Commentaire sur la deuxième Épître de saint Paul à Timothée

Œuvres complètes de Saint Jean Chrysostome (éd. M. Jeannin, 1866)

COMMENTAIRE
SUR LA DEUXIÈME ÉPÎTRE A TIMOTHÉE.


HOMÉLIE PREMIÈRE.

PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST, PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, SELON LA PROMESSE DE LA VIE QUE NOUS AVONS EN JÉSUS-CHRIST : À TIMOTHÉE, SON FILS BIEN-AIMÉ, GRÂCE, MISÉRICORDE ET PAIX DE LA PART DE DIEU LE PÈRE ET DE JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR. (I, 1-2 JUSQU’À 7)

Analyse.
  1. Tendresse de saint Paul pour son disciple Timothée.
  2. Foi héréditaire dans la famille de Timothée. – La grâce est en nous comme un feu qu’il dépend de nous de laisser s’éteindre ou de ranimer.
  3. et 4. Que l’homme n’est jamais exempt de peines et de soucis.

1. Pourquoi cette seconde lettre à Timothée ? L’apôtre avait dit : « J’espère aller vous trouver « bientôt ». (1Ti. 3,14) C’est qu’il ne put le faire. Il le console donc par ses lettres, ne pouvant pas le consoler par sa présence. Timothée était peut-être affligé de l’absence de son maître, et aussi de ce qu’il lui avait fallu se charger du gouvernement des âmes. Si grand et si capable que l’on soit, dès qu’on met la main au timon pour gouverner le vaisseau de l’Église, on éprouve un embarras étrange à la vue des difficultés qui se soulèvent de toutes parts comme les flots de la mer. Il devait surtout en être ainsi alors que l’on n’était qu’au début de la prédication, alors que tout était encore à faire, alors que l’on ne rencontrait qu’hostilités et périls. Ce n’est pas tout, les hérésies commençaient à se montrer, produites par les docteurs du judaïsme ; saint Paul le dit : expressément dans sa première épître. Ici il ne console pas seulement son disciple par sa lettre, mais encore il l’appelle près de lui « Hâtez-vous », lui dit-il, « devenir me trouver promptement » ; et : « En venant, apportez mes livres et surtout mes papiers ». (2Ti. 4,8, 13) Je crois qu’il a écrit cette lettre vers la fin de sa vie : « Je suis », dit-il, « comme une victime qui a déjà reçu l’aspersion » ; et encore : « Dès la première fois que j’ai défendu ma cause, personne ne m’a assisté ». (2Ti. 4,6, 16) Mais il trouve un remède à tout cela, et c’est de ses épreuves elles-mêmes qu’il tire la consolation, et il dit : « Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, selon la promesse de la vie qui est en Jésus-Christ ». Dès les premiers mots de sa lettre il relève l’âme de son disciple. C’est comme s’il disait : Ne me parlez pas des dangers d’ici-bas ; ils ne font que nous procurer la vie éternelle qui ne connaît pas les maux, d’où sont bannis la peine, le chagrin et les larmes. Dieu ne nous a pas faits apôtres seulement afin que nous courions des dangers, mais afin que nous mourions après avoir souffert. Raconter ses maux tout au long, c’eût été ajouter au chagrin de Timothée, loin de le consoler ; aussi commence-t-il sa lettre par des paroles de consolation : « Selon la promesse de vie qui est en Jésus-Christ ».

Puisqu’il s’agit d’une promesse de vie, attendez-en l’effet non ici-bas, mais pour plus tard. « Une espérance qui se verrait ne serait plus une espérance ». (Rom. 8,24) – « A Timothée, son fils bien-aimé ». Non seulement « à son fils » mais « à son fils bien-aimé ». On peut être un fils et n’être pas un fils bien-aimé. Mais tel n’est pas Timothée, et Paul ne l’appelle pas seulement son fils, mais son fils bien-aimé. Aux Galates aussi il donne le nom de fils, et néanmoins il s’afflige sur leur compte. « Mes petits enfants », leur dit-il, « que j’enfante de nouveau ». (Gal. 4,19) L’apôtre rend donc un grand témoignage à la vertu de Timothée en l’appelant son bien-aimé. C’est que la tendresse, lorsqu’elle ne vient pas de la nature, vient de la vertu. Ceux qui nous doivent la vie ne sont pas seulement nos bien-aimés par leur vertu, mais encore par l’impulsion de la nature. Mais nos fils selon la foi ne sont pas nos bien-aimés autrement que par la vertu. D’où pourrait venir en effet notre tendresse pour eux ailleurs que de là ? Cela est surtout vrai de saint Paul qui ne faisait rien par pure inclination. Ce mot, « mon fils bien-aimé », montre encore que si saint Paul n’a pas été voir son disciple, ce n’est pas qu’il soit fâché contre lui, ni qu’il le méprise, ni qu’il le blâme.

« Grâce, miséricorde, paix de la part de Dieu et de la part de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». C’est le même souhait qu’il avait déjà fait auparavant. Ces mots l’excusent de ce qu’il n’est pas venu voir Timothée. Car en lui disant dans sa première lettre (1Ti. 4,13 et 3, 14), « en attendant que je vienne », et : « Je me hâte d’aller à vous promptement », il lui avait donné l’assurance qu’il viendrait bientôt. C’est donc à ce sujet qu’il s’excuse tout d’abord. Quant à la cause qui l’a empêché de partir, il ne l’indique pas aussitôt pour ne pas trop affliger Timothée : cette cause, c’était qu’il était retenu captif par César. Il ne l’a dit qu’à la fin de sa lettre lorsqu’il appelle son disciple auprès de lui. Il se garde de l’affliger dès le début, il lui laisse même espérer qu’il le verra. « Je désire vous voir », dit-il en commençant, et il dit en finissant : « Hâtez-vous de venir vers moi promptement ». Dès le début donc il le relève de sa profonde tristesse, et il continue par des compliments. « Je rends grâces à Dieu que je sers depuis mes ancêtres avec une conscience pure, de ce que sans cesse je fais mémoire de vous dans mes prières de nuit et de jour, désirant de vous voir, me souvenant de vos larmes, afin que je sois rempli de joie ».

Je rends grâces à Dieu de ce que je me souviens de vous, dit-il, tant je vous aime, C’est aimer extrêmement que d’aimer jusqu’à se faire honneur de son amitié. – « Je rends grâces », dit-il, « au Dieu que je sers ». Comment ? « Avec une conscience pure depuis mes ancêtres ». Sa conscience était toujours restée sans atteinte. Il veut parler ici de sa vie ; chez lui le terme de conscience se dit toujours de la vie bonne ou mauvaise. Ou bien encore il veut dire : Nul motif humain ne m’a jamais fait trahir rien de ce que j’ai regardé et désiré comme un bien, même lorsque j’étais persécuteur. C’est dans le même sens qu’il dit : « Mais j’ai obtenu miséricorde parce que j’ai agi en état d’ignorance et d’incrédulité », (1Ti. 1,13) C’est presque dire : Ne soupçonnez rien de malicieux dans ma conduite : grande recommandation pour son caractère, et qui ne permettra pas qu’on se défie le moindrement de son amitié. C’est comme s’il disait : Je ne mens pas, je ne suis pas autrement que je ne dis. Il fait ici son propre éloge parce qu’il y est forcé, comme quelque part dans le livre des Actes. Comme on l’accusait d’être un factieux et un novateur, il parle ainsi : « Et Ananie me dit : le Dieu de nos pères t’a choisi d’avance pour connaître sa volonté, et pour voir le Juste, et entendre la voix de sa bouche, parce que tu seras son témoin devant tous les hommes, des choses que tu as vues et entendues ». (Act. 2,14) De même ici c’est avec raison que, pour ne point passer pour un homme sans amitié comme sans conscience, il fait son propre éloge et qu’il dit : « Sans cesse je fais mémoire de vous », et non pas simplement, mais, « dans mes prières ». C’est-à-dire, la prière est mon occupation, j’y consacre tout mon temps. Il le déclare en disant : La nuit et le jour j’invoquais Dieu à ce sujet, « je désirais vous voir » : Voyez-vous quel ardent désir ! quel excès de tendresse ! Voyez-vous aussi l’humilité de l’apôtre, qui s’excuse auprès de son disciple ? Il montre ensuite qu’il n’agit pas sans raison ni au hasard ; il l’a déjà montré, et il le montre encore ici, car il dit : « Me souvenant de vos larmes ». Il est vraisemblable que, séparé de son ami, il pleurait ; il gémissait plus qu’un enfant que l’on sépare de la mamelle de sa nourrice et que l’on sèvre de son lait. – « Afin que je sois comblé de joie ; je désire vous voir ». Je ne me serais donc pas privé moi-même d’un tel plaisir. Quand je serais un être insensible, cruel, une bête féroce, le souvenir de vos larmes m’aurait encore fléchi. Mais je ne suis pas tel, au contraire, je sers Dieu avec une conscience pure. Bien des motifs donc me poussaient vers vous. Et alors il pleurait. Il énonce encore une autre raison qui emporte avec soi la consolation : « En me rappelant », dit-il, « votre foi qui est si sincère ».

2. Il ajoute ensuite un autre éloge, savoir que Timothée ne sort pas du milieu des païens, ni des infidèles, mais d’une famille qui sert depuis longtemps le Seigneur. « Foi » ; dit-il, « qui a été premièrement en Loïde, votre aïeule, et Eunice, votre mère ». Timothée était fils d’une juive fidèle. Comment juive ? comment fidèle ? Elle n’était pas de la race des gentils. Ce fut à cause de son père qui était gentil et à cause des juifs qui étaient en ces lieux, que Paul le prit et qu’il le circoncit. Voyez-vous comme la loi de Moïse commençait à n’être plus observée, puisque ces unions entre juifs et gentils avaient lieu ? Remarquez aussi comme saint Paul prouve surabondamment à son disciple qu’il n’a eu pour lui aucun mépris : Je sers Dieu, j’ai une conscience droite, vos larmes me touchent, etc. Ce n’est pas seulement à cause de vos larmes que je désire vous voir, mais encore à cause de votre foi ; parce que vous êtes un ouvrier de vérité, et qu’il n’y a pas de fraude en vous. Lors donc que vous vous montrez si digne d’être aimé, étant vous-même si aimant, étant un si sincère disciple de Jésus-Christ, lorsque je ne suis pas moi-même du nombre des insensibles, mais du nombre de ceux qui aiment la vérité, qu’est-ce qui m’aurait empêché de vous aller voir ? – « Foi que je suis très-persuadé que vous avez aussi ». Cette foi est chez vous un bien héréditaire, vous la tenez de vos ancêtres et vous la gardez dans toute sa pureté : Les avantages de nos ancêtres sont les nôtres, lorsque nous partageons leurs vertus, si non, ils sont nuls pour nous ou plutôt ils servent à notre condamnation. Voilà pourquoi l’apôtre ajoute ces mots : « J’ai la certitude que cette foi est aussi en vous ». Ce n’est pas de ma part une conjecture, mais j’en ai la persuasion et la certitude. Si donc il n’y a rien d’humain dans votre foi, rien non plus ne pourra l’ébranler.

« C’est pourquoi je vous avertis de rallumer ce feu de la grâce de Dieu que vous avez reçue par l’imposition de mes mains ». Ces paroles montrent que celui à qui elles s’adressent est dans un grand abattement et dans une affliction extrême. C’est presque dire : Ne croyez pas que je vous aie méprisé. Sachez bien au contraire que je ne vous ai ni condamné ni oublié. Songez seulement à votre aïeule et à votre mère. Parce que je sais que vous avez une foi sincère, je vous avertis et je vous dis : Vous avez besoin de zèle pour rallumer le feu de la grâce de Dieu. Comme le feu a besoin de bois pour l’alimenter, de même la grâce a besoin de notre zèle pour ne pas s’éteindre. – « Je vous avertis de rallumer ce feu de la grâce de Dieu que vous avez reçue par l’imposition de mes mains », c’est-à-dire la grâce du Saint-Esprit que vous avez reçue pour le gouvernement de l’Église, pour les signes miraculeux et pour tout le service de Dieu. Car il dépend de nous d’allumer comme d’éteindre ce feu. Aussi l’apôtre dit-il dans un autre endroit : « N’éteignez pas l’Esprit ». (1Th. 5,19) Il s’éteint par la nonchalance et la lâcheté, et il s’embrase de plus en plus par la vigilance et l’attention. Il est en vous ce feu, mais il vous appartient de le rendre plus vif ; c’est-à-dire alimentez-le avec la confiance, la joie et l’allégresse. Résistez courageusement.

« Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité ; mais un esprit de courage, d’amour et de sagesse ». C’est-à-dire, nous n’avons pas reçu l’Esprit pour vivre contractés par la peur, mais pour parler avec hardiesse. Car il donne à beaucoup l’esprit de la peur, comme il est dit dans les livres des Rois à propos des guerres. « Et l’esprit de terreur », est-il dit « tomba sur eux ». (Exo. 15,16) C’est-à-dire, il leur inspira de la terreur. Mais vous, au contraire, il vous a donné l’esprit de force et d’amour pour lui. C’est donc là un effet de la grâce, mais non de la grâce seule ; il faut que nous commencions par faire ce qui dépend de nous. Cet Esprit qui fait que nous crions « Abba, notre Père », nous inspire aussi l’amour pour lui, et l’amour pour le prochain, afin que nous nous aimions les uns les autres. Car de la force et de l’intrépidité naît la charité. Rien ne dissout l’amitié comme la timidité et l’appréhension de trahison. – « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité, mais un esprit d’amour, de force et de sagesse ». Il entend par sagesse le bon état de la pensée et de l’âme, ou encore il veut dire que l’Esprit nous rend sages, et qu’il nous maintient dans la sagesse, quoiqu’il arrive et qu’il retranche le superflu. Soyons donc sans douleur dans les maux qui nous arrivent, c’est en quoi consiste la sagesse. « Ne vous hâtez point », est-il dit, « au temps de l’obscurité ». (Sir. 2,2) Beaucoup trouvent le chagrin sans sortir de leur maison. Nous avons cela de commun que nous sommes tous dans le chagrin, mais nous différons par les causes de nos douleurs. La peine vient à celui-ci de sa femme, à celui-là de son enfant, à un autre d’un serviteur, à un autre d’un ami, à un autre d’un ennemi, à un autre d’un voisin, à un autre enfin d’une perte qu’il a faite. Les causes de nos peines sont nombreuses et diverses. Il est complètement impossible de trouver quelqu’un qui soit exempt de peine et d’ennui ; l’un en a plus, l’autre moins. Ne nous révoltons donc point, et soyons persuadés que nous ne sommes pas seuls dans la peine.

3. Il n’est pas possible, quand on est homme et que l’on est encore dans cette vie fugitive d’ici-bas, que l’on soit sans chagrin. Si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain, si ce n’est pas demain, ce sera plus tard que viendra le chagrin. De même que l’on ne peut être sans crainte lorsqu’on navigue sur une grande mer, de même il est impossible, tant qu’on est dans cette vie, de ne pas éprouver de dégoût et de peine ; je n’excepte pas le riche. Car puisqu’il est riche, nécessairement beaucoup d’occasions sollicitent sa concupiscence. Je n’excepte pas le roi. Car lui-même subit la domination de beaucoup de choses ; il ne mène pas tout à son gré ; que de choses contrarient sa volonté ! C’est l’homme du monde qui fait le moins ce qu’il voudrait. Pourquoi ? Parce que beaucoup veulent prendre part à ce qu’il fait. Or, songez dans quel abattement il est lorsqu’il veut faire quelque chose et qu’il ne le peut par crainte, par méfiance, à cause des ennemis, à cause des amis. Souvent, lorsqu’il entreprend quelque chose qui lui plaît, il perd tout le plaisir qu’il y trouve par le grand nombre de ceux qui lui font de l’opposition.

Mais quoi ! pensez-vous que du moins ceux qui mènent une vie inoccupée soient exempts de soucis ? Il n’en est pas ainsi. L’homme ne peut pas plus être exempt de chagrin qu’exempt de mourir. Combien de désagréments ils endurent nécessairement, que notre discours ne peut vous dévoiler, mais que leur expérience leur fait si bien connaître ! Combien ont souhaité la mort au sein même des richesses et des délices ! Car les délices ne mettent pas toujours à l’abri de la douleur. Ou plutôt les délices produisent mille peines, des maladies, des dégoûts. Et même sans cela le chagrin naît de lui-même et sans cause. L’âme en cet état se sent chagrine sans savoir pourquoi. Les médecins disent qu’un estomac malade cause des chagrins hors de propos. N’est-ce pas là ce qui nous arrive lorsque nous sommes chagrins sans que nous en sachions le motif ? En un mot vous ne trouverez personne qui soit sans chagrin. L’homme qui a moins sujet de se chagriner que nous, s’imagine encore avoir raison de s’affliger autant que nous ; parce que ce qui nous touche nous affecte plus que ce qui nous est étranger. Ceux qui souffrent en quelque partie de leur corps se croient toujours les plus affligés du monde ; celui qui a mal aux yeux par exemple croit bien qu’il n’y a pas de douleur comparable aux mal d’yeux. A son tour celui qui souffre de l’estomac regarde ce mal comme le plus cruel de tous. Enfin chacun tient pour le pire des maux celui dont il est affligé. Il en est de même du chagrin ; le plus cruel, au jugement de chacun, est toujours le sien propre. On en juge par son expérience personnelle.

Celui qui n’a pas d’enfant ne voit rien de plus malheureux que de n’avoir pas d’enfant. Celui au contraire qui en a beaucoup et qui est pauvre ne trouve rien de pénible comme d’avoir une famille nombreuse, celui même qui n’en a qu’un dira qu’il n’est rien de pire que de n’en avoir qu’un ; parce qu’il devient paresseux et qu’il cause à son père un continuel chagrin ; parce qu’on l’aime à l’excès et que c’est rare s’il tourne bien. Celui qui a une belle femme dit qu’il n’est rien de pire que d’avoir une belle femme. C’est une source de défiance et de périls. Celui qui en a une laide dit que rien n’est pire que d’avoir une laide femme, c’est un objet de dégoût. Le simple particulier ne trouve rien de plus inutile et de plus insipide que sa vie. Le soldat ne voit rien au monde de plus fatiguant et de plus périlleux que le service militaire. Il vaudrait mieux, à l’entendre, vivre au pain et à l’eau que d’avoir tant de rudes travaux à supporter. Celui qui est au pouvoir trouve que ce qu’il y a de plus fâcheux c’est d’avoir à s’occuper des intérêts des autres. Le sujet regarde comme une intolérable servitude la soumission où il se trouve à l’égard du prince.

L’homme marié ne voit rien de pire qu’une femme et que le souci qu’elle donne. Celui qui ne l’est pas ne voit rien de plus triste pour un homme comme il faut que de n’avoir ni femme, ni maison, ni intérieur. Le marchand trouve heureux le laboureur dans sa sécurité ; le laboureur trouve heureux le marchand qui s’enrichit. En somme, l’espèce humaine n’est jamais satisfaite, toujours elle se plaint, toujours elle se chagrine. Entendez chaque individu accuser la condition humaine et dire : Ce n’est rien que l’homme, l’homme est un animal condamné au travail et à la peine. Combien envie la vieillesse ? Combien d’autres ne voient rien d’heureux que la jeunesse ? Tant il y a de tristesse en chaque âge ! Lorsqu’on nous trouve trop jeunes, nous disons : Hélas ! pourquoi ne sommes-nous pas plus âgés ? Et puis, quand notre tête blanchit, on nous entend dire : Où donc la jeunesse s’est-elle envolée ? En un mot nous avons mille sujets de chagrins. Il n’existe qu’une seule voie où ces anomalies ne se rencontrent pas, c’est celle de la vertu. Ou plutôt celle-là aussi a ses chagrins, mais chagrins utiles, avantageux, féconds. Ou bien l’on a péché, et touché de componction, on efface ses péchés par ses larmes. Ou bien on compatit à la chute d’un frère, et en le faisant on obtient une récompense considérable. Car Dieu réserve une grande récompense à ceux qui compatissent aux maux de leurs frères.

4. Écoutez toutes les sages paroles de l’Écriture au sujet de Job. Écoutez aussi saint Paul « Pleurer », dit-il, « avec ceux qui pleurent », et : « Condescendre à la faiblesse ». (Rom. 12,15-16) Partager les chagrins des autres c’est un bon moyen d’y remédier. Quand un homme porte un pesant fardeau, si vous l’aidez vous le soulagez d’autant ; il en est de même des fardeaux de l’âme. Quand nous perdons quelqu’un des nôtres, nous ne manquons pas de gens qui nous consolent. Qu’une bête de somme vienne à tomber, nous la relevons, et quand ce sont les âmes de nos frères qui tombent, nous passons avec indifférence. Si nous voyons notre prochain entrer dans un mauvais lieu, nous ne lui barrons point le passage. Si nous le voyons s’enivrer, ou faire n’importe quelle autre action déshonnête, nous ne l’empêchons pas, au contraire, nous faisons comme lui. « Non-seulement », dit saint Paul, « ils font les mêmes choses, mais encore ils approuvent ceux qui les font ». On s’associe pour boire et s’enivrer. Associez-vous, ô hommes, mais que ce soit pour proscrire la folie de l’ivresse. Associez-vous pour secourir les captifs et les infortunés. Saint Paul recommandait la même chose aux Corinthiens, en leur disant de faire des collectes pour les pauvres. (1Co. 16,2) Mais aujourd’hui nous faisons tout en commun pour l’ivresse, les délices et la volupté, lit commun, table commune, vin commun, dépense commune : mais l’aumône, personne ne s’associe pour la faire. C’est ce qu’on aimait à faire au temps des apôtres, les fidèles mettaient en commun tout ce qu’ils possédaient. Je ne vous commande pas de tout mettre en commun ce que vous avez, mais seulement une portion. « Que chacun », dit l’apôtre, « mette de côté, le dimanche, ce qu’il pourra donner ». (Id) C’est-à-dire, que chacun paie comme un tribut, pour les sept jours de la semaine, et donne l’aumône plus ou moins généreusement. Car en agissant de la sorte « vous ne paraîtrez pas les mains vides devant le Seigneur ». (Exo. 23,15) Si l’on recommandait cela aux juifs, à plus forte raison doit-on le recommander aux chrétiens. Des pauvres se tiennent à l’entrée de nos églises afin que personne n’y entre les mains vides, mais pleines d’aumônes distribuées. Vous entrez ici pour obtenir la pitié, ayez d’abord pitié vous-même de votre prochain. Qui entre plus tard doit davantage. Lorsque nous aurons commencé à nous acquitter, celui qui se présentera ensuite aura davantage à donner. Faites de Dieu votre débiteur ; puis ensuite priez-le. Prêtez d’abord, puis réclamez et vous recevrez capital et intérêts. C’est là ce que Dieu désire, loin qu’il s’y refuse. Si vous l’implorez par l’aumône il vous en sait gré. Faire l’aumône, c’est prêter à intérêt. Faites ainsi, je vous y exhorte. Il nie suffit, pas de tendre ses mains pour être exaucé. Tendez vos mains, mais vers : les mains de vos frères plutôt encore que vers le ciel. En tendant votre main vers les mains des, pauvres, vous atteignez au plus haut du ciel : Car c’est celui qui trôné là-haut qui reçoit l’aumône. Tendre ses mains vides, c’est les tendre inutilement. Dites-moi, si le roi s’approchant de vous revêtu de la pourpre, vous demandait quelque chose, ne lui donneriez-vous pas aussitôt tout ce que vous possédez ? Maintenant ce n’est pas un roi de la terre, mais le roi du ciel qui vous implore par la voix des pauvres, et vous l’accueillez par le dédain, et tout au moins vous hésitez à donner ! Quel châtiment ne méritez-vous pas ? Il ne dépend pas de l’élévation de nos mains ni de la multitude de nos paroles que nous soyons exaucés, mais de nos bonnes œuvres. Écoutez, le Prophète vous dire : « Lorsque vous élèverez vos mains, je détournerai de vous mes yeux, et si vous multipliez vos prières, je ne vous écouterai point ». (Isa. 1,15) Au lieu de se taire et de ne pas même oser regarder le ciel, le pécheur parle souvent avec beaucoup de confiance et longuement. « Mais » dit Dieu par le même prophète, « jugez en faveur de l’orphelin et de l’opprimé, faites justice à la veuve, et apprenez à faire le bien ». C’est ainsi que nous pourrons être exaucés sans avoir même besoin d’élever nos mains, de rien dire, de rien demander. Efforçons-nous donc d’agir ainsi, afin que nous obtenions les biens qui nous sont promis. Ainsi soit-il.




HOMÉLIE II.


NE ROUGISSEZ DONC POINT DE NOTRE-SEIGNEUR QUE VOUS DEVEZ CONFESSER, NI DE MOI QUI SUIS SON CAPTIF. MAIS SOUFFREZ AVEC MOI POUR L’ÉVANGILE SELON LA FORCE DE DIEU QUI NOUS A SAUVÉS ET NOUS A APPELÉS PAR SA VOCATION SAINTE, NON SELON NOS ŒUVRES, MAIS SELON SA VOLONTÉ ET SELON LA GRACE, QUI NOUS A ÉTÉ DONNÉE EN JÉSUS-CHRIST AVANT TOUS LES SIÈCLES ; ET QUI A PARU MAINTENANT PAR L’AVÈNEMENT DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. (I, 8-10 JUSQU’À 13.)



Analyse.
  1. Ne pas rougir de la croix, de notre Sauveur, ni des liens de saint Paul captif pour Jésus-Christ.
  2. De l’obéissance due aux pasteurs des âmes.
  3. S’examiner soi-même et non les autres.
  4. La dignité du sacrifice Eucharistique ne dépend pas de l’homme qui l’offre. – Jésus-Christ est vraiment dans l’Eucharistie.

1. Rien n’est pire que de prendre les raisonnements humains pour règle et pour mesure des choses divines. Quiconque le fera tombera nécessairement du rocher de la foi et sera privé de la lumière. Si les yeux de notre corps ne peuvent supporter les rayons du soleil, s’il est vrai qu’il y aurait péril pour nous à vouloir fixer nos regards sur cet astre ; combien plus celui, qui voudrait fixer le faible regard de sa raison sur la lumière éternelle n’en serait-il pas ébloui, sans compter qu’il outragerait le don de Dieu ? Voyez Marcion, Manès et Valentin et, tous ceux qui ont introduit des hérésies et des doctrines de mort dans l’Église de Dieu ; c’est pour avoir voulu mesurer les choses de Dieu à la règle des raisonnements humains qu’ils ont tous eu honte de confesser le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption. Cependant rien n’est plus glorieux que la croix de Jésus-Christ, bien loin qu’on doive en rougir. La croix est la plus grande marque d’amour que Dieu ait donnée aux hommes, et il nous a moins bien témoigné combien il nous aime, en créant le ciel et la terre. Et en nous tirant nous-mêmes du néant, qu’en souffrant le supplice de la croix. Aussi saint Paul se glorifie, dans la croix et dit : « À Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (Gal. 6,14) Mais l’homme animal, au contraire, celui qui juge de Dieu par l’homme, se scandalise et rougit.

Voilà pourquoi saint Paul prescrit à son disciple et par lui à tous les fidèles de ne pas rougir du témoignage de Notre-Seigneur ; c’est-à-dire de ne pas rougir de prêcher le Crucifié, mais d’en être fier. Par eux-mêmes, la mort, la prison et les fers sont choses dignes de honte et d’opprobre ; mais dès que l’on considère aussi la cause, que l’on envisage le mystère comme il faut, ces mêmes choses deviennent des objets augustes et glorieux. Cette mort de Jésus-Christ a sauvé le monde qui était perdu ; cette mort a réconcilié le ciel avec la terre ; cette mort a détruit la tyrannie du diable ; des hommes elle a fait des anges et des enfants de Dieu. Cette mort a exalté notre nature sur le trône du Dieu de l’Univers. Quant aux liens de l’apôtre, ils ont converti des peuples. — « Ne rougissez donc pas du témoignage de Notre-Seigneur, ni de moi qui suis son captif, mais souffrez avec moi pour l’Évangile ». C’est-à-dire, quand même vous souffririez les mêmes choses, n’en rougissez pas. C’est là ce qu’il donne à entendre, on le voit, par ce qu’il a dit plus haut : « Dieu nous a donné l’esprit de force, de charité et de sagesse » ; on le voit aussi par ce qui suit : « Souffrez avec moi pour l’Évangile ». C’est-à-dire, non seulement n’ayez pas honte, mais n’ayez pas honte en cas d’épreuve. Il ne dit pas : Ne craignez pas, n’ayez pas peur, mais il dit pour l’exhorter mieux encore : « Ne rougissez pas », comme s’il n’y avait plus de danger, une fois la honte surmontée. C’est le seul malheur de la honte que l’on soit vaincu par elle. N’ayez donc pas honte, si moi qui ressuscite les morts, qui opère mille prodiges, moi qui parcours toute la terre pour l’évangéliser, je suis maintenant dans les liens. Ce n’est pas comme un malfaiteur que je suis maintenant dans les fers, mais c’est à cause du Crucifié. Si mon Maître n’a pas eu honte de la croix, moi, je n’ai pas honte de mes liens. Et pour l’exhorter à ne pas avoir honte, il a bien fait de lui rappeler d’abord le souvenir de la croix. Si vous ne rougissez pas de la croix, veut-il dire, ne rougisses pas non plus de mes liens. Si notre Seigneur et Maître a souffert le supplice de la croix, combien plus devons-nous souffrir les liens ? Rougir des liens de l’apôtre ce serait aussi rougir de la croix de Jésus-Christ. Car, dit-il, ce n’est pas à cause de moi que je porte ces liens ; donc pas de faiblesse, mais partagez mes souffrances, souffrez avec moi pour l’Évangile, littéralement « compatissez à l’Évangile » : il parlait de la sorte non que l’Évangile souffrit aucun dommage, mais afin d’exciter son disciple à souffrir pour l’Évangile.

« Selon la force de Dieu qui nous a sauvés, et nous a appelés par sa vocation sainte, non selon nos œuvres, mais selon le décret de sa volonté, et selon la grâce qui nous a été donnée en Jésus-Christ avant tous les siècles ». Comme d’ailleurs c’était tenir un langage quelque peu dur que de dire : « Souffrez », il le console en disant : « Non selon nos œuvres » : c’est-à-dire, ne comptez pas sur votre force mais sur celle de Dieu pour souffrir ces choses. Il dépend de vous de choisir et d’avoir de la bonne volonté, mais c’est Dieu qui vous donnera le soulagement et le repos. Ensuite il montre des marques de la puissance de Dieu. Songez, dit-il, comment vous avez été sauvé, comment vous avez été appelé c’est la même pensée qu’il exprime ailleurs : « Selon sa vertu qui opère en nous ». Ainsi il fallait une plus grande puissance pour convertir la terre que pour créer le ciel. — Comment donc nous a-t-il appelés par sa vocation sainte ? c’est-à-dire qu’il nous a rendus saints de pécheurs et d’ennemis de Dieu que nous étions et cela ne vient nullement de nous, mais est un don de Dieu. Si donc Dieu est assez puissant pour appeler, et assez bon pour appeler gratuitement et non comme s’il payait une dette, il ne faut rien craindre. Si voulant nous sauver, Dieu l’a fait gratuitement lorsque nous étions ses ennemis, combien le fera-t-il davantage s’il voit que nous coopérions à notre salut ? — « Non selon nos œuvres, mais selon le décret de sa volonté », c’est-à-dire sans être contraint ni conseillé par personne ; il nous a sauvés par une décision de sa volonté propre, par un mouvement, de sa bonté personnelle. C’est là ce que veut dire « par un décret de sa propre volonté ». — « Et selon la grâce qui vous a été donnée, en Jésus-Christ avant tous les siècles ». C’est-à-dire, de toute éternité ces choses avaient été prédéterminées pour être accomplies en Jésus-Christ. Ce n’est pas peu que notre salut soit l’effet d’une résolution éternelle, et non d’une volonté passagère. Comment donc le Fils ne serait-il pas éternel, lui qui a voulu ces choses éternellement ?

