, de manière qu’il ne s’en trouve pas plus d’un côté que de l’autre, & que toutes leurs extrémités plongent dans la terre remuée. Ensuite, avec les mains ou avec le manche de quelque outil, on tasse la terre entre les racines, au point qu’il ne reste aucun vide. Si c’est un arbre jeune ou de pépinière, on fera ce que l’on appelle souffler ses racines, c’est-à-dire qu’on le soulèvera par de petites secousses, afin que ces racines se recouvrent de terre, & que cette terre s’insinue entre leurs interstices.

Si on a des balles de froment, d’orge, &c., ou bien de la paille hachée très-menue, (les balles sont préférables) on en fera une couche au-dessus des racines, lorsqu’elles seront couvertes de terre ; cette couche s’oppose à la trop grande évaporation de l’humidité & devient un bon préservatif contre la chaleur attractive de l’été.

Que l’arbre soit planté avant, pendant, ou après l’hiver, il est prudent de faire jeter sur la fosse une masse d’eau ; par exemple, la valeur de soixante bouteilles, mesure de Paris, afin d’obliger la terre de se tasser aussitôt & de faire corps avec ses racines. Cette irrigation deviendra cependant dangereuse si l’hiver est rigoureux, parce que l’eau attire le froid, ou plutôt son évaporation augmente le froid, elle le rend plus piquant, & ses effets deviennent plus funestes ; mais toute plantation faite après l’hiver exige une semblable irrigation, & même beaucoup plus forte.

Après l’irrigation on achève de combler la fosse avec la terre de la circonférence. Par une coutume bizarre on amoncelle la terre contre le tronc de l’arbre qui devient la partie dominante, & celle des bords la plus basse. Ce devroit être précisément le contraire, puisque la partie du milieu ne peut se tasser autant que celle des bords, attendu que la souche & les grosses racines ne diminuent jamais de volume. S’il survient une pluie par la suite, l’eau s’écoule entre la terre remuée & celle qui ne l’est pas, & les racines en profitent très-peu. Si, au contraire, la partie du milieu est la plus basse & les côtés relevés, l’eau pluviale est imbibée par le centre, & les racines en profitent. D’ailleurs, la souche de l’olivier, le collet de ses racines, ont une tendance marquée à s’élever au-dessus du sol, il est donc prudent de retarder autant que l’on peut ce rehaussement, & empêcher que le collet des racines ne pousse trop tôt des bourgeons. On doit ne jamais perdre de vue que le meilleur terrain se tasse au moins d’un pouce par pied, & beaucoup plus si on a jeté des gazonnées dans le fond des fosses, & si on a employé des balles de bled au-dessus de la couche de terre qui couvre les racines.

Plusieurs auteurs conseillent, lorsque l’on veut remplacer un olivier mort sur place, d’ouvrir une vaste fosse, & de la laisser ainsi découverte pendant une année entière avant d’y planter un nouveau sujet. Cette précaution est-elle indispensable ? Je ne le crois pas, mais elle est au moins très-avantageuse. Ils prétendent encore que la reprise d’un arbre à grosse souche est plus sûre que celle d’un pied de moindre force & à petite souche. La promptitude & la sureté des reprises dépendent de la quantité de racines que l’on a laissées à chaque pied. L’arbre bien enraciné n’est pas obligé, pour reprendre sa séve, à en pousser de nouvelles, au lieu que le pied sans racine, & seulement à souche, ne reçoit qu’une séve mal élaborée, ou plutôt une continuation d’humidité qui fait travailler le peu de séve resté dans ses filières. L’arbre enraciné travaille tout de suite par sa propre force & par celle de ses anciennes racines, & par celle des racines qu’il pousse. Ainsi la différence, comme on le voit, est bien grande entre un pied chargé de ses racines & celui qui ne l’est pas. Quelques-uns de ces auteurs recommandent de placer le pied de l’arbre dans la même direction, relativement à ses pôles, que celle qu’il avoit auparavant. Cette observation est purement minutieuse & ne sert à rien. Dira-t-on que le tissu de l’arbre du côté du midi est plus lâche, plus poreux que celui du nord, de l’est ou de l’ouest, &c. ; &. quand cela seroit, qui peut être assuré qu’un sujet planté dans un autre champ y éprouvera la même direction des coups de vent, des courans d’air que dans le premier. Voilà quel seroit l’objet le plus à considérer & le seul important s’il l’étoit véritablement. D’ailleurs l’arbre aura en moins d’une année repris la texture de son tissu, de la manière qu’il est le plus avantageux de l’avoir. On s’attache à des minuties en plantant & souvent on néglige les points les plus essentiels.

On doit, autant qu’on le peut, aligner les pieds d’oliviers sur des rangées consécutives, lorsque l’on désire avoir des récoltes en grains dans le même champ ; ou en quinconce, lorsque le champ ne doit former qu’une olivette.

La distance d’un pied d’olivier à un autre dépend de la valeur du grain de terre & de la profondeur de la couche : soit, par exemple, une couche de terre passable qui porte sur une autre couche de plâtre, d’argile, &c. ; ce terrain exige une plus grande distance entre les pieds, puisque leurs racines ne pouvant s’enfoncer, ramperont près de la superficie, & s’étendront fort au loin. Dans un champ où la terre est bien végétale & bien substantielle, & qui est situé derrière un bon abri, l’olivier prospérera & par ses racines & par ses rameaux, & occupera un grand espace. Il ne doit donc pas être planté ici aussi près que si le sol étoit maigre, pauvre & froid ; mais combien n’existe-t-il pas de nuances entre une excellente olivette & une médiocre, entre l’étendue que telle espèce d’oliviers acquiert, comparée, si je puis m’exprimer ainsi, au rapetissement de telle autre. Il en est de même par rapport aux abris, & c’est la raison pour laquelle les oliviers, entre Toulon & Nice, sont si hauts, si volumineux, & qu’ils sont si rabaissés dans les environs d’Aix. C’est aux cultivateurs à réfléchir sur ces circonstances, & leur étude sera plus instructive pour eux que les règles qu’on leur donneroit. On peut dire cependant que dans un bon fond, & bien abrité, on doit planter à la distance de six à sept toises, & même plus, & que cette distance nuit peu à la culture du grain ; que dans un champ de moindre qualité, quatre à cinq toises suffisent, & quatre dans les plus médiocres, lorsque l’on veut avoir une récolte quelconque en grains. Si on plante en quinconce, si on consacre le champ entier aux oliviers, la distance varie, suivant le fond, de trois à quatre toises.

Plusieurs cultivateurs prennent pour règle dans leurs plantations, d’observer l’étendue que les branches prendront naturellement. Cette règle est bonne en elle-même si l’on connoît parfaitement la nature du sol sur lequel on plante, & la force que l’arbre y prendra. Cependant il est bon d’observer qu’entre les rameaux de chaque pied il doit régner un assez grand intervalle, afin que ces rameaux ne portent pas leur ombre les uns sur les autres, ne se touchent pas, & qu’il règne entre eux un libre courant d’air. Sans cette précaution l’arbre fleurira mal dans tous les points de contact des rameaux, & rarement ses fleurs y noueront.

Il est bon d’observer que l’arbre se trouve toujours mieux lorsqu’il est séparé de son voisin, & que c’est mal entendre ses intérêts que de regarder à quelques pieds de terrain qu’il aura fallu de plus. C’est dans les plantations en quinconce que l’on s’aperçoit le mieux du tort qui résulte du rapprochement des pieds. Leurs rameaux ressemblent à ceux d’une forêt, mais comme le fruit ne paroît qu’en dehors ou dans les endroits peu garnis de branches, ces quinconces donnent une récolte moins abondante qu’elle ne l’auroit été s’il eût régné un plus grand espace entre chaque pied. On ne risque donc jamais rien de planter large, mais on risque beaucoup de planter serré. Un bel arbre rapporte toujours plus qu’un arbre médiocre, & une olivette plantée convenablement, est moins susceptible des impressions du froid qu’une olivette dont les rameaux se touchent & forment une espèce de voûte qui retient & concentre l’humidité.

Lorsqu’on plante un arbre après l’avoir couronné, il ne ressemble plus qu’à un bâton, qu’à un piquet. Alors l’espace paroît immense d’un pied à un autre pied ; on regrette le terrain qui reste entre deux ; on croit devoir ajouter un ou deux arbres de plus à la rangée, & voilà ce qu’on appelle une plantation manquée, parce que l’on n’a pas considéré de quelle étendue devoit être par la suite la tête de l’arbre que l’on plante.

À quelle époque doit-on planter l’olivier ? Les sentimens sont partagés là-dessus. Il convient de les examiner. L’expérience m’a appris que l’on pouvoit planter des oliviers pendant toutes les saisons de l’année. Cette assertion paroît un paradoxe. Cependant tout dépend des soins & de la manière de transplanter. Ne voulant pas attendre l’entrée du printemps ou de l’hiver, & forcé de supprimer quelques pieds d’oliviers qui se trouvoient dans la direction des promenades tracées autour de mon habitation, j’en fis déplacer un dans le mois de juin, & pendant la fleuraison, & le second le fut au mois de juillet. C’étoit un sacrifice de deux pieds, ou une expérience qui résultoit de cette tentative. Sans entrer dans aucun autre détail superflu, je dirai seulement qu’après avoir couronné l’arbre, en observant cependant de lui laisser trois ou quatre bourgeons petits & de l’année, il fut transporté de la manière qui a été indiquée ci-dessus, & arrosé au besoin. Les bourgeons de l’un & de l’autre pied se flétrirent & restèrent tels pendant plus de huit jours ; enfin peu à peu la séve reprit sa première route, & avant l’hiver les bourgeons furent vigoureux. Ces deux oliviers n’ont pas été plus endommagés des froids que les oliviers voisins. Cette expérience prouve que cet arbre est un des plus vivaces ; que, semblable aux saules & aux peupliers, on peut le planter pendant tout le cours de l’année, si on ne lui laisse pas endurer la soif, & sur-tout s’il est planté avec méthode. Il faut bien que l’olivier soit vivace, puisque malgré les défauts de la taille, malgré les amputations énormes de ses branches qui ont lieu tous les deux ans, malgré les chicots qu’on laisse, & qui sont la cause de la pourriture qui gagne insensiblement toute la partie ligneuse & inférieure ; enfin, malgré les larges & nombreuses plaies dont on le couvre, cet arbre végète, pousse, & donne du fruit. L’olivier, je le répète, ne craint que le froid. Malgré les deux expériences dont je viens de parler, on auroit tort de conclure que les époques de la fin de l’automne & de l’entrée du printemps ne sont pas à préférer pour la plantation de l’olivier ; il faut que les circonstances soient bien urgentes, & que les soins soient bien assidus pour qu’on doive s’en écarter. Pline, Columelle, &c. ont parlé de ces plantations faites pendant l’été, & la nécessité seule m’a mis dans le cas de vérifier des faits très-éloignés de la pratique ordinaire.

Parmi les auteurs modernes, plusieurs ont fort applaudi aux plantations du mois de novembre, & les autres, à celles du printemps.

Dans les plantations de la fin de l’automne, on a l’avantage des pluies d’hiver qui serrent la terre contre la souche. L’arbre conserve sa fraîcheur, & se dispose à entrer en séve de bonne heure, de manière que la poussée des bourgeons est plus assurée dans le cours de l’année, & que ces bourgeons sont moins herbacés à l’entrée de l’hiver ; ce point est essentiel. Mais les partisans des plantations tardives disent que cet arbre, que ce tronc, mis a nu, est plus sensible à la rigueur du froid, puisque l’amputation de toutes ses branches laisse à nu les grandes à son sommet.

Il faudroit prouver qu’un arbre dépouillé de ses branches transpire plus que lorsqu’il les avoit. Alors il craindra plus le froid.

Comme l’arbre se nourrit pour le moins autant par ses branches que par ses racines ; comme la transpiration est toujours en raison de la nourriture qu’il reçoit ; comme l’olivier végète toute l’année, il est clair que, chargé de ses rameaux, il doit craindre beaucoup plus le froid que lorsqu’il est réduit à son seul tronc. Ainsi la première objection est nulle quant à ce point ; elle ne l’est pas quant au second, elle est au contraire très-forte. Par ces vastes plaies découvertes & exposées à toutes les injures du temps, à la dessiccation, à l’humidité successive, &c. l’arbre souffre beaucoup, & dès cet instant se forme le germe de cette putridité, qui gagnera insensiblement tout l’intérieur de l’arbre. Combien d’années ne faudra-t-il pas avant que l’écorce, (voyez ce mot essentiel) ait recouvert ces plaies si considérables ? Le bois ne se régénérera pas, l’écorce seule prendra de l’extension, & s’il n’est pas couvert il pourrira. L’arbre ressemble en quelque sorte aux dents des hommes ou des animaux, dès que leur émail est carié, la substance intérieure est bientôt pourrie. Heureusement que dans l’arbre l’écorce est végétative. Si on prend la peine d’examiner un olivier à tronc caverneux & pourri ; si l’on suit cette carie, on verra qu’elle a commencé ou par en haut, ou par un chicot laissé sur place, ou par une plaie qui n’a pu être recouverte de l’écorce ; on verra que la carie a gagné de proche en proche, de haut en bas, & que souvent & très-souvent plusieurs de ces plaies réunies sur un arbre, ont concouru ensemble à la dégradation totale de l’intérieur, & même dans toute la partie inférieure du centre des racines. Il ne reste à ces arbres que l’écorce & un peu d’aubier. Il ne faut que des yeux & un peu d’attention pour se convaincre de cette vérité.

M. Barthès, dans l’ouvrage déjà cité, est le seul qui recommandé de couvrir les plaies de l’olivier avec l’onguent de S. Fiacre, c’est-à-dire avec de la bouse de vache pétrie avec de l’argile, & d’assujettir le tout avec des chiffons. Je n’ai cessé, dans tout le cours de cet ouvrage, de recommander l’application de l’onguent de S. Fiacre sur toutes les plaies un peu considérables des arbres quelconques. Cet onguent agit sur les plaies de l’arbre, comme les onguents & le taffetas d’Angleterre, agissent sur les plaies des hommes & des animaux. Il les préserve du contact de l’air, & la nature établit la cicatrice par l’extension de l’épiderme ou peau dans l’homme, & par celle de l’écorce sur les végétaux. (Voyez le mot Onguent)

Il est clair qu’avec un semblable préservatif, il ne s’établit aucune carie, laquelle commence toujours par l’aubier, (voyez ce mot) & gagne de la circonférence au centre en creusant ensuite & se propageant par ce centre.

Les chiffons qui recouvrent l’onguent, me paroissent inutiles, & ils retiennent même une humidité qui peut devenir dangereuse à la plaie pendant la rigueur du froid. L’onguent seul bien fait, bien corroyé, & auquel on a ajouté des balles de bled, afin de donner plus de liaison aux parties, suffit ; il faut seulement le bien lisser, & tous les quinze jours le lisser de nouveau, afin d’éviter les crevasses par lesquelles les eaux pluviales pénètrent jusqu’à la plaie, délayent la terre, & finissent par l’entraîner. Le chiffon seroit d’ailleurs dangereux lorsque l’arbre entreroit en séve, lorsque l’écorce commenceroit à se cicatriser, à former son bourrelet, & sur-tout lorsque les bourgeons pousseroient ; l’onguent seul suffit ; si par un accident quelconque il vient à tomber, on en met de nouveau. On doit, autant que l’en peut, & c’est toujours pour le mieux, le laisser subsister même pendant plusieurs années ; c’est une petite attention dont on se trouvera très-bien.

Il est certain qu’avec de semblables précautions, le froid n’agira pas surr la plaie de l’arbre planté avant l’hiver, & que la reprise de l’olivier sera assurée.

Les partisans des plantations du printemps, disent : si on met en terre l’arbre lorsqu’il entre en séve, tous ses pores & toutes ses cellules en sont remplies ; cette séve ne cherche qu’à s’échapper au-dehors & à donner naissance aux bourgeons, & la souche a le temps de pomper de la terre une nouvelle séve. Ainsi la reprise est plus assurée au printemps qu’avant l’hiver, sur-tout si on a le soin d’arroser.

Cette théorie est-elle celle de la nature ? Un seul exemple la dément. Combien de gros oliviers transplantés ne végètent pas pendant la première année ? Combien qui ne végètent qu’à la seconde ? & d’autres point du tout. Cependant on plante les vieux comme les jeunes à la même époque, & à tous on ne laisse que la souche. S’il est très-difficile, trop coûteux, ou même impossible d’arroser ces arbres dans le courant de l’été, on n’est certainement assuré de la reprise que d’un petit nombre ; il n’y a aucune végétation sensible dans plusieurs, puisqu’ils ne poussent qu’à la seconde année, quoiqu’on ait soin de les arroser pendant la première.

J’ai dit que l’olivier étoit en séve pendant toute l’année, & il a cela de commun avec les arbres qui conservent leurs feuilles toujours vertes. Cependant, si la séve n’est pas déjà renouvelée par la chaleur du printemps, enfin si on plante, par exemple, en février ou au commencement de mars, lorsque l’hiver aura été froid & long, il est clair que ces arbres reprendront moins bien, toutes circonstances égales, que si l’on avoit attendu le mois d’avril, parce qu’à cette époque tout le tissu du tronc auroit été plus rempli de séve. D’ailleurs, l’olivier réduit à l’état de tronc, éprouve très-peu de transpiration, & la masse de séve qu’il a retenue, nourrit mieux les germes des bourgeons, dont le développement est aussi plus facile. Si on ne craint pas dans les plantations tardives le manque de séve du printemps, on doit redouter les chaleurs & la sécheresse dévorante de l’été.

J’ose croire, quoique je ne certifie pas le fait, que l’épanouissement des bourgeons, ou plutôt leur extension pendant le reste de l’année, dépend des racines poussées de la souche jusqu’à cette époque, car le premier développement auroit eu lieu, quand même le tronc coupé en avril ou en mai, seroit resté couché sur le sol sans être enterré. J’ai la preuve de ce que j’avance : or, s’il est vrai que l’extension des bourgeons tienne au développement des nouvelles racines poussées par la souche, il est donc évident que l’olivier planté avec toutes ses racines, même en supposant qu’il ne donne pas plutôt de nouvelles racines que l’autre, auroit un grand avantage sur celui auquel on n’auroit conservé que la souche ; puis qu’ayant plus de masse comme souche & racines, il aura un plus grand réservoir de séve.

Actuellement je demande si des racines déjà formées, déjà garnies de leurs chevelus, n’auront pas plus de force de succion que la souche, jusqu’à ce qu’elle ait poussé ses racines ? Je demande si la séve filtrée par les chevelus, ne sera pas mieux élaborée que celle qui est absorbée seulement par la souche… La plantation faite ainsi & avant l’hiver, a donc un mérite de plus que celle de l’entrée du printemps, puisqu’à cette première époque l’arbre bien enraciné n’aura plus d’effort à faire pour entrer en séve, ni pour nourrir ses bourgeons. Actuellement le lecteur est instruit du pour & du contre de chaque époque de transplantation ; c’est à lui à se décider, non d’après les raisonnemens, mais lorsqu’il aura fait avec soin & avec méthode, des expériences de comparaison : je pourrois même ajouter que toutes les méthodes sont bonnes dès qu’on ne voudra pas les généraliser ; leur succès dépend du climat, de l’abri, du sol & de l’espèce d’olivier. Dans tout ce que je viens de dire, j’ai cherché à établir les loix de la végétation sur lesquelles doit porter la théorie ; c’est actuellement au cultivateur à en faire l’application & à les modifier suivant les circonstances.


CHAPITRE VII.

De la conduite de l’olivier après sa plantation.


Section Première.

Du soin des fosses.

Toute terre remuée s’affaisse au moins d’un pouce par pied, ensuite elle se resserre sur elle-même, de manière que, entre la terre remuée & les parois de celle qui ne l’a pas été, & qui forme les côtés de la fosse, il s’établit une gerçure qui pénètre jusqu’au fond de la fosse ; c’est par cette ouverture, par cet interstice que l’humidité du sol, attirée par l’air, & sublimée par la chaleur, s’échappe au grand préjudice des racines. Ce vice a principalement lieu dans les terres tenaces, fortes & compactes. Le moyen d’y remédier, est de jeter de la balle de blé, d’orge, &c., dans ces gerçures, & de les combler avec la terre des parois, à mesure qu’elles se forment. Cette précaution prise de temps à autre, équivaut à un arrosage, & souvent en dispense.

