Cours d’agriculture (Rozier)/ALCALI
ALCALI, Physique-Chimie.
§. I. Des Alcalis en général, & de leurs propriétés.
Alcali est un mot arabe : al est la particule signifiant le ou la, & kali est le nom arabe d’une plante que nous connoissons sous celui de soude.
On entend par alcali une espèce de sel qu’on distingue en fixe & en volatil. Cette substance saline paroît être un principe assez généralement répandu dans les trois règnes ; c’est ce qui nous engage à entrer dans quelques détails par rapport à elle. C’est en étudiant toutes les parties & les divisions d’un tout, que l’on peut se flatter de parvenir à sa connoissance complette. Les alcalis, comme les acides & les sels en général, ne sont plus relégués dans les laboratoires des chimistes ; tous les objets qui composent la nature, sont du ressort du philosophe ; tous méritent son attention. Il est cependant des points de vue sous lesquels on les peut considérer, qui appartiennent de préférence à telle classe de la science universelle plutôt qu’à telle autre ; dans ce cas, il faut qu’il se contente de saisir les rapports principaux, les liens qui les enchaînent à la masse commune, & s’attacher ensuite aux points qui doivent l’occuper actuellement. Dans l’histoire que nous allons tracer des alcalis, nous ne nous bornerons donc pas aux détails purement chimiques ; mais nous les considérerons par rapport à l’économie végétale & animale, après avoir dit un mot de leurs propriétés communes, & de leurs qualités différentielles.
L’alcali, en général, est une substance saline qui paroît composée d’acide, de terre, & d’un peu de phlogistique, & dont les principes ont ensemble une moindre adhérence que n’en ont entre eux ceux de l’acide ; aussi est-il plus susceptible de décomposition. Il échauffe l’eau dans laquelle on le fait dissoudre, & produit du froid avec la glace ; exposé à l’humidité de l’air, il l’attire ; sa saveur est âcre & brûlante, & d’autant plus forte qu’il est plus pur & plus dépouillé d’air fixe : cette saveur a même quelque chose d’urineux. La propriété de l’alcali la plus connue, est de changer en verd les couleurs bleues des végétaux : mêlé avec un acide, s’il est combiné avec l’air fixe, il fait effervescence jusqu’au point de saturation, & de cette union résultent différens sels neutres : à un feu modéré, il entre en fusion ; & mélangé avec les terres, il leur sert de fondant & les change en verre, surtout les terres vitrifiables ; il décompose tous les sels à base terreuse ou métallique.
Les sels alcalis, dans certaines circonstances, sont de très-grands dissolvans. Non-seulement ils se combinent avec les terres, les acides, mais, encore avec le soufre & toutes les matières huileuses. De leur union avec le soufre résulte une espèce de savon sulfureux, auquel on a donné le nom de foie de soufre ; (voy. Soufre) & de celle avec les huiles, les graisses, les résines, les baumes, &c. se forment des savons. (Voyez Savons) Enfin ils agissent plus ou moins facilement sur les substances métalliques.
Toutes ces propriétés conviennent aux alcalis en général ; mais il en est de certaines qui paroissent appartenir spécialement à chacun en particulier.
On connoît trois espèces d’alcali ; le végétal, le minéral, & le volatil : les deux premiers sont fixes.
§. II. De l’Alcali fixe végétal.
L’alcali fixe végétal est ordinairement sous forme concrète, terreuse, d’un blanc mat, & sans figure cristalline & régulière, quand il est privé d’air fixe ; sec, il n’a pas d’odeur ; humecté, il laisse échapper une légère odeur de lessive ; sa saveur est âcre, brûlante, caustique & urineuse. Exposé à l’air, il attire trois fois son poids d’humidité, tombe en déliquescence, & se résout en liqueur. Cette liqueur paroît avoir un caractère gras & huileux, quand on la touche ; cela vient des particules graisseuses de la peau qu’elle dissout. Ces propriétés lui ont fait donner, quoiqu’improprement, le nom d’huile. Il est très-propre à servir de fondant aux différentes terres, & à les changer en verres durs, solides & transparens.
