Cours d’agriculture (Rozier)/ÉCART

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 111-114).


ÉCART, Médecine Vétérinaire. L’écart est un effort du bras qui tend à le séparer ou à l’écarter d’avec le corps du cheval. Lorsque la disjonction ou la séparation est portée au dernier degré, nous rappelons entr’ouverture. (Voyez Entr’ouverture)

Causes. Les causes les plus ordinaires de cette maladie sont une chute ou un effort que le cheval aura fait en se relevant, ou bien lorsqu’en cheminant, l’une des jambes de devant ou toutes deux ensemble se seront écartées, & auront glissé de côté & en dehors.

Des parties qui sont principalement affectées dans l’écart. Cet accident arrive d’autant plus aisément, que l’articulation du bras avec l’épaule se trouvant très-mobile, & jouissant d’une grande liberté, occasionne le tiraillement ou une extension plus ou moins forte de toutes les parties qui assujettissent le bras, qui l’unissent à la poitrine, & qui l’en rapprochent ; c’est pour cette raison que tous les muscles qui s’attachent d’un côté au sternum, aux côtes, aux vertèbres du dos, & de l’autre à l’omoplate, c’est-à-dire, à l’os qui forme l’épaule, & à l’humérus, peuvent souffrir de cet effort, sur-tout s’il est considérable.

Symptômes. Le gonflement & la douleur sur-tout au muscle commun, à l’épaule & au bras, & la difficulté de l’action du cheval qui fauche, c’est-à-dire, qui décrit un demi-cercle en cheminant, sont les seuls signes qui décèlent l’écart. Mais dans la circonstance d’une extension foible & légère, le gonflement n’existe point, & il ne reste plus pour unique symptôme que la claudication de l’animal. Ce dernier symptôme est encore équivoque, parce qu’un cheval peut boiter du pied & de la jambe, comme du bras & de l’épaule. Il n’arrive que trop souvent qu’à la campagne, on ne sait pas distinguer si le cheval boite de l’épaule ou du pied ; c’est pourquoi, il est indispensable d’indiquer ici les moyens de discerner constamment les parties atteintes & viciées, lorsque l’animal boite.

Des signes extérieurs qui annoncent que le cheval boite de l’épaule, de la jambe ou du pied. Un cheval, comme nous l’avons déjà dit, peut boiter de l’épaule & du bras, comme du pied & de la jambe. Il est possible de juger sainement & avec exactitude de la partie affectée, en examinant d’abord si le mal ne se montre point par les signes extérieurs & visibles, & rechercher ensuite quelle peut être la partie sensible dans laquelle réside la douleur.

Les signes extérieurs, par exemple, qui annoncent à l’hippiatre ou au maréchal, que le cheval boite du pied, sont toutes les maladies auxquelles cette partie est sujette, telles que l’enclouure, le javart, la seime, la bleime, le crapaud ; &c. (voyez tous ces mots) ceux qui indiquent que l’animal boite de la jambe, sont la nerferure, le ganglion, les contusions, les meurtrissures, les engorgemens, &c. Les heurts, les coups, un appui ferme & forcé d’une selle qui aura trop porté sur le devant, sont autant d’accidens qui peuvent occasionner la claudication de l’épaule. (Voyez Boiter)

Des moyens qu’il faut prendre pour s’assurer positivement de la partie atteinte, & qui occasionne la claudication. L’hippiatre ne doit prendre le parti que nous allons proposer, que lorsqu’il n’aperçoit rien d’apparent.

1°. Il doit frapper d’abord avec le brochoir sur la tête de chacun des cloux qui ont été brochés, & avoir en même temps l’œil sur l’avant-bras de l’animal & près du coude.

2°. Si le clou frappé occasionne la douleur, soit parce qu’il serre, soit parce qu’il pique le pied, il remarquera un mouvement sensible dans le même avant-bras, & ce mouvement est un signe assuré que l’animal boite du pied.

