Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Introduction à l’histoire des minéraux/Partie expérimentale/Huitième mémoire



HUITIÈME MÉMOIRE

EXPÉRIENCES SUR LA PESANTEUR DU FEU ET SUR LA DURÉE DE L’INCANDESCENCE.

Je crois devoir rappeler ici quelques-unes des choses que j’ai dites dans l’introduction qui précède ces Mémoires, afin que ceux qui ne les auraient pas bien présentes puissent néanmoins entendre ce qui fait l’objet de celui-ci. Le feu ne peut guère exister sans lumière et jamais sans chaleur, tandis que la lumière existe souvent sans chaleur sensible, comme la chaleur existe encore plus souvent sans lumière : l’on peut donc considérer la lumière et la chaleur comme deux propriétés du feu, ou plutôt comme les deux seuls effets par lesquels nous le reconnaissons ; mais nous avons montré que ces deux effets ou ces deux propriétés ne sont pas toujours essentiellement liés ensemble, que souvent ils ne sont ni simultanés ni contemporains, puisque dans de certaines circonstances on sent de la chaleur longtemps avant que la lumière paraisse, et que dans d’autres circonstances on voit de la lumière longtemps avant de sentir de la chaleur, et même souvent sans en sentir aucune, et nous avons dit que, pour raisonner juste sur la nature du feu, il fallait auparavant tâcher de reconnaître celle de la lumière et celle de la chaleur, qui sont les principes réels dont l’élément du feu nous paraît être composé.

Nous avons vu que la lumière est une matière mobile, élastique et pesante, c’est-à-dire susceptible d’attraction comme toutes les autres matières[NdÉ 1] ; on a démontré qu’elle est mobile, et même on a déterminé le degré de sa vitesse immense par le très petit temps qu’elle emploie à venir des satellites de Jupiter jusqu’à nous. On a reconnu son élasticité, qui est presque infinie, par l’égalité de l’angle de son incidence et de celui de sa réflexion ; enfin sa pesanteur ou, ce qui revient au même, son attraction vers les autres matières, est aussi démontrée par l’inflexion qu’elle souffre toutes les fois qu’elle passe auprès des autres corps. On ne peut donc pas douter que la substance de la lumière ne soit une vraie matière, laquelle, indépendamment de ses qualités propres et particulières, a aussi les propriétés générales et communes à toute autre matière. Il en est de même de la chaleur[NdÉ 2] : c’est une matière qui ne diffère pas beaucoup de celle de la lumière, et ce n’est peut-être que la lumière elle-même qui, quand elle est très forte ou réunie en grande quantité, change de forme, diminue de vitesse, et, au lieu d’agir sur le sens de la vue, affecte les organes du toucher. On peut donc dire que, relativement à nous, la chaleur n’est que le toucher de la lumière, et qu’en elle-même la chaleur n’est qu’un des effets du feu sur les corps, effet qui se modifie suivant les différentes substances, et produit dans toutes une dilatation, c’est-à-dire une séparation de leurs parties constituantes. Et lorsque, par cette dilatation ou séparation, chaque partie se trouve assez éloignée de ses voisines pour être hors de leur sphère d’attraction, les matières solides, qui n’étaient d’abord que dilatées par la chaleur, deviennent fluides et ne peuvent reprendre leur solidité qu’autant que la chaleur se dissipe et permet aux parties désunies de se rapprocher et se joindre d’aussi près qu’auparavant[1].

Ainsi toute fluidité a la chaleur pour cause, et toute dilatation dans les corps doit être regardée comme une fluidité commençante : or nous avons trouvé, par l’expérience, que les temps du progrès de la chaleur dans les corps, soit pour l’entrée, soit pour la sortie, sont toujours en raison de leur fluidité ou de leur fusibilité, et il doit s’ensuivre que leurs dilatations respectives doivent être en même raison. Je n’ai pas eu besoin de tenter de nouvelles expériences pour m’assurer de la vérité de cette conséquence générale : M. Musschenbroek en ayant fait de très exactes sur la dilatation des différents métaux, j’ai comparé ses expériences avec les miennes, et j’ai vu, comme je m’y attendais, que les corps les plus lents à recevoir et perdre la chaleur sont aussi ceux qui se dilatent le moins promptement, et que ceux qui sont les plus prompts à s’échauffer et à se refroidir sont ceux qui se dilatent le plus vite ; en sorte qu’à commencer par le fer, qui est le moins fluide de tous les corps, et finir par le mercure, qui est le plus fluide, la dilatation dans toutes les différentes matières se fait en même raison que le progrès de la chaleur dans ces mêmes matières.

Lorsque je dis que le fer est le plus solide, c’est-à-dire le moins fluide de tous les corps, je n’avance rien que l’expérience ne m’ait jusqu’à présent démontré ; cependant il pourrait se faire que le platine, comme je l’ai remarqué ci-devant, étant encore moins fusible que le fer, la dilatation y serait moindre, et le progrès de la chaleur plus lent que dans le fer ; mais je n’ai pu avoir de ce minéral qu’en grenaille, et, pour faire l’expérience de la fusibilité et la comparer à celle des autres métaux, il faudrait en avoir une masse d’un pouce de diamètre, trouvée dans la mine même : tout le platine que j’ai pu trouver en masse a été fondue par l’addition d’autres matières, et n’est pas assez pur pour qu’on puisse s’en servir à des expériences qu’on ne doit faire que sur des matières pures et simples ; et celui que j’ai fait fondre moi-même sans addition était encore en trop petit volume pour pouvoir le comparer exactement.

Ce qui me confirme dans cette idée que le platine pourrait être l’extrême en non-fluidité de toutes les matières connues, c’est la quantité de fer pur qu’il contient, puisqu’il est presque tout attirable par l’aimant : ce minéral, comme je l’ai dit, pourrait donc bien n’être qu’une matière ferrugineuse plus condensée et spécifiquement plus pesante que le fer ordinaire, intimement unie avec une grande quantité d’or, et par conséquent, étant moins fusible que le fer, recevoir encore plus difficilement la chaleur.

De même, lorsque je dis que le mercure est le plus fluide de tous les corps, je n’entends que les corps sur lesquels on peut faire des expériences exactes ; car je n’ignore pas, puisque tout le monde le sait, que l’air ne soit encore beaucoup plus fluide que le mercure ; et, en cela même, la loi que j’ai donnée sur le progrès de la chaleur est encore confirmée, car l’air s’échauffe et se refroidit, pour ainsi dire, en un instant ; il se condense par le froid, et se dilate par la chaleur plus qu’aucun autre corps, et néanmoins le froid le plus excessif ne le condense pas assez pour lui faire perdre sa fluidité, tandis que le mercure perd la sienne à 187 degrés de froid au-dessous de la congélation de l’eau, et pourrait la perdre à un degré de froid beaucoup moindre, si on le réduisait en vapeur. Il subsiste donc encore un peu de chaleur au-dessous de ce froid excessif de 187 degrés, et par conséquent le degré de la congélation de l’eau, que tous les constructeurs de thermomètres ont regardé comme la limite de la chaleur, et comme un terme où l’on doit la supposer égale à zéro, est au contraire un degré réel de l’échelle de la chaleur, degré où non seulement la quantité de chaleur subsistante n’est pas nulle, mais où cette quantité de chaleur est très considérable, puisque c’est à peu près le point milieu entre le degré de la congélation du mercure et celui de la chaleur nécessaire pour fondre le bismuth, qui est de 190 degrés, lequel ne diffère guère de 187 au-dessus du terme de la glace que comme l’autre en diffère au-dessous.

