Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Les troupiales

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 639-641).

LES TROUPIALES

Ces oiseaux ont, comme je viens de dire, beaucoup de rapports avec nos étourneaux d’Europe ; et ce qui le prouve, c’est que souvent le peuple et les naturalistes ont confondu ces deux genres et ont donné le nom d’étourneau à plus d’un troupiale : ceux-ci pourraient donc être regardés, à bien des égards, comme les représentants de nos étourneaux en Amérique, concurremment avec les étourneaux américains dont je viens de parler, quoique cependant ils aient des habitudes très différentes, ne fût-ce que dans la manière de construire leurs nids[NdÉ 1].

Le nouveau continent est la vraie patrie, la patrie originaire des troupiales et de tous les oiseaux qu’on a rapportés à ce genre, tels que les cassiques, les baltimores et les carouges ; et si l’on en cite quelques-uns, soi-disant de l’ancien continent, c’est parce qu’ils y avaient été transportés originairement d’Amérique : tels sont probablement le troupiale du Sénégal, appelé capmore[NdÉ 2], le carouge du cap de Bonne-Espérance[NdÉ 3], et tous les prétendus troupiales de Madras, auxquels on a donné ce nom sans les avoir bien connus.

Je retrancherai donc du genre des troupiales : 1o les quatre espèces venant de Madras, et que M. Brisson a empruntées de M. Ray[1], parce que la raison du climat ne permet pas de les regarder comme de vrais troupiales ; que d’ailleurs je ne vois rien de caractéristique dans les descriptions originales, et que les figures des oiseaux décrits sont trop négligées pour qu’on puisse en tirer des marques distinctives qui les constituent troupiales plutôt que pies, geais, merles, loriots, gobe-mouches, etc. Un habile ornithologiste (M. Edwards) croit que le geai jaune et le geai-bouffe de Petiver, dont M. Brisson a fait son sixième et son quatrième troupiales, ne sont autre chose que le loriot mâle et sa femelle[2] ; que le geai bigarré de Madras, du même Petiver, dont M. Brisson a fait son cinquième troupiale, est son étourneau jaune des Indes[3] ; et, enfin, que le troupiale huppé de Madras, dont M. Brisson a fait sa septième espèce[4], est le même oiseau que le gobemouche huppé du cap de Bonne-Espérance du même M. Brisson[5].

2o Je retrancherai le troupiale de Bengale, qui est le neuvième de M. Brisson[6], puisque cet auteur s’est aperçu lui-même que c’était sa seconde espèce d’étourneau.

3o Je retrancherai encore le troupiale à queue fourchue, qui est le seizième de M. Brisson[7], et la grive noire de Seba[8] : tout ce qu’en dit ce dernier, c’est qu’il surpasse de beaucoup la grive en grosseur, que son plumage est noir, qu’il a le bec jaune, le dessous de la queue blanc, le dessus, ainsi que le dos, comme voilé par une légère teinte de bleu, et une queue longue, large et fourchue ; enfin, qu’à la différence près dans la forme de la queue et dans la grosseur du corps, il avait beaucoup de rapport à notre grive d’Europe : or, je ne vois rien dans tout cela qui ressemble à un troupiale, et la figure donnée par Seba, et que M. Brisson trouve très mauvaise, ne ressemble pas plus à un troupiale qu’à une grive.

4o Je retrancherai le carouge bleu de Madras[9], parce que, d’une part, il m’est fort suspect à raison du climat ; que, de l’autre, la figure ni la description de M. Ray n’ont absolument rien qui caractérise un carouge, et que même il n’en a pas le plumage : il a, selon cet auteur, la tête, la queue et les ailes de couleur bleue, mais la queue d’une teinte plus claire ; le reste du plumage est noir ou cendré, excepté cependant le bec et les pieds, qui sont roussâtre.

5o Enfin, je retrancherai le troupiale des Indes[10], non seulement à cause de la différence du climat, mais encore pour d’autres raisons tout aussi fortes qui me l’ont fait placer ci-dessus entre les rolliers et les oiseaux de Paradis.

