Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport à l’étourneau

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 634-638).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT À L’ÉTOURNEAU

I.L’ÉTOURNEAU DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE OU L’ÉTOURNEAU-PIE.

J’ai donné à cet oiseau[NdÉ 1] d’Afrique le nom d’étourneau-pie, parce qu’il m’a paru avoir plus de rapports, quant à sa forme totale, avec notre étourneau qu’avec aucune autre espèce, et parce que le noir et le blanc, qui sont les seules couleurs de son plumage, y sont distribués à peu près comme dans le plumage de la pie.

S’il n’avait pas le bec plus gros et plus long que notre étourneau d’Europe, on pourrait le regarder comme une de ses variétés, d’autant plus que notre étourneau se retrouve au cap de Bonne-Espérance ; cette variété se rapporterait naturellement à celle dont j’ai fait mention ci-dessus, et où le noir et le blanc sont distribués par grandes taches. La plus remarquable et celle qui caractérise le plus la physionomie de cet oiseau, c’est une tache blanche fort grande, de forme ronde, située de chaque côté de la tête, sur laquelle l’œil paraît placé presque en entier, et qui, se prolongeant en pointe par devant jusqu’à la base du bec, a par derrière une espèce d’appendice varié de noir qui descend le long du cou.

Cet oiseau est le même que l’étourneau noir et blanc des Indes, d’Edwards, pl. clxxxvii ; que le contra de Bengale, d’Albin, t. III, pl. 21 ; que l’étourneau du cap de Bonne-Espérance de M. Brisson, t. II, page 446 ; et même que son neuvième troupiale, t. II, page 94. Il a avoué et rectifié ce double emploi page 54 de son Supplément, et il est en vérité bien excusable au milieu de ce chaos de descriptions incomplètes, de figures tronquées et d’indications équivoques qui embarrassent et surchargent l’histoire naturelle. Cela fait voir combien il est essentiel, lorsqu’on fait l’histoire d’un oiseau, de le reconnaître dans les diverses descriptions que les auteurs en ont faites, et d’indiquer les différents noms qu’on lui a donnés en différents temps et en différents lieux, seul moyen d’éviter ou de rectifier la stérile multiplication des espèces purement nominales.

II.L’ÉTOURNEAU DE LA LOUISIANE OU LE STOURNE.

Ce mot de stourne est formé du latin sturnus ; je l’ai appliqué à un oiseau d’Amérique[NdÉ 2] assez différent de notre étourneau pour mériter un nom distinct, mais qui a assez de rapports avec lui pour mériter un nom analogue. Il a le dessus du corps d’un gris varié de brun, et le dessous du corps jaune. Les marques les plus distinctives de cet oiseau, en fait de couleur, sont : 1o une plaque noirâtre variée de gris, située au bas du cou et se détachant très bien du fond, qui, comme nous venons de le dire, est de couleur jaune ; 2o trois bandes blanches qu’il a sur la tête, toutes les trois partant de la base du bec supérieur, et s’étendant jusqu’à l’occiput ; l’une tient le sommet ou le milieu de la tête, les deux autres qui sont parallèles à cette première, passent de chaque côté au-dessus des yeux. En général, cet oiseau se rapproche de notre étourneau d’Europe par les proportions relatives des ailes et de la queue, et en ce que ses couleurs sont disposées par petites taches : il a aussi la tête plate, mais son bec est plus allongé.

Un correspondant du Cabinet nous assure que la Louisiane est fort incommodée par des nuées d’étourneaux, ce qui indiquerait quelque conformité dans la manière de voler des étourneaux de la Louisiane avec celle de nos étourneaux d’Europe ; mais il n’est pas bien sûr que le correspondant veuille parler de l’espèce dont il s’agit ici.

III.LE TOLCANA[1][NdÉ 3].

La courte notice que Fernandez nous donne de cet oiseau est non seulement incomplète, mais elle est faite très négligemment ; car, après avoir dit que le tolcana est semblable à l’étourneau pour la forme et pour la grosseur, il ajoute tout de suite qu’il est un peu plus petit ; cependant, c’est le seul auteur original qu’on puisse citer sur cet oiseau, et c’est d’après son témoignage que M. Brisson l’a rangé parmi les étourneaux. Il me semble néanmoins que ces deux auteurs caractérisent le genre de l’étourneau par des attributs très différents : M. Brisson, par exemple, établit pour l’un de ses attributs caractéristiques le bec droit, obtus et convexe ; et Fernandez, parlant d’un oiseau du genre du tzanatl ou étourneau[2], dit qu’il est court, épais et un peu courbé, et, dans un autre endroit[3], il rapporte un même oiseau, nommé cacalotototl, au genre du corbeau (qui se nomme, en effet, cacalotl en mexicain, chap. clxxxiv), et à celui de l’étourneau[4] ; en sorte que l’identité des noms employés par ces deux écrivains ne garantit nullement l’identité de l’espèce dénommée, et c’est ce qui m’a déterminé à conserver à l’oiseau de cet article son nom mexicain, sans assurer ni nier qu’il soit un étourneau.

Le tolcana se plaît, comme nos étourneaux d’Europe, dans les joncs et les plantes aquatiques. Sa tête est brune, et tout le reste de son plumage est noir. Cet oiseau n’a point de chant, mais seulement un cri, et il a cela de commun avec beaucoup d’autres oiseaux d’Amérique, qui sont en général plus recommandables par l’éclat de leurs couleurs que par l’agrément de leur ramage.

IV.LE CACASTOL[5].

