Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Introduction à l’histoire des minéraux/Partie expérimentale/Premier mémoire



PREMIER MÉMOIRE

EXPÉRIENCES SUR LE PROGRÈS DE LA CHALEUR DANS LES CORPS.

J’ai fait dix boulets de fer forgé et battu :

Pouces.
Le premier d’un demi-pouce de diamètre. 0 1/2
Le second d’un pouce. 1 0/2
Le troisième d’un pouce et demi. 1 1/2
Le quatrième de deux pouces. 2 0/2
Le cinquième de deux pouces et demi. 2 1/2
Le sixième de trois pouces. 3 0/2
Le septième de trois pouces et demi. 3 1/2
Le huitième de quatre pouces. 4 0/2
Le neuvième de quatre pouces et demi. 4 1/2
Le dixième de cinq pouces. 5 0/2

Ce fer venait de la forge de Chameçon, près Châtillon-sur-Seine, et comme tous les boulets ont été faits du fer de cette même forge, leurs poids se sont trouvés à très peu près proportionnels aux volumes.

  1. Le boulet d’un demi-pouce pesait 190 grains, ou 2 gros 46 grains.
  2. Le boulet d’un pouce pesait 1 522 grains, ou 2 onces 5 gros 10 grains.
  3. Le boulet d’un pouce et demi pesait 5 136 grains, ou 8 onces 7 gros 24 grains.
  4. Le boulet de deux pouces pesait 12 173 grains, ou 1 livre 5 onces 1 gros 5 grains.
  5. Le boulet de deux pouces et demi pesait 23 781 grains, ou 2 livres 9 onces 2 gros 21 grains.
  6. Le boulet de trois pouces pesait 41 085 grains, ou 4 livres 7 onces 22 gros 45 grains.
  7. Le boulet de trois pouces et demi pesait 65 254 grains, ou 7 livres 1 once 2 gros 22 grains.
  8. Le boulet de quatre pouces pesait 97 388 grains, ou 10 livres 9 onces 44 grains.
  9. Le boulet de quatre pouces et demi pesait 138 179 grains, ou 14 livres 15 onces 7 gros 11 grains.
  10. Le boulet de cinq pouces pesait 190 211 grains, ou 20 livres 10 onces 1 gros 59 grains.

Tous ces poids ont été pris juste avec de très bonnes balances, en faisant limer peu à peu ceux des boulets qui se sont trouvés un peu trop forts.

Avant de rapporter les expériences, j’observerai :

1o Que pendant tout le temps qu’on les a faites le thermomètre exposé à l’air libre était à la congélation ou à quelques degrés au-dessous[1], mais qu’on a laissé refroidir les boulets dans une cave où le thermomètre était à peu près à dix degrés au-dessus de la congélation, c’est-à-dire au degré de la température des caves de l’Observatoire, et c’est ce degré que je prends ici pour celui de la température actuelle de la terre.

2o J’ai cherché à saisir deux instants dans le refroidissement : le premier où les boulets cessaient de brûler, c’est-à-dire le moment où on pouvait les toucher et les tenir avec la main, pendant une seconde, sans se brûler ; le second temps de ce refroidissement était celui où les boulets se sont trouvés refroidis jusqu’au point de la température actuelle, c’est-à-dire à dix degrés au-dessus de la congélation. Et, pour connaître le moment de ce refroidissement jusqu’à la température actuelle, on s’est servi d’autres boulets de comparaison de même matière et de mêmes diamètres qui n’avaient pas été chauffés, et que l’on touchait en même temps que ceux qui avaient été chauffés. Par cet attouchement immédiat et simultané de la main ou des deux mains sur les deux boulets, on pouvait juger assez bien du moment où ces boulets étaient également froids ; cette manière simple est non seulement plus aisée que le thermomètre qu’il eût été difficile d’appliquer ici, mais elle est encore plus précise, parce qu’il ne s’agit que de juger de l’égalité et non pas de la proportion de la chaleur, et que nos sens sont meilleurs juges que les instruments de tout ce qui est absolument égal ou parfaitement semblable. Au reste, il est plus aisé de reconnaître l’instant où les boulets cessent de brûler que celui où ils se sont refroidis à la température actuelle, parce qu’une sensation vive est toujours plus précise qu’une sensation tempérée, attendu que la première nous affecte d’une manière plus forte.

3o Comme le plus ou le moins de poli ou de brut sur le même corps fait beaucoup à la sensation du toucher, et qu’un corps poli semble être plus froid s’il est froid, et plus chaud s’il est chaud, qu’un corps brut de même matière, quoiqu’ils le soient tous deux également, j’ai eu soin que les boulets froids fussent bruts et semblables à ceux qui avaient été chauffés, dont la surface était semée de petites éminences produites par l’action du feu.