Je regarde donc la chaleur comme une matière réelle qui doit avoir son poids, comme toute autre matière, et j’ai dit en conséquence que, pour reconnaître si le feu a une pesanteur sensible, il faudrait faire l’expérience sur de grandes masses pénétrées de feu, et les peser dans cet état, et qu’on trouverait peut-être une différence assez sensible pour qu’on en pût conclure la pesanteur du feu ou de la chaleur, qui m’en paraît être la substance la plus matérielle. La lumière et la chaleur sont les deux éléments matériels du feu : ces deux éléments réunis ne sont que le feu même, et ces deux matières nous affectent chacune sous leur forme propre, c’est-à-dire d’une manière différente. Or, comme il n’existe aucune forme sans matière, il est clair que, quelque subtile qu’on suppose la substance de la lumière, de la chaleur ou du feu, elle est sujette comme toute autre matière à la loi générale de l’attraction universelle ; car, comme nous l’avons dit, quoique la lumière soit douée d’un ressort presque parfait, et que par conséquent ses parties tendent, avec une force presque infinie, à s’éloigner des corps qui la produisent, nous avons démontré que cette force expansive ne détruit pas celle de la pesanteur : on le voit par l’exemple de l’air, qui est très élastique, et dont les parties tendent avec force à s’éloigner les unes des autres, qui ne laisse pas d’être pesant. Ainsi la force par laquelle les parties de l’air ou du feu tendent à s’éloigner, et s’éloignent en effet les unes des autres, ne fait que diminuer la masse, c’est-à-dire la densité de ces matières, et leur pesanteur sera toujours proportionnelle à cette densité. Si donc l’on vient à bout de reconnaître la pesanteur du feu par l’expérience de la balance, on pourra peut-être quelque jour en déduire la densité de cet élément, et raisonner ensuite sur la pesanteur et l’élasticité du feu avec autant de fondement que sur la pesanteur et l’élasticité de l’air.

J’avoue que cette expérience, qui ne peut être faite qu’en grand, paraît d’abord assez difficile, parce qu’une forte balance, et telle qu’il la faudrait pour supporter plusieurs milliers, ne pourrait être assez sensible pour indiquer une petite différence qui ne serait que de quelques gros. Il y a ici, comme en tout, un maximum de précision, qui probablement ne se trouve ni dans la plus petite, ni dans la plus grande balance possible. Par exemple, je crois que si, dans une balance avec laquelle on peut peser 1 livre, l’on arrive à un point de précision d’un douzième de grain, il n’est pas sûr qu’on pût faire une balance pour peser dix milliers, qui pencherait aussi sensiblement pour 1 once 3 gros 41 grains, ce qui est la différence proportionnelle de 1 à 10 000 ; ou qu’au contraire, si cette grosse balance indiquait clairement cette différence, la petite balance n’indiquerait pas également bien celle d’un douzième de grain, et que, par conséquent, nous ignorons quelle doit être, pour un poids donné, la balance la plus exacte.

Les personnes qui s’occupent de physique expérimentale devraient faire la recherche de ce problème, dont la solution, qu’on ne peut obtenir que par l’expérience, donnerait le maximum de précision de toutes les balances. L’un des plus grands moyens d’avancer les sciences, c’est d’en perfectionner les instruments. Nos balances le sont assez pour peser l’air : avec un degré de perfection de plus, on viendrait à bout de peser le feu et même la chaleur.

Les boulets rouges de 4 pouces 1/2 et de 5 pouces de diamètre, que j’avais laissés refroidir dans ma balance[2], avaient perdu 7, 8 et 10 grains chacun en se refroidissant ; mais plusieurs raisons m’ont empêché de regarder cette petite diminution comme la quantité réelle du poids de la chaleur : car 1o  le fer, comme on l’a vu par le résultat de mes expériences, est une matière que le feu dévore, puisqu’il la rend spécifiquement plus légère : ainsi l’on peut attribuer cette diminution de poids à l’évaporation des parties du fer enlevées par le feu. 2o  Le fer jette des étincelles en grande quantité lorsqu’il est rougi à blanc ; il en jette encore quelques-unes lorsqu’il n’est que rouge, et ces étincelles sont des parties de matières dont il faut défalquer le poids de celui de la diminution totale ; et comme il n’est pas possible de recueillir toutes ces étincelles, ni d’en connaître le poids, il n’est pas possible non plus de savoir combien cette perte diminue la pesanteur des boulets. 3o  Je me suis aperçu que le fer demeure rouge et jette de petites étincelles bien plus longtemps qu’on ne l’imagine ; car, quoique au grand jour il perde sa lumière et paraisse noir au bout de quelques minutes, si on le transporte dans un lieu obscur, on le voit lumineux, et on aperçoit les petites étincelles qu’il continue de lancer pendant quelques autres minutes. 4o  Enfin les expériences sur les boulets me laissaient quelque scrupule, parce que la balance dont je me servais alors, quoique bonne, ne me paraissait pas assez précise pour saisir au juste le poids réel d’une matière aussi légère que le feu. Ayant donc fait construire une balance capable de porter aisément 50 livres de chaque côté, à l’exécution de laquelle M. Le Roy, de l’Académie des Sciences, a bien voulu, à ma prière, donner toute l’attention nécessaire, j’ai eu la satisfaction de reconnaître à peu près la pesanteur relative du feu. Cette balance, chargée de 50 livres de chaque côté, penchait assez sensiblement par l’addition de 24 grains ; et, chargée de 25 livres, elle penchait par l’addition de 8 grains seulement.

Pour rendre cette balance plus ou moins sensible, M. Le Roy a fait visser sur l’aiguille une masse de plomb, qui, s’élevant et s’abaissant, change le centre de gravité, de sorte qu’on peut augmenter de près de moitié la sensibilité de la balance. Mais, par le grand nombre d’expériences que j’ai faites de cette balance et de quelques autres, j’ai reconnu qu’en général plus une balance est sensible et moins elle est sage : les caprices, tant au physique qu’au moral, semblent être des attributs inséparables de la grande sensibilité. Les balances très sensibles sont si capricieuses qu’elles ne parlent jamais de la même façon : aujourd’hui elles vous indiquent le poids à un millième près, et demain elles ne le donnent qu’à une moitié, c’est-à-dire à un cinq centième près, au lieu d’un millième. Une balance moins sensible est plus constante, plus fidèle ; et, tout considéré, il vaut mieux, pour l’usage froid qu’on fait d’une balance, la choisir sage que de la prendre ou la rendre trop sensible.