Je ne mets cet oiseau étranger[NdÉ 4] à la suite de l’étourneau que sur la foi très suspecte de Fernandez, et aussi d’après l’un de ses noms mexicains, qui indique quelque analogie avec l’étourneau. D’ailleurs, je ne vois pas trop à quel autre oiseau d’Europe on pourrait le rapporter. M. Brisson, qui a voulu en faire un cottinga[6], a été obligé, pour l’y amener, de retrancher de la description de Fernandez, déjà trop courte, les mots qui indiquaient la forme allongée et pointue du bec, cette forme de bec étant en effet plus de l’étourneau que du cottinga. Outre cela, le cacastol est à peu près de la grosseur de l’étourneau ; il a la tête petite comme lui, et n’est pas un meilleur manger ; enfin, il se tient dans les pays tempérés et les pays chauds. Il est vrai qu’il chante mal, mais nous avons vu que le ramage naturel de l’étourneau d’Europe n’était pas fort agréable, et il est à présumer que s’il passait en Amérique, où presque tous les oiseaux chantent mal, il chanterait bientôt tout aussi mal, par la facilité qu’il a d’apprendre, c’est-à-dire, d’imiter le chant d’autrui.

V.LE PIMALOT[7].

Le bec large de cet oiseau pourrait faire douter qu’il appartînt au genre de l’étourneau[NdÉ 5] ; mais s’il était vrai, comme le dit Fernandez, qu’il eût la nature et les mœurs des autres étourneaux, on ne pourrait s’empêcher de le regarder comme une espèce analogue, d’autant plus qu’il se tient ordinairement sur les côtes de la mer du Sud, apparemment parmi les plantes aquatiques, de même que notre étourneau d’Europe se plaît dans les roseaux, comme nous avons vu. Le pimalot est un peu plus gros.

VI.L’ÉTOURNEAU DES TERRES MAGELLANIQUES OU LE BLANCHE-RAIE.

Je donne à cette espèce nouvelle, apportée par M. de Bougainville, le nom de blanche-raie[NdÉ 6], à cause d’une longue raie blanche qui, de chaque côté, prenant naissance près de la commissure des deux pièces du bec, semble passer par-dessous l’œil, puis reparaît au delà pour descendre le long du cou. Cette raie blanche fait d’autant plus d’effet, qu’elle est environnée, au-dessus et au-dessous, de couleurs très rembrunies : ces couleurs sombres dominent sur la partie supérieure du corps ; seulement les pennes des ailes et leurs couvertures sont bordées de fauve. La queue est d’un noir décidé, fourchue de plus, et ne s’étend pas beaucoup au delà des ailes, qui sont fort longues. Le dessous du corps, y compris la gorge, est d’un beau rouge cramoisi, moucheté de noir sur les côtés ; la partie antérieure de l’aile est du même cramoisi, sans mouchetures, et cette couleur se retrouve encore autour des yeux et dans l’espace qui est entre l’œil et le bec. Ce bec, quoique obtus comme celui des étourneaux, et moins pointu que celui des troupiales, m’a paru cependant, à tout prendre, avoir plus de rapport avec celui des troupiales ; et, si l’on ajoute à cela que le blanche-raie a beaucoup de la physionomie de ces derniers, on ne fera pas difficulté de le regarder comme faisant la nuance entre ces deux espèces, qui d’ailleurs ont beaucoup de rapports entre elles.


Notes de Buffon
  1. Nom formé du nom mexicain Tolocatzanatl, et qui signifie étourneau des roseaux Fernandez, Hist. avium Novæ-Hispaniæ, cap. xxxvi. C’est le troisième étourneau de M. Brisson, t. II, p. 448.
  2. Fernandez, chap. xxxvii.
  3. Ibid., chap. cxxxii.
  4. « Cacalotototl seu avis corvina ad sturnorum tzanatlve genus videtur pertinere. » — Cet oiseau a, selon Fernandez, le plumage noir tirant au bleu, le bec tout à fait noir, l’iris orangé, la queue longue, la chair mauvaise à manger, et point de chant. Il se plaît dans les pays tempérés et les pays chauds. Il est difficile, d’après cette notice tronquée, de dire si l’oiseau dont il s’agit est un corbeau ou un étourneau.
  5. Nom formé du nom mexicain Caxcaxtototl. Fernandez, chap. clviii. On lui donne encore dans la Nouvelle-Espagne le nom de Hueitzanatl, et nous avons vu que le mot mexicain tzanatl répondait à notre mot étourneau.
  6. Brisson, t. II, p. 347.
  7. Mot formé du nom mexicain de cet oiseau Pitzmalotl.
Notes de l’éditeur
  1. Sturnus capensis et Sturnus contra Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Gracupica contra Linnæus, vulgairement étourneau-pie].
  2. Sturnus ludovicianus Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Sturnella magna Linnæus, vulgairement sturnelle des prés ; comme tous les oiseaux qui suivent dans cet article, cet oiseau n’est pas un sturnidé, mais un ictéridé, famille d’oiseaux du Nouveau Monde dont l’allure rappelle celle des sturnidés de l’Ancien Monde (voyez la note à l’article des troupiales).].
  3. Sturnus obscurus et mexicanus Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Molothrus ater Boddaert, sous-espèce obscurus Gmelin, vulgairement vacher à tête brune].
  4. Sturnus mexicanus Gmel. (Espèce douteuse.) [Note de Wikisource : Le fait que Fernandez appelle aussi cet oiseau hueitzanatl laisse à penser qu’il s’agit encore du quiscale à longue queue, un ictéridé déjà décrit deux fois plus haut ; voyez l’article des oiseaux étrangers qui ont rapport à la pie, nos IV et VI].
  5. C’est une espèce douteuse.
  6. Sturnus militaris Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Leistes loyca Molina, vulgairement sturnelle australe].