EXPÉRIENCES.
  1. I. — Le boulet d’un demi-pouce a été chauffé à blanc en 2 minutes.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 12 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 39 minutes.
  2. II. — Le boulet d’un pouce a été chauffé à blanc en 5 minutes 1/2.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 35 minutes 1/2.
    Refroidi au point de la température actuelle en 1 heure 33 minutes.
  3. III. — Le boulet d’un pouce et demi a été chauffé à blanc en 9 minutes.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 58 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 2 heures 25 minutes.
  4. IV. — Le boulet de 2 pouces a été chauffé à blanc en 13 minutes.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 1 heure 20 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 3 heures 16 minutes.
  5. V. — Le boulet de 2 pouces et demi a été chauffé à blanc en 16 minutes.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 1 heure 42 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 4 heures 30 minutes.
  6. VI. — Le boulet de 3 pouces a été chauffé à blanc en 19 minutes 1/2.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 2 heures 7 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 5 heures 8 minutes.
  7. VII. — Le boulet de 3 pouces et demi a été chauffé à blanc en 23 minutes 1/2.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 2 heures 36 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 5 heures 56 minutes.
  8. VIII. — Le boulet de 4 pouces a été chauffé à blanc en 27 minutes 1/2.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 3 heures 2 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 6 heures 55 minutes.
  9. IX. — Le boulet de 4 pouces et demi a été chauffé à blanc en 31 minutes.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 3 heures 25 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 7 heures 46 minutes.
  10. X. — Le boulet de 5 pouces a été chauffé à blanc en 34 minutes.
    Il s’est refroidi au point de le tenir dans la main en 3 heures 52 minutes.
    Refroidi au point de la température actuelle en 8 heures 42 minutes.

La différence la plus constante que l’on puisse prendre entre chacun des termes qui expriment le temps du refroidissement, depuis l’instant où l’on tire les boulets du feu jusqu’à celui où on peut les toucher sans se brûler, se trouve être de vingt-quatre minutes : car, en supposant chaque terme augmenté de vingt-quatre, on aura :

12′, 36′, 60′, 84′, 108′, 132′, 156′, 180′, 204′, 228′,

et la suite des temps réels de ces refroidissements trouvés par les expériences précédentes est :

12′, 35′ 1/2, 58′, 80′, 102′, 127′, 156′, 182′, 205′, 232′,

ce qui approche de la première autant que l’expérience peut approcher du calcul.

De même la différence la plus constante que l’on puisse prendre entre chacun des termes du refroidissement jusqu’à la température actuelle, se trouve être de cinquante-quatre minutes : car, en supposant chaque terme augmenté de cinquante-quatre, on aura :

39′, 93′, 147′, 201′, 255′, 309′, 363′, 417′, 471′, 525′,

et la suite des temps réels de ce refroidissement, trouvés par les expériences précédentes, est :

39′, 93′, 145′, 196′, 248′, 308′, 356′, 415′, 466′, 522′,

ce qui approche aussi beaucoup de la première suite supposée.

J’ai fait une seconde et une troisième fois les mêmes expériences sur les mêmes boulets ; mais j’ai vu que je ne pouvais compter que sur les premières, parce que je me suis aperçu qu’à chaque fois qu’on chauffait les boulets, ils perdaient considérablement de leur poids ; car

  1. Le boulet d’un demi-pouce après avoir été chauffé trois fois avait perdu environ la dix-huitème partie de son poids.
  2. Le boulet d’un pouce après avoir été chauffé trois fois avait perdu environ la seizième partie de son poids.
  3. Le boulet d’un pouce et demi après avoir été chauffé trois fois avait perdu la quinzième partie de son poids.
  4. Le boulet de deux pouces après avoir été chauffé trois fois avait perdu à peu près la quatorzième partie de son poids.
  5. Le boulet de deux pouces et demi après avoir été chauffé trois fois avait perdu à peu près la treizième partie de son poids.
  6. Le boulet de trois pouces après avoir été chauffé trois fois avait perdu à peu près la treizième partie de son poids.
  7. Le boulet de trois pouces et demi après avoir été chauffé trois fois avait perdu encore un peu plus de la treizième partie de son poids.
  8. Le boulet de quatre pouces après avoir été chauffé trois fois avait perdu la douzième partie et demie de son poids.
  9. Le boulet de quatre pouces et demi après avoir été chauffé trois fois avait perdu un peu plus de la douzième partie et demie de son poids.
  10. Le boulet de cinq pouces après avoir été chauffé trois fois avait perdu à très peu près la douzième de son poids, car il pesait, avant d’avoir été chauffé, vingt livres dix onces un gros cinquante-neuf grains[2].

On voit que cette perte sur chacun des boulets est extrêmement considérable, et qu’elle paraît aller en augmentant à mesure que les boulets sont plus gros, ce qui vient, à ce que je présume, de ce que l’on est obligé d’appliquer le feu violent d’autant plus longtemps que les corps sont plus grands ; mais en tout cette perte de poids, non seulement est occasionnée par le détachement des parties de la surface qui se réduisent en scories, et qui tombent dans le feu, mais encore par une espèce de dessèchement ou de calcination intérieure qui diminue la pesanteur des parties constituantes du fer ; en sorte qu’il paraît que le feu violent rend le fer spécifiquement plus léger à chaque fois qu’on le chauffe. Au reste, j’ai trouvé par des expériences ultérieures que cette diminution de pesanteur varie beaucoup selon la différente qualité du fer.

Ayant donc fait faire six nouveaux boulets depuis un demi-pouce jusqu’à trois pouces de diamètre, et du même poids que les premiers, j’ai trouvé les mêmes progressions tant pour l’entrée que pour la sortie de la chaleur, et je me suis assuré que le fer s’échauffe et se refroidit en effet comme je viens de l’exposer.