Pour peser exactement des masses pénétrées de feu, j’ai commencé par faire garnir de tôle les bassins de cuivre et les chaînes de la balance afin de ne les pas endommager, et, après en avoir bien établi l’équilibre à son moindre degré de sensibilité, j’ai fait porter sur l’un des bassins une masse de fer rougi à blanc, qui provenait de la seconde chaude qu’on donne à l’affinerie après avoir battu au marteau la loupe qu’on appelle renard : je fais cette remarque parce que mon fer, dès cette seconde chaude, ne donne presque plus de flamme et ne paraît pas se consumer comme il se consume et brûle à la première chaude, et que, quoiqu’il soit blanc de feu, il ne jette qu’un petit nombre d’étincelles avant d’être mis sous le marteau.


I. — Une masse de fer rougi à blanc s’est trouvée peser précisément 49 livres 9 onces : l’ayant enlevée doucement du bassin de la balance et posée sur une pièce d’autre fer où on la laissait refroidir sans la toucher, elle s’est trouvée, après son refroidissement, au degré de la température de l’air, qui était alors celui de la congélation, ne peser que 49 livres 7 onces juste : ainsi elle a perdu 2 onces pendant son refroidissement ; on observera qu’elle ne jetait aucune étincelle, aucune vapeur assez sensible pour ne devoir pas être regardée comme la pure émanation du feu. Ainsi l’on pourrait croire que la quantité de feu contenue dans cette masse de 49 livres 9 onces étant de 2 onces, elle formait environ 1/396 ou 1/397 du poids de la masse totale. On a remis ensuite cette masse refroidie au feu de l’affinerie, et l’ayant fait chauffer à blanc comme la première fois, et porter au marteau, elle s’est trouvée, après avoir été malléée et refroidie, ne peser que 47 livres 12 onces 3 gros : ainsi le déchet de cette chaude, tant au feu qu’au marteau, était de 1 livre 10 onces 3 gros ; et ayant fait donner une seconde et une troisième chaude à cette pièce pour achever la barre, elle ne pesait plus que 43 livres 7 onces 7 gros ; ainsi son déchet total, tant par l’évaporation du feu que par la purification du fer à l’affinerie et sous le marteau, s’est trouvé de 6 livres 1 once 1 gros, sur 49 livres 9 onces, ce qui ne va pas tout à fait au huitième.

Une seconde pièce de fer, prise de même au sortir de raffinerie à la première chaude et pesée rouge blanc, s’est trouvée du poids de 38 livres 15 onces 5 gros 36 grains ; et ensuite, pesée froide, de 38 livres 14 onces 36 grains : ainsi elle a perdu 1 once 5 gros en se refroidissant, ce qui fait environ 1/384 du poids total de sa masse.

Une troisième pièce de fer, prise de même au sortir du feu de l’affinerie après la première chaude, et pesée rouge blanc, s’est trouvée du poids de 45 livres 12 onces 6 gros, et, pesée froide, de 45 livres 11 onces 2 gros : ainsi elle a perdu 1 once 4 gros en se refroidissant, ce qui fait environ 1/489 de son poids total.

Une quatrième pièce de fer, prise de même après la première chaude et pesée rouge blanc, s’est trouvée du poids de 48 livres 11 onces 6 gros ; et, pesée après son refroidissement, de 48 livres 10 onces juste ; ainsi elle a perdu en se refroidissant 14 gros, ce qui fait environ 1/447 du poids de sa masse totale.

Enfin une cinquième pièce de fer, prise de même après la première chaude et pesée rouge blanc, s’est trouvée du poids de 49 livres 11 onces ; et, pesée après son refroidissement, de 49 livres 9 onces 1 gros : ainsi elle a perdu en se refroidissant 15 gros, ce qui fait 1/424 du poids total de sa masse.

En réunissant les résultats des cinq expériences pour en prendre la mesure commune, on peut assurer que le fer chauffé à blanc, et qui n’a reçu que deux volées de coups de marteau, perd en se refroidissant 1/428 de sa masse.


II. — Une pièce de fer qui avait reçu quatre volées de coups de marteau, et par conséquent toutes les chaudes nécessaires pour être entièrement et parfaitement forgée, et qui pesait 14 livres 4 gros, ayant été chauffée à blanc, ne pesait plus que 13 livres 12 onces dans cet état d’incandescence, et 13 livres 11 onces 4 gros après son entier refroidissement. D’où l’on peut conclure que la quantité de feu dont cette pièce de fer était pénétrée faisait 1/440 de son poids total.

Une seconde pièce de fer entièrement forgée, et de même qualité que la précédente, pesait, froide, 13 livres 7 onces 6 gros : chauffée à blanc, 13 livres 6 onces 7 gros, et refroidie, 13 livres 6 onces 3 gros, ce qui donne 1/439 à très peu près dont elle a diminué en se refroidissant.

Une troisième pièce de fer forgée de même que les précédentes pesait, froide, 13 livres 1 gros ; et chauffée au dernier degré, en sorte qu’elle était non seulement blanche, mais bouillonnante et pétillante de feu, s’est trouvée peser 12 livres 9 onces 7 gros dans cet état d’incandescence ; et refroidie à la température actuelle, qui était de 16 degrés au-dessus de la congélation, elle ne pesait plus que 12 livres 9 onces 3 gros, ce qui donne 1/404 à très peu près pour la quantité qu’elle a perdue en se refroidissant.

Prenant le terme moyen des résultats de ces trois expériences, on peut assurer que le fer parfaitement forgé et de la meilleure qualité, chauffé à blanc, perd en se refroidissant environ 1/425 de sa masse.


III. — Un morceau de fer en gueuse, pesé très rouge environ vingt minutes après sa coulée, s’est trouvé du poids de 33 livres 10 onces, et lorsqu’il a été refroidi il ne pesait plus que 33 livres 9 onces : ainsi il a perdu 1 once, c’est-à-dire 1/538 de son poids ou masse totale en se refroidissant.

Un second morceau de fonte, pris de même très rouge, pesait 22 livres 8 onces 3 gros, et lorsqu’il a été refroidi il ne pesait plus que 22 livres 7 onces 5 gros, ce qui donne 1/480 pour la quantité qu’il a perdue en se refroidissant.

Un troisième morceau de fonte qui pesait, chaud, 16 livres 6 onces 3 gros 1/2, ne pesait que 16 livres 5 onces 7 gros 1/2 lorsqu’il fut refroidi, ce qui donne 1/525 pour la quantité qu’il a perdue en se refroidissant.

Prenant le terme moyen des résultats de ces trois expériences sur la fonte pesée chaude couleur de cerise, on peut assurer qu’elle perd en se refroidissant environ 1/514 de sa masse, ce qui fait une moindre diminution que celle du fer forgé ; mais la raison en est que le fer forgé a été chauffé à blanc dans toutes nos expériences, au lieu que la fonte n’était que d’un rouge couleur de cerise lorsqu’on l’a pesée, et que par conséquent elle n’était pas pénétrée d’autant de feu que le fer, car on observera qu’on ne peut chauffer à blanc la fonte de fer sans l’enflammer et la brûler en partie ; en sorte que je me suis déterminé à la faire peser seulement rouge et au moment où elle vient de prendre sa consistance dans le moule au sortir du fourneau de fusion.