De sa combinaison avec les acides, résulte une très-grande effervescence, lorsqu’il contient de l’air fixe. L’acide s’emparant de la terre & du phlogistique de l’alcali, chasse l’air fixe qui, s’échappant sous la forme de bulles, soulève avec violence la liqueur & la fait mousser considérablement. Avec l’acide vitriolique, il forme du tartre vitriolé ; avec l’acide nitreux, du nitre ou salpêtre ; avec l’acide marin, une espèce de sel marin ou commun, qui ne diffère de celui dont on fait usage, que par sa saveur qui est beaucoup moins agréable ; il est cependant employé en médecine sous le nom de sel fébrifuge de silvius : avec l’acide du vinaigre, il forme un sel neutre déliquescent d’une saveur très-piquante qu’on nomme tartre régénéré, ou plus communément terre foliée de tartre ; avec la crème de tartre, du sel végétal ; enfin, avec l’air fixe, l’alcali fixe végétal proprement dit, effervescent & non caustique ; car la causticité des alcalis dépend de leur privation de ce principe, & alors ils sont aux alcalis effervescens ce que la chaux est à la terre calcaire. (Voyez Chaux, où nous développerons cette théorie,) Combiné avec le soufre, il forme le foie de soufre, qui est un grand dissolvant de toutes les substances métalliques. Ce n’est pas que pour les dissoudre, l’alcali fixe végétal ait besoin d’être uni au soufre ; il les attaque avec assez d’énergie, surtout l’or, la platine, l’étain, le cuivre & le fer ; les autres ont besoin d’une préparation préliminaire, qui est la dissolution par un acide, pour être redissous par ce menstrue ; avec les substances huileuses, il compose des savons.
On dispute en chimie sur l’origine de l’alcali fixe végétal ; existet-il tout formé dans les plantes d’où on le retire ? ou bien les végétaux ne contiennent-ils que les matériaux propres à le former, & ne doit-il sa naissance qu’à l’acte même de la combustion ? Nous n’entrerons pas dans les discussions relatives à cette question ; elle est absolument décidée par les expériences de M. Rouelle, & le Mémoire de M. Berniard, imprimé dans le mois de Mars 1781 du Journal de Physique, où ce savant démontre que ce sel est tout formé dans les végétaux.
Il se retire par combustion des substances végétales ; on ne se sert guère du procédé de Tachenius, qui consistoit à brûler les plantes en charbon avant de les réduire tout-à-fait en cendres ; au lieu qu’en les brûlant à feu ouvert par la façon ordinaire, elles tombent en cendres tout de suite. Mais les sels extraits à la manière de Tachenius sont moins alcalis, pour ainsi dire, & plus huileux que les sels faits à l’ordinaire. L’alcali le plus commun, & en même tems le moins pur, est celui des cendres des foyers : on emploie ces cendres pour les lessives, dans le travail du salpêtre & dans les verreries où l’on fait du verre brun & commun. Dans le nord, on brûle exprès du bois & des plantes pour retirer de leurs cendres un alcali assez fort, mais très-impur, connu sous le nom de potasse. (Voyez ce mot) Le marc & la lie de vin desséchés, étant brûlés, laissent une cendre très-riche en sel alcali, que l’on appelle cendre gravelée. Le tartre du vin brûlé avec précaution dans des cornets de gros papier mouillé, se change tout entier en un sel alcali très-fort & le plus pur de tous. Comme il mérite à tous égards la préférence, il a donné son nom à tout alcali fixe végétal, qui bien purifié se nomme tout simplement sel de tartre.
Il y a un art de retirer ces sels alcalis en général, & de les purifier, qu’il est bon de connoître.
1o. On prépare une place bien nette, comme des dalles de pierre, ou un espace de terre que l’on bat fortement pour la resserrer & l’unir. C’est là le foyer sur lequel on assemble les plantes que l’on destine à l’incinération.
2o. On fait brûler ces plantes en plein air, & on les réduit en cendres le plus que l’on peut. Il faut, autant qu’il est possible, ménager le feu ; un trop grand feu pourroit volatiliser une partie de l’alcali, & faire entrer en fusion les parties terreuses qui se trouveroient mêlées avec l’alcali.