Un passage de Newton[3] a donné naissance à ces expériences.

« Globus ferri candentis, digitum unum latus, calorem suum omnem spatio horæ unius in aere consistens vix amitteret. Globus autem major calorem diutiùs conservaret in ratione diametri, proptereà quod superficies (ad cujus mensuram per contactum aeris ambientis refrigeratur) in illà ratione minor est pro quantitate materiæ suæ calidæ inclusæ. Ideòque globus ferri candentis huic terræ aequalis, id est, pedes plus minus 40000000 latus, diebus totidem et idcircò annis 50000, vix refrigesceret. Suspicor tamen quòd duratio caloris ob causas latentes augeatur in minori ratione quàm eà diametri ; et optarim rationem veram per experimenta investigari. »

Newton désirait donc qu’on fît les expériences que je viens d’exposer, et je me suis déterminé à les tenter non seulement parce que j’en avais besoin pour des vues semblables aux siennes, mais encore parce j’ai cru m’apercevoir que ce grand homme pouvait s’être trompé en disant que la durée de la chaleur devait n’augmenter, par l’effet des causes cachées, qu’en moindre raison que celle du diamètre ; il m’a paru au contraire en y réfléchissant que ces causes cachées ne pouvaient que rendre cette raison plus grande au lieu de la faire plus petite.

Il est certain, comme le dit Newton, qu’un globe plus grand conserverait sa chaleur plus longtemps qu’un plus petit en raison du diamètre, si on supposait ces globes composés d’une matière parfaitement perméable à la chaleur, en sorte que la sortie de la chaleur fût absolument libre, et que les particules ignées ne trouvassent aucun obstacle qui pût les arrêter ni changer le cours de leur direction : ce n’est que dans cette supposition mathématique que la durée de la chaleur serait en effet en raison du diamètre ; mais les causes cachées dont parle Newton, et dont les principales sont les obstacles qui résultent de la perméabilité non absolue, imparfaite et inégale de toute matière solide, au lieu de diminuer le temps de la durée de la chaleur, doivent au contraire l’augmenter ; cela m’a paru si clair, même avant d’avoir tenté mes expériences, que je serais porté à croire que Newton, qui voyait clair aussi jusque dans les choses même qu’il ne faisait que soupçonner, n’est pas tombé dans cette erreur, et que le mot minori ratione au lieu de majori, n’est qu’une faute de sa main ou de celle d’un copiste qui s’est glissée dans toutes les éditions de son ouvrage, du moins dans toutes celles que j’ai pu consulter : ma conjecture est d’autant mieux fondée que Newton paraît dire ailleurs précisément le contraire de ce qu’il dit ici, c’est dans la onzième question de son Traité d’optique[4] : « Les corps d’un volume, dit-il, ne conservent-ils pas plus longtemps (Nota. Ce mot plus longtemps ne peut signifier ici qu’en raison plus grande que celle du diamètre) leur chaleur parce que leurs parties s’échauffent réciproquement ? et un corps vaste, dense et fixe, étant une fois échauffé au delà d’un certain degré, ne peut-il pas jeter de la lumière en telle abondance que par l’émission et la réaction de sa lumière, par les réflexions et les réfractions de ses rayons au-dedans de ses pores, il devienne toujours plus chaud jusqu’à ce qu’il parvienne à un certain degré de chaleur qui égale la chaleur du soleil ? et le soleil et les étoiles fixes ne sont-ce pas de vastes terres violemment échauffées dont la chaleur se conserve par la grosseur de ces corps, et par l’action et la réaction réciproques entre eux et la lumière qu’ils jettent, leurs parties étant d’ailleurs empêchées de s’évaporer en fumée, non seulement par leur fixité, mais encore par le vaste poids et la grande densité des atmosphères qui, pesant de tous côtés, les compriment très fortement et condensent les vapeurs et les exhalaisons qui s’élèvent de ces corps-là ? »

Par ce passage on voit que Newton non seulement est ici de mon avis sur la durée de la chaleur, qu’il suppose en raison plus grande que celle du diamètre, mais encore qu’il renchérit beaucoup sur cette augmentation en disant qu’un grand corps, par cela même qu’il est grand, peut augmenter sa chaleur.

Quoi qu’il en soit, l’expérience a pleinement confirmé ma pensée. La durée de la chaleur, ou, si l’on veut, le temps employé au refroidissement du fer n’est point en plus petite, mais en plus grande raison que celle du diamètre ; il n’y a pour s’en assurer qu’à comparer les progressions suivantes :

Diamètres :
1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10 demi-pouces.
Temps du premier refroidissement, supposés en raison du diamètre :
12′, 24′, 36′, 48′, 60′, 72′, 84′, 96′, 108′, 120′, minutes.
Temps réels de ce refroidissement, trouvés par l’expérience :
12′, 35′ 1/2, 58′, 80′, 102′, 127′, 156′, 182′, 205′, 232′.
Temps du second refroidissement, supposés en raison du diamètre :
39′, 78′, 117′, 156′, 195′, 234′, 273′, 312′, 351′, 390′.
Temps réels de ce second refroidissement, trouvés par l’expérience :
39′, 93′, 145′, 196′, 248′, 308′, 356′, 415′, 466′, 522′.