IV. — On a pris sur la dame du fourneau des morceaux du laitier le plus pur, et qui formait du très beau verre de couleur verdâtre.

Le premier morceau pesait, chaud, 6 livres 14 onces 2 gros 1/2, et refroidi il ne pesait que 6 livres 14 onces 1 gros, ce qui donne 1/588 pour la quantité qu’il a perdue en se refroidissant.

Un second morceau de laitier semblable au précédent a pesé, chaud, 5 livres 8 onces 6 gros 1/4, et refroidi, 5 livres 8 onces 5 gros, ce qui donne 1/268 pour la quantité dont il a diminué en se refroidissant.

Un troisième morceau pris de même sur la dame du fourneau, mais un peu moins ardent que le précédent, a pesé chaud 4 livres 7 onces 4 gros 1/2, et refroidi, 4 livres 7 onces 3 gros 1/3, ce qui donne 1/572 pour la quantité dont il a diminué en se refroidissant.

Un quatrième morceau de laitier qui était de verre solide et pur, et qui pesait froid 2 livres 14 onces 1 gros, ayant été chauffé jusqu’au rouge couleur de feu, s’est trouvé peser 2 livres 14 onces 1 gros 2/3 ; ensuite, après son refroidissement, il a pesé, comme avant d’avoir été chauffé, 2 livres 14 onces 1 gros juste, ce qui donne 1/553 1/2 pour le poids de la quantité de feu dont il était pénétré.

Prenant le terme moyen des résultats de ces quatre expériences sur le verre, pesé chaud couleur de feu, on peut assurer qu’il perd, en se refroidissant, 1/570 ce qui me paraît être le vrai poids du feu relativement au poids total des matières qui en sont pénétrées, car ce verre ou laitier ne se brûle ni ne se consume au feu ; il ne perd rien de son poids, et se trouve seulement peser 1/570 de plus lorsqu’il est pénétré de feu.


V. — J’ai tenté plusieurs expériences semblables sur le grès, mais elles n’ont pas si bien réussi. La plupart des espèces de grès s’égrenant au feu, on ne peut les chauffer qu’à demi, et ceux qui sont assez durs et d’une assez bonne qualité pour supporter, sans s’égrener, un feu violent, se couvrent d’émail : il y a d’ailleurs dans presque tous des espèces de clous noirs et ferrugineux qui brûlent dans l’opération. Le seul fait certain que j’ai pu tirer de sept expériences sur différents morceaux de grès dur, c’est qu’il ne gagne rien au feu, et qu’il n’y perd que très peu. J’avais déjà trouvé la même chose par les expériences rapportées dans le premier Mémoire.

De toutes ces expériences, je crois qu’on doit conclure :

1o  Que le feu a, comme toute autre matière[NdÉ 3], une pesanteur réelle, dont on peut connaître le rapport à la balance dans les substances qui, comme le verre, ne peuvent être altérées par son action, et dans lesquelles il ne fait, pour ainsi dire, que passer, sans y rien laisser et sans en rien enlever ;

2o  Que la quantité de feu nécessaire pour rougir une masse quelconque, et lui donner sa couleur et sa chaleur, pèse 1/570, ou, si l’on veut, une six centième partie de cette masse ; en sorte que, si elle pèse froide 600 livres, elle pèsera chaude 601 livres, lorsqu’elle sera rouge couleur de feu ;

3o  Que dans les matières qui, comme le fer, sont susceptibles d’un plus grand degré de feu, et peuvent être chauffées à blanc sans se fondre, la quantité de feu dont elles sont alors pénétrées est environ d’un sixième plus grande ; en sorte que, sur 500 livres de fer, il se trouve 1 livre de feu : nous avons même trouvé plus par les expériences précédentes, puisque leur résultat commun donne 1/425 ; mais il faut observer que le fer, ainsi que toutes les substances métalliques, se consume un peu en se refroidissant, et qu’il diminue toutes les fois qu’on y applique le feu. Cette différence entre 1/500 et 1/425 provient donc de cette diminution : le fer, qui perd une quantité très sensible dans le feu, continue à perdre un peu tant qu’il en est pénétré, et par conséquent sa masse totale se trouve plus diminuée que celle du verre, que le feu ne peut consumer, ni brûler, ni volatiliser.

Je viens de dire qu’il en est de toutes les substances métalliques comme du fer, c’est-à-dire que toutes perdent quelque chose par la longue ou la violente action du feu[NdÉ 4] ; et je puis le prouver par des expériences incontestables sur l’or et sur l’argent, qui, de tous les métaux, sont les plus fixes et les moins sujets à être altérés par le feu. J’ai exposé au foyer du miroir ardent des plaques d’argent pur et des morceaux d’or aussi pur ; je les ai vus fumer abondamment et pendant un très long temps : il n’est donc pas douteux que ces métaux ne perdent quelque chose de leur substance par l’application du feu, et j’ai été informé depuis que cette matière qui s’échappe de ces métaux et s’élève en fumée n’est autre chose que le métal même volatilisé, puisqu’on peut dorer ou argenter à cette fumée métallique les corps qui la reçoivent.

Le feu, surtout appliqué longtemps, volatilise donc peu à peu ces métaux, qu’il semble ne pouvoir ni brûler, ni détruire d’aucune autre manière, et, en les volatilisant, il n’en change pas la nature, puisque cette fumée qui s’en échappe est encore du métal qui conserve toutes ses propriétés. Or, il ne faut pas un feu bien violent pour produire cette fumée métallique : elle paraît à un degré de chaleur au-dessous de celui qui est nécessaire pour la fusion de ces métaux. C’est de cette même manière que l’or et l’argent se sont sublimés dans le sein de la terre ; ils ont d’abord été fondus par la chaleur excessive du premier état du globe, où tout était en liquéfaction, et ensuite la chaleur moins forte, mais constante, de l’intérieur de la terre les a volatilisés, et a poussé ces fumées métalliques jusqu’au sommet des plus hautes montagnes, où elles se sont accumulées en grains ou attachées en vapeurs aux sables et aux autres matières dans lesquelles on les trouve aujourd’hui. Les paillettes d’or, que l’eau roule avec les sables, tirent leur origine, soit des masses d’or fondues par le feu primitif, soit des surfaces dorées par cette sublimation, desquelles l’action de l’air et de l’eau les détachent et les séparent.

Mais revenons à l’objet immédiat de nos expériences. Il me paraît qu’elles ne laissent aucun doute sur la pesanteur réelle du feu, et qu’on peut assurer, en conséquence de leurs résultats, que toute matière solide, pénétrée de cet élément autant qu’elle peut l’être par l’application que nous savons en faire, est au moins d’une six centième partie plus pesante que dans l’état de la température actuelle, et qu’il faut 1 livre de matière ignée pour donner à 600 livres de toute autre matière l’état d’incandescence jusqu’au rouge couleur de feu, et environ 1 livre sur 500 pour que l’incandescence soit jusqu’au blanc ou jusqu’à la fusion ; en sorte que le fer chauffé à blanc ou le verre en fusion contiennent dans cet état 1/500 de matière ignée dont leur propre substance est pénétrée.

