Cours d’agriculture (Rozier)/ÉCHALAS, ÉCHALASSER

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 114-118).


ÉCHALAS, ÉCHALASSER. Bâton que l’on fiche en terre, afin de servir de point d’appui à un cep de vigne. On doit distinguer trois espèces d’échalas, ceux destinés aux vignes hautes, ceux des vignes moyennes, enfin, ceux des vignes basses. Les premiers & les seconds sont à demeure dans la terre, à moins qu’ils n’aient besoin d’être remplacés, & les troisièmes sont enlevés de terre chaque année & replantés après la taille.

Les premiers sont des pieux de huit à dix pieds de hauteur, & servent à soutenir les hautains suivant la coutume des environs de Pau ; &c. les seconds sont de sept à huit, & supportent les vignes dont le cep est élevé de deux à trois pieds ; par exemple à Côte-Rotie, un peu plus bas que Vienne en Dauphine, à Condrieux, à Bordeaux. &c. Les troisièmes ont de trois à quatre pieds de hauteur, & ce sont les plus généralement employés ; en Champagne, dans les environs de Paris, &c. la grosseur est toujours en proportion de la hauteur.

Les romains, au rapport de Columelle, connurent les échalas & la manière d’y attacher la vigne avec des osiers. Les romains ne faisoient donc pas, comme plusieurs auteurs l’ont avancé, monter toutes leurs vignes sur des ormeaux ou sur des peupliers, &c.

I. Des bois propres à faire des échalas. La durée de ces tuteurs, dépend du plus ou moins de resserrement de leurs pores, & tous les bois quelconques peuvent servir à cet usage, suivant la manière de cultiver la vigne. Le meilleur, sans contredit, est celui tiré du tronc du chêne ; après lui, celui de châtaignier, & ainsi de suite. Les échalas, fournis par les taillis, ne durent point autant, sont plus communs & moins chers. Il se trouve une très-grande différence entre l’échalas du taillis de sept, huit à neuf ans, & celui de cinq ou de six ans. La force est en raison de l’âge du bois & de l’exposition du sol dans lequel il a végété. Un grand propriétaire de vignoble, doit donc connoître & avoir examiné le pays d’où on lui apporte les échalas. Ceux venus dans une terre naturellement humide, ou sur une exposition au nord, ont toujours un tissu lâche, des pores peu serrés : & fichés au pied d’un cep, semblables à une éponge, ils se remplissent d’eau, se dessèchent alternativement, & durent très-peu. Il vaut beaucoup mieux préférer ceux qui ont cru dans l’exposition du midi, & même dans une terre maigre ; ils seront, j’en conviens, moins droits, plus tortus que les autres ; cette difformité à l’œil, ne détruit en aucune manière leur mérite réel. Règle générale, il vaut mieux employer des quartiers que des échalas de taillis pour le premier & le second cas ; ils sont plus chers, j’en conviens, mais on regagne, par l’usage, cette dépense qui d’abord paroît excessive.

Les pins, les jeunes sapins, les peupliers, soit blancs, soit noirs ; les saules, les mûriers, les arbres fruitiers, &c. fournissent les échalas de la seconde classe, ainsi que les buis, lorsqu’on est assez heureux d’en avoir à bon compte.

Le cormier, le sureau, le noisetier & ceux qu’on vient de nommer, donnent les échalas de la seconde classe.

II. Des préparations des échalas en général, & sur-tout des premiers & seconds. Par-tout je les ai vu employés tels qu’on les abat de l’arbre. Une simple précaution, & un travail fait pendant l’hiver augmenteroient leur durée. Elle consiste, aussitôt que les échalas sont arrivés, de leur faire enlever l’écorce, de les appointir aussitôt & de les passer au feu, sur-tout la pointe, de manière que la partie extérieure soit noircie & même légèrement charbonneuse. Si on est assez riche pour se procurer les échalas d’une année d’avance, après les avoir écorcés, on les tiendra sous un hangar dans un lieu sec, & droits contre le mur ; je réponds qu’avec ces précautions ils dureront beaucoup. L’écorce contribue singulièrement à les faire pourrir ; tantôt sèche, tantôt humide, suivant la saison, elle se détache peu à peu du bois ; & jusqu’à ce qu’elle en soit entièrement séparée, ce qui arrive après la première ou la seconde année ; les insectes déposent leurs œufs dans sa substance, l’œuf éclos, & le ver qui en provient, ronge, creuse des galeries & se nourrit de la substance du bois. Ces gerçures de l’écorce servent de retraite à une infinité d’insectes, qui sortent ensuite pour aller, les uns dévorer les feuilles, les autres les fleurs ou les raisins ; un seul coup-d’œil suffit pour se convaincre de ce que j’avance, relativement aux insectes ; & pour avoir des preuves décisives de la nécessité d’écorcer, consultez le mot Aubier. On sait que le bois réduit en charbon & mis en terre, s’y conservera pendant des siècles. La partie extérieure de l’échalas, passée au feu & un peu charbonneuse, augmente sa durée : l’expérience & la comparaison sont faciles à faire.