On voit, en comparant ces progressions terme à terme, que dans tous les cas la durée de la chaleur non seulement n’est pas en raison plus petite que celle du diamètre (comme il écrit dans Newton), mais qu’au contraire cette durée est en raison considérablement plus grande.

Le docteur Martine, qui a fait un bon ouvrage sur les thermomètres, rapporte ce passage de Newton, et il dit qu’il avait commencé de faire quelques expériences qu’il se proposait de pousser plus loin ; qu’il croit que l’opinion de Newton est conforme à la vérité, et que les corps semblables conservent en effet la chaleur dans la proportion de leurs diamètres ; mais que quant au doute que Newton forme, si dans les grands corps cette proportion n’est pas moindre que celle des diamètres, il ne le croit pas suffisamment fondé. Le docteur Martine avait raison à cet égard, mais en même temps il avait tort de croire, d’après Newton, que tous les corps semblables, solides ou fluides, conservent leur chaleur en raison de leurs diamètres ; il rapporte à la vérité des expériences faites avec de l’eau dans des vases de porcelaine, par lesquelles il trouve que les temps du refroidissement de l’eau sont presque proportionnels aux diamètres des vases qui la contiennent ; mais nous venons de voir que c’est par cette raison même que dans les corps solides la chose se passe différemment, car l’eau doit être regardée comme une matière presque entièrement perméable à la chaleur, puisque c’est un fluide homogène et qu’aucunes de ses parties ne peuvent faire obstacle à la circulation de la chaleur : ainsi, quoique les expériences du docteur Martine donnent à peu près la raison du diamètre pour le refroidissement de l’eau, on ne doit en rien conclure pour le refroidissement des corps solides.

Maintenant, si l’on voulait chercher, avec Newton, combien il faudrait de temps à un globe gros comme la terre pour se refroidir, on trouverait, d’après les expériences refroidissement précédentes, qu’au lieu de cinquante mille ans qu’il assigne pour le temps du refroidissement de la terre jusqu’à la température actuelle, il faudrait déjà quarante-deux mille neuf cent soixante-quatre ans et deux cent vingt-un jours pour la refroidir seulement jusqu’au point où elle cesserait de brûler, et quatre-vingt-seize mille six cent soixante-dix ans, et cent trente-deux jours pour la refroidir à la température actuelle.

Car la suite des diamètres des globes étant
1, 2, 3, 4, 5......... N demi-pouces, celles des temps du refroidissement jusqu’à pouvoir toucher les globes sans se brûler sera :
12, 36, 30, 84, 108......... 24 N − 12 minutes ; et le diamètre de la terre étant de 2 865 lieues de 25 au degré, ou de 6 537 930 toises de 6 pieds.

En faisant la lieue de 2 282 toises.
ou de 39 227 580 pieds,
ou de 941 461 920 demi-pouces.
nous avons N = 941 461 920 demi-pouces.

Et 24 N − 12 = 22 595 086 068 minutes, c’est-à-dire quarante-deux mille neuf cent soixante-quatre ans et deux cent vingt-un jours pour le temps nécessaire au refroidissement d’un globe gros comme la terre, seulement jusqu’au point de pouvoir le toucher sans se brûler.

Et de même, la suite des temps du refroidissement jusqu’à la température actuelle sera :

39′, 93′, 147′, 201′, 255′,............ 54 N − 15′.

Et comme N est toujours = 941 461 920 demi-pouces, nous aurons 54 N − 15 = 50 838 943 662 minutes, c’est-à-dire quatre-vingt-seize mille six cent soixante-dix ans et cent trente-deux jours pour le temps nécessaire au refroidissement d’un globe gros comme la terre au point de la température actuelle.

Seulement, on pourrait croire que celui du refroidissement de la terre devrait encore être considérablement augmenté, parce que l’on imagine que le refroidissement ne s’opère que par le contact de l’air, et qu’il y a une grande différence entre le temps du refroidissement dans l’air et le temps du refroidissement dans le vide ; et comme l’on doit supposer que la terre et l’air se seraient en même temps refroidis dans le vide, on dira qu’il faut faire état de ce surplus de temps ; mais il est aisé de faire voir que cette différence est très peu considérable ; car, quoique la densité du milieu dans lequel un corps se refroidit fasse quelque chose sur la durée du refroidissement, cet effet est bien moindre qu’on ne pourra l’imaginer, puisque dans le mercure, qui est onze mille fois plus dense que l’air, il ne faut, pour refroidir les corps qu’on y plonge, qu’environ neuf fois autant de temps qu’il en faut pour produire le même refroidissement dans l’air.

La principale cause du refroidissement n’est donc pas le contact du milieu ambiant, mais la force expansive qui anime les parties de la chaleur et du feu, qui les chasse hors des corps où elles résident, et les pousse directement du centre à la circonférence.