Dans les champs à grains, l’année de la plantation est celle de la jachère, (voyez ce mot) & par conséquent celle du labourage. Ce travail remplit les gerçures, mais si les labours sont donnés après de longs intervalles, les gerçures auront lieu, & on les retrouvera même dans le courant de l’année suivante, si l’hiver a été peu pluvieux, cas assez ordinaire dans les provinces du midi. Il est rare que, sur un champ uniquement consacré aux oliviers, le travail soit fait à la charrue : les gerçures y sont donc plus à craindre que dans les autres champs ; on se contente de travailler les premiers à la main, au plus à deux époques de l’année ; au lieu que la charrue passe au moins quatre fois avant la semaille dans les olivettes où l’on met des grains : d’ailleurs on la conduit très-difficilement dans les champs plantés en quinconce, & lorsque les arbres sont près les uns des autres ; c’est gratter la terre & ne pas labourer.

Les terres légères, sablonneuses, &c. sont en général exemptes de pareilles crevasses ; cependant la prudence dicte de visiter de temps à autre ses plantations, & de parer aux inconvéniens, dès qu’ils le présentent.

Comme dans les labours, la charrue ne peut pas travailler jusqu’au pied des oliviers, il faut y suppléer par les travaux à la pioche, & au moins avant de semer, donner un bon défoncement à quelques pieds de distance autour de l’arbre.

Section II.

Des travaux au pied de l’arbre.

Je n’examine pas encore si les arbres doivent être taillés tous les deux ans, cependant c’est la coutume presque générale, & je pars de ce point.

Avant de labourer pendant l’année de jachères, c’est-à-dire, avant, ou pendant, ou après l’hiver, on fume le pied de chaque olivier, & ensuite ce fumier est enterré à la pioche. Cette opération bien simple en elle-même, est presque par-tout mal faite. Commençons par l’examen de la nature du fumier.

L’expérience prouve que le fumier pailleux, mal pourri, &c., n’a presqu’aucune qualité, (consultez les mots Engrais, Fumier) il est donc essentiel qu’il ait fermenté en masse, que cette masse ait été tenue assez humide pour que le blanc ne la gagne pas ; enfin, qu’il ait éprouvé la fermentation putride qui doit avoir dénaturé ses premiers principes, pour en composer des mixtes & résidus analogues. Il faut au moins l’espace d’un an pour opérer ce changement & cette conversion ; le fumier le plus décomposé, sans avoir éprouvé aucune évaporation, est le meilleur ; une mesure quelconque de ce fumier réduit en terreau, produit plus d’effets que six semblables mesures de fumier encore pailleux.

Communément on place cet engrais tout près de la souche & tout autour de l’arbre ; on l’étend un peu, on pioche, & la terre est amoncelée contre l’arbre. Il en résulte plusieurs inconvéniens : 1°. cette butte élevée autour de l’arbre qui tend sans cesse à former des racines & des branches, qui a sur toute sa longueur des germes de bourgeons prêts à se développer, excite les racines à sortir de la partie couverte, ou bien elle augmente les protubérances tout autour du collet des racines, & peu à peu la souche s’alonge, monte & sort de terre. Quant à l’arbre anciennement planté, il n’y a d’autre remède que de l’arracher & de mettre plus profondément son pied en terre : cependant cet expédient est fort coûteux, & on perd encore le produit de plusieurs récoltes consécutives, & on court les événemens de la difficulté de la reprise. Mais c’est une absurdité de chausser sans cesse l’arbre jeune ; on a beau faire, à la longue il mettra sa souche en dehors ; c’est à quoi le bon cultivateur s’opposera autant qu’il sera en son pouvoir.

Ce ne n’est pas par la souche, par l’origine des grosses racines qui en partent, que l’arbre reçoit le bénéfice des engrais, ou du moins il en reçoit très-peu ; ce sont les racines capillaires qui sont les vraies pourvoyeuses de la séve : or, la souche n’a presque point de racines capillaires. Il faut donc laisser au moins trois pieds de distance près du tronc, sans y répandre du fumier, & le jeter dans la circonférence au-delà de ce point.

2o . Le fumier accumulé est en trop grande masse comparée à celle de la terre. L’air, la chaleur, les pluies ont bientôt dissipé les principes les plus volatils, & il ne reste plus qu’un caput mortuum, un simple résidu. Le fumier, au contraire, répandu dans la circonférence, est profondément enfoui, par l’action de fossoyer, & les pluies font pénétrer plus avant leurs principes, qui doivent se combiner avec ceux déjà contenus dans le sein de la terre. (Consultez les deux mots désignés ci-dessus, & le mot Amendement) Par cette méthode rien n’est perdu.

3o . La butte force les eaux pluviales à s’écarter du centre, elle leur donne une pente rapide, & les porte au loin. Il vaut bien mieux fossoyer, de manière qu’il y ait tout autour du tronc une espèce de bassin qui retienne l’eau & la pousse de la circonférence au centre ; alors, pas une seule goutte n’est perdue, & l’olive ne tombe plus desséchée des arbres pendant les chaleurs continuelles de l’été. Si ce travail étoit fait avant l’hiver, la grande humidité concentrée au pied de l’arbre seroit capable de lui nuire si le froid étoit rigoureux.

Malgré ce que je viens de dire contre les buttes en général, celles en terre ont un avantage, puisqu’elles empêchent la trop vive action du froid sur le collet des racines. La terre doit en être prise à la plus grande distance qu’on le peut, du pied de l’arbre, afin de ne pas découvrir les racines traçantes, &, ce qui vaudroit mieux, il faudroit rapporter des terres nouvelles, ou des plâtras, ou des débris de mortier ; mais dès qu’on ne craint plus les gelées, les matériaux de la butte doivent être jetés & répandus à quelque distance de l’arbre, régalés sur le sol, afin d’y être dans la suite enfouis par les labours. Dans quelques cantons, ainsi qu’il a déjà été dit, on se contente de travailler deux fois dans l’année, les pieds d’oliviers, lorsque le champ est entièrement consacré à cet arbre. Ce labour fait à la main, & encore moins celui fait à la charrue, ne sont pas suffisans : les arbres plantés trop près se dévorent par les racines, & ont besoin de plus de secours ; trois & même quatre labours ne sont pas de trop : au surplus leur nombre dépend beaucoup de la nature du sol.

Les champs à grains & plantés en oliviers, reçoivent cinq labours de charrue, l’année de la taille & du semis ; ils sont fumés, avant, pendant ou après l’hiver, & le fumier est enterré par le travail à la pioche que l’on donne autour de chaque pied d’arbre. Il est impossible, tant que la récolte des grains est sur pied, que l’on puisse donner aucun labour à l’arbre. Après la récolte, les troupeaux s’emparent du champ, & dans presque toutes les métairies, ces champs sont les seuls endroits où ils puissent paître pendant le reste de l’été, puisque les vignes, les luzernières leur sont interdites. Il en résulte que l’olivier reste sans aucun travail pendant une année franche, passe encore, si à la fin de l’automne on hivernoit par un bon coup de charrue ; mais cette méthode est presque ignorée dans les provinces du midi, où, comme ailleurs, les travaux sont presque toujours faits à la hâte. Les premiers labours commencent pour l’ordinaire au mois de février suivant. Cette méthode de culture est très-défectueuse.

Dans d’autres endroits, les particuliers travaillent leurs champs par un labour croisé, aussitôt après que la récolte a été enlevée. Outre l’avantage de ces labours relativement au sol, on sent bien que le fruit de l’arbre en profitera, ainsi que l’arbre lui-même. Quelquefois la sécheresse de la saison s’y oppose pour le moment ; mais on se hâte de profiter de la première mouillure ; si elle se fait trop attendre, on laboure comme l’on peut.

Plusieurs cultivateurs, au contraire, pèchent par un défaut opposé ; ils sont sans cesse la pioche à la main, & par-là ils augmentent l’évaporation du peu d’humidité qui reste au sol ; cependant, si par d’heureuses circonstances des pluies surviennent, alors leurs peines ne sont pas perdues. Il ne faut que ce qu’il faut en agriculture, le surplus est inutile ; les champs ne sont pas des jardins, & les oliviers n’exigent pas les mêmes soins que les arbustes ou les renoncules de l’amateur. À chaque travail au pied des arbres, il est à propos de détruire les bourgeons qui s’élancent de son tronc, ou du collet ou des racines mêmes ; ils deviennent des parasites très pernicieux.

Section III.

De l’époque à laquelle on doit fumer.

Les sentimens sont partagés sur l’époque à laquelle on doit fumer : examinons donc l’effet des gelées sur un champ nu, fumé ou non fumé, afin d’en faire ensuite l’application aux olivettes : transportons-nous à l’époque des gelées blanches, & examinons quelle est la partie sur laquelle ces gelées sont le plus sensibles. Si je considère une superficie, par exemple, celle d’un creux rempli de fumier, je vois qu’à la moindre froidure, la gelée blanche y est plus sensible, plus apparente & plus forte que dans le sol qui l’environne. Je vois cette même gelée blanche, plus caractérisée sur la superficie d’une prairie, que sur celle d’un champ ; la même remarque a lieu sur un champ nouvellement labouré, en comparaison d’un champ dégarni d’herbe, & labouré depuis long-temps. Ces phénomènes sont constans, & frappent les yeux de ceux qui veulent voir. Mais quelle en est la cause ? Je crois, si je ne me trompe, que la voici. Les lieux les plus susceptibles de recevoir l’impression des gelées blanches, sont ceux où il y a plus de chaleur, & par conséquent plus d’évaporation : supposons actuellement que la chaleur ait une force comme quatre, l’évaporation sera donc comme quatre ; admettons une semblable masse d’humidité, les deux masses réunies & agissantes formeront donc une masse de huit ; or, le fumier est dans ce cas : l’effet du froid est de concentrer l’eau réduite en vapeur, on en voit la preuve dans les réfrigérans donnés aux alambics, & sans lesquels le fluide & le spiritueux se perdroient en vapeurs. Le froid condense les vapeurs, à mesure qu’elles sortent du fumier : le froid les saisit plus fortement que si elles étoient simplement chaudes, comme un, & par conséquent, il convertit plus efficacement ces vapeurs en rosée blanche ; la prairie est plus fortement attaquée que le champ nouvellement labouré, parce qu’outre l’évaporation naturelle au sol, il y a encore l’évaporation de la transpiration des plantes, plus chaude que l’air ambiant, & bien moins chaude que celle du fumier. Le champ nouvellement labouré donne plus d’évaporation que celui qui ne l’est pas, & laisse plus facilement une partie de la chaleur dont il étoit imprégné. L’évaporation & la chaleur sont donc les causes de ce que la gelée blanche se manifeste plus vite, & d’une manière plus décidée dans un lieu que dans un autre.

On peut conclure du particulier au général, & trouver la raison pour laquelle l’effet des gelées blanches, & des gelées, est plus sensible, toutes circonstances égales, dans les bas fonds, que sur les hauteurs. Si on veut d’autres comparaisons prises sur les lieux qui nous environnent, on verra, par exemple, le toit qui recouvre une bergerie, une écurie &c., plus couverts de gelées blanches, que le toit de nos maisons ; & on verra que plus les tuiles qui forment la toiture, sont neuves, & plus la gelée blanche est forte & apparente. Supposons un appartement dont l’air atmosphérique soit, par exemple, de dix degrés de chaleur ; si l’air extérieur devient froid, par exemple, de trois à quatre degrés, l’humidité de l’air atmosphérique de l’appartement se portera contre les vitraux, & même elle se convertira en glace si l’air extérieur est bien froid, ou en vapeurs, s’il ne se trouve que quelques degrés de différence entre celui du dehors & celui du dedans. La loi de la nature est que tous les fluides s’attirent réciproquement jusqu’à ce qu’ils soient en équilibre : ainsi un fer rougi par le feu, & exposé à l’air pendant l’hiver, sera bien plutôt froid que si on l’y expose pendant l’été, à cause de la grande disproportion de chaleur.

Lorsque pendant l’été on place sur la table un seau de métal, rempli de glace pour rafraîchir nos boissons, nous voyons la superficie extérieure de ce seau, se couvrir bientôt d’une couche, semblable à de la poussière glacée : ce phénomène a également lieu, en raison de la nécessité de l’équilibre dans les fluides ; le froid de la glace & du vase attire à lui la chaleur qui l’environne, mais la chaleur peut se précipiter contre le vase, sans entraîner avec elle une partie de l’humidité atmosphérique de l’appartement. La partie ignée se confond peu à peu avec la glace, & la partie humide se gèle en molécules très-fines, & semblables à une poussière légère, contre les parois extérieures du vase. Enfin lorsque, avec le temps, les fluides se sont mis en équilibre, la glace extérieure, & l’intérieure, se fondent en même temps. Il me paroît qu’au moyen de ces exemples, on peut déterminer s’il est avantageux ou nuisible de fumer les oliviers, avant, pendant, ou après l’hiver, toutefois cependant ayant égard aux positions des champs, aux circonstances locales que je ne puis ni spécifier ni décrire.

Si on a consulté les mots amendemens, engrais, fumier, on aura vu quelle est leur manière d’agir, de se combiner avec la terre, de lui rendre les principes qu’elle a perdus par la production des récoltes. Il est prouvé dans l’article labour, que les labours ne peuvent pas suppléer les engrais, & que leur multiplicité ne redonne pas à la terre les matériaux dont elle forme la séve, sur-tout si chaque récolte l’a dépouillée de l’humus ou terre végétale, à moins que le sol du champ ne soit formé par un dépôt, & qu’il ne soit d’excellente nature ; alors il est, pour ainsi dire, inépuisable en principes.

L’expérience journalière & de tous les temps, a prouvé que l’olivier exigeoit des engrais ; ils lui sont plus ou moins nécessaires, suivant les espèces, & suivant la nature du sol. Lorsque les labours du champ sont donnés avec l’araire, (voyez le mot charrue) il en exige davantage, parce que les racines fibreuses s’étendent presqu’à sa superficie : il en est de même, lorsque les olivettes sont semées en grains ; la récolte du blé ou du seigle appauvrit le sol. Pline, Caton, Columelle, exigoient que l’olivier fût fumé au moins tous les trois ans.

On exige de cet arbre une abondante récolte ; & quoiqu’on le traite rigoureusement par la taille, on désire qu’il jette beaucoup de bois nouveau. La nourriture doit donc être proportionnée aux besoins & à la consommation des principes séveux, ainsi nul doute à ce sujet, & l’expérience a prouvé que telle ou telle espèce d’olivier qui se charge naturellement de plus de bois que telle autre, a besoin d’une forte masse d’engrais ; mais à quelle époque convient-il de fumer, c’est là le point de la question.

L’automne me paroît être la saison la plus favorable, & le mois d’octobre doit être choisi de préférence. Il fait encore trop chaud en septembre, & souvent trop froid en novembre ; quant au transport des terres nouvelles, des plâtras, &c. il peut avoir lieu dans toutes les saisons, & sur-tout à la fin de novembre, afin que les pluies de l’hiver puissent les lessiver & pénétrer la terre du sel qu’elles en ont extrait.

Il est essentiel de ne pas perdre de vue que je parle d’un fumier fait, d’un fumier qui a subi la fermentation putride, en un mot, d’un fumier dont la chaleur de la masse est, à peu de chose près, égale à celle de l’atmosphère : cet engrais charrié en automne, & enterré tout de suite par un labour, donnera de la vigueur à l’arbre dont les fruits, qui ne seront cueillis qu’en novembre ou en décembre, seront plus gros & mieux nourris. S’il survient des pluies, la dissolution de ce fumier, & la combinaison de ses principes avec ceux de la terre, seront promptes, & tourneront au profit de l’arbre & à la bonification du sol. On ne craindra pas que ce fumier bien consommé attire la fraîcheur pendant l’hiver, & que par son évaporation il concentre l’humidité sous l’arbre : enfin, il agira dans ce cas, non comme principe échauffant, mais mécaniquement comme principe nutritif, & restaurateur des principes épuisés par la recolte des grains faite deux ou trois mois auparavant.

Les fumiers pailleux, non consommés, &c. deviennent nuisibles parce que la charrue, la pioche, &c. ne les divise jamais bien ; ils sont cependant enfouis dans la terre, & dès qu’ils sont pénétrés par les pluies à la fin de l’automne, il s’établit une nouvelle fermentation, & toute fermentation produit de la chaleur, (voyez le mot couche) Dès-lors surviennent les phénomènes cités ci-dessus pour exemple. Il me paroît que les écrivains & que les cultivateurs n’ont pas assez examiné la manière d’agir des fumiers, & n’ont pas assez insisté sur la différence des fumiers consommés, & des fumiers qui ne sont pas encore faits ou qui ne le sont pas du tout.

On objectera, sans doute, que la qualité de l’huile fournie par un arbre fumé en octobre, ne sera ni aussi fine, ni aussi délicate que si on ne lui avoit pas donné d’engrais ; cette objection est vraie dans toute son étendue ; mais si on excepte le territoire d’Aix, & quelques territoires privilégiés, ne recherche-t-on pas par-tout la quantité plus que la qualité ? Dans ce cas l’amendement produit un double effet, la quantité & l’amélioration de l’arbre. Si jusqu’à la récolte du fruit, il ne pleut pas, si la terre reste encore sèche depuis l’été, (cas assez ordinaire) le fumier bien consommé ne produira ni bien ni mal, il restera intact, puisque, pour faciliter la combinaison de ses principes avec ceux de la terre, & pour les réduire à l’état savonneux, il faut absolument qu’ils soient dissous par l’eau des pluies : sans elle il n’y a ni décomposition ni recomposition ; mais dira-t-on que L’humidité de la terre suffit ; on la suppose cette humidité, & je demande aux Provençaux, aux Languedociens, si la terre n’est pas souvent sèche, & très-sèche à plus d’un pied de profondeur à cette époque. J’aurai donc raison, dans cette circonstance, de leur répéter cet adage : corpora non agunt, nisi sint soluta. On est bien heureux dans ces provinces d’avoir, de temps à autre, ces vents de mer qui remplissent l’atmosphère d’une grande humidité ; sans elle, les oliviers & tous les arbres périroient ; ils se nourrissent par leurs feuilles. (Voyez ce mot)

On objectera encore que ce fumier sera épuisé, qu’il n’aura plus de principes, & qu’au retour du printemps l’arbre n’en retirera aucun profit. La chose n’est point ainsi, à moins qu’on n’ait laissé cet engrais sur la superficie du sol, exposé au soleil, &c. ; mais s’il a été convenablement enfoui, il ne craint plus rien. À mesure que la saison s’avance, la chaleur diminue, & les décompositions & recompositions sont plus lentes à s’établir. L’arbre profite de celles qui sont faites jusqu’à l’entrée de l’hiver, & c’est d’une très-petite partie ; c’est dans l’hiver que se préparent les grandes dissolutions, & le renouvellement de la chaleur du printemps opère les recombinerions d’où dépendent les principes séveux.

Les engrais consommés, répandus pendant l’hiver, ne produisent aucun effet ; puisqu’ils ont jeté tout leur feu, dans leur fermentation putride, ils ne sont plus susceptibles de se réchauffer, à moins qu’ils ne soient très-secs, ou qu’ils n’ayent été rendus tels antérieurement, soit par une fermentation où l’humidité n’a pas été en proportion des besoins, soit par une trop grande évaporation, en restant exposés à l’air libre ; alors l’humidité peut, je crois, établir une nouvelle fermentation, (voyez ce mot) & par conséquent de la chaleur ; mais il ne s’agit pas ici des exceptions, il s’agit du fumier bien fait & qui a conservé l’humidité qui lui convient. On auroit tort de conclure de ceci que cet engrais supposé parfait, rassemblé en masse contre le pied de l’arbre, n’est pas dangereux, puisque si la chaleur étoit assez forte, il pourroit arriver qu’il réagît sur lui-même, de même que cette chaleur agit dans cette saison sur les amandiers, pêchers, &c. Dans aucun cas & dans quelque état que soit le fumier, on ne doit pas le laisser amoncelé au pied de l’arbre ; il demande à être étendu & enfoui sur le champ.

Si les engrais ne sont pas consommés, l’effet des gelées sera plus sensible pour peu qu’ils ne soient pas réduits à la plus grande division.