2. « Et qui a paru maintenant par l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a détruit la mort, et nous a découvert la vie et l’incorruptibilité par l’Évangile ». Voyezvous la puissance, voyez-vous le don qui vient non par nos œuvres mais par l’Évangile ? C’est là un sujet d’espérance. Ces deux choses se sont vues dans le corps de Jésus-Christ et se verront dans le nôtre. Et de quelle manière ? « Par l’Évangile, pour lequel j’ai été établi prédicateur, apôtre et docteur des nations ». Pourquoi revient-il sans cesse sur cette idée et s’appelle-t-il ainsi le docteur des nations ? Pour faire comprendre, comme je l’ai déjà dit, qu’il fallait aussi annoncer l’Évangile aux gentils. Ne vous laissez pas abattre par mes souffrances, veut dire l’apôtre, la puissance de la mort est anéantie. Je ne souffre pas comme un malfaiteur, mais je souffre pour l’enseignement des nations. Puis il ajoute la raison pour rendre son langage digne de foi. – « C’est aussi pour cette raison que je souffre ces maux : mais je n’en rougis point ; car je sais en qui j’ai mis ma confiance et ma foi, je sais qu’il est assez puissant pour garder mon dépôt jusqu’à ce grand jour ». – Qu’entend-il par « dépôt ? » La foi, la prédication. Celui-là même qui m’a confié ce dépôt, saura le garder intact. Je souffre tout pour que ce trésor ne soit point ravi. Je ne rougis pas de mes maux, il me suffit que ce dépôt soit conservé pur. Peut-être encore par ce dépôt entend-il les fidèles que Dieu lui a confiés ou qu’il a lui-même confiés à Dieu. Maintenant, dit-il, voici que je vous confie au Seigneur. C’est-à-dire, ceci ne me sera pas inutile ; et Timothée me montre le fruit du dépôt. Voyez-vous comme il ne sent même pas ses maux par l’espérance qu’il a de faire des disciples ? tel doit être un bon pasteur ; il doit s’occuper des disciples et les compter pour tout. « Maintenant », dit-il ailleurs, « nous vivons, si vous vous tenez fermes dans le Seigneur » ; et encore : « Quelle est notre espérance, notre joie, notre couronne de gloire ? n’est-ce pas vous devant Notre-Seigneur Jésus-Christ ? » (1Th. 3,8, et 2, 19) Le voyez-vous se préoccuper de ses disciples plus que de lui-même ? Il faut en effet que les pères selon la grâce l’emportent sur les pères selon la nature par un plus ardent amour pour leurs enfants. Mais il convient aussi que leurs enfants aient pour eux de la tendresse. « Obéissez », dit le même apôtre, « et soyez soumis à vos conducteurs, sachant qu’ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte ». (Heb. 13,17)

Dites-moi, voilà le danger terrible auquel votre pasteur est exposé, et vous, vous ne voulez même pas lui obéir, et cela quand il s’agit de votre intérêt. Il ne lui suffit pas, à lui, de mettre ses propres affaires en bon état, tant que les vôtres sont en souffrance, il est dans l’angoisse, et exposé à rendre doublement compte. Songez que ce n’est pas peu de chose pour un pasteur que d’avoir un compte à rendre pour chacune des âmes dont il est chargé, que d’avoir à trembler pour le salut de toutes. Quels honneurs lui rendrez-vous, quels témoignages d’affection pourrez-vous lui donner qui compensent pour lui de tels dangers ? Donnerez-vous pour lui votre vie ; or lui, il donne sa vie pour vous. Et s’il ne la donne pas maintenant en temps opportun, il la perdra plus tard. Et vous, vous lui refusez toute obéissance, même celle qui n’est qu’en paroles. La cause de tous nos maux, c’est que l’autorité des pasteurs est foulée aux pieds. On ne connaît plus ni aucun respect ni aucune crainte. « Obéissez à vos chefs », dit l’apôtre, « et soyez-leur soumis » ; or, maintenant tout est bouleversé et confondu. Je ne dis pas ceci dans l’intérêt de ceux qui vous conduisent. Que leur revient-il en effet des honneurs que vous leur rendez, excepté votre obéissance ? Je le dis dans votre intérêt, mes frères. Les honneurs qu’on leur rend ne leur sont d’aucune utilité pour l’avenir, ils rendront même leur jugement plus sévère. Les injures ne compromettront pas non plus leur avenir, elles serviront au contraire à les justifier. C’est donc votre intérêt que j’ai en vue en toutes choses. Les honneurs que les pasteurs reçoivent de leurs ouailles leur sont même reprochés comme lorsqu’il fut dit à Héli : « Je t’ai tiré de la maison de ton père ». On leur tient compte au contraire des outrages auxquels ils sont en butte ; c’est ainsi que Dieu dit à Samuel : « Ce n’est pas toi qu’ils ont méprisé, c’est moi-même ». (1Ro 2, 28 et 8, 7) En sorte que l’injure leur est un gain, et les honneurs une charge. Ce n’est donc pas, je le répète, dans leur intérêt que je parle, mais bien dans le vôtre. Qui honore le prêtre, honore Dieu. Qui s’accoutume à mépriser le prêtre, s’achemine vers le mépris de Dieu, et il y viendra un jour. « Celui qui vous reçoit me reçoit, dit Notre-Seigneur ». (Mat. 10,40) « Honore ses prêtres », est-il dit encore. Avant d’en venir à mépriser Dieu, les Hébreux commencèrent par mépriser Moïse qu’ils voulaient lapider. Quelqu’un qui sera pieux envers le prêtre, le sera à plus forte raison envers Dieu. S’il arrive que le prêtre soit mauvais, Dieu, voyant que pour lui plaire vous honorez même un indigne, vous en récompensera. « Si celui qui reçoit un prophète comme prophète obtient la récompense d’un prophète » (Mt. 10,41) : il en sera de même pour celui qui honore le prêtre, qui lui accorde soumission et obéissance. Si, lorsqu’il s’agit de l’hospitalité accordée à un inconnu, vous recevez une si grande récompense, il est clair que vous en obtiendrez une beaucoup plus grande pour vous soumettre à ceux à qui Dieu vous commande d’être soumis. « Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse », dit Notre-Seigneur, « faites donc ce qu’ils vous diront ; mais n’imitez pas leurs œuvres ». (Mt. 23,2, 3) Ignorez-vous ce que c’est qu’un prêtre ? C’est un ange du Seigneur. Car les paroles qu’il dit ne sont pas de lui. Si vous le méprisez, ce n’est pas lui que vous méprisez, mais Dieu qui vous l’envoie. — Et qu’est-ce qui me prouve que c’est Dieu qui me l’envoie, direz-vous ? — Si vous n’avez pas cette croyance, votre espérance est donc vaine. Car si Dieu n’opère point par l’intermédiaire du prêtre, vous ne recevez pas le baptême, vous ne participez pas aux divins mystères, vous ne recevez pas les eulogies, vous n’êtes pas chrétien.
3. Quoi donc ! direz-vous, est-ce que Dieu les ordonne tous, même les indignes ? Dieu ne les ordonne pas tous, mais il opère lui-même par le ministère de tous, même des indignes, pour le salut du peuple. S’il s’est autrefois servi d’un âne, et d’un méchant homme tel que Balaam pour bénir son peuple (Nom. 22) ; pourquoi ne se servirait-il pas d’un prêtre ? Qu’est-ce qu’il ne fait pas pour notre salut ? Que ne dit-il pas ? De quel intermédiaire dédaigne-t-il de se servir ? S’il a opéré par le ministère de Judas, et par celui de ces prophètes auxquels il dit : « Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, vous qui opérez l’iniquité » (Mat. 7,23) ; si d’autres pécheurs ont chassé les démons en son nom ; à plus forte raison opérera-t-il par le ministère des prêtres. Si nous devions scruter la vie et la conduite de nos pasteurs, ce serait nous en réalité qui les ordonnerions, et alors tout serait mis sens dessus dessous, les pieds seraient en haut et la tête en bas. Écoutez ce que dit saint Paul : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous, ou par quelque homme que ce soit » ; et encore : « Pourquoi jugez-vous votre frère ? » (1Co. 4,3 et Rom. 14,10) Si vous ne devez pas juger votre frère, vous devez encore bien moins juger le prêtre. Si Dieu vous l’a commandé, vous avez raison de le faire, et vous péchez en ne le faisant pas. Mais s’il vous l’a défendu, gardez-vous de le faire ; n’allez pas franchir la barrière des commandements. Après la prévarication du veau d’or, Coré, Dathan et Abiron, et leurs partisans, se soulevèrent contre Aaron. Or, qu’arriva-t-il ? vous le savez, ils furent anéantis. Que chacun s’occupe de ce qui le regarde. Si quelqu’un altère le dogme, ne l’écoutez pas, quand ce serait un ange. Si quelqu’un enseigne selon l’orthodoxie, ne faites pas attention à sa vie mais seulement à ses paroles. Vous avez saint Paul pour vous former au bien par ses exemples comme par ses discours.

Mais il ne donne pas aux pauvres, dites-vous, et il administre mal. Qu’en savez-vous ? N’accusez pas avant d’être sûr, craignez le compte que vous aurez à rendre. On juge souvent sur de simples soupçons. Imitez votre Maître, écoutez ce qu’il dit : « Je descendrai et je verrai si leurs œuvres répondent à ce cri qui est venu jusqu’à moi, pour savoir si cela est ainsi, ou si cela n’est pas ». (Gen. 18,21) Êtes-vous instruit, vous êtes-vous informé, avez-vous même été témoin, attendez encore le juge : ne prenez pas le rôle de Jésus-Christ. C’est à lui qu’il appartient de s’enquérir, non à vous. Vous n’êtes, vous, que le dernier des esclaves, et non le maître. Vous êtes une des brebis du troupeau, n’examinez pas trop rigoureusement votre pasteur, si vous ne voulez pas avoir à rendre compte des accusations que vous portez contre lui. — Et comment me commande-t-il ce qu’il ne fait pas lui-même, direz-vous ? — Ce n’est pas lui qui vous commande ; si c’est à lui que vous obéissez vous n’aurez pas de récompense. C’est Jésus-Christ qui vous commande. Que dis-je ? Il ne faudrait pas même obéir à saint Paul s’il prescrivait quelque chose de son chef, quelque chose d’humain ; il faut obéir à l’apôtre portant en lui Jésus-Christ qui parle par sa bouche.

Ne nous jugeons pas les uns les autres, que chacun se juge soi-même et examine sa propre vie. Mais il doit être meilleur que moi, direz-vous. — Pourquoi ? — Parce qu’il est prêtre. – Est-ce qu’aussi il n’a pas de plus que vous les travaux, les dangers, les combats, de chaque jour, et les pénibles soucis ? avec tout cela, comment pouvez-vous dire qu’il n’est pas meilleur que vous ? Et quand il ne serait pas meilleur, est-ce une raison pour que vous vous perdiez ? Ces paroles viennent d’un fol orgueil. D’où savez-vous qu’il n’est pas meilleur que vous ? – Mais s’il vole, direz-vous, s’il dépouille l’Église ? – D’où savez-vous cela, ô homme ? Pourquoi vous jeter vous-même dans le précipice ? Si quelqu’un vous dit : Un tel a revêtu la pourpre ; bien que vous en soyez instruit, vous vous bouchez les oreilles. Quoique vous puissiez prouver le contraire, vous vous retirez aussitôt, vous feignez de ne rien savoir, ne voulant pas courir un danger, superflu ; mais ici vous courez encore au devant. Ces sortes de paroles ne passeront pas sans qu’il en soit demandé compte. Écoutez ce que dit Jésus-Christ : « Je vous le déclare, toute parole inutile que les hommes auront dite, ils en rendront compte au jour du jugement ». (Mat. 12,36) Vous vous flattez d’être meilleur qu’un autre, et pour cette seule ; pensée d’orgueil, vous ne gémissez point, vous ne vous frappez point la poitrine, vous ne baissez pas les yeux, vous n’imitez pas le publicain ? S’il en est ainsi, vous vous êtes perdu vous-même, fussiez-vous réellement meilleur que tel ou tel. Êtes-vous meilleur ? taisez-vous, si vous voulez rester meilleur. Si vous parlez, tout est perdu. Si vous vous croyez meilleur, vous ne l’êtes pas ; si vous ne le croyez pas, vous avez beaucoup fait pour l’être. Si celui qui était pécheur se retira justifié pour avoir confessé ses péchés, que ne gagnera pas celui qui sans être un grand pécheur, se croira néanmoins tel ? Faites l’examen de votre vie. Vous, ne volez pas ; mais vous ravissez, mais vous extorquez, mais vous faites mille choses de ce genre.

Je ne dis pas ceci pour faire l’éloge du vol, loin de là, je déplore au contraire l’état de ceux qui s’en rendent coupables, s’il en est de tels parmi les ministres de l’Église ; ce que je ne crois pas. Le vol sacrilège est un crime dont on ne peut dire toute l’énormité. Mais je prends vos intérêts : je ne veux pas que toute votre vertu soit rendue inutile par vos médisances. Quoi de pire qu’un publicain ? Or, celui dont parle l’Évangile était réellement publicain et comme tel coupable de mille fautes. Et cependant, que le pharisien dise seulement : « Je ne suis pas comme ce publicain », et voilà aussitôt tout son mérite perdu. Et vous ; si vous dites : Je ne suis pas comme ce prêtre, un voleur sacrilège, comment ne perdrez-vous pas tout ce que vous avez de mérite ? Si je dis ces choses, et si je me crois obligé d’y insister, ce n’est pas que je m’intéresse à ces coupables, mais c’est que je crains que vous me perdiez tout le fruit de votre vertu en vous glorifiant vous-même et en condamnant les autres. Écoutez ce conseil de saint Paul : « Que chacun examine bien ses propres actions, et alors il trouvera sa gloire en lui-même, et non point en se comparant avec les autres ». (Job. 6,4)

4. Dites-moi, lorsque vous êtes blessé et que vous allez trouver le médecin, est-ce que vous négligez d’appliquer le remède et de panser votre blessure, pour vous occuper de savoir si le médecin a lui-même ou s’il n’a pas de blessure ? Et s’il se trouve qu’il en ait une, vous en inquiétez-vous ? Est-ce que vous négligez pour cela votre propre blessure ? Est-ce que vous dites : Il devrait n’être pas malade, étant médecin ? Puisqu’il se porte mal, tout médecin qu’il est, je laisse, moi aussi, ma blessure sans la soigner. La malice du prêtre sera-t-elle une excuse pour le fidèle ? Nullement. Le mauvais prêtre subira une peine proportionnée à sa malice, sans doute, mais vous aussi vous aurez le châtiment qui vous est dû et qui vous revient ; d’ailleurs le maître n’a que le rang du fidèle. « Ils seront tous enseignés par Dieu ; et on ne dira plus : Connaissez le Seigneur ; car tout le monde me connaîtra, depuis le plus petit jusqu’au plus grand ». (Jn. 6,45 ; Isa. 54,13 ; Jer. 31,34) – Pourquoi donc direz-vous : Préside-t-il ? Pourquoi occupe-t-il la place qu’il occupe ? – Cessons, je vous en conjure, de médire de nos pasteurs ; n’examinons pas maintenant ce qu’ils font, si nous ne voulons pas nous nuire à nous-mêmes. Examinons-nous nous-mêmes, et nous ne dirons du mal de personne. Souvenons-nous avec respect de ce jour où il nous donna le baptême. Quels que soient les vices d’un père, son fils les cache avec soin. « Ne vous glorifiez point », dit le Sage, « de ce qui déshonore votre père ; car ce n’est pas votre gloire, mais plutôt votre honte ». (Sir. 3,10) Quand même il manquerait de prudence, ayez de l’indulgence. Si cette parole a été dite des pères selon la nature, elle peut l’être, à plus forte raison, des pères selon la grâce. Respectez celui qui, tous les jours, travaille à vous servir. C’est pour vous qu’il lit les Écritures, pour vous qu’il orne la maison de Dieu, pour vous qu’il veille, pour vous qu’il prie, pour vous qu’il se tient devant Dieu en l’invoquant, pour vous qu’il administre les choses saintes. Respectez-le en songeant à ces bienfaits, ne l’approchez qu’avec vénération.

Est-il mauvais ? dites-moi. Qu’est-ce que cela ? Est-ce qu’il faut qu’il ne soit pas mauvais pour vous distribuer les plus grandes grâces ? Nullement. Tout s’opère selon votre foi. Un homme juste ne vous servira de rien si vous n’êtes pas fidèle ; un méchant ne vous nuira en rien si vous êtes fidèle. Dieu s’est servi de bœufs pour reconduire l’arche, quand il voulut sauver son peuple. Est-ce la vie du prêtre, est-ce sa vertu, qui opère notre salut ? Les dons que Dieu nous accorde ne sont pas de nature à pouvoir être produits par la vertu de ses prêtres. Tout vient de la grâce. Le prêtre ne fait qu’ouvrir la bouche et prêter son organe à Dieu qui opère ; le prêtre accomplit seulement le symbole. Songez quelle différence Il y a entre Jean-Baptiste et Jésus-Christ : Jean dit : « J’ai besoin d’être baptisé par vous », et : « Je ne suis pas digne de délier le cordon de ses souliers ». (Mat. 3,14 ; et Jn. 1,26) Et cependant, malgré cette différence, lorsque Jean baptisa Jésus, le Saint-Esprit descendit, quoique Jean ne disposât point du Saint-Esprit. « Nous recevons tous de sa plénitude », est-il dit. (Jn. 1,16) Cependant le Saint-Esprit ne descendit pas avant le baptême, et ce n’est pas Jean qui le fit descendre. Pourquoi les choses se passent-elles ainsi ? Afin que vous sachiez que le prêtre accomplit un symbole et rien vie plus. Jamais il n’y eut autant de distance entre un homme et un autre homme qu’entre Jean et Jésus ; néanmoins, Jean baptise Jésus, et le Saint-Esprit descend, afin que vous appreniez que c’est Dieu qui fait et opère tout.

Je vais dire quelque chose qui paraîtra peut-être incroyable, mais ne vous en étonnez point, ne vous troublez pas. L’oblation est la même, qu’elle soit faite par le premier venu, ou par saint Paul, ou saint Pierre. Celle que le Christ donna autrefois à ses disciples était la même que celle que célèbrent aujourd’hui les prêtres. Celle-ci n’est en rien inférieure à celle-là ; parce que ce ne sont pas les hommes qui la sanctifient, mais celui-là même qui sanctifia la première. Les paroles que Dieu prononça alors sont les mêmes que celles que le prêtre prononce encore maintenant ; l’oblation est donc aussi la même. On en peut dire autant du baptême. Ainsi tout dépend de la foi. Le Saint-Esprit descendit aussitôt sur le centurion Corneille, parce qu’il avait fait ce qui dépendait de lui et témoigné sa foi. Donc le corps de Jésus-Christ est ici comme il était là. Celui qui s’imagine qu’il y a ici quelque chose de moins qu’il n’y avait là, ne sait pas que le Christ est encore présent et que c’est toujours lui qui opère.

Puisque vous savez ces choses, comme je ne vous les dis pas sans motif, mais pour vous corriger de vos défauts, et pour vous rendre plus prudents à l’avenir, conservez soigneusement mes paroles. Si nous nous contentons d’entendre, sans jamais pratiquer, nous ne retirerons aucun profit des prédications. Donnons une entière attention, une attention très-diligente à la parole de Dieu ; gravons-la dans notre cœur ; ayons-la toujours imprimée dans notre conscience, et ne cessons jamais de renvoyer la gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE III.

PROPOSEZ-VOUS POUR MODÈLE LES SAINES INSTRUCTIONS QUE VOUS AVEZ ENTENDUES DE MOI SUR LA FOI ET LA CHARITÉ QUI EST EN JÉSUS-CHRIST. GARDEZ, PAR LE SAINT-ESPRIT QUI HABITE EN NOUS, LE PRÉCIEUX DÉPÔT QUI VOUS A ÉTÉ CONFIÉ. VOUS SAVEZ QUE TOUS CEUX QUI SONT EN ASIE SE SONT SÉPARÉS DE MOI : PHIGÉLE ET HERMOGÉNE SONT DE CE NOMBRE. QUE DIEU DONNE MISÉRICORDE À LA MAISON D’ONÉSIPHORE, PARCE QU’IL M’A SOUVENT SOULAGÉ ET QU’IL N’A PAS ROUGI DE MES CHAÎNES ; MAIS QU’ÉTANT VENU À ROME, IL M’A CHERCHÉ AVEC GRAND SOIN ET IL M’A TROUVÉ. QUE LE SEIGNEUR LUI FASSE LA GRÂCE DE TROUVER MISÉRICORDE DEVANT LE SEIGNEUR EN CE JOUR. CAR VOUS SAVEZ MIEUX QUE PERSONNE COMBIEN D’ASSISTANCES IL M’A RENDUES À ÉPHÈSE. (I, 13-18)



Analyse.
  1. Que signifie : « Formam habe sanorum verborum ? »
  2. Que nous avons besoin de miséricorde pour obtenir le salut.
  3. Que les jugements de Dieu sont à craindre.

1. Ce n’était pas seulement par lettres qu’il prescrivait à son disciple ce qu’il devait faire, mais encore par l’enseignement oral. On en voit la preuve dans beaucoup d’autres passages, tel que celui-ci : « Soit de bouche, soit par lettres » ; mais ce passage-ci le démontre encore mieux que tout autre. Il ne lui a donc pas légué un enseignement incomplet, ne le croyez pas ; il lui a communiqué beaucoup d’instructions de vive voix ; ce sont ces instructions qu’il lui rappelle par ces mots : « Proposez-vous pour modèle les saines instructions que vous avez entendues de moi ». Que veut-il dire par là ? Je vous ai tracé, comme ferait un peintre, un portrait de la vertu et de tout ce qui plaît à Dieu ; c’est comme une règle, un archétype, une définition exacte que j’ai déposés dans votre âme. Conservez cela ; et quand vous aurez à décider quelque chose concernant soit la foi, soit la charité, soit la chasteté, tirez de là vos exemples. – Vous aurez en vous-même tout ce qui vous sera nécessaire, et vous n’aurez pas besoin de consulter les autres.

« Gardez le précieux dépôt ». Comment ? « Par le Saint-Esprit qui habite en nous ». Abandonnée à ses seules forces, l’âme humaine serait incapable, après avoir reçu un tel dépôt, de pouvoir le conserver. Pourquoi ? Parce que les voleurs sont nombreux et la nuit profonde. Le diable est toujours là qui nous tend des pièges ; nous ne savons ni l’heure ni l’instant auquel il doit fondre sur nous. Comment donc réussirons-nous à garder ce trésor ? Par le Saint-Esprit ; c’est-à-dire, si nous avons le Saint-Esprit avec nous. Si nous ne repoussons pas la grâce, elle ne nous manquera point. « Si le Seigneur ne bâtit la maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent. Si le Seigneur ne garde la cité, c’est en vain que veillent ceux qui la gardent ». (Psa. 126,1) Voilà notre rempart, voilà notre garde, voilà notre refuge. – Si le Saint-Esprit habite en nous, s’il garde lui-même le dépôt, qu’est-il besoin de préceptes ? C’est afin que nous conservions le Saint-Esprit, que nous le gardions, et que nous ne le fassions pas par nos mauvaises actions. Ensuite, il énumère ses épreuves, non pour décourager son disciple, mais pour affermir son cœur, que, si un jour il était lui-même aux prises avec les mêmes épreuves, il n’en fût pas surpris, en considérant son maître, et en se souvenant de tout ce qui lui était arrivé.

Il est vraisemblable qu’aussitôt après son arrestation il se vit abandonné et privé de toute marque de bienveillance de la part hommes, de tout appui, de tout secours, et qu’il fût trahi par les fidèles eux-mêmes et par ses amis ; c’est ce qu’il veut dire par mots. « Vous savez que tous ceux d’Asie sont éloignés de moi ». Il est probable qu’il y avait à Rome beaucoup d’Asiatiques. Aucun d’eux, dit-il, ne m’a assisté ; aucun ne m’a reconnu, tous se sont détournés de moi, admirez l’élévation de son âme, il se contente de marquer le fait, il n’ajoute pas une parole de blâme. Pour celui qui l’a assisté, il le loue et lui souhaite mille biens. Quant aux autres il ne les maudit pas, il dit simplement : « Phigèle et Hermogène sont de ce nombre. Que le Seigneur fasse miséricorde à la maison d’Onésiphore, parce qu’il m’a souvent soulagé, et qu’il n’a pas eu honte de mes chaînes ; mais qu’étant venu à Rome, il m’a cherché avec grand soin, et il m’a trouvé ». Voyez comme partout il parle de honte et nulle part de danger, pour ne pas effrayer Timothée, quoique sa situation fût pleine de périls. Il avait offensé Néron par la conversion de quelques-uns de ses familiers. À son arrivée à Rome, dit-il, Onésiphore n’a pas évité la rencontre, mais il m’a cherché avec empressement et m’a trouvé.

« Que le Seigneur lui donne de trouver miséricorde devant le Seigneur en ce jour-là. Vous savez mieux que personne combien d’assistances il m’a rendues à Éphèse ». Tels doivent être les fidèles : ils ne doivent se laisser arrêter, ni par la crainte, ni par la honte, ni par la menace, mais s’entr’aider, s’assister, se secourir entre eux, comme font à la guerre les soldats d’une même armée : Car ce n’est pas tant à ceux qui sont dans le péril qu’ils sont utiles qu’à eux-mêmes, puisqu’en participant à leurs maux, ils méritent aussi de participer à leurs couronnes. Par exemple, un ami de Dieu est dans la tribulation ; il souffre toutes sortes de peines avec beaucoup de fermeté ; il lutte comme un athlète courageux ; pour vous, vous restez à l’abri de toute persécution, vous pouvez cependant, si vous voulez ; sans mettre le pied dans le stade, partager la couronne avec l’athlète de Dieu : il vous suffit de l’assister, de lui procurer l’huile de la consolation, de l’encourager, de l’exciter. Et pour vous prouver que je dis vrai, écoutez ce que l’apôtre dit dans une autre épître : « Vous avez bien fait de vous unir à moi dans la tribulation » ; et encore : « Vous m’avez envoyé à Thessalonique une et deux fois de quoi satisfaire à mes besoins ». (Phi. 4,14, 16) Et comment, quoique absents, pouvaient-ils partager ses tribulations ? Saint Paul le dit lui-même : « Vous m’avez envoyé une et deux fois de quoi satisfaire à mes besoins ». Il dit encore au sujet d’Epaphrodite : « Il s’est vu tout proche de la mort, exposant sa vie, afin de suppléer, par son assistance, à celle que vous ne pouviez me rendre vous-mêmes ». (Id. 2,30) De même qu’auprès des rois de la terre, ceux qui combattent ne sont pas les seuls qui soient honorés, mais que ceux qui gardent les bagages ont aussi part aux récompenses, et quelquefois une part égale aux autres, bien qu’ils n’aient pas ensanglanté leurs mains, pas pris l’épée, pas même vu les rangs ennemis ; de même en est-il, et à plus forte raison, dans le service de Dieu. Celui qui porte secours au combattant mourant de faim, celui qui l’assiste, qui l’encourage par ses paroles, qui prodigue tous les soins qu’on peut donner en pareille rencontre, celui-là obtient la même récompense que le combattant.

2. En m’entendant parler d’athlète, n’allez pas vous représenter un saint Paul, un homme invincible, mais quelqu’un du commun qui, s’il n’était grandement soutenu et encouragé, ne demeurerait peut-être pas ferme, et n’en gagerait peut-être pas même la lutte. De cette manière ceux qui, sans combattre eux-mêmes, sont cause de la victoire remportée, méritent bien de partager la couronne. Faut-il s’étonner si parmi les vivants celui qui prend part aux combats est appelé à partager les récompenses des combattants, lorsque cette sorte de communion n’est pas même interdite avec ceux qui sont morts, couchés dans la tombe, déjà couronnés et qui n’ont plus besoin de rien ? C’est saint Paul lui-même qui le dit : « Communiquant avec les mémoires des saints ». – Comment cela est-il possible, direz-vous ? – Lorsque vous admirez un saint, lorsque vous imitez quelqu’une des belles actions qui l’ont fait couronner, vous participez à ses combats et à ses couronnes.

« Que le Seigneur lui accorde de trouver miséricorde devant le Seigneur en ce jour-là ». Il a eu pitié de moi, veut-il dire, donc il recevra à son tour miséricorde en ce jour terrible et redoutable, où nous aurons tant besoin de miséricorde. « Que le Seigneur », dit-il, « lui accorde de trouver miséricorde devant le Seigneur ». Quoi donc, y a-t-il deux Seigneurs ? Nullement, nous n’avons qu’un seul Seigneur qui est Jésus-Christ, et qu’un seul Dieu. C’est un des passages dont abusent les marcionites. Mais qu’ils sachent que c’est une manière de parler familière à la sainte Écriture et qu’elle en use fréquemment. Par exemple elle dit : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur », et encore : « J’ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Seigneur ». (Psa. 109,1, et 15,2) ; et ailleurs encore : « Le Seigneur fit pleuvoir de la part du Seigneur ». (Gen. 19,24) Cette manière de parler indique des personnes consubstantielles, et non une différence de nature. L’Écriture parle ainsi non pour nous faire entendre deux substances différentes l’une de l’autre, mais deux personnes de la même substance l’une et l’autre. Remarquez encore ce que dit l’apôtre : « Que le Seigneur lui accorde… » Quoi ? Rien autre chose que la miséricorde. Comme Onésiphore avait eu pitié de lui, il souhaite que Dieu ait aussi pitié d’Onésiphore. Si Onésiphore, qui s’était exposé aux dangers, avait besoin de miséricorde pour être sauvé, nous en aurons aussi besoin à bien plus forte raison.

Car il sera terrible, deux fois terrible le compte à rendre au Seigneur. – Nous aurons besoin de beaucoup d’indulgence pour ne pas nous entendre dire : « Retirez-vous de moi, je ne vous connais pas, vous qui opérez l’iniquité » ; et encore : « Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges » (Mat. 7,23 ; 25, 41) ; et encore : « Il y a un abîme entre vous et nous » (Luc. 16,26) ; et encore ce mot plein de terreur : « Prenez-le, et le jetez dans les ténèbres extérieures » ; et encore celui-ci qui n’est pas moins affreux : « Serviteur méchant et paresseux ». (Mat. 22,13 ; 25,26) Rien de plus terrible et de plus épouvantable que ce tribunal ; et cependant Dieu est doux et clément. Il se nomme le Dieu des miséricordes et le Dieu de la consolation, et il est bon comme personne n’est bon, il est plein de bénignité, de mansuétude et de compassion, et il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. (Eze. 13,23) D’où vient donc, d’où vient que ce jour est rempli de tant d’épouvante ? Un fleuve de feu coule devant sa face ; les livres où nos actions se trouvent écrites, sont ouverts ; ce jour est comme une fournaise ardente ; les anges parcourent l’univers en tout sens, partout les feux s’embrasent. – Comment donc peut-on dire que le Seigneur est clément, qu’il est miséricordieux, qu’il est bon ? – Il est bon même ainsi ; c’est cela même qui montre la grandeur de sa bonté. Car par ce moyen il nous inspire une grande terreur, afin qu’excités par cette raison nous concevions enfin le désir du céleste royaume.

Remarquez comme le témoignage qu’il rend à Onésiphore n’est pas un témoignage ordinaire et tel quel. « Souvent il m’a soulagé », dit-il j’étais comme un athlète que la fatigue et la chaleur accablent, et il m’a rafraîchi, réconforté. – « Vous savez mieux que personne toutes les assistances qu’il m’a rendues à Éphèse ». Il m’a consolé non seulement à Éphèse, mais aussi à Rome. Tel doit être l’homme vigilant et sobre, ce n’est pas une fois, ni deux, ni trois, qu’il doit travailler, mais toute sa vie. De même que ce n’est pas assez pour notre corps de se nourrir une fois pour subsister ensuite le reste du temps de notre vie, mais qu’il a besoin d’une nourriture quotidienne ; de même notre piété veut être chaque jour entretenue par la pratique des bonnes œuvres. Nous avons un grand besoin de miséricorde. C’est pour nous guérir de nos péchés que le bon Dieu a fait tout ce qu’il a fait ; pour lui il n’a besoin de rien, c’est pour nous qu’il agit. C’est pourquoi il nous a tout révélé et expliqué, et non seulement expliqué par des paroles mais confirmé par des œuvres. Certes on pouvait en croire sa parole ; mais pour que personne ne s’imagine que l’enfer ne soit qu’une exagération de langage et un vain épouvantail, il ajoute à sa parole l’a preuve par les faits. Comment cela ? en infligeant des châtiments aux particuliers et aux nations. Cette preuve par les faits, il vous la donne tantôt en châtiant Pharaon, tantôt en versant sur la terre les eaux du déluge pour la destruction du genre humain, tantôt en répandant des torrents de feu sur des villes coupables. Et aujourd’hui même que de méchants ne voyons-nous pas punis et châtiés ? Ce sont là autant de preuves de l’existence de l’enfer.