3o. On recueille avec soin toutes les cendres, & on les lessive dans plusieurs eaux, jusqu’à ce que la dernière lotion soit insipide ; ce qui annonce qu’il n’existe plus de sel à dissoudre.
4o. On fait évaporer toutes ces lessives sur un bain de sable jusqu’à siccité ; l’on trouve au fond des vases à évaporer, l’alcali sous une forme blanche pulvérulente.
Il s’en faut de beaucoup que l’alcali ainsi retiré ait toute la pureté nécessaire pour certaines expériences. Il est presque toujours altéré par une portion d’huile végétale qui n’a pu être consumée dans la combustion, par de la terre surabondante, & sur-tout par quantité d’autres sels que l’on retrouve dans les cendres. Une nouvelle calcination faite avec toutes les attentions possibles, achèvera de consumer cette matière inflammable surabondante. La portion de terre se séparera d’elle-même, si l’on réitère plusieurs fois les dissolutions, les dessiccations et les filtrations. Quant aux matières salines qui, par leur mélange, altèrent la pureté du sel alcali, la cristallisation est le seul moyen que fournisse la chimie pour les séparer. Comme chaque sel a une forme régulière qui lui est propre, on les reconnoît alors, & on les sépare ; mais il arrive trop souvent que deux ou plusieurs sels se combinent & cristallisent ensemble. Il faut beaucoup d’adresse & de connoissances pour obtenir l’alcali fixe végétal bien pur.
§. III. De l’Alcali minéral ou marin.
L’alcali minéral ou marin est ainsi nommé, parce qu’il sert de base au sel marin, & que, quoiqu’on le retire de certaines plantes, il appartient directement au règne minéral, & non aux deux autres. Cette substance saline a non-seulement toutes les propriétés générales des alcalis, mais encore celles de l’alcali fixe végétal dont il ne diffère peut-être essentiellement que par son origine & par quelques qualités extérieures. Il a la même saveur, cependant un peu moins corrosive & moins brûlante, la même fixité ; il pénètre & dissout les mêmes substances ; il fond & vitrifie toutes les terres. On a remarqué toutefois que les verres qu’il forme, sont d’une nature plus solide, plus ferme & plus durable. Combiné avec tous les acides, il en résulte des sels neutres en rapport avec ceux que produit l’alcali végétal. Il fait des savons avec toutes les huiles & les matières huileuses, mais ils restent mous & n’acquièrent jamais la consistance & la fermeté de ceux qui doivent leur origine au premier alcali. Dissous dans l’eau, & traité par l’évaporation & le refroidissement, il se cristallise ; quoiqu’il retienne moitié & plus de son eau de cristallisation, il a peu d’adhérence avec elle, car il la perd en partie par la seule exposition à l’air libre : ses cristaux tombent alors en efflorescence, & se réduisent sous la forme d’une poussière blanche.
Avec l’acide vitriolique, l’alcali minéral forme du sel de glauber, dont toutes les différences avec le tartre vitriolé résultent de la nature de leurs bases alcalines ; avec l’acide nitreux, il produit une espèce particulière de nitre, susceptible de détonation & de cristallisation, connu sous le nom de nitre cubique, ou nitre quadrangulaire ; avec l’acide marin, il forme le sel commun ou de cuisine ; avec l’acide du vinaigre, une espèce de terre foliée de tartre déliquescente & peu susceptible de cristallisation ; avec l’acide concret tartareux, du sel de seignette, qui diffère du sel végétal par ses cristaux qui sont infiniment plus gros & plus beaux.
L’alcali minéral étant contenu, comme nous l’avons dit, dans le sel marin commun & dans certaines plantes maritimes, le seul moyen de l’obtenir est de l’extraire de ces substances. Il seroit trop coûteux & trop difficile de le retirer du sel commun ; on est donc réduit à se le procurer par l’incinération de ces plantes. Elle en produit en très-grande abondance ; & suivant que les plantes qui le fournissent, croissent dans un pays & dans un climat favorable, l’alcali est plus ou moins pur. On observe le même procédé pour cette combustion que pour l’alcali végétal. On suit encore la même marche pour la purification. Les cendres qui fournissent cet alcali sont connues en général dans le commerce sous le nom de soude. (Voyez ce mot)
§. IV. De l’Alcali volatil.