En comparant, dans les expériences précédentes, les temps employés à chauffer les globes de fer avec les temps nécessaires pour les refroidir, on verra qu’il faut environ la sixième partie et demie du temps pour les chauffer à blanc de ce qu’il en faut pour les refroidir au point de pouvoir les tenir à la main, et environ la quinzième partie et demie du temps qu’il faut pour les refroidir au point de la température actuelle[5] : en sorte qu’il y a encore une très grande correction à faire dans le texte de Newton sur l’estime qu’il fait de la chaleur que le soleil a communiquée à la comète de 1680 ; car cette comète n’ayant été exposée à la violente chaleur du soleil que pendant un petit temps, elle n’a pu la recevoir qu’en proportion de ce temps, et non pas en entier, comme Newton paraît le supposer dans le passage que je vais rapporter :

« Es calor solis ut radiorum densitas, hoc est reciprocè ut quadratum distantiæ locorum a sole. Ideòque cùm distantia cometæ à centro solis decemb. 8, ubi in perihelio versabatur, esset ad distantiam terræ à centro solis ut 6 ad 1 000 circiter, calor solis apud cometam eo tempore erat ad calorem solis æstivi apud nos ut 1 000 000 ad 36, seu 28 000 ad 1. Sed calor aquæ ebullientis est quasi triplo major quàm calor quem terra arida concipit ad æstivum solem ut expertus sum, etc. Calor ferri candentis (si rectè conjector) quasi triplò vel quadruplò major quàm calor aquæ ebullientis ; ideòque calor quem terra arida apud cometam in perihelio versantem ex radiis solaribus concipere posset, quasi 2 000 vicibus major quàm calor ferri candentis. Tanto autem calore vapores et exhalationes, omnisque materia volatilis statim consumi ac dissipari debuissent.

» Cometa igitur in perihelio suo calorem immensum ad solem concepit, et calorem illum diutissimè conservare potest. »

Je remarquerai d’abord que Newton fait ici la chaleur du fer rougi beaucoup moindre qu’elle n’est en effet, et qu’il le dit lui-même dans un Mémoire qui a pour titre Échelle de la chaleur, et qu’il a publié dans les Transactions philosophiques de 1701, c’est-à-dire plusieurs années après la publication de son Livre des Principes. On voit dans ce Mémoire, qui est excellent et qui renferme le germe de toutes les idées sur lesquelles on a depuis construit les thermomètres, on y voit, dis-je, que Newton, après des expériences très exactes, fait la chaleur de l’eau bouillante trois fois plus grande que celle du soleil d’été, celle de l’étain fondant six fois plus grande, celle du plomb fondant huit fois plus grande, celle du régule fondant douze fois plus grande, et celle d’un feu de cheminée ordinaire, seize ou dix-sept fois plus grande que celle du soleil d’été ; et de là on ne peut s’empêcher de conclure que la chaleur du fer rougi à blanc ne soit encore bien plus grande, puisqu’il faut un feu constamment animé par le soufflet pour chauffer le fer à ce point. Newton paraît lui-même le sentir et donner à entendre que cette chaleur du fer rougi paraît être sept ou huit fois plus grande que celle de l’eau bouillante ; ainsi il faut, suivant Newton lui-même, changer trois mots au passage précédent et lire : « Calor ferri candentis est quasi triplò (septuplò) vel quadruplò (octuplò) major quàm calor aquæ ebullientis ; ideòque calor apud cometam in perihelio versantem quasi 2 000 (1 000) vicibus major quàm calor ferri candentis. » Cela diminue de moitié la chaleur de cette comète, comparée à celle du fer rougi à blanc.

Mais cette diminution, qui n’est que relative, n’est rien en elle-même ni rien en comparaison de la diminution réelle et très grande qui résulte de notre première considération : il faudrait, pour que la comète eût reçu cette chaleur mille fois plus grande que du fer rougi, qu’elle eût séjourné pendant un temps très long dans le voisinage du soleil, au lieu qu’elle n’a fait que passer très rapidement, surtout à la plus petite distance, sur laquelle seule, néanmoins, Newton établit son calcul de comparaison. Elle était, le 6 décembre 1680, à 6/1000 de la distance de la terre au centre du soleil ; mais la veille ou le lendemain, c’est-à-dire vingt-quatre heures avant et vingt-quatre après, elle était déjà à une distance six fois plus grande, et où la chaleur était par conséquent trente-six fois moindre.

Si l’on voulait donc connaître la quantité de cette chaleur communiquée à la comète par le soleil, voici comment on pourrait faire cette estimation assez juste et en faire en même temps la comparaison avec celle du fer ardent, au moyen de mes expériences.

Nous supposerons comme un fait que cette comète a employé six cent soixante-six heures à descendre du point où elle était encore éloignée du soleil d’une distance égale à celle de la terre à cet astre, auquel point la comète recevait par conséquent une chaleur égale à celle que le terre reçoit du soleil, et que je prends ici pour l’unité ; nous supposerons de même que la comète a employé six cent soixante-six autres heures à remonter du point le plus bas de son périhélie à cette même distance ; et supposant aussi son mouvement uniforme, on verra que la comète, étant au point le plus bas de son périhélie, c’est-à-dire à 6/1000 de distance de la terre au soleil, la chaleur qu’elle a reçue dans ce moment était vingt-sept mille sept cent soixante-seize fois plus grande que celle que reçoit la terre ; en donnant à ce moment une durée de 80 minutes, savoir : 40 minutes en descendant et 40 minutes en montant, on aura :

À 6 de distance, 27 776 de chaleur pendant 80 minutes.