3. Pour nous empêcher de nous endormir du sommeil de la négligence, et d’oublier ses paroles, Dieu nous donne des faits pour raviver notre souvenir et nous faire ouvrir les yeux ; ainsi il nous montre ici-bas des jugements, des tribunaux, des peines. Quoi ! les hommes prendraient tant de souci du juste de l’injuste, et Dieu le souverain législateurs serait indifférent ? Cela n’est pas admissible. Dans les maisons des particuliers, sur la place publique ; nous voyons partout des tribunaux. Un père de famille, dans sa maison, juge chaque jour ses serviteurs, il leur demande compte de leurs fautes, punit les uns et pardonne aux autres. Dans les champs, le fermier et sa femme sont jugés tous les jours. Sur son navire le capitaine exerce la justice comme le général d’armée dans son camp. Enfin on voit des tribunaux partout, on en trouverait jusque dans les écoles où le maître juge ses disciples. Dans leur particulier comme en public, partout les hommes exercent la justice les uns envers les autres ; nulle part on ne voit la justice négligée, partout au contraire il faut que l’on compte avec elle. Quoi donc, encore une fois ! parmi nous la justice portera de tous côtés ses investigations dans les villes, dans les maisons, nul ne sera oublié ; et en ce jour-là, lorsque la main de Dieu sera pleine de justice, que sa justice sera comme les montagnes de Dieu, en ce jour-là il ne serait pas tenu compte de la justice !

Et comment ce Dieu qui juge, ce Dieu juste et fort supporte-t-il le mal avec tant de longanimité, et ne le punit-il pas tout de suite ? Tant que nous sommes ici-bas, il a raison d’être patient. Il use de patience pour vous attirer à la pénitence ; mais si vous persistez dans votre malice, « vous amassez un trésor de colère par votre cœur dur et impénitent. (Rom. 2,5) Si Dieu est injuste, il rend à chacun son mérite ; et il ne laisse pas sans vengeance les victimes de l’injustice ; car c’est là même, une œuvre de justice. S’il est puissant, il exerce sa justice même après la mort, et au jour de la résurrection, car c’est là l’œuvre de la puissance. Que s’il est patient et tolérant, ne nous en troublons pas, ne disons pas : Pourquoi ne punit-il pas dès maintenant ? Il y a longtemps, que l’espèce humaine n’existerait plus, si les choses se passaient de la sorte, s’il nous faisait chaque jour, expier nos péchés, il n’y a pas un de nos jours, pas un seul qui ne soit souillé de quelque péché ; peu ou beaucoup, nous péchons tous les jours. Nul homme n’atteindrait sa vingtième année, si la patiente bonté de Dieu était moins grande, s’il ne nous accordait pas le délai suffisant pour effacer nos péchés. Que chacun de nous donc examine avec une conscience droite tout ce qu’il a fait, qu’il passe en revue toute sa vie, et qu’il juge lui-même s’il n’a pas mérité mille châtiments et mille peines ; et lorsqu’il se sentira porté à s’indigner de ce qu’un tel qui fait beaucoup de mal n’en est pas puni sur-le-champ, qu’il songe à ce qu’il a fait lui-même et il ne s’indignera plus. Il y a de certaines injustices qui vous paraissent grandes, parce qu’elles, se commettent en des choses importantes et exposées aux regards, de tous ; mais si vous examiniez bien vos propres injustices, vous arriveriez peut-être à les trouver plus graves. Ravir le bien d’autrui est toujours la même chose, que l’objet ravi soit de l’or, ou de l’argent. C’est la même disposition, la même intention dans les deux cas ; et celui qui ravit peu, n’hésitera pas à ravir beaucoup. S’il n’en trouve pas l’occasion, cela ne dépend pas de lui, mais uniquement du hasard des choses. Le pauvre qui en lèse un plus pauvre que lui, n’hésiterait pas à s’attaquer à un plus riche s’il le pouvait, s’il ne le fait pas, cela dépend de sa faiblesse et non de sa volonté.

Un tel, dites-vous, gouverne et il prend le bien de ceux qui sont soumis à son pouvoir. Et vous, dites-moi, ne prenez-vous rien ? Ne me dites pas que celui-là ravit des talents d’or, et vous seulement des oboles. Souvenez-vous qu’il est dit dans l’Évangile que les autres donnaient de l’or, et que la veuve qui ne donnait que deux oboles ne faisait pas une moindre aumône que ceux-là. Pourquoi cela ? Parce que c’est la volonté, que Dieu juge, et non le don. Et si, à propos de l’aumône, Dieu juge que deux oboles données par la pauvreté valent autant que des milliers de talents d’or offerts par l’opulence, pensez-vous qu’il juge différemment quand il s’agit du bien d’autrui que l’on dérobe ? Cela serait-il conforme à la raison ? De même que la veuve en donnant deux oboles égala l’aumône des autres par sa bonne volonté ; de même vous, en prenant deux oboles, vous n’êtes pas moins coupable que, ceux qui prennent des talents, et s’il faut dire quelque chose d’étonnant, vous l’êtes davantage. L’adultère est également coupable, qu’il corrompe la femme d’un roi où celle d’un pauvre homme, ou même celle d’un esclave, parce que la gravité du péché ne se juge point par la différence des personnes, mais par la méchanceté de celui qui le commet. Or, il en est de même en la matière dont nous traitons. Je trouve même plus adultère celui qui va à la première venue, que celui qui s’adresse à la reine. Car ici la richesse et la beauté, et beaucoup de choses attirent mais là rien de semblable, de sorte que celui qui commet l’adultère dans le premier cas est plus adultère que l’autre.

Autre exemple : De même que le pire ivrogne est celui qui s’enivre de mauvais vin, de même le pire ravisseur du bien d’autrui est celui qui ne dédaigne pas de prendre même les plus petites choses. On peut croire que celui qui prend beaucoup, dédaignerait de prendre peu ; mais comment penser que celui qui prend peu s’abstiendrait de prendre beaucoup ? Il est donc plus voleur que l’autre. Celui qui ne dédaigne pas l’argent, dédaignera-t-il l’or ? Donc lorsque nous accusons nos pasteurs, faisons un retour sur nous-mêmes, et nous trouverons que nous sommes plus voleurs et plus ravisseurs qu’eux, sinon par le fait, du moins par l’intention : or c’est par là qu’il faut juger de ces choses. Dites-moi, si deux hommes étaient amenés devant les juges pour avoir volé, l’un le bien d’un pauvre, l’autre celui d’un riche, ne seraient-ils pas condamnés tous les deux à la même peine ? Et le meurtrier, n’est-il pas également meurtrier soit qu’il ait tué, un pauvre et un estropié, soit qu’il ait tué un homme riche et beau ? Lors donc que nous dirons : Un tel s’est emparé par fraude du champ d’un tel, songeons à ce que nous faisons nous-mêmes et nous ne condamnerons pas les autres, et nous admirerons Dieu pour sa patience, et nous ne nous indignerons pas de ce que le jugement de Dieu ne fond pas sur eux aussitôt, et nous-mêmes nous serons moins prompts à faire le mal. Nous voyant sujets aux mêmes péchés que les autres, au lieu de nous indigner de leur conduite, nous nous éloignerons nous-mêmes des péchés et nous obtiendrons les biens futurs en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui, en même temps qu’au Père et au Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




HOMÉLIE IV.

FORTIFIEZ-VOUS DONC, Ô MON FILS, PAR LA GRÂCE QUI EST EN JÉSUS-CHRIST ; ET LES CHOSES QUE VOUS AVEZ APPRISES DE MOI, AVEC DE NOMBREUX TÉMOINS, CONFIEZ-LES AUX HOMMES FIDÈLES QUI SERONT CAPABLES D’EN INSTRUIRE D’AUTRES. POUR VOUS, SOUFFREZ COMME UN BON SOLDAT DE JÉSUS-CHRIST, CELUI QUI EST ENRÔLÉ DANS LA MILICE NE S’EMBARRASSE POINT DANS LES AFFAIRES SÉCULIÈRES POUR NE S’OCCUPER QU’À PLAIRE À SON GÉNÉRAL. CELUI QUI COMBAT AUX JEUX, N’EST COURONNÉ QUE S’IL COMBAT SUIVANT LA LOI. LE LABOUREUR QUI TRAVAILLE DOIT LE PREMIER AVOIR PART À LA RÉCOLTE DES FRUITS. COMPRENEZ BIEN CE QUE JE VOUS DIS, QUE LE SEIGNEUR VOUS DONNE L’INTELLIGENCE EN TOUTES CHOSES. (II, 1-7)



Analyse.
  1. Garder le dépôt précieux de la foi. – Comparaisons du soldat, de l’athlète, du laboureur.
  2. La parole de Dieu n’est pas enchaînée.
  3. et 4. Sur la terre ne se trouvent ni la vraie gloire ni les vrais biens. – Parallèle de saint Paul avec Néron.

1. Une chose qui donne beaucoup de confiance dans la tempête à un disciple, c’est que son maître ait fait naufrage et se soit sauvé du péril. Il comprendra désormais que les orages n’arrivent point par le fait de son ignorance, mais par la nature même des choses ; ce qui est très-important pour savoir se conduire dans ces rencontres. À la guerre, l’officier d’un rang inférieur s’encourage aussi à la vue de son général qui, après avoir été blessé, reprend ses forces avec le commandement. De même c’était une consolation pour les fidèles de voir l’apôtre souffrir tant de maux sans en être aucunement ébranlé ; autrement il n’aurait pas ainsi raconté ses souffrances. Timothée, en apprenant que celui qui avait tant de pouvoir et qui avait conquis le monde, était dans les fers et dans la tribulation, et qu’il ne s’aigrissait ni ne s’indignait point même lorsque les siens l’abandonnaient, Timothée aurait beau souffrir lui-même des maux semblables, il ne pourrait plus les attribuer à la faiblesse humaine ni à son propre état de disciple, et à son infériorité à l’égard de saint Paul ; puisque son maître y était lui-même sujet, il devait nécessairement croire qu’ils étaient inhérents à la nature des choses. D’ailleurs l’apôtre agissait de la sorte et racontait ses souffrances pour affermir son disciple et relever son courage. Aussi après avoir raconté ses tribulations et ses épreuves, il conclut en disant : « Vous donc, mon fils, fortifiez-vous dans la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Que dites-vous, saint apôtre ? Vous nous avez fait trembler de crainte, vous nous avez dit que vous étiez dans les fers et dans la tribulation, et que tous se sont détournés de vous ; et comme si vous aviez dit au contraire que vous n’avez point souffert, que personne ne vous a délaissé, vous concluez : « Vous donc, mon fils, fortifiez-vous » ; est-ce conséquent ? Certainement, car ces épreuves de l’apôtre sont de nature à fortifier son disciple plus encore que l’apôtre même. Si je souffre ces choses, pourrait dire saint Paul, à plus forte raison devez vous les souffrir. Le maître les souffre, et le disciple en serait exempt ? Et cet encouragement, il le lui donne avec beaucoup de tendresse, en l’appelant fils et même « mon fils ». Si vous êtes mon fils, imitez donc votre père ; si vous êtes mon fils, laissez-vous fortifier par mes paroles, ou plutôt non pas tant par mes paroles que par la grâce de Dieu. « Fortifiez-vous dans la grâce qui est en Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; c’est-à-dire par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est-à-dire encore, tenez ferme, vous savez quel combat vous êtes destiné à soutenir. Lorsqu’il dit ailleurs : « Nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang » (Eph. 6,12), il ne parle pas de la sorte pour abattre, mais pour relever le courage des fidèles. Donc, soyez sobre, veut-il dire, veillez, ayez la grâce du Seigneur pour auxiliaire dans vos combats ; avec beaucoup de zèle et de bonne volonté faites ce qui dépend de vous.

« Et ce que vous avez appris de moi avec de nombreux témoins, confiez-le à des hommes fidèles ». – « Fidèles » et non pas questionneurs et raisonneurs. Qu’est-ce à dire encore « fidèles ? » C’est-à-dire à ceux qui ne trahiront pas la prédication. « Ce que vous avez appris, entendu, et non ce que vous avez trouvé par vos propres recherches ». – « Car la foi vient par l’audition, et l’audition par la parole de Dieu ». (Rom. 10,17) Qu’est-ce à dire, avec de nombreux témoins ? C’est comme s’il disait : Ces enseignements, vous ne les avez pas reçus secrètement ni en cachette, mais en présence de beaucoup de monde et par une franche prédication. Il ne dit pas : dites-le, mais « confiez-le » comme un trésor que l’on ne confie et dépose qu’avec soin. Voilà encore de quoi inspirer des craintes à Timothée. Ce n’est pas à des fidèles seulement qu’il recommande de confier l’enseignement. Que servirait en effet d’être fidèle si l’on ne pouvait transmettre la foi à d’autres, si, content de ne pas trahir la foi, on ne savait pas faire d’autres fidèles. Il faut donc deux conditions pour former un docteur : qu’il soit fidèle et capable d’enseigner. Voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Qui seront capables d’en instruire d’autres ».

« Pour vous, souffrez comme un bon soldat de Jésus-Christ ». Quelle grande dignité que celle de soldat de Jésus-Christ ! Considérez les rois de la terre, et voyez quelle estime font d’eux-mêmes ceux qui les servent. Il est d’un soldat du grand Roi de souffrir ; qui ne souffre pas n’est point soldat. Donc, pas d’impatience si vous souffrez, un soldat doit souffrir sans se plaindre, il devrait même se plaindre de ne pas souffrir.

« Celui qui est enrôlé dans la milice, ne s’embarrasse point dans les affaires séculières pour ne s’occuper qu’à plaire à son général. Celui qui combat aux jeux n’est couronné que s’il a combattu suivant la loi ». Qu’est-ce à dire : « S’il n’a combattu suivant la loi ? » Ce n’est pas assez d’entrer dans l’arène, de se frotter d’huile, d’en venir aux mains, il faut encore garder toute la loi des athlètes, le régime alimentaire, la tempérance et la continence, le règlement de la palestre, il faut en un mot observer tout ce qui est recommandé aux athlètes ; la couronne est à ce prix. Et voyez la sagesse de saint Paul. Il a parlé d’athlètes et de soldats pour faire songer d’une part à la mort violente et au sang versé dans les persécutions, et d’autre part pour montrer la nécessite d’être fort, de tout supporter avec courage et de ne jamais cesser de s’exercer.

« Le laboureur qui travaille doit le premier avoir part à la récolte des fruits ». Il avait cité l’exemple du Seigneur, le sien propre ; maintenant il tire ses comparaisons de l’ordre commun, des athlètes, des soldats ; il indique pour récompense au soldat de plaire à son général, à l’athlète, d’être couronné. Voici encore un troisième exemple qui lui convient à lui surtout. Celui du soldat et celui de l’athlète convenaient aux simples fidèles, mais celui du laboureur convient particulièrement au docteur. Ne soyez pas seulement tel que le soldat, tel que l’athlète, mais encore tel que le laboureur. Le laboureur n’a pas soin seulement de lui-même, mais encore des fruits de la terre. Aussi reçoit-il une large récompense.

2. Par cet exemple tiré de la vie commune, il montre la souveraine indépendance de Dieu qui ne manque de rien, et la distribution libérale de l’enseignement qu’il fait porter à tous. De même, veut-il dire, que le laboureur ne travaille pas pour rien, mais qu’il jouit avant tous les autres de la peine qu’il a prise, ainsi doit-il en être du docteur. Tel est le sens, à moins qu’il ne veuille parler de l’honneur que l’on doit au docteur, mais cela n’est pas probable, car alors pourquoi n’a-t-il pas mis simplement : le laboureur, mais le laboureur qui travaille, qui fatigue ? Il parle aussi de la sorte afin de prévenir l’impatience que pourrait causer le retard de la récompense, comme s’il disait : Vous récoltez déjà, et la récompense est déjà dans le travail lui-même. Après ces exemples du soldat, de l’athlète, du laboureur, après ces paroles énigmatiques : « Personne n’est couronné, s’il n’a légitimement combattu », et : « Le laboureur qui travaille doit le premier avoir part à la récolte des fruits » ; il ajoute : « Comprenez ce que je dis. Que le Seigneur vous donne, l’intelligence en toutes choses » Cette forme sentencieuse est amenée par les précédents exemples. Ensuite il témoigne sa tendresse à Timothée en ne cessant pas de faire des souhaits en sa faveur, comme s’il craignait pour, son cher fils ; il dit donc : « Souvenez-vous : que Jésus-Christ est ressuscité, qu’il est de la race de David, selon mon Évangile, pour lequel je souffre jusqu’aux fers, comme un scélérat ».

Pourquoi rappelle-t-il ici ces choses ? C’est en même temps et pour lancer un trait aux hérétiques, et pour raffermir Timothée, et pour montrer l’avantage des souffrances ; puisque notre maître, le Christ, a vaincu la mort parla souffrance. Souvenez-vous de cela, dit-il, et vous aurez une consolation suffisante. « Souvenez-vous que Jésus-Christ est ressuscité des morts, qu’il est de la race de David ». Quelques-uns avaient déjà commencé à rejeter l’Incarnation, parce qu’elle suppose en Dieu une grandeur de bonté qui les confondait : Tels étaient les bienfaits de Dieu envers nous, que ces hommes n’osaient les attribuer à Dieu, ni croire qu’il se fût si fort abaissé pour nous.« Selon mon Évangile ». Il s’exprime souvent de la, sorte dans ses épîtres : « Selon mon, Évangile » ; soit pour faire entendre qu’il fallait lui obéir, soit parce que d’autres, prêchaient autre chose. – « Pour lequel je souffre jusqu’aux fers, comme un scélérat », Voici que de nouveau il tire de sa propre personne une consolation et un encouragement. Le disciple apprend par là que son maître a souffert : et qu’il n’a pas souffert inutilement ; deux choses propres à lui donner du courage pour la lutte. Il gagnera à faire de même, comme il perdra à faire autrement. Que servirait-il de, montrer les souffrances endurées parle maître, si elles n’étaient d’aucune utilité ? L’important c’est qu’elles aient été supportées : utilement et dans l’intérêt des disciples.

« Mais la parole de Dieu n’est point enchaînée ». C’est-à-dire, si nous étions des soldats de ce monde, si la guerre que nous faisons était une guerre sensible, ces fers qui lient nos mains pourraient quelque chose : mais Dieu nous a faits de telle sorte que personne ne peut nous vaincre. Les mains sont enchaînées, mais la langue ne l’est pas. Rien ne peut lier la langue ; excepté la timidité et le manque de foi. Tant que nous ne serons ni lâches ni chancelants dans la foi, liez tant qu’il vous plaira nos mains, la prédication restera libre. Par exemple, si vous liez un laboureur, vous empêchez la semence, car c’est, avec la main, qu’il sème. Mais quand même vous lieriez le docteur ; vous n’arrêteriez pas la parole qui se sème non avec la main, mais avec la langue. Notre parole n’est donc pas, susceptible d’être assujettie aux liens. Pendant que nous sommes, enchaînés ; elle court librement. Vous en avez la preuve puisqu’en ce moment nous prêchons, bien qu’enchaîné. C’est là un encouragement pour ceux qui sont libres. Si nous prêchons tout enchaîné, combien plus devez-vous le faire, vous qui êtes libres, Vous m’entendez dire que je souffre comme un malfaiteur, n’en soyez pas abattu. N’est-ce pas merveilleux qu’un homme enchaîné fasse l’œuvre d’un homme libre, que tout lié qu’il est, il triomphe de tout ; que tout lié qu’il est, il vainque ceux qui sont lié ? C’est qu’il s’agit de la parole de Dieu, non de la nôtre ; or des liens humains ne sauraient entraver la parole de Dieu.

« C’est pourquoi j’endure tout pour les élus, afin qu’ils acquièrent aussi le salut qui est en Jésus-Christ avec la gloire éternelle », Voici encore une autre exhortation. Ce n’est pas pour moi, dit l’apôtre, mais pour le salué des autres que je souffre ces choses. Je pourrais vivre exempt de danger, je pourrais me délivrer de tous ces maux, si je ne considérais que ma personne. Mais pourquoi enduré-je ces maux pour le bien des autres, pour que d’autres acquièrent la vie éternelle. Que promettez-vous ? Il n’a pas dit : Je souffre pour les hommes quels qu’ils soient, mais « pour les élus ». Si Dieu lui-même les a choisis, il convient que nous soutirions tout peureux, « afin qu’eux aussi acquièrent le salut », Dire « eux aussi », c’est donner à entendre comme nous-mêmes. En effet ; Dieu nous a aussi choisis. Et de même que Dieu a souffert pour nous, de même nous souffrons pour eux : c’est donc une dette que nous payons et non une grâce que nous faisons. De la part de Dieu c’était une grâce, puisque ses propres bienfaits n’avaient pas été précédés de bienfaits qu’il eût reçus. Mais de notre part ce n’est qu’une rétribution. C’est parce que nous avons reçu de Dieu des bienfaits, qu’à notre tour nous souffrons pour ses élus afin qu’ils acquièrent le salut. Que dites-vous ? de quel salut voulez-vous parler ? vous qui ne vous êtes pas sauvé par vous-même, mais qui étiez perdu si un autre ne vous eût sauvé, vous seriez l’auteur du salut de quelqu’un ? C’est pour prévenir cette objection qu’il ajoute : « Du salut qui est en Jésus-Christ, avec la gloire éternelle ». Le présent est dur, mais il ne va pas plus loin que la terre ; le présent est misérable, mais il est passager ; il est plein d’amertume, mais il ne dure que jusqu’à demain.

3. Tels ne sont pas les vrais biens ; ils sont éternels, ils sont dans le ciel. C’est là qu’est la vraie gloire, celle de ce monde n’est qu’un opprobre. Pénétrez-vous de cette vérité, mon cher auditeur, il n’y a pas de gloire sur la terre, la gloire véritable habite dans les cieux. Voulez-vous être glorifié, exposez-vous aux outrages ; voulez-vous jouir du bonheur de la liberté, soyez écrasé par l’oppression. Voulez-vous nager dans la gloire et les délices, répudiez tout ce qui est du temps. Oui, l’opprobre est une gloire, et la gloire un opprobre ; mettons cette vérité dans tout son jour, afin que nous voyions la face de la vraie gloire. Il n’est pas donné à l’homme de trouver la gloire sur la terre ; si vous voulez la rencontrer, c’est par l’opprobre que vous devrez passer. Examinons cette question en considérant deux hommes, l’empereur Néron et l’apôtre saint Paul. Celui-là avait la gloire du monde en partage ; celui-ci l’opprobre ; celui-là était empereur, il avait fait beaucoup d’exploits et dressé de nombreux trophées. Il était inondé de richesses ; des armées innombrables et la plus grande partie de la terre recevaient ses ordres. La capitale du monde était à ses pieds ; tout le sénat s’inclinait devant lui ; rien n’égalait la splendeur de ses palais. A la guerre, il portait des armes d’or et de pierres précieuses ; en temps de paix, il trônait sous la pourpre. Il avait beaucoup de gardes et de doryphores. Il portait les noms de maître de la terre et de la mer ; d’empereur ; d’Auguste ; de César, de prince et de beaucoup d’autres, inventés par l’adulation et la flatterie. Rien enfin ne lui manquait de ce qui fait la gloire de ce monde. Les sages, les potentats et les rois tremblaient devant lui. On savait qu’il était féroce et sans pudeur. Il voulait être dieu ; il se mettait au-dessus de toutes les idoles des païens, au-dessus du vrai Dieu lui-même, et se faisait honorer comme un dieu. Quoi de plus grand qu’une telle gloire ? Ou plutôt, quoi de pire qu’une telle infamie ? Je ne sais comment, par l’effet de la vérité, ma bouche a devancé m’a pensée et prononcé la sentence avant le jugement. Mais continuons d’examiner la question au point de vue de la multitude, et selon les idées des païens et des flatteurs. Quoi de plus grand, sous le rapport de la gloire ; que d’être regardé comme un dieu ? C’est en réalité une grande infamie qu’un homme ait une si folle prétention ; mais nous continuons d’examiner la question selon les idées du grand nombre. Rien ne lui manquait donc de ce qui fait la gloire humaine : il était honoré comme un dieu.

Mais mettons en face de lui saint Paul, si vous voulez bien. C’était un homme de Cilicie ; or, tout le monde sait la différence qu’il y a entre Rome et la Cilicie. Il était ouvrier en cuir, pauvre, peu instruit de la science profane, ne sachant que l’hébreu, langue méprisée de tous, surtout des Italiens. Ils ont, en effet, moins de mépris pour la langue des barbares, pour celle des Grecs, pour aucune autre que pour celle des Syriens qui ressemble beaucoup à l’hébreu. Il ne faut pas s’étonner s’ils méprisaient l’hébreu, puisqu’ils méprisent même la langue grecque, si belle, si admirable. C’était un homme qui connaissait la faim et la soif, qui allait plus d’une fois dormir sans être rassasié, un homme qui avait à peine de quoi se vêtir. « Dans le froid et la nudité », dit-il lui-même. (2Co. 12,27) Ce n’est pas tout, il était dans les fers, il y était avec des brigands, des imposteurs, des violateurs de tombeaux, des meurtriers, il y avait été mis par l’ordre de Néron et battu de verges comme un vil malfaiteur ; c’est saint Paul lui-même qui le dit. Quel est cependant le plus illustre des deux ? N’est-il pas vrai que la multitude a oublié jusqu’au nom de l’empereur, tandis que Grecs, Barbares et Scythes, que les peuples les plus éloignés célèbrent chaque jour le nom de l’apôtre ? Mais ne considérons pas encore ce qui a lieu maintenant, et voyons les choses telles qu’elles étaient alors : Encore un coup, quel était le plus illustre, quel était le plus glorieux de ces deux hommes, celui qui avait le corps enfermé dans une chaîne de fer, celui que l’on traînait hors de sa prison avec la chaîne qui le liait, ou celui qui était vêtu de pourpre, et qui s’avançait avec pompe hors de son palais ? Je réponds sans hésiter que c’est le captif. Pourquoi ? C’est que le prince, avec toutes ses armées, avec tout son luxe, ne pouvait faire ce qu’il voulait, et que le captif, sous ses simples et pauvres vêtements, exerçait une plus grande autorité que lui. Comment et de quelle manière ? Celui-là disait : Ne répands pas la semence de la parole évangélique. Celui-ci répondait : Je ne puis ne pas la répandre, car la parole de Dieu n’est point liée. Et le Cilicien, le captif, le faiseur de tentes, le pauvre, l’homme exposé à souffrir la faim, méprisait le Romain, le riche, le prince, le maître du monde, celui de qui dépendaient tant de vies, et ses nombreuses armées ne lui servaient de rien. Lequel des deux était illustre et glorieux ? Celui qui était vaincu sous la pourpre, ou celui qui vainquait dans les fers ? Celui qui se tenait en bas et qui lançait des traits, ou celui qui, assis en haut, était en butte aux coups ? Celui qui donnait des ordres qui étaient méprisés, ou celui qui ne tenait pas compte des ordres qu’il recevait ? Celui qui était vaincu au milieu d’armées innombrables, ou celui qui était vainqueur, quoique seul et sans secours humain ? L’empereur donc céda la victoire au captif. Dites-moi donc lequel des deux partis vous embrasseriez ? Il ne s’agit pas encore de la vie future ; nous ne considérons pas encore la question à ce point de vue. De quel parti voudriez-vous avoir été, de celui de saint Paul, ou de celui de Néron ? Je ne dis pas au point de vue de la foi, ce serait trop évident, mais à celui de la gloire, de l’honneur, de l’éclat. Tout cœur généreux préférera le parti de saint Paul, parce qu’il est plus beau de vaincre que d’être vaincu. Et encore cette victoire est moins étonnante par elle-même que par les circonstances et par l’appareil du vainqueur et du vaincu. Car je veux le redire, et je ne me lasserai pas de le répéter : L’homme enchaîné terrassa l’homme couronné.

4. Telle est la vertu du Christ : une chaîne de fer triomphait de la couronne impériale ; un captif, d’un César. Paul, comme un prisonnier, ne portait que des haillons ; et ces haillons, avec les fers du prisonnier, attiraient plus les regards que la pourpre. Il était par terre et le front dans la poussière, et néanmoins les yeux des hommes se détournaient du char d’or de l’empereur pour s’arrêter sur lui, et c’était naturel. Car c’était une chose ordinaire de voir l’empereur conduit par un attelage blanc ; mais ce qui était nouveau et étrange, c’était de voir un prisonnier parler à l’empereur avec autant de hardiesse et de liberté que l’empereur en mettrait à parler à un vil et misérable esclave. Une foule nombreuse était présente, toute composée des esclaves de Néron. Ils admiraient, non leur prince, mais son vainqueur. Celui que tous ensemble redoutaient, saint Paul seul le foulait aux pieds. Voyez quelle splendeur dans les fers. Que dirons-nous encore ? Le tombeau du prince n’est pas même connu ; et l’apôtre, effaçant en éclat tous les empereurs, repose dans la ville capitale du monde, là où il a remporté la victoire et dressé son trophée. On ne parle de celui-là que pour le mépriser, même parmi les païens, car c’était un impie ; la mémoire de celui-ci est partout accompagnée de bénédictions, même chez nos ennemis. Lorsque la vérité brille, les ennemis mêmes n’ont pas l’impudence de la repousser. S’ils n’admirent pas la foi de saint Paul, ils admirent sa franchise et sa hardiesse. Celui-ci vole tous les jours de bouche en bouche, couronné d’une renommée glorieuse ; celui-là ne reçoit partout qu’injures et mépris. De quel côté donc se trouve la gloire ?

Mais, à mon insu, je n’ai loué du lion que son ongle, au lieu de dire le plus important. Quel est le plus important ? Le bonheur du ciel ; la splendeur dont Paul sera revêtu lorsqu’il viendra avec le Roi des cieux, et d’un autre côté l’abaissement de Néron, son état misérable. Si je vous semble dire des choses incroyables et ridicules, vous vous rendez ridicules vous-mêmes, vous qui riez de choses nullement risibles. Si vous ne croyez pas à la vie à venir, croyez-y du moins par la considération des choses passées. Le temps des couronnes n’est pas encore venu, et cependant voyez l’honneur dont jouit déjà le vaillant athlète du Christ ; de quel honneur donc jouira-t-il lorsque viendra l’Agonothète avec toutes ses couronnes. S’il est ainsi admiré, lui étranger parmi des étrangers, quel sera donc son bonheur quand il sera parmi les siens ? « Maintenant notre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu » (Col. 3,3), et cependant l’apôtre, quoique mort, est plus puissant que les vivants, plus honoré. Lors donc que le grand jour de la vie sera venu, de quelle abondance de vie et de bonheur ne jouira-t-il pas ? C’est pour cela que Dieu le fait jouir de tant d’honneurs qu’il ne demandait pas. S’il a méprisé la gloire du monde lorsqu’il était dans son corps, combien plus doit-il la mépriser maintenant qu’il en est délivré ? Dieu l’a encore comblé de toute cette gloire afin que ceux qui n’ont pas foi dans l’avenir se laissent du moins conduire par le spectacle du présent. Je dis que saint Paul viendra avec le Roi des cieux au jour de la résurrection, et qu’il jouira de tous les biens de la vie glorieuse. Mais l’incrédule refuse de me croire, alors j’attire son attention sur le présent pour forcer sa croyance.