L’alcali volatil est une substance que l’on obtient par la décomposition des matières animales, & de quelques substances végétales, & par la putréfaction de toutes ces substances. L’alcali volatil, en général, participe à toutes les propriétés des alcalis ; il est âcre, caustique, & brûlant comme eux ; il change en verd les couleurs bleues des végétaux ; mais il en diffère essentiellement par sa volatilité, qui est due à une huile très-subtile & très-volatile, qui est un de ses principes constituans ; par son odeur forte, pénétrante, très-piquante, capable même de suffoquer, qui excite la toux, & tire beaucoup de larmes des yeux. C’est cette vapeur qui fait le piquant de l’odeur qu’on sent dans les latrines aux changemens de tems ; moins fort que les alcalis fixes, ceux-ci le décomposent & le dégagent de toutes ses bases. Il s’unit parfaitement avec l’eau, & se résout en liqueur, connue sous le nom d’alcali volatil fluor.
Tous les acides se combinent avec l’alcali volatil, avec ou sans effervescence, suivant qu’il est uni ou non à l’air fixe, & forment avec lui des sels neutres ammoniacaux ; l’acide vitriolique, du sel ammoniacal vitriolique, ou de glauber ; l’acide nitreux, du nitre ammoniacal ; l’acide marin, le sel ammoniac ordinaire ou du commerce, & l’acide du vinaigre, un sel acéteux ammoniacal, qui cristallise difficilement, connu sous le nom d’esprit de Mendererus ; enfin l’air fixe de l’alcali volatil concret, ou sel d’Angleterre.
La plupart des substances métalliques sont attaquées par l’alcali volatil, & quelques-unes sont complétement dissoutes, surtout le cuivre, dont la dissolution prend une très-belle couleur bleue. Si cette liqueur reste long-tems dans un flacon bien bouché, la couleur s’affoiblit, & disparoît à la longue ; il suffit, pour la faire revivre, de déboucher le flacon, & de mettre la liqueur en contact avec l’air.
L’alcali volatil a de l’action sur les huiles, & forme avec elles des composés savonneux. L’eau de Luce est le plus connu & le plus en usage.
Ce sel étant la base du sel ammoniac du commerce, (voyez ce mot) le moyen de l’obtenir en certaine quantité, est de décomposer ce sel, & d’en recueillir l’alcali volatil qui s’en dégage. On peut l’obtenir de deux façons : ou sous forme fluide, comme alcali volatil fluor ; ou sous forme sèche & cristallisée, comme alcali volatil concret, ou sel d’Angleterre. Mêlez exactement du sel ammoniac pulvérisé, avec le double de son poids de chaux éteinte à l’air ; introduisez ce mélange dans une cornue de grès, à laquelle on lute tout de suite un récipient ; la décomposition du sel ammoniac par la chaux, est si vive & si prompte, qu’il se dégage beaucoup d’alcali volatil, aussitôt que les deux matières commencent à être mêlées ; il faut donc avoir grand soin de prendre ses précautions pour n’être point exposé à en respirer les vapeurs : on doit aussi ménager la chaleur dans cette distillation, surtout dans le commencement, parce qu’alors elle se fait pour ainsi dire sans feu : il passe bientôt dans le récipient des vapeurs qui se résolvent en liqueur, & l’on voit ensuite l’alcali volatil distiller goutte à goutte. Pour ne rien perdre du tout, on peut se servir d’un récipient à deux pointes. À la pointe opposée à la cornue, on adapte un tube de verre, courbé, qui plonge dans un flacon plein d’eau distillée. Il faut avoir grand soin de luter toutes les jointures ; l’air qui s’échappe du mélange de la cornue, traverse le récipient, enfile le petit tube recourbé, & s’échappe à travers l’eau du flacon, en déposant dans cette eau les particules de l’alcali volatil qu’il entraînoit avec lui. Quand la distillation cesse, on éteint le feu du fourneau ; on laisse refroidir les vaisseaux ; on délute, & on verse promptement toute la liqueur du récipient dans un flacon bouché à l’émeri.