Les fumiers répandus à la fin de l’hiver, en mars & sur-tout en avril, ne produisent pas tout l’effet qu’on est en droit d’en attendre, à moins que des pluies un peu fortes ne surviennent. Il arrive souvent que depuis le mois d’avril jusqu’à l’automne, il ne tombe pas une seule goutte d’eau, ou que si par hasard il pleut, c’est par un orage passager dont la pluie court plutôt sur le sol qu’elle ne l’imbibe. Dans cet état, il n’est guères possible que les principes de l’engrais se combinent avec ceux du sol, & la grande chaleur en a fait, en pure perte, évaporer une grande partie : la fin de février seroit l’époque la plus avantageuse de cette saison, parce qu’on a encore la ressource des pluies du mois de mars.

Ce que je viens de dire éprouvera beaucoup de contradictions ; chaque canton, & même chaque village, suit une routine dont il ne s’écarte pas ; mais je prie les cultivateurs qui ne se laissent pas subjuguer par la coutume, de répéter l’expérience aux trois époques, de tenir compte de la manière d’être des saisons, & sur-tout de bien observer l’état dans lequel se trouvera l’engrais qu’ils auront employé.

Toute espèce de fumier convient à l’olivier, pourvu qu’il soit bien consommé : l’expérience a prouvé que celui de mouton & de chèvre étoit le plus actif des engrais animaux ; celui des chevaux, des mulets, des ânes vient après ; le fumier de bœuf & de vache est le moins bon. Le transport des nouvelles terres, des décombres sont utiles ; si le bois étoit moins rare dans les provinces méridionales, on sacrifieroit sans peine les tourteaux ou marc des olives après qu’elles ont été pressées ; cet engrais est très-bon, parce qu’il contient beaucoup de parties huileuses. Si on ne l’emploie ni comme engrais, ni pour le chauffage, il fournit du moins une très-bonne nourriture d’hiver aux oiseaux de basse-cour. On laisse perdre inutilement les eaux qui sortent des moulins à huile, & qui ont servi à échauder la pâte ; ces eaux rassemblées dans un vaste réservoir que l’on remplit de paille, de feuilles & de toute espèce de végétaux, manifestent un foie de soufre sur toute la superficie & sur les bords, après qu’elle a fermenté ; l’odeur en est désagréable & fétide, mais le tout forme un engrais excellent. On peut encore, à la paille & aux végétaux, ajouter lit par lit de bonne terre ; & à mesure que l’eau superfine s’évapore, on couvre, de semblable terre, la partie du sol & de la masse totale qu’elle laisse à sec. L’ouverture des moulins est fixée en novembre ou en décembre, suivant les cantons & les espèces d’olives qu’on y cultive, & on les ferme ordinairement en février : pendant ces mois il y a peu d’évaporation, la chaleur de l’air n’est pas assez forte pour l’établir ; enfin, la trop grande quantité d’eau s’oppose à la fermentation & à la putridité. À la fin de l’hiver, & lorsque cette eau a déposé le mucilage & les autres parties qu’elle contenoit, enfin, lorsqu’elle ne conserve pour ainsi dire plus que la partie colorante dont elle est chargée, on dégage l’ouverture que l’on avoit bouchée pour la retenir, & on la laisse écouler à la hauteur que l’on veut ; mais il est essentiel d’en conserver une certaine quantité dans le fond du réservoir, afin que la masse du fumier la pompe en proportion de celle qui a été perdue par l’évaporation dans la partie supérieure.

La grande fermentation putride s’établit lorsque les chaleurs du printemps commencent à prendre une certaine force, & celle de l’été en achève la décomposition. Dans le courant de septembre, l’engrais est enlevé du réservoir, & il reste amoncelé sur ses bords jusqu’au moment où il sera transporté sur le champ. La couleur de cet engrais approche du noir bleuâtre, sa consistance ressemble à celle du fromage de Gruyère, & la bêche ou la pelle le coupe & l’enlève par tranches semblables à celles de la tourbe. La partie de l’engrais exposée au soleil, perd bientôt sa couleur foncée, & devient grisâtre. Aucun engrais n’approche en bonté de celui-ci, soit pour les champs, soit pour les oliviers. La simple eau des moulins, & qui a fermenté pendant plusieurs jours, voiturée sur les champs, de la même manière que les flamands y transportent & y répandent les eaux de fumier, assure la beauté des récoltes & la forte végétation de l’olivier ; mais leur effet est moins durable que celui de l’engrais en nature, quoiqu’on ait labouré le sol aussitôt après l’irrigation.

Ces réservoirs, ces mares sont, pendant les chaleurs, de vrais foyers de putridité, d’où s’échappe sans cesse une quantité prodigieuse d’air fixe, (voyez ce mot) & d’où il sort beaucoup d’infection. L’avantage qu’on en retire ne peut être mis en comparaison avec la santé des cultivateurs ; la prudence exige donc que ces réservoirs soient très éloignés de toute habitation, & que malgré leur distance, aucune ne soit sous le vent. On dit que l’air est mal sain dans telle ou telle métairie, dans certains villages, &c. ; que la fièvre y règne pendant tout l’été, qu’elle consume les habitans, & l’on ne fait pas attention que ces maux tiennent de petites & de semblables causes. Il me paroît que l’on peut, par voie de justice, forcer les propriétaires à détruire ces germes de corruption. Chaque tenancier a reçu de la nature le droit de retourner son fond comme il lui plaît ; mais personne n’a celui d’attenter à la vie de ses voisins. (Voyez le mot Étang)

On dit que le marc des raisins jeté dans la circonférence d’un olivier, chasse les insectes qui nuisent à ses branches, à ses racines. Cette assertion est vraie, sans doute, puisque les cultivateurs s’accordent sur ce point ; mais je n’ai pas été assez heureux pour en voir les bons effets, quoique je l’aye essayé à plusieurs reprises différentes. Je conviens que de ce marc il s’exhale un acide volatil, & que les insectes qui se sont reposés sur ses branches, en étant incommodés, abandonnent la place ; celui qui est en état de ver, & qui vit dans l’intérieur des bourgeons & de leur propre substance, ne peut pas s’envoler : il doit donc mourir dans sa prison, d’où il ne sortiroit qu’après s’être métamorphosé en chrysalide, & avoir pris ensuite la forme d’un insecte ailé. J’avoue que malgré ce marc, malgré l’activité de l’acide volatil qui s’en échappe, j’ai toujours trouvé le ver plein de vigueur, ainsi que celui qui est niché dans le fruit.

Quant aux insectes qui attaquent les racines, si le marc, après avoir été enfoui, les incommode, ils descendent un peu plus bas, & travaillent tout à leur aise. D’ailleurs la partie volatile pénètre la terre, s’échappe par sa superficie, & ne se précipite pas au-dessous de la partie où le marc est placé. Que le marc produise ou ne produise pas l’effet dont on vient de parler, il n’en est pas moins vrai qu’il forme un très-bon engrais, & encore meilleur, si on l’a laissé pendant un temps convenable fermenter avec des matières animales.

Il ne faut jamais perdre de vue que les fumiers, de quelque nature qu’ils soient, n’agissent qu’autant qu’il y a eu décomposition de leurs principes constituans ; que de cette décomposition, il est résulté une recomposition nouvelle & de nouveaux principes, différens des premiers, & très-susceptibles d’être dissous par l’eau ; que c’est de l’union de ces derniers avec ceux du sol, que résulte la vraie combinaison savonneuse qui constitue la séve ; que dans cette séve on y trouve l’eau, la terre, l’huile, le sel & l’air fixe en grande quantité ; que c’est de la juste proportion du mélange de ces principes que dépend la plus ou moins bonne végétation de toute espèce de végétaux quelconques ; enfin, que jamais un fumier, qui n’est pas à son point de consommation requis, ne produira une juste combinaison, étant une fois disséminé & enfoui dans le champ.


CHAPITRE VIII.

De la taille de l’olivier.


En Corse on ne taille point l’olivier, ou du moins j’ignore si depuis dix ans cette coutume s’y est introduite ; dans quelques parties de l’Italie, on les taille rarement ; à Nice, à Antibes près Toulon, les oliviers ressemblent par leur hauteur, aux arbres forestiers de la seconde classe. Dans les environs d’Aix, ils sont tenus si bas par la taille, que l’on cueille l’olive à la main ; depuis Nismes jusqu’à Pézenas, ces arbres sont élevés un peu moins qu’à Toulon, & taillés en table, c’est-à-dire, que leur circonférence est arrondie, & leur partie supérieure tenue horizontalement. À Béziers la tête des oliviers n’a point de forme déterminée ; l’on voit de longues mères-branches dirigées horizontalement, & pousser, sans ordre, leurs bourgeons. À Perpignan on supprime chaque année une mère-branche, au point ou elle s’unit au tronc ; dans d’autres endroits on évide l’arbre comme un poirier taillé en buisson ; enfin, chaque pays, chaque canton, & pour ainsi dire, chaque village, suit une méthode particulière, & l’époque de tailler les oliviers, varie également. Il faudroit être bien habile pour oser décider à vue d’oiseau, quelle est la meilleure, & quelle est la plus défectueuse de ces méthodes ; je laisse à des cultivateurs plus savans & plus tranchans que moi, le droit de prononcer là-dessus. Cependant il ne peut y avoir qu’une bonne méthode, quoique chacun regarde celle de son canton comme la plus sage, & comme celle que l’on doit préférer à toutes les autres. Cette bonne méthode que j’appellerai naturelle, parce qu’elle produit de plus abondantes récoltes, & ménage beaucoup mieux l’arbre, quelle qu’elle soit, ne doit-elle pas être soumise à de grandes modifications. L’espèce d’olivier qui se charge de beaucoup de bourgeons dans l’intérieur ; la mourette, par exemple, N°. 8, dont la végétation est toujours plus forte dans certains climats que dans d’autres, ne demande-t-elle pas une taille différente de celle de l’olivière N°. 2 ? Dans les régions un peu froides, le pied ou tronc de l’arbre, & ses rameaux doivent-ils être tenus aussi élevés que dans les lieux bien abrités ? Les oliviers plantés sur les coteaux & dans un terrain maigre, demandent-ils à être conduits comme ceux des bas-fonds, où il règne plus d’humidité ? Que de modifications & de différences dans la manière d’être des oliviers il seroit facile de citer ! Cependant, en suivant les olivettes d’un canton, où souvent les espèces sont multipliées, on voit que les oliviers en sont tous traités & taillés de la même manière, soit sur les hauteurs, soit dans les vallons. La coutume devient la loi : je sais que des particuliers se conduisent d’après des principes raisonnés ; mais le nombre en est petit, & quoiqu’ils fassent exception, ce que je viens de dire n’en est pas moins très-vrai dans sa généralité.

J’avoue avec franchise, que de tous les articles que j’ai traités dans le cours de cet ouvrage, aucun ne m’a paru & ne me paroît plus difficile que celui-ci, à cause de la prodigieuse quantité de modifications qu’il présente.

Section Première.

D’après quels principes doit-on tailler l’olivier ?

L’énoncé de cette question suppose la taille indispensable. Elle l’est à certains égards, mais non pas d’une rigueur aussi absolue qu’on le suppose. Je reviendrai toujours à l’exemple de la Corse, de quelques cantons d’Italie, & peut-être d’un très-grand nombre dans la Morée & dans le Levant, où l’on ne taille pas les oliviers. Si ces arbres sont plantés dans un sol mauvais & de médiocre qualité, ils se chargent bientôt de branches chiffonnes qui se croisant les unes les autres, ne présentent plus qu’une confusion dégoûtante à la vue ; les mères branches se chargent de bois mort, les autres branches se défeuillent par le bas, la verdure n’est plus qu’au sommet. Cet arbre dont l’aspect est hideux, donne cependant du fruit, & quelquefois en très-forte quantité. J’en ai vu qui étoient aussi chargés de fruits qu’aucun autre olivier bien tenu & bien taillé, soit en Provence, soit en Languedoc. Je conviens malgré cela que les olives sont petites, peu charnues, & que si l’on prend dix années pour terme de comparaison, l’avantage sera tout entier pour nos provinces du midi… Les oliviers de Corse, plantés dans un terrain substantiel & dans une exposition qui leur convient, sont volumineux & donnent abondamment presque toutes les années, avec l’intermittence d’une année plus féconde que l’autre. C’est sans doute cet exemple qui a engagé les anciens écrivains à dire que les oliviers ne devoient être taillés que tous les huit ans. À coup sûr, par le mot taille ils entendoient seulement parler de la soustraction du bois mort & de l’amputation des branches rabougries ou languissantes ; & c’est plutôt émonder l’arbre que le tailler : car pour le remettre en état, & d’après nos procédés actuels, on devroit supprimer presque toutes ses branches, puisqu’à peine y trouveroit-on du bois nouveau capable de regarnir la tête de l’arbre ; il faudroit même le couronner.

S’il étoit permis de raisonner d’après l’analogie, on diroit : nos arbres fruitiers à plein vent & livrés à eux-mêmes, implorent-ils sans cesse le secours de la hache ou de la serpe ? Non ; cependant ils se chargent de fruits : n’est-ce pas sur les bourgeons de l’année que chargent les arbres à noyaux ? Ne faut-il pas deux années pour préparer & nourrir les boutons à fruits des arbres à pepins, &c. ? Taille-t-on les ceps que l’on laisse gagner jusqu’au sommet des noyers, des ormeaux, ainsi qu’on le pratique près des Échelles, partie de France voisine de la Savoie. Cependant chacun de ces ceps fournit, année commune, assez de raisins pour remplir une barrique de la contenance de deux cent cinquante bouteilles, &c. Il ne s’agit pas ici des hautains proprement dits. (Voyez le mot Vigne)

Pourquoi l’olivier fait-il donc exception à la loi générale ? Pourquoi celui qui taille tous les trois ans, ou tous les deux ans, ou tous les ans par parcelles, a-t-il des récoltes & de beaux arbres ?

J’en appelle ici au témoignage des anciens de chaque canton, & je leur demande si, dans leur jeunesse on tailloit les oliviers de la même manière qu’on les taille aujourd’hui, & si, dans l’espace de quarante à cinquante ans cette méthode n’a pas varié plusieurs fois ? Cette question n’est pas sans motif, puisque dans le journal de mon voyage fait en novembre, décembre 1775, janvier, février, mars & avril 1776, dans lequel je suivis la lisière de la méditerranée, depuis Narbonne jusqu’à la rivière de Gènes, & toute celle de la Corse, uniquement pour y étudier la culture de l’olivier, je vis que dans tel canton du Languedoc c’étoit un provençal qui avoit introduit la taille que l’on y pratiquoit alors ; que dans tel autre de la Provence on la devoit à un languedocien, &c. : je vois encore aujourd’hui que dans le canton que j’habite, plusieurs cultivateurs font venir des émondeurs de quatre à cinq lieues des environs. C’est le foible de l’hmnme d’aimer à paroître instruit, d’avoir un talent que n’ont pas ses voisins ; & l’homme effronté & plein de jactance est toujours assuré de forcer l’opinion des sots. Que cet homme se présente donc dans un village où la récolte des olives ait manqué depuis quelques années par l’intempérie des saisons, il ne manquera pas de dire, c’est que vos arbres sont mal taillés ; si j’y mets la main je vous promets de bonnes récoltes. Il est cru sur sa parole, il taille, il abat beaucoup de bois, les saisons le favorisent, & voilà une méthode adoptée dans le pays. Qu’un provençal ou qu’un languedocien émondeurs se transportent dans une de ces deux provinces, il abandonnera son ancienne manière de tailler pour adopter celle du canton dont il est devenu citoyen. L’un & l’autre tiendront à leur marotte, & pour peu que leur travail soit couronné par le succès, ces hommes donneront le ton au pays parce qu’on n’y travaille pas d’après des principes démontrés, mais par routine.

Des pratiques locales augmentent encore la bigarrure de la main d’œuvre. Ici la taille de l’olivier est confiée aux bergers qui sont devenus tailleurs d’arbres, sans doute par l’imposition des mains. Il est bon d’observer que ces bergers ont des troupeaux de cent cinquante bêtes sur lesquelles il y en a au moins quarante qui leur appartiennent en propre. Il leur importe, de préférence à l’intérêt du maître, que leurs brebis & leurs agneaux trouvent une ample nourriture ; en conséquence qu’ils abattent autant de branches qu’ils peuvent, bonnes ou mauvaises ; cela est fort égal pour eux. Ici l’émondeur reçoit le prix de sa journée en argent, par exemple, vingt sols, mais il lui revient chaque jour une branche qu’il emporte chez lui. Si dans la journée il ne s’en est présenté aucune assez grosse qui méritât d’être abattue, soit à cause de sa vétusté, soit parce qu’elle se trouvoit mal placée, il attaque une grosse & bonne branche. On évite cependant cet abus en lui payant cinq sols de plus, & il est alors tenu de ne point emporter de bois. Cette convention subsiste, si le propriétaire préside aux travaux ; mais s’il est absent l’ouvrier ne revient jamais les mains vides : on gagne néanmoins la conservation des mères-branches par cette convention.

L’abus est bien plus criant, plus scandaleux, lorsque l’on donne tout le bois de la taille à l’émondeur en échange de son travail. Il est clair & démontré jusqu’à l’évidence qu’un pareil marché est toujours au très-grand préjudice du propriétaire. Si celui-ci se plaint, se fâche, on lui répond par un adage vrai & juste, quant au fonds & qui est une maxime de la taille. L’arbre dit, fais-moi pauvre de bois, & je te ferai riche d’huile. L’oracle a parlé, il faut se taire.

Quelle conséquence doit-on tirer des exemples & des abus qu’on vient de citer, & dont on pourroit multiplier le nombre à l’infini ? La voici : l’olivier se couvre chaque année d’une quantité prodigieuse de fleurs ; elle va à l’infini dans l’année qui suit celle de la taille : ainsi quelle que soit la méthode suivie, la récolte sera abondante si la saison la favorise ; preuve convaincante de la fécondité de cet arbre ; preuve plus convaincante encore que la récolte n’est pas alternative comme on le prétend, & que c’est la main de l’homme qui la rend alternative par la taille. Nous intervertissons l’ordre de la nature : les oliviers qui ne sont pas taillés, chargent toutes les années si les circonstances leur sont favorables.

On dira peut-être, voyez, examinez un olivier pendant l’époque de sa fleuraison, après qu’il a été taillé ; il donne moins de fleurs, proportion gardée avec les rameaux qu’on lui a laissés, & la majeure partie des fleurs ne noue pas. Ces assertions sont vraies, mais elles portent sur des points qu’on n’a pas assez examinés. Raisonnons par comparaison : 1°. l’expérience a démontré aux jardiniers instruits qu’ils peuvent par la taille changer les bourses, les brindilles & lambourdes, (voyez ces mots) en véritables branches à bois ; il suffit de les rabattre à un œil ou deux tout au plus, mais encore mieux à un seul œil. Or, si ces petits retranchements font effet sur un espalier, quel ne doit donc pas être celui de la soustraction d’une quantité considérable & de branches & de rameaux ? 2°. La même expérience prouve encore que lorsqu’on abat beaucoup de bois ou vieilles branches sur un arbre en espalier ou en buisson, les fleurs ne nouent pas, à moins que la saison ne leur soit très-propice. L’arbre tend à se regarnir de bois, à produire des pousses nouvelles ; la séve est détournée, attirée vers les nouveaux jets avec plus de force que dans les anciennes branches. Ce sont des faits qui n’échappent point aux yeux de ceux qui sont accoutumés à examiner & à réfléchir. Il en est ainsi pour l’olivier, plusieurs boutons qui étoient à fruit se mettent à bois, & les nouveaux bourgeons attirent à eux trop de séve pour que le fruit noue. Telle est la marche ordinaire de la nature, si elle n’est singulièrement favorisée par les saisons. La récolte de 1780 fut dans mes environs aussi brillante sur les arbres en rapport que sur ceux qui avoient été taillés aux mois de mars ou d’avril précédent. Des exemples très-rares ne détruisent pas les principes qu’on vient d’établir. L’olivier est donc forcé par la taille à devenir bienne : si la taille est trienne, son produit sera mixte, ainsi que celui de taille annuelle : c’est ce que l’on examinera ci-après.

3°. L’expérience prouve encore qu’un vieux arbre en espalier ou en buisson, ou même à plein vent, & qui n’a plus la force de pousser de nouveaux jets, soit par vétusté, soit parce qu’il est chargé d’un très-grand nombre de bourses, brindilles, &c., fleurit & fructifie chaque année ; l’olivier qui n’est pas taillé est dans le même cas ; mais souvent la fleur ne noue pas, & le fruit tombe bientôt quoique aoûté, parce que les canaux séveux sont trop oblitérés, & que la séve ne monte pas en quantité proportionnée aux besoins.

