Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8723

8723. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
Le 3 janvier.

Madame, je serais bien fâché qu’on ne fût pas philosophe vers la Norvège. Cette équipée me paraîtrait fort prématurée ; elle pourrait fournir quelques nouveaux lauriers à votre couronne ; mais ils sont un peu secs dans cette partie du monde, et je les aimais mieux vers le Danube.

Ma philosophie pacifique prend la liberté de présenter à Votre Majesté impériale une consultation. Sous Pierre le Grand, votre académie demandait des lumières, et on a recours aux siennes sous Catherine la Grande.

C’est un ingénieur un peu Suisse comme moi, qui cherche à prévenir les ravages que font continuellement les eaux dans les branches de nos Alpes. Il a jugé que vous vous connaissez encore mieux en glace que nous. Il est vrai pourtant qu’avec notre quarante-sixième degré, et la douceur inouïe de notre présent hiver, nous éprouvons quelquefois des froids aussi cruels que les vôtres. J’ai imaginé de faire passer cette consultation par vos très-belles mains, dont on m’a tant parlé, et que mon extrême jeunesse et mon respect me défendent de baiser.

Cet ingénieur, nommé Aubry, mourra d’ailleurs de la jaunisse s’il n’est pas associé à l’académie ; j’ai l’honneur d’en être depuis longtemps de qui emploierai-je la protection, si ce n’est de notre souveraine ?

M. Polianski[1] m’apprend qu’il n’est point noyé, comme on l’avait dit ; qu’au contraire il est dans le port, et que Votre Majesté l’a fait secrétaire de l’académie. Je présume que vous pourrez avoir la bonté de lui donner la consultation. Nous avons assez près de nous Notre-Dame-des-Neiges, que j’aurais pu employer dans cette affaire qui la regarde ; mais je ne prie jamais que Notre-Dame de Pétersbourg, dont je baise les pieds en toute humilité avec la plus sincère dévotion.

  1. Voyez lettre 8707.