3°. Si en frappant ainsi sur la tête des cloux, l’animal ne feint en aucune façon, on le déferrera, après quoi, on serrera tout le tour du pied, en appuyant un des côtés des tricoises vers les rivures des cloux, & l’autre sous le pied, à l’entrée de ces mêmes cloux. Dès qu’on verra dans l’avant-bras le mouvement dont nous avons déjà parlé, on doit être certain que le siège du mal est dans le pied.

4°. Si en frappant de nouveau sur la tête des cloux, & si en pressant ainsi le tour du pied avec les tricoises, rien ne se découvre au maréchal, il faut parer le pied (voyez Ferrure) & le sonder de nouveau avec les tricoises.

5°. Si malgré toutes les précautions, & par l’existence d’autres maladies qui peuvent affecter le pied, l’artiste ne découvre aucune des causes qui donnent lieu à la claudication, il doit remonter à la jambe, presser, comprimer avec les doigts le canon, le tâter ainsi que le tendon, prendre garde qu’il n’y ait enflure au boulet, ce qui dénoterait quelque entorse, ou des molettes, (voyez Entorse, Molettes) & par conséquent le siège du mal.

6°. Cela fait, on passe à l’examen du bras & de l’épaule ; il s’agit ici de manier les parties avec force avec les deux mains, & observer si l’animal feint ou ne feint pas lors de la compression, après quoi on le fait cheminer ; dans le cas où il y aura inégalité de mouvement dans les parties, & où la jambe du côté malade demeurera en arrière, n’avancera jamais autant que la jambe saine, & ne se mouvra avec autant de vitesse, on pourra conclure que le mal est dans le bras & dans l’épaule. Voici de plus une observation infaillible. En faisant marcher quelque temps le cheval, si le mal attaque le pied, il est certain qu’il boitera toujours davantage, à mesure qu’il fatiguera, tandis qu’au contraire, il boitera moins, si le bras ou l’épaule sont affectés, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer dans l’article boiter, (Voyez Boiter)

7°. Le siège de la claudication de l’épaule & du bras étant parfaitement reconnu, il s’agit encore de trouver un signe univoque pour ne pas confondre la claudication qui est suscitée par un coup, un heurt, un froissement, & une contusion, avec celle qui reconnoît pour cause un écart. Dans ce dernier, l’animal fauche toujours en cheminant, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer plus d’une fois, & porte toujours la jambe malade en avant dans le repos, ce qui annonce l’embarras qu’occasionnent les liqueurs stagnantes & extravasées, tandis que dans l’autre, les symptômes qui le caractérisent, se réduisent à l’enflure de la partie, & à la douleur que l’animal ressent, lorsqu’on tente de lui mouvoir le bras en avant ou en arrière.

Traitement. Il faut procéder à la cure de l’écart, en étayant sa méthode sur la considération de l’état actuel du cheval, & sur les circonstances qui accompagnent cet accident.

1°. Si sur le champ que le cheval vient de prendre un écart, on est à portée de mettre le cheval à l’eau, & de l’y laisser de manière que les parties affectées soient plongées dans la rivière, on l’y laissera demi-heure, ce répercussif ne pouvant produire que de très-bons effets.

2°. À la sortie du bain on saignera l’animal à la veine jugulaire, & non pas à la veine céphalique ou de l’ars, ainsi que nous le voyons pratiquer journellement par les maréchaux de la campagne, par la raison que cette saignée en cet endroit, favorisant l’abord impétueux & abondant des humeurs sur une partie déjà affoiblie & souffrante, devient plus nuisible que salutaire.

3°. La saignée pratiquée, on mettra en usage les topiques résolutifs, aromatiques & spiritueux, tels que les décoctions de sauge, d’absynthe, de lavande, l’eau-de-vie camphrée ; ces remèdes donnant du ressort aux parties, prévenant l’amas des humeurs, parant aux engorgemens, atténuant, divisant les fluides déjà épaissis, remettant les liqueurs stagnantes & coagulées dans leur état naturel, & les disposant à passer par les pores ou à regagner le torrent de la circulation, il est à observer qu’ils sont préférables à l’huile de laurier, de scorpion, des vers, de pétrole, de térébenthine, à l’onguent d’althea, que l’on a continué d’employer en pareil cas.