Mais cette grande vérité, qui paraîtra nouvelle aux physiciens, et de laquelle on pourra tirer des conséquences utiles, ne nous apprend pas encore ce qu’il serait cependant le plus important de savoir : je veux dire le rapport de la pesanteur du feu à la pesanteur de l’air ou de la matière ignée à celle des autres matières. Cette recherche suppose de nouvelles découvertes auxquelles je ne suis pas parvenu, et dont je n’ai donné que quelques indications dans mon Traité des Éléments ; car, quoique nous sachions, par mes expériences, qu’il faut une cinq centième partie de matière ignée pour donner à toute autre matière l’état de la plus forte incandescence, nous ne savons pas à quel point cette matière ignée y est condensée, comprimée, ni même accumulée, parce que nous n’avons jamais pu la saisir dans un état constant pour la peser ou la mesurer ; en sorte que nous n’avons point d’unité à laquelle nous puissions rapporter la mesure de l’état d’incandescence. Tout ce que j’ai donc pu faire à la suite de mes expériences, c’est de rechercher combien il fallait consommer de matière combustible pour faire entrer dans une masse de matière solide cette quantité de matière ignée, qui est la cinq centième partie de la masse en incandescence, et j’ai trouvé, par des essais réitérés, qu’il fallait brûler 300 livres de charbon, au vent de deux soufflets de 10 pieds de longueur, pour chauffer à blanc une pièce de fonte de fer de 500 livres pesant. Mais comment mesurer, ni même estimer à peu près la quantité totale de feu produite par ces 300 livres de matière combustible ? comment pouvoir comparer la quantité de feu qui se perd dans les airs avec celle qui s’attache à la pièce de fer, et qui pénètre dans toutes les parties de sa substance ? Il faudrait pour cela bien d’autres expériences, ou plutôt il faut un art nouveau dans lequel je n’ai pu faire que les premiers pas.


VI. — J’ai fait quelques expériences pour reconnaître combien il faut de temps aux matières qui sont en fusion pour prendre leur consistance, et passer de l’état de fluidité à celui de la solidité ; combien de temps il faut pour que la surface prenne sa consistance ; combien il en faut de plus pour produire cette même consistance à l’intérieur, et savoir par conséquent combien le centre d’un globe, dont la surface serait consistante et même refroidie à un certain point, pourrait néanmoins être de temps dans l’état de liquéfaction. Voici ces expériences.

SUR LE FER.

No 1. — Le 29 juillet, à 5 heures 43 minutes, moment auquel la fonte de fer a cessé de couler, on a observé que la gueuse a pris de la consistance sur sa face supérieure en 3 minutes à sa tête, c’est-à-dire à la partie la plus éloignée du fourneau, et en 5 minutes à sa queue, c’est-à-dire à la partie la plus voisine du fourneau. L’ayant alors fait soulever du moule et casser en cinq endroits, on n’a vu aucune marque de fusibilité intérieure dans les quatre premiers morceaux : seulement, dans le morceau cassé le plus près du fourneau, la matière s’est trouvée intérieurement molle, et quelques parties se sont attachées au bout d’un petit ringard, à 5 heures 55 minutes, c’est-à-dire 12 minutes après la fin de la coulée : on a conservé ce morceau numéroté, ainsi que les suivants.

No 2. — Le lendemain 30 juillet, on a coulé une autre gueuse à 8 heures 1 minute ; et à 8 heures 4 minutes, c’est-à-dire 3 minutes après, la surface de sa tête était consolidée ; et, en ayant fait casser deux morceaux, il est sorti de leur intérieur une petite quantité de fonte coulante ; à 8 heures 7 minutes, il y avait encore dans l’intérieur des marques évidentes de fusion, en sorte que la surface a pris consistance en 3 minutes, et l’intérieur ne l’avait pas encore prise en 6 minutes.

No 3. — Le 31 juillet, la gueuse a cessé de couler à midi 35 minutes ; sa surface dans la partie du milieu avait pris sa consistance à 39 minutes, c’est-à-dire en 4 minutes, et l’ayant cassée dans cet endroit à midi 44 minutes, il s’en est écoulé une grande quantité de fonte encore en fusion ; on avait remarqué que la fonte de cette gueuse était plus liquide que celle du numéro précédent, et on a conservé un morceau cassé dans lequel l’écoulement de la matière intérieure a laissé une cavité profonde de 26 pouces dans l’intérieur de la gueuse. Ainsi la surface ayant pris en 4 minutes sa consistance solide, l’intérieur était encore en grande liquéfaction après 8 minutes 1/2.

No 4. — Le 2 août, à 4 heures 47 minutes, la gueuse qu’on a coulée s’est trouvée d’une fonte très épaisse : aussi sa surface dans le milieu a pris sa consistance en 3 minutes ; et 1 minute 1/2 après, lorsqu’on l’a cassée, toute la fonte de l’intérieur s’est écoulée, et n’a laissé qu’un tuyau de 6 lignes d’épaisseur sous la face supérieure, et de 1 pouce environ d’épaisseur aux autres faces.

No 5. — Le 3 août, dans une gueuse de fonte très liquide, on a casse trois morceaux d’environ 2 pieds 1/2 de long, à commencer du côté de la tête de la gueuse, c’est-à-dire dans la partie la plus froide du moule et la plus éloignée du fourneau, et l’on a reconnu, comme il était naturel de s’y attendre, que la partie intérieure de la gueuse était moins consistante à mesure qu’on approchait du fourneau, et que la cavité intérieure, produite par l’écoulement de la fonte encore liquide, était à peu près en raison inverse de la distance au fourneau. Deux causes évidentes concourent à produire cet effet : le moule de la gueuse, formé par les sables, est d’autant plus échauffé qu’il est plus près du fourneau, et en second lieu il reçoit d’autant plus de chaleur qu’il y passe une plus grande quantité de fonte. Or la totalité de la fonte qui constitue la gueuse passe dans la partie du moule où se forme sa queue, auprès de l’ouverture de la coulée, tandis que la tête de la gueuse n’est formée que de l’excédent qui a parcouru le moule entier et s’est déjà refroidi avant d’arriver dans cette partie la plus éloignée du fourneau, la plus froide de toutes, et qui n’est échauffée que par la seule matière qu’elle contient. Aussi des trois morceaux pris à la tête de cette gueuse, la surface du premier, c’est-à-dire du plus éloigné du fourneau, a pris sa consistance en 1 minute 1/2, mais tout l’intérieur a coulé au bout de 3 minutes 1/2. La surface du second a de même pris sa consistance en 1 minute 1/2, et l’intérieur coulait de même au bout de 3 minutes 1/2 ; enfin la surface du troisième morceau, qui était le plus loin de la tête et qui approchait du milieu de la gueuse, a pris sa consistance en 1 minute 1/2, et l’intérieur coulait encore très abondamment au bout de 4 minutes.

Je dois observer que toutes ces gueuses étaient triangulaires, et que leur face supérieure, qui était la plus grande, avait environ 6 pouces 1/2 de largeur. Cette face supérieure, qui est exposée à l’action de l’air, se consolide néanmoins plus lentement que les deux faces qui sont dans le sillon où la matière a coulé ; l’humidité des sables qui forment cette espèce de moule refroidit et consolide la fonte plus promptement que l’air, car dans tous les morceaux que j’ai fait casser, les cavités formées par l’écoulement de la fonte encore liquide étaient bien plus voisines de la face supérieure que des deux autres faces.