4°. Il est rare & très-rare de voir deux grandes récoltes consécutives. Ce phénomène tient-il uniquement aux différentes manières d’être des saisons, ou bien l’arbre est-il trop épuisé par les productions de l’année précédente ? Mais si l’olivier ne donne son fruit que sur les rameaux de l’année précédente, on devroit conclure que les boutons à fruit sont dans le cas de se développer toutes les fois qu’ils sont formés, quelle qu’ait été la production de l’année antérieure. S’ils ne réussissent pas, cela tient à la constitution des saisons.

5°. Si dans le cours de l’année précédente, la rigueur du froid, l’extrême sécheresse, ou telle autre cause quelconque s’est opposée en tout ou en partie à la production des rameaux secondaires sur les bourgeons, il est clair que leur année de rapport sera nulle ou presque nulle malgré la taille bien ou mal faite.

Résumons, 1°. L’olivier n’est pas par lui-même bienne, trienne, &c. ; la main de l’homme le rend bienne par la taille ; on sacrifie presqu’entièrement le produit d’une année pour en obtenir un très-considérable l’année suivante.

1°. En supposant qu’on ait couronné un olivier, il ne donnera du fruit qu’à la troisième année. Il commence dans la première, à pousser des bourgeons qui-deviendront des branches ; à la seconde, ces branches pousseront des rameaux, & c’est sur ces rameaux que le fruit naîtra à la troisième. Dans la taille ordinaire on laisse, autant qu’on le peut, les jeunes branches implantées sur les anciennes ; elles se chargent de rameaux pendant cette année, & ces rameaux donnent du fruit l’année d’après

3°. Tout l’art de la taille consiste à débarrasser l’arbre des branches qui ne produisent que de foibles rameaux, & de le forcer à donner beaucoup de bois nouveaux.

4°. Toutes les branches de l’olivier sont dans un de ces trois états, ou en vigueur, ou malades ou mortes. Celles des deux dernières classes demandent à être abattues ; c’est sur les premières que la taille doit être faite.

5°. Les branches se divisent en mères-branches ou en branches secondaires ; & ces dernières en rameaux de l’année & en rameaux de deux ou de plusieurs années.

Telle est la base & le seul principe d’après lequel la taille doit être dirigée. Comment doit-on tailler ? On l’examinera dans la troisième section de ce chapitre.

Section II.

À quelle époque doit-on tailler ?

Cette question présente deux objets à examiner. 1°. Doit-on tailler chaque année ou tous les deux ans, ou à de plus longs intervalles ? Dans quelle saison de l’année doit-on tailler ?

§. I. Doit-on tailler chaque année, ou tous les deux ans ?

Les sentimens sont très-partagés sur ce point. Écoutons les auteurs des différens systèmes.

De la taille annuelle.

Parmi les auteurs modernes, M. Labrousse est un de ceux qui a le mieux préconisé ce genre de taille dans un Mémoire couronné par l’académie de Marseille en 1772 sur cette question : quelle est la meilleure manière de cultiver l’olivier, & de le préserver des insectes qui s’attachent à l’arbre & au fruit ? L’auteur s’explique ainsi : « dans la Provence & dans le bas-Languedoc on taille les oliviers de deux en deux ans ; dans d’autres lieux on les taille tous les trois, quatre ou cinq ans. Les cultivateurs du haut-Languedoc, les coupent de manière à les détruire ; ils abattent les grosses branches & en retranchent une infinité de petites. Nous blâmons tous ces usages. »

» Il conviendroit sur-tout á présent, pour soutenir la vieillesse, & rétablir l’état languissant de nos oliviers, de les émonder chaque année à la fin de l’automne, ou pour le plus tard au commencement de l’hiver, avec tout le ménagement possible. Il ne faudroit couper que le bois mort, vieux ou malade, & quelques petites branches qui se croisent entr’elles. »

» En émondant ainsi l’olivier toute l’année, la séve qui, sans cela, seroit dispersée en plus d’endroits, devient alors suffisante pour bien nourrir l’arbre déchargé d’un bois nuisible. Étant plus vigoureux, il résistera davantage aux rigueurs de l’hiver, il portera beaucoup plus de fruits chaque année, & formera dans le printemps beaucoup plus de nouvelles pousses pour l’année suivante. On aura par ce moyen, chaque année, une récolte au-dessus du médiocre, & l’arbre sera toujours en bon état. C’est là principalement ce que le cultivateur doit rechercher, & ce que l’expérience du passé lui assure pour l’avenir. »

» Il résulte encore de cette méthode un avantage considérable ; c’est que les olives d’un arbre ainsi émondé, donnent beaucoup plus d’huile que celles d’un olivier surchargé de branches & de fruits mal nourris : d’ailleurs, en enlevant avant l’hiver tout le bois mort, vieux ou malade, on ôte & l’on détruit tous les insectes qu’il renferme ; au lieu qu’en émondant l’olivier dans le printemps, dès que le bois est coupé, ils en sortent & se renferment dans la terre jusqu’à ce qu’ils aient la liberté de remonter sur l’arbre. »

D’après le texte de cet auteur respectable, on ne peut pas affirmer qu’il tranche la question, savoir si les arbres jeunes ou bien portans doivent être également taillés chaque année, ainsi que les vieux & les souffrans. On oseroit presque avancer que M. Labrousse conseille cette méthode, & qu’il ne l’a pas suivie ; car sa manière de s’exprimer seroit plus décisive, & il l’appuyeroit de sa propre expérience ; il diroit, venez & voyez mes olivettes ; leur bon état prouve plus que mes raisonnemens.

M. l’abbé Couture, curé de Miramas, dans un Mémoire sur la culture de l’olivier, qui décèle le praticien & l’observateur, auquel l’académie de Marseille a accordé le second accessit en 1781, s’exprime ainsi en parlant de la méthode ci-dessus indiquée.

« Inutilement on a blâmé cet usage, (la taille bienne) inutilement on nous a assuré qu’en émondant l’olivier chaque année, chaque année il porteroit bien plus de fruit, qu’il formeroit beaucoup plus de nouvelles pousses pour l’année suivante ; inutilement on promet que par ce moyen on aura chaque année une récolte au-dessus de la médiocre, & que l’arbre sera toujours en bon état ; inutilement on observe que c’est là ce que le cultivateur doit principalement rechercher, & ce que l’expérience du passé assure pour l’avenir. Malgré tant de promesses flatteuses, le plus grand nombre des cultivateurs a suivi la méthode bienne. Quelques propriétaires s’en sont-ils écartés ? Ont-ils émondé leurs oliviers toutes les années ? Le manque de récolte les a forcés de reprendre leur ancienne méthode. »

» Je voulois suivre la taille annuelle, & je conseillai à un paysan d’adopter cette méthode. Voici sa réponse : choisissez, me dit-il, voulez-vous des œufs ? Laissez pondre vos poules. Voulez-vous des poulets ? ayez des poules qui pondent & d’autres qui couvent ; mais voulez vous en même-temps & d’une même poule, avoir des poulets & des œufs ? vous n’aurez ni œufs ni poulets. De même voulez-vous de belles pousses ? fumez, taillez, labourez vos arbres. Voulez-vous beaucoup d’huile ? ralentissez la séve de vos oliviers. Voulez-vous chaque année du fruit & de nouvelles pousses ? taillez, fumez la moitié de vos olivettes, & semez l’autre. « Je fus docile, & une expérience constante m’a appris que ce paysan moniteur avoit raison. »

La taille pratiquée dans le Roussillon, vrai pays des hespérides relativement au reste de la France, & où les oliviers sont très-nombreux, cette taille, dis-je, justifieroit presque la taille annuelle par l’amputation des mères branches à leur insertion au tronc. En admettant quatre mères-branches, & en en supprimant une cette année, dans le printemps & pendant l’été il sortira des bords de la plaie une prodigieuse quantité de bourgeons droits, lisses, forts & vigoureux sur un seul côté de l’arbre ; à la seconde année ces bourgeons deviendront branches, & ces branches produiront des rameaux qui, à la troisième année donneront du fruit. Si la taille est méthodique, c’est-à-dire si l’on croit agir d’après des principes, il faut donc chaque année couper quelques mères branches, afin d’avoir par succession des rameaux à fruit ; ainsi une partie de l’arbre sera taillée annuellement : mais si par exemple on laisse pendant quatre ou cinq années subsister les autres mères-branches, il est clair, naturellement parlant, qu’il y aura moins de rameaux à fruit, qu’ils seront plus courts & plus maigres ; 1°. parce qu’ils partent d’un bois déjà trop vieux ; 2°. parce que les bourgeons & leurs pousses nouvelles attirent trop à eux la séve qui auroit dû se partager. Plus le canal est direct, & plus la séve monte ; plus elle trouve de ces canaux directs, & moins les rameaux voisins en profitent. Ils sont à l’olivier ce que les gourmands sont aux autres arbres fruitiers. D’ailleurs, par la méthode suivie dans le Roussillon, il ne se trouve plus d’équilibre entre toutes les branches de l’arbre, &c. Mais que pensera l’homme exempt de préjugés, si on lui dit, & si l’expérience confirme que, malgré l’extrême défectuosité de cette taille, la récolte en huile est toujours très-abondante dans cette province, à moins que les vicissitudes des saisons ne s’y opposent. Ces récoltes prouvent ce que j’ai déjà avancé, que l’olivier est si productif, & sa végétation si animée, lorsqu’il éprouve le degré de chaleur qui lui convient en hiver comme en été, qu’il brave les vaines opinions des hommes, & qu’il est par-tout au-dessus de l’impéritie des émondeurs. M. Pagès, seigneur de plusieurs Terres dans le Roussillon, avoit fait venir de Provence & de Languedoc des émondeurs pour ses oliviers, afin de substituer leurs méthodes à celles du pays. Les habitans les forcèrent de sortir, & les gens sensés leur conseillèrent de se retirer. L’empire du préjugé est si puissant qu’il nous aveugle jusque sur nos propres intérêts. Nous entrerons dans de plus grands détails en parlant de la manière de tailler.

Les partisans de la taille bienne me paroissent avoir un grand avantage sur ceux qui pratiquent l’annuelle, la trienne, &c. Si cette taille est bien conduite, & si elle est entreprise & maintenue telle par un homme intelligent, il est defait que le fruit ne paroît qu’à la seconde année sur le rameau poussé pendant la précédente. Ainsi, que la taille ait été bien ou mal faite dans la première année, il est clair qu’il y aura, proportion gardée, plus de boutons à fruit dans la seconde. Pendant la première on supprime beaucoup de vieilles branches, & la forte végétation de l’arbre le force à donner beaucoup de rameaux : d’ailleurs, la taille, l’abondance de séve, &c. métamorphosent beaucoup de boutons à fruit en boutons à bois, & ces derniers donnent du fruit & beaucoup plus de fruits à la récolte suivante que s’ils étoient restés boutons à fruit à la première. Chaque bourgeon de l’olivier se bifurque en deux rameaux, & chaque rameau en deux autres, &c. ; il y a donc un plus grand nombre de rameaux à fruit. Ce que je dis ici n’implique pas contradiction avec ce que j’ai avancé plus haut, lorsqu’il a été question de la fleuraison pendant l’année de la taille. Il faut une infinité de circonstances heureuses pour que les oliviers fleurissent pleinement, & que leurs fleurs nouent. Quelles sont les circonstances, & de laquelle en particulier dépend donc la grande apparition des fleurs & leur aoûtement ? Je crois que des jours sereins & chauds y contribuent, ainsi que l’absence des vents violens, ou par raffalles, mais cela ne suffit pas. J’ai souvent & très-exactement observé, malgré ces circonstances heureuses, que sur telle branche les boutons à fruit ne se convertissoient pas en boutons à bois ; que sur telle autre, la fleuraison étoit parfaite & le fruit manquoit ; enfin, que sur le même arbre chaque fleur produisoit son fruit. Si on assigne pour cause différentielle la santé de la branche, je répondrai que celles dont l’égalité me paroissoit la plus parfaite, étoient les seules soumises à mes recherches. Si l’on veut être de bonne foi, on conviendra qu’il est très-difficile de prendre la nature sur le fait, & de déterminer le vrai caractère d’après lequel elle agit.

Il résulte cependant de mes observations, que toutes circonstances égales, & proportions gardées, il y a beaucoup moins de fleurs épanouies pendant l’année de la taille que pendant la suivante. Il est encore très-rare de voir, pendant deux années consécutives, des récoltes pleines & entières. L’olivier semble épuisé, dit-on, par les efforts qu’il vient de faire, & demande à se reposer. Ce repos supposé est peut-être ici purement métaphorique, & il peut fort bien ne tenir qu’à la manière d’être des saisons.

L’avantage de la taille bienne est incontestable, mais il en résulte un manque de récolte qu’il seroit important d’éviter. Les partisans de cette taille conseillent de diviser les olivettes en deux parties, afin que chaque année une de ces parties travaille à produire du bois nouveau & l’autre à donner du fruit ; c’est donc une perte de moitié presque franche. Si la partie en rapport éprouve un échec, soit par les brouillards pendant la fleuraison, ou par les pluies abondantes ou froides à cette époque, soit enfin par la sécheresse ou par les vents impétueux pendant l’été, on perd donc deux récoltes consécutives. Telle est la grande objection faite par les partisans de la taille annuelle.

Si en fait d’agriculture, la coutume presque généralement adoptée, devoit être une loi, alors la taille bienne devroit être admise sans examen, cependant cette universalité parle en sa saveur. Il faut tailler les oliviers, voilà un point de fait, quoique l’on trouve des exceptions à cette règle ; ainsi en taillant chaque année la moitié de ses arbres, toutes les probabilités se réunissent pour faire espérer une récolte égale chaque année. La taille trienne n’est pas à rejeter lorsque, soit par le peu de vigueur de l’arbre, soit par l’âpreté de l’hiver, on a été forcé d’abattre beaucoup de grosses branches, beaucoup de bois mort, &c. ; après une circonstance aussi fâcheuse, à quoi serviroit la taille bienne ? sinon à détruire de bon bois & par conséquent le produit qui auroit eu lieu la troisième année. Un simple émondage suffit la seconde année afin de supprimer le trop grand nombre de bourgeons inutiles qui croisent & s’embrouillent avec les autres.

La taille de quatre en quatre années est bonne en elle-même, lorsque les oliviers soutenus par la chaleur & les saisons, végètent dans un bon fond, & lorsque leur belle apparence extérieure annonce la vigueur de leur végétation.

Le but de la taille est d’aider l’arbre à pousser du jeune bois, & à le maintenir dans sa force. C’est donc cette force de végétation qui varie d’espèce à espèce d’olivier, & de champ à champ, qui doit décider l’année de la taille, & non pas une règle générale toujours soumise à mille exceptions. Tant que l’on voit l’arbre donner de nouveaux rameaux avec l’apparence de vigueur & d’embonpoint, la taille est inutile. En agir autrement, c’est de gaieté de cœur agir systématiquement & contre ses propres intérêts.

Je conclus que la taille est nécessaire suivant les circonstances ; que, généralement parlant, la bienne est la plus nécessaire de toutes ; que la trienne & même celle après quatre ans, ont quelquefois de grands avantages, suivant les climats, le sol, &c. Si l’olivier de nos champs pouvoit être cultivé en espalier, comme les arbres fruitiers dans nos jardins, & avec les mêmes soins, j’admettrais alors la taille annuelle, parce que je serois le maître de retrancher, de disposer & de conserver les branches à volonté. On peut donc dire que la coutume plutôt que le raisonnement a établi des règles générales, & encore une fois toute règle générale est abusive.

§. II. Dans quelle saison de l’année doit-on tailler ?

Les opinions sont encore partagées sur ce point : les uns conseillent de tailler aussitôt après la récolte, & les autres après l’hiver.

Les partisans de la première méthode disent 1°. que si l’on taille au moment de la récolte, les cueilleurs n’ont aucune peine à ramasser le fruit sur la branche qui vient d’être abattue, & que la récolte est plutôt faite ; 2°. que lorsque l’arbre est dégagé de ses branches surnuméraires, qu’il est bien évidé, il est moins abymé par le poids de la neige qui souvent fait briser & éclater les branches près du tronc. 3°. L’arbre ainsi évidé & dégarni, permet au courant d’air de circuler plus librement tout autour des branches & du tronc, cet air dissipe l’humidité qui augmente l’évaporation & par conséquent le froid. 4°. Cette saison est morte, c’est-à-dire que les ouvriers ont peu de travail à faire, & les journées sont à meilleur marché.

Les sectateurs de la seconde méthode, disent, 1°. la dépense de la cueillette faite à terre ou sur l’arbre, n’est pas un assez grand objet d’économie pour qu’on doive s’y attacher. D’ailleurs, les coups multipliés de l’instrument tranchant qui abat la branche, font tomber beaucoup d’olives & beaucoup de feuilles sur les toiles. On perd ensuite au triage plus de temps qu’on en a gagné à la cueillette, 2°. Le cas d’une grande quantité de neige à la fois est excessivement rare ; & il faut qu’un arbre soit prodigieusement feuillé, & qu’il ne règne aucun vent capable de la détacher pour que ses branches cassent. 3 °. la circulation de l’air & l’évaporation de l’humidité sont en eux-mêmes un objet important ; mais comme l’olivier transpire sans cesse, le froid doit donc agir mieux sur la transpiration d’une branche isolée, que sur celle qui est défendue par les branches voisines. La brebis à jambes grêles a grand soin de les resserrer l’une contre l’autre, lorsqu’elle est exposée à un grand courant d’air. Ce que cette réunion produit sur l’animal, l’approximation des branches des rameaux voisins le produit également, ou au moins en partie sur l’arbre. 4°. Le prix des journées mérite considération ; mais l’économie est-elle en proportion des plaies que chaque amputation de branches & de rameaux fait à l’arbre ? & personne n’ignore quel est le nombre prodigieux de ces plaies. Chaque partie mise à nu n’a rien qui la défende contre la neige, la pluie, le verglas & la glace qui la recouvrent. Il n’est donc pas surprenant que les météores exercent leurs ravages sur un arbre qui ne craint que le froid, & dont la substance reste exposée à ses effets destructeurs. La taille faite avant l’hiver, ne dispense pas de faire la visite de ses oliviers après l’hiver. Des branches, des rameaux paroissoient bien portans lors de la taille ; mais soit que plusieurs fussent attaqués des vers, soit que le froid en ait détruit un certain nombre, ils demandent alors à être supprimés. Cette double opération devient dispendieuse & absorbe du temps, au lieu que la taille en mars ou en avril, suivant le climat & la saison, réunit les deux objets à la fois.

D’après l’exposé de ces différens motifs, le lecteur n’aura pas beaucoup de peine à se décider.

Section III.

Comment doit-on tailler ?

Il faut distinguer l’émondage de la taille. Par l’émondage on ne supprime que quelques petites branches ou seulement le bois mort, au lieu que par la taille on dépouille l’arbre de toute espèce de bois superflu.

La taille de l’olivier se réduit à peu de principes, dont l’application cependant va à l’infini, puisqu’elle doit être subordonnée au climat, au sol, à la manière d’être des courans d’air du pays, enfin à chaque espèce d’oliviers, en général, & relativement à chaque individu en particulier. Chaque arbre dit à l’émondeur, j’ai besoin d’être taillé de telle ou telle manière ; si vous agissez autrement, vous ne savez pas votre métier. Je ne puis me soustraire à vos coups meurtriers, mais le propriétaire paiera chèrement l’aveugle confiance qu’il a en vous, & votre maladresse.

La première loi est d’examiner l’arbre, d’abord dans sa totalité & ensuite dans chacune de ses parties, après l’avoir suivi des yeux de branche en branche, d’établir un jugement raisonné, de décider quelles branches demandent à être abattues, & quelles branches méritent d’être conservées ; de faire ensuite plusieurs fois le tour de l’arbre en continuant toujours son examen, afin de rectifier ses idées au besoin ; enfin, lorsqu’on a, pour ainsi dire, tout l’arbre dans la tête, il faut appliquer l’échelle, monter dessus & commencer la taille. Je n’ai jamais pu m’accoutumer à la marotte des émondeurs ; sans examen préliminaire ils montent sur l’arbre, & du milieu, de cette forêt de branches où la vue est coupée en mille sens différens, ils tranchent & abattent à leur gré. Nous n’avons pas besoin d’examen antérieur, disent-ils, nous sommes si au fait de notre travail que nous taillerions un olivier les yeux fermés. Que répondre à de pareils travailleurs ! Cependant on a des récoltes ! ce qui est sans doute assez difficile à comprendre.