On peut encore distiller une partie de sel ammoniac, mêlée à trois parties de chaux éteinte, & d’une partie d’eau égale à celle du sel ammoniac. Quand la distillation est bien faite, on retire près d’une livre d’alcali volatil fluor, si on a employé une livre de sel ammoniac.
Pour retirer l’alcali volatil concret, il faut distiller, avec les mêmes précautions, du sel ammoniac pulvérisé, & mêlé avec le double de son poids d’une terre calcaire quelconque, comme de la craie. On voit passer dans le récipient, une grande quantité d’alcali volatil sous forme concrète, très-blanc & très-beau, qui tapisse tout l’intérieur du ballon. Après la distillation & le refroidissement des vaisseaux, on détache ces cristaux d’alcali volatil concret, & on les renferme dans un flacon qui bouche bien à l’émeri. Ce sel ne diffère pas essentiellement de celui connu sous le nom de sel d’Angleterre : ce dernier n’est qu’un alcali volatil concret tiré de la soie.
§. V. Des Alcalis par rapport à l’économie végétale & animale.
On ne connoît pas encore quelle influence peuvent avoir les alcalis par rapport aux plantes ; on sçait seulement qu’ils entrent pour beaucoup dans leurs parties constituantes : certaines même contiennent de l’alcali fixe tout cristallisé. Si l’on fend perpendiculairement la tige du corona solis, ou tournesol, il n’est pas rare d’y rencontrer de petits cristaux tout formés de sel alcali : les cendres, résultat de la décomposition artificielle des végétaux, nous les offrent par le secours de simples lotions ; mais la nature qui travaille & agit sans cesse, conduit insensiblement toutes les substances végétales à l’entier développement de ce principe. Il seroit intéressant de découvrir la route que la nature suit pour parvenir à cette fin. Pourquoi, par exemple, un fruit, une pomme, est-elle si acide avant sa maturité, & devient-elle alcaline après que ce terme est écoulé ? Pourquoi une plante en putréfaction donne-t-elle tant d’alcali & si peu d’acide, tandis qu’auparavant il eût fallu de vraies opérations chimiques pour en extraire le peu qu’elle sembloit contenir ? C’est un phénomène assez difficile à expliquer. Cependant, ne pourroit-on pas dire, que dès le premier instant que la plante vient à naître, jusqu’à celui de sa décomposition totale par sa mort naturelle, la nature prépare sa destruction par la fermentation putride. Plus acide qu’alcaline dans son enfance & sa jeunesse, la surabondance du premier principe masque presqu’absolument le second ; mais comme il tend continuellement à se développer, insensiblement il devient égal ou en force ou en quantité, & alors l’état de maturité est arrivé, où la plante & le fruit n’ont qu’une saveur agréable ; la partie muco-sucrée paroît seule dominer ; elle a acquis son état de perfection, celui qui est le plus propre à subir toute fermentation. Elle s’établit ; le premier degré, la fermentation vineuse dégage l’air fixe, cet acide qui, comme le pense l’abbé Fontana, pourroit bien être le principe de tous les acides végétaux. L’alcali prend le dessus par l’absence de l’acide ; il domine, agit, décompose & se développe à son tour. Telle est peut-être la marche que la nature suit dans ce phénomène. Nous nous gardons cependant bien de prétendre que ce soit là la vérité ; c’est d’après de nombreuses expériences, & des observations exactes, qu’il faut attendre une explication sure.
Comme tout ce qui nous appartient immédiatement nous touche infiniment plus que ce qui ne fait que nous environner, les effets des alcalis par rapport à l’économie animale, nous sont plus connus. Nous savons que trop souvent les humeurs contenues dans les premières voies, tournent à l’aigre & à l’acide ; il faut arrêter de bonne heure ces ravages, qui feroient à la longue des progrès terribles : les alcalis sont heureusement employés dans ces cas ; ils forment alors une espèce de sel neutre qui devient purgatif. En général, les alcalis fixes conviennent dans toutes les aigreurs & dans les maladies qui doivent leur origine à quelqu’acide spontané ; ils sont même préférables aux terres absorbantes dont on fait un si grand usage. À l’intérieur, ces substances salines sont fondantes, apéritives, purgatives & lithontriptiques ; & à l’extérieur, elles sont résolutives, discussives & caustiques.