À 7 de distance, 20 408 de chaleur aussi pendant 80 minutes.

À 8 de distance, 15 625 de chaleur toujours pendant 80 minutes, et ainsi de suite jusqu’à la distance 1 000, où la chaleur est 1. En sommant toutes les chaleurs à chaque distance, on trouvera 363 410 pour le total de la chaleur que la comète a reçu du soleil, tant en descendant qu’en remontant, qu’il faut multiplier par le temps, c’est-à-dire par 3/4 d’heure ; on aura donc 484 547, qu’on divisera par 2 000, qui représente la chaleur totale que la terre a reçue dans ce même temps de 1 332 heures, puisque la distance est toujours 1 000, et la chaleur toujours = 1 ; ainsi l’on aura 242 /547 pour la chaleur que la comète a reçue de plus que la terre pendant tout le temps de son périhélie, au lieu de 28 000, comme Newton le suppose, parce qu’il ne prend que le point extrême, et ne fait nulle attention à la très petite durée du temps.

Et encore faudrait-il diminuer cette chaleur 242 /547 parce que la comète parcourait par son accélération d’autant plus de chemin dans le même temps, qu’elle était plus près du soleil.

Mais, en négligeant cette diminution et en admettant que la comète a en effet reçu une chaleur à peu près deux cent quarante-deux fois plus grande que celle de notre soleil d’été, et par conséquent 17 1/2 fois plus grande que celle du fer ardent, suivant l’estime de Newton, ou seulement dix fois plus grande suivant la correction qu’il faut faire à cette estime ; on doit supposer que pour donner une chaleur dix fois plus grande que celle du fer rougi, il faudrait dix fois plus de temps, c’est-à-dire 13 320 heures au lieu de 1 332. Par conséquent, on peut comparer à la comète un globe de fer qu’on aurait chauffé à un feu de forge pendant 13 320 heures pour pouvoir le rougir à blanc.

Or, on voit, par mes expériences, que la suite des temps nécessaires pour chauffer des globes dont les diamètres croissent, comme

1, 2, 3, 4, 5......... n demi-pouces,

est à très peu près

2′, 5′ 1/2, 9′, 12′ 1/2, 16′......... 7 n − 3/2 minutes.

On aura donc 7 n − 3/2 = 769 200 minutes.

D’où l’on tirera n = 228 342 demi-pouces.

Ainsi avec le feu de forge on ne pourrait chauffer à blanc, en 799 200 minutes, ou 13 320 heures, qu’un globe dont le diamètre serait de 228 342 demi-pouces, et par conséquent il faudrait, pour que toute la masse de la comète soit échauffée au point du fer rougi à blanc pendant le peu de temps qu’elle a été exposée aux ardeurs du soleil, qu’elle n’eût eu que 228 342 demi-pouces de diamètre, et supposer encore qu’elle eût été frappée de tous côtés et en même temps par la lumière du soleil. D’où il résulte que si on la suppose plus grande, il faut nécessairement supposer plus de temps dans la même raison de n à 7 n − 3/2 ; en sorte, par exemple, que si l’on veut supposer la comète égale à la terre, on aura n = 941 461 920 demi-pouces, et 7 n − 3/2 = 3 295 116 718 minutes, c’est-à-dire qu’au lieu de 13 320 heures, il en faudrait 54 918 612, ou si l’on veut, au lieu de 1 an 190 jours, il faudrait 6 269 ans pour chauffer à blanc un globe gros comme la terre ; et par la même raison il faudrait que la comète, au lieu de n’avoir séjourné que 1 332 heures ou 55 jours 12 heures dans tout son périhélie, y eût demeuré 392 ans. Ainsi les comètes, lorsqu’elles approchent du soleil, ne reçoivent pas une chaleur immense, ni très longtemps durable, comme le dit Newton, et comme on serait porté à le croire à la première vue ; leur séjour est si court dans le voisinage de cet astre, que leur masse n’a pas le temps de s’échauffer, et qu’il n’y a guère que la partie de la surface exposée au soleil qui soit brûlée par ces instants de chaleur extrême, laquelle, en calcinant et volatilisant la matière de cette surface, la chasse au dehors en vapeurs et en poussière du côté opposé au soleil ; et ce qu’on appelle la queue d’une comète n’est autre chose que la lumière même du soleil rendue sensible, comme dans une chambre obscure, par ces atomes que la chaleur pousse d’autant plus loin qu’elle est plus violente.

Mais une autre considération bien différente de celle-ci et encore plus importante, c’est que, pour appliquer le résultat de nos expériences et notre calcul à la comète et à la terre, il faut les supposer composées de matières qui demanderaient autant de temps que le fer pour se refroidir ; tandis que, dans le réel, les matières principales dont le globe terrestre est composé, telles que les glaises, les grès, les pierres, etc., doivent se refroidir en bien moins de temps que le fer.