La seconde loi est de conserver l’équilibre entre toutes les branches, c’est-à-dire, d’observer que les mères branches & les secondaires gardent dans le pourtour, & autant qu’il est possible, la même grosseur, le même volume & la même étendue. La taille du Roussillon pèche essentiellement en ce point. Si l’équilibre n’est pas observé, la séve se porte beaucoup plus d’un côté que de l’autre ; celui-là regorge de sucs, & celui-ci ne reçoit plus qu’une foible & chétive nourriture.

La troisième est de ne laisser jamais ni tronçons ni chicots sur la partie coupée. Ces chicots (voyez ce mot) ainsi qu’il a déjà été prouvé au mot mûrier, sont l’origine de la pourriture qui gagne de proche en proche l’intérieur du tronc, & qui le rend caverneux. L’écorce seule se regénère & non le bois ; or l’écorce, par son extension, ne peut pas recouvrir une partie saillante, aiguë, &c.

La quatrième exige que l’endroit où chaque amputation est faite, soit uni ; que l’amputation soit faite, autant que la position de la branche le permet, dans un sens perpendiculaire & non pas horizontal. Dans le premier cas, l’écorce recouvre plus vite la plaie ; dans le second, l’eau, le verglas, la glace séjournent sur la plaie, attaquent l’écorce & le bois.

La cinquième qui ne sera pas observée par nos paysans, consiste à couvrir les grandes plaies avec l’onguent de saint Fiacre. (voyez ce mot) Sans cette précaution elles ne seront jamais cicatrisées ; l’expérience de tous les jours & de tous les lieux le prouve. L’humidité & l’évaporation alternatives, le hâle, le soleil, dessèchent le bois, il se gerce, l’eau s’introduit dans les gerçures, la carie suit de près, &c.

La sixième, celle qui demande le plus de connoissance, est de laisser subsister un nombre de branches secondaires, jeunes, droites, pleines de vigueur, en proportion de la vigueur de l’arbre ; de ravaler ou rabaisser à la taille suivante ces mêmes branches devenues trop élevées & trop grosses. Ce ravalement doit être proportionné à leur vigueur. À la troisième taille, c’est-à-dire six ans après, si on suit la méthode bienne, cette masse de branches surbaissées deux ans auparavant, doit être beaucoup diminuée quant au nombre, & il convient de reprendre l’arbre d’une manière semblable à celle de la première taille. En suivant cette méthode générale, on est assuré d’avoir toujours du bois nouveau, par conséquent beaucoup de rameaux, & beaucoup de fruit : mais peut-on toujours la mettre en pratique ? J’ai déjà dit que chaque arbre demandait une taille particulière, que le bon sens & la pratique devoient conduire la main de l’émondeur ; & j’ajoute que l’homme qui croit le mieux posséder la théorie de la taille des arbres, seroit embarrassé si on lui donnoit un olivier à conduire. Pendant les deux premières années que j’ai habité les environs de Beziers, j’ai suivi exactement les émondeurs, j’étudiais les oliviers & je me disois, il convient de supprimer cette branche, de conserver celle-ci ; l’expérience m’a prouvé que je ne savois ce que je disois. Il faut du temps pour voir & pour bien voir ; il ne faut qu’un moment pour écrire, donner des préceptes, faire l’homme habile & tranchant ; mais qu’il y a loin du travail du cabinet à la pratique & au manuel de la taille de l’arbre. Des loix générales passons aux observations particulières.

Tout olivier planté ou transplanté pousse de différens endroits une quantité considérable de bourgeons très-rapprochés les uns des autres : on ne doit pas y toucher pendant la première année, parce que les racines s’établissent en raison de ces bourgeons. Cependant, si on en voit sur le tronc de l’arbre, & en même temps beaucoup à son sommet, il convient de supprimer les inférieurs qui absorbent inutilement la séve. Toutes les opérations de la nature sont marquées du sceau de la sagesse de celui qui la gouverne ; ces bourgeons placés près à près, & pour ainsi dire par paquets, se soutiennent mutuellement, & si leur longueur n’étoit nullement proportionnée à leur grosseur ils deviendroient le jouet des vents : on peut commencer, dans le cours de la seconde année, la soustraction de quelques-uns, c’est-à-dire de ceux qui seront étouffés par les autres. La troisième est l’époque où l’on ne doit laisser sur l’arbre que les bourgeons destinés à former sa tête. Cette loi est cependant soumise à la force de la végétation de l’arbre, & quelquefois il est avantageux d’attendre à la quatrième année.

L’olivier est, je crois, celui de tous les arbres qui devient le plus branchu : cette considération doit donc entrer pour beaucoup dans la taille générale & particulière. Chaque branche secondaire demande à être séparée de toute autre, de manière qu’aucune ne la couvre & qu’elle n’en couvre aucune. Sans cette précaution, la confusion sera établie aussitôt après la pousse des rameaux. Cet arbre ne donne du fruit que sur les rameaux qui jouissent librement de l’air & du soleil ; motif de plus pour éviter la confusion.

La mal-adresse des ouvriers fait souvent éclater des branches dans l’endroit où ils veulent les supprimer. La grosse branche à moitié coupée est tirée avec force vers le bas, & il s’ensuit une déchirure dans l’écorce du tronc ou d’une autre branche. Le seul moyen de réparer le mal est d’unir la plaie & de la recouvrir avec l’onguent de saint Fiacre.

Souvent une grande partie de l’intérieur du tronc de l’arbre, & quelquefois tout le tronc jusqu’à l’intérieur de ses racines, est pourri, carié. La carie a été produite dans son principe ou par des chicots ou par des plaies qui n’ont jamais pu être cicatrisées, de manière qu’il ne lui reste plus que l’écorce avec une partie du bois ; & souvent même de grandes étendues de l’écorce ont subi le même sort que le bois. Les pluies, les gelées, les coups de vents, &c., sont dit-on, la cause de cette pourriture ; il n’en est rien, elle dépend toujours de la main de l’émondeur. Dès qu’on s’apperçoit d’une carie commençante, il faut aussitôt tailler jusqu’au vif, emporter tout le bois carié, & suivre le mal dans toute sa longueur, dans toutes ses ramifications, &c. Plus on retardera, & plus les progrès de la carie seront rapides. Si la cavité est petite, on la remplira avec de l’argile bien corroyée, avec la fiente de bœuf ou de vache, & que l’on serrera à coups redoublés, afin qu’il ne reste plus de vide entr’elles & le bois vif. En se séchant, elle se gercera ; mais de temps à autre on la rebattra de nouveau, de manière que les eaux pluviales aient un écoulement rapide & ne soient jamais stagnantes sur cet emplâtre. Si au contraire la carie est considérable, si elle perce à jour de part en part sous une portion d’écorce desséchée, il faut impitoyablement abattre, couper, retrancher, soit le bois, soit l’écorce, & réduire tout au vif & au très-vif. Dans ces circonstances on prend de la paille longue n’importe quelle espèce, on la couvre soit en dehors soit en dedans d’onguent de saint Fiacre, & on l’applique sur la partie du bon bois restée à nu, & les rebords de l’écorce en sont également recouverts. De petits liens, & en assez grand nombre, placés de distance en distance, maintiennent le tout. Cette opération ne doit avoir lieu qu’après l’hiver ; & avec une semblable précaution il m’est souvent arrivé de voir l’écorce contourner le bois dans la partie intérieure, & le recouvrir entièrement dans le cours d’une année. Si la carie a gagné l’intérieur de quelques grosses racines, la même opération doit avoir lieu & aussi profondément qu’on le peut. Si on a été assez heureux pour la supprimer entièrement, elle ne fera plus de progrès. Dans ce cas l’onguent de saint Fiacre, dans la consistance d’une bouillie, est vidé dans le creux de la racine ; & à mesure que son humidité s’évapore, que la bouillie prend de la retraite, on en ajoute de nouvelle que l’on comprime avec force. Je réponds qu’en suivant ce procédé, ces troncs d’arbres caverneux & percés à jour, donneront par la suite d’aussi belles récoltes que les autres, puisque la cause permanente de leur foiblesse est détruite. Que l’on prenne la peine de répéter cette expérience, & on jugera alors de ses résultats.

L’olivier a ses bois gourmands comme nos autres arbres fruitiers. Ils deviennent ou très-avantageux, ou très-nuisibles ; avantageux, si on a besoin de garnir une place vide ; nuisibles dans tout autre cas, parce qu’ils affament les branches voisines. On les nomme suceurs, teteurs, buveurs d’huile. S’ils sont absolument surnuméraires, c’est le cas de les abattre, s’il sont trop exhaussés à l’époque de la taille, on doit les rabaisser, & ils deviendront branches à fruit. Ces gourmands ne s’élancent pas seulement des mères-branches, ils percent souvent l’écorce du tronc, ou bien ils partent des racines. Si l’arbre est caverneux, carié, le gourmand servira un jour à le renouveler ; mais si le gourmand n’a point de destination marquée, il faut le couper. Le gourmand, placé sur les racines & à une certaine distance du tronc, donnera par la suite un bon sujet s’il est respecté par les troupeaux, & si au moyen des épines & des ronces dont le propriétaire le fait environner, il le garantit de leurs dents meurtrières. Comme la sève monte avec vigueur dans ces espèces de gourmands, comme l’écorce a bientôt cicatrisé la plaie, & a formé un bourrelet, (consultez ce mot) il n’est pas rare d’en voir pousser de nouveaux du même endroit, & ils doivent être abattus suivant l’exigence des cas. Le grand avantage des gourmands est de servir à établir l’équilibre dans la totalité des branches, & lorsque cet équilibre est rompu, on n’a pas à volonté le pouvoir de le rétablir. Si la branche qui porte le gourmand est maigre & peu nourrie au-delà de sa place, si elle est caduque, on auroit grand tort de supprimer ce gourmand puisqu’il remplacera la branche au grand profit du propriétaire ; & d’un mal en lui-même, il en retira un grand bien. C’est un buveur d’huile, vous dit-on, il faut l’abattre. Oui, il y a des cas où il demande à l’être ; mais il est fort rare que l’émondeur habile n’en sache pas tirer parti. Il y a tant & tant de branches nues, qui demandent à être renouvelées, que sur vingt gourmands on doit en conserver quinze ou les ravaler.

La figure & la forme de l’olivier varient suivant les cantons, ou plutôt elles suivent la marotte des émondeurs ; mais n’en existe-t-il pas une que l’on devroit chercher à imiter partout ? Je veux dire celle que l’arbre affecte naturellement lorsqu’il est livré à lui-même. Si je considère un olivier sauvage, je le vois arrondi dans son pourtour, élevé en pyramide à son sommet. Je demande si cette forme, naturelle à presque tous les arbres fruitiers, n’est pas la meilleure ? Elle présente plus de superficie que toute autre, & par conséquent plus de rameaux à fruit. La facile cueillette des olives a sans doute déterminé à écraser le sommet, à ne pas excéder en hauteur les côtés ; enfin, à donner la forme horizontale. Une tête d’olivier ainsi tenue, bien arrondie dans la circonférence, plaît à la vue, offre une forme agréable. C’est beaucoup, j’en conviens, mais je demanderai encore est-ce le mieux possible ? Je ne le pense pas.

La crainte des troupeaux oblige presque par-tout de tenir à une hauteur hors de leur portée, les rameaux inférieurs, d’où il résulte que la surface du dessous de l’arbre devient parallèle & horizontale comme la supérieure ; alors il ne se trouve plus qu’un très-petit diamètre de rameaux circulaires dans leur pourtour, & tronqués & horizontaux en dessus comme en dessous. Il résulte de cette taille forcée, que l’arbre est dans une gêne & dans une contrainte perpétuelles, & qu’on ne peut pas donner à ses rameaux le diamètre qui leur convient. L’expérience journalière prouve cependant que les rameaux que l’arbre se plaît à laisser pendre, sont ceux qui se chargent le plus de fruits ; c’est donc une perte réelle pour le propriétaire, outre celle des bons bourgeons ou rejets qui s’élancent des racines, & servent dans la suite à renouveler les olivettes. On peut dire avec certitude que les troupeaux & le froid sont & seront de plus en plus la cause de la destruction totale des oliviers dans nos provinces du midi. Sur cent pieds d’arbres qui périrent chaque année dans un territoire, on n’en replante pas dix pour les remplacer.

Si quelques mères-branches s’étendent beaucoup plus d’un côté que de l’autre, c’est le cas de les raccourcir afin que les bourgeons qu’elles donneront soient au niveau des voisins ; ainsi rapprochés, ils se prêtent un secours mutuel, & se défendent contre l’intempérie des façons.

L’hiver de 1709 fit périr les troncs de presque tous nos oliviers. Il poussa heureusement de leurs racines plusieurs bourgeons qui, dans la suite, devinrent des arbres, & servirent à regarnir les places vides. On voit aujourd’hui sortir de la même souche deux troncs, & même jusqu’à trois. Il est trop tard maintenant pour songer à les séparer, même pour remplacer des arbres morts. On nuiroit aux pieds voisins, soit à leurs racines, soit en les laissant chargés de branches d’un seul côté ; cependant, si le second ou le troisième décline visiblement, s’il languit, ou ne donne que très-peu de fruit, on peut le couronner, lui trancher la tête jusqu’à la naissance des branches. Si cette opération ne le rajeunit pas, si elle ne le remet pas en bon bois nouveau, cet arbre étique doit être coupé par le pied.

L’émondage est une opération de l’année après la taille, & elle doit avoir lieu lorsque l’on ne craint absolument plus le retour, des gelées. Elle consiste dans la soustraction des branches & des rameaux que les rigueurs de l’hiver ont fait périr, & particulièrement des rameaux desséchés par la piqûre des insectes. Si à cette époque en apperçoit des bois gourmands, c’est le cas de les abattre avec la réserve dont on a parlé plus haut. Mais comme la végétation des gourmands est rapide & se fait, pour ainsi dire, tout-à-coup, il est prudent de suivre de nouveau son olivette, & dans le mois d’août de supprimer les gourmands qui auront poussé, & dont on ne peut tirer aucun parti.

La taille de l’olivier est comme celle de tous les autres arbres fruitiers, elle demande beaucoup de discernement ; mais elle a cela de particulier, c’est qu’elle ne ressemble à aucune autre. Le plus habile tailleur d’arbres de Montreuil seroit bien embarrassé si on lui confioit la conduite d’un olivier. Après un an ou deux d’études je lui livrerois sans peine mes arbres, parce que, accoutumé à travailler d’après des principes, & à réfléchir sur son ouvrage, il donneroit la même attention à la taille de l’olivier qu’à celle de ces arbres.


CHAPITRE IX.

De la greffe de l’olivier.


Cet arbre est susceptible de recevoir toutes les greffes connues. (Voy. ce mot) Celle en écusson & à œil poussant mérite la préférence, & réussit mieux que toute autre. Comme cet article a déjà été traité, je n’insisterai ici que sur les points essentiels à l’olivier.

La greffe a lieu dans trois cas ; sur le sauvageon, afin de le rendre franc ; sur l’arbre d’espèce chétive ou peu productive dans le pays ; sur le sujet qui s’élève des racines & rejetons. La meilleure époque pour greffer est lorsque l’arbre commence à être en fleur. Les greffes hâtives ou plus tardives sont moins sûres. Si on ne craignoit les effets du froid, la greffe à œil dormant seroit très-bonne. La greffe sur rejetons, doit être placée fort bas, afin que dans la suite, si le tronc périt, il sorte du collet des racines des bourgeons francs. Lorsque l’on replantera ce sujet, il sera enterré de manière que la greffe soit au niveau du sol, & qu’elle commence la souche proprement dite. Si elle est enterrée, l’arbre languira. On voit cependant des exemples du contraire de ce que j’avance, mais quelques exceptions ne détruisent pas la loi générale ; il faut des circonstances heureuses, rares & difficiles à trouver.

La greffe sur sauvageon se pratique à la même époque. On place un ou deux écussons sur chaque branche que l’on doit laisser, & on supprime toutes les autres ; celles à préférer sont les branches jeunes dont l’écorce n’est pas encore gercée, & qui ont depuis douze jusqu’à dix-huit lignes de diamètre. À deux pouces au-dessus de l’écorce on enlève circulairement une bande d’écorce sur trois à quatre lignes de hauteur, & on laisse à l’arbre la partie supérieure des branches greffées. Ces branches chargées de rameaux, fleurissent & fructifient aussi-bien que si elles fussent restées intactes ; d’ailleurs leurs rameaux, leurs feuilles garantissent les écussons des grandes pluies & des forts coups de soleil. Il est possible de greffer toute une branche entière, il suffit de multiplier les écussons ; mais c’est un tour de force & rien de plus. L’année suivante, ou même deux ans après, la partie de la branche supérieure à l’écusson, est entièrement supprimée. La force & la vigueur de la pousse de l’écusson décident cette époque. Quelques particuliers cependant ont pour méthode d’abattre de temps à autre quelques-uns des rameaux supérieurs à la greffe. Cette méthode peut être très-bonne, mais elle exige de petits soins multipliés qu’on obtiendra avec peine du commun des cultivateurs.

Si toutes les branches de l’arbre sont trop grosses, à écorce trop dure, trop coriace, on les abat & on greffe en couronne (voyez ce mot) sur le tronc.

L’opération pour l’arbre d’espèce chétive, ou peu productive, ou trop tardive, relativement au pays, est absolument la même que celle de la greffe de l’olivier sauvage.

Si l’arbre que l’on veut replanter est de mauvaise espèce ou sauvage, on le greffe aussitôt qu’on l’a mis en terre, ou en couronne ou en écusson, si on a eu la précaution, en abattant les branches, de conserver sur un certain nombre des plus jeunes, un tronçon de quatre à six pouces, afin d’avoir la facilité de placer les écussons. On fera très-bien de recouvrir la plaie du tronçon avec l’onguent de saint Fiacre.

Si on prend les écussons sur un bois gourmand, son bourgeon devenu branche sera long-temps à se mettre à fruit. Si on laisse ces écussons livrés à eux-mêmes, la sève les emportera, ils s’élanceront avec force & produiront beaucoup de bois. Il convient de les ravaler à la seconde ou à la troisième année au plus tard, afin de modérer leur séve & de les forcer à se mettre à fruit : retrancher le canal direct à la séve est l’unique moyen de lui faire produire des bois nouveaux, & par conséquent du fruit.


CHAPITRE X.

De la récolte des olives.


Je suis déjà entré dans plusieurs détails importans sur ce sujet en traitant l’article huile d’olive, page 533, Tome V ; cependant il est essentiel d’y ajouter de nouvelles observations. Presque par-tout on gaule les olives comme les noix. Si le fruit n’est pas bien mûr, il tombe difficilement, & certaines espèces sont beaucoup plus tenaces que les autres. Pourquoi ne gaule-t-on pas aussi les cerises, les prunes & les autres fruits ? C’est qu’en tombant la peau seroit meurtrie, le fruit se gâteroit promptement, & dans cet état il seroit rejeté au marché, ou du moins très-peu vendu. Ce qui arrive aux fruits arrive également aux olives, aux amandes. La peau du fruit une fois endommagée, la pulpe moisit, rancit & pourrit. La peau est la conservatrice de la partie pulpeuse du fruit, comme notre peau est la conservatrice de notre chair, comme l’écorce l’est du bois, &c. Il est donc important de ne point meurtrir l’olive. D’après ce principe comment concevoir que des coups de gaule redoublés ne meurtrissent & ne déchirent pas d’abord la texture du fruit ? & comment ce fruit, par une chute accélérée & rapide peut-il venir frapper contre terre sans être endommagé ? On me dira, sans doute, que les toiles étendues sous les arbres amortissent le coup. Le fait est vrai pour les olives qui tombent sur ces toiles ; mais lorsque la violence des coups les porte au-delà, il ne se trouve plus de corps intermédiaires & mous.

Admettons, même contre l’évidence, que ces meurtrissures ne préjudicient pas à la qualité & à la quantité de l’huile, lorsque l’on porte les olives au moulin le jour suivant ; mais si, suivant la coutume presque généralement adoptée, on les accumule, on les laisse s’échauffer, fermenter, la putréfaction & la rancidité seront bien plutôt établies dans un monceau dont les fruits sont altérés que dans celui qui renferme des fruits sains.