Le faiseur de tentes est plus glorieux, plus honoré que l’empereur. Jamais souverain de Rome n’a joui d’autant d’honneurs que l’ouvrier en cuirs. L’empereur Néron gît dans quelque lieu ignoré où il a été jeté au hasard, et l’apôtre Paul occupe le centre de Rome, il en est le maître et le roi. En voyant cela, croyez donc aussi à l’avenir. S’il reçoit maintenant tant d’honneurs là même où il fut maltraité, persécuté, que sera-ce lorsqu’il viendra avec Jésus-Christ ? S’il a acquis tant de gloire, quoiqu’il ne fût qu’un simple faiseur de tentes, que sera-ce quand il viendra revêtu de toutes les splendeurs célestes ? S’il est parvenu à tant de grandeur, parti de tant de bassesse, où ne montera-t-il point dans le séjour de la gloire ? Peut-on éviter de voir les faits ? Qui ne serait ému de voir un faiseur de tentes environné de plus d’honneurs que les plus grands monarques de la terre ? Si dès ici-bas nous voyons des choses qui surpassent la nature, pourquoi n’en serait-il pas de même dans l’avenir ? Crois donc le présent, ô homme, si tu ne veux pas croire l’avenir ; crois les choses visibles, si tu refuses de croire les invisibles. Ajoute foi à ce que tu vois, et de la sorte tu ajouteras foi à ce que tu ne vois pas encore. Si tu t’obstines dans ton incrédulité, ce sera le cas de te dire le mot de l’apôtre : « Nous sommes purs du sang de vous tous ». (Act. 20,26) Nous avons rendu témoignage de toute manière, nous n’avons rien omis de ce que nous devions dire, et vous ne pourrez imputer qu’à vous-mêmes le supplice de l’enfer qui vous attend.

Pour nous, mes chers enfants, imitons saint Paul, non seulement dans sa foi, mais encore dans sa vie. Pour obtenir la gloire du ciel, foulons aux pieds la gloire de ce monde. Qu’aucune des choses présentes ne nous attache. Méprisons les biens visibles pour obtenir les invisibles ; ou plutôt obtenons-les tous en acquérant ces derniers, auxquels principalement nous devons tendre. Puissions-nous tous en être jugés dignes. Ainsi soit-il.




HOMÉLIE V.

C’EST UNE VÉRITÉ TRÈS-ASSURÉE QUE, SI NOUS MOURONS AVEC JÉSUS-CHRIST, NOUS VIVRONS AUSSI AVEC LUI. SI NOUS SOUFFRONS AVEC LUI, NOUS RÉGNERONS AUSSI AVEC LUI. SI NOUS LE RENONÇONS, IL NOUS RENONCERA AUSSI. SI NOUS RESTONS INCRÉDULES, IL N’EN DEMEURE PAS MOINS FIDÈLE, CAR IL NE PEUT SE RENIER LUI-MÊME. DONNEZ CES AVERTISSEMENTS ET PRENEZ-EN LE SEIGNEUR A TÉMOIN. NE VOUS LIVREZ PAS A DE VAINES DISPUTES DE PAROLES, QUI NE SONT BONNES À RIEN QU’À PERVERTIR CEUX QUI LES ÉCOUTENT. (II, 11-14)



Analyse.
  1. Souffrir avec Jésus-Christ pour régner avec lui.
  2. Conserver l’enseignement évangélique dans toute sa pureté ; n’y souffrir aucune nouveauté profane.
  3. Quels sont les caractères qui distinguent les hommes fermement attachés à la foi.
  4. Une mauvaise conscience ne connaît pas de repos. – Il n’est personne qui ne redoute le jugement. – Dieu punit quelquefois les méchants dès cette vie.

1. Beaucoup de personnes faibles succombent sous le fardeau de la foi, et ne peuvent attendre le délai de l’espérance. Ils s’attachent au présent et en tirent des conjectures pour l’avenir. Or, à cette époque, le présent, c’était la mort, c’étaient les supplices, c’était la prison. Ces apparences n’étaient pas faites pour donner de la confiance, et en promettant une vie éternelle, l’apôtre pouvait rencontrer des incrédules : Quoi ! pouvait-on lui dire, est-il bien vrai que je meure alors que je vis, et que je vive alors que je meurs ? Vous ne promettez rien pour la terre, et vous donnez tout dans le ciel ? Vous ne pouvez pas même donner peu, et vous promettez beaucoup ? Il prévient ces pensées par une affirmation nette et précise, appuyée sur des preuves données d’avance (par exemple il a dit : « Souvenez-vous que le Christ est ressuscité des morts », c’est-à-dire, que sa mort a été suivie de sa résurrection) : maintenant encore il affirme la même chose en disant : « C’est une vérité très-assurée que celui qui obtiendra la vie céleste, obtiendra aussi la vie éternelle ». Qu’est-ce qui le prouve ? « C’est que si nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons aussi avec lui ». Se peut-il que partageant ses douleurs et ses travaux, nous ne partagions pas son bonheur ? Mais un homme même ne le ferait pas. Comment ! quelqu’un aurait volontairement été au supplice avec lui, à la mort avec lui, et lorsque seraient venus des jours meilleurs, il le renierait pour son compagnon ? C’est impossible. — Où donc sommes-nous morts avec Jésus-Christ ? La mort dont saint Paul parle ici est la mort par le baptême et par les souffrances. En effet, il dit ailleurs : « Portant en tout lieu dans notre corps la mortification du Seigneur » (2Co. 4,10) ; et encore : « Ensevelis avec lui par le baptême » ; et : « Notre vieil homme a été crucifié avec lui » ; et enfin : « Si nous avons été entés en lui par la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés par la ressemblance de sa résurrection ». (Rom. 6,4-6)

Mais dans le passage qui nous occupe, c’est surtout de la mort par les souffrances qu’il entend parler, parce qu’il était dans les épreuves lorsqu’il écrivait ces choses. Voici le sens de ses paroles : Si nous mourons par lui, ne ressusciterons-nous pas par lui ? Cela est incontestable. — « Si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui ». Il n’a pas dit absolument : « Nous régnerons avec lui », mais conditionnellement : « Si nous souffrons avec lui », indiquant ainsi que ce n’est pas assez de mourir une fois (ce bienheureux apôtre mourait tous les jours), mais qu’il faut une longue patience, vertu qui était surtout nécessaire à Timothée. Commencer n’est rien si l’on ne persévère. Ensuite il a recours à un autre motif ; après avoir exhorté par la considération des biens, il exhorte par la considération des maux. Si les pécheurs devaient avoir part aux mêmes biens, ce ne serait plus une consolation. De plus, si ceux qui soutirent avec Jésus-Christ devaient, à la vérité, régner avec lui, mais que ceux qui ne souffrent pas avec lui en fussent quittes pour ne pas régner avec lui, ce serait bien une peine grave, mais dont la multitude ne serait pas très-vivement touchée. C’est pourquoi l’apôtre les menace de quelque chose de plus terrible : « Si nous le renonçons », dit-il, « il nous renoncera ». La rétribution se fera donc non seulement par les biens, mais aussi par les maux. Que devra donc souffrir celui que le Fils de Dieu reniera dans son royaume ? Songez-y. « Celui qui m’aura renié, je le renierai moi aussi ». (Mat. 10,33) Entre ces deux reniements, l’égalité n’est qu’apparente ; nous ne sommes que des hommes et lui est Dieu ; c’est tout dire.

2. Tout le mal que nous faisons retombe sur nous, non sur lui que rien ne peut atteindre. C’est ce que l’apôtre indique par ces mots : « Si nous restons incrédules, il n’en demeure pas moins fidèle, car il ne peut se renier lui-même », c’est-à-dire, nous avons beau ne pas croire en sa résurrection, il n’en est aucunement lésé. Il est la vérité même, il est infaillible, quoi que nous puissions dire ou ne pas dire. Puisque notre dénégation ne lui fait aucun tort, s’il demande notre confession, c’est donc uniquement dans notre intérêt. Pour lui il demeure le même, quelque chose que nous puissions confesser ou nier. « Pour lui, il ne peut se renier », c’est-à-dire, il ne peut pas ne pas être. Nous, nous disons qu’il n’est pas, parlant contre la vérité. Il n’a pas une nature à cesser d’être, il ne le peut pas ; il ne peut pas être réduit à n’être plus. Il demeure à jamais, sa substance est éternelle. N’ayons donc pas d’illusion, et ne croyons pas que nous puissions ni lui procurer quelque avantage, ni lui nuire. Ensuite pour qu’on ne croie pas que Timothée ait besoin de ces instructions pour lui-même, l’apôtre ajoute : « Donnez ces avertissements, et prenez-en le Seigneur à témoin. Ne vous livrez pas à de vaines disputes de paroles qui ne sont bonnes à rien qu’à pervertir ceux qui les écoutent ». Prendre le Seigneur à témoin, c’est grave. Si le témoignage même d’un homme n’est pas à mépriser, que sera-ce de celui de Dieu ? Par exemple, quelqu’un appelle des témoins dignes de foi pour assister à un contrat ou bien à un testament, est-ce que nul d’entre eux voudra trahir le secret qu’on lui a confié ? Non ; il le voudrait, que la discrétion à laquelle est obligé un témoin le retiendrait. Qu’est-ce à dire, « Prenant à témoin ? » Il appelle Dieu pour être témoin de ce qu’il dira, de ce qu’il fera. – « Ne vous livrez pas à des disputes de paroles qui ne sont bonnes à rien », il ajoute même « à rien qu’à pervertir ceux qui les écoutent ». Aucun profit et de grands dommages, voilà ce qui résulte de ces disputes. Donnez donc ces avertissements et Dieu jugera ceux qui les mépriseront. Pourquoi donc ce conseil de ne pas disputer ? Il connaissait le penchant de la nature humaine pour les contestations et les discussions. Pour s’y opposer, il ne se contente pas de dire : Ne disputez pas ; il ajoute, pour que sa défense soit plus terrible : « Pour la perversion de ceux qui écoutent ».
« Ayez soin de vous présenter devant Dieu comme un ministre digne de son approbation, comme un ouvrier qui ne rougit point, et qui sait bien dispenser la parole de vérité ». Ne pas rougir est un commandement qui revient souvent, pourquoi cette insistance de saint Paul à parler de la honte ? C’est parce qu’il y en avait plusieurs qui vraisemblablement rougissaient de saint Paul lui-même, qui n’était qu’un faiseur de tentes, et de l’Évangile, en voyant périr ceux qui le prêchaient. Le Christ était mort en croix, saint Paul allait être décapité, saint Pierre, crucifié la tête en bas ; et c’étaient les plus méprisables et les plus insolents des hommes qui les traitaient de la sorte. Le pouvoir était dans les mains de ces hommes, voilà la raison de ce commandement : « Ne rougissez pas », c’est-à-dire, n’ayez pas honte de faire tout ce qu’exige la religion, quand même il faudrait pour cela s’exposer à l’esclavage et à tous les supplices. Comment mérite-t-on l’approbation ? En travaillant sans rougir à propager l’Évangile, en endurant tout pour cela. « Dispensant en droiture la parole de la vérité ». Ceci n’est pas hors de propos ; il y en a beaucoup qui la dénaturent et qui la faussent, en y mêlant leurs propres idées. Le mot dont il se sert [1] signifie trancher selon la droiture. C’est comme si l’apôtre disait : Retranchez ce qu’il y a d’étranger, coupez-le, rejetez-le avec beaucoup de vigueur. Comme l’ouvrier qui taille une lanière, prenez le glaive du Saint-Esprit, et retranchez de toutes parts tout ce qu’il y a de trop, tout ce qu’il y a d’étranger dans la prédication.

« Évitez les profanes nouveautés de paroles ». L’erreur ne sait pas s’arrêter. Dès qu’une nouveauté s’est introduite, elle en provoque toujours de nouvelles. Où voulez-vous que s’arrête l’égarement des esprits une fois sortis du port de l’immuable vérité ? – « Car, elles profitent beaucoup à l’impiété : et leurs discours, comme la gangrène, gagnent de proche en proche ». C’est un mal que rien ne peut contenir dans ses limites, qui avance toujours, et qui finit par tout perdre. L’apôtre montre donc la nouveauté comme une maladie, et quelque chose de pire. Il montre aussi que ces esprits sont d’autant plus incorrigibles que leurs erreurs sont volontaires.

De ce nombre sont Hyménée et Philète, « qui se sont écartés de la vérité, disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont renversé la foi de quelques-uns ». Il dit très justement : « Ils profiteront beaucoup à l’impiété ». Il semble d’abord que ce soit là le seul mal, mais voyez combien d’autres en naissent. Si la résurrection est déjà arrivée, nous voilà premièrement privés de cette grande gloire qui doit en être la conséquence, mais ensuite que devient le jugement, que devient la rétribution ? Voilà les bons frustrés du prix de leurs afflictions et de leurs douleurs ; voilà les méchants restés sans punition, et ceux qui vivent au sein des plaisirs ont bien raison il vaudrait mieux dire qu’il n’y a pas de résurrection que de prétendre qu’elle a déjà eu lieu. – « Et ils renversent », dit-il, « la foi de quelques-uns ». Non de tous, mais de quelques-uns. « S’il n’y a pas de résurrection, la foi ne se soutient plus. S’il n’y a pas de résurrection, notre prédication est vaine », et le Christ n’est pas ressuscité. (1Co. 15,14) S’il n’est pas ressuscité, il n’est pas né non plus, ni il n’est pas monté au ciel. Voyez-vous que de ruines, bien qu’en apparence on ne s’attaque qu’au dogme de la Résurrection ? – Mais ne reste-t-il rien à faire pour ceux qui ont dévié de la foi ? Écoutez : « Mais le fondement de Dieu reste ferme ayant pour sceau cette parole : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui » ; et : « Que quiconque invoque le nom de Jésus-Christ, s’éloigne de l’iniquité ».

3. Cela veut dire que même avant d’être renversés ils n’étaient pas fermes ; autrement ils n’auraient pu être renversés par un premier choc. Adam non plus n’était pas ferme avant sa chute. Ceux dont la foi est solidement plantée, excitent l’admiration des séducteurs, loin de subir leur mauvaise influence. Inébranlable comme un édifice assis sur un fondement solide, telle doit être la foi. « Ayant pour sceau cette parole : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui ». Que veut dire cette parole tirée du Deutéronome ? Elle veut dire que les âmes fermes sont si bien attachées à la foi, qu’elles ne peuvent être renversées ni même ébranlées. A quelles marques les reconnaît-on ? Elles ont ces paroles comme écrites sur leurs œuvres ; elles sont connues de Dieu ; elles ne se perdent pas avec la foule ; elles s’abstiennent de l’injustice. « Que quiconque invoque le nom du Seigneur, s’éloigne de l’iniquité ». Voilà quels sont les caractères d’une âme solidement fondée en la foi ; elle est comme un fondement solide. Elle est comme une pierre sur laquelle des lettres sont gravées, lettres pleines de sens, lettres qui sont des œuvres. Ayant encore pour sceau indélébile cette parole : « Que quiconque invoque le nom du Seigneur, s’éloigne de l’iniquité ». Donc tout homme qui est injuste n’adhère point au fondement. C’est donc une marque d’une foi solide, que de ne pas commettre d’injustice.

Ne perdons point ce sceau et cette marque royale ; gardons notre caractère et notre beauté. Ne soyons pas comme une maison qui tombe en ruine, soyons ce fondement, ce fondement solide dont parle saint Paul, – lequel reste immobile dans la vérité. Cela montre que pour appartenir à Dieu, il faut s’éloigner de l’iniquité. Comment, en effet, serait-on à Dieu qui est le Juste par excellence, quand on fait ce qui est injuste, quand on combat Dieu par ses œuvres et qu’on l’outrages par ses actions ? Voilà que nous accusons encore une fois l’injustice, et qu’en l’accusant nous excitons contre nous l’inimitié d’un grand nombre. Ce mal est comme un tyran qui a subjugué toutes les âmes ; et ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’il se fait obéir non par la contrainte et la force, mais par la persuasion et la douceur ; on lui sait gré de l’esclavage dans lequel il réduit. C’est réellement là ce qu’il y a plus fâcheux, parce que s’il retenait par la violence et non par l’amour, on échapperait vite à son étreinte. D’où vient qu’on trouve donc une chose en soi si amère ? D’où vient au contraire que l’on trouve amère la justice qui est si douce ? Cela vient de l’état où sont nos sens. Il y en a de même qui trouvent le miel amer et qui goûtent avec plaisir des aliments nuisibles. La cause n’en est pas dans la nature des choses, mais dans la perversion du goût. Tout dépend de notre jugement. Une balance qui trébuche ne saurait peser juste. Il en est de même de notre âme. Si le jugement avec lequel elle balance et pèse toute chose n’est pas étroitement et solidement fixé à la loi de Dieu elle ne peut rien apprécier comme il faut, elle ne fait que vaciller et trébucher à l’aventure.

Si l’on examinait bien exactement, on se convaincrait que l’injustice contient beaucoup d’amertume, non pas seulement pour ceux qui la souffrent, mais aussi pour ceux qui la font souffrir et surtout pour ceux-ci. Sans parler de l’avenir, à s’en tenir au présent, n’engendre-t-elle pas les querelles, les procès, les injures, l’envie et la médisance ? Et quoi de plus amer que tout cela ? N’est-ce pas aussi l’injustice qui produit les haines, les guerres, les délations ? N’est-ce pas elle qui cause le remords qui tourmente l’âme sans relâche ? Je voudrais, si c’était possible, tirer pour un instant l’âme injuste de son enveloppe corporelle, vous la verriez d’une pâleur livide, toute tremblante, couverte de confusion, anxieuse et se condamnant elle-même. Quand même nous serions tombés au fond de l’abîme du mal, la faculté de juger que possède notre raison n’en serait pas altérée, elle demeurerait intacte. Personne ne commet l’injustice, parce qu’il trouve beau de la commettre, mais on se forge des prétextes, et il n’est rien qu’on ne tente pour se disculper du moins en paroles. Mais grâce à la conscience on n’y peut jamais parvenir. En apparence, la pompe des paroles, la corruption des princes, la multitude des flatteurs obscurcissent la justice ; mais dans le fond de la conscience il n’y a rien de tout cela, il n’y a pas de flatteurs, il n’y a pas d’argent pour corrompre le juge. Nous avons en nous un jugement naturel que Dieu nous a donné et qui ne laisse pas obscurcir la justice.

4. Des sommeils pénibles, des images importunes, le souvenir sans cesse renaissant du mal qu’on a fait viennent toujours troubler notre repos. Par exemple, on s’est emparé injustement de la maison d’autrui ; la victime de l’injustice n’est pas seule à gémir, l’auteur du vol gémit aussi pour peu qu’il croie au jugement dernier. Celui qui a cette croyance est dans une cuisante inquiétude. Celui même qui ne l’a point n’est pas pour cela exempt de honte et de confusion. Ou pour dire la vérité, il n’est personne soit grec, soit juif, soit hérétique qui ne redoute le jugement. Si ce n’est pas la pensée d’un avenir qui l’inquiète, il tremble encore à l’idée des châtiments de la vie présente ; il craint d’être frappé dans ses biens, dans ses enfants, dans ses proches, dans son âme et sa vie ; car ce sont là de ces coups que Dieu frappe. Parce que le dogme de la résurrection ne suffit pas pour nous rendre tous sages, Dieu donne dès ici-bas des preuves et des marques signalées de la justice de ses jugements. Un tel qui s’est enrichi en violant la justice, n’a pas d’enfant, un tel périt à la guerre ; un autre perd un membre, un autre se voit enlever son fils. Ces peines, il y songe, il se les représente, il vit dans de perpétuelles alarmes. Voyez-vous ce que souffrent ceux qui commettent l’injustice ? Croyez-vous que l’amertume manque à leur vie ? Supposez qu’il ne leur arrive rien de semblable, est-ce qu’il ne leur reste pas pour les punir le blâme, la haine, et l’aversion de tous les hommes ? Tous s’accordent, ceux mêmes qui, leur ressemblent, pour les mettre au-dessous des bêtes féroces. Si chacun se condamne soi-même, à plus forte raison condamne-t-on les autres et les appelle-t-on ravisseurs, voleurs, fléaux du genre humain. Quel agrément procure donc la pratique de l’injustice ? Aucun, si ce n’est le souci qu’elle donne pour conserver ce qu’elle a fait acquérir ; elle ajoute à nos inquiétudes, voilà tout. Plus en effet on amasse de richesses, plus on augmente la cause de ses insomnies.

Que dirai-je des malédictions de ceux qui ont été lésés, de leurs supplications ? Et si la maladie survient ? L’impie le plus déterminé, dès qu’il se sent malade, s’inquiète nécessairement de ses injustices en se voyant réduit à l’impuissance. Tant qu’on est plein de santé, une âme adonnée aux voluptés ne sent pas beaucoup ce que la vie a d’amer. Mais lorsqu’elle est sur le point de sortir du corps, lorsqu’elle se voit déjà comme dans le vestibule du redoutable tribunal, alors elle est saisie d’un effroi qui domine tout autre sentiment. Tant que les voleurs sont dans la prison, ils ne tremblent point ; mais dès qu’on les amène devant le voile qui cache le tribunal du juge, ils meurent de frayeur. La crainte d’une mort prochaine est comme un feu qui détruit dans l’âme toutes les pensées mauvaises, qui oblige l’homme à devenir sage et à réfléchir sérieusement à l’autre vie ; elle exclut l’amour de l’argent, la passion des richesses et tous les désirs charnels. Les fumées de la concupiscence et de la cupidité une fois dissipées, le jugement reprend toute sa clarté et sa pureté. La dureté même du cœur s’amollit sous la pression de la douleur. La sagesse n’a pas de plus grand ennemi que les délices, ni de meilleur auxiliaire que la douleur. Considérez quel peut être à son heure dernière l’état d’un avare enrichi du bien d’autrui. « Une heure d’affliction », dit le sage, « fait oublier tous les plaisirs dont on a joui ». (Sir. 11,27) Quel sera donc l’état de son âme, lorsqu’il songera à ceux qu’il a lésés, volés, frustrés ? lorsqu’il verra que d’autres vont profiter de ses injustices, et qu’il va, lui, en rendre compte ? Il n’est pas possible que ces réflexions ne se présentent pas à la pensée avec la maladie qui survient : l’âme alors en est bouleversée, tourmentée, épouvantée. Songez quelle amertume ! Or cela arrive nécessairement à chaque maladie. Si avec cela il en voit d’autres punis et emportés par la mort, quel surcroît d’angoisses pour lui ?

Voilà pour cette vie ; mais qui dira les châtiments de l’autre vie, ses vengeances, ses supplices et ses tortures ? Nous vous le disons : « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende ». (Luc. 8,8) Nous revenons souvent là-dessus, non que ce sujet nous plaise, mais parce que nous y sommes forcés. Nous voudrions pouvoir nous dispenser de vous parler jamais de ces choses ; nous désirerions du – moins qu’il suffît d’une légère application de ce remède pour guérir vos âmes de la maladie du péché ; mais puisque vous demeurez dans votre infirmité, il y aurait de ma part lâcheté et bassesse à ne pas user de ce moyen de guérison, ce serait même de la cruauté et de la barbarie. Si, lorsque les médecins désespèrent de guérir nos corps, nous ne laissons pas que de les encourager et de leur dire : Ne vous rebutez point, jusqu’à ce que le malade ait rendu le dernier soupir faites ce qui dépendra de vous, usez de tous les moyens ; ne devons-nous pas à plus forte raison faire de même pour les âmes malades ? Une âme peut aller jusqu’aux portes de l’enfer, jusqu’aux dernières limites du vice, et revenir après à résipiscence, se corriger, revenir au bien et acquérir la vie éternelle. Combien en a-t-on vus que dix sermons n’ont pu toucher, et que le onzième a convertis ? Ou plutôt, ce n’est pas le onzième tout seul qui a opéré leur conversion, les dix premiers, sans les toucher visiblement, avaient déposé dans leurs âmes une semence qui a enfin porté son fruit. C’est ainsi qu’un arbre recevra dix coups de hache sans branler, et qu’un onzième coup le fera tomber. Cependant ce n’est pas le dernier coup qui a tout fait ; s’il a réussi, c’est grâce aux dix premiers. En regardant à la racine on se rend compte de ce fait, mais on ne s’en rend pas compte en regardant le sommet ou même le tronc de l’arbre. C’est la même chose ici. Les médecins appliquent quelquefois de nombreux remèdes sans arriver à aucun résultat, puis un dernier qu’ils emploient amène enfin la guérison. Ce n’est pas cependant le dernier remède qui a tout fait, les autres avaient déjà préparé l’œuvre qu’il a enfin accomplie. Donc si les instructions que nous entendons ne donnent pas immédiatement leur fruit, elles le donneront plus tard ; j’en ai la ferme confiance. Le désir que vous témoignez d’entendre la parole de Dieu ne tombera pas en pure perte, ce n’est pas possible. Puissions-nous, nous tous qui avons été jugés dignes d’entendre les enseignements de Jésus-Christ, obtenir les biens éternels ! Ainsi soit-il.




HOMÉLIE VI.


OR, DANS UNE GRANDE MAISON IL N’Y A PAS SEULEMENT DES VASES D’OR ET D’ARGENT, MAIS AUSSI DE BOIS ET DE TERRE ; ET LES UNS SONT POUR DES USAGES HONNÊTES, LES AUTRES POUR DES USAGES HONTEUX. SI QUELQU’UN DONC SE GARDE DE TOUT CE QUI EST IMPUR, IL SERA UN VASE D’HONNEUR SANCTIFIÉ ET PROPRE, AU SERVICE DU SEIGNEUR, PRÉPARÉ POUR TOUTES SORTES DE BONNES ŒUVRES. (II, 20, 21, JUSQU’À LA FIN DU CHAPITRE).



Analyse.
  1. Pourquoi Dieu souffre les méchants dans le monde.
  2. Que le serviteur de Dieu s’abstienne des contestations.
  3. et 4. Celui qui est assujetti au diable en quelque chose, lui est assujetti en tout. – Exhortation à l’aumône.

1. Pourquoi Dieu laisse-t-il vivre les méchants ? pourquoi ne les fait-il pas tous périr ? Voilà une question qui jette le trouble dans beaucoup d’esprits. On pourrait donner de cela plusieurs raisons, par exemple que Dieu attend leur conversion, ou qu’il veut par leur punition intimider les autres. Ici saint Paul en apporte une raison très-plausible : il dit que « dans une grande maison, il n’y a pas seulement des vases d’or et d’argent, mais aussi de bois et de terre » ; ce qui veut dire : De même que dans une grande maison il faut qu’il y ait différentes sortes de vases, ainsi il faut qu’il y ait dans le monde diverses espèces de personnes. Et lorsqu’il s’exprime ainsi, ce n’est pas l’Église, mais le monde qu’il a en vue. N’allez pas en effet appliquer cette parole à l’Église. L’Église qui est le corps même, du Christ, l’Église qui est une vierge pure, n’ayant ni souillure ni ride, l’Église ne soutire pas des vases de bois ou de terre, elle ne veut que des vases d’or et d’argent. Ce qu’il dit revient à ceci : Ne vous troublez point de ce qu’il y a des méchants, des scélérats, puisque dans une grande maison vous trouvez aussi des vases d’ignominie. Mais tous ces vases, dites-vous, ne sont pas également en honneur ; les uns sont pour des usages, honnêtes, les autres pour des usages honteux. Cependant ces vases, quelque vils qu’ils soient, ne laissent pas de tenir leur place et d’avoir leur usage dans cette grande maison. Dieu de même se sert des méchants pour des usages qui leur sont proportionnés dans le monde. Par exemple un amateur de vaine gloire bâtit pour faire parler de lui ; il en est de même du marchand, du cabaretier, du prince, chacun d’eux trouve dans le monde les usages qui leur conviennent ; mais un vase d’or n’est que pour la table du prince. L’apôtre ne veut pas dire pour cela que la méchanceté soit nécessaire ; comment le serait-elle ? Mais il veut dire que les méchants trouvent eux-mêmes leur œuvre à faire dans le monde. Si tous les hommes étaient des vases d’or, on n’aurait pas besoin des méchants. Par exemple, si tous étaient patients et durs, il ne faudrait pas de maisons ; si nul n’était esclave de la volupté, il ne faudrait point tant d’apprêts pour les aliments ; si l’on savait se contenter du nécessaire, on n’aurait pas besoin d’appartements somptueux. Quiconque s’affranchira de ces sujétions sera un vase sanctifié pour un noble usage. Vous le voyez, il ne dépend pas de la nature ni d’une nécessité matérielle que l’on soit un vase d’or ou un vase de terre, cela dépend de notre seule volonté. Si la nature en décidait, dès qu’on serait vase de terre, on ne deviendrait plus vase d’or et réciproquement ; mais du moment que c’est la volonté qui fait tout, il y a de grands changements et d’entières conversions. Paul était d’abord un vase de terre, ensuite il devint un vase d’or. Judas était vase d’or, mais il devint vase de terre. C’est donc l’impureté qui fait les vases de terre : le fornicateur, l’avare sont des vases de terre. — Comment donc saint Paul dit-il ailleurs : « Portant ce trésor dans des vases de terre ? » (1Co. 4,7) Le vase de terre n’est donc pas à mépriser, puisque selon l’apôtre lui-même, il contient un trésor. — En cet endroit, c’est la matière elle-même dont est fait notre corps, et non sa forme qu’il désigne. Voici ce qu’il veut dire : C’est un vase de terre que notre corps. De même qu’un vase de terre n’est autre chose qu’un peu d’argile passée au feu, de même notre corps n’est non plus qu’un peu de boue solidifiée par la chaleur de l’âme. Que notre corps soit d’argile, rien de plus évident. Souvent il arrive qu’un vase de terre tombe et se brise, notre corps se dissout de même heurté par la mort. Quelle différence y a-t-il entre la terre cuite et les os ? N’est-ce pas même dureté et même sécheresse ? Et les chairs en quoi diffèrent-elles de la boue, ne sont-elles pas aussi molles et humides ? Pourquoi donc, encore une fois, l’apôtre ne prend-il pas en cet endroit le terme « vase de terre » en mauvaise part ? C’est qu’il y parle de la nature, et que dans le verset que nous interprétons il parle de la volonté.

« Si donc quelqu’un se garde parfaitement pur », non pas seulement pur, mais « parfaitement pur, il sera un vase sanctifié pour l’honneur, propre au service du Seigneur ». Les autres donc lui sont inutiles, bien qu’ils aient peut-être leur usage à quelque chose ; mais ils ne sont point « préparés pour toutes sortes de bonnes œuvres », comme les vases d’honneur qui, même lorsqu’ils ne servent pas, sont bons et susceptibles de servir. Il faut donc être préparé à tout, et à la mort, et au martyre ; il faut être préparé à la virginité et à tous ces sacrifices ensemble. — « Fuyez les désirs des jeunes gens ». Saint Paul n’entend pas ici seulement les désirs contraires à la chasteté, mais tous les désirs désordonnés. Que ceux qui ont vieilli apprennent ici à ne pas se livrer aux passions de la jeunesse. L’insolence, l’ambition, la cupidité, l’amour charnel, voilà des désirs de jeunesse, désirs insensés, désirs d’un cœur non encore affermi, d’un esprit sans solidité, sans fixité, et qui voltige à tous les souffles du monde. Fuyez les chimères de la jeunesse pour ne pas être pris de ces passions. — « Et suivez la justice, la foi, la charité, la paix avec tous ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur ». Par le mot « justice », saint Paul entend la vertu en général, la piété, la foi, la charité, la douceur. Qu’est-ce à dire, « avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un cœur pur ? » C’est comme s’il disait : Ne vous fiez qu’à ceux-là seuls, et non à ceux qui invoquent simplement ; fiez-vous à ceux qui invoquent sans déguisement, sans hypocrisie, à ceux qui sont sans fraude, à ceux qui procèdent en tout avec calme et dans la paix, et qui n’aiment pas les querelles. Joignez-vous à ceux-là ; quant aux autres, il ne faut pas se lier avec eux, mais seulement garder avec eux la paix autant que faire se peut.