Ayant examiné tous ces morceaux après leur refroidissement, j’ai trouvé : 1o  que les morceaux du no 4 ne s’étaient consolidés que de 6 lignes d’épaisseur sous la face supérieure ; 2o  que ceux du no 5 se sont consolidés de 9 lignes d’épaisseur sous cette même face supérieure ; 3o  que les morceaux du no 2 s’étaient consolidés de 1 pouce d’épaisseur sous cette même face ; 4o  que les morceaux au no 3 s’étaient consolidés de 1 pouce 1/2 d’épaisseur sous la même face ; et enfin que les morceaux du no 1 s’étaient consolidés jusqu’à 2 pouces 3 lignes sous cette même face supérieure

Les épaisseurs consolidées sont donc 6, 9, 12, 18, 27 lignes, et les temps employés à cette consolidation sont 1 1/2, 2 ou 2 1/2, 3, 4 1/2, 7 minutes : ce qui fait à très peu près le quart numérique des épaisseurs. Ainsi les temps nécessaires pour consolider le métal fluide sont précisément en même raison que celle de leur épaisseur : en sorte que si nous supposons un globe isolé de toutes parts, dont la surface aura pris sa consistance en un temps donné, par exemple en 3 minutes, il faudra 1 minute 1/2 de plus pour le consolider à 6 lignes de profondeur, 2 minute 1/4 pour le consolider à 9 lignes, 3 minutes pour le consolider à 12 lignes, 4 minutes pour le consolider à 18 lignes, et 7 minutes pour le consolider à 27 ou 28 lignes de profondeur, et par conséquent 36 minutes pour le consolider à 10 pieds de profondeur,  etc.

SUR LE VERRE.

Ayant fait couler du laitier dans des moules très voisins du fourneau, à environ 2 pieds de l’ouverture de la coulée, j’ai reconnu, par plusieurs essais, que la surface de ces morceaux de laitier prend sa consistance en moins de temps que la fonte de fer, et que l’intérieur se consolidait aussi beaucoup plus vite, mais je n’ai pu déterminer, comme je l’ai fait sur le fer, les temps nécessaires pour consolider l’intérieur du verre à différentes épaisseurs ; je ne sais même si l’on en viendrait à bout dans un fourneau de verrerie où l’on aurait le verre en masses fort épaisses : tout ce que je puis assurer, c’est que la consolidation du verre, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, est à peu près une fois plus prompte que celle de la fonte du fer. Et en même temps que le premier coup de l’air condense la surface du verre liquide et lui donne une sorte de consistance solide, il la divise et la fêle en une infinité de petites parties, en sorte que le verre saisi par l’air frais ne prend pas une solidité réelle, et qu’il se brise au moindre choc ; au lieu qu’en le laissant recuire dans un four très chaud, il acquiert peu à peu la solidité que nous lui connaissons. Il paraît donc bien difficile de déterminer par l’expérience les rapports du temps qu’il faut pour consolider le verre à différentes épaisseurs au-dessous de sa surface. Je crois seulement qu’on peut, sans se tromper, prendre le même rapport pour la consolidation que celui du refroidissement du verre au refroidissement du fer, lequel rapport est de 132 à 236 par les expériences du second Mémoire (page 124).


VII. — Ayant déterminé, par les expériences précédentes, les temps nécessaires pour la consolidation du fer en fusion, tant à sa surface qu’aux différentes profondeurs de son intérieur, j’ai cherché à reconnaître, par des observations exactes, quelle était la durée de l’incandescence dans cette même matière.

1. Un renard, c’est-à-dire une loupe détachée de la gueuse par le feu de la chaufferie et prête à être portée sous le marteau, a été mise dans un lieu dont l’obscurité était égale à celle de la nuit quand le ciel est couvert : cette loupe, qui était fort enflammée, n’a cessé de donner de la flamme qu’au bout de 24 minutes ; d’abord la flamme était blanche, ensuite rouge et bleuâtre sur la fin ; elle ne paraissait plus alors qu’à la partie inférieure de la loupe qui touchait la terre et ne se montrait que par ondulations ou par reprises, comme celles d’une chandelle qui s’éteint. Ainsi la première incandescence, accompagnée de flamme, a duré 24 minutes : ensuite la loupe, qui était encore bien rouge, a perdu cette couleur peu à peu et a cessé de paraître rouge au bout de 74 minutes, non compris les 24 premières, ce qui fait en tout 98 minutes ; mais il n’y avait que les surfaces supérieures et latérales qui avaient absolument perdu leur couleur rouge ; la surface inférieure, qui touchait à la terre, l’était encore aussi bien que l’intérieur de la loupe. Je commençai alors, c’est-à-dire au bout de 98 minutes, à laisser tomber quelques grains de poudre à tirer sur la surface supérieure ; ils s’enflammèrent avec explosion. On continuait de jeter de temps en temps de la poudre sur la loupe, et ce ne fut qu’au bout de 42 minutes de plus qu’elle cessa de faire explosion : à 43, 44 et 45 minutes la poudre se fondait et fusait sans explosion, en donnant seulement une petite flamme bleue. De là je crus devoir conclure que l’incandescence à l’intérieur de la loupe n’avait fini qu’alors, c’est-à-dire 42 minutes après celle de la surface, et qu’en tout elle avait duré 140 minutes.

Cette loupe était de figure à peu près ovale et aplatie sur deux faces parallèles ; son grand diamètre était de 13 pouces, et le petit de 8 pouces ; elle avait aussi, à très peu près, 8 pouces d’épaisseur partout, et elle pesait 91 livres 4 onces après avoir été refroidie.

2. Un autre renard, mais plus petit que le premier, tout aussi blanc de flamme et pétillant de feu, au lieu d’être porté sous le marteau, a été mis dans le même lieu obscur où il n’a cessé de donner de la flamme qu’au bout de 22 minutes ; ensuite il n’a perdu sa couleur rouge qu’après 43 minutes, ce qui fait 65 minutes pour la durée des deux états d’incandescence à la surface, sur laquelle ayant ensuite jeté des grains de poudre, ils n’ont cessé de s’enflammer avec explosion qu’au bout de 40 minutes, ce qui fait en tout 105 minutes pour la durée de l’incandescence, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Cette loupe était à peu près circulaire, sur 9 pouces de diamètre, et elle avait environ 6 pouces d’épaisseur partout ; elle s’est trouvée du poids de 54 livres après son refroidissement.

J’ai observé que la flamme et la couleur rouge suivent la même marche dans leur dégradation : elles commencent par disparaître à la surface supérieure de la loupe, tandis qu’elles durent encore aux surfaces latérales, et continuent de paraître assez longtemps autour de la surface inférieure, qui, étant constamment appliquée sur la terre, se refroidit plus lentement que les autres surfaces qui sont exposées à l’air.