Supposons encore qu’il soit inutile de songer à la conservation du fruit, il n’en est pas de même de celle des feuilles & des rameaux. Chaque feuille, à sa base, protège, échauffe, conserve, alaite un bouton qui, dans la suite, sera à bois ou à fruit, & l’enfance de ce bouton se prolonge près de deux ans. Or, en gaulant les feuilles, en les meurtrissant, en massacrant ces mères nourricières, on détruit d’un seul coup & le bouton à bois & celui à fruit dont l’accroissement & la vie tiennent à la conservation de la feuille. Lorsque celle-ci leur deviendra inutile, laissez agir la nature, peu à peu elle desséchera la sinovie qui nourrissoit l’articulation de la feuille, & conservoit l’emboîtement de son court pétiole sur le rameau ou sur la branche. Le temps venu, sa mission remplie, elle tombera d’elle-même ; tout secours étranger lui est funeste.

On est tout étonné de voir, à la fin de l’hiver, une grande quantité de rameaux & même des branches un peu fortes, desséchées sur la tête d’un olivier qui paroît très-sain : que l’on prenne la peine d’examiner la place où commence la dessiccation, & on trouvera à coup sûr qu’elle commence dans l’endroit où le coup de gaule a meurtri l’écorce. Il est bien aisé de distinguer cette branche de celle dont la dessiccatiOn tient à la piqûre d’un insecte ; un seul coup d’œil suffit. Par la seule opération de la gaule on détruit donc & les boutons par les feuilles & les rameaux ; & du même coup les ressources pour la récolte prochaine & pour celle de l’année d’après, sont anéanties. On se plaint que la rigueur des hivers nuit beaucoup aux rameaux, & qu’elle en fait périr un grand nombre, c’est dans l’ordre naturel : une branche, un rameau chargés de meurtrissures & de plaies, dont les cicatrices ne sont pas encore formées, sont bien plus vivement attaqués par le froid que de semblables rameaux bien sains, &c.

Les cultivateurs accoutumés à gauler, regarderont ces observations comme minutieuses. Nous gaulons & nous avons des récoltes, voilà leur réponse. Mais les récoltes ne prouvent que l’excessive fécondité de l’olivier, ainsi que je l’ai déjà remarqué si souvent ; les marques du gaulage ne sont pas moins visibles sur l’arbre qui semble déshonoré après la cueillette du fruit ? Les partisans du gaulage devraient donc ajouter que leurs arbres sont plus maltraités par le froid, & qu’une plus grande masse de rameaux de feuilles sont détruits : ce fait est palpable.

Il n’y a qu’une seule bonne manière de cueillir les olives, c’est à la main comme on cueille les cerises, les prunes, &c. : c’est la méthode suivie dans les environs d’Aix, où les oliviers sont tenus fort bas ; mais est-elle admissible dans les cantons où les oliviers sont plus élevés ? Il s’agit de s’entendre. Si on parle des oliviers d’une très-grande hauteur, comme ceux de la rivière de Gènes, &c., elle est difficile quoique très-possible ; il suffit d’avoir des échelles vulgairement nommées échalassons, qui seront décrites au mot outils d’agriculture, & dont on se sert dans une très-grande partie du royaume pour la cueillette des feuilles de mûrier, dans les provinces où l’on n’a pas la sotte manie d’écraser la tête de cet arbre. (Voyez le mot Murier). Il suffit dans ce cas, que l’échalasson soit léger & long, en un mot, tel qu’on l’applique communément contre les plus hauts cerisiers.

Si l’olivier est de hauteur moyenne, les mêmes échalassons, ou encore mieux de légères échelles d’engin, (voyez le mot Outil) que l’on promène tout autour de l’arbre, donnent la plus grande facilité pour la cueillette, & quelques personnes placées sur les branches de l’arbre ramassent le fruit des rameaux du centre, en courbant doucement le sommet des jeunes branches. Je réponds & j’affirme, d’après ma propre expérience, que ce travail n’est ni plus long, ni plus coûteux que le gaulage, si toutes les circonstances sont égales ; & j’ajoute, qu’il est moins dispendieux pour moi, parce que je n’emploie que des femmes, dont la journée est à huit sols, tandis que celle des hommes est à vingt sols. Un homme fait-il dans ce genre deux fois & demie plus de travail qu’une femme ? Les toiles une fois tendues sous l’arbre, la femme n’a qu’à cueillir & à laisser tomber, & après la cueillette d’un arbre, plier les toiles & les débarrasser si elles sont trop chargées.

Peut-on cueillir ainsi les fruits d’un olivier placé sur le bord d’un tertre, d’un endroit escarpé, rempli de ronces, de broussailles, &c. ? Que font quelques légères exceptions, de petits cas particuliers à une marche générale ? Alors cueillez, gaulez, faites comme vous pourrez. Si tous les oliviers d’un propriétaire étoient ainsi placés, il vaudroit mieux, pour ainsi dire, abandonner à elle-même une semblable olivette, parce que la levée de la récolte en devient excessivement dispendieuse.

Avant de commencer la levée de la récolte, on doit faire passer les femmes rangées les unes auprès des autres, & sur un rang de front, afin qu’elles ramassent toutes les olives déjà tombées par terre. Lorsqu’elles ont fini un rang, elles en reprennent un second également sur toute la longueur du champ, & ainsi de suite, jusqu’à la fin, après quoi la récolte commence. Ces olives exigent d’être rigoureusement mises à part, parce que l’huile qu’on en retire est détestable.

Le propriétaire vigilant suivra les femmes dans leur travail, ou du moins il aura quelqu’un de confiance qui le remplacera. Il observera qu’elles ne fassent pas à la dérobée quelques cachettes dans le coin d’un champ ou ailleurs, & sur-tout qu’elles ne remplissent pas d’olives, leur poches toujours très-amples dans cette occasion. C’est avoir bien mauvaise idée de son prochain, me dira-t-on ; mais pourquoi ce prochain que je paye pour travailler & non pour me voler, me force-t-il, par sa conduite, à prévenir de ses escroqueries, ceux qui sont dans le même cas que moi.

Si on a gaulé les arbres, il faut absolument faire repasser les femmes avec autant de soin qu’avant la récolte, attendu que la gaule disperse un très-grand nombre d’olives ; elles seroient perdues sans cette précaution ; si, au contraire, les olives ont été cueillies à la main, il suffit que les femmes fassent le tour du pied de l’arbre & parcourent les environs de l’espace que les toiles occupoient sur le sol ; ce qui est une très-grande diminution dans le travail

À l’article huile d’olive, déjà cité, on a désigné l’époque à laquelle on doit cueillir les olives ; on y voit l’abus criant de les amonceler, & la perte réelle qui en résulte quant à la quantité & à la qualité de l’huile : j’ajoute seulement ici qu’on doit choisir, autant que la saison le permet, un beau jour pour la récolte : si le ciel est pluvieux, le travail va très mal ; s’il est froid, comment exiger des femmes, qui ont les doigts engourdis, une célérité impossible. Il est donc important de multiplier les bras, lorsque les jours sont beaux, afin de profiter d’une circonstance heureuse, qu’on trouve difficilement dans la saison. Cette observation est importante, lorsque l’on veut se procurer une huile de bonne qualité. La rapidité de la cueillette est moins urgente, s’il ne s’agit que de la quantité, ou si le manque de bras force à la différer. Les olives se conservent saines sur l’arbre jusqu’en avril ; mais celles qui tombent pendant ce laps de temps, se pourrissent bientôt, & servent à assouvir la faim des troupeaux, que les bergers mènent furtivement dans les olivettes. Les pies, les étourneaux font de grands dégâts dans ces olivettes. Les anciens, ou du moins un très-grand nombre, prétendaient que l’olive ainsi laissée sur l’arbre, donnoit plus d’huile que lorsqu’elle étoit cueillie en novembre ou en décembre, & ils avoient raison ; avec cette différence cependant, que l’huile des olives cueillies en février, mars & avril, avoit, en sortant de la presse, un goût âcre & fort, en raison du plus ou moins de temps que la cueillette en avoit été différée ; j’ai suivi de très-près ces comparaisons. Si actuellement on prend la peine de calculer la perte indispensable du nombre des olives qui tombent, qui sont dévorées par les oiseaux, & par les autres animaux, ou qui sont enfouies dans la terre par les pluies, on verra que la cueillette tardive n’offre aucun bénéfice, quant à la quantité d’huile, que cette huile est puante, âcre & détestable.

L’amateur de la qualité sait cueillir chaque espèce d’olive suivant le degré de maturité qu’elle exige, pour être à son point de perfection. Ce point passé, la qualité dégénère ; c’est un fait que chacun peut vérifier par des expériences en petit, & très-faciles à exécuter. C’est donc un abus que de commencer, comme certains propriétaires, à faire la cueillette générale de toutes les olives, & à mettre à part les dernières cueillies sur les arbres, pour l’huile de la provision de leur table. Si la cueillette ne dure que quelques jours, passe encore ; mais le grand propriétaire qui cueille pendant un mois entier, ne voit pas qu’après ce mois, l’olive est trop mûre, & que l’huile ne sent plus le goût de fruit, & n’a ni la finesse, ni le coulant qu’elle auroit eue, si l’on avoit choisi de préférence les premières olives, & mis à part les espèces les meilleures & produites par le sol le plus convenable à l’olivier.

Je ne reviendrai pas ici sur l’abus de l’amoncellement, sur la manière de préparer les pressoirs, & tout ce qui sert à la fabrication de l’huile, ni sur la meilleure méthode de la conserver ; ces objets sont suivis dans le plus grand détail à l’article huile déjà cité ; mais il est essentiel que je revienne sur ce mot, ainsi que je l’ai promis, à l’occasion des expériences de M. Sieuve, citées dans le même article, page 556, & qu’il est important de relire.


CHAPITRE XI.

Observations sur les parties du fruit qui fournissent de l’huile.


L’écorce du fruit, sa partie pulpeuse ou charnue, le bois du noyau & son amande contiennent-ils tous de l’huile, & cette huile est-elle la même ? Tel est le point de la question, à laquelle les expériences de M. Sieuve ont donné lieu. Plusieurs auteurs lui demandent dans quel pays il les a faites, & comment il les faites ? D’autres en nient le résultat : je répète ici que je ne connois M. Sieuve ni directement ni indirectement ; que je vais dire la vérité sur ce que j’ai vu. Lorsqu’un homme fait une expérience pour son instruction, lorsque de cette instruction il espère retirer un bénéfice, il est clair que la trompette à la main, il n’invitera pas le public à venir dans son laboratoire pour le voir opérer. Il publie le résultat de son travail ; c’est alors aux personnes intéressées à répéter ses expériences & à décider s’il a tort ou s’il a raison ; mais il est du moins certain qu’elles doivent, avant de prononcer, avoir répété ses expériences. Cependant il ne paroît pas dans les écrits de quelques auteurs, qu’ils aient pris cette peine.

Il est démontré par les expériences de M. Sieuve, que la chair des olives, piquée par les insectes, donne moins d’huile & une huile de mauvaise qualité. Si le noyau est attaqué par l’insecte, il devient renflé, plus gros qu’à l’ordinaire, & presque toujours l’amande qu’il content est viciée. Ce sont deux points de fait que j’ai vérifiés ; d’où il résulte que l’on doit, autant qu’il est possible, séparer les olives piquées des olives saines, surtout lorsque l’on se propose de taire de bonne huile.

L’écorce ou la peau de l’olive est parsemée de petits points qui sont autant de vésicules destinées à contenir de l’huile, & cette huile, quoique analogue à celle de la chair, contient plus de parties résineuses & d’huile essentielle que celle-ci, ce dont je me suis assuré.

La partie pulpeuse ou charnue est parsemée d’un nombre infini de petites vésicules remplies d’huile lorsque le fruit est mûr, & visibles lorsque le fruit est encore vert ; mais dans cet état il n’existe point d’huile formée dans ces vésicules, comme il n’existe point de parties sucrées dans le raisin avant sa maturité ; S’il en existe, j’avoue qu’aucune expérience n’a pu me prouver la présence ; d’autres seront peut-être plus heureux que moi ; je le souhaite.

La substance charnue renferme beaucoup d’eau de végétation plus ou moins amère, suivant l’espèce d’olive. L’eau que renferme l’olive est d’abord acide, âpre, austère & acerbe, avant d’être amère. Cette eau & la substance charnue sont parfaitement miscibles à l’eau ; la fécule seule se précipite.

M. Sieuve dit avoir retiré de l’huile fœtide du bois du noyau ; & M. Amoreux qui a répété ses expériences, dit dans son excellent Mémoire déjà cité, « que les noyaux ayant été pilés dans le mortier de fer avec un pilon de même métal, furent un peu humectés avec de l’eau bouillante ; mais on ne put jamais les réduire en pâte liante ; ce ne fut qu’une masse pesante qui, quoique délayée dans l’eau chaude & mise à bouillir dans un poêlon, ne laissa pas échapper un seul globule d’huile. La dégustation ne laissa appercevoir dans cette décoction qu’un goût désagréable & terreux.

» D’après ce fait bien avéré, nous, pouvons conclure avec assurance, que le bois des noyaux est un corps étranger qui doit s’opposer au parfait triturage de la chair des olives ; que c’est une substance absorbante qui ne peut que dénaturer l’huile ; que plus elle est triturée, plus elle doit retenir une partie de l’huile que l’on veut exprimer. Il est vrai que plus les noyaux seront brisés, plus l’amande qu’ils contiennent sera réduite en pâte, & pourra fournir de la seconde huile. »

L’expérience de M. Amoreux est donc complètement contradictoire avec le principe mis en avant par M. Sieuve : cette contradiction est-elle réelle dans le fonds ? Ceci mérite examen. Après avoir lavé, essuyé, relavé & essuyé plusieurs fois de suite les noyaux entiers que je voulois examiner ; après les avoir laissés sécher, & être bien assuré qu’il ne restoit aucune portion huileuse du fruit, les noyaux furent cassés, & toute l’amande & ses plus fines parties furent rigoureusement séparées. Après avoir rassemblé une certaine quantité de bois de noyau, & l’avoir réduite en poudre fine, elle fut étendue sur un tamis de soie qui fut exposé à la vapeur de l’eau chaude. Après que cette vapeur eut pénétré la poudre, & qu’elle eut été fortement imbibée, le tout fut placé dans un sachet à tissu très-serré & exposé à une bonne presse. La liqueur reçue dans un vase laissa appercevoir, après le repos, quelques gouttelettes d’huile, mais en très-petite quantité.

L’eau obtenue par l’expression, avoit un goût complètement différent de celui qui est propre à l’eau des olives, séparée de l’huile, soit à froid soit à chaud. L’huile n’a jamais été claire, limpide, mais semblable à une gelée laiteuse ; sa saveur étoit fade, rance, & son odeur nauséabonde. Cette substance recueillie avec le plus grand soin, & mise dans une bouteille où il y avoit de l’esprit de vin & tenue bien bouchée, a augmenté en odeur & en saveur appelées de carde. Elle a toujours conservé la même consistance & la même couleur ; & après quelques mois l’esprit de vin a perdu sa propre odeur, & s’est adapté celle de l’huile, c’est-à-dire l’odeur de carde, odeur rebutante. J’ai mis sur la langue un atome de cette huile, & après m’être rincé la bouche, avoir craché sans cesse, il m’est resté encore une heure après la sensation la plus désagréable

Mon expérience diffère de celle de M. Sieuve, en ce que sept livres, deux onces de bois de noyau lui ont fourni trois livres quatorze onces d’huile, c’est-à-dire plus de la moitié du poids ; tandis que d’une demi livre environ de noyaux, j’ai seulement retiré à peu près le volume de deux à trois grosses lentilles en huile : sans doute que M. Sieuve n’avoit pas été exact à séparer la partie charnue & huileuse qui adhéroit aux noyaux destinés à ses expériences. Je suis certain qu’une seule goutte de cette huile suffiroit pour infecter en moins de six mois une masse d’huile capable de remplir vingt bouteilles ; d’où l’on doit conclure que le bois du noyau est un corps étranger à la fabrication de la bonne huile ; & d’après l’observation de M. Amoreux, qu’il absorbe en pure perte beaucoup d’huile. Il nous reste à examiner l’huile des amandes & des différens marcs. Elles furent lavées avec soin & à plusieurs eaux, afin de les priver de tout mélange.

Cette huila est claire en sortant de la presse ; sa couleur est moins foncée que celle de l’huile du fruit, & elle ne fait point de dépôt. Sa saveur est aussi douce que celle de l’huilé d’amande douce : tenue dans une fiole bien bouchée, & placée dans mon cabinet où la chaleur est pendant l’hiver à peu près à dix degrés, elle y est restée quinze mois depuis sa fabrication ; & aujourd’hui elle a été débouchée, je lui ai trouvé une odeur, qui n’est point celle de l’huile du fruit, mais aromatique, sentant un peu l’onguent. Sa saveur est différente de celle de l’huile faite à la même époque, avec la chair, le noyau & l’amande de l’olive, tenue dans les mêmes circonstances que celles dont je parle : celle de l’amande est résineuse, un peu âcre quoique douce, & sans dépôt. Sa couleur est belle, claire & limpide, moins jaune que celle du fruit ; elle n’est pas agréable, mais elle ne sent ni la carde ni le rance, en quoi elle diffère essentiellement de l’huile d’amande douce qui rancit quatre ou six semaines après qu’elle a été faite, & même plutôt, suivant la chaleur de la saison. Cette huile mêlée avec de l’eau très-claire & froide dans une fiole, & agitée pendant un moment, s’en est séparée ensuite ; elle a pris le dessus & a donné à l’eau une couleur laiteuse. Après avoir décanté l’huile, j’ai reconnu dans l’eau la même saveur & la même odeur qu’à l’huile.

À l’époque dont on a parlé, je partageai en deux parties égales l’huile obtenue des amandes d’olives ; la seconde fut mêlée avec l’esprit de vin qui a constamment surnagé & entre la couche d’huile & d’esprit de vin, il se trouva une couche de demi-ligne d’épaisseur au plus, qui paroissoit être un sédiment. Lorsque j’ouvris la fiole, l’esprit de vin avoit conservé son odeur propre, mais mélangée avec une odeur aromatique, résineuse, & il avoit perdu de sa transparence ; mélangé & agité dans l’eau, il la rendit de couleur opale & très-laiteuse. La fiole contenant de l’huile d’amande & de l’esprit de vin, & étant remplie d’eau, l’huile s’unit avec l’eau qui étoit devenue laiteuse, & l’huile cette fois surnagea le mélange. Cette huile que je goûtai après l’avoir laissé reposer près d’une heure, se trouva douce au goût, ne sentant pas la carde, étant sans rancidité, aromatique, & conservant cette espèce de sentiment de fraîcheur que l’esprit de vin imprime aux huiles, ainsi que je l’ai dit en traitant cet article.

Dans cette seconde expérience, l’esprit a attaqué la partie résineuse, l’huile essentielle ; il s’en est chargé & il a laissé l’huile pure, à l’odeur près, mais douce & agréable sur la langue ; cependant quelques minutes après il est survenu un arrière-goût un peu âcre ; peut-être cet arrière goût est-il encore l’effet de celui des huiles que j’ai goûtées pendant toute la matinée.

Le marc des amandes séparées des noyaux, a été mis à la même époque, en digestion avec l’esprit de vin ; cet esprit coloré en jaune rougeâtre, mêlé avec au moins dix fois son volume d’eau claire, l’a rendue très-laiteuse & trouble. Ce mélange n’a aucune odeur d’huile, mais il est aromatique, résineux & fort ; sa saveur est amère & résineuse.

Le marc de la poudre des noyaux mêlé avec l’esprit de vin, a simplement rendu l’eau dans laquelle j’avois versé une quantité d’esprit, louche & un peu laiteuse. Son odeur fétide se distinguoit très-aisément de celle de l’esprit-de-vin ; sa saveur étoit fade & sans amertume.

Le même esprit de vin ajouté au marc de la chair, des noyaux & des amandes des olives, a contracté une couleur approchante de celle des vins rouges d’Espagne, & transparente ; l’addition d’eau l’a troublée. Sa saveur s’est trouvée extrêmement amère, & elle a laissé l’empreinte du goût d’une huile désagréable & résineuse.