2. « Quant aux questions impertinentes et oiseuses, évitez-les, sachant bien qu’elles enfantent les contestations ». Vous voyez comment partout saint Paul éloigne Timothée des disputes. Ce n’est pas que ce disciple n’eût assez de lumières pour réfuter l’erreur ; s’il en eût été ainsi, l’apôtre lui aurait recommandé de se rendre capable de confondre l’erreur, comme lorsqu’il lui dit : « Appliquez-vous à la lecture : en faisant ainsi, vous vous sauverez vous-même et ceux qui vous écouteront ». (1Ti. 4,13) Mais il savait qu’il est absolument inutile d’engager ces disputes, qui ne peuvent aboutir qu’à des contestations, à des haines, à des insultes, à des injures. Évitez donc ces disputes. Mais il y en a d’autres, il y en a sur les Écritures et sur d’autres questions. — « Il ne faut pas que le serviteur du Seigneur combatte ». Il ne doit pas combattre même en contestation. Le serviteur de Dieu doit se tenir éloigné de toute sorte de luttes. Dieu est un Dieu de paix. Comment le serviteur du Dieu de paix vivrait-il dans les combats ? — « Mais il faut qu’il soit doux envers tout le monde ». Comment cela s’accorde-t-il avec ce qu’il dit ailleurs : « Reprenez-les avec une entière autorité » (Tit. 2,15) ; et dans la première épître à Timothée : « Que personne parmi les jeunes gens ne vous méprise » (1Ti. 4,12) ; et encore : « Reprenez-les fortement ? » (Tit. 1,15) C’est que, reprendre ainsi, c’est faire œuvre de mansuétude. Rien ne pénètre plus avant qu’une forte réprimande faite avec modération. On peut, sachez-le bien, on peut frapper plus fortement par la douceur que par la dureté. — « Qu’il soit capable d’instruire » tous ceux qui s’adressent à lui pour le consulter. Saint Paul dit aussi à Tite (Tit. 3, 10) qu’il faut éviter celui qui est hérétique, après l’avoir averti une ou deux fois.
Il faut aussi qu’il soit « patient ». Ceci est ajouté fort à propos, car rien n’est plus nécessaire que la patience à celui qui instruit les autres, sans elle tout le reste est inutile. Si les pécheurs qui jettent tout le jour leurs filets sans rien prendre, ne se découragent pas néanmoins, à plus forte raison devons-nous avoir autant de patience qu’eux. Voici en effet ce qui se passe : il arrive très-souvent que par la continuité de l’enseignement, le discours pénétrant jusqu’au fond de l’âme, comme le soc de la charrue en terre, coupe jusqu’à la racine la passion mauvaise qui l’empêchait d’être fertile. À force d’entendre la parole, on en éprouvera nécessairement de l’effet. Il n’est pas possible que la parole évangélique, continuellement entendue, reste sans opérer. Un tel allait peut-être enfin se laisser convaincre au moment où notre découragement est venu tout perdre. La même chose arrive que si un agriculteur ignorant, après avoir planté une vigne, la cultivait une première année, puis une seconde, et encore une troisième, s’attendant toujours à récolter, et, découragé de ne pas trouver de fruit, cessait de la travailler la quatrième année, c’est-à-dire au moment même où sa vigne allait le payer de ses peines.

Saint Paul ne se contente pas encore des qualités qu’il vient d’énumérer, il ajoute : « Il doit instruire avec douceur ceux qui résistent à la vérité ». Pour instruire, la douceur est avant tout nécessaire. Une âme ne profite pas de l’instruction qu’elle reçoit si on la traite avec rudesse. Quelque bonne volonté qu’elle ait, le trouble qu’on lui cause l’empêche de rien retenir. Pour suivre utilement les leçons d’un maître, il faut avant tout être bien disposé en sa faveur. À défaut de cette condition préalable, rien d’utile ni de bon ne se fait. Or, le moyen d’aimer quelqu’un qui vous rudoie, qui vous insulte ? Mais comment cela s’accorde-t-il encore avec le passage déjà cité plus haut : « Quant à l’hérétique, après l’avoir averti une ou deux fois, évitez-le ? » Il veut parler de l’hérétique incorrigible, de celui dont la perversité est incurable. — « Dans l’espérance que Dieu leur donnera un jour l’esprit de pénitence pour la connaissance de la vérité, et qu’ils viendront à résipiscence, se dégageant des filets du diable ». Voici ce qu’il veut dire : Peut-être se convertiront-ils. « Peut-être » marque l’incertitude. Il faut s’éloigner de ceux seulement de qui on peut affirmer qu’ils ne se corrigeront pas, et qui certainement ne reviendront pas de leur égarement. — « Avec douceur ». Vous voyez dans quelle disposition il faut s’approcher de ceux qui veulent s’instruire, et qu’il ne faut pas abandonner les conférences avant la démonstration complète de la vérité. — « Du diable qui les tient captifs pour en faire ce qui lui plaît ». L’expression « les tient captifs » est bien choisie, elle fait songer à des poissons retenus enfermés dans les eaux de l’erreur. Ce passage contient aussi une leçon d’humilité. Il ne dit pas : Peut-être pourront-ils se corriger, mais : Peut-être Dieu leur fera-t-il la grâce de se corriger. S’il s’opère quelque chose, ce sera l’œuvre du Seigneur. Vous planterez, vous arroserez, mais c’est lui qui fécondera et fera porter des fruits. Ne nous flattons donc pas d’avoir converti personne, quand même quelqu’un se serait converti à notre parole. – « Qui les retient captifs pour en faire ce qui lui plaît ». Ceci ne concerne pas seulement les dogmes, mais aussi la vie et la conduite. Dieu veut que notre vie soit droite. Il y en a de retenus dans les filets du diable à cause de leur vie. Il ne faut pas non plus désespérer d’eux, « dans l’espérance qu’ils reviendront à résipiscence, et qu’ils se dégageront des filets du diable où ils sont maintenant retenus captifs ». – « Dans l’espérance que… » indique assez la longanimité dont il faut user. Le filet du diable c’est de ne pas faire la volonté de Dieu.

3. Qu’un oiseau ne soit point pris par tout le corps dans un filet, mais seulement par un pied, il ne laisse d’être en la puissance de l’oiseleur qui l’a pris ; de même il n’est pas nécessaire pour que le démon nous tienne en son pouvoir que nous lui donnions prise partout à la fois, c’est-à-dire sur notre foi et sur notre vie, il suffit qu’il ait prise sur notre vie. « Celui qui me dira : Seigneur, Seigneur, n’entrera pas pour cela dans le royaume des cieux… Mais je leur dirai, je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, vous qui opérez l’iniquité ». (Mat. 7,22) Voyez-vous que la foi ne sert à rien sans les œuvres, puisqu’elle ne fait pas que le Seigneur nous connaisse ? Cette même parole : « Je ne vous connais pas », il y aura même des vierges à qui le Seigneur la dira. (Id. 25,12) Quel profit retireront-elles donc de leur virginité et de leurs travaux, puisque le Seigneur ne les connaîtra même pas ? C’est partout que nous voyons des personnes irrépréhensibles quant à la foi, punies pour leur mauvaise vie seulement. Nous voyons aussi tout le contraire, c’est-à-dire, des personnes qui se perdent par le défaut de foi, quoique d’ailleurs leur vie soit irréprochable. Ce sont là deux choses qui se complètent l’une l’autre. Vous le voyez donc, nous tombons sous le filet du diable pour ne faire pas la volonté de Dieu. Pour nous jeter en enfer, il n’est pas même besoin de toute une vie passée dans le mal, il suffit d’un défaut s’il n’est pas racheté par un grand nombre de bonnes œuvres. On n’accuse point les vierges folles de fornication, d’adultère, d’envie, de jalousie, d’excès de vin, ni d’infidélité, on ne les accuse que d’avoir manqué d’huile, c’est-à-dire de n’avoir pas fait l’aumône, car c’est ce que signifie l’huile. On accuse aussi ceux qui seront condamnés au dernier jour et à qui l’on dira : « Allez, maudits, au feu éternel », de n’avoir pas donné à manger à Jésus-Christ ; on ne leur parle d’aucun autre crime.

Comprenez-vous donc assez, mes frères, que la seule omission de l’aumône vous fera condamner au feu de l’enfer ? En effet, à quoi pourrez-vous être utiles en ne faisant pas l’aumône ? – Vous jeûnez tous les jours ? – Mais de quoi servit aux vierges folles de l’avoir fait ? – Vous faites beaucoup de prières ? – Mais la prière est stérile sans l’aumône. Sans l’aumône tout est inutile, tout est impur, et tout le reste de la vertu est en pure perte. « Celui qui n’aime pas son frère ignore Dieu », dit l’Écriture. (Jn. 3,10) Et comment pourriez-vous dire que vous l’aimez, si vous ne voulez pas partager avec lui ce qu’il y a de plus vil et de plus commun ? Vous direz peut-être que vous vivez chastement. Par quelle raison le faites-vous ? Est-ce par la crainte du supplice, ou par votre heureux tempérament ? Si c’est la crainte du supplice qui vous rend chaste, et qui vous fait résister aux feux de l’intempérance, combien plus devrait-elle vous faire pratiquer l’aumône ! Il y a bien moins de peine à mépriser l’argent qu’à dompter la concupiscence. Celle-ci est innée en nous et profondément enracinée dans notre chair ; il n’en est pas de même de la passion de l’argent. Enfin il n’y a que l’aumône et la miséricorde qui nous rende semblables à Dieu. Si elle nous manque, tout nous manque. Jésus-Christ ne nous dit pas : Si vous jeûnez, si vous gardez la virginité, si vous priez, vous serez semblables à votre Père : car Dieu ne fait rien de semblable, et il ne le peut par sa nature ; mais : « Soyez miséricordieux », dit Jésus-Christ, « comme votre Père céleste est miséricordieux ».(Luc. 6,36) C’est là l’ouvrage de Dieu ; si cela vous manque, que vous reste-t-il ? « Je veux la miséricorde et non le sacrifice », dit encore Dieu. (Ose. 6,6) Dieu a fait le ciel, il a fait la terre et la mer. Cela est grand sans doute et digne de sa sagesse infinie : mais rien de tout cela n’a fait autant d’impression à l’homme que son amour infini et sa tendresse incompréhensible. L’univers est assurément une œuvre de sagesse, de puissance et de bonté, mais ce qui l’est encore beaucoup plus, c’est que Dieu s’est fait esclave pour nous. Voilà ce qui excite surtout notre admiration et notre étonnement. Rien n’attire Dieu à nous comme la miséricorde. Tous les prophètes ne cessent de le répéter sur tous les tons. Mais quand je parle de miséricorde et d’aumône, je n’entends point parler de celle qui se fait de rapines. Ce n’est point là de la miséricorde. L’huile ne sort point de la racine des épines, elle ne sort que de l’olivier ; de même l’aumône ne peut sortir de la racine de l’avarice ou de l’injustice et des rapines. Ne ravalez pas l’aumône, ne l’exposez pas au mépris de tout le monde. Si vous ravissez pour faire l’aumône, votre aumône est tout ce qu’il y a de pire. Tout ce qui vient de rapines ne doit point s’appeler charité, mais cruauté, mais inhumanité, vraie barbarie qui attaque non seulement les hommes, mais Dieu même. Si Caïn l’offensa si fort autrefois seulement parce qu’il lui offrait ce qu’il avait de moindre, combien l’offensera plus celui qui lui offre le bien des autres. L’offrande n’est rien moins qu’un sacrifice, c’est un moyen de purification et non une souillure. Vous n’osez prier ayant les mains sales, et vous croyez, en offrant des biens de vos injustices, que Dieu souffrira l’impureté de ces offrandes ? Vous ne pouvez souffrir à vos mains des malpropretés qui sont sans crime, et vous en souffrez dans votre âme qui sont très criminelles ?

4. N’ayons donc point tant à cœur de faire nos offrandes et nos prières avec des mains nettes, que de n’offrir que des choses qui soient pures. Le contraire serait ridicule. Que diriez-vous, si l’on frottait avec soin une table pour la rendre propre et nette, et qu’on n’y servît ensuite que des choses dont la saleté ferait horreur ? Ne serait-ce pas une moquerie indigne ? Que nos mains soient nettes, à la bonne heure, mais de cette pureté que l’eau ne peut donner, et qui est peu de chose ; qu’elles aient cette pureté que la justice seule donne et qui est la pureté véritable. Si elles sont pleines d’injustices, lavez-les mille fois si vous voulez, vous n’y gagnerez rien. « Lavez-vous, soyez purs », dit le Prophète. (Isa. 1,16) Dit-il ensuite : Allez aux fontaines, allez aux bains, allez aux étangs, allez aux fleuves ? Nullement : mais, ôtez, dit-il, la malice de vos âmes. C’est là être pur, c’est là se purifier de ses souillures ; c’est là la netteté que Dieu demande. La pureté extérieure sert fort peu, mais la pureté intérieure nous donne accès auprès de Dieu et nous remplit d’une sainte confiance. La pureté extérieure peut se trouver chez les adultères, les voleurs, les homicides, les impudiques, les fornicateurs et les infâmes de toute espèce, et surtout chez eux. Ils ont un soin extrême de cette propreté du corps dont ils sont idolâtres, se parfumant des odeurs les plus exquises, et lavant leur corps qui n’est plus qu’un sépulcre, puisqu’il renferme une âme qui ne vit plus. Ils ont donc la pureté extérieure, mais ils ne peuvent avoir la pureté intérieure. Qu’avez-vous fait de considérable en nettoyant votre corps ? C’est une purification judaïque inutile et superflue, si la pureté intérieure vous manque. Qu’un homme ait le corps plein de pourriture et d’ulcères, il aura beau se laver le corps, ce sera en vain. Si donc l’eau ne peut servir de rien au-dehors à un corps corrompu et rempli d’infection, de quoi pourrait-elle servir quand c’est l’âme elle-même qui est remplie de corruption ?

Il nous faut des prières pures ; or les prières ne sauraient être pures, lorsque l’âme d’où elles sortent est souillée. Rien en effet ne rend l’âme plus impure que l’avarice et la rapine, Cependant beaucoup de personnes, après avoir commis une infinité de crimes pendant le jour, se lavent le soir, entrent hardiment dans l’église, et lèvent leurs mains pour prier, comme si par cette eau ils en avaient ôté toutes les souillures. Hélas ! si cela était, j’avoue que ces bains où vous allez tous les jours, vous seraient très-avantageux. Je m’y trouverais moi-même souvent, s’ils avaient la vertu de purifier nos péchés. Mais ce sont là des plaisanteries, des niaiseries, des puérilités. Ce n’est point de la saleté des corps, mais de l’impureté des âmes que Dieu a horreur, « Bienheureux », dit-il, « ceux qui sont purs de cœur (entendez-vous, purs de cœur, non de corps), parce qu’ils verront Dieu ». (Mat. 5,8) Et le Psalmiste, que dit-il ? « Créez en moi un cœur pur, ô Dieu », (Psa. 51,12) « Purifiez votre cœur de la malice », dit Jérémie. (Jer. 4,14) Il est très-avantageux de prendre de bonne heure de bonnes habitudes. C’est peu de chose que celle dont nous parlons ; cependant l’âme n’ose se présenter devant Dieu pour prier avant que de s’en être, acquittée. Nous nous lavons, et ensuite nous prions comme s’il ne nous était pas permis de prier avant que de nous être lavés. Nous ne prions point Dieu de bon cœur, si nous n’avons auparavant cette pureté des mains ; nous croirions l’offenser en priant sans cette précaution, et souiller notre conscience. Si cette coutume qui, comme j’ai dit, est peu importante, a tant de force néanmoins que c’est pour nous une espèce de nécessité de nous en acquitter tous les jours, qui peut douter que si nous avions pris la même habitude pour faire l’aumône avec la ferme résolution de n’entrer point les mains vides dans la maison de prière, nous ne nous en acquittassions avec la même fidélité ? Et j’ajoute avec la même facilité ? Car la force de l’habitude est extrême, soit dans le bien, soit dans le mal. Quand elle nous entraîne, rien ne nous coûte plus.

Il y en a beaucoup qui ont pris l’habitude de faire sur eux-mêmes des signes de croix continuels. Dès lors ils n’ont plus besoin qu’on les avertisse de le faire, ils le font comme naturellement, et souvent lorsque leur esprit est ailleurs ; cette coutume qu’ils ont prise est comme un maître animé qui les avertit et conduit leurs mains dans l’impression de ce signe sacré. D’autres se sont accoutumés à ne jurer jamais, ni de bon gré, ni de force ; et alors ils ne peuvent plus jurer. Habituons-nous de même à faire l’aumône et nous n’y trouverons plus aucune peine. Combien aurions-nous besoin de nous fatiguer pour trouver un autre remède qui fût aussi puissant et aussi efficace ? Si, étant aussi chargé de péchés que nous le sommes, nous n’avions cette consolation entre les mains, combien gémirions-nous dans le désir de pouvoir racheter nos péchés avec de l’argent ! Ne donnerions-nous pas de bon cœur tout notre bien pour apaiser la colère de notre juge ? Si dans les grandes maladies, on dit de plusieurs personnes : si l’on pouvait se racheter de la mort, cet homme donnerait tout son bien pour le faire ; ne s’y résoudrait-on pas avec beaucoup plus d’empressement encore pour se racheter des rigueurs du jugement suprême ? Admirez quelle est la bonté de Dieu. Il ne vous a pas donné les moyens de vous racheter de la mort temporelle, mais il fait qu’il dépend de vous de vous racheter d’une plus terrible, de la mort éternelle. Ne pensez point, dit-il, à vous conserver une vie si courte et si misérable ; travaillez à vous en acquérir une heureuse qui n’aura jamais de fin. C’est cette dernière que je veux vous vendre et non l’autre. Je ne veux pas vous tromper. Je sais, quand vous auriez celle-ci, que vous n’auriez rien : mais je connais le prix de celle que je vous réserve. Je ne ressemble pas à ces marchands qui ne pensent qu’à tromper, et à vendre cher ce qui en soi vaut peu de chose. Ce n’est pas là ma conduite, pour peu de chose, je donne beaucoup.

Dites-moi, si, entrant chez un joaillier, vous voyez là deux pierres, l’une tout à fait commune et de nul prix, l’autre fort précieuse constituant à elle seule une fortune, et que, payant le prix de la pierre commune, vous reçussiez du vendeur la pierre précieuse, feriez-vous à celui-ci un crime de sa générosité ? Point du tout, vous l’admireriez au contraire. C’est ainsi que l’on vous traite. On vous propose deux vies, l’une temporelle et l’autre sans fin. Dieu en est le vendeur ; mais il lui plaît de nous livrer celle-ci et non celle-là, pourquoi nous fâcher comme des enfants sans raison de ce que nous recevons la précieuse et non pas l’autre ? – Peut-on acheter la vie avec de l’argent, dites-vous ? On le peut, pourvu que nous donnions de notre bien et non du bien d’autrui. – Mon bien est à moi, dites-vous, – ce que vous volez n’est pas à vous ; quand vous diriez mille fois que vous en êtes maître, il ne vous appartient pas. Qu’on mette un dépôt entre vos mains ; il est chez vous pendant l’absence de celui qui vous l’a confié ; direz-vous pour cela qu’il vous appartient ? Si donc lorsqu’un ami met ce dépôt entre vos mains, et vous sait gré de le vouloir bien garder, vous ne pouvez néanmoins dire qu’il soit à vous, pendant le temps même qu’il est dans votre maison, combien moins pouvez-vous le dire d’un argent que vous enlevez aux autres malgré eux et par violence ? Il leur appartient toujours quoi que vous puissiez dire et faire. Il n’y a que la vertu qui soit réellement à nous. Quant à l’argent, le nôtre ne nous appartient même pas, loin que celui des autres nous appartienne. Il est à nous aujourd’hui, et demain il n’est plus à nous. La vertu au contraire est à nous, car elle ne se perd pas comme l’argent, elle reste tout entière à ceux qui la possèdent. Acquérons-la donc et méprisons les richesses, afin que nous puissions être trouvés dignes des vrais biens. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII.

OR, SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS, IL VIENDRA DES TEMPS FÂCHEUX. CAR IL Y AURA DES HOMMES AMOUREUX D’EUX-MÊMES. (III, 1-2)



Analyse.
  1. Les derniers jours marqués par l’invasion des méchants : prophétie plusieurs fois répétée par saint Paul.
  2. -4. Ne point mépriser son prochain. – Amour de Dieu et du prochain. – Quelle doit être la vie d’une veuve chrétienne

1. Saint Paul, dans sa première épître à Timothée, dit que l’Esprit de Dieu déclare expressément que dans les temps à venir « quelques-uns abandonneront la foi ». (1Ti. 4,1) Il répète la même prophétie dans un autre passage de la même épître, et il l’énonce encore une fois ici : « Sachez que dans les derniers jours il viendra des temps fâcheux ». Non content d’envisager l’avenir, il en appelle encore au témoignage du passé : « De la même manière », dit-il, « que Jannès et Mambrès se soulevèrent contre Moïse, etc. » Il a même recours aux raisonnements pour appuyer sa prophétie : « Dans une grande maison », dit-il, « il n’y a pas, seulement des vases d’or et d’argent, etc. » Pourquoi cette prophétie ? Afin que Timothée ne se trouble point, non plus que nous, lorsque les méchants prévalent dans le monde. Son raisonnement revient à ceci : S’il y a eu des méchants du temps de Moïse et après Moïse, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’il y en ait de notre temps. « Dans les derniers jours, il viendra des temps fâcheux ». Ce ne sont pas les temps ni les jours eux-mêmes que saint Paul accuse, mais les hommes qu’ils verront naître. Nous nous exprimons aussi de même et nous disons que les temps sont bons où mauvais, en voulant parler des hommes et de leurs œuvres. Et du premier coup il dévoile la cause de tous les maux, la racine et la source d’où ils proviennent tous, à savoir l’orgueil. Celui que cette passion domine n’a même plus d’yeux pour voir ses propres intérêts. Comment celui qui ne voit pas les intérêts du prochain, qui les néglige comme chose indifférente, pourrait-il voir les siens propres ? De même que celui qui a l’œil ouvert sur les intérêts du prochain, pourvoira en même temps aux siens, de même celui qui néglige les intérêts du prochain, ne saura pas voir clair en ce qui le concerne lui-même. Si, en effet, nous sommes les membres les uns des autre, salut du prochain est en même temps le nôtre puisqu’il contribue à celui de tout le corps : le dommage aussi que subit notre prochain, il ne le subit pas seul, mais il cause une douleur qui se fait ressentir à tout le corps. Si nous ne formons tous qu’un seul et même édifice, l’édifice tout entier est affecté de que l’un de nous souffre, comme aussi il corrobore de tout ce que chacun de nous gagne en force.

C’est ce qui arrive dans l’Église. Méprisez-vous votre frère, vous vous faites tort à vous-même, puisqu’un de vos membres souffre un dommage considérable. Si celui qui ne donne pas de son argent aux pauvres va en enfer, qu’en sera-ce de celui qui ne tend pas la main à son frère, lorsqu’il le voit dans un danger spirituel incomparablement plus grave que tous les dangers qui peuvent menacer le corps ?

« Il y aura des hommes amis d’eux-mêmes ». L’homme ami de soi-même est réellement celui qui s’aime le moins ; l’homme ami de son frère est au contraire celui qui s’aime véritablement. L’avarice naît de l’amour de soi-même, puisque cet amour funeste et mesquin borne et resserre l’amour naturel, qui est large et se répand sur tous les hommes. – « Avides d’argent ». De la cupidité naît l’enflure ; de l’enflure, le dédain des autres ; de ce dédain, le blasphème ; du blasphème, l’orgueil insensé et l’incrédulité. Celui qui s’élève contre les hommes, s’élèvera de même aisément contre Dieu. C’est ainsi que croissent les péchés et que, de petits commencements, ils s’élèvent jusqu’aux grands excès. Celui qui se montre, pieux envers les hommes le sera bien davantage envers Dieu ; celui qui a de la modestie envers les serviteurs n’en manquera pas envers le maître, et il méprisera bientôt le maître s’il s’accoutume à mépriser les serviteurs. Ne nous méprisons donc point les uns les autres. C’est une mauvaise école que celle où l’on s’accoutume à mépriser Dieu. Or, mépriser les autres, c’est mépriser Dieu qui nous commande d’avoir des égards les uns pour les autres. Éclaircissons ceci par un exemple. Caïn méprisa son frère, et bientôt après il méprisa Dieu. Voyez la réponse insolente qu’il lui fit : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Esaü de même méprisa son frère, ensuite il méprisa Dieu. C’est pourquoi Dieu dit : « J’aime Jacob et je hais Esaü ». (Rom. 9,13) Saint Paul aussi a dit : « Que personne ne soit fornicateur et profane comme Esaü ». (Héb. 12,16). Les frères de Joseph le méprisèrent et ils méprisèrent aussi Dieu. Les Israélites méprisèrent Moïse et méprisèrent Dieu ensuite. Après avoir méprisé le peuple, les fils d’Héli méprisèrent aussi Dieu. Voyons maintenant le contraire par d’autres exemples. Abraham eut de la considération pour son neveu, il en eut infiniment plus pour Dieu, comme il le montra par le sacrifice de son fils et par toutes ses autres vertus. Abel fut doux et humble envers son frère, il le fut encore plus envers Dieu. Ainsi ne nous méprisons point, mais rendons-nous un honneur réciproque, afin de nous accoutumer à honorer Dieu. Celui qui traite insolemment les hommes n’épargnera pas Dieu même. Mais lorsque l’avarice, l’amour-propre et l’orgueil se rencontrent ensemble dans un homme, la perte n’est-elle pas inévitable ? Oui, c’en est fait de lui, et il se plonge dans la fange de tous les péchés. « Ils sont ingrats », dit l’apôtre. Comment l’avare serait-il reconnaissant ? À qui saura-t-il gré de quoi que ce soit ? À personne. Il regarde tous les hommes comme autant d’ennemis, puisqu’il voudrait prendre le bien de tous. Quand vous lui donneriez tout ce que vous possédez, il ne vous en saurait aucun gré, il serait fâché que vous n’eussiez pas davantage à lui donner. Quand vous auriez trouvé le secret de le rendre maître du monde entier, il n’en aurait point de reconnaissance. Il croirait n’avoir rien reçu. Son désir est insatiable ; car c’est un désir de malade ; or les désirs de malades ne se peuvent assouvir.

2. Un homme brûlé de la fièvre peut-il éteindre le désir qu’il a de boire ? Plus il boit, plus il veut encore boire. Ainsi en est-il de l’homme passionné pour les richesses jusqu’à la folie, sa passion ne veut jamais être satisfaite. Quoi que vous fassiez pour le contenter, il ne sera jamais satisfait et il ne vous saura aucun gré de vos sacrifices. Sa reconnaissance, il ne saurait l’accorder qu’à celui qui lui donnerait tout ce qu’il désire. Or, qui lui donnera tout ce qu’il désire, puisque ses désirs sont sans bornes ? Il ne témoignera donc de reconnaissance à personne au monde. Il n’y a donc rien de plus ingrat qu’un avare. Il n’y a rien de plus insensé que l’homme cupide. Il semble qu’il ait déclaré la guerre à tout le genre humain. Il s’indigne qu’il y ait des hommes. Il voudrait être seul au monde pour tout posséder seul. Voici quels sont ses rêves : Oh ! si un tremblement de terre pouvait ruiner la ville et que je survécusse seul au désastre pour être maître de tout ! S’il arrivait donc une peste qui détruisît tout hormis l’argent ! S’il survenait un déluge, si les eaux de la mer pouvaient se précipiter sur la terre ! Voilà les souhaits qu’il forme et mille autres pareils. Il ne lui vient à l’esprit aucune pensée charitable. Il ne s’occupe de rien que de tremblements de terre, de tonnerres, de guerres, de pestes, il souhaite que tous ces maux arrivent. Âme malheureuse, dis-moi, esclave plus vil que les esclaves, si tout était changé en or, est-ce l’or qui t’empêcherait de mourir de faim ? Si un tremblement de terre, comblant tes vœux, détruisait tout ce qui est sur la surface de la terre, tu périrais toi-même, puisque tu ne trouverais plus sur la terre désolée de quoi soutenir ton existence. Supposons qu’il n’y ait plus un seul homme sur la terre, et que tout l’or, tout l’argent qui s’y trouve afflue de lui-même dans votre maison, supposons, supposition folle comme leurs rêves, mais enfin supposons que la richesse de tous ceux qui ne sont plus, que leur or, que leur argent, que leurs étoffes de soies ou brochées d’or, que tout cela vienne dans vos mains : que gagneriez-vous ? Pourriez-vous éviter la mort, lorsque vous n’aurez plus personne pour cuire votre pain, pour semer vos champs, pour vous défendre des bêtes ? Les démons, dans cette solitude effroyable, rempliraient votre âme de mille frayeurs ; ils la possèdent dès maintenant, mais alors ils vous feraient tourner l’esprit et mourir enfin.

Je voudrais, dites-vous, qu’il restât quelques laboureurs et quelques boulangers pour me servir. Mais s’ils restaient avec vous, ils voudraient partager ces biens avec vous. Vous ne le leur permettriez pas, tant votre avarice est insatiable. Voyez, mes frères, combien cette passion rend un homme ridicule, et l’extrémité où elle le réduit. Un avare est jaloux d’avoir un grand nombre de serviteurs, et il ne peut souffrir qu’ils aient le nécessaire pour vivre, parce qu’il craint la dépense. Voulez-vous donc que les hommes soient de pierre ? O passion aveugle et méprisable ! que de folies, que de troubles et de tempêtes, que d’imaginations ridicules ne causes-tu pas dans les âmes ! L’avare a toujours faim, toujours soif. Ayons pitié de lui, mes frères, déplorons son sort. Il n’y a pas de plus cruelle maladie que cette faim incessante que les médecins nomment « boulimie » ; on a beau manger, rien ne la peut calmer. Transportez une telle maladie du corps à l’âme, quoi de plus affreux ? Or la « boulimie » de l’âme, c’est l’avarice ; plus elle se gorge d’aliments, plus elle en désire. Elle étend toujours ses souhaits au-delà de ce qu’elle possède. Si l’ellébore nous pouvait guérir de cette folie, ne faudrait-il pas tout faire pour s’en affranchir ? Il n’y a pas assez de richesses au monde pour remplir le ventre affamé de l’avarice.

Quelle confusion pour nous, mes frères que certains hommes aiment l’argent beaucoup plus que nous n’aimons Dieu, et que Dieu soit pour nous d’un moindre prix que n’est l’or pour eux ? Veilles, lointains voyages, dangers sur dangers, inimitiés et embûches, les hommes bravent tout pour l’amour de l’argent. Et nous, nous ne hasarderions pas de dire une simple parole pour Dieu, ni d’encourir la moindre disgrâce ? Quand il faudrait venir en aide à quelque opprimé, comme nous redoutons de nous exposer au ressentiment de quelque grand personnage, comme nous avons peur d’une ombre de péril, comme nous nous hâtons d’abandonner la malheureuse victime de l’injustice ! Lorsque nous avons reçu de Dieu le pouvoir de secourir ceux qui en ont besoin, nous laissons ce pouvoir se perdre inutilement entre nos mains, pour ne pas nous attirer de désagréments ni de haines. Cette lâcheté est même réputée sagesse et est passée en proverbe : « Sans raison faites-vous aimer, mais sans raison ne vous faites point haïr ». Voilà un propos que le monde a sans cesse à la bouche. Quoi ! est-ce donc s’exposer sans raison à la haine que de la faire pour secourir un malheureux ? Quoi de préférable à cette haine ? L’amitié que l’on s’attire pour Dieu ne vaut pas, à beaucoup près, la haine que l’on encourt à cause de lui. Lorsqu’on nous aime à cause de Dieu, c’est un honneur dont nous lui sommes redevables ; Lorsqu’au contraire nous nous faisons haïr à cause de Dieu, c’est lui qui nous doit pour cela une récompense. Quelque amour que les avares montrent pour l’or, ils n’y peuvent mettre de bornes, et dès que nous avons fait la moindre chose pour Dieu, nous croyons avoir tout fait. Nous sommes bien loin d’aimer Dieu autant qu’ils aiment l’or. Ils sont certes bien coupables d’avoir cette folle passion pour l’or ; mais que nous sommes nous-mêmes condamnables de n’avoir pas autant d’amour pour Dieu ! Cet honneur qu’ils rendent à un peu de terre, car l’or n’est pas autre chose que nous sommes malheureux de ne pas le rendre au Maître de toutes choses.