Pour me satisfaire sur cet objet, j’ai fait faire des globes de glaise et de grès, et, les ayant fait chauffer à la même forge jusqu’à les faire rougir à blanc, j’ai trouvé que les boulets de glaise de deux pouces se sont refroidis au point de pouvoir les tenir dans la main en trente-huit minutes, ceux de deux pouces et demi en quarante-huit minutes, et ceux de trois pouces en soixante minutes ; ce qui, étant comparé avec le temps du refroidissement des boulets de fer de ces mêmes diamètres de deux pouces, deux pouces et demi et trois pouces, donne les rapports de 38 à 80 pour deux pouces, 48 à 102 pour deux pouces et demi, et 60 à 127 pour trois pouces, ce qui fait un peu moins de 1 à 2 ; en sorte que, pour le refroidissement de la glaise, il ne faut pas la moitié du temps qu’il faut pour celui du fer.

J’observerai, au sujet de ces expériences, que les globes de glaise chauffés à feu blanc ont perdu de leur pesanteur encore plus que les boulets de fer et jusqu’à la neuvième ou dixième partie de leur poids ; au lieu que le grès chauffé au même feu ne perd presque rien du tout de son poids, quoique toute la surface se couvre d’émail et se réduise en verre. Comme ce petit fait m’a paru singulier, j’ai répété l’expérience plusieurs fois, en faisant même pousser le feu et le continuer plus longtemps que pour le fer ; et quoiqu’il ne fallût guère que le tiers du temps pour rougir le fer, je l’ai tenu à ce feu le double et le triple du temps, pour voir s’il perdrait davantage, et je n’ai trouvé que de très légères diminutions ; car le globe de deux pouces, chauffé pendant huit minutes, qui pesait sept onces deux gros trente grains avant d’être mis au feu, n’a perdu que quarante et un grains, ce qui ne fait pas la centième partie de son poids ; celui de deux pouces et demi, qui pesait quatorze onces deux gros huit grains, ayant été chauffé pendant douze minutes, n’a perdu que la cent-cinquante-quatrième partie de son poids ; et trois pouces, qui pesait vingt-quatre onces cinq gros treize grains, ayant été chauffé pendant dix-huit minutes, c’est-à-dire presque autant que le fer, n’a perdu que soixante-dix-huit grains, ce qui ne fait que la cent quatre-vingt et unième partie de son poids. Ces pertes sont si petites, qu’on pourrait les regarder comme nulles, et assurer en général que le grès pur ne perd rien de sa pesanteur au feu : car il m’a paru que ces petites diminutions que je viens de rapporter ont été occasionnées par les parties ferrugineuses qui se sont trouvées dans ces grès, et qui ont été en partie détruites par le feu.

Une chose plus générale et qui mérite bien d’être remarquée, c’est que les durées de la chaleur dans différentes matières exposées au même feu, pendant un temps égal, sont toujours dans la même proportion, soit que le degré de chaleur soit plus grand ou plus petit ; en sorte, par exemple, que si on chauffe le fer, le grès et la glaise à un feu violent, et tel qu’il faille quatre-vingts minutes pour refroidir le fer au point de pouvoir le toucher, quarante-six minutes pour refroidir le grès au même point, et trente-huit minutes pour refroidir la glaise, et qu’à une chaleur moindre il ne faille, par exemple, que dix-huit minutes pour refroidir le fer à ce même point de pouvoir le toucher avec la main, il ne faudra proportionnellement qu’un peu plus de dix minutes pour refroidir le grès, et environ huit minutes et demie pour refroidir la glaise à ce même point.

J’ai fait de semblables expériences sur des globes de marbre, de pierre, de plomb et d’étain, à une chaleur telle seulement que l’étain commençait à fondre, et j’ai trouvé que le fer se refroidissant en dix-huit minutes au point de pouvoir le tenir à la main, le marbre se refroidit au même point en douze minutes, la pierre en onze, le plomb en neuf, et l’étain en huit minutes.

Ce n’est donc pas proportionnellement à leur densité, comme on le croit vulgairement[6], que les corps reçoivent et perdent plus ou moins vite la chaleur, mais dans un rapport bien différent et qui est en raison inverse de leur solidité, c’est-à-dire de leur plus ou moins grande non-fluidité ; en sorte qu’avec la même chaleur, il faut moins de temps pour échauffer ou refroidir le fluide le plus dense qu’il n’en faut pour échauffer ou refroidir au même degré le solide le moins dense. Je donnerai dans les Mémoires suivants le développement entier de ce principe, duquel dépend toute la théorie du progrès de la chaleur ; mais pour que mon assertion ne paraisse pas vaine, voici en peu de mots le fondement de cette théorie.

J’ai trouvé, par la vue de l’esprit, que les corps qui s’échaufferaient en raison de leurs diamètres ne pourraient être que ceux qui seraient parfaitement perméables à la chaleur, et que ce seraient en même temps ceux qui s’échaufferaient ou se refroidiraient en moins de temps. Dès lors j’ai pensé que les fluides dont toutes les parties ne se tiennent que par un faible lien approchaient plus de cette perméabilité parfaite que les solides dont les parties ont beaucoup plus de cohésion que celles des fluides.

En conséquence, j’ai fait des expériences par lesquelles j’ai trouvé qu’avec la même chaleur, tous les fluides, quelque denses qu’ils soient, s’échauffent et se refroidissent plus promptement qu’aucun solide, quelque léger qu’il soit ; en sorte, par exemple, que le mercure, comparé avec le bois, s’échauffe beaucoup plus promptement que le bois, quoiqu’il soit quinze ou seize fois plus dense.

