Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8707

8707. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 11 décembre.

Madame, votre oiseau qu’on appelle flamant ressemble assez aux caricatures que mon ami M. Huber a faites de moi ; il m’a donné le cou et les jambes, et même un peu de la physionomie de ce prétendu héron blanc. Je me doutais bien que jamais Pierre le Grand n’avait payé un pareil tribut au seigneur de Stamboul.

On doit assurément un tribut de louanges à Votre Majesté impériale, pour vos beaux établissements de garçons et de filles. Je ne sais pas pourquoi on ose encore parler de Lycurgue et de ses Lacédémoniens, qui n’ont jamais rien fait de grand, qui n’ont laissé aucun monument, qui n’ont point cultivé les arts, qui sont depuis si longtemps esclaves des barbares que vous avez vaincus pendant quatre années de suite.

La lettre qui est venue dans le paquet de la part de M. de Betzky est bien précieuse ; je la crois de notre Falconet[1] ; mais ce que Votre Majesté impériale a daigné m’écrire[2] sur votre institution du plus que Saint-Cyr est bien au-dessus de la lettre imprimée de Falconet, qui pourtant est bonne.

Étant né trop tôt, et ne pouvant être témoin de tout ce que fait ma grande impératrice, j’ai saisi l’occasion de lui envoyer ce jeune baron de Pellemberg, qui est un tiers d’Allemand, un tiers de Flamand et un tiers d’Espagnol, et qui voulait changer ces trois tiers pour une totalité russe. Je ne le connais, madame, que par son enthousiasme pour votre personne unique ; je ne l’ai vu qu’en passant : il m’a demandé une lettre, j’ai pris la liberté de la lui donner, comme j’en donnerai, si vous le permettez, à quiconque voudra faire le pèlerinage de Pétersbourg par une pure dévotion pour sainte Catherine II.

On me dit une triste nouvelle[3] pour moi, que ce Polianski, que Votre Majesté impériale a fait voyager, et dont j’ai tant aimé et estimé le caractère, s’est noyé dans la Néva, en revenant à Pétersbourg ; si cela est, j’en suis extrêmement affligé. Il y aura toujours des malheurs particuliers, mais vous faites le bonheur public. Le mien est dans les lettres dont vous m’honorez. J’attends la comédie[4] ; je la ferai jouer dans ma petite colonie le jour que je ferai un feu de joie pour la paix de Fokschan ou de Bucharest, supposé que vous gardiez par cette paix trois ou quatre provinces, et l’empire de la mer Noire. Mais je proteste toujours contre toute paix qui ne vous donnera pas Stamboul. Ce Stamboul était l’objet de mes vœux, comme sainte Catherine II l’objet de mon culte. Puisse ma sainte goûter toutes les sortes de plaisirs, comme elle a toute sorte de gloire !

Le vieux Malade de Ferney, qui n’a ni gloire ni plaisir.

  1. Voyez dans les Œuvres de Falconet, tome VI, pages 248-63, opuscule intitulé Petit Différend.
  2. Le 3 avril ; lettre 8512.
  3. Cette nouvelle était fausse ; voyez lettre 8723.
  4. Voyez lettre 8649.