3. Considérons, mes frères, cette folle passion, et rougissons de notre indifférence. Que gagnerons-nous à être moins enflammés pour l’or, si nous sommes froids pour Dieu dans nos prières. Les avares méprisent leurs femmes, leurs enfants et même leur salut, et cela sans savoir s’ils réussiront à grossir leur d avoir, puisque souvent ils meurent au milieu de leurs plus belles espérances, après avoir travaillé en vain ; et nous qui sommes certains d’atteindre l’objet de nos désirs, si nous l’aimons comme il faut l’aimer, nous ne daignons pas même l’aimer ainsi, mais nous sommes froids en tout, froids dans l’amour du prochain, froids dans l’amour de Dieu. Car notre indifférence pour Dieu vient de celle que nous avons pour notre prochain. Il n’est possible qu’un homme qui ne sait pas aimer soit capable d’un sentiment noble et viril. L’amour est le fondement de toutes les vertus. La charité, dit Notre-Seigneur, renferme la loi et les prophètes. (Mat. 22,40) Comme lorsque le feu s’est saisi d’une forêt d’épines, il les réduit en cendres, et en purifie la terre ; de même le feu de la charité brûle et détruit, partout où il tombe, tout ce qui peut être contraire à la moisson de Dieu, et purifiant la terre de nos âmes, la rend propre à recevoir la semence que Dieu y répand. Là où se trouve l’amour, tous les maux disparaissent. Il n’y a plus d’avarice, cette racine de tous les maux, il n’y a plus d’égoïsme, plus de morgue ; qui voudrait, en effet, s’élever au-dessus d’un ami ? Rien ne nous rend si humbles que la charité. Elle nous fait, sans rougir, rendre à nos amis les plus bas services, et même nous leur en rendons grâces. La charité fait que nous n’épargnons pas notre argent, ni même nos personnes pour le bien de nos amis, puisque nous exposons pour eux notre vie. La charité véritable et sincère ne souffre ni envie ni médisance. Bien loin de calomnier nos amis, nous fermons au contraire la bouche à ceux qui les calomnient. La charité met partout le calme et la tranquillité, elle bannit les disputes et les querelles, elle fait régner une paix profonde. « La charité », dit saint Paul, « est l’accomplissement de la loi ». (Rom. 13,10) Il n’y a rien de désagréable en elle. Tous les crimes qui troublent la paix : l’avarice, la violence, les rapines, l’envie, les accusations, le parjure, le mensonge, disparaissent en présence de la charité, puisqu’on ne commet des parjures que pour ravir le bien des autres. Qui voudrait penser à ravir le bien d’un ami ? On est prêt au contraire à lui donner ce qu’on a, et on croit même qu’il nous fait grâce de le recevoir. Vous me comprenez, vous tous qui avez des amis, non pas des amis de nom seulement, mais des amis véritables et que vous aimez autant qu’on doit aimer des amis. Si quelqu’un ignore ces choses, qu’il les apprenne de ceux qui les savent.

Écoutez un modèle d’amitié tiré de l’Écriture. Jonathas, fils du roi Saül, aimait David : « Son âme était étroitement unie à la sienne » (1Sa. 18,1), au point que pleurant sa mort, David disait : « Ton amour m’a saisi comme l’amour des femmes ; ta mort m’a fait une blessure mortelle. ». (2Sa. 1,26) Jonathas porta-t-il envie à David ? Nullement, et cependant il avait un motif de lui porter envie, puisqu’il voyait qu’il allait devenir roi, à son détriment. Il n’éprouva cependant aucun mouvement d’envie. Il ne dit point : Cet homme me chasse du trône de mon père. Il l’aida même à entrer en possession de son royaume. Il résista à son propre père en faveur de son ami. Ce que je dis néanmoins ne doit point le faire passer pour un rebelle ou un parricide ; il ne viola en rien le respect qu’il devait à son père, il se contenta d’empêcher ses pièges et ses injustices. C’était lui témoigner du respect et non lui faire tort, puisqu’il l’empêchait de commettre un meurtre injuste. Il s’exposa même souvent à mourir pour son ami. Il ne l’accusa point, il réfuta même les accusations de son père. Il ne fut pas envieux contre son ami, il l’aida au contraire non seulement de son bien, mais il lui sauva la vie, il exposa pour lui la sienne propre, il ne considéra point son père lorsqu’il s’agissait de sauver son ami, parce que Saül avait des desseins criminels que Jonathas détestait. Voilà quelle était l’amitié de Jonathas pour David. Voyons maintenant celle de David pour Jonathas. Il ne put le payer de tout ce qu’il avait fait pour lui, puisque cet ami si bienfaisant mourut avant que lui, David, qui avait reçu ses bienfaits, fût devenu roi. Voyons cependant comment ce juste témoigna son amitié dans la mesure du possible. « Que Jonathas est beau pour moi ; ta mort m’a fait une blessure mortelle ». Nous trouvons encore d’autres marques de sa tendresse. Il sauva son fils et son petit-fils de mille périls en mémoire de leur père. Il ne cessa jamais de les regarder comme ses propres enfants. Je souhaiterais de vous tous, mes frères, que vous eussiez une tendresse semblable envers les vivants et envers les morts.

4. Que les femmes écoutent ceci, car ce sont les femmes que j’ai surtout en vue lorsque je dis : Envers les morts ; qu’elles écoutent donc celles qui convolent à de secondes noces, déshonorant ainsi la couche de votre mari mort, de celui que vous avez aimé le premier. Je ne dis pas cela néanmoins pour condamner les secondes noces ou pour faire croire qu’elles soient impures. Saint Paul ne me le permet pas ; il me ferme la bouche lorsqu’il dit : « Si même elle se remarie, elle ne pèche point ». Cependant voyons aussi la suite : « Mais elle n’est plus heureuse, si elle demeure telle qu’elle est ». (1Co. 7,28, 40) La viduité est bien plus excellente que les secondes noces pour plusieurs raisons. Car s’il vaut mieux ne se point marier, il s’ensuit qu’il vaut mieux ne se marier qu’une fois que plusieurs. Vous m’objecterez peut-être que plusieurs n’ont pu supporter le veuvage et sont tombées en de grands malheurs ? Elles y sont tombées parce qu’elles n’ont pas su ce que c’était que la viduité. Elle ne consiste, point seulement à ne pas contracter un second mariage, comme la virginité ne consiste point simplement à ne point se marier du tout. Ce qui fait proprement la vierge, c’est la modestie et la prière assidue, et ce qui fait la veuve, c’est la solitude et une prière continuelle avec l’abstinence des délices. « Celle qui vit dans les délices », dit saint Paul, « est morte toute vivante qu’elle est ». (1Ti. 5,6) Si, en demeurant veuve ; vous avez la même magnificence dans vos habits et le même luxe et le même faste que vous aviez du vivant de votre mari, il vaudrait mieux vous remarier. Ce n’est pas l’union du mariage qui est mauvaise, mais ces vanités que vous recherchez. Vous fuyez ce qui en soi n’est pas un mal, et vous faites ce qui de soi est mauvais.

C’est la raison pour laquelle quelques veuves s’étaient égarées à la suite de Satan : elles ne savaient pas garder, comme il convient, l’état de veuve. Voulez-vous savoir ce que c’est que la viduité, et quel est son caractère ? Écoutez saint Paul : « Qu’on puisse lui rendre témoignage de ses bonnes œuvres », dit-il, « si elle a bien élevé ses enfants, si elle a exercé l’hospitalité, si elle a lavé les pieds des saints, si elle a secouru les affligés, si elle s’est appliquée à toute sorte d’actions pieuses ». (1Ti. 5,14) Si maintenant que votre mari est mort, vous paraissez toujours entourée du faste de la richesse, vous ne savez pas vivre en veuve. Transférez vos richesses dans le ciel, et le poids de votre viduité vous deviendra léger. – Mais si j’ai, dites-vous, des enfants qui doivent hériter du patrimoine de leur père ? Apprenez-leur à eux-mêmes à mépriser les richesses. Faites passer vos biens au ciel, et en leur donnant à chacun ce qui leur suffit, apprenez-leur à se mettre au-dessus de leur argent. – Mais si j’ai un grand nombre d’esclaves, dites-vous ; si j’ai une multitude d’affaires, de l’or, de l’argent ? Comment suffirai-je à l’administration de tant de biens, sans le secours d’un homme ? – Ce sont là de vains prétextes, si vous n’aimiez point l’argent, si vous ne vouliez point encore augmenter votre bien, toutes ces raisons disparaîtraient. Il y a bien plus de peine à étaler ses richesses qu’à les conserver. Si vous retranchez l’ostentation, et si vous donnez de vos biens aux pauvres, Dieu étendra sur vous la protection de sa main. Si c’est vraiment le désir de conserver l’héritage de vos pupilles qui vous fait parler de la sorte, et non les prétextes que votre avarice cherche si adroitement, Dieu qui sonde les cœurs saura conserver en sûreté le bien de ces enfants, lui qui vous a commandé de bien élever vos enfants. Il est impossible qu’une maison fondée sur la charité envers les pauvres souffre aucun mal. Quand elle en souffrirait, le succès en serait heureux dans la suite. La charité protégera cette maison mieux que la lance et le bouclier. Voyez ce que le démon dit lui-même à Dieu au sujet du saint homme Job : « Ne l’avez-vous pas environné, comme d’une forte muraille, au-dedans et au-dehors ? » Pourquoi ? – Job va lui-même vous répondre : « J’étais », dit-il, « l’œil des aveugles, le pied des boiteux et le père des orphelins ». (Job 1,10 ; et 29, 15)

Celui qui prend part aux maux des autres, ne sera point abattu de ses maux propres ; celui au contraire qui refuse de s’unir à la douleur des autres, sera bien plus rudement, frappé de ses propres malheurs. Si, dans le corps, lorsque le pied est blessé, la main ne lui porte point de secours, si elle ne lave point la plaie, si elle n’y applique point de remède pour la guérir, elle sera bientôt elle-même atteinte du même mal, et pour n’avoir pas voulu rendre service à un autre membre lors, qu’elle était exempte de mal, elle se verra elle-même sujette au mal. Le mal se glissant dans tout le corps, viendra enfin jusqu’à la main, pour qui il ne sera plus question de rendre service à un autre, mais de pourvoir à sa propre guérison, à son propre salut. Disons de même que celui qui refuse de compatir aux maux des autres, sera lui-même affligé par le mal. « Vous avez environné Job comme d’un rempart », dit Satan, « et je n’ose l’attaquer ». – Mais ce saint homme, direz-vous, éprouva cependant de dures afflictions.

Oui, mais ces afflictions devinrent pour lui la cause de très-grands biens. Ses richesses furent doublées, sa récompense fut augmentée, sa justice grandit, sa couronne s’enrichit de nouveaux rayons, le prix remporté par l’athlète fut plus splendide, en un mot Job vit s’accroître ensemble ses biens spirituels et ses biens temporels. Il perdit ses enfants, il est vrai, mais Dieu lui en rendit d’autres et il se réserva de lui rendre les premiers au jour de la résurrection. Si Job avait recouvré les mêmes, le nombre de ses enfants en eût été diminué ; mais outre qu’il en a reçu d’autres, il recevra encore les premiers au dernier jour. Tous ces biens lui furent donnés parce qu’il avait fait l’aumône avec joie. Faisons donc aussi l’aumône, mes frères, afin que nous obtenions de Dieu les mêmes grâces, par la miséricorde et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE VIII.


OR SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS IL VIENDRA DES TEMPS FÂCHEUX ; CAR IL Y AURA DES HOMMES AMOUREUX D’EUX-MÊMES, AVARES, GLORIEUX, SUPERBES, MÉDISANTS, DÉSOBÉISSANTS A LEURS PARENTS, INGRATS, IMPIES, ENNEMIS DE LA PAIX ET DE LA CHARITÉ, CALOMNIATEURS, INTEMPÉRANTS, INHUMAINS, SANS AFFECTION, TRAÎTRES, INSOLENTS, ENFLÉS D’ORGUEIL, ET PLUS AMATEURS DE LA VOLUPTÉ QUE DE DIEU. (III, 1-4. JUSQU’AU VERSET 15)



Analyse.
  1. Ça été de tout temps que le démon a cherché à opposer le mensonge à la vérité, le mal au bien.
  2. et 3. La vie de l’homme est un combat sans trêve.

4, 5. Le saint orateur exhorte à la lecture de l’Écriture. – Il conjure ses auditeurs de ne pas vouloir examiner trop curieusement les secrets de Dieu, dans la conduite qu’il tient envers les bons et les méchants. – Contre les devins et la vanité de leurs prédictions.

1. Si quelqu’un trouve étrange qu’il y ait aujourd’hui des hérétiques, qu’il considère qu’il en a toujours été ainsi dès le commencement, parce que, de tout temps, le diable a cherché adroitement à mêler le mensonge à la vérité. Dieu, dès le commencement, avait promis à l’homme beaucoup de biens ; le démon aussi vint les séduire par ses promesses trompeuses. Dieu leur avait planté un jardin de délices, et le démon leur vint dire : « Vous serez comme des dieux ». Ne pouvant rien leur donner en effet, il les éblouit par ses promesses : c’est ce que font tous les séducteurs. Après on vit Caïn et Abel, ensuite les fils de Seth et les filles des hommes ; puis encore Cham et Japhet, Abraham et Pharaon, Jacob et Esaü, Moïse et les magiciens, les prophètes de Dieu et les faux prophètes, les apôtres et les faux apôtres, Jésus-Christ et l’antéchrist. Après la venue du Sauveur on a encore vu la même opposition, et en même temps que les apôtres on voit paraître Teudas, Simon le magicien, Hermogènes, Philète et d’autres. Vous ne trouverez pas une époque où le démon n’ait opposé le mensonge à la vérité. Ne nous scandalisons donc point de voir des hérésies, il y a longtemps qu’elles ont été prédites. C’est ce qui fait dire à saint Paul : « Sachez que dans les derniers jours il viendra des temps fâcheux ; car il y aura des hommes amoureux d’eux-mêmes, avares, glorieux, superbes, médisants, désobéissants à leurs parents, ingrats, impies, etc. »

L’ingrat est donc un grand coupable ; et cela se comprend. En effet, comment devra se conduire envers les autres hommes celui qui est sans reconnaissance envers son bienfaiteur ? L’ingrat est un homme sans foi, l’ingrat est un homme sans entrailles. « Calomniateurs », dit saint Paul ; comme ils ne sentent en eux-mêmes rien de bon, ils trouvent une sorte de consolation à incriminer les intentions des autres, ce qui est pour eux l’occasion de mille péchés. – « Intempérants » de la langue, du ventre et de tout le reste. – « Inhumains ». La dureté et la cruauté viennent de ce qu’on a la passion de l’argent, de ce qu’on s’aime trop soi-même, de ce qu’on est ingrat ou débauché. – « Sans affection, traîtres, insolents ». Traîtres à l’amitié ; insolents et téméraires, c’est-à-dire, ne se soumettant à aucune loi. – « Enflés », c’est-à-dire, remplis d’orgueil. – « Plus amateurs de la volupté que de Dieu ; qui auront une apparence de piété, mais qui en ruineront la vérité ». L’apôtre s’exprime presque de même dans son épître aux Romains : « Ils ont », dit-il, « l’apparence, la forme de la science et de la vérité dans la loi ». (Rom. 2,20) Mais là c’est un éloge qu’il décerne, et ici c’est un blâme qu’il inflige, et même un blâme très-sévère. D’où vient cette différence ? C’est que le même mot n’est pas pris selon la même acception. C’est ainsi que le mot image se prend dans l’Écriture, tantôt dans le sens de ressemblance, et tantôt en mauvaise part pour exprimer quelque chose d’inanimé, un objet de rien. Par exemple, écrivant aux Corinthiens, l’apôtre dit : « L’homme ne doit point se voiler la tête parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu » (1Co. 11,7) ; et de son côté le Psalmiste dit : « L’homme passe en image ». (Psa. 38,7)

C’est ainsi que le lion est tantôt pris pour signifier quelque chose de royal et de majestueux, comme dans ce passage : « Il s’est endormi comme un lion et comme un lionceau, qui le réveillera ? » (Gen. 49,9) Tantôt pour exprimer quelque chose de mal comme la rapine : « Tel qu’un lion ravisseur et rugissant ». (Psa. 21,14) Nous ne parlons pas autrement nous-mêmes. L’infinie variété des objets de la nature est telle que, pour les exprimer, nous sommes obligés d’avoir recours à toute sorte d’exemples et de comparaisons. Ainsi, quand nous voulons parler avec admiration d’une belle personne, nous la comparons à une peinture ; nous disons d’une belle peinture qu’elle est parlante. Nous n’avons pas la même chose en vue dans les deux cas : dans celui-ci nous considérons la ressemblance, dans celui-là la beauté. Il en est de même du mot de « forme » dont saint Paul se sert, et qu’il prend là pour la figure, l’image, la règle et le modèle de la piété, ici pour une image inanimée, pour une figure morte et une vaine représentation. La foi donc sans les œuvres n’est qu’une apparence sans solidité. Un beau corps, paré des plus belles couleurs, mais sans vigueur, et pareil à ceux que l’on voit sur les tableaux des peintres, telle est la pure foi sans les œuvres. Admettons qu’un homme soit un avare, un traître, un insolent, et que sa foi soit pure, qu’y gagnera-t-il s’il n’a aucune des autres qualités qui font le chrétien, s’il ne pratique aucune œuvre de piété, s’il est plus impie qu’un païen, s’il ne vit que pour la perte de ceux qui le fréquentent, que pour blasphémer le saint nom de Dieu et pour déshonorer par sa conduite la foi dont il fait profession ? « Fuyez-les », dit saint Paul. Mais si ces hommes ne devaient venir qu’à la fin des temps, pourquoi l’apôtre recommande-t-il à son disciple de les éviter ? C’est que vraisemblablement il y en avait déjà de tels dès ce temps-là, quoique relativement en petit nombre ; mais la vérité est que le conseil d’éviter ces hommes ut s’adresse pas plus à Timothée qu’à nous tous. – « Car de ce nombre sont ceux qui s’introduisent dans les maisons, et qui traînent après eux comme captives, des femmes de rien, chargées de péchés et possédées de diverses passions ; lesquelles apprennent toujours et n’arrivent jamais à la connaissance de la vérité (6, 7) ».

2. Voyez-les user de la même fraude que l’antique séducteur. Ils se servent du même instrument dont le démon se servit contre Adam. – « Qui s’introduisent dans les maisons », dit l’apôtre, employant une expression qui peint parfaitement l’impudence, la dégradation, la fraude, la basse flatterie.« Qui traînent après eux comme captives, des femmelettes ». Est femmelette quiconque se laisse facilement séduire et est loin de la fermeté virile. C’est le propre des femmes de se laisser tromper, ou plutôt c’est le propre non des femmes, mais des femmelettes. – « Chargées de péchés ». Vous voyez d’où vient qu’elles se laissent facilement séduire ; cela vient de la multitude de leurs péchés et du mauvais état de leur conscience. « Chargées de péchés » est une expression d’une admirable propriété ;. elle peint non seulement la multitude des péchés, mais encore le désordre et la confusion. – « Et possédées de diverses passions ». Ce n’est point le sexe qu’il accuse, il ne dit pas simplement des femmes, mais il ajoute de quelle sorte de femmes il veut parler. – « De diverses passions ». Quelles passions ? Il a en vue la mollesse, le dévergondage, la luxure, ainsi que la cupidité, la vanité, la présomption, l’amour des honneurs, et peut-être d’autres passions encore plus honteuses. – « Lesquelles apprennent toujours, et qui n’arrivent jamais jusqu’à la connaissance de la vérité ». Ce n’est pas pour les excuser qu’il parle de la sorte, mais bien pour les menacer fortement ; car elles ont elles-mêmes enseveli sous la masse de leurs péchés leur intelligence qui en a été aveuglée.

« Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité ». Qui sont ces hommes, sinon des magiciens du temps de Moïse ? Mais comment se fait-il qu’on ne lit leurs noms nulle part ailleurs ? Il faut que saint Paul ait appris leurs noms soit par la tradition, soit par l’inspiration du Saint-Esprit. – « Ceux-ci de même résisteront à la vérité. Ce sont des hommes corrompus dans l’esprit et pervertis dans la foi. Mais le progrès qu’ils feront aura ses bornes ». Leur folie sera rendue visible à tous les yeux comme celle des magiciens. « Mais leur progrès aura des bornes ». Cependant saint Paul dit plus haut (2, 16) que leur impiété n’aura pas de bornes ; comment concilier cela ? Plus haut il veut dire que les novateurs, une fois qu’ils se seront mis à l’œuvre, ne s’arrêteront plus dans la voie de l’égarement, qu’ils inventeront sans cesse de nouvelles fraudes et de nouveaux mensonges. Ici il déclare qu’ils ne tromperont pas toujours, qu’ils n’entraîneront jamais tout après eux, quelques chutes qu’ils aient d’abord causées, mais que bientôt ils seront démasqués. Que ce soit là sa pensée, ce qui suit le prouve. « Car leur folie sera rendue visible à tous, comme le fut alors celle de ces magiciens ». Quelque prestige qu’exerce d’abord l’erreur, jamais elle ne subsiste jusqu’à la fin. Telle est la destinée des choses qui ne sont belles qu’en apparence et non en réalité. Elles ont un instant de vogue, puis on en voit le néant, et elles tombent aussitôt. Mais telle n’est pas notre doctrine, vous en êtes témoins, nous ne nous soutenons point par la fraude. Le mensonge n’est pas ce que nous prêchons ; qui voudrait mourir pour le mensonge ?

« Quant à vous, vous avez été assez longtemps avec moi pour savoir quelle est ma doctrine, ma manière de vie, la fin que je me propose, ma foi, ma tolérance, ma charité, ma patience, etc. » – « Vous avez été « assez longtemps avec moi, etc. », soyez donc fort. L’apôtre ne dit pas seulement : Vous avez été avec moi, mais : « Vous avez été assez longtemps avec moi » ; tel est le sens du mot dont il se sert. « Quelle est ma doctrine », voilà pour l’enseignement par la parole. – « Quelle est ma manière de vie », voilà pour la conduite et les œuvres. – « Quelle est la fin que je me propose », voilà pour l’intention et le but pratique. Je ne me suis pas borné à parler, dit-il, j’ai agi ; je ne me suis pas contenté d’une sagesse en paroles. – « Quelle est ma foi, ma longanimité » ; vous savez que rien ne m’a troublé dans l’accomplissement de ma mission. – « Quelle a été ma charité », vertu étrangère aux partisans de l’erreur, ainsi que la patience, et vous savez qu’elle a été la mienne. Il a usé de longanimité envers les hérétiques, et de patience contre les persécutions.

« Quelles ont été mes persécutions, mes afflictions ». Voilà deux choses capables d’effrayer un prédicateur de la foi, le grand nombre des hérétiques, et le manque de force pour souffrir les afflictions. Ces hérétiques, il en a déjà beaucoup parlé ; il a dit qu’il y en a toujours eu, qu’il y en aura toujours, qu’aucune époque n’en est exempte, qu’ils ne pourront en aucune façon nous nuire ; enfin, qu’il y a dans le monde des vases d’or et des vases d’argent. C’est pourquoi il ne parle plus que de ses afflictions. – « Ce qui m’est arrivé à Antioche, à Icone, à Lystre ». Pourquoi, d’un si grand nombre d’afflictions qu’il avait souffertes, ne rapporte-t-il que celles-ci, sinon parce que son disciple connaissait les autres ? Peut-être aussi fait-il une mention particulière, de celles-ci par la seule raison qu’elles étaient toutes récentes : Il ne s’arrête pas à énumérer toutes ses tribulations, parce qu’il est ennemi de la vaine gloire et de l’ostentation. Il parle pour encourager et consoler son disciple, et non pour faire étalage de ses mérites. Il s’agit ici d’Antioche, de Pisidie et de Lystre, patrie de Timothée. – « Quelles persécutions j’ai endurées, et comment le Seigneur m’a tiré de toutes ». Voilà deux grands motifs d’encouragement. J’ai montré une généreuse ardeur, dit saint Paul, et Dieu de son côté ne m’a pas abandonné ; ma couronne a été d’autant plus glorieuse que j’avais plus souffert. Voilà ce qu’il veut dire par ces mots : « Quelles persécutions j’ai endurées, et comment le Seigneur m’a tiré de toutes ».

3. « Ainsi tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ seront persécutés ». Pourquoi parler de moi en particulier ? dit-il, est-ce que tout homme qui voudra vivre dans la piété ne sera pas persécuté ? Par persécutions il entend ici les peines et les tribulations de la vie. On ne peut point marcher par le chemin de la vertu et être exempt de chagrin, d’affliction, de douleur, d’épreuves de toutes sortes. Comment en serait-il autrement puisque c’est marcher dans la voie étroite et resserrée, puisqu’il a été dit : « Vous aurez des tribulations dans ce monde ? » (Jn. 16,33) Si de son temps Job a pu dire : « La vie de l’homme sur la terre n’est qu’une épreuve continuelle » (Job. 7,1), combien cela : est-il plus vrai encore aujourd’hui ?

« Mais les hommes méchants et les imposteurs avanceront de plus en plus dans le mal, égarant les autres, et s’égarant eux-mêmes ». Si les méchants sont dans la joie et vous dans les épreuves, ne vous en troublez pas : la nature des choses le veut ainsi. Mon histoire vous apprendra que l’homme qui fait la guerre aux méchants ne peut pas ne pas être dans la tribulation. L’athlète ne peut vivre dans les délices ; le lutteur ne saurait se livrer à la bonne chère. Est-ce qu’un soldat connaît le repos et les délices ? La vie présente est un combat, une guerre, une tribulation perpétuelle, une angoisse sans fin, une épreuve, c’est un stade où les luttes sont incessantes. Le temps du repos viendra plus tard, le temps présent est celui des travaux et des fatigues. Est-ce que l’athlète qui est déjà entré dans la lice, qui a déposé ses vêtements et qui s’est frotté d’huile demande à se reposer ? Si vous voulez vous reposer, pourquoi êtes-vous entré dans la lice ? Il ne vous reste plus qu’à lutter. Est-ce que je ne lutte point, direz-vous ? — Non, vous ne luttez point, puisque vous ne domptez pas votre concupiscence, puisque vous ne résistez pas à l’entraînement de votre nature.

« Quant à vous, demeurez ferme dans les choses que vous avez apprises, et qui vous ont été confiées, sachant, de qui vous les avez apprises ; et considérant que vous avez été nourri dès votre enfance dans les lettres saintes qui peuvent vous instruire pour le salut par la foi qui est en Jésus-Christ ». S. Paul donne ici le même avis que David lorsqu’il dit : « Ne soyez point jaloux des méchants ». (Psa. 36,1) Demeurez ferme, dit-il, dans les choses non seulement que vous avez apprises, mais qui vous ont été confiées, et où vous avez vu qu’est la véritable vie. Si vous voyez des apparences contraires à votre croyance, ne vous troublez pas. Abraham voyait des choses contraires à ce qu’on lui avait promis, et néanmoins il n’hésita pas. Dieu lui avait promis que ce serait d’Isaac que sortirait sa postérité ; cependant lorsque Dieu lui commanda de lui immoler ce même Isaac, il n’en fut ni ébranlé ni troublé. Que personne donc, mes frères, ne se scandalise au sujet des méchants. Il y a longtemps que l’Écriture nous a donné cet avis. Et que penser envoyant les bons dans la joie et les méchants châtiés ? — Que les méchants soient châtiés, rien de plus naturel ; mais que les bons jouissent d’une prospérité inaltérable ici-bas, c’est ce qui n’est pas possible. Personne n’égalait saint Paul, et néanmoins il passa tout le temps de sa vie dans l’affliction, dans les larmes, dans les gémissements le jour et la nuit. « Avec des larmes répandues jour et nuit », dit-il, « pendant trois ans, je n’ai pas cessé d’avertir » ; et encore : « Je suis accablé d’affaires tous les jours ». (Act. 20,31 et 2Co. 11,28) Il n’était pas aujourd’hui dans la joie, demain dans la douleur ; il ne se passait pas un jour sans qu’il souffrît quelque peine. — Cependant, saint Paul dit que les méchants avanceront de plus en plus dans le mal. — Oui, mais il ne dit pas qu’ils trouveront le repos, c’est vers le mal que se fait leur progrès. Il ne dit pas qu’ils seront dans la joie. S’il arrive qu’ils soient châtiés, ils le sont pour que vous ne croyiez pas à l’impunité du péché. Comme la menace de l’enfer ne suffit pas pour arrêter notre malice, il nous réveille de temps en temps dans sa bonté par le châtiment temporel.

Si aucun méchant n’était puni, personne ne croirait que Dieu préside aux affaires de ce monde. Si tous étaient punis, personne n’attendrait plus la résurrection, si l’on voyait que tous reçoivent ici-bas leur récompense. Voilà pour quelle raison, Dieu tantôt punit et tantôt ne punit point ici-bas. Si les justes sont affligés en ce monde, c’est qu’ils n’y sont qu’en passant, comme des étrangers et des exilés. De plus les épreuves qu’endurent les justes servent à épurer leur vertu. Écoutez ce que Dieu dit à Job : « Croyez-vous, que je vous aie traité de la sorte pour une autre raison, sinon afin que vous parussiez juste ? » (Job. 11,3) Quant aux pécheurs, s’il leur arrive aussi d’être affligés, c’est en punition de leurs iniquités. Rendons grâces à Dieu, quelle que soit la manière dont il nous traite, car c’est toujours pour notre bien. Il n’agit jamais par haine et aversion pour nous, il est toujours mu par une tendre sollicitude pour nos intérêts. Saint Paul dit à Timothée qu’il a été nourri dans les saintes lettres dès le berceau, c’est-à-dire dans l’Écriture sainte. Puisqu’il a été nourri de cet aliment sacré dès son enfance, sa foi doit s’en être fortifiée au point d’être devenue inébranlable. Elle a eu le temps de pousser d’assez profondes racines pour résister à tous les assauts. Ces saintes lettres, lui dit-il encore, sont capables de vous rendre sage, c’est-à-dire qu’elles le préserveront de toutes les folies où donnent la plupart des hommes. 4. En effet, l’homme qui sait les Écritures comme il faut les savoir, ne se scandalise jamais ; quoi qu’il arrive, il supporte tout avec un généreux courage, tantôt il se réfugie dans la foi et dans la divine providence dont les secrets sont souvent impénétrables, tantôt aussi il découvre les raisons des événements, guidé par les exemples qu’il voit dans les Écritures. C’est du reste la preuve d’un véritable savoir, que de ne pas céder à une curiosité superflue, que de ne pas vouloir tout savoir. Et si vous voulez, je m’expliquerai par un exemple. Supposons un fleuve, ou plutôt supposons des fleuves, (ma supposition n’est pas gratuite, elle est conforme à la vérité) ; ils ne se trouvent pas tous également profonds ; les uns le sont plus, les autres moins. Les uns peuvent noyer dans leurs eaux profondes et emporter dans leurs tourbillons les imprudents qui s’y aventurent ; les autres sont faciles à traverser sans danger. C’est donc une grande sagesse que de ne pas s’exposer également à tous les fleuves, et ce n’est pas fine preuve médiocre de science que de vouloir bien ne pas sonder toutes les profondeurs. Vouloir en effet affronter tous les endroits d’un fleuve, c’est montrer qu’on ignore les propriétés des fleuves. Si la facilité avec laquelle vous avez passé un endroit peu profond vous enhardit à tenter le passage aux endroits profonds, vous périrez infailliblement. Il en est ainsi de Dieu ; vouloir pénétrer tous les mystères de la divinité, et s’aventurer dans cette recherche, c’est montrer qu’on ignore entièrement ce qu’est Dieu. Encore ma comparaison est-elle insuffisante, car au lieu que dans les fleuves la plupart des endroits sont sûrs et que les tourbillons et les endroits profonds tiennent moins de place que les autres, en Dieu c’est tout le contraire qui est vrai, il est presque partout insondable, et il n’y a pas moyen de suivre la trace de ses œuvres. Pourquoi nous précipiter dans ces abîmes ? Sachez seulement que Dieu mène tout par sa providence, qu’il pourvoit à tout, qu’il nous laisse notre libre arbitre, qu’il fait ou permet tout ce qui arrive ; qu’il ne veut pas le mal ; que tout ne se fait pas par sa seule volonté, mais aussi par la nôtre ; que tout le mal se fait par la nôtre seule ; que tout le bien s’accomplit et par notre volonté et par sa grâce ; enfin que rien ne lui est caché. C’est pourquoi il opère tout le bien.