4°. Si la douleur est telle, qu’elle excite un éréthisme dans tout le genre nerveux, & qu’elle dérange la circulation au point de donner la fièvre à l’animal, les lavemens émolliens, les fomentations émollientes, un régime humectant & rafraîchissant, s’opposeront à tous ces accidens.

5 °. Mais si le mal a été négligé, si les engorgemens ont été extrêmes, s’il y avoit surabondance des humeurs dans l’animal au moment de l’écart, si l’animal n’avoit pas jeté sa gourme ; si, en un mot, les liqueurs épaisses & extravasées dans l’intérieur du bras & de l’épaule, ne peuvent pas être repompées, il faut avoir recours aux maturatifs, à l’effet de donner du mouvement à ces mêmes liqueurs, de les cuire, de les digérer, & de les disposer à la suppuration : pour cet effet, on oindra le bras en-dehors de côté & principalement à l’endroit de l’ars, c’est à-dire, à la partie supérieure latérale interne de l’avant-bras, avec de l’onguent basilicum, ou bien, si l’on veut couper plus court, on y passera un séton, (voyez Séton) car il faut absolument dégager & débarrasser le membre affecté d’une humeur qui lui ravit son action & son jeu ; la matière ainsi écoulée, on peut en venir à l’application d’une charge résolutive fortifiante, (voy. Charge) & ensuite aux résolutifs aromatiques & spiritueux ci-dessus désignés, dans la vue de fortifier la partie & de s’opposer à son desséchement.

6°. Le régime que l’animal doit observer pendant le traitement, se réduit à l’eau blanche, au son mouillé, au foin de bonne qualité mêlé avec la paille.

7°. On terminera la cure par une médecine composée de deux onces de séné, & de quatre onces de miel commun, sur lesquels on versera une livre d’eau bouillante, supposé que l’animal soit d’une taille moyenne. On pourra en favoriser l’effet, en lui donnant, de temps en temps dans la journée, de l’eau blanche avec la corne.

Observations particulières sur les écarts. Une expérience journalière, nous démontre que les écarts anciens, négligés & maltraités, de même que les entr’ouvertures, ne guérissent jamais radicalement, & que l’animal boite plus ou moins continuellement. Le feu produit alors des effets merveilleux. Nous en avons une preuve dans les roues de feu que les maréchaux appliquent à l’épaule des mules de charrette, & dont la plupart guérissent sans le secours des autres remèdes. M. Bourgelat assure que les boues des eaux minérales chaudes, sont un spécifique admirable, & procurant l’entier rétablissement du cheval. Quoi que nous n’ayons jamais été à portée de vérifier cette assertion, nous ne devons point révoquer en doute le témoignage de ce célèbre écuyer. Nous conseillons donc aux habitans des campagnes, qui pourront à peu de frais se procurer des boues de cette nature, de les tenter sur les épaules de leurs chevaux ou de leurs mules de labourage, avant que d’y faire appliquer des roues de feu.

Nous croyons, avant de finir cet article, devoir recommander aux maréchaux de la campagne, de ne point faire de frictions avec le sang de l’animal qui a pris un écart, à mesure que ce fluide sort du vaisseau. Nous ne voyons pas quelle peut être l’efficacité du sang dont ils chargent l’épaule & le bras ; nous improuvons également la pratique de ceux qui, après avoir lié la jambe saine du cheval, de manière que le pied se trouve uni au coude, le contraignent, le forcent de marcher & de reposer son devant sur celle qui souffre, (ce qu’on appelle faire nager à sec) le tout dans l’intention, disent-ils, d’échauffer la partie, & d’augmenter le volume de la veine de l’ars qu’ils veulent ouvrir. Une pareille méthode est évidemment pernicieuse, en ce qu’elle ne peut produire que des mouvemens forcés, irriter le mal, accroître la douleur & l’inflammation, & c’est ainsi que nous voyons souvent un écart léger dans son origine & dans son principe, devenir souvent funeste & incurable. M. T.