L’alcali volatil est employé en médecine comme un très-puissant stimulant & excitant, lorsqu’on en fait respirer la vapeur : on s’en sert en cette qualité dans les évanouissemens, les syncopes, l’apoplexie, les asphyxies, & dans toutes les maladies soporeuses dans lesquelles il y a engourdissement & atonie des parties nerveuses : on fait respirer dans tous ces cas, des flacons qui se contiennent ou en forme concrète, & sous le nom de sel d’Angleterre, ou en forme fluide, réduit avec de l’huile de succin dans un état demi-savonneux, & portant le nom d’eau de Luce. Il faut avoir très-grand soin, en le faisant respirer, d’éviter d’en laisser tomber quelques gouttes sur des parties délicates : sa grande causticité attaqueroit la peau, & formeroit des espèces de brûlures. On peut cependant en faire prendre aussi intérieurement dans les mêmes cas que nous venons de citer, sur-tout dans l’apoplexie & dans les maladies soporeuses, mais en petites doses, comme depuis deux ou trois grains, jusqu’à six, dans des mixtures stimulantes : pris de cette manière, il est quelquefois un fort sudorifique.
L’alcali volatil fluor est une espèce de spécifique contre la morsure de la vipère. (Voyez ce mot ) On doit cette découverte à M. Bernard de Jussieu. M. M.
Voici l’application pratique & les avantages que l’agriculture peut retirer de l’usage des alcalis. Toutes les substances soit animales, soit végétales, putréfiées, fournissent plus ou moins d’alcali, ainsi qu’on vient de le dire, & les cendres des végétaux en donnent également. Il est donc avantageux de rassembler ces substances, de les mélanger avec les fumiers quelconques tirés des écuries. Ces sels s’unissent aux portions graisseuses & huileuses, & forment ensemble une espèce de savon. Un tel fumier qui a resté quelques mois amoncelé, & ensuite enfoui dans la terre, a le double avantage de laisser séparer & atténuer ses parties par l’eau, au point qu’elle les met en état de pénétrer dans les racines des plantes, parce que cette eau est devenue à son tour savonneuse, & par conséquent susceptible de la plus grande atténuation & de la plus forte division. En un mot, l’eau, l’huile, les sels & la terre ne montent avec la séve dans les plantes pour les nourrir, que lorsqu’elle se trouve dans l’état savonneux. Ce principe sera détaillé plus au long au mot Engrais. Le second avantage des engrais chargés d’alcali, est d’attirer non-seulement l’humidité de l’air, mais encore ce principe salin, que M. Bergman & les physiciens modernes ont si bien démontré. Des cendres lessivées & épuisées de leurs sels alcalis, exposées sous des hangars pendant quelques mois, donnent presque la même quantité de sel que dans la première lixiviation ; elles se sont donc approprié le sel aérien, pour se servir de l’expression de M. Bergman. Or, si ces cendres acquièrent de nouveaux sels, on doit concevoir combien les engrais alcalins en feront acquérir à la superficie de la terre qui les recouvre ; & ces nouveaux sels continuant à s’unir aux matières graisseuses & huileuses que fournit cette multitude innombrable de petits animaux qui vivent sur la terre ou dans son sein, forment perpétuellement une matière savonneuse qui devient l’aliment des plantes. Si l’on prend la peine d’examiner la superficie d’une toise quarrée d’un champ, d’un pré, &c. on jugera, après une demi-heure d’inspection, que la supposition que nous venons de faire de cette multitude d’animaux n’est point une chimère, mais une réalité qu’on n’a pas encore assez observée. C’est un des grands moyens employés par la nature, pour la production des végétaux, & par une autre loi aussi constante, plus une terre est couverte de végétaux, plus le nombre des insectes est multiplié. Examinez un pré ; voyez & jugez. On diroit donc que les animaux sont aux végétaux, ce que ceux-ci sont aux premiers. Concluons. Multipliez autant que vous le pourrez les substances alcalines, & vous multiplierez les engrais : les engrais sont, après le fonds de terre, la meilleure base de l’agriculture.