Instruit de ces vérités fondamentales, instruisez-vous ensuite de ce qui est bien, de ce qui est mal, et de ce qui est indifférent : la vertu est un bien, le péché est un mal ; les richesses ou la pauvreté, la mort ou la vie sont des choses indifférentes. De ces instructions passez à celles-ci : Que les bons sont affligés afin d’être couronnés, et les méchants afin de recevoir la peine qu’ils méritent ; mais que tous les méchants ne sont point punis en ce monde, de peur que les hommes ne croient point la résurrection ; que tous les bons ne sont pas non plus dans l’affliction, de peur que le crime ne passe pour une chose louable et qu’il n’usurpe les hommages dus à la vertu. Que ce soient là vos règles, vos principes, et faites ce que vous voudrez ; pourvu que vous les suiviez, vous ne courrez aucun risque. De même qu’il y a chez le grammatiste un nombre de six mille lettres qui servent à toutes espèces d’opérations, et qu’au moyen de ce nombre de six mille lettres on peut, comme le savent ceux qui ont appris à calculer par cette méthode, faire toutes les divisions et toutes les multiplications possibles sans risquer de se tromper ; de même celui qui saura bien ces règles, que je vais répéter plus brièvement, pourra s’avancer hardiment dans la vie sans heurter à aucune pierre de scandale. Quelles sont donc ces règles ? Que la vertu est un bien, que le péché est un mal, que les maladies, la pauvreté, les embûches qu’on nous tend, les calomnies qui attaquent notre réputation, et autres disgrâces de ce genre, sont des choses indifférentes ; que généralement les justes sont ici-bas dans l’affliction ; que s’il y en a qui coulent des jours exempts d’affliction, c’est pour empêcher que la vertu ne soit odieuse ; que les méchants sont ici-bas dans la joie, parce que Dieu se réserve de les punir ailleurs ; que s’il y en a quelques-uns que Dieu punit dès cette vie, c’est pour empêcher que le péché ne passe pour un bien, et qu’on ne croie qu’il demeurera impuni ; que tous ne sont pas punis afin de ne pas discréditer le dogme de la Résurrection. Que les hommes les plus vertueux ne sont pas sans quelques fautes qu’ils expient dès ici-bas par leurs souffrances ; que les plus pervers peuvent avoir fait quelques bonnes actions dont Dieu les récompense en ce monde afin de n’avoir plus qu’à les châtier dans l’autre ; que les actes de Dieu sont la plupart incompréhensibles ; qu’il y a entre Dieu et nous une distance infinie. Ayons sans cesse ces pensées présentes à l’esprit, et quoi qu’il arrive nous ne nous troublerons point. Lisons les Écritures, et nous y trouverons beaucoup d’exemples semblables, lisons-les, car elles nous instruiront pour le salut, comme dit saint Paul à son disciple, puisqu’elles nous marquent ce que nous devons ou ce que nous ne devons pas faire. Écoutez ce que dit encore ce bienheureux apôtre dans un autre endroit : « Vous vous flattez d’être le conducteur des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des simples et des enfants ». (Rom. 2,19) Voyez-vous que la loi est la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres ? Si l’on peut dire de la loi qui nous a donné la lettre, la lettre qui tue, qu’elle est une lumière, que dira-t-on de la loi qui nous a donné l’Esprit qui vivifie ? Si la loi ancienne est une lumière, que sera la loi nouvelle qui nous a révélé de si grands mystères ? Que diraient des personnes qui ne connaîtraient que la terre, et à qui on découvrirait tout à coup le ciel et les merveilles qu’il renferme ? Or, il n’y a pas moins de différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Le Nouveau Testament nous a fait connaître avec certitude les supplices de l’enfer, le bonheur du ciel, et la sévérité du jugement final.

N’ajoutons pas foi aux jongleries des devins, il n’y a là que de l’imposture. – Mais, direz-vous, si cependant ce qu’ils disent arrive ? Cela arrive parce que vous y croyez, si toutefois cela arrive. Mais un charlatan vous tient captif, il est maître de vous, de votre vie, il fait de vous ce qu’il veut. Dites-moi, si un chef de brigands avait entre ses mains et dans sa puissance le fils d’un roi qui se serait donné à lui et qui serait venu volontairement vivre dans sa société, pourrait-il lui dire s’il vivra ou s’il mourra ? Assurément il le pourrait ; non pas parce qu’il saurait l’avenir, mais parce qu’il serait le maître de laisser vivre ou de faire mourir l’enfant qui l’aurait fait l’arbitre de sa destinée. Il est clair que ce chef de brigands pourrait disposer à son gré de cette vie qu’on lui a livrée, de l’anéantir ou de la laisser subsister. Il peut encore lui dire : Vous serez riche ou vous serez pauvre, parce qu’il peut faire l’un et l’autre. La plus grande partie de la terre s’est elle-même assujettie à la puissance du démon.

5. De plus l’homme qui s’est habitué à ajouter foi aux paroles de ces imposteurs, devient d’une crédulité qui fait admirablement leurs affaires. On ne remarque même pas s’ils se trompent, mais seulement si par hasard ils rencontrent juste. S’il est vrai qu’ils savent prédire l’avenir, amenez-les-moi à moi qui suis fidèle. Ce n’est pas l’orgueil qui me fait parler de la sorte ; il n’y a pas assez de mérite à s’affranchir de ces sottises, pour qu’on en soit fier. Je suis plein de péchés, mais je ne crois pas pour cela devoir m’humilier ici ; par la grâce de Dieu je me ris de tous ces sortilèges. Je vous le répète, amenez-moi un de vos magiciens, et s’il a quelque vertu prophétique, qu’il me dise ce qui m’arrivera demain, ce que je deviendrai. Je suis sûr qu’il ne parlera pas. Car je suis sous la puissance de mon roi légitime. Le tyran n’a aucun pouvoir sur moi ; je me tiens éloigné de ses antres et de ses cavernes ; je sers dans l’armée du roi mais, direz-vous, un tel a commis un vol, et tel magicien l’a décelé. Cela n’est pas toujours vrai. Ce n’est qu’une plaisanterie, ce n’est qu’un mensonge. Ils ne savent rien ; s’ils savent deviner, ils devraient bien employer leur art pour eux-mêmes, et dire que sont devenues les offrandes de leurs idoles qui ont été enlevées, et découvrir tout l’or qui a été fondu. Pourquoi ne l’ont-ils pas prédit à leurs prêtres ? Ils ne savent donc rien. Ainsi ils ne peuvent pas dire même un mot pour sauver leurs richesses ni pour prévenir les incendies qui les ont souvent dévorés eux et leurs temples. Pourquoi ne s’occupent-ils pas d’abord de leur propre salut ? Si donc ils ont jamais fait une prédiction qui se soit réalisée, ç’a été par pur hasard.

Nous avons des prophètes nous autres, mais ils ne se trompent jamais. On ne les voit point tantôt rencontrer juste, tantôt se tromper, mais dire infailliblement la vérité. Le propre de la vertu prophétique est en effet de ne se tromper jamais. Abstenez-vous donc, mes frères, je vous en conjure, abstenez-vous de ces folies, si vous croyez en Jésus-Christ. Que si vous ne croyez pas en Jésus-Christ, pourquoi vous dégradez-vous, pourquoi vous trompez-vous vous-mêmes ? Jusques à quand clocherez-vous des deux jambes ? Pourquoi allez-vous à ces devins ? Que leur demandez-vous ? Dès que vous allez à eux, dès que vous les interrogez, vous vous faites leur esclave. Si vous les consultez, c’est que vous croyez en eux. – Nullement, dites-vous, je les consulte, non parce que j’ai foi en eux, mais parce que je veux les éprouver. – Vouloir les éprouver, c’est n’être pas encore pleinement convaincu qu’ils mentent, c’est encore en douter. Quand même ils vous diraient : Voici ce qui arrivera, mais faites ceci et vous éviterez le mal qui vous menace, ce ne serait pas une raison pour vous livrer à l’idolâtrie. Mais leur effronterie ne va pas jusque-là. Si leur prédiction se trouve par hasard exacte, qu’y gagnez-vous, sinon une tristesse inutile ? Si la prédiction est fausse, et que l’événement ne la justifie pas, cela n’empêche pas le chagrin de vous consumer pour rien.

S’il vous était expédient de connaître l’avenir, Dieu ne nous eût pas envié cet avantage, il ne nous eût pas privés par jalousie, lui qui nous a dévoilé les secrets du ciel. « Je vous ai fait savoir », dit-il, « tout ce que j’ai appris de mon Père ; je vous ai annoncé tout ce que mon Père m’a dit, c’est pourquoi je ne vous appelle pas serviteurs, mais je vous appelle mes amis ». (Jn. 15,15) Pourquoi donc ne nous a-t-il pas fait connaître ces choses, sinon parce qu’il veut que nous n’en tenions aucun compte ? Ce qui montre que ce n’est point par envie qu’il nous refuse ces sortes de connaissances, c’est qu’il les communiquait aux anciens, et qu’il faisait par exemple retrouver des ânesses perdues. Il agissait ainsi alors parce qu’il avait affaire à un peuple enfant : pour nous, il veut que nous méprisions ces misères, et il a dédaigné de nous les faire savoir. Que nous apprend-il en échange ? Des vérités que les juifs n’ont pas eu le bonheur d’apprendre. Ces divinations étaient peu de chose. Mais nous, voici ce que nous apprenons : Que nous ressusciterons ; que nous sommes immortels, incorruptibles, qu’une vie sans fin nous est réservée ; que la figure de ce monde passera ; que nous serons ravis dans les nues du ciel ; que les méchants subiront leur juste châtiment, et mille autres choses importantes, qui sont autant de vérités certaines. N’est-il pas plus important de savoir ces choses que de savoir où l’on retrouvera une ânesse perdue ? Voilà que vous avez recouvré votre ânesse ; vous l’avez retrouvée, quel avantage est-ce pour vous ? Ne la perdrez-vous pas de nouveau d’une autre manière ? Si elle ne vous quitte plus, vous la quitterez, vous, à la mort. Quant aux vérités que je vous ai dites, si vous voulez vous en mettre en possession, vous en jouirez éternellement. Voilà ce qu’il nous faut rechercher, les biens qui sont stables, les biens qui sont sûrs. Méprisons les devins, les sorciers, les imposteurs de toute espèce, n’écoutons que Dieu qui sait tout avec certitude, qui possède la pleine connaissance de toutes choses. C’est ainsi que nous saurons tout ce qu’il faut savoir, et que nous obtiendrons tous les biens. Ainsi soit-il.




HOMÉLIE IX.

TOUTE ÉCRITURE QUI EST INSPIRÉE DE DIEU, EST UTILE POUR INSTRUIRE, POUR REPRENDRE, POUR CORRIGER ET POUR CONDUIRE À LA JUSTICE ; AFIN QUE L’HOMME DE DIEU SOIT PARFAIT ET DISPOSÉ À TOUTES SORTES DE BONNES ŒUVRES. (III, 16, 17 JUSQU’À IV, 7)



Analyse.
  1. Utilité des Écritures inspirées. – Un pasteur doit prêcher sans relâche.
  2. Saint Paul devant bientôt mourir se rend à lui-même le témoignage d’avoir bien rempli sa mission.
  3. Comment on témoigne que l’on aime l’avènement de Jésus-Christ. – Ce que c’est que cet avènement. – Pour posséder Jésus-Christ, il faut être dégagé des choses de la terre. – Il faut souffrir patiemment les maux qui nous arrivent.

1. Après que saint Paul a exhorté et consolé Timothée de toutes manières, il lui donne maintenant la consolation la plus solide et la plus parfaite de toutes, celle de la sainte Écriture. Ce n’est pas sans raison qu’il use de cette puissante consolation, car il va dire quelque chose de grave et de pénible. Si Élisée qui demeura auprès de son maître jusqu’au dernier instant, et qui se le vit enlever par une fin miraculeuse, éprouva cependant tant de douleur qu’il déchira ses vêtements, que pensez-vous que dût éprouver Timothée qui aimait tant son maître et qui en était tant aimé, lorsqu’il apprit que ce maître allait bientôt mourir, et, ce qu’il y a de plus pénible au monde, qu’il ne l’assisterait pas à sa dernière heure ? Car nous ne ressentons pas tant de joie du temps que nous avons passé avec nos amis pendant leur vie, que de douleur de n’être pas auprès d’eux au moment de leur mort. Saint Paul a donc soin de consoler son disciple avant de l’entretenir de sa mort. Et encore il n’en parle pas tout uniment, mais en termes choisis, propres à le consoler et à le combler de joie, en lui présentant sa mort, moins comme une mort que, comme un sacrifice, comme un départ ou un passage à un état meilleur. « Je suis », dit-il, « comme une victime qui a déjà reçu l’aspersion, pour être sacrifiée ». (2Ti. 4,6)

C’est donc dans cette vue qu’il lui dit : « Toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger et pour conduire à la justice ». Ce qui doit s’entendre de toute l’Écriture sainte, dans laquelle Timothée avait été instruit dès son enfance. Cette Écriture, étant inspirée de Dieu, est utile. Qui peut en douter ? « Elle est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger, afin que, l’homme de Dieu soit parfait et parfaitement disposé à toutes sortes de bonnes œuvres ». — « Utile pour instruire ». L’Écriture nous apprendra ce que nous devons savoir, et nous laissera ignorer ce que nous devons ignorer. Si nous avons des erreurs à réfuter, des désordres à redresser, l’Écriture nous fournira les principes nécessaires. Elle sera bonne aussi pour consoler et pour encourager. « Pour corriger », c’est-à-dire que nous y trouvons de quoi suppléer à ce qui nous manque. — « Afin que l’homme de Dieu soit parfait ». Ainsi les Écritures sont un encouragement au bien, destiné à conduire l’homme à la perfection. Sans elles, on n’est point parfait. Au lieu de moi, dit saint Paul, vous aurez la sainte Écriture qui vous apprendra ce que vous voudrez savoir. S’il écrivait ces choses à Timothée qui était cependant rempli du Saint-Esprit, combien plus les écrivait-il pour nous ! — « Parfaitement disposé à toutes sortes de bonnes œuvres » : Il ne doit pas se contenter d’y prendre part, il doit s’y exercer à la perfection.

« Je vous conjure donc devant Dieu et devant le Seigneur Jésus-Christ, qui jugera les vivants et les morts dans son avènement glorieux et dans l’établissement de son règne, d’annoncer la parole ». (4, 1-2) Il jugera donc les pécheurs et les justes, les trépassés et ceux qui vivront encore, et qui seront en grand nombre. Il l’avait effrayé dans sa première épître, en lui disant : « Je vous ordonne devant Dieu, qui donne la vie à tout ce qui vit ». (1Ti. 6,13) Ici il s’exprime d’une manière plus terrible encore : « Qui jugera les vivants et les morts », dit-il ; c’est-à-dire, qui leur demandera compte de leurs actions. — « Dans son avènement glorieux et dans l’établissement de son règne ». Quand se fera ce jugement ? Lors de la manifestation glorieuse du Fils de Dieu, lors de son second avènement, quand il viendra avec l’appareil du Roi de l’univers. Ce second avènement ne sera pas semblable au premier, il sera environné de gloire, voilà le sens que présente le texte, ou bien il veut dire encore : J’atteste son avènement et son règne, je prends ce juste juge à témoin que je vous ai donné ces avis.

Ensuite pour lui enseigner comment il faut prêcher, il ajoute : « Annoncez la parole ; pressez les hommes à temps, à contre-temps ; reprenez, suppliez, exhortez en toute patience et en vue de l’instruction ». Qu’est-ce à dire : « À temps, à contre-temps ? » C’est-à-dire, n’ayez point de temps marqué pour instruire. Que tout temps vous soit propre pour cela ; enseignez durant la paix et la tranquillité ; enseignez assis dans l’église ; enseignez encore au milieu des périls ; enseignez en prison, et chargé de chaînes, et à la veille de marcher au supplice, et en y allant, ne cessez jamais de, reprendre et de menacer. La réprimande n’est pas hors de propos, même, quand elle a déjà profité et produit de l’effet. — « Suppliez », dit-il. Il faut qu’un pasteur agisse comme un médecin, qu’il mette le doigt sur la plaie, qu’il pratique une incision, et qu’ensuite il applique un remède pour adoucir. Si l’une de ces choses est omise, l’autre est inutile, Si vous réprimandez quelqu’un avant de l’avoir convaincu du mal qu’il a fait, vous passerez pour téméraire, et personne ne vous souffrira. Une fois convaincu, il recevra alors une réprimande qui, auparavant, l’eût exaspéré. Mais après que vous aurez convaincu et réprimandé fortement, si vous négligez de supplier, tout est perdu encore une fois ; car la réprimande est quelque chose d’intolérable en soi, lorsqu’elle n’est pas tempérée par la supplication. De même qu’une incision ne serait pas endurée par le patient, quelque salutaire qu’elle fût, si elle n’était accompagnée d’adoucissements ; ainsi en est-il de la réprimande. – « En toute patience et en vue de l’instruction ». Celui qui veut convaincre a besoin de patience pour ne pas croire trop légèrement tout ce qu’on lui dit. Quant à la réprimande il faut qu’elle soit tempérée par la douceur pour se faire accepter. Après avoir dit : « En toute patience », il ajoute : « Et en vue de l’instruction ». Qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire, en témoignez ni colère, ni aversion, ni intention d’insulte comme si vous aviez affaire à un ennemi, gardez-vous-en bien. Au contraire, faites voir à ce pécheur que vous l’aimez, que vous compatissez à sa misère, que vous en avez plus de douleur que lui-même, que vous êtes profondément affligé de son sort. – « En toute patience et en vue de l’instruction », non pas d’une instruction telle quelle, mais saine.

2. « Car il viendra un temps que les hommes ne pourront plus souffrir la saine doctrine ». Avant que tout soit renversé et désespéré en eux, hâtez-vous de les prévenir. Voilà pourquoi il disait : Pressez à temps, et à contretemps ; ne négligez rien pour avoir des disciples dociles. – « Mais cédant à leurs passions, ils se donneront des tas de docteurs ». Rien de plus énergique que cette expression. « Tas de docteurs » marque la multitude confuse des docteurs de l’erreur ; « ils se donneront » signifie qu’ils les choisiront et les ordonneront eux-mêmes. « Ils se donneront à eux-mêmes des tas de docteurs, dans leur démangeaison d’entendre » ; c’est-à-dire qu’ils rechercheront ceux qui parlent pour plaire à l’esprit et pour chatouiller l’oreille. – « Et fermant l’oreille à la vérité, ils l’ouvriront à des fables ». Il le prévient de ces choses, non pour le jeter dans l’abattement, mais afin de le mettre en état de les recevoir avec courage lorsqu’elles arriveront. Jésus-Christ en a usé de même lorsqu’il a dit à ses disciples : « Ils vous livreront, ils vous fouetteront, ils vous traîneront, dans leurs synagogues à cause de mon nom ». (Mat. 10,17) Notre saint apôtre dit aussi ailleurs : « Je sais qu’il viendra après mon départ des loups dévorants qui n’épargneront pas le troupeau ». (Act. 20,29) Il donnait ces avertissements aux prêtres pour les rendre vigilants et pour les exciter à user sagement du temps favorable que Dieu leur donnait encore. – « Pour vous, veillez, souffrez constamment toutes sortes de travaux ». Voyez-vous que c’était à cette conclusion que tendaient les paroles précédentes ? Jésus-Christ, peu avant sa mort, avait dit : « Il s’élèvera à la fin des temps de faux christs et de faux prophètes ». Et saint Paul, à la veille de quitter ce monde, dit avec une intention pareille : « Pour vous, veillez, souffrez constamment… » c’est-à-dire, travaillez, prévenez le fléau avant qu’il arrive, hâtez-vous de mettre les brebis en sûreté, tandis que les loups ne sont pas encore venus.

« Souffrez, travaillez, faites la charge d’un évangéliste, remplissez tous les devoirs de votre ministère ». C’est donc faire la charge d’un évangéliste que de souffrir, que de s’affliger soi-même et d’être affligé par les autres. – « Remplissez tous les devoirs de votre charge ». Ceci est encore un autre motif de travail. – « Car pour moi je suis déjà comme offert en libation, et le temps de la dissolution de mon être approche ». Il ne dit pas : Mon immolation ; il se sert d’un terme plus fort. Car la victime qu’on immole n’est pas tout entière offerte à Dieu, au lieu que la libation l’est en entier. – « J’ai combattu le bon combat, j’ai terminé ma course, j’ai gardé la foi ». Souvent, prenant saint Paul en main, j’ai examiné ce passage, et, sans pouvoir sortir de mon étonnement, je me suis demandé quelle raison avait le saint apôtre de parler de lui-même si avantageusement. « J’ai combattu le bon combat », dit-il. Cette raison, je crois maintenant l’avoir trouvée, par la grâce de Dieu. Pourquoi donc tient-il ce langage ? Il veut consoler l’extrême tristesse de son disciple ; il l’engage à prendre confiance, puisque son maître s’en va pour recevoir la couronne qu’il a méritée puisqu’il a achevé sa tâche, puisqu’il aura une belle et glorieuse fin. Il faut se réjouir, dit-il, et non s’attrister. Pourquoi ? Parce que « j’ai combattu le bon combat ». L’apôtre fait comme un bon père sur le point de mourir, lequel, voyant son fils inconsolable de se trouver bientôt orphelin, lui dirait pour le consoler : Ne pleurez pas, mon fils ; j’ai vécu avec honneur ; je suis arrivé à une heureuse vieillesse, je puis vous quitter, je vous lègue l’exemple d’une vie sans tache ; ma gloire, quand je ne serai plus, rejaillira sur vous. Le roi lui-même m’a souvent témoigné me savoir gré des services que je lui ai rendus ; j’ai remporté des victoires ; j’ai mis les ennemis en fuite. Un père qui parlerait de la sorte, ne le ferait point par vanité, mais pour relever le courage de son fils et l’aider à supporter doucement sa mort. Car on ne peut nier que les séparations ne soient pénibles.

Écoutez de quelle manière saint Paul en parle dans son épître aux Thessaloniciens : « J’ai été quelque temps, séparé de vous de corps, non de cœur ». (1Th. 2,17) Si saint Paul souffrait à ce point quand il était séparé de ses disciples, que croyez-vous que devait éprouver Timothée, sur le point de perdre pour toujours un tel maître ? Si ce disciple, pour s’être seulement séparé d’avec saint Paul, de son vivant, répandait tant de larmes que saint Paul dit lui-même (2Ti. 1,4) qu’il ne perdait point le souvenir de ces larmes, et que ce souvenir le remplissait de joie, combien en devait-il verser davantage à sa mort ? C’est donc pour le consoler que saint Paul lui écrit ces choses, et toute cette épître est remplie de consolations et forme comme un testament.

« J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi » ; combattez bien aussi à mon exemple. Mais est-ce un combat que l’on puisse appeler bon que d’être dans les prisons, dans les chaînés, dans les persécutions ? Oui, c’est bien combattre que d’être dans ces souffrances pour Jésus-Christ, et elles seront enfin couronnées. Il n’y a pas de combat comparable à celui-là. La couronne que l’on y acquiert ne se flétrit point. Elle n’est point composée de feuilles d’oliviers ; ce n’est pas un homme qui nous la pose sur la tête, ce n’est pas non plus dans une assemblée d’hommes qu’elle nous est décernée, c’est dans un théâtre tout composé d’anges. Dans les combats de la terre, on lutte, on se fatigue durant plusieurs jours ; et de longs travaux sont récompensés d’une couronne qui se flétrit en moins d’une heure ; et avec son éclat qui s’obscurcit, s’envole en même temps, le plaisir qu’elle nous cause. Il n’en est pas de même ici ; mais la couronne que l’on reçoit est éternellement brillante, honorable, glorieuse. Réjouissez-vous donc, dit saint Paul à son disciple, car j’entre dans le repos éternel, je sors pour toujours de l’arène des combats. Je l’ai déjà dit, il vaut mieux pour moi mourir et être avec Jésus-Christ. (Phi. 1, 23) « J’ai achevé ma course ». Il faut donc combattre et courir : combattre en endurant les afflictions, courir non pas en vain, mais en tendant à un but utile. Il est vraiment bon le combat qui n’est pas seulement agréable mais utile au spectateur. C’est aussi une bonne course que celle qui au lieu de ne mener à rien, au lieu de n’être qu’un moyen de montrer sa force et d’acquérir une inutile gloire, élève jusqu’au ciel ceux qui courent. Cette course de saint Paul sur la terre était plus glorieuse et éclairait plus le monde que celle que le soleil accomplit dans le ciel. Mais de quelle manière saint Paul a-t-il achevé sa course ? Il a parcouru la terre en commençant depuis la Galilée et l’Arabie, et allant de là jusqu’aux extrémités du monde. « J’ai », dit-il lui-même dans son épître aux Romains, « rempli de l’Évangile de Jésus-Christ tous les pays qui sont entre Jérusalem et l’Illyrie » ; (Rom. 15,19) Il parcourait toute la terre avec la vitesse de l’aigle, ou même avec un vol plus rapide et plus merveilleux encore. Car porté sur les ailes de l’Esprit-Saint il passait au travers de mille obstacles, de mille morts, de mille pièges, de mille afflictions. Si son vol n’eût été que celui de l’aigle, il eût pu être abattu et pris ; mais soulevé par l’Esprit-Saint il passait par-dessus tous les filets ; son vol était celui d’un aigle aux ailes de feu.

« J’ai gardé la foi ». Et cependant combien de choses pouvaient la lui ravir ! Les amitiés des hommes, leurs menaces de mort et leurs mauvais traitements. Mais il avait résisté à tout. Par quel moyen ? Par la sobriété et la vigilance. Cela pouvait suffire pour consoler ses disciples, mais saint Paul veut bien encore y ajouter les récompenses qu’il attend. – « Il ne me reste qu’à attendre la couronne de justice qui m’est réservée, etc ». Ici, par le mot de « justice », il entend toute la vertu. Qu’on ne s’afflige donc point, puisque je m’en vais pour recevoir une couronne que Jésus-Christ lui-même posera sur ma tête. Si je restais en ce monde, c’est alors qu’il conviendrait bien plutôt de pleurer et d’appréhender ma chute et ma perte. – « Couronne que me donnera en ce jour le Seigneur, ce juste juge, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui aiment son avènement ». Ceci encore est fait pour donner de la confiance a Timothée. Cette couronne réservée à tous ne peut manquer à Timothée. Saint Paul ne dit pas : Le Seigneur vous la donnera aussi à vous, mais il la donnera à tous, donnant à entendre qu’il la donnera à plus forte raison à Timothée.

3. Mais comment peut-on témoigner que l’on aime l’avènement de Jésus-Christ ? C’est en se réjouissant de sa présence. Celui qui se réjouit de la présence de Jésus-Christ fait tout son possible pour mériter cette joie. Il abandonne, s’il le faut, non seulement ses biens mais sa vie même pour conquérir les biens éternels, pour se rendre digne et se mettre en état de voir le second avènement avec une sainte confiance, et d’en envisager avec joie l’éclat et la splendeur. C’est là proprement aimer l’avènement de Jésus-Christ. Celui qui l’aime fait tout pour se préparer à lui-même un avènement particulier avant l’avènement général. Et comment faire cette préparation, direz-vous ? Écoutez Jésus-Christ qui vous dit : « Celui qui m’aime gardera mes commandements, et nous viendrons, mon Père et moi, et nous demeurerons en lui ». (Jn. 14,23) Songez quelle grâce et quelle faveur c’est pour nous, que celui qui doit venir en général pour tous, daigne venir pour chacun de nous en particulier ! « Nous viendrons », dit-il, « et nous ferons notre demeure en lui ». Celui qui aime son avènement fera tout pour l’appeler à lui, le posséder et jouir de sa divine lumière. Qu’il n’y ait rien en nous qui soit indigne de sa présence, et bientôt nous le verrons venir se reposer en nous. Cet avènement s’exprime par le mot grec « Epiphanie » qui marque une apparition qui se fait d’en haut. Recherchons ce qui est au-dessus de nous, hâtons-nous d’attirer sur nous l’éclat des divins rayons. Celui qui tiendra ses yeux abaissés sur les choses d’ici-bas, et qui s’enfouira dans la terre, ne pourra contempler la lumière de ce soleil. Celui qui traîne son âme dans la boue de ce monde, ne pourra fixer le soleil de justice. Il ne luit point sur ceux qui se plongent dans ces épaisses ténèbres.
Levez du moins un peu vos regards en haut, levez-les du fond de cet abîme du siècle ou vous êtes englouti, si vous voulez voir ce soleil et attirer en vous ses rayons divins. Si vous obtenez qu’il vienne déjà en vous, de cette manière, vous le verrez à son second avènement avec une entière confiance. Pratiquez donc la sagesse : ne laissez pas demeurer en vous l’esprit d’orgueil, de peur qu’il ne vous soufflette, selon l’expression de saint Paul, et qu’il ne vous terrasse. N’ayez pas un cœur de pierre, ni rempli de ténèbres pour n’y pas briser votre navire. Pas de fraude : les écueils cachés causent les plus terribles naufrages. Ne nourrissez pas de bêtes féroces, j’appelle ainsi les passions, car il n’y a pas de bêtes féroces plus terribles qu’elles. N’appuyez point votre vie sur les choses qui s’écoulent comme l’eau, afin que vous puissiez demeurer fermes. L’eau n’offre point un fondement solide, c’est sur le roc qu’il faut s’établir pour être fermement assis. L’eau, ce sont les choses de ce monde. « Les eaux sont venues jusqu’à mon âme », dit le Prophète (Psa. 68,2) ; c’est un torrent qui s’écoule. La pierre, ce sont les choses spirituelles. « Vous avez élevé mes pieds sur la pierre ». (Psa. 39,3) Les choses de ce monde ne sont que de la boue et de la fange ; sortons-en, afin de pouvoir jouir de l’avènement de Jésus-Christ. Quelque chose qui nous arrive, supportons tout patiemment. Dans toutes les situations possibles, c’est une suffisante consolation que de souffrir pour Jésus-Christ. Ne cessons pas de nous dire cela à nous-même, et toute douleur disparaîtra comme par enchantement.
Et comment tout souffrir pour Jésus-Christ, direz-vous ? – Un homme vous a calomnié pour une raison ou pour une autre, mais non pour Jésus-Christ ; eh bien ! si vous le supportez avec constance, si vous en rendez grâces, si vous priez pour cet homme, Jésus-Christ regardera tout cela comme étant fait pour lui. Si, au contraire, vous répondez par l’imprécation et par l’indignation, si vous cherchez à vous venger, même sans pouvoir y parvenir, ce n’est plus pour Jésus-Christ que vous souffrez ; vous subissez un dommage ; vous perdez volontairement le fruit que vous pouviez recueillir de vos afflictions. Car il dépend de nous de faire servir à notre avantage le mal qui nous arrive ou d’en être lésé ; la nature des maux n’y fait rien, tout dépend de notre volonté. Par exemple, Job a souffert de très-grands maux, mais il les a soufferts avec actions de grâces ; Dieu l’a déclaré juste, non parce qu’il les avait endurés, mais parce qu’il les avait endurés avec courage. Qu’un autre souffre les mêmes maux que Job, mais qui a jamais tant souffert ? qu’il souffre donc des maux infiniment moindres, cependant il blasphème, il se dépite, il murmure, il maudit, il s’en prend à tout le monde et à Dieu même. Cet homme est jugé et condamné de Dieu, non parce qu’il a souffert, mais parce qu’il a blasphémé. Car il n’a pas blasphémé par la force des choses, mais librement, puisque s’il y avait une nécessité de blasphémer dans la souffrance, Job aurait dû blasphémer ; que s’il ne l’a pas fait quoique sous le poids de maux beaucoup plus affreux, il n’y a donc aucune nécessité de le faire, et si on le fait, c’est par un vice de la volonté.