Au reste, quoiqu’on ait réuni dans un même genre avec les troupiales, comme je l’ai dit plus haut, les cassiques, les baltimores et les carouges, il ne faut pas croire que ces divers oiseaux n’aient pas des différences, et même assez caractérisées, pour constituer de petits genres subordonnés, puisqu’ils en ont eu assez pour qu’on leur donnât des noms différents. En général, je suis en état d’assurer, d’après la comparaison faite d’un assez grand nombre de ces oiseaux, que les cassiques ont le bec plus fort, ensuite les troupiales, puis les carouges. À l’égard des baltimores, ils ont le bec non seulement plus petit que tous les autres, mais encore plus droit et d’une forme particulière, comme nous le verrons plus bas. Ils paraissent d’ailleurs avoir d’autres mœurs et d’autres allures, ce qui suffit, ce me semble, pour m’autoriser à leur conserver leurs noms particuliers, et à traiter à part chacune de ces familles étrangères.

Les caractères communs que leur assigne M. Brisson, ce sont les narines découvertes, et le bec en cône allongé, droit et très pointu. J’ai aussi remarqué que la base du bec supérieur se prolonge sur le crâne, en sorte que le toupet, au lieu de faire la pointe, fait au contraire un angle rentrant assez considérable ; disposition qui se retrouve à la vérité dans quelques autres espèces, mais qui est plus marquée dans celles-ci.


Notes de Buffon
  1. Voyez l’Ornithologie de M. Brisson, t. II, p. 90 et suiv., et le Synopsis avium de Ray, p. 194 et suiv.
  2. Voyez les Oiseaux d’Edwards, planche 185.
  3. Ibidem, planche 186.
  4. Ornithologie, t. II, p. 92.
  5. Ibidem, p. 418, le mâle ; et 414, la femelle : il ajoute que si les deux longues pennes de la queue manquaient dans ces deux individus, c’est ou parce qu’elles n’étaient pas encore venues, ou parce que la mue ou quelque autre accident les avait fait tomber. Voyez Edwards, planche 325.
  6. Tome II, p. 94.
  7. Ibidem, p. 105.
  8. Tome Ier, p. 102.
  9. M. Brisson, t. II, p. 125. M. Ray lui donne, d’après Petiver, le nom de petit geai bleu, petite pie de Madras ; en langue du pays, Peach caye. Voyez Synopsis avium, p. 195.
  10. Brisson, t. VI, p. 37.
Notes de l’éditeur
  1. Les ornithologistes modernes placent les Troupiales véritables dans un genre spécial sous le nom d’Agelaius. Ce genre est caractérisé par un bec conique, allongé, un peu comprimé latéralement, très acuminé, pourvu d’une arête qui se prolonge en pointe sur le front ; une taille moyenne ; des ailes à deuxième et troisième pennes plus longues que les autres ; une queue longue, arrondie. L’extension donnée par Buffon au mot Troupiale est beaucoup plus large, ainsi que le montrent les articles suivants. [Note de Wikisource : Depuis, tous les troupiales ont été débaptisés, et ce nom n’a plus aucune validité. Sauf indication contraire, les troupiales de Buffon appartiennent aux Ictéridés, famille d’oiseaux du Nouveau Monde dont l’allure rappelle celle des Sturnidés de l’Ancien Monde. Ils sont cependant très éloignés des Sturnidés, et appartiennent en réalité à un groupe de familles d’oiseaux du Nouveau Monde frère de la famille des Fringillidés (pinsons, organistes, gros-becs, durbecs, bouvreuils, roselins, verdiers, linottes, chardonnerets, serins, sizerins, tarins, etc. ; voyez la note à l’article du grand tangara). À l’intérieur de cette famille des Ictéridés, la distribution des espèces entre troupiales, carouges et cassiques, qui remontait à Brisson, a été complètement remaniée, la famille étant maintenant divisée en goglus, sturnelles, cassiques, orioles, carouges, vachers et quiscales.]
  2. Oriolus textor Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Ploceus melanocephalus Linnæus, vulgairement tisserin à tête noire, de la famille des Plocéidés].
  3. Oriolus capensis Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Ploceus capensis Linnæus, vulgairement tisserin du cap, de la famille des Plocéidés].