M. Sieuve dit que trois livres sept onces d’amandes ont rendu une livre quatorze onces d’huile : nos expériences diffèrent en ce que l’auteur n’a procédé à l’examen que trois ans après avoir extrait l’huile, & je n’ai attendu que quinze à seize mois ; ensuite il a tenu les bouteilles exposées à la forte chaleur du soleil de Provence, tandis que le degré de chaleur de mon cabinet est de dix à douze degrés pendant l’hiver, & de vingt à vingt-quatre pendant l’été. Aussi mon huile d’amandes n’étoit pas âcre & corrosive, au point d’occasionner des ulcères dans la bouche, comme celle dont parle M. Sieuve, & la différence est très-grande. Malgré cela on peut conclure, car personne n’expose de gaieté de cœur ses huiles à la forte chaleur du midi & aux vicissitudes de l’atmosphère, que l’huile de l’amande ne vicie pas celle du fruit autant qu’on auroit pu l’imaginer, d’après les expériences de M. Sieuve ; que celle du noyau imprime un caractère très-fâcheux à l’huile douce ; heureusement elle est en très-petite quantité. Enfin la saveur du noyau nuit à la qualité de l’huile, lorsqu’on le broye avec les olives. Ainsi la grande perfection exige la séparation complète du noyau.

Il résulte de mes expériences que les amandes d’olives contiennent une huile très-distincte de celle de ce fruit, dans laquelle est interposée une quantité assez forte d’huile essentielle, & que celle du bois du noyau en contient encore plus. Or, J’ai prouvé à l’article huile, que la rancidité étoit le résultat de la réaction de l’huile essentielle sur l’huile : donc, plus on éloignera le principe de la rancidité par la soustraction des noyaux, & plus long-temps l’huile du fruit restera douce, sans mauvais goût ni mauvaise odeur. J’ai dit de bonne foi ce que j’ai vu, & comme je l’ai vu ; je puis m’être trompé, cependant je reste dans la ferme persuasion que les assertions que j’ai établies sur les principes constituans des huiles, sur leur manière d’agir les uns sur les autres, sont vraies & conformes aux loix de la saine physique. Je remercierai de bon cœur, & avec reconnoissance, celui qui voudra bien prendre la peine de me prouver que je me suis trompé.


CHAPITRE XII.

Des insectes qui attaquent les oliviers, & des moyens de les détruire.


M. Bernard, directeur de l’observatoire royal de la marine à Marseille, dans son Mémoire couronné en 1782 par l’Académie de cette ville, sur la culture de l’olivier, entre dans un détail très-circonstancié sur les insectes qui vivent de la substance des différentes parties de cet arbre ; ce Mémoire décèle l’observateur exact, attentif & accoutumé à bien voir. Comme ce que l’auteur a dit, vaut beaucoup mieux que ce que je pourrois dire, j’annonce hautement que je vais copier cette partie de son mémoire sans y changer un seul mot. Je suis charmé de trouver ici une occasion de lui témoigner ma reconnoissance du plaisir que m’a fait la lecture de son Mémoire.

« On trouve un assez grand nombre d’insectes sur l’olivier. Quelques-uns se nourrissent des fruits sans nuire aux arbres, d’autres nuisent également aux arbres & aux olives ; il s’en trouve qui, sans toucher aux fruits, affoiblissent singulièrement les oliviers ; on en voit enfin que le préjugé seul peut faire regarder comme dangereux. Je compte parmi ceux-ci la fourmi ; elle ne se nourrit pas des productions de l’olivier, elle recueille seulement les substances mielleuses qui distillent des kermès & des psylles ; elle dévore même souvent ces insectes. On observe aussi différentes sortes d’araignées ; mais elles sont encore plus utiles à l’homme que la fourmi. Elles diminuent considérablement le nombre des mouches, des psylles & des teignes qui sont si funestes à nos récoltes. Il y a, sens doute, un grand nombre d’insectes auquel l’olivier offre souvent un appui ou des abris : mais dès qu’on n’a rien à craindre de leur part, pourquoi chercheroit-on à les priver de ces retraites ?

De la chenille qui ronge la souche de l’olivier.

» Je n’ai jamais vu l’insecte auquel M. de Labrousse donne ce nom, & qu’il dit avoir observé.[4] Beaucoup de cultivateurs que j’ai interrogés, & qui ont été dans le cas d’arracher des racines ou souquets d’oliviers, n’ont pas été plus heureux que moi.[5] Dans le reste de cet article, M. Bernard rapporte la description donnée par M. de Labrousse qui n’a pas connu la manière de vivre du hanneton, & il le réfute.

» M. de La brousse recommande de répandre de la suie aux pieds des oliviers pour faire périr la chenille qui les ronge. L’histoire de cet insecte est évidemment supposée, mais comme la suie est un engrais excellent, on l’emploiera avec avantage pour ranimer les arbres foibles, & pour entretenir la vigueur de ceux qui en ont déjà beaucoup. Si pourtant, il y avoit quelquefois des vers dans les racines d’oliviers, on pourroit, pour les détruire, employer la lie d’huile, elle serviroit d’engrais à l’arbre, & on sait qu’elle est mortelle pour les insectes. (Voyez Taupe-grillon)

Des Scarabés[6].

» J’ai observé, sur l’olivier, des scarabés qui avoient environ deux lignes de longueur. Ils étoient noirs & avoient leurs antennes en masse. Ils n’attaquent ni les feuilles ni les fruits ; ils se fixent sur les branches & se nourrissent de l’aubier : les branches où ils vivent périssent constamment. Il y a apparence qu’ils ne les attaquent que lorsqu’elles sont déjà foibles. Il arrive quelquefois qu’ils s’attachent aux sujets nouvellement plantés. Au reste, il n’a pas paru que les dommages qu’ils occasionnent, soient dans aucun cas considérable, je n’ai pas trouvé leur larve.

Des Kermès.

» J’ai observé sur toute la côte, depuis Marseille jusqu’à Antibes, des kermès sur les oliviers. Dans quelques contrées, cet insecte étoit tellement multiplié que beaucoup de particuliers avoient été dans le cas de couper les plus grosses branches de leurs oliviers, et avoient entièrement renouvelé leurs arbres.

» Cette espèce de kermès est différente de celles qui vivent sur le figuier, le mûrier, l’oranger, etc. J’ai trouvé sous quelques-uns de ces insectes, jusqu’à deux mille œufs : voici en peu de mots leur histoire. En naissant, ils se répandent sur la partie inférieure des feuilles et sur les pousses les plus tendres. Ils sont d’abord d’un rouge fort lavé, ils deviennent ensuite plus grisâtres, et ils conservent pendant assez de temps cette couleur. Lorsqu’ils ont quatre ou cinq mois, ils abandonnent les feuilles, ils s’attachent aux branches, et ils ne changent plus guères alors de position. Ils sont plus longs que larges, et une de leurs extrémités est aiguë, tandis que l’autre est arrondie. À mesure qu’ils grossissent, leur eau se colore davantage en rouge, et lorsqu’ils ont acquis toute leur grosseur, ils sont d’un rouge-brun foncé ; leur robe est comme relevée de nervures ; ils ne sont jamais plus renflés, que lorsqu’ils sont parvenus à leur dernier état, et qu’ils produisent leurs œufs.[7]

» Les kermès qui naissent sur les arbres qui se dépouillent de leurs feuilles, ont une vie relative à l’état de ces arbres ; mais l’olivier étant, pour ainsi dire, toujours en sève, le kermès qui lui est particulier, s’y peut renouveler dans toutes les saisons. On en trouve avec des œufs pendant tout l’été ; et la grosseur des petits qui sont sous les feuilles est singulièrement variée.

» J’ai vu quelquefois des kermès de l’oranger sur l’olivier ; mais cela n’arrivoit qu’au voisinage des jardins où l’on cultivoit le premier de ces arbres. Le kermès de l’olivier vit très-bien sur le myrte. J’ai vu des arbustes qui en étoient tellement couverts, que je ne saurois trop décider quel est celui de ces deux arbres qui a été principalement destiné à cet insecte par la nature.

» Le peuple donne le nom de poux au kermès, et il croit que les fourmis les produisent (Voyez ce mot et ce qu’il faut penser de cette supposition) Cet insecte ne se nourrit pas d’olives, et je n’en ai jamais vu sur ces fruits. La manière dont il nuit à l’olivier ne consiste pas dans la sève qu’il aspire pour sa nourriture, mais dans l’extravasion extrême de cette même sève.

» On observe, le matin pendant l’été, que les oliviers infectés de kermès sont couverts de gouttes d’eau, et que la surface du terrain qui répond à leur feuillage est humide. On conçoit aisément qu’une transpiration aussi abondante, qui doit exister aussi bien le jour que la nuit, quoique la chaleur de l’atmosphère l’empêche dans le premier cas d’être sensible, doit affoiblir considérablement les arbres ; aussi sont-ils extrêmement languissans. Ils donnent des récoltes peu multipliées, peu abondantes, & leurs fruits sont plus petits que ceux des arbres de même espèce qui n’ont pas de kermès.

» On sait que les figuiers infectés de kermès périssent en peu d’années, & que dans cet état leurs fruits ne parviennent pas toujours à leur maturité & sont extrêmement fades. Il m’a paru que le kermès ne nuisoit pas autant à la durée de l’olivier qu’à celle du figuier ; mais l’effet est presque le même pour le propriétaire. Dès qu’il n’a point de fruits, c’est comme s’il n’avoit point d’arbres.

» Les kermès sont des ennemis d’autant plus dangereux, qu’ils multiplient prodigieusement ; qu’ils sont fort petits pendant une grande partie de l’année, & qu’ils vivent pendant long-temps sous les feuilles. Ainsi on ne peut pas même proposer de nettoyer ces arbres comme cela se pratique quelquefois pour le figuier.[8]

» Les oliviers infectés par le kermès, vus d’un peu loin, paroissent être singulièrement vigoureux. La séve extravasée délayant les excrémens de ces insectes, prend une couleur noire, & donne cette teinte aux feuilles & aux branches. On sait que des oliviers affoiblis ne présentent que des rameaux jaunes. Ici l’affoiblissement le plus grand est comme masqué : il faut voir de près sur ces arbres le peu de longueur des pousses & leur maigreur, pour s’assurer du déplorable état auquel ils sont réduits.

» Il pourroit être utile d’observer si le kermès de l’olivier ne donneroit pas un rouge aussi beau que les insectes du même genre employés par les teinturiers. On pourroit dans ce cas retirer quelqu’avantage d’un mal grave qu’on ne peut pas empêcher ; le kermès ne se trouve guères sur l’olivier que dans les contrées les plus chaudes de la province. On a observé que les froids un peu rigoureux contribuoient beaucoup à la destruction de cet insecte.

De la Psylle de l’olivier.

» Cet insecte a une ligne de longueur ; ses ailes sont en toit, ovoïdes, transparentes, au nombre de quatre, pointillées en jaune dans l’intérieur & de noir sur ses bords : ses antennes sont filiformes ; son ventre a une demi-ligne ; il est verdâtre & terminé en pointe. La psylle a six pattes jaunâtres, elle a trois yeux lisses & en écusson sur le dos ; elle saute parfaitement bien. Cet insecte vu par dessus ressemble parfaitement à un bateau renversé.

Sa larve est d’un vert fort lavé ; elle a des antennes en masse ; elle marche sur six pattes ; elle a d’abord moins d’une demi-ligne de longueur. Parvenue à l’état de nymphe, elle a deux boutons aplatis attachés à son corcelet ; ce sont les étuis des ailes qu’elle doit avoir dans sa dernière métamorphose. L’extrémité du ventre, la tête & les étuis sont d’un rouge brun. Cet insecte vit dans les aisselles des feuilles & autour des pédicules des fleurs, caché sous une matière visqueuse qui ressemble à du duvet fort blanc. Lorsqu’on veut l’observer, il faut enlever avec un pinceau tout le duvet qui se trouve à l’aisselle d’une feuille. On le distingue bientôt à son mouvement, lorsqu’on l’a bien dépouillé de la matière blanche qui l’environnoit ; on le voit marcher assez rapidement : il a environ une ligne de longueur, lorsqu’il est près de sa dernière métamorphose. Il se place alors au-dessous des feuilles de l’olivier, & y laisse sa dépouille.

» Il y a presque toujours plusieurs nymphes de psylle aux aisselles des feuilles & autour des pédicules des fleurs. La matière visqueuse qu’elles produisent est souvent assez abondante pour envelopper toutes les fleurs. Je me suis assuré qu’elle étoit produite par la partie postérieure de l’insecte. J’ai observé qu’il se plaçoit toujours de façon que sa tête répondît à l’origine de la feuille ou du pédicule.

» On voit des bulles rondes & transparentes suspendues au milieu du duvet blanc : elles sont produites par l’insecte ; elles sont fort douces & fort mielleuses.

» J’ai trouvé des nymphes de psylle dans toutes les saisons ; elles sont pourtant en petit nombre en automne & en hiver. On ne les voit alors que sur les pousses les plus tendres & sur les oliviers qui jouissent d’une bonne exposition ; mais le temps où elles sont multipliées au-delà de toute expression, c’est lorsque les oliviers sont en fleurs. On remarque même que ces arbres n’en sont guère attaqués dans l’année où ils ne produisent rien.

» La matière visqueuse produite par les nymphes des psylles, & que l’on pourroit regarder comme la manne de l’olivier, est connue des cultivateurs sous le nom de coton. Ils la regardent comme une maladie à laquelle l’arbre est sujet, & dont les brouillards occasionnent le développement. Ils sont éloignés de soupçonner que ce soit l’ouvrage d’un insecte. Il est fort nuisible, car indépendamment de la transpiration abondante qu’il occasionne avec sa trompe, il doit altérer jusqu’à un certain point l’organisation des grappes. D’ailleurs, comme les fleurs sont environnées de matières visqueuses, elles se développent difficilement. L’humidité & la rosée s’arrêtent plus aisément à l’entour, & elles coulent d’autant plus facilement que le nombre des insectes est plus considérable.

» Le temps pendant lequel cet insecte vit avant de prendre sa dernière forme, est d’environ un mois. J’en ai élevé très-souvent sous des cloches de verre, en y tenant des rameaux d’oliviers plongés dans l’eau.

» Les cultivateurs aiment à voir régner le vent du nord-ouest, pourvu qu’il ne soit pas trop violent, lorsque les oliviers sont en pleine fleur ; il emporte le coton produit par les psylles, & contribue ainsi à la conservation des fruits.

De la chenille mineuse.

» Cette chenille naît d’un œuf déposé sur le revers des feuilles de l’olivier. Elle a douze anneaux ; sa tête est écailleuse & armée de deux crochets ; le masque est d’abord noir, mais il jaunit ensuite. On voit sur le premier anneau deux taches noires & disposées symétriquement. Celles qui se trouvent sur les autres anneaux sont en même nombre, disposées de la même manière, mais beaucoup plus petites. Aux trois premiers anneaux, il y a de chaque côté trois pattes écailleuses & noires. Les deux anneaux suivans sont sans pattes ; les quatre qui leur succèdent ont chacun une patte membraneuse de chaque côté ; il y a enfin trois anneaux sans pattes : le dernier a ordinairement deux taches noires assez grandes.

» Le corps de la chenille présente des poils sur toute sa longueur. Ils sont pourtant assez rares, & il faut la loupe pour les bien distinguer. Cette chenille est d’abord d’un verd foncé, mais elle prend insensiblement une couleur plus tendre & fort approchante de celle du dessous des feuilles d’olivier ; elle est quelquefois assez jaune.

» Cette chenille en naissant pendant l’hiver, cherche sa nourriture dans l’intérieur même de la feuille de l’olivier : elle l’attaque par dessous qui est le côté le plus tendre ; elle y fait un trou rond, & elle dévore ensuite le parenchyme intérieur ; elle est en peu de temps à l’abri des injures de l’air, des attaques des oiseaux & des insectes, qui s’en nourrissent. On ne soupçonne pas son existence : la feuille paroît comme tachée dans l’espace que la chenille occupe. On attribue cet effet aux brouillards ; mais le naturaliste attentif découvre sa retraite. Il observe aux environs du trou qui y conduit, des excrémens suspendus à des fils de soie ; il augmente avec précaution l’ouverture, & il met l’insecte à découvert.

» La chenille reste ainsi cachée tant qu’elle est foible ; mais à mesure qu’elle grossit & qu’elle peut s’accommoder d’une nourriture plus solide, elle dévore à la fois le parenchyme intérieur & la pellicule inférieure de la feuille ; alors elle est entièrement apparente : c’est ainsi qu’elle vit pendant l’hiver. Elle s’établit de préférence sur les branches les mieux exposées ; elle subit sa métamorphose dans cette saison y & elle se reproduit facilement.

» Lorsqu’elle naît de manière qu’elle ait encore toute sa vigueur au printemps, elle est alors extrêmement nuisible. Elle n’attaque plus les feuilles anciennes ; elle fait communément une ouverture aux bourgeons naissans qui terminent les branches, & à ceux qui, destinés à donner des fleurs, se trouvent à l’aisselle des feuilles ; elle se nourrit alors de la matière moelleuse que ces pousses tendres renferment. L’écorce lui sert d’étui & elle pénètre jusqu’à leur insertion sur le vieux bois.

» D’autres fois elle se contente de dévorer en partie, & extérieurement, ces nouvelles productions, & à mesure qu’elles se développent, elles montrent les mutilations qu’elles ont éprouvées. J’ai vu pendant plusieurs années aux environs de Toulon, que les feuilles d’olivier étoient presque toutes découpées. Personne ne soupçonnoit que ce fût là l’ouvrage d’un insecte.

» Cette chenille parvenue à sa maturité se fixe ordinairement sous une feuille. Lorsqu’elle s’y est nourrie, elle ne s’écarte pas ordinairement de l’endroit qu’elle a dévoré. Dans cette partie la feuille se roule, & lui forme un abri sûr. Très-souvent aussi elle rapproche & fixe, au moyen des fils de soie qu’elle file, plusieurs feuilles d’oliviers, & y établit sa retraite. Elle fait toujours à la campagne un cocon dans lequel elle est entièrement enveloppée, indépendamment des fils de soie qui la soutiennent. Dans l’état de chrysalide, elle a une forme conique. La tête répond à la base ; sa couleur est alors d’un brun foncé.

» La longueur de cette chenille excède rarement cinq lignes ; & il s’en trouve un très-grand nombre qui, lorsqu’elles sont parvenues à leur dernier degré d’accroissement, ont moins de quatre lignes.

» La longueur de l’insecte parfait, qui est une espèce de teigne, est d’environ deux lignes & demie. Ses ailes sont au nombre de quatre. Il ressemble beaucoup par la couleur & par la forme aux teignes domestiques. Ses ailes sont grisâtres avec de petites taches d’un rouge brun. Ses antennes sont filiformes, & elles ont un peu plus d’une ligne de longueur : on compte sur son ventre six anneaux. Sa tête est armée d’une trompe recourbée ; il a six articles aux tarses : ses pieds sont couverts d’écailles, & ils sont ornés de petits organes qui servent à cet insecte pour sauter. La première paire des pattes n’a point de ces petits organes, il s’en trouve deux sur chacune des pattes de la seconde paire, & ils sont immédiatement au-dessus de la dernière articulation. Il y en a enfin quatre sur chacune des pattes de la troisième paire, & ils sont disposés au-dessus & au-dessous de la dernière articulation.

» La destruction des pousses nouvelles, occasionnée par la chenille au commencement du printemps, n’est pas le seul dommage qu’elle porte à l’olivier. On sait que la piqûre de plusieurs insectes produit sur différens arbres une extravasions de séve qui donne naissance à des corps que l’arbre ne porteroit pas naturellement. Les galles sont les productions les plus curieuses de ce genre.

» J’ai déjà dit que la chenille s’insinuait dans le centre des bourgeons naissans, & les dévoroit jusqu’à l’endroit où ils étoient articulés sur le vieux bois. Cette piqûre se cicatrise rapidement sur plusieurs espèces d’oliviers, mais il en est d’autres sur lesquels il se forme à la racine du bourgeon dévoré, une excroissance d’abord tendre & recouverte comme toutes les autres parties ligneuses de l’écorce naturelle de l’arbre. Dans les années où les chenilles sont abondantes, il y a une[9] excroissance à l’aisselle de la plupart des feuilles. Ces monstruosités grossissent inégalement selon les espèces d’oliviers, & elles se dessèchent par degrés ; mais lorsqu’elles embrassent tout le rameau, la séve est ordinairement interceptée, & tout ce qui est au dessus périt.