3. Un troisième renard tiré du feu très blanc, brûlant et pétillant d’étincelles et de flamme, ayant été porté dans cet état sous le marteau, n’a conservé cette incandescence enflammée que 6 minutes ; les coups précipités dont il a été frappé pendant ces 6 minutes, ayant comprimé la matière, en ont en même temps réprimé la flamme qui aurait subsisté plus longtemps sans cette opération, par laquelle on en a fait une pièce de fer de 12 pouces 1/2 de longueur, sur 4 pouces en carré, qui s’est trouvée peser 48 livres 4 onces après avoir été refroidie. Mais, ayant mis auparavant cette pièce encore toute rouge dans le même lieu obscur, elle n’a cessé de paraître rouge à sa surface qu’au bout de 46 minutes, y compris les 6 premières. Ayant ensuite fait l’épreuve avec la poudre à tirer qui n’a cessé de s’enflammer avec explosion que 26 minutes après les 46, il en résulte que l’incandescence intérieure et totale a duré 72 minutes.

En comparant ensemble ces trois expériences, on peut conclure que la durée de l’incandescence totale est, comme celle de la prise de consistance, proportionnelle à l’épaisseur de la matière. Car la première loupe, qui avait 8 pouces d’épaisseur, a conservé son incandescence pendant 140 minutes : la seconde, qui avait 6 pouces d’épaisseur, l’a conservée pendant 105 minutes ; et la troisième, qui n’avait que 4 pouces, ne l’a conservée que pendant 72 minutes. Or, 105 : 140 : : 6 : 8, et de même 72 : 140 à peu près : : 4 : 8, en sorte qu’il paraît y avoir même rapport entre les temps qu’entre les épaisseurs.

4. Pour m’assurer encore mieux de ce fait important, j’ai cru devoir répéter l’expérience sur une loupe, prise, comme la précédente, au sortir de la chaufferie. On l’a portée tout enflammée sous le marteau ; la flamme a cessé au bout de 6 minutes, et dans ce moment on a cessé de la battre ; on l’a mise tout de suite dans le même lieu obscur ; le rouge n’a cessé qu’au bout de 39 minutes, ce qui donne 45 minutes pour les deux états d’incandescence à la surface ; ensuite la poudre n’a cessé de s’enflammer avec explosion qu’au bout de 28 minutes : ainsi l’incandescence intérieure et totale a duré 73 minutes. Or, cette pièce avait, comme la précédente, 4 pouces juste d’épaisseur, sur deux faces en carré, et 10 pouces 1/4 de longueur : elle pesait 39 livres 4 onces après avoir été refroidie.

Cette dernière expérience s’accorde si parfaitement avec celle qui la précède et avec les deux autres, qu’on ne peut pas douter qu’en général la durée de l’incandescence ne soit à très peu près proportionnelle à l’épaisseur de la masse, et que par conséquent ce grand degré de feu ne suive la même loi que celle de la chaleur médiocre ; en sorte que, dans des globes de même matière, la chaleur ou le feu du plus haut degré, pendant tout le temps de l’incandescence, s’y conservent et y durent précisément en raison de leur diamètre. Cette vérité, que je voulais acquérir et démontrer par le fait, semble nous indiquer que les causes cachées (causæ latentes) de Newton, desquelles j’ai parlé dans le premier de ces Mémoires, ne s’opposent que très peu à la sortie du feu, puisqu’elle se fait de la même manière que si les corps étaient entièrement et parfaitement perméables, et que rien ne s’opposât à son issue. Cependant on serait porté à croire que plus la même matière est comprimée, plus elle doit retenir de temps le feu ; en sorte que la durée de l’incandescence devrait être alors en plus grande raison que celle des épaisseurs ou des diamètres. J’ai donc essayé de reconnaître cette différence par l’expérience suivante.

5. J’ai fait forger une masse cubique de fer de 5 pouces 9 lignes de toutes faces ; elle a subi trois chaudes successives, et l’ayant laissée refroidir, son poids s’est trouvé de 48 livres 9 onces. Après l’avoir pesée, on l’a mise de nouveau au feu de l’affinerie, où elle n’a été chauffée que jusqu’au rouge couleur de feu, parce qu’alors elle commençait à donner un peu de flamme, et qu’en la laissant au feu plus longtemps le fer aurait brûlé. De là on l’a transportée tout de suite dans le même lieu obscur, où j’ai vu qu’elle ne donnait aucune flamme ; néanmoins elle n’a cessé de paraître rouge qu’au bout de 52 minutes, et la poudre n’a cessé de s’enflammer à sa surface avec explosion que 43 minutes après : ainsi l’incandescence totale a duré 95 minutes. On a pesé cette masse une seconde fois après son entier refroidissement ; elle s’est trouvée peser 48 livres 1 once : ainsi elle avait perdu au feu 8 onces de son poids, et elle en aurait perdu davantage, si on l’eût chauffée jusqu’au blanc.

En comparant cette expérience avec les autres, on voit que l’épaisseur de la masse étant de 5 pouces 3/4, l’incandescence totale a duré 95 minutes dans cette pièce de fer, comprimée autant qu’il est possible, et que dans les premières masses qui n’avaient point été comprimées par le marteau, l’épaisseur étant de 6 pouces, l’incandescence a duré 105 minutes, et l’épaisseur étant de 8 pouces, elle a duré 140 minutes. Or, 140 : 8 ou 105 : 6 : : 95 : 5 9/21 au lieu que l’expérience nous donne 5 3/4. Les causes cachées, dont la principale est la compression de la matière, et les obstacles qui en résultent pour l’issue de la chaleur, semblent donc produire cette différence de 5 3/4 à 5 9/21, ce qui fait 27/84 ou un peu plus d’un tiers sur 15/3 c’est-à-dire environ 1/16 sur le tout. En sorte que le fer bien battu, bien sué, bien comprimé, ne perd son incandescence qu’en 17 de temps, tandis que le même fer qui n’a point été comprimé la perd en 16 du même temps. Et ceci paraît se confirmer par les expériences 3 et 4, où les masses de fer, ayant été comprimées par une seule volée de coups de marteau, n’ont perdu leur incandescence qu’au bout de 72 et 73 minutes, au lieu de 70 qu’a duré celle des loupes non comprimées, ce qui fait 2 1/2 sur 70 ou 5/140 ou 1/28 de différence produite par cette première compression. Ainsi l’on ne doit pas être étonné que la seconde et la troisième compression qu’a subies la masse de fer de la cinquième expérience, qui été battue par trois volées de coups de marteau, aient produit 1/16 au lieu de 1/28 de différence dans la durée de l’incandescence. On peut donc assurer en général que la plus forte compression qu’on puisse donner à la matière, pénétrée de feu autant qu’elle peut l’être, ne diminue que d’une seizième partie la durée de son incandescence, et que dans la matière qui ne reçoit point de compression extérieure, cette durée est précisément en même raison que son épaisseur.