Il faut donc avoir un cœur ferme et généreux. Après cela nous ne trouverons rien de pénible ; si au contraire nous avons peu de courage, tout nous sera insupportable. C’est donc notre volonté seule qui fait que les choses nous paraissent accablantes ou légères. Fortifions-la et nous supporterons tout facilement. Quand un arbre a poussé de profondes racines en terre, les plus violentes tempêtes ne peuvent le déraciner. Si au contraire il ne s’attache qu’à la surface, le, moindre souffle le renverse. C’est notre image : si la crainte de Dieu pénètre notre chair jusqu’au fond pour nous attacher à lui, rien ne nous ébranlera. Mais si nous ne nous attachons à Dieu que superficiellement, le moindre choc nous fera tomber. C’est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, supportons tout ce qui nous arrive avec courage, et imitons le Prophète qui a dit : « Mon âme est fortement attachée après vous, mon Dieu ». (Ps. lxii 8) Voyez comme il s’exprime ; il ne dit pas simplement : Mon âme s’est approchée, mais : « Mon âme s’est fortement attachée après vous ». Il dit encore dans le même psaume : « Mon âme a soif de vous ». Il ne dit pas : Mon âme vous a désiré, il s’exprime plus fortement. Il a dit encore dans un autre endroit « Enfoncez dans ma chair les traits de votre crainte ». (Ps. cxviii, 120) Dieu veut que nous nous attachions à lui de manière que nous ne puissions plus nous en séparer. Si nous nous attachons à Dieu de la sorte, si nous clouons à lui toutes nos pensées, si nous avons soif de lui, tout arrivera à notre gré, et nous obtiendrons les biens éternels en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




HOMÉLIE X.

TÂCHEZ DE ME VENIR TROUVER AU PLUS TÔT. CAR DÉMAS M’A ABANDONNÉ S’ÉTANT LAISSÉ EMPORTER À L’AMOUR DU SIÈCLE, ET IL S’EN EST ALLÉ À THESSALONIQUE, CRESCENT EN GALATIE, TITE EN DALMATIE. LUC EST SEUL AVEC MOI. PRENEZ MARC ET L’AMENEZ AVEC VOUS, CAR IL ME PEUT BEAUCOUP SERVIR POUR LE MINISTÈRE. J’AI ENVOYÉ TYCHIQUE À ÉPHÈSE. APPORTEZ-MOI EN VENANT LE MANTEAU QUE J’AI LAISSÉ À TROADE CHEZ CARPUS, ET MES LIVRES, SURTOUT MES PAPIERS. (iv, 8-13 JUSQU’À LA FIN)



Analyse.

  1. Saint Paul devant bientôt être conduit au supplice, appelle auprès de lui Timothée pour lui faire ses dernières recommandations. — Saint Luc l’évangéliste est auprès de lui dans sa prison.
  2. Saint Paul dit que Dieu l’a délivré de la gueule du lion. — Ce lion c’est l’empereur Néron.
  3. Que les apôtres ou ne pouvaient ou ne jugeaient pas à propos de guérir toutes les maladies. — Il ne fallait pas qu’on les prît pour des êtres supérieurs à l’humanité.
  4. et 5. Que le meilleur moyen de pourvoir à nos intérêts c’est de travailler à ceux de Dieu. — Le royaume du ciel ne se donne qu’aux violents.

1. On doit se demander pourquoi saint Paul appelle auprès de lui Timothée qui était chargé du gouvernement d’une église et de toute une nation. Il n’agissait point par orgueil puisqu’il dit dans sa première épître être tout prêt à aller trouver son disciple : « Si je tarde à vous aller voir, c’est afin que vous sachiez comment il faut se conduire dans la maison de Dieu ». (1 Tim. iii, 15) Quelle raison avait-il donc de l’appeler ? La nécessité l’y forçait, il n’avait pas la liberté d’aller partout où il aurait bien voulu aller. Il était retenu en prison par l’ordre de Néron, et il allait bientôt mourir. Il ne voulait pas mourir sans voir son disciple à qui vraisemblablement il avait d’importantes recommandations à faire. Voilà pourquoi il lui dit : « Hâtez-vous de me venir voir avant l’hiver ». (2Tim. 4,21)

« Démas m’a quitté, emporté par l’amour du siècle ». Il ne dit pas : Venez me voir avant que je meure, c’eût été trop triste ; mais il dit Venez me voir parce que je suis seul ; parce que je n’ai personne pour me seconder. Car « Démas m’a quitté, emporté par l’amour du siècle, et s’en est allé à Thessalonique » ; c’est-à-dire, il s’est épris du repos et de la sécurité, il a mieux aimé vivre commodément dans sa maison que de souffrir avec moi et partager mes dangers présents. Saint Paul parle désavantageusement de Démas seul, non pour flétrir sa réputation, mais pour nous fortifier nous-mêmes, de peur que nous ne faiblissions lorsque nous nous trouvons dans les maux. C’est ce que veut dire ce mot « emporté par l’amour du siècle ». Saint Paul voulait aussi par ce moyen engager plus fortement Timothée à le venir voir. — « Crescent est allé en Galatie, Tite en Dalmatie ». Il ne parle point désavantageusement de ceux-ci. Tite était un homme d’une admirable vertu, et saint Paul lui confia le soin d’une grande île, de l’île de Crète.

« Luc est seul avec moi ». On ne pouvait séparer ce disciple d’avec saint Paul, on ne pouvait l’en arracher. C’est lui qui a écrit l’Évangile qui porte son nom, et les Actes des apôtres. Il aimait à travailler et à s’instruire, et était d’une admirable patience. C’est de lui que saint Paul a dit : « Son éloge est dans toutes les églises, à cause de l’Évangile ». (2Cor. 8,18)

« Prenez Marc et l’amenez avec vous ». Pourquoi ? « Parce qu’il peut beaucoup me servir pour le ministère ». Il ne dit pas : Pour mon repos mais « pour le ministère » de l’Évangile. Car bien qu’il fût dans les fers, il ne cessait cependant pas de prêcher. Voilà pourquoi il faisait venir Timothée ; ce n’était pas pour ses intérêts particuliers, mais pour le bien de l’Évangile, afin qu’aucune crainte ne s’emparât des fidèles à sa mort, ses disciples étant là pour éloigner toutes les causes de trouble et pour consoler les fidèles désolés de la mort de l’apôtre. Je me figure que des personnes considérables avaient embrassé la foi à Rome.

« J’ai envoyé Tychique à Éphèse. Apportez-moi en venant le manteau que j’ai laissé à Troade chez Carpus, et mes livres, et surtout mes papiers ». Ce qu’il nomme ici φελὸνην c’était son manteau, d’autres disent que c’était un sac où l’on enfermait les papiers. Mais qu’avait-il besoin de livres lui qui allait paraître devant Dieu ? Il en avait un besoin urgent pour les léguer aux fidèles qui les conserveraient pour suppléer à son enseignement. Sa mort fut un coup terrible pour tous les fidèles, mais surtout pour ceux qui en furent les témoins et qui alors jouissaient de sa présence. Il demande son manteau afin de n’avoir pas besoin d’emprunter celui d’un autre : ce à quoi il tenait extrêmement. « Vous savez », dit-il en parlant aux Éphésiens, « que ces mains ont fourni à tout ce qui m’était nécessaire et à ceux qui étaient avec moi » ; il dit encore au même endroit : « Qu’il est plus heureux de donner que de recevoir ». (Act. 20,34-35)

« Alexandre, l’ouvrier en cuivre, m’a fait beaucoup de mal. Que le Seigneur lui rende selon ses œuvres ». Saint Paul parle encore ici de ses persécutions, non pour accuser Alexandre, ni pour le décrier, mais pour encourager son disciple à souffrir courageusement la persécution de quelque part qu’elle vienne, vînt-elle d’hommes de la dernière condition, d’hommes de rien. Celui qui est maltraité par un homme puissant, trouve immédiatement une consolation dans le haut rang de son persécuteur. Celui qui subit l’injure d’un misérable, en conçoit une plus grande indignation. « Il m’a fait beaucoup de mal », c’est-à-dire il m’a affligé de mille manières, mais ce ne sera pas impunément, dit-il ; car le Seigneur lui rendra selon ses œuvres. Plus haut il disait : « Vous savez quelles persécutions j’ai endurées, et comment le Seigneur m’a tiré de toutes ». (2Tim. 3,11) Il donne de même ici une double consolation à son disciple : l’une que les maux qu’on lui fait souffrir sont injustes, l’autre que les auteurs de ces maux recevront de Dieu ce que leurs œuvres méritent. Ce n’est pas que les saints se réjouissent des supplices des méchants, mais il est nécessaire pour l’affermissement de la prédication que les faibles reçoivent une espèce de consolation pour se soutenir. — « Gardez-vous de lui parce qu’il a fortement combattu la doctrine que j’enseigne », en se soulevant contre elle, en tâchant de soulever tout le monde. Il ne dit point à Timothée Punissez cet homme, châtiez-le, persécutez-le, comme il le pouvait en usant de la puissance que la grâce lui donnait. Il se contente de lui dire : « Gardez-vous de lui, laissez à Dieu le soin de le punir ». Il dit seulement pour la consolation des faibles : « Dieu lui rendra selon ses œuvres » : parole qui est une prophétie ou une imprécation. Que ce soit pour encourager son disciple qu’il parle de la sorte, on le voit clairement par la suite. Mais écoutons encore saint Paul faire le récit de ses épreuves.

« La première fois que j’ai défendu ma cause, nul ne m’a assisté, et tous m’ont abandonné ; je prie Dieu de ne le leur point imputer ». Admirez combien saint Paul ménage ses amis quoiqu’ils lui eussent causé une si sensible douleur en l’abandonnant. Car il y a bien de la différence entre être abandonné par des étrangers ou par des amis. Sa tristesse était extrême. Il ne peut pas dire pour se consoler : Si les étrangers m’attaquent, au moins les miens me soutiennent. Les siens mêmes l’avaient abandonné. « Ils m’ont tous abandonné », dit-il. Ce n’était pas une faute d’une petite gravité. Si dans la guerre, le soldat qui ne secourt pas son général en péril, et qui se dérobe par la fuite aux coups de l’ennemi, est puni avec raison par les siens pour avoir été cause de la perte de la bataille, pourquoi n’en serait-il pas de même dans la prédication ? Mais quelle est cette première fois que saint Paul dit avoir défendu sa cause ? Il avait déjà été cité devant Néron, et il était sorti heureusement de cette affaire. Mais ensuite ayant instruit et converti l’échanson de l’empereur, celui-ci lui fit trancher la tête. Mais voici pour le disciple une nouvelle consolation. – « Mais le Seigneur m’a assisté et m’a fortifié ». Dieu vient toujours au secours de celui qui est abandonné. « Il m’a fortifié », dit saint Paul, c’est-à-dire il m’a donné la hardiesse, il ne m’a pas laissé tomber dans l’abattement. – « Afin que j’achevasse la prédication de l’Évangile ». Admirez l’humilité de l’apôtre. Il m’a fortifié, dit-il, non que je fusse digne de cette grâce, mais afin que je pusse achever la prédication dont j’étais chargé. C’est comme si quelqu’un portait la pourpre et le diadème du roi, et qu’il dût à ces insignes d’être sauvé de quelque péril. – « Afin que toutes les nations l’entendissent » ; que tous les peuples reçussent la lumière de l’Évangile et reconnussent combien Dieu veille sur moi.

« Dieu m’a délivré de la gueule du lion, et le Seigneur me délivrera de toute action mauvaise ». Voyez combien il avait été près de mourir. Il avait été jusque dans la gueule du lion. C’est ce nom qu’il donne à Néron à cause de sa cruauté, de sa puissance et de la force de son empire. – « Le Seigneur m’a délivré, et il me délivrera », dit saint Paul. Si le Seigneur doit encore le délivrer, comment dit-il. « Je suis déjà offert en libation ? » Mais remarquez qu’il dit : « Il m’a délivré de la gueule du lion ; et il me délivrera » non plus de la gueule du lion : De quoi donc ? « De toute action mauvaise ». C’est vraiment alors que Dieu me délivrera de tout péril, après que j’aurai satisfait à tout ce qui était nécessaire pour la prédication de l’Évangile. Le Seigneur me délivrera de tout péché, il ne permettra pas que je sorte de cette vie avec quelque tache. Avoir la force de résister au péché jusqu’au sang et de ne pas céder, c’est être vraiment délivré d’un autre lion plus à craindre, c’est-à-dire du démon. Cette dernière délivrance est sans comparaison préférable à l’autre par laquelle Dieu ne nous sauve que de la mort corporelle. – « Et me sauvant, me conduira dans son royaume céleste : Gloire à lui dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ». Le véritable salut ne s’accomplira pour nous que lorsque nous serons brillants de gloire dans ce divin royaume. Qu’est-ce à dire, « me sauvera dans son royaume ? » C’est-à-dire il me délivrera de toute faute, et me gardera dans ce séjour. C’est être sauvé dans son royaume, que de mourir ici-bas pour ce royaume. « Celui qui hait son âme en ce monde, la conservera pour la vie éternelle ». (Jn. 12,25) – « Gloire à lui, etc. » Voici une doxologie pour le Fils.
« Saluez Priscille et Aquila et la maison d’Onésiphore », qui était alors à Rome, comme on le voit au commencement de cette lettre : « Que le Seigneur répande sa miséricorde sur la maison d’Onésiphore, qui étant venu à Rome m’a cherché avec grand soin. Que le Seigneur lui donne de trouver en ce jour-là miséricorde devant le Seigneur ». En le saluant de la sorte, saint Paul excite toute sa famille à imiter la vertu de son chef. « Saluez Priscille et Aquilas ». Saint Paul parle souvent de ces personnes chez qui il avait demeuré avec Apollon. Il met la femme avant le mari, à ce qu’il me semble, parce qu’elle avait plus de zèle et de foi. C’était elle qui avait pris Apollon chez elle. Ou bien saint Paul les nomme ainsi indifféremment et au hasard. Ce n’était pas une faible consolation pour eux que cette salutation, c’était une preuve de considération et d’affection ; c’était en même temps une communication de la grâce. Il n’en fallait pas plus que la salutation de ce grand et bienheureux apôtre pour combler de grâce celui à qui elle était adressée. – « Eraste est demeuré à Corinthe, j’ai laissé Trophime malade à Milet ». Nous avons fait connaissance avec celui-ci ainsi qu’avec Tychique dans le livre des Actes. Il les avait amenés de la Judée, et les conduisait partout avec lui, peut-être parce qu’ils étaient plus zélés que les autres. – « J’ai laissé Trophime malade à Milet ». Pourquoi ne l’avez-vous pas plutôt guéri, saint apôtre ? Pourquoi l’avez-vous laissé ? Les apôtres ne pouvaient pas tout. Ou bien encore ils ne voulaient pas prodiguer en toute rencontre la grâce dont ils étaient dépositaires, de peur qu’on ne vît en eux plus que des hommes. Nous pouvons faire la même remarque au sujet des justes de l’Ancien Testament. Moïse, par exemple, était bègue, pourquoi ne se débarrassa-t-il pas de ce défaut ? Il était exposé à la tristesse et à l’abattement. Il n’entra pas dans la terre de promission.

3. Dieu permettait beaucoup de choses~semblables, pour laisser paraître dans ses serviteurs la faiblesse de la nature humaine. Car si nonobstant ces défauts et ces preuves de leur fragilité, les Juifs stupides ne laissaient pas de dire : Où est ce Moïse qui nous a tirés de la terre d’Égypte ? que n’auraient-ils point dit et pensé, s’il les avait introduits dans la terre promise ? Si Dieu n’avait permis que ce même Moïse tremblât de paraître devant Pharaon, ne l’aurait-on pas pris pour un Dieu ? Ne voyons-nous pas que les habitants de Lystre, prenant Paul et Barnabé pour des divinités, voulaient leur sacrifier, de telle sorte que ces apôtres, déchirant leurs vêtements, se jetèrent au milieu de la foule en criant, en disant : « Hommes, que faites-vous là ? Nous sommes des hommes comme vous et sujets aux mêmes infirmités ». (Act. 14,14) Saint Pierre, voyant les juifs épouvantés du miracle qu’il avait fait en guérissant un homme boiteux dès sa naissance, leur disait aussi : « Israélites, pourquoi vous étonnez-vous, ou pourquoi nous regardez-vous fixement, comme si c’était par notre puissance et notre piété que nous eussions fait marcher cet homme ? » (Act. 3,12) Écoutez encore saint Paul dire : « Il m’a été donné un aiguillon de la chair, afin que je ne m’élève point ». (2Co. 12,7) Mais, dira-t-on, il parle ainsi par humilité. Non, il n’en est rien. Cet aiguillon ne lui a pas été donné seulement pour qu’il s’humiliât ; et il ne tient pas seulement ce langage par humilité, mais par d’autres raisons encore. Remarquez en effet que Dieu en lui répondant ne lui dit pas : Ma grâce vous suffit pour que vous ne vous éleviez pas, mais, que lui dit-il ? « Ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse ». Cette, conduite avait deux avantages : les miracles éclataient aux yeux de tous, et c’est à Dieu qu’on les attribuait. À cela se rapporte ce que saint Paul dit dans un autre endroit : « Nous portons ce trésor dans des vases d’argile » (2Co. 4,7), c’est-à-dire, dans des corps passibles et fragiles. Pourquoi ? Afin que cette grande puissance qui éclate dans nos œuvres soit reconnue pour appartenir à Dieu et non pas à nous. Si leurs corps n’avaient pas été sujets aux infirmités, on leur eût attribué à eux-mêmes les miracles qu’ils opéraient. On voit encore ailleurs que saint Paul est affligé de la maladie d’un autre de ses disciples, et en parlant d’Epaphrodite, il dit qu’il a été malade jusqu’à la mort, mais que Dieu a eu pitié de lui. On voit encore que cet apôtre a ignoré beaucoup de choses concernant son utilité propre et celle de ses disciples.

« J’ai laissé Trophime à Milet ». Milet est une ville proche d’Éphèse. Saint Paul y avait laissé son disciple lorsqu’il se rendait par mer en Judée, ou dans un autre temps. Après avoir été à Rome, il partit pour l’Espagne. S’il revint de là dans les contrées de l’Orient, nous ne saurions le dire. Nous le voyons donc seul et abandonné de tous. « Démas », dit-il, « m’a abandonné, Crescent est allé en Galatie, Tite en Dalmatie, Eraste est demeuré à Corinthe. J’ai laissé Trophime malade à Milet ».

« Tâchez de venir avant l’hiver. Eubule, Pudens, Lin, Claudie, et tous les frères vous saluent ». On sait que ce Lin fut après saint Pierre le second évêque de l’Église romaine. – « Lin et Claudie », dit-il. Les femmes alors étaient pieuses et ferventes, comme Priscille et Claudie dont on parle ici. Elles étaient déjà crucifiées au monde et prêtes à tout souffrir. Mais pour quelle raison, lorsqu’il y avait tant de disciples, saint Paul nomme-t-il ces femmes ? C’est sans aucun doute parce qu’elles étaient élevées par leurs sentiments au-dessus des choses de ce monde, parce qu’elles brillaient par leur vertu entre tous les disciples. Son sexe n’est pas pour la femme un obstacle à la vertu. C’est un grand don de Dieu qu’il n’y ait que les choses de ce monde où le sexe de la femme soit pour elle un désavantage ; ou, pour dire la vérité, son sexe n’est point un désavantage pour elle-même dans les choses de ce monde. Car la femme n’a pas une petite part dan s l’administration, puisqu’elle a pour sa part les affaires domestiques. Sans elle, on peut dire que les affaires publiques mêmes seraient bientôt ruinées. Si elle n’était là pour empêcher le trouble et le désordre de se mettre dans l’intérieur des maisons, les citoyens seraient obligés de rester chez eux et les affaires publiques en souffriraient. Elle n’a donc pas un rôle moins important que l’homme tant dans les affaires du monde que dans les choses spirituelles. Dieu ne lui a pas même ôté la gloire du martyre, et il y en a eu un très-grand nombre qui ont été glorieusement couronnées pour la foi. Elles peuvent même mieux garder la chasteté que les hommes, n’étant pas emportées par des ardeurs aussi violentes. Elles peuvent aussi mieux pratiquer l’humilité, la modestie, et parvenir à cette sainteté « sans laquelle nul ne verra jamais Dieu ». (Heb. 12,14) On en pourrait dire autant du mépris des richesses et de toutes les autres vertus. – « Tâchez de venir avant l’hiver ». Comme il le presse ! Cependant il ne dit rien pour l’affliger. Il ne dit pas : Avant que je meure, pour ne pas l’attrister, mais « avant l’hiver », de peur que le mauvais temps ne vous retienne. – « Eubule vous salue, ainsi que Pudens, Lin et Claudie et tous les autres frères ». Il ne nomme pas les autres, il accorde cet honneur à ceux-ci en considération de leur vertu.

« Que le Seigneur. Jésus-Christ soit avec votre esprit ». Il ne pouvait faire un meilleur souhait que celui-là. Ne vous affligez pas, dit-il, de ce que je vais bientôt mourir. Le Seigneur est avec vous, et non simplement avec vous, mais avec votre esprit : double secours ; la grâce de l’Esprit et l’aide de Dieu. Et Dieu ne peut être avec nous sans que la grâce de son Esprit y soit aussi. Si elle nous quittait, comment serait-il avec nous ? – « Que la grâce soit avec nous. Ainsi sait-il ». Saint Paul fait aussi enfin une prière pour lui-même. Il veut dire : Que nous soyons toujours agréables à Dieu, que nous ayons sa faveur et ses dons : avec cela, il n’y aura plus rien de pénible. Celui qui jouit de la vue du prince et qui possède sa faveur, n’a rien à redouter ni à souffrir ; de même fussions-nous abandonnés de nos amis, ou tombés dans quelque danger, nous serons insensibles à tout, si cette grâce est avec nous et nous entoure de sa protection.

4. Par quel moyen nous concilier cette grâce ? En faisant ce qui plaît à Dieu, et en lui obéissant en tout. Dans les grandes maisons, les serviteurs qui ont le plus de part aux bonnes grâces de leur maître, sont toujours ceux qui, s’oubliant eux-mêmes, ne s’occupent que des affaires de leur maître, mais de toute leur âme et avec ardeur, qui mettent tout en bon ordre non par force et parce qu’on le leur commande, mais par bonne volonté et par affection ; qui ont toujours les yeux attachés sur ceux de leur maître ; qui courent, qui volent au moindre signe, qui n’ont pas d’affaires ni d’intérêts propres, excepté ceux de leur maître. Le serviteur qui fait de tout ce qu’il a, la propriété de son maître fait de tout ce qu’a son maître sa propriété particulière. Il commande comme lui dans ses domaines, il est maître comme lui. Les autres serviteurs le respectent ; ce qu’il dit, son maître le confirme. Quant aux ennemis, ils le redoutent. Si dans les choses de ce monde, celui qui néglige, ses propres intérêts pour prendre ceux de son maître, ne néglige en réalité point ses affaires, mais les avance considérablement, combien cela est-il plus vrai dans les choses spirituelles ! Méprisez donc ce qui est à vous, et vous acquerrez ce qui est de Dieu. C’est lui qui vous le commande. Méprisez la terre pour conquérir le ciel. Soyez-y d’esprit et de cœur, et non sur la terre. Faites-vous craindre du côté de l’esprit, non du côté matériel. Si vous vous rendez redoutable du côté du ciel, vous ne le serez pas seulement aux hommes, mais encore aux démons, et leur prince même ne vous verra qu’en tremblant. Si vous voulez vous faire craindre par vos richesses, les démons vous mépriseront et souvent les hommes. Ce que vous pouvez acquérir sur la terre n’est qu’une récompense vile et servile. Méprisez cela et vous serez grand dans le palais de votre Roi.

Tels étaient les apôtres, pour avoir méprisé une maison servile et les biens de ce monde. Et voyez comme ils commandaient dans le domaine de leur Seigneur et Maître. Qu’un tel, disaient-ils, soit délivré de sa maladie, tel autre, du démon. Liez celui-ci, déliez celui-là. Cela se passait sur la terre et était ratifié dans le ciel. « Tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel ». (Mat. 18,18) Jésus-Christ a donné un plus grand pouvoir à ses serviteurs qu’il ne semblait en avoir lui-même, et il a vérifié ce qu’il avait dit : « Celui qui croit en moi fera de plus grandes choses que je n’en fais ». (Jn. 14,12) Pourquoi, sinon parce que la gloire de ce que font les serviteurs remonte, jusqu’à leur maître, comme parmi les hommes, plus un serviteur est puissant, plus son maître, est considéré. Si telle est la puissance du serviteur, dit-on, quelle ne sera pas celle du maître ? Mais si un serviteur, négligeant les intérêts et le service de son maître, ne pensait qu’à lui-même, à sa femme, à son fils, à son serviteur et ne travaillait qu’à s’enrichir, et à voler ou attraper par artifice le bien de son maître, n’est-il pas clair qu’il se perdrait bientôt lui-même avec ses richesses mal acquises ? Que ces exemples, mes frères, nous rappellent à nous-mêmes et nous empêchent de chercher nos intérêts particuliers, afin d’y pourvoir avec plus de sûreté et d’avantage par le mépris que nous en ferons. Car si nous les négligeons, Dieu s’en occupera ; si, nous nous en occupons, Dieu les négligera.

Travaillons aux affaires de Dieu et non pas aux nôtres, ou plutôt aux nôtres, puisque les siennes sont les nôtres. Je ne parle pas du ciel matériel, ni de la terre, ni de tout ce qui est dans le monde. Ce sont là des biens qui ne sont pas dignes de lui, et qui appartiennent aux infidèles comme à nous. Quels sont les biens que je dis être les biens de Dieu et les nôtres par lui ? C’est la gloire éternelle et le royaume céleste. Saint Paul nous assure que si nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons aussi avec lui ; si nous souffrons avec lui, nous régnerons aussi avec lui. (2Ti. 3,11) Nous sommes ses cohéritiers et ses frères. (Rom. 8,17) Pourquoi nous rabaissons-nous vers la terre lorsque Dieu nous relève vers le ciel ? Jusques à quand demeurerons-nous volontairement dans notre pauvreté et notre misère ? Dieu nous propose le ciel, et nous n’avons des yeux et des désirs que pour la terre. On nous offre le royaume du ciel, et nous aimons mieux la pauvreté sur la terre ; on nous offre la vie éternelle, et nous nous consumons à remuer du bois, des pierres et de la terre. Devenez riche, je le veux bien ; gagnez et ravissez, il n’y a pas de mal à cela. Il y a un gain qu’on est coupable de ne pas rechercher ; il y a vol dont c’est un péché de s’abstenir. Qu’est-ce à dire ? « Le royaume des cieux », dit le Sauveur, « souffre violence, et ce sont les violents qui le ravissent ». (Mat. 11,12) Soyez violent en ce sens ; soyez un ravisseur ; ce que vous ravissez de la sorte ne diminuera pas. La vertu ne se partage pas, non plus que la piété et le royaume du ciel. La vertu s’augmente à la ravir, c’est le contraire pour les biens corporels. Par exemple, je suppose une cité dans laquelle il y a dix mille citoyens. Si tous ravissent la vertu et la justice, il est clair qu’ils la multiplieront, puisqu’elle sera dans les dix mille tous ensemble. Si au contraire ils ne la ravissent point, ils la diminueront évidemment puisqu’elle ne sera plus nulle part.

5. Comprenez-vous que les vrais biens se multiplient à les ravir, et que les faux biens diminuent ? Ne croupissons pas dans une lâche pauvreté, mais enrichissons-nous. La richesse de Dieu consiste dans le grand nombre de ceux qui jouissent de son royaume. « Il est riche en tous ceux qui l’invoquent ». (Rom. 10,12) Augmentez donc sa richesse. Vous l’augmenterez si vous ravissez son royaume, si vous le gagnez, si vous l’emportez d’assaut. Il faut réellement pour cela de la violence. Pourquoi ? Parce qu’il y a beaucoup d’obstacles à vaincre, les femmes, les enfants, les soucis, les affaires temporelles, après cela les démons, et surtout leur prince, le diable. Il faut donc de la force, il faut de la persévérance. Celui qui fait violence est dans la peine, parce qu’il supporte tout, parce qu’il résiste à la nécessité. Il tente presque à l’impossible. Voilà ce que font les violents, et nous, nous ne tentons pas même le possible, quand donc obtiendrons-nous quelque chose ? Quand posséderons-nous les biens désirables et désirés ? « Les violents ravissent le royaume du ciel ». Il faut réellement de la violence, il faut emporter le ciel de vive force. On ne le gagne pas sans peine, on n’y entre pas sans coup férir. Le violent est toujours sobre, toujours vigilant ; il n’a de soins et de pensées que pour ravir ce qu’il désire, et pour épier les occasions.

À la guerre, celui qui veut enlever quelque butin veille toute la nuit, toute la nuit il est en armes. Si pour ravir les biens de cette vie on veille ainsi et on passe toute la nuit sous les armes, comment se fait-il que nous, qui voulons ravir des biens sans comparaison plus désirables et plus difficiles à saisir, les biens spirituels, comment se fait-il que nous dormions même le jour du plus profond sommeil ; comment se fait-il que nous soyons toujours sans armes ni cuirasse ? Car celui qui demeure dans le péché est un homme qui n’a ni épée ni cuirasse ; et celui au contraire qui vit dans la justice est l’homme toujours armé de pied en cap. Nous ne nous revêtons pas de l’aumône comme d’une armure, nous ne tenons pas nos lampes allumées et toutes prêtes, nous ne nous munissons pas des armes spirituelles, nous ne nous informons pas de la voie qui conduit au ciel, nous ne sommes point sobres, ni vigilants, voilà pourquoi nous ne pouvons rien ravir. Celui qui a formé le projet de conquérir une couronne terrestre n’est-il pas prêt à braver mille fois la mort ? Néanmoins il s’arme, combine ses plans, et quand il a tout préparé, il marche en avant. Il en est tout autrement de nous, nous voulons ravir tout en dormant, de là vient que nous nous retirons toujours les mains vides.

Jetez les yeux sur les ravisseurs du siècle voyez comme ils courent, comme ils se hâtent, comme ils renversent tout sur leur passage. Oui, il faut courir ; car le démon court après vous, et il crie à ceux qui sont devant vous de vous arrêter. Mais si vous êtes fort, si vous êtes vigilant, vous avez bientôt écarté du pied et de la main tous ceux qui veulent vous prendre, et vous vous échappez comme si vous aviez des ailes. Il ne vous faut qu’un instant pour vous tirer d’embarras, pour traverser la place publique et la foule tumultueuse qui s’y presse, je veux dire la vie d’ici-bas, et pour parvenir dans la région supérieure, c’est-à-dire l’éternité, région où règne le calme, où il n’y a ni tumulte ni obstacle. Quand vous aurez une fois accompli vos violences et enlevé de force ce que vous vouliez, vous n’aurez pas de peine à le conserver, on ne vous l’enlèvera pas. Courons, ne regardons même pas ce qui est devant nos yeux, n’ayons d’autre souci que d’éviter ceux qui veulent nous arrêter, et nous sommes sûrs de conserver intact ce que nous avons ravi. Vous avez, par exemple, ravi la chasteté, n’attendez pas, fuyez, éloignez-vous du diable. S’il voit qu’il ne pourra vous atteindre, il ne vous poursuivra même pas. Autant nous en arrive tous les jours : lorsque nous n’apercevons plus ceux qui nous ont volé quelque chose, nous désespérons de les rejoindre, nous renonçons à les poursuivre et à les faire poursuivre et arrêter, nous les laissons partir tranquilles. Faites de même, courez fort dès le commencement. Dès que vous serez loin du diable, il n’essaiera plus de vous atteindre. Vous pourrez en toute sécurité jouir des biens ineffables que vous avez ravis. Puissions-nous tous les posséder, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, force, honneur et adoration, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Traduit par M. JEANNIN.
  1. Ὀρθοτομοῦντα