» Il arrive aussi souvent que ces galles ne s’étendent pas assez, même dans le cours de plusieurs années, pour empêcher la séve de circuler. Les rameaux augmentent alors à peu près comme s’ils étoient sains. Il reste pourtant non-seulement une cicatrice assez considérable à l’endroit où l’excroissance s’étoit formée ; mais on observe que les parties voisines se vicient successivement, & que le mal s’étend assez loin. Il se manifeste par des gerçures qui ont des directions irrégulières, & qui paroissent indiquer des galeries tracées par un insecte.

» Ces chenilles, toutes foibles qu’elles sont, sont pourtant très funestes ; mais c’est parce qu’elles sont très-multipliées, parce qu’elles attaquent les pousses naissantes, parce qu’enfin le mal qu’elles produisent, se perpétue. Leur piqûre à l’aisselle des feuilles est le foyer d’un chancre qui s’étend successivement, & qui détruit enfin l’organisation des rameaux.

» Je n’ai encore fait connoître que la moitié du mal produit par la chenille dont je fais l’histoire : elle se nourrit de la chair de l’olive, & elle pénètre dans l’intérieur du noyau pour manger l’amande.

» C’est vers le milieu du mois d’août qu’elle commence à faire ses dégâts, & elle les continue jusqu’à ce que l’on recueille l’olive. On sait que le noyau de ce fruit est fort dur, mais il se trouve, à la partie qui répond immédiatement au pédicule, un petit espace par lequel l’amande tire la nourriture, qui est toujours tendre. Son diamètre n’est pas grand, une épingle ordinaire y passe avec quelque difficulté, mais cette largeur est suffisante pour permettre à la chenille de pénétrer dans le noyau. Son instinct la conduit à cet endroit foible. Souvent elle coupe entièrement les liens qui attachent le pédicule à l’olive, elle suit alors sa proie : souvent aussi elle ne détruit qu’une partie des ligamens, l’olive reste alors suspendue ; mais à proportion que le dommage qu’elle a ressenti est considérable, elle donne plutôt des signes de maturité. Elle tombe lorsque le vent l’agite, ou lorsque le temps de la métamorphose arrivant, l’insecte sort de sa retraite. Toutes les olives dont le noyau est attaqué en août & en septembre, sont entièrement perdues pour le propriétaire, parce qu’elles ne renferment encore que peu d’huile. Celles qui tombent ensuite par la même cause, peuvent être cueillies avec quelque avantage.

» J’ai trouvé aux premiers jours du mois d’août des olives à terre, percées à la partie qui répond au pédicule ; j’en cassai les noyaux, & j’y trouvai des chenilles mineuses. Ces insectes n’auroient pas resté longtemps dans cet endroit, parce que l’amande n’étoit pas encore formée. Si on prend au mois de septembre ou à la fin d’août quelques-uns de ces fruits piqués vis-à-vis le pédicule, on verra l’amande dévorée en tout ou en partie, & la place qu’elle occupoit remplie d’excrémens noirs. Il est certain que les années où un très-grand nombre d’olives est piqué, les matières excrémentitielles se combinent avec l’huile, lui donnent un mauvais goût & la rendent quelquefois noire ; d’où il résulte une nécessité absolue de mettre de côté toutes les olives tombées par terre avant le temps de la récolte.

» J’ai observé généralement que les espèces dont les fruits ont beaucoup de chair, étoient attaqués de préférence par les chenilles, & que les oliviers sauvages n’éprouvoient presque pas de dommage. Tout le monde s’accorde à regarder la chute des olives dans les mois d’août & de septembre, comme un effet de la secheresse : on reviendra de cette erreur en observant que ces fruits ont tous le noyau percé & l’amande dévorée. Voici encore quelques remarques faites sur la chenille mineuse. Lorsqu’elle se nourrit de l’amande, elle est fort blanche ; mais lorsqu’après l’avoir tirée de sa retraite, je la forçois à se nourrir des feuilles d’olivier, elle devenoit bientôt verdâtre ; la nature des alimens qu’elle prenoit, occasionnoit sans doute ce changement de couleur.

» Lorsque je mettois des chenilles sous des cloches de verre, en ne leur laissant que des olives, elles les attaquoient & se nourrissoient de la chair ; mais elles préféroient d’entrer dans le noyau pour se nourrir de L’amande.

» Après que la chenille a fait son cocon, il ne lui faut ordinairement que douze à quinze jours pour prendre sa dernière forme. J’ai vu d’autres fois qu’elle ne se changeoit en papillon qu’après plus de vingt jours.

» Je présume que la chenille mineuse ne vit guères sous sa première forme que pendant une quarantaine de jours. De toutes celles que j’ai essayé de rassembler sous des cloches de verre, & qui vivoient sur des rameaux dont les pieds plongeoient dans l’eau, il ne s’en est point trouvé, même parmi les plus foibles, qui n’ait filé son cocon, avant vingt-cinq jours.

De la mouche qui pique les olives.

» La mouche femelle se sert d’une pointe fine qui se trouve à l’extrémité de son ventre pour piquer l’olive. Elle fait couler alors un œuf dans l’ouverture un peu profonde qu’elle a formée. L’orifice de la plaie se ferme bientôt, mais la cicatrice reste, & on la reconnoit aisément. Il sort de cet œuf une larve blanche, molle, qui pénètre dans la chair jusqu’au voisinage du noyau ; elle n’a point de pattes. Aussi, lorsqu’on la tire de sa retraite & qu’on veut la faire marcher, il faut avoir l’attention de la mettre sur un plan qui ne soit pas incliné, sur-tout si la surface est lisse. On compte onze anneaux sur cet insecte : sa tête est armée de deux crochets noirâtres. On n’y distingue point d’yeux. Son corps est plus petit vers la tête, & sa forme est conique. À mesure qu’il grossit, la galerie qu’il trace augmente ; mais comme il se tient fort près du noyau, les dommages qu’il occasionne ne deviennent bien sensibles au dehors, (à moins qu’il ne soit établi sur des olives peu charnues) que lorsque le temps de sa métamorphose approche… Il arrive toujours alors qu’il ronge l’olive jusqu’à la peau mince dont le fruit est revêtu ; mais l’insecte, après s’être ainsi assuré sa retraite, se retire assez profondément dans sa galerie & s’y change en nymphe. Lorsqu’il étoit parvenu à son plus haut point d’accroissement, il avoit plus de trois lignes de longueur ; mais en se contractant il se réduit à deux lignes ou environ. Sa peau se durcit & forme une coque ovoïde, dure, qui est d’abord blanche ; mais elle brunit ordinairement ensuite, sur-tout à sa séparation des anneaux. Lorsque l’insecte est parfait, ce qui arrive au bout d’une douzaine[10] de jours, sa coque s’ouvre à une des extrémités, sans que la petite calotte qui lui permet de s’échapper, se détache entièrement de la coque.

» Tant que l’olive reste sur l’arbre le ver qui s’en nourrit ne sort point avant sa dernière métamorphose. Je n’ai jamais cueilli un de ces fruits rares sans y trouver l’insecte vivant ou sa dépouille ; mais lorsque l’on cueille les olives piquées, et lorsqu’on les entasse dans des greniers, la fermentation qui s’y établit, force les insectes à s’éloigner des olives, et on en voit quelquefois une quantité étonnante sur le plancher. J’ai pris quelquefois des vers, lorsqu’ils étoient à peine parvenus aux deux tiers de leur grosseur. Après les avoir mis dans des boîtes, ils se resserroient bientôt, et après le temps ordinaire, une mouche sortoit de chaque coque.

» La mouche est de couleur brune, le corcelet et le ventre sont couverts de poils ; la tête a deux antennes formées de deux parties distinctes qui sont elles-mêmes composées de grains très-courts, mais qu’on apperçoit avec le microscope. On observe un poil sur chaque antenne de même longueur qu’elle, et il a son origine au milieu de cet organe. On distingue, outre les grands yeux à réseaux, trois petits yeux lisses ; le corcelet est terminé par une protubérance jaune. On remarque deux points de même couleur près de la tête sur chacun des côtés. Le dessus du corcelet présente sur sa longueur trois petites bandes d’un brun foncé : à l’extrémité du corcelet sont les balanciers. On ignore encore l’usage de cet organe. Le corps ne tient au corcelet que par un fil assez délié mais fort court. Le ventre chez les femelles a à son extrémité et au dessous, un étui qui renferme le dard dont l’insecte se sert pour piquer les olives ; ce dard n’est pas apparent ; sa forme et conique, et il est terminé par une pointe très-fine. On le voit aisément au microscope en pressant légèrement l’extrémité du ventre… Les pattes sont d’un jaune sale : on y compte six articles.

» Le mâle est plus petit que la femelle, et son ventre est arrondi ; il a d’ailleurs le même port, la même couleur et la même forme… Cette mouche n’a que deux ailes, et elle les tient dans une agitation continuelle. Lors même qu’elle marche, elles n’appuyent pas sur son corps. On la rencontre aisément sur les oliviers vers la fin de septembre ; elle vole d’une olive à l’autre, et fait ordinairement une piqûre unique à chacun des fruits sur lesquels elle passe. Cependant, lorsque la récolte est peu abondante, on trouve quelquefois jusqu’à quatre vers dans la même olive. Il faut environ seize jours pour le changer en nymphe ; ainsi avant de devenir un insecte parfait, il reste dans l’olive pendant vingt-huit ou trente jours.

» J’ai trouvé quelques dépouilles de mouches dans les olives avant la fin du mois d’août. Ces insectes se reproduisent successivement tant qu’il reste des olives sur les arbres. Il m’est arrivé de les perpétuer pendant tout l’hiver sous des cloches en leur offrant des olives nouvelles.

» Chaque ver ronge, avant de se métamorphoser, environ la cinquième partie de la chair de l’olive. Lorsqu’il s’en trouve plusieurs sur le même fruit, il n’y reste presque rien au moment de le cueillir.

» Voilà est peu de mots l’histoire d’un insecte qui est au moins aussi funeste que ceux dont j’ai déjà parlé. Il n’attaque l’olive que peu de temps avant qu’elle soit parvenue à sa maturité, & il vient ainsi détruire l’espoir du cultivateur quand il est sur le point de jouir du fruit de ses peines. La connoissance de sa manière de vivre, de sa reproduction, mettent, il est vrai, sur la voie de tenter des moyens pour le détruire, mais on n’en a encore trouvé aucun : il n’y auroit pas de récompense qui ne fût au dessous d’un pareil bienfait.

M. Bernard vient de donner la preuve la plus complète de sa sagacité & de son excellente manière d’observer. Tout ce que l’on avoit écrit jusqu’à ce jour sur l’histoire naturelle des insectes de l’olivier, n’étoit qu’un roman ou un enchaînement de conséquences fausses & absurdes : il a enfin déchiré le voile qui cachoit la vérité,


CHAPITRE XIII.

Existe-t-il des moyens de détruire let insectes des oliviers.


On a vu dans l’histoire naturelle de ces insectes, qu’ils sont tous ailés, qu’ils se transportent facilement d’un lieu à un autre, & qu’un seul, au moyen des articulations de ses pattes de derrière, s’élance par des sauts à de très-grandes distances. On a vu encore que les larves ou chenilles naissoient sur les feuilles, dans les fruits, & qu’elles ne prenoient pas leur origine dans la terre ; enfin qu’elles ne grimpoient pas du tronc aux branches, aux feuilles, aux fruits, &c. C’est donc sur la tête même de l’arbre que doivent être appliqués les moyens à employer contre ces insectes destructeurs, & malheureusement trop multipliés.

M. Sieuve est, je crois, le premier qui ait proposé de ratisser par bandes circulaires l’écorce du tronc, & d’appliquer sur ces bandes devenues lisses, une espèce de goudron de la composition duquel il fait un secret. Ce goudron, de quelque nature qu’il soit, est complètement inutile quant aux insectes qu’on suppose gratuitement venir du sol, & grimper du tronc aux branches. Il peut tout au plus empêcher les fourmis d’y monter, & de profiter du dégât causé par les autres insectes, car elles n’y font d’ailleurs aucun mal. (Voyez l’article Fourmi) Si ce goudron opère de bons effets, c’est donc par son odeur pénétrante & vive qui chasse les insectes. Dans ce cas, il y a mille & mille moyens plus simples & qui ne s’opposent pas à la transpiration de l’arbre dans la partie recouverte de goudron.

Plusieurs auteurs partant du même principe que M. Sieuve, ont donné la recette de différentes espèces de goudrons à employer de la même manière. La base de ces préparations est le guitran, les poix-résines, l’huile de cade, d’aspic, la térébenthine, fondus ensemble, auxquels on ajoute des feuilles réduites en poudre dont l’odeur soit très-forte, telle que celle de la rue, de la tanaisie, &c. ; ces préparations n’agissent donc que par l’odeur qui S’en exhale. Dans ce cas, si l’insecte ne meurt pas dans son état de larve, & s’il parvient à celui d’insecte parfait, il quittera & abandonnera promptement un séjour qui lui devient funeste, & il passera sur un autre olivier où il respirera mieux à son aise. Le goudron aura donc simplement produit un déplacement de l’insecte d’un arbre sur un autre. Ce sera déjà beaucoup ; & si tout un village, tout un canton répète l’opération à la fois & aux mêmes époques, il est constant qu’on parviendra à les éloigner tous, si toutefois la supposition que l’odeur forte produise cet effet, est vraie. Dans ce cas, de petits paquets faits avec les tiges & les feuilles de la tanaisie, de la rhue, du marrube, &c. imbibés de goudron, & sont suspendus de distance en distance sur les branches, produiront un effet plus direct, parce que le foyer de l’odeur sera plus rapproché de l’insecte, & par conséquent agira plus vivement sur lui.

Je sais, d’après ma propre expérience, que les odeurs vives & pénétrantes, & tout le monde le sait aussi-bien que moi, éloignent les insectes. Par exemple, celle de la rafle du raisin lorsqu’on le retire de dessus le pressoir & qu’on en jette une certaine quantité au pied de l’arbre ; mais cette odeur vraiment spiritueuse peut-elle être comparée à celle des goudrons ? D’ailleurs l’insecte niché dans l’olive n’y est pas exposé, & il s’y nourrit & vit fort tranquillement ; je me suis assuré de ce fait. L’odeur quelconque n’éloigne donc l’insecte que lorsqu’il se trouve dans son état parfait, c’est-à-dire dans l’état de mouche ; mais cette odeur tue-t-elle la larve nichée entre les deux écorces des feuilles, & qui s’y nourrit de leur parenchyme ? tue-t-elle les larves qui vivent dans la partie intérieure des jeunes pousses, & dont l’écorce leur sert d’étui ? J’ose dire que non. J’ai vérifié ces faits avec la plus grande attention. Les odeurs chassent les seuls insectes parfaits, & empêchent seulement, pendant un certain temps, que de nouveaux insectes se jettent sur l’arbre ainsi préparé. Les fumigations ne produisent pas des effets différens. Il résulte de là que ces préparations si vantées, que ces arcanes ont séduit plutôt que convaincu les hommes qui les Ont employés. Cependant des procès-verbaux authentiques & signés par un grand nombre de témoins sembleroient devoir obtenir notre confiance, & elle seroit justement placée si on avoit auparavant bien constaté que la rigueur des froids de l’hiver n’avoir pas détruit un grand nombre de larves dans les feuilles, dans les bourgeons, &c., car le froid est l’ennemi le plus décidé & le plus actif qu’aient ces insectes. Il faudroit encore avoir examiné une infinité d’autres circonstances dont le détail seroit ici superflu. Il ne manque jamais de témoins de ces sortes de miracles, mais il faut auparavant constater que le miracle existe. D’ailleurs, si le foyer des odeurs n’est pas renouvelé de temps à autre, & même chaque mois, elles ne produiront qu’un bien passager, & le mal recommencera à chaque ponte & à chaque époque où l’insecte se métamorphosera en insecte pariait ; c’est alors le temps qu’il s’accouple & que la femelle pond ses œufs.

On a encore proposé un mélange d’orpiment & de miel. C’est un remède efficace, & qui aura bientôt dépeuplé le pays de mouches à miel, & qui tuera un très-grand nombre de mouches communes, mais il n’est pas démontré que les mouches des oliviers se laissent surprendre par le piège qu’on leur tend. Chaque insecte trouve sur l’arbre ou sur la plante qu’il habite, la nourriture qui lui convient dans tous ses états & elle s’y tient ; peu de mouches font exception à cette loi.

M. Cronsted, suédois, a proposé de suspendre des paquets d’écorce, de petites branches, &c. enduits de cambouis, & que l’on entretient gluans. Il est clair que l’insecte qui le touchera ou avec les pattes ou avec les ailes, y sera pris ; la glu produiroit le même effet : je crois ce moyen avantageux ; mais comment le multiplier dans une olivette d’une certaine étendue ? il détruira quelques ennemis, & il y en a des milliers à vaincre. Si tous les voisins n’agissent pas de concert & en même temps, à quoi servira cet attrape-mouche ? Soyons de bonne foi, & n’ayons pas l’air de vouloir tout savoir, de vouloir tout connoître ; convenons que le mal est visible, que son principe, sa cause, &c. sont démontrés, & que nous n’en sommes pas plus avancés. L’intérêt pécuniaire invite à détruire l’être qui nuit, mais l’intérêt de l’insecte est de vivre, & il a autant de droits que l’homme à se nourrir des produits des végétaux. Heureux celui qui parviendra à faire faire un pas de plus dans la science destructive des insectes : il sera le bienfaiteur de l’humanité.


  1. Consultez le mot Espèce, afin d’éviter ici des répétitions.
  2. Il est bon d’observer que les caractères que je vais établir, soit pour les fruits soit pour les feuilles, ne doivent pas être pris à la grande rigueur, puisque les individus à décrire ne constituent pas des espèces botaniques, (Voyez ce mot) mais des variétés. Cependant ces caractères sont vrais dans leurs généralités, quelques exceptions ne leur feront aucun tort.
  3. Si on croit qu’elle soit une espèce séparée, on peut la désigner par ces mots ; olea rubicans.
  4. Note de l’Éditeur. C’est la larve du hanneton. (voyez ce mot) Je l’ai trouvée deux fois dans la vermoulure du bois pourri, du centre du collet des racines, dont elle n’est pas la cause. J’ai également trouvé celle du rhinocéros. Les cas sont rares, & je crois même que ces larves ne s’étoient nichées dans cette espèce de terreau que pour s’y métamorphoser en chrysalide, & en sortir ensuite plus facilement sous la forme d’insecte parfait, c’est-à-dire, en hanneton & en rhinocéros ; ce qui me porte à le croire, c’est que ces larves avoient pris tout leur accroissement, & que c’est en mars que je les ai trouvées.
  5. Note de l’Auteur. M. linard dit avoir vu dans de vieux ceps à demi-pourris, des vers blancs, & de longs insectes noirs, assez gros, sans ailes, sans écailles, composés à peu près du même nombre d’anneaux, sur lesquels il a fait peu d’observations.
  6. Note de l’Auteur. Cet insecte est vraisemblablement le même que celui dont M. de la Brousse a parlé sous le nom de ciron, & qu’il désigne très-bien pour un scarabé.
  7. Note de l’Éditeur. La partie du Languedoc que j’habite encore est assez heureuse pour ne pas connoître cet insecte établi sur les oliviers, du moins je ne l’y ai jamais apperçu ; il est assez commun sur les orangers, moins sur les mûriers, et je pense d’après la description de M. Bernard, que l’insecte en question appartient à la famille des galles-insectes. (Voyez ce mot)
  8. Note de l’Éditeur. Je me sers d’une brosse trempée dans du vinaigre très-fort, pour nettoyer les feuilles & les bourgeons des orangers. Le vinaigre tue le kermès ou galle-insecte, & les poils de la brosse détachent les corps morts des branches ; des lavages à grande eau achèvent le reste. On fait cette opération avant d’enfermer les orangers, ou avant de les sortir de la serre, mais quelle patience & cruelle dépense si on vouloit la mettre en pratique dans une olivette !
  9. Note de l’Auteur. Ces excroissances diffèrent beaucoup des véritables galles par leur organisation ; d’ailleurs elles ne renferment aucun insecte.
  10. Note de l’Auteur. Le temps qu’il faut à la nymphe pour se changer en mouche, dépend beaucoup du degré de la chaleur auquel elle est exposée. Dans le mois d’août et de septembre, sa métamorphose se fait ordinairement en douze jours ; mais ce temps devient plus long à proportion que la température de l’air est plus froide ; ainsi il peut être de quinze, de vingt, de trente jours, etc. Il m’est arrivé même de ne voir sortir qu’à la fin de janvier, des mouches qui avaient formé leurs coques au commencement de novembre.