Cela m’a fait reconnaître que le progrès de la chaleur dans les corps ne devait en aucun cas se faire relativement à leur densité ; et en effet j’ai trouvé, par l’expérience, que, tant dans les solides que dans les fluides, ce progrès se fait plutôt en raison de leur fluidité, ou, si l’on veut, en raison inverse de leur solidité.

Comme ce mot solidité a plusieurs acceptions, il faut voir nettement le sens dans lequel je l’emploie ici : solide et solidité se disent en géométrie relativement à la grandeur, et se prennent pour le volume du corps ; solidité se dit souvent en physique relativement à la densité, c’est-à-dire à la masse contenue sous un volume donné ; solidité se dit quelquefois encore relativement à la dureté, c’est-à-dire à la résistance que font les corps lorsque nous voulons les entamer. Or, ce n’est dans aucun de ces sens que j’emploie ici ce mot, mais dans une acception qui devrait être la première, parce qu’elle est la plus propre. J’entends uniquement par solidité la qualité opposé à la fluidité, et je dis que c’est en raison inverse de cette qualité que se fait le progrès de la chaleur dans la plupart des corps, et qu’ils s’échauffent ou se refroidissent d’autant plus vite qu’ils sont beaucoup plus fluides, et d’autant plus lentement qu’ils sont plus solides, toutes les autres circonstances étant égales d’ailleurs.

Et, pour prouver que la solidité prise dans ce sens est tout à fait indépendante de la densité, j’ai trouvé par expérience que des matières plus ou moins denses s’échauffent et se refroidissent plus promptement que d’autres matières plus ou moins denses ; que, par exemple, l’or et le plomb, qui sont beaucoup plus denses que le fer et le cuivre, néanmoins s’échauffent et se refroidissent aussi beaucoup plus vite, et que l’étain et le marbre, qui sont au contraire moins denses, s’échauffent et se refroidissent plus promptement que d’autres qui sont beaucoup moins denses ou plus denses ; en sorte que la densité n’est nullement relative à l’échelle du progrès de la chaleur dans les corps solides.

Et, pour le prouver de même dans les fluides, j’ai vu que le mercure qui est treize ou quatorze fois plus dense que l’eau, néanmoins s’échauffe et se refroidit en moins de temps que l’eau ; et que l’esprit-de-vin, qui est moins dense que l’eau, s’échauffe et se refroidit aussi plus vite que l’eau ; en sorte que généralement le progrès de la chaleur dans les corps, tant pour l’entrée que pour la sortie, n’a aucun rapport à leur densité, et se fait principalement en raison de leur fluidité, en étendant la fluidité jusqu’au solide, c’est-à-dire en regardant la solidité comme une non-fluidité plus ou moins grande. De là j’ai cru devoir conclure que l’on connaîtrait en effet le degré réel de fluidité dans les corps en les faisant chauffer à la même chaleur ; car leur fluidité sera dans la même raison que celle du temps pendant lequel ils recevront et perdront cette chaleur ; et il en sera de même des corps solides : ils seront d’autant plus solides, c’est-à-dire d’autant plus non-fluides, qu’il leur faudra plus de temps pour recevoir cette même chaleur et la perdre ; et cela presque généralement, à ce que je présume, car j’ai déjà tenté ces expériences sur un grand nombre de matières différentes, et j’en ai fait une table que j’ai tâché de rendre aussi complète et aussi exacte qu’il m’a été possible, et qu’on trouvera dans le Mémoire suivant.


Notes de Buffon
  1. Division de Réaumur.
  2. Je n’ai pas eu occasion de faire les mêmes expériences sur des boulets de fonte de fer ; mais M. de Montbeillard, lieutenant-colonel du régiment Royal-Artillerie, m’a communiqué la note suivante qui y supplée parfaitement. On a pesé plusieurs boulets avant de les chauffer, qui se sont trouvés du poids de vingt-sept livres et plus. Après l’opération, ils ont été réduits à vingt-quatre livres et un quart et vingt-quatre livres et demie. On a vérifié, sur une grande quantité de boulets, que plus on les a chauffés et plus ils ont augmenté de volume et diminué de poids ; enfin sur quarante mille boulets chauffés et râpés pour les réduire au calibre des canons, on a perdu dix mille, c’est-à-dire, un quart, en sorte qu’à tous égards cette pratique est mauvaise.
  3. Princip. mathem. Londres, 1726, p. 509.
  4. Traduction de Coste.
  5. Le boulet d’un pouce et celui d’un demi-pouce surtout ont été chauffés en bien moins de temps, et ne suivent point cette proportion de quinze et demi à un, et c’est par la raison qu’étant très petits et placés dans un grand feu, la chaleur les pénétrait, pour ainsi dire, tout à coup ; mais à commencer par les boulets d’un pouce et demi de diamètre, la proportion que j’établis ici se trouve assez exacte pour qu’on puisse y compter.
  6. Voyez la Chimie de Boerhaave. Partie première, p. 266 et 267, et aussi 160, 264 et 267. — Musschenbroek, Essais de physique, p. 94 et 969, etc.