Les mêmes préparations conviennent aux échalas du troisième ordre : c’est vouloir s’aveugler sur ses propres intérêts que de s’y refuser. Ils sont moins chers, j’en consens, que les premiers ; mais, si sur trois années on en gagne une, n’est-ce pas déjà une grande économie, & la dépense, pour les écorcer & les passer au feu, équivaudra-t-elle jamais celle de l’achat, sans cette précaution indispensable à la troisième année ? La diminution d’une dépense qui se renouvelle est un grand point. Je sais que le vigneron se refusera à cette pratique, sur-tout si, dans le marché fait avec lui, on cède les débris des vieux échalas, ou seulement ce que l’on coupe à leur base lorsqu’il faut les aiguiser de nouveau. Payez-le mieux, & ne donnez jamais aucun bois quelconque ; c’est le parti le plus prudent. Il est clair que pour avoir quelques fagots de plus, il aiguisera son échalas cinq ou six pouces plus haut que le besoin l’exige, & pour multiplier les petits débris il en soumettra de très-bons à ce qu’il nomme l’épreuve : elle consiste à tenir d’une main l’échalas par la partie supérieure, & de frapper de l’autre avec le dos de la goye sur la partie du milieu, de manière qu’étant, pour ainsi dire, en équilibre & très-sec, le bois se partage & se rompt en esquilles, en un ou plusieurs morceaux. Vous examinez ensuite le monceau des débris, & il paroît effectivement que le tout mériteroit d’être mis au rebut, & je vous dis à mon tour, que sans cette épreuve, plus du tiers auroit encore servi pendant une année.

III. Du fichage des échalas. J’ai déjà dit que ceux du premier & du second genre, une fois plantés, n’étoient plus arrachés de terre, à moins que la partie enfoncée ne fût pourrie. Il n’en est pas de même de ceux du troisième genre ; chaque année on les enlève.

Pour suivre l’opération, supposons un échalas neuf, on l’écorce, on l’aiguise, on le flambe, & à force de bras on l’enfonce dans la terre, & la dernière opération est mal-faite, sur-tout quand les vignes sont travaillées & payées à façon ; même à journées l’ouvrage ne vaut guère mieux, parce que l’ouvrier n’a réellement d’autre intérêt que celui de sa journée ; il lui importe que la besogne paroisse faite, & voilà tout. Je demande donc qu’on ait une aiguille ou levier de fer, long de quatre à cinq pieds, d’un pouce & demi de diamètre, & dont l’extrémité inférieure soit arrondie & pointue. Avec cette barre de fer on ouvrira un trou à une profondeur proportionnée à la grandeur & à la grosseur de l’échalas, & on l’y plantera suivant la direction qu’il doit avoir. Aussitôt après, avec le même instrument, on tassera la terre tout autour du pied, & il sera solidement établi. Lorsqu’on le plante à force de bras, & par le poids du corps, on ne l’enfonce jamais si profondément ; une pierre suffit & empêche son enfoncement ; on dérange sa direction, & si l’échalas porte à faux, on en casse beaucoup. Il est démontré qu’en suivant la première méthode, un travailleur plante un bien plus grand nombre du premier & du second genre que dans le second, & que le travail est infiniment plus solide.

Ceux du troisième genre exigeant moins de solidité, peuvent être fichés à force de bras après les avoir aiguisés. Dans plusieurs cantons ils ont une grandeur déterminée, & leur grosseur est, à peu de chose près, aussi forte dans le haut que dans le bas. On les aiguise par les deux bouts, de sorte que le bout enterré cette année formera l’extrémité supérieure l’année suivante ; par ce moyen, l’échalas s’use également dans le haut comme dans le bas : cette pratique a son mérite.

Aussitôt après la récolte, on déchalasse les vignes du troisième genre ; les uns sont rangés dans la vigne même, en moière ou en bauge, suivant les cantons. Pour établir la moière, on choisit quatre forts échalas, on les fiche en terre, à une distance égale les uns des autres, ensuite, de chaque côté, on en réunit deux par le milieu, de manière qu’ils ressemblent à une croix de Saint-André & forment un chevalet. Sur les branches supérieures de ce chevalet sont placés les échalas, & ces chevalets sont multipliés en raison du nombre des échalas de la vigne. Pour la bauge, l’arrangement est différent, l’échalas est planté presque verticalement sur le sol, & une certaine quantité réunie forme une circonférence d’un plus grand diamètre à sa base qu’à son sommet ; cette seconde méthode vaut mieux que la première, parce que l’eau de la pluie coule le long de l’échalas, & concentre dans la masse le moins d’humidité. Il existe, il est vrai, un très-grand courant d’air au tour de la moière ; malgré cela, l’humidité se concentre dans le tas. Je ne sais s’il ne vaudroit pas beaucoup mieux transporter tous les échalas au logis, & les placer sous des hangars ; enfin, choisir pour ce transport le moment où ils seront le plus secs : c’est multiplier les frais, puisqu’il faudra les porter de nouveau à la vigne, mais la grande durée qu’on leur assure ne dédommageroit-elle pas de la dépense ? C’est une expérience à tenter & que je ne suis pas à même de faire. Les pays de vignobles sont communément peu pourvus de bois à brûler, & ces pays sont les plus peuplés du royaume, & ordinairement les pauvres y fourmillent : le froid survient ; les ressources manquant, il faut se chauffer, & les moières & les bauges sont pillées. Si celui qui façonne la vigne d’un bourgeois, est lui-même propriétaire d’une autre vigne, soyez assuré qu’il choisira les meilleurs échalas, les portera sur son sol, & rapportera les siens les plus mauvais. Il trouve dans cette fripponnerie un double avantage. 1o. Il n’achète point ou presque point d’échalas neufs pour remplacer les vieux, 2o. Lorsque le temps du fichage viendra, il y aura chez le bourgeois une grande quantité de rebut, & par conséquent de bois de chauffage. Propriétaires, c’est à vous d’y veiller. Dans certaines provinces l’échalas est nommé peyssau ; on dit peysseler une vigne, la dépeysseler.