Maintenant, pour appliquer au globe de la terre le résultat de ces expériences, nous considérerons qu’il n’a pu prendre sa forme élevée sous l’équateur, et abaissée sous les pôles, qu’en vertu de la force centrifuge, combinée avec celle de la pesanteur ; que, par conséquent, il a dû tourner sur son axe pendant un petit temps avant que sa surface ait pris sa consistance, et qu’ensuite la matière intérieure s’est consolidée dans les mêmes rapports de temps indiqués par nos expériences ; en sorte qu’en partant de la supposition d’un jour au moins pour le petit temps nécessaire à la prise de consistance à sa surface, et en admettant, comme nos expériences l’indiquent, un temps de 3 minutes pour en consolider la matière intérieure à 1 pouce de profondeur, il se trouvera 36 minutes pour 1 pied, 216 minutes pour 1 toise, 342 jours pour 1 lieue, et 490 086 jours, ou environ 1 342 ans, pour qu’un globe de fonte de fer qui aurait, comme celui de la terre, 1 432 lieues 1/2 de demi-diamètre, eût pris sa consistance jusqu’au centre.

La supposition que je fais ici d’un jour de rotation pour que le globe terrestre ait pu s’élever régulièrement sous l’équateur et s’abaisser sous les pôles, avant que sa surface ne fût consolidée, me paraît plutôt trop faible que trop forte ; car il a peut-être fallu un grand nombre de révolutions de vingt-quatre heures chacune sur son axe, pour que la matière fluide se soit solidement établie, et l’on voit bien que, dans ce cas, le temps nécessaire pour la prise de consistance de la matière au centre se trouvera plus grand[NdÉ 5]. Pour le réduire autant qu’il est possible, nous n’avons fait aucune attention à l’effet de la force centrifuge qui s’oppose à celui de la réunion des parties, c’est-à-dire à la prise de consistance de la matière en fusion. Nous avons supposé encore, dans la même vue de diminuer le temps, que l’atmosphère de la terre, alors toute en feu, n’était néanmoins pas plus chaude que celle de mon fourneau, à quelques pieds de distance où se sont faites les expériences, et c’est en conséquence de ces deux suppositions trop gratuites que nous ne trouvons que 1 342 ans pour le temps employé à la consolidation du globe jusqu’au centre. Mais il me paraît certain que cette estimation du temps est de beaucoup trop faible, par l’observation constante que j’ai faite sur la prise de consistance des gueuses à la tête et à la queue ; car il faut trois fois autant de temps et plus pour que la partie de la gueuse qui est à 18 pieds du fourneau prenne consistance, c’est-à-dire que, si la surface de la tête de la gueuse, qui est à 18 pieds du fourneau, prend consistance en 1 minute 1/2, celle de la queue, qui n’est qu’à 2 pieds du fourneau, ne prend consistance qu’en 4 minutes 1/2 ou 5 minutes ; en sorte que la chaleur plus grande de l’air contribue prodigieusement au maintien de la fluidité ; et l’on conviendra sans peine avec moi que, dans ce premier temps de liquéfaction du globe de la terre, la chaleur de l’atmosphère de vapeurs qui l’environnait était plus grande que celle de l’air à 2 pieds de distance du feu de mon fourneau, et que par conséquent il a fallu beaucoup plus de temps pour consolider le globe jusqu’au centre. Or, nous avons démontré, par les expériences du premier Mémoire[3], qu’un globe de fer gros comme la terre, pénétré de feu seulement jusqu’au rouge, serait plus de quatre-vingt-seize mille six cent soixante-dix ans à se refroidir, auxquels, ajoutant deux ou trois mille ans pour le temps de sa consolidation jusqu’au centre, il résulte qu’en tout il faudrait environ cent mille ans pour refroidir au point de la température actuelle un globe de fer gros comme la terre, sans compter la durée du premier état de liquéfaction, ce qui recule encore les limites du temps, qui semble fuir et s’étendre à mesure que nous cherchons à le saisir. Mais tout ceci sera plus amplement discuté et déterminé plus précisément dans les Mémoires suivants.


Notes de Buffon
  1. Je sais que quelques chimistes prétendent que les métaux, rendus fluides par le feu, ont plus de pesanteur spécifique que quand ils sont solides ; mais j’ai de la peine à le croire, car il s’ensuivrait que leur état de dilatation, où cette pesanteur spécifique est moindre, ne serait pas le premier degré de leur état de fusion, ce qui néanmoins parait indubitable. L’expérience sur laquelle ils fondent leur opinion, c’est que le métal en fusion supporte le même métal solide, et qu’on le voit nager à la surface du métal fondu ; mais je pense que cet effet ne vient que de la répulsion causée par la chaleur, et ne doit point être attribué à la pesanteur spécifique plus grande du métal en fusion : je suis au contraire très persuadé qu’elle est moindre que celle du métal solide.
  2. Voyez les expériences du premier Mémoire.
  3. Voyez ci-devant, p. 89.
Notes de l’éditeur
  1. Nous avons déjà relevé cette erreur à diverses reprises. La lumière n’est pas « une matière », mais simplement un mouvement de la matière qui se transmet par l’intermédiaire de l’éther. [Note de Wikisource : Deux erreurs dans cette rectification. Effectivement, la lumière n’est pas un corps matériel, et il n’y a donc aucun sens à parler de sa masse ou de son élasticité comme le fait Buffon par la suite. Cependant, la lumière n’est pas un mouvement de la matière, mais une onde électro-magnétique, c’est-à-dire la propagation progressive de perturbations transitoires des propriétés électromagnétiques locales du milieu. De plus, l’idée largement acceptée au xixe siècle de l’existence d’un éther, répandu entre les planètes pour servir de véhicule à la lumière et aux forces d’attraction, a été ruinée à la fin du xixe siècle par les célèbres expériences de Michelson et Morley : on sait aujourd’hui que l’espace interplanétaire est essentiellement vide, que la lumière se propage dans le vide, et que la propagation de la lumière est justiciable des phénomènes de l’attraction gravitationnelle comme tous les corps matériels (bien qu’elle n’en soit pas un), car ces phénomènes sont de nature essentiellement géométrique.]
  2. Comme la lumière, la chaleur n’est pas « une matière », mais un mouvement de la matière.
  3. Le « feu », c’est-à-dire la chaleur n’est pas une matière, mais un mouvement de la matière.
  4. L’action seule de la chaleur, du « feu » comme dit Buffon, est incapable d’augmenter ou de diminuer le poids d’une substance ; pour que le poids de cette dernière soit altéré, il faut qu’il y ait, en même temps, combinaison ou décomposition. Si, par exemple, sous l’action du feu, le fer s’oxyde, c’est-à-dire se combine avec de l’oxygène, il augmente forcément de poids. Si, au contraire, il diminue de poids, c’est parce qu’il perd une partie de l’oxyde qui s’est formé.
  5. D’après Poisson, en admettant que le globe terrestre ait d’abord été fluide, comme on le pense généralement, c’est par son centre et non par sa surface que le refroidissement et la consolidation auraient commencé. [Note de Wikisource : Malheureusement les raisonnements de Buffon et de Poisson sont tous deux trop simplistes pour reconstituer l’histoire de la consolidation du globe. On pense aujourd’hui que le manteau terrestre s’est consolidé par sa surface, mais que la croûte terrestre a été, dans la prime jeunesse de notre planète, liquéfiée très fréquemment, mais ponctuellement, par le